Décision

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Décision

Milius c. Éramil

2018 QCRDL 35367

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

328386 31 20170328 G

331664 31 20170418 G

334526 31 20170502 G

No demande :

2210971

2224498

2234961

 

 

Date :

25 octobre 2018

Régisseur :

Robin-Martial Guay, juge administratif

 

Lorraine Milius

 

Locatrice - Partie demanderesse

(328386 31 20170328 G)

Partie défenderesse

(331664 31 20170418 G)

(334526 31 20170502 G)

c.

Marie-Mona Éramil

 

Locataire - Partie défenderesse

(328386 31 20170328 G)

Partie demanderesse

(331664 31 20170418 G)

(334526 31 20170502 G)

 

D É C I S I O N

 

 

Dossier : 331664

[1]      Le 18 avril 2017, la locataire dépose devant le tribunal de la Régie du logement, une demande à l’encontre de la locatrice.

[2]      La demande originaire de la locataire est suivie d’une série d’amendements qui sont déposés le 29 mai, le 12 juin et le 27 juin 2018 dont un dernier amendement produit le 5 juillet 2018 par l’avocat qui comparait pour la locataire.

Dossier : 334526 

[3]      Le 2 mai 2017, la locataire dépose une nouvelle demande à l’encontre de la locatrice.

[4]      Cette nouvelle demande originaire de la locataire est elle aussi suivie d’une série d’amendements qui sont déposés le 18 mai et le 12 juin 2018 dont un dernier amendement produit le 5 juillet 2018 par l’avocat qui comparait pour la locataire.

[5]      À l’audience du 10 juillet 2018, l’avocat de la locataire déclare que l’amendement qu’il a déposé le 5 juillet 2018 est l’expression d’une révision des conclusions contenues dans les deux demandes et leurs amendements de la locataire.


[6]      Toujours selon l’avocat de la locataire, l’amendement du 5 juillet 2018 qu’il a déposé dans chacun des dossiers de la locataire contient les conclusions recherchées par la locataire en ce qu’il abroge toutes et chacune des conclusions apparaissant sur les demandes originaires et leurs amendements.

[7]      C’est là dire que la locataire recherche les conclusions suivantes selon l’amendement du 5 juillet 2018 et tel que précisé à l’audience du 10 juillet 2018 :

« Condamner la défenderesse au paiement d’une indemnité de trois mois de loyer suivant l’éviction des locataires ;

Condamner la défenderesse au paiement des frais de déménagement des locataires (789.85$) ;

Condamner la défenderesse à une diminution de loyer de 200 $ par mois rétroactif au mois de juin 2015 pour un total de 7,200 $.

Condamner la défenderesse à un montant de 180 $ représentant les montants perçus en trop pour Hydro Solution.

Condamner la défenderesse à des dommages et intérêts moraux de 3,000 $ pour harcèlement.

Ordonner l’exécution du jugement malgré l’appel.

Condamner la défenderesse aux frais ».

[8]      L’amendement déposé le 5 juillet 2018 fait aussi état de ce que : « les locataires ont quitté le logement le 27 juin 2018. Les demandeurs n’ont plus l’intérêt à demander l’exécution en nature ».

[9]      À l’examen de l’amendement qui abroge les précédents, le Tribunal note que les dommages punitifs pour violation de domicile ainsi que les dommages moraux pour les troubles et inconvénients ne sont plus réclamés. Les seuls dommages moraux qui sont réclamés se limitent à ceux en lien avec le harcèlement.

[10]   De plus, les intérêts au taux légal, plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec ne sont plus réclamés par la locataire.

[11]   À l’audience du 10 juillet 2018, les parties admettent, réciproquement, avoir reçu signification des procédures de l’autre partie.

[12]   Les demandes de la locataire ont été précédées de l’envoi de mise en demeure à la locatrice. Une première mise en demeure porte la date du 4 avril 2017 (Pièce P-1) et une seconde porte celle du 21 avril 2017 (Pièce P-2).

[13]   La mise en demeure du 21 avril 2017 a été signifiée à la locatrice par huissier.

Dossier : 328386

[14]   Le 28 mars 2017, la locatrice dépose devant la Régie du logement, une demande à l’encontre de la locataire.

[15]   La demande est suivie d’une série d’amendements en date du 27 avril 2017, 25 janvier 2018, et 5 février 2018.

[16]   À l’audience du 10 juillet 2018, la locatrice a procédé au retrait de son amendement du 27 avril 2017.

Remarques préliminaires

[17]   Conformément à l’article 57 de la Loi sur la Régie du logement, les demandes respectives des parties ont été réunies lors de l’audience du 10 juillet 2018.

[18]   Une première audience s’est tenue en présence de toutes les parties le 10 juillet 2018.

[19]   En raison de l’insuffisance de temps, l’audience a été ajournée à une date convenant aux parties ainsi qu’à l’avocat de la locataire. C’est en présence du maître des rôles de la Régie que les parties ont retenu, à leur agenda respectif, la journée complète du 2 octobre 2018 pour la continuation de l’audition.


[20]   À l’audience du 2 octobre 2018, seule la locataire et son avocat sont présents; la locatrice étant absente bien qu’elle avait clairement indiqué le 10 juillet 2018 qu’elle était, elle aussi, disponible pour la continuation de l’audience en date du 2 octobre 2018.

Demande de la locatrice

[21]   Appelé à statuer sur la demande de la locatrice qui est absente à l’audience, l’avocat de la locataire a demandé au Tribunal de rejeter la demande de la locatrice pour absence de preuve.

Demandes de la locataire

Preuve et analyse :

[22]   Afin de décider du présent litige, le Tribunal retient de l'ensemble de la preuve administrée à l'audience, les éléments pertinents qui suivent.

[23]   Les parties étaient liées par un bail couvrant la période du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018 au loyer mensuel de 790 $.

[24]   Il s’agit d’un bail reconduit, année après année, depuis l’année 2006.

[25]   Le logement concerné est constitué d’un logement de 5.5 pièces situé dans un triplex.

[26]   La locataire occupait le logement concerné avec son conjoint et leurs quatre enfants.

[27]   À son arrivée au logement en 2006, le locateur de l’époque, monsieur Winchell Métayer s’engage auprès de la locataire à exécuter certains travaux dans le logement. Lorsqu’il vend l’immeuble à sa belle-sœur en 2009, aucun des travaux promis ont été exécutés.

[28]   La locatrice Lorraine Milius, acquiert de son beau-frère Métayer l’immeuble en 2009.

[29]   En 2011, la locatrice s’établit dans un des logements de l’immeuble après avoir entièrement rénové celui-ci. Puis, un autre logement de l’immeuble a lui aussi été rénové par la locatrice.

[30]   La locataire a d’ailleurs témoigné à propos des nombreux inconvénients subis pendant toute la durée des travaux dont le bruit excessif à des heures déraisonnables. Pendant la période des travaux, son conjoint a souffert d’insomnie et ses enfants ont souvent été réveillés pendant leur sommeil par le bruit des outils et des travaux.

[31]   Somme toute, l’arrivée d’une nouvelle locatrice dans l’immeuble fut l’occasion pour la locataire de nourrir l’espoir que les travaux que nécessitait le logement seraient enfin exécutés. Elle a donc saisi la locatrice des travaux qu’il y avait à faire au logement sitôt que celle-ci s’est annoncée à elle à titre de nouvelle locatrice.

[32]   Le seul logement de l’immeuble qui n’a pas été rénové est le sien que d’insister la locataire qui nourrissait l’espoir que le sien le serait aussi, comme les deux autres, mais il n’en sera rien.

[33]   Malgré la longue liste de travaux qu’il y avait à faire au logement et qu’elle avait communiquée à la locatrice, cette dernière se limite à remplacer la baignoire en 2012.

[34]   Bien qu’avisée d’infiltration d’eau aux plafonds du salon, de la cuisine et de l’une des chambres en temps de pluie, la locatrice ne fera que colmater les fuites quelques deux à trois mois plus tard. Bien qu’à l’évidence, le gypse qui avait été détrempé et nécessitait d’être réparé et repeint, la locatrice reste indifférente aux demandes de la locataire.

[35]   Confrontée à l’inertie de la locatrice qui laisse toujours miroiter à la locataire que des travaux seront enfin réalisés à la faveur d’une augmentation de loyer, la locataire officialise ses demandes lorsqu’elle envoie une première lettre de mise en demeure à la locatrice le 4 avril 2017 (Pièce P-1).

[36]   Il sied de reproduire le texte de cette mise en demeure d’autant plus que celui-ci s’est révélé, en tous points, conforme au témoignage que la locataire a livré au Tribunal.


« Marie-Mona Eramil locataire du logement situe au [adresse 1] à Montréal-Nord

Demande à Madame Lorraine Milius, Propriétaire du logement les rénovations suivantes

1-Faire venir un examinateur pour la désinfection du logement parce qu'il est infecte de ravette.

2-Changer les armoires et les placards de la cuisine. Sans oublier que vous avez déplacé un morceau qui n'a jamais été remplacé.

3-Changer les portes du logement toutes les portes

4-Changer la rampe dans les escaliers qui montrent dans le logement

5-Renover au complet le balcon en arrière (très dangereux pour mes enfants)

6-Changer l'air ouvert dans la toilette parce que quand les enfants prennent leur bain il a des fuites d'air

7-Changer la fane (du poêle) 8-Changer les chauffages

9- Changer les prises d'électricités il y a coupure de circuit qui se fait.

N.B vous serez porté responsable de tout appareil endommagés si vous ne faites rien pour corriger la situation.

Vous avez un délai de 10 jours pour faire les rénovations et extermination du logement.

Madame Milius,

N.B Vous n'êtes pas sans savoir que j'habite le logement depuis le l' décembre 2006 sans aucune rénovations depuis. Aucune rénovations avec votre beau-frère et ni votre soeur par la suite.

Vous êtes arrivée en 2011, vous avez pris possession du logement sans même nous rendre visite. C'est au téléphone que vous n'avez annoncé que vous êtes la nouvelle propriétaire du logement.

Je vous avais bien expliqué que mon logement change trop souvent de propriétaire et que ça me fait beaucoup souffrir et que vous avez beaucoup de rénovations à faire. Vous m'avez promis de faire toute les rénovations alors depuis 6 ans vous laissez encore dans la même situation. Et maintenant quand je vous parle de rénovation vous devenez colérique.

Vous avez un délai de 10 jours à compter de la date de la réception de ce courrier, pour faire les rénovations demandées.

Merci de votre compréhension.

Veuillez accepter, Madame, mes salutations les plus distinguées ».

[37]   Le 21 avril 2017, la locataire expédie une nouvelle lettre de mise en demeure à la locatrice (Pièce P-2).

[38]   Comme pour la première, il sied tout autant de reproduire le texte et le contenu compte tenu que celui-ci s’est révélé, en tous points, conforme au témoignage de la locataire.

« Marie Mona Eramil Locataire du logement [adresse 1], je tiens à vous rappeler que depuis que vous aviez pris possession du bloc j'ai été constamment dérangée par des bruits excessifs causés par des travaux du [adresse 2] votre domicile et [adresse 3] logement du sous-sol J'ai tenté à plusieurs reprises de vous avertir du problème mais vous avez faites semblant de rien comprendre et vous m'avez ignorée.

Depuis plus de quatre semaines vous faites des travaux la nuit au logement [adresse 3] et c'est terrifiant. Mes enfants n'arrivent pas à dormir, mon mari est malade, il fait de l'insomnie moi aussi et toutes les membres de la famille sont traumatisés.

Je déplore également votre attitude colérique et vos agressions verbales envers moi, depuis le début du mois de Mars 2017.

1-Vous avez dit que vous avez le gout de mettre le feu dans le bloc. 2-Vous avez fermé l'eau pendant que je prenais mon bain

3-Vous avez appelé la police pour essayer d'inventer un conflit, vous avez tout fait pour m'inciter à rentrer en conflit avec vous mais je suis resté calme.

4-Vous avez pénétrer dans mon logement accompagné d'un monsieur et vous avez ouvert la porte de la salle de bain alors que ma fille de 11 ans était nue. Et ce jour-là en rentrant dans ma maison à 01 heure le matin mon logement dégageait une odeur nauséabonde. Vous avez démonté ma toilette sans même m'avertir.


Pour tous le stress et traumatismes subis par les membres de ma famille, je demande à ce qu'un dédommagement de 48 000 dollars en dommage et intérêt me soit versé en réparation pour préjudice.

Vous avez un délai de 10 jours à compter de la date de la réception de ce courrier pour corriger la situation.

Veuillez accepter, Madame, mes salutations les plus distinguées

En espérant l'arrêt des agressions verbaux et un changement dans votre attitude colérique. Merci de votre compréhension ».

[39]   Le 10 mai 2017, devant le refus de la locatrice d’obtempérer à ses deux mises en demeure, la locataire s’est adressée à la Ville de Montréal-Nord pour qu’un inspecteur enquête les problèmes au logement concerné.

[40]   Au terme d’une inspection du logement concerné en date du 14 juin 2017, une liste des non-conformités et des travaux à effectuer au logement est dressée par l’inspecteur (Pièce P-3).

[41]   Le 25 juillet 2017, un avis de non-conformité aux règlements municipaux est expédié à la locatrice.

[42]   Dans son avis de non-conformité, l’inspecteur dresse la liste des travaux suivants à effectuer au logement au plus tard, 30 jours après la réception de l’avis (pièce P-3) :

« 1. Consolider le garde-corps d’escalier situé sur la façade arrière qui est branlant;

2. Réparer ou remplacer l’élément chauffant de la chambre arrière qui est brisé;

3. Refaire le revêtement du mur de la chambre arrière qui est détériorée en ce qu’il y a un trou derrière la porte;

4. Refaire le revêtement du plafond de la chambre avant qui est détérioré;

5. Réparer ou remplacer la quincaillerie (charnière, enclenchement et poignée de la porte) qui empêche son bon fonctionnement en ce qu’il n’y a pas de poignée de porte ni de peine d’enclenchement dans la chambre arrière;

6. Sabler et vernir le revêtement de plancher dont le vernis est usé dans tout le logement;

7. Réparer ou remplacer les armoires qui sont endommagée en ce que le revêtement des portes des armoires est abîmé et il manque un faux tiroir devant l’évier de la cuisine

8. Remplacer le revêtement de plancher qui est détérioré en ce qu’une section de plancher est sans revêtement dans la cuisine alors qu’une section avec revêtement est brisée ;

9. Consolider la main courante de l’escalier qui est branlante dans l’escalier intérieur avant ;

10. Refaire le revêtement du plafond qui est détérioré au niveau de la salle de bain ;

11. Réparer ou remplacer le système de ventilation qui est défectueux en ce que le conduit flexible blanc qui récolte l’humidité de la ventilation d’extraction mécanique est troué ;

12. Refaire le revêtement des murs qui est détérioré au niveau du salon où se situe la fenêtre ».

[43]   Le 12 septembre 2017, l’inspecteur se rend de nouveau au logement concerné afin d’en vérifier l’état une fois les travaux que la locatrice lui affirme y avoir fait en réponse à l’avis de non-conformité qu’elle reçue plus tôt.

[44]   L’examen de l’impression du suivi de l’inspecteur soumis en preuve (Pièce P-3) révèle que seulement trois items sur 12 ont été corrigés à sa satisfaction au moment de sa visite le 12 septembre 2017. L’inspecteur indique qu’un avis de poursuites serait envoyé à la locatrice.

[45]   Le 7 novembre 2017, un premier avis de poursuite est expédié à la locatrice selon ce qu’indique un avis d’infraction aux règlements municipaux daté du 23 mai 2018 (Pièce P-4).

[46]   Le 24 janvier 2018, lors de son inspection du logement concerné, l’inspecteur constate que la plupart des travaux ont été effectués et qu’il ne reste qu’à sabler et vernir le plancher de bois dans tout le logement et que le garde de corps métallique à l’extérieur n’a toutefois pas été réparé correctement.


[47]   Toujours dans son rapport, l’inspecteur note qu’il peut et qu’il est disposé à accorder un délai, soit jusqu’au printemps pour le vernissage du plancher afin que tout sèche plus rapidement. Pour ce qui est du garde de corps, il estime que la consolidation temporaire peut-être ultimement jugée suffisante.

[48]   L’impression du suivi du 24 janvier 2018 qui reprend un échange entre ce dernier et la locatrice fait état de ce qui suit : « … attend leurs départs pour faire les travaux ».

[49]   Toujours selon la preuve, un avis d’infraction aux règlements municipaux est expédié à la locatrice en date du 23 mai 2018 (Pièce P-4).

[50]   L’avis d’infraction signale à la locatrice que les réparations à faire sur l’avis du 25 juillet 2017 n’ont pas été complétées et qu’un avis de poursuite lui a été envoyé en date du 7 novembre 2017 et que, malgré tout, certains items n’ont pas été corrigés, d’où les trois infractions suivantes :

1.     En ayant un garde de corps métallique non réparée correctement;

2.     En ayant un plancher de bois dans le vernis est usé dans tout le logement;

3.     En ayant un robinet cassé dans la salle de bain.

[51]   Des photos soumises en preuve par la locataire montrent les éléments du logement qui ont été jugés non conformes par l’inspecteur municipal ainsi qu’elles montrent l’état du logement lorsqu’elle quitte en juin 2018 (Pièce P-5).

[52]   Le jour de son départ du logement, la locataire a fait procéder à un acte de constat des lieux loués par l’huissier instrumentant Alexandre Brisebois qui s’est rendu au logement le 27 juin 2018 (Pièce P-6).

[53]   Le constat d’huissier est appuyé de photos prises au logement concerné et qui montrent l’état de celui-ci.

[54]   Les photos montrent essentiellement que la locatrice n’avait toujours pas obtempéré et satisfait à certains des travaux requis par l’inspecteur municipal en lien avec les trois éléments d’infractions qui lui sont reprochées à l’avis d’infraction du 25 mai 2018.

[55]   Plus encore, malgré l’envoi d’une mise en demeure à la locatrice en date du 20 janvier 2018 (Pièce P-7) pour qu’elle installe une poignée sur la robinetterie de la baignoire que les enfants n’arrivent pas à ouvrir, même avec l’aide d’un outil, celle-ci n’avait toujours pas répondu à cette demande de la locataire au jour de son départ annoncé du logement, le 27 juin 2018.

[56]   Lors de son témoignage, la locataire a été catégorique pour dire que la poignée de la robinetterie avait été brisée par un employé de la locatrice lorsqu’il est venu effectuer une réparation au logement en septembre 2017, tel qu’en fait foi une photo prise pour l’occasion où l’on voit l’ouvrier à l’œuvre au-dessus de la baignoire. L’ouvrier a malencontreusement mis le pied sur la poignée, brisant celle-ci au passage, que de témoigner la locataire (Pièce P-11).

[57]   Toujours selon la preuve, le 27 juin 2018, la locataire a quitté le logement concerné dans le cadre d’une reprise de son logement par la locatrice pour y loger son fils Jim Kelly, à l’expiration du bail, le 1er juillet 2018.

[58]   L’avis de reprise du logement a été donné à la locataire par poste certifiée en date du 11 décembre 2017 ainsi que, par huissier, le 4 janvier 2018.

[59]   Le 2 février 2018, la locataire a répondu à l’avis de reprise du logement de la locatrice en complétant le formulaire prescrit de la Régie et, comme quoi, elle accepte la teneur de l’avis de reprise et avise qu’elle quittera le logement tel que demandé.

[60]   À l’audience, la locataire réclame ses frais de déménagement et de branchements de services qui, selon elle, lui reviennent de plein droit dans le cadre d’une reprise de logement.

[61]   C’est ainsi que peu de temps après avoir consenti à la reprise de son logement que la locataire demandait à la locatrice de bien vouloir lui payer ses frais de déménagement.

[62]   La locataire qui essuie un refus catégorique de la locatrice envoie à cette dernière une lettre de mise en demeure d’avoir à lui payer ses frais de déménagement.


[63]   Sa lettre de mise en demeure étant demeurée lettre morte, la locataire réclame dans sa demande ses frais de déménagement et de branchement de services pour un montant de 789,15 $.

[64]   Aussi, la locataire réclame à la locatrice la somme de 180 $ qu’elle affirme avoir indûment payé à la locatrice en raison de fausses représentations que cette dernière lui a faites au moment de reconduire le bail au printemps 2017 en augmentant le loyer mensuel et en modifiant une condition du bail.

[65]   Finalement, en raison de la perte de jouissance du logement, la locataire réclame à la locatrice, une diminution de loyer de 200 $ par mois rétroactive au mois de juin 2015 pour un total de 7 200 $ ainsi que des dommages et intérêts moraux de 3 000 $ pour le harcèlement dont a fait preuve la locatrice.

DISCUSSION

Les frais de déménagement et de branchements de services au nouveau logement

[66]   La demande de la locataire comporte une indemnité en lien avec la reprise du logement. Cette indemnité est constituée de ses frais de déménagement et de branchement de services pour un montant de 789,85 $.

[67]   À l’audience, l’avocat de la locataire appuie cette réclamation sur une disposition du Code civil du Québec à savoir l’article 1967 qui édicte ce qui suit :

« Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l’éviction, il peut imposer les conditions qu’il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement locataire d’une indemnité équivalente aux frais de déménagement ».

[68]   Le Tribunal juge que le départ volontaire de la locataire du logement concerné dans le cadre d’une reprise de logement à laquelle elle a librement consenti le 2 février 2018 ne lui permet pas, en vertu de cette disposition de la loi, de réclamer après son départ du logement, des frais de déménagement et de branchement de services au montant de 789,85 $.

[69]   Le Tribunal opine que les mots « lorsque le tribunal autorise la reprise ou l’éviction… » signifie que c’est au moment où il se prononce sur l’autorisation de reprendre possession du logement que le Tribunal statue sur les frais de déménagement du locataire après examen de sa preuve portant sur cet élément.

[70]   Le Tribunal juge qu’il ne peut statuer et accorder à un locataire des frais de déménagement fondés sur l’article 1967 du Code civil du Québec dans le cadre d’un recours autonome déposé par un locataire après son départ du logement.

[71]   L’article 1967 du Code confère une discrétion au Tribunal d’accorder une indemnité lorsqu'il autorise la reprise du logement.

[72]   Le Petit Robert définit le mot « lorsque » comme « marquant la simultanéité, au moment où, quand ».

[73]   Il nous apparaît que l’article 1967 ne souffre d’aucune ambigüité quant au moment où un locataire peut demander et obtenir que le Tribunal statue sur les conditions qu’il estime justes et raisonnables de la reprise, y compris le paiement au locataire d’une indemnité équivalente aux frais de déménagement. 

[74]   C’est donc uniquement lorsqu’il autorise la reprise du logement que le Tribunal peut exercer la discrétion que lui confère la loi, incidemment, accorder une telle indemnité au locataire. Cette discrétion ne peut s’exercer à un autre moment.

[75]   C'est là dire, qu’en l’espèce, la réclamation de la locataire d’un montant de 789,85 $ représentant ses frais de déménagement et de branchement de services à la suite de la reprise du logement doit être rejetée.


La réclamation de 180 $ perçue en trop par la locatrice (Hydro-Solution)

[76]   La locataire réclame à la locatrice une somme de 180 $ qu’elle estime constituer un paiement de l’indu obtenu, par surcroît, à la suite de fausses représentations.

[77]   Le tribunal juge que cette somme de 180 $ ne constitue pas un paiement de l’indu non plus qu’elle a été obtenue à la suite d’un dol ou de fausses représentions selon ce qu’interdit l’article 1401 du Code civil du Québec comme le suggère son avocat.

[78]   La preuve révèle que le 29 mars 2017, la locatrice adressait à la locataire une lettre accompagnée d’un avis d’augmentation de loyer et de modification d’une autre condition du bail selon les articles 1942 et 1943 du Code civil du Québec (Pièce P-14).

[79]   Il appert que l’avis de la locatrice a été transmis à la locataire dans le délai prescrit par la loi.

[80]   L’avis de la locatrice précise que le loyer mensuel actuel de 759 $ sera augmenté à 790 $ par mois pour la période du renouvellement du bail, soit du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018. Il s’agit là d’une augmentation mensuelle de 31 $.

[81]   Parmi les autres conditions, l’avis de la locatrice indique clairement que le paiement mensuel pour la location du réservoir à eau chaude auprès d’Hydro-Solution sera dorénavant assuré par la propriétaire plutôt que par la locataire.

[82]   En vertu de cette nouvelle condition, la locataire se voyait soulagée de ce paiement mensuel pour la location du chauffe-eau. Pour autant, la locatrice a tenu compte de cette nouvelle mensualité qui serait dorénavant la sienne dans son augmentation du loyer mensuel de 31 $.

[83]   À l’audience, la locataire affirme avoir discuté avec la locatrice à propos de ces modifications à laquelle elle a consenties.

[84]   Dans les faits, la locataire n’aurait plus à assumer comme c’était le cas jusque-là les frais de location du réservoir à eau chaude.

[85]   Outre les frais de location du chauffe-eau qui seraient dorénavant assumés par la locatrice, celle-ci augmentait le loyer mensuel de manière à traduire cette nouvelle dépense sur l’augmentation de loyer mensuel proposée de 31 $.

[86]   La locataire affirme que ce n’est qu’après coup qu’elle a réalisé que ce qu’elle payait pour la location du réservoir à eau chaude correspondait à 30 $ pour deux mois et non pas à 30 $ par mois comme elle le croyait au moment de recevoir l’avis d’augmentation de la locatrice qu’elle n’a pas contestée (Pièce P-9).

[87]   C’est donc après coup qu’elle réalise que l’augmentation de loyer mensuelle proposée de 31 $ était supérieure au 15 $ qu’elle payait mensuellement pour les frais de location du réservoir à eau chaude qu’elle assumait auprès d’Hydro-Solution.

[88]   Jugeant que la différence entre ce qu’elle payait à titre de loyer plus les frais Hydro-Solution et le nouveau loyer mensuel à l’issue de l’avis d’augmentation engendrait pour elle le paiement d’un montant de 15 $ de plus qu’auparavant, elle réclame celui-ci à la locatrice pour toute la période visée par l’avis d’augmentation de 2017 à 2018, soit de 12 mois.

[89]   Le Tribunal juge cette réclamation de la locataire sans fondement.

[90]   En réalité, cette demande de la locataire constitue une demande déguisée en fixation de loyer pour laquelle elle n’était plus dans le délai prescrit par la loi pour déposer celle-ci au moment d’introduire sa demande.

[91]   La somme réclamée n’est en rien le fruit de montant mensuel indûment payé à la locatrice à la suite de fausses représentations au moment de reconduire le bail.

[92]   La preuve démontre que la locataire a reçu dans le délai prescrit par la loi, un avis d’augmentation de loyer et de modification d’une condition au bail qui ne souffre d’aucune ambigüité.


[93]   Or, il se trouve que la locataire n’a pas refusé celui-ci dans le délai prescrit par la loi.

[94]   En effet, l’article 1945 du Code civil du Québec édicte ce qui suit :

« 1945. Le locataire qui refuse la modification proposée par le locateur est tenu, dans le mois de la réception de l'avis de modification du bail, d'aviser le locateur de son refus ou de l'aviser qu'il quitte le logement; s'il omet de le faire, il est réputé avoir accepté la reconduction du bail aux conditions proposées par le locateur.

Toutefois, lorsque le bail porte sur un logement visé à l'article 1955, le locataire qui refuse la modification proposée doit quitter le logement à la fin du bail ».

[95]   C’est donc dire qu’un locataire qui refuse une modification proposée par le locateur et qui omet d’aviser ce dernier de son refus est réputé avoir accepté la reconduction du bail aux conditions proposées par le locateur.

[96]   Il s’agit là d’une présomption irréfragable de sorte qu’en l’espèce, la locataire, par son silence, a accepté la modification proposée par la locatrice.

[97]   La locataire ne peut pas, après coup, lorsqu’elle réalise qu’elle s’est mépris sur ce qu’elle payait mensuellement pour la location du chauffe-eau, obtenir, dans le cadre d’un recours autonome, l’annulation de la nouvelle condition et de l’augmentation mensuelle de loyer proposée surtout pas en prétextant qu’il y a eu fausses représentations de la part de la locatrice alors que c’est de sa propre erreur qu’il est question.

[98]   La locataire ne peut pas réclamer, rétroactivement, une partie de l’augmentation représentant la différence entre le coût réel pour la location du chauffe-eau et celui qu’elle croyait être au moment de recevoir l’avis de la locatrice et de lui communiquer sa position selon qu’elle acceptait ou qu’elle refusait l’augmentation proposée.

[99]   La locataire, par son silence, en n’avisant pas la locatrice qu’elle refusait l’augmentation de loyer et la nouvelle condition du bail, a librement consenti à l’augmentation mensuelle du loyer de 31 $ et ne peut, après coup, recouvrer rétroactivement une partie de cette augmentation en prétendant, à tort, qu’il y a eu fausses représentations.

[100] Par conséquent, cette demande de recouvrement d’une somme de 180 $ est rejetée.

La demande en diminution de loyer

[101] En l’espèce, la locataire demande une diminution de loyer de 200 $ par mois pour la période de juin 2015 à juin 2018 : date de son départ du logement concerné.

Le droit applicable

[102] La locataire fonde sa demande sur les articles 1854 et 1864 du Code civil du Québec, lesquels édictent ce qui suit :

« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail.»

« 1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure. »

[103] Il sied aussi de rappeler ici la contribution des dispositions de l’article 1863 du Code civil du Québec à la solution du litige.

[104] L’article 1863 édicte ce qui suit :

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer,

Le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir ».


[105] Quant à la demande en diminution de loyer, le Tribunal souscrit à l'opinion de Me Gilles Joly dans l'affaire Gagné c. Laroque :

« Le recours en diminution de loyer a pour but de rétablir l'équilibre dans la prestation de chacune des parties au bail; lorsque le montant du loyer ne représente plus la valeur de la prestation des obligations rencontrées par le locateur parce que certains des services ne sont plus dispensés ou que le locataire n'a plus la pleine et entière jouissance des lieux loués, le loyer doit être réduit en proportion de la diminution subie.

Il s'agit en somme de rétablir le loyer au niveau de la valeur des obligations rencontrées par le locateur par rapport à ce qui est prévu au bail; la diminution ainsi accordée correspond à la perte de la valeur des services ou des obligations que le locateur ne dispense plus. Il ne s'agit donc pas d'une compensation pour des dommages ou des inconvénients que la situation peut causer. »

[106] Le locateur a la responsabilité légale de procurer la jouissance paisible des lieux loués pendant toute la durée du bail. Le locataire victime du trouble pourra obtenir une diminution de loyer dans la mesure où il a dénoncé au locateur commun le trouble et que celui-ci persiste.

Discussion

[107] Après analyse de l'ensemble de la preuve tant testimoniale que documentaire, le Tribunal estime qu'en l'espèce la locatrice ne s’est pas acquittée de son obligation de procurer à la locataire, la jouissance paisible de son logement.

[108] La preuve démontre que la locatrice s’est vue officiellement mise en demeure de procéder à certains travaux au logement. Il en va ainsi d’une première mise en demeure datée du 4 avril 2017 que la locatrice a reconnue avoir reçue à l’audience ainsi que d’une seconde mise en demeure datée du 21 avril 2017 qui lui a été signifiée, par huissier, le même jour.

[109] La locatrice n’a pas effectué avant le mois de décembre 2017, les travaux que réclamait la locataire en avril 2017 par voie de mise en demeure et encore que pour neuf de douze items jugés non-conformes par l’inspecteur municipal.

[110] Qui plus est, il aura fallu que l’inspecteur municipal insiste pour obtenir que la locatrice se décide enfin à faire certains des travaux en décembre 2017.

[111] Il aura fallu deux mises en demeure, un avis de non-conformité suivi, plus tard, d’un avis d’infraction aux règlements municipaux pour qu’elle s’exécute et en partie seulement.

[112] En l'espèce, le Tribunal juge digne de foi le témoignage de la locataire qui s’est révélé crédible et convaincant.

[113] La preuve probante démontre que la locataire et les membres de sa famille ont vu la jouissance du logement concerné sérieusement réduite en raison de l’état du logement dont plusieurs items jugés non conformes par un inspecteur sont demeurés ainsi jusqu’au jour de son départ du logement en juin 2018.

[114] Qu’il suffise d’examiner les photos prises par l’inspecteur en juin 2017 et celle prises par la locataire et l’huissier instrumentant en juin 2018 pour s’en convaincre.

[115] Il est par ailleurs manifeste que la locatrice a fait montre d’une indifférence généralisée et consciente au bien-être de la locataire et des membres de sa famille qui ne jouissaient pas de la pleine jouissance des lieux.

[116] Puisque la locatrice n’a pas exécuté les obligations auxquelles elle est tenue par la loi envers la locataire dont celle de lui procurer la jouissance paisible des lieux, la demande en diminution de loyer est jugée bien fondée en raison de la perte de jouissance des lieux résultant de la non-conformité de certaines composantes fondamentales du logement.

[117] Toutefois, cette diminution de loyer ne peut pas être rétroactive à juin 2015 comme le requiert la locataire. La diminution de loyer ne peut être accordée qu’à partir de la date des mises en demeure que la locataire a adressées à la locatrice en avril 2017.


[118] Ainsi donc, une diminution de loyer est accordée pour la période qui va d’avril 2017 à juin 2018; date du départ de la locataire du logement.

[119] La diminution est établie à 150 $ pour la période qui va du mois d’avril 2017 au mois de décembre 2017; date où neuf des douze items jugés non conformes par l’inspecteur municipal ont été corrigés par la locatrice. C’est donc une somme de 1 350 $ qui est accordée à la locataire pour cette première période.

[120] La diminution de loyer est réduite à 100 $ par mois pour la période qui va du mois de janvier 2018; date où il reste encore trois items importants dont la remise en état des planchers et le mois de juin 2018 qui marque le départ de la locataire du logement. C’est donc une somme additionnelle de 600 $ qui est accordée à la locataire pour cette période.

Les dommages moraux pour harcèlement

[121] Dans le cas sous étude, la locataire justifie cette réclamation sur le refus persistant de la locatrice d’effectuer des travaux dans son logement dans le but de la priver de la pleine jouissance des lieux sinon dans le but qu’elle quitte le logement et des troubles et inconvénients subis et résultant de ce harcèlement.

[122] En raison du harcèlement à son endroit, la locataire réclame un montant de 3 000 $ pour les dommages moraux qu’elle a subis en lien avec ce harcèlement.

Droit applicable

[123] Le recours de la locataire se fonde sur l’article 1902 du Code civil du Québec lequel édicte ce qui suit :

« 1902. Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu'il quitte le logement.

Le locataire, s'il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs ».

[124] L'article 1902 commande d'être lu avec l'article 1936 qui édicte en faveur du locataire un droit personnel au maintien dans les lieux.

[125] L'article 1936 édicte que :

« 1936. Tout locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux; il ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi ».

[126] Le Petit Robert définit le verbe harceler ainsi : « Soumettre sans répit à de petites attaques réitérées, à de rapides assauts incessants »[1].

[127] Le Petit Larousse illustré donne la définition suivante de ce même terme : « soumettre à des attaques incessantes; tourmenter avec obstination; soumettre à des critiques, à des moqueries répétées »[2].

[128] Dans une analyse sur l'article 1902 du Code civil du Québec, Me Pierre Pratte définit le harcèlement comme suit :

« De façon générale, le harcèlement suppose une conduite qui, en raison de l'effet dérangeant qu'elle produit avec une certaine continuité dans le temps, est susceptible de créer éventuellement, chez la victime, une pression psychologique suffisante de manière à obtenir le résultat ultimement recherché par l'auteur de cette conduite. Plus spécifiquement, le harcèlement interdit aux termes de l'article 1902 pourrait, à notre avis, être décrit comme suit :

Une conduite se manifestant par des paroles ou des actes et ayant comme conséquence de restreindre, de façon continue, le droit d'un locataire à la jouissance paisible des lieux ou d'obtenir qu'il quitte le logement ».

[129] Et, à la page 13 de ce même texte, peut-on lire ce qui suit :


« L'effet de durabilité de la conduite fautive est une composante essentielle dans l'identification du harcèlement. À l'instar du harcèlement sexuel ou discriminatoire spécifique au logement, nous croyons que la continuité dans le temps s'établit soit par la répétition de certains actes, soit par un seul acte grave dans la mesure où il cause un préjudice nocif continu dans le temps »[3].

[130] Le harcèlement dont fait référence l'article 1902 requerra donc une preuve particulière et objective, où toute conduite, même inappropriée, ne satisfera pas nécessairement les critères applicables.

[131] Non seulement il y aura lieu de démonter les actes, gestes, paroles ou omissions faisant office de harcèlement, ainsi que leur fréquence et importance, mais également les associer ou les relier sous un même objectif intentionnel, ayant comme conséquence de restreindre le droit à la jouissance paisible des lieux et à obtenir que le locataire quitte le logement.

[132] Dans les affaires Huot c. Martineau[4] et Productions Jean-Jacques Sheitoyan c. Brodeur[5], la Cour supérieure reprenait la définition suivante du harcèlement dont fait référence cet article 1902 précité :

« Le harcèlement est un comportement volontaire, généralement répété et continu d'un locateur ou son représentant ou toute autre personne, se manifestant par des paroles, des actes ou des gestes à caractère vexatoire, méprisant ou intimidant à l'encontre d'un locataire, ses proches ou ses biens en vue de restreindre sa jouissance paisible des lieux ou qu'il quitte le logement »[6].

[133] Il faut encore mettre ici en exergue le comportement dit volontaire, lequel présuppose l'intention du locateur, relié à des agissements dans le cadre d'une stratégie planifiée ou d'une série de mesures systémiques poursuivant un même dessein touchant la jouissance paisible ou le droit au maintien du locataire dans les lieux loués.

[134] Pour sa part, Me Denis Lamy donne la définition suivante du harcèlement en matière locative :

« Conduite vexatoire , généralement répétée et continue, qu'une personne adopte envers une autre, ses proches ou ses biens, se manifestant notamment par des comportements, des propos, des actes ou des gestes répétés, insultants, intimidants, illicites, humiliants, malveillants, discriminants, dégradants ou injurieux ; qui sont soit hostiles ou non désirés, lesquels portent atteinte à la dignité ou à l'intégralité psychologique ou physique du locataire, en vue d'obtenir que ce dernier quitte son logement ou ayant comme conséquence de restreindre de façon continue et significative le droit de ce dernier au maintien dans les lieux ou son droit à la jouissance paisible des lieux. Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le ou la locataire ».

[135] Me Lamy énumère ensuite les éléments que doit prouver le locataire pour obtenir des dommages en vertu de l'article 1902 C.c.Q. :

« Il doit démontrer que son locateur fut mis en demeure avant qu'il n'exerce son recours ;

Il doit prouver l'existence d'une forme de harcèlement de la part de son locateur et/ou de son représentant. Le locataire devra donc démontrer que les faits reprochés sont probables. La preuve doit obligatoirement avoir un certain degré de certitude et de précision approchant la probabilité et non reposer sur des conjectures, des doutes, des hypothèses, des possibilités, des suspicions ou des suppositions.

Le harcèlement est généralement établi et prouvé par des faits bien qu'il ne soit pas interdit de l'établir par des présomptions. Cependant, pour pouvoir appliquer le régime des présomptions de faits, aux termes de l'article 2849 du Code civil du Québec, il faut que celles-ci soient graves, précises et concordantes ;

Il doit démontrer le caractère de continuité et/ou de répétition du harcèlement et établir que celui-ci est réel, sérieux et significatif et que ses conséquences ne sont pas négligeables.

Le locataire devra également prouver que le comportement harcelant du locateur l'a affecté de façon importante. En effet, le harcèlement doit affecter de façon plus que passagère l'équilibre émotif, physique et/ou psychologique de la victime ;

Il doit démontrer que ces comportements harcelants avaient comme but ultime ou ont eu pour objectif de l'inciter à quitter son logement ou ont affecté sérieusement son droit au maintien et à la jouissance paisible des lieux.

Il doit démonter la tolérance qu'une personne raisonnable aurait pour des actes posés en de semblables circonstances ;

Il doit démontrer que ce harcèlement n'était nullement désiré ni provoqué, qu'il n'a commis aucun geste contributoire et qu'il a tenté de minimiser ses dommages »[7].

[136] En l’espèce, la sanction recherchée par la locataire n’est pas celle des dommages punitifs mais celle des dommages moraux.

[137] Pour réussir dans sa demande, la locataire a le fardeau de prouver les faits qui soutiennent ses prétentions - article 2803 C.c.Q., et ce, au moyen d'une preuve probante - article 2804 C.c.Q.

[138] De fait, selon les dispositions de l'article 2803 du Code civil du Québec, il revient à la partie demanderesse de faire la preuve des faits au soutien de ses prétentions :

« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée ».

[139] Tel que susdit, cette preuve doit faire en sorte que les faits ainsi présentés sont probables, selon l'article 2804 C.c.Q. :

« 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante ».

[140] Pour sa part, l'article 2845 C.c.Q. édicte que :

« La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal ».

[141] Quant à la qualité que doit revêtir la preuve offerte à l'appréciation du tribunal et les conséquences pour la partie demanderesse de ne pas se décharger de son fardeau de preuve, l'auteur Léo Ducharme énonce que :

« S'il est nécessaire de savoir sur qui repose l'obligation de convaincre, c'est afin de pouvoir déterminer qui doit assumer le risque de l'absence de preuve.

En effet, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, le sort du procès va se décider en fonction de la charge de la preuve : celui sur qui reposait l'obligation de convaincre perdra ».

[142] Somme toute, si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra ses prétentions rejetées.

[143] En l’espèce, la locataire doit démontrer, suivant la prépondérance de preuve, que la locatrice a usé de harcèlement envers elle de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu'elle quitte le logement ainsi qu’elle doit démontrer en second lieu les dommages moraux qu’elle a subis en lien avec le harcèlement de la locatrice.

[144] En l’espèce, le Tribunal ne retient pas comme fondées les prétentions de la locataire voulant qu’elle ait été l’objet de harcèlement de la part de la locatrice justifiant l’octroi des dommages moraux qu’elle réclame à celle-ci.

[145] Il nous apparaît que c’est de façon volontaire que la locataire a librement accepté de quitter le logement après qu’elle eut consenti à la reprise du logement de la locatrice pour y loger son fils à la fin du bail, le 1er juillet 2018.

[146] La locataire qui avait déjà entrepris des recours à l’encontre de la locatrice au moment de recevoir et de consentir à l’avis de reprise du logement ne manquait assurément pas d’éléments de preuve pertinents pouvant justifier un refus de quitter son logement et que soit enquêté par le tribunal le bien-fondé ou non d’une demande d’autorisation à la reprise du logement de la locatrice. 

[147] Malgré cela, la locataire a fait connaître à la locatrice son consentement à quitter le logement sans même que ce consentement ne soit conditionnel au paiement d’une indemnité équivalente à ses frais de déménagements et de branchements de services.


[148] Si tant est que ce départ volontaire du logement à la fin du bail était alimenté par le désir ou la volonté de se soustraire au harcèlement de la locatrice, la locataire n’a pas témoigné à cet effet.

[149] Dans les circonstances, il nous apparaît que ce départ volontaire de la locataire s’oppose à ce que son départ du logement était la conséquence immédiate de harcèlement pratiqué par la locatrice à son endroit.

[150] De l’examen et de l’analyse de l’ensemble de la preuve dans la présente affaire, le Tribunal juge que la locataire ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve en démontrant, par prépondérance de preuve, que la locatrice, par ses agissements, a usé de harcèlement à son endroit afin de restreindre sérieusement sa jouissance des lieux ou à obtenir qu’elle quitte le logement.

[151] La locataire n’a pas démontré l’existence d’une intention malicieuse dans le comportement, les actes et les agissements de la locatrice dans le cadre d’une stratégie planifiée qui puissent être juridiquement qualifiés de harcèlement au sens de l’article 1902 C.c.Q.

[152] Les troubles et inconvénients qui ont été causés à la locataire par les faits et gestes de la locatrice ainsi que le long délai avant qu’elle n’effectue les travaux au logement sont, de l’avis du Tribunal, davantage imputables à l’ignorance de la locatrice quant aux obligations légales qui lui incombent.

[153] Encore une fois, la preuve ne permet pas de conclure au harcèlement allégué au sens de l’article 1902 du Code civil du Québec. Par conséquent, la demande de la locataire en dommages moraux pour harcèlement est rejetée.

Demande de la locatrice

[154] Statuant sur la demande de la locatrice :

[155] CONSIDÉRANT la présence de la partie défenderesse (locataire) aux audiences du 10 juillet et du 2 octobre 2018;

[156] CONSIDÉRANT l’absence de la partie demanderesse (locatrice) à l’audience du 2 octobre 2018 portant sur sa demande;

[157] CONSIDÉRANT l’absence de preuve à l’appui de la demande de la locatrice;

[158] CONSIDÉRANT l’article 2803 du Code civil du Québec;

[159] CONSIDÉRANT l’alinéa 2 de l’article 30 du Règlement sur la procédure devant la Régie du logement;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Dossier 328386 :

[160] REJETTE la demande de la locatrice qui en assume les frais.

Dossiers 331664 et 334526 :

[161] ACCUEILLE en partie, la demande de la locataire;

[162] DIMINUE le loyer de la locataire de 150 $ par mois pour les mois d’avril à décembre 2017 et de 100 $ par mois pour les mois de janvier à juin 2018;

[163] CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire la somme de 1 950 $, à titre de diminution de loyer, le tout avec intérêts au taux légal, plus l'indemnité additionnelle suivant l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 18 avril 2017;


[164] CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire, la somme de 164 $ pour les frais judiciaires et de signification relativement aux demandes de la locatrice.

 

 

 

 

 

 

 

 

Robin-Martial Guay

 

Présence(s) :

la locatrice

la locataire

Me Danny Ablacatoff, avocat de la locataire

Date de l’audience :  

10 juillet 2018

 

Présence(s) :

 

la locataire

Me Danny Ablacatoff, avocat de la locataire

Date de l’audience :  

2 octobre 2018

 

 

 


 



[1] Le Petit Robert, Paris, Éditions le Robert, 2004, p.1244.

[2] Le Petit Larousse Illustré, 2011, Paris, Éditions Larousse, p. 492.

[3] Me Pierre Pratte, Le harcèlement envers les locataires et l'article 1902 du Code civil du Québec, [1996], 56 R. du B.3, p. 8 à 10.

[4] Huot c. Martineau, C.S. 300-05-000017-023, le 2 novembre 2004, monsieur je juge Michel Richard, j.c.s.

[5] Productions Jean-jacques Sheitoyan c. Brodeur, C.S. 500-17-023927-059, le 5 septembre 2008, monsieur le juge Steve J. Reimnitz, j.c.s. (2008 QCCS 3885).

[6] Adair-Martin c. Immeubles Stephen, R.L. 35-950105-028 G, le 4 mai 1995, r. Bisson; Fauchoux c. Ciesielski, R.L. 35-950526-017 G, le 11 septembre 1995.

[7] Denis Lamy, Le harcèlement entre locataires et propriétaires, Montréal, Éditions Wilson et Lafleur, 2004, p. 6.

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