Décision

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2968-2325 Québec inc. c. Taleb

2025 QCTAL 7094

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

826749 31 20241017 G

No demande :

4497223

 

 

Date :

27 février 2025

Devant la juge administrative :

Anaïs Gagné

 

29682325 Québec Inc

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Mustapha Taleb

 

Takfarines Taleb

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Par sa demande déposée le 17 octobre 2024, la locatrice demande la résiliation du bail et la condamnation solidaire des locataires au paiement des loyers dus et à devenir dus ainsi que l’exécution provisoire de la décision.
  2.          Comme second motif de résiliation, la locatrice invoque les retards fréquents des locataires à payer leur loyer.
  3.          Les parties sont liées par un bail de logement reconduit du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025, pour un loyer de 1 000 $.
  4.          Le bail ne prévoit pas que les locataires sont solidairement responsables envers la locatrice.
  5.          Les locataires doivent 300 $, soit, par imputation, une balance du loyer du mois de février 2025.
  6.          Les locataires ne sont pas en retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer, ce premier motif de résiliation n’est donc pas justifié.
  7.          Quant au deuxième motif de résiliation, la locatrice invoque les retards fréquents des locataires à payer le loyer.
  8.          Pour obtenir cette conclusion, la loi impose qu'elle fasse également la preuve du préjudice sérieux que ces retards lui occasionnent.
  9.          Elle mentionne que le loyer a été payé en retard à huit reprises au cours des douze derniers mois.

  1.      Ces défauts des locataires étant réguliers et continuels, la fréquence de ces retards remplit les critères de l'article 1971 C.c.Q.
  2.      Le mandataire de la locatrice invoque les problèmes de gestion occasionnés par les retards.
  3.      Son mandataire œuvrant dans l'immeuble a dû contacter les locataires à plusieurs reprises. Il démontre que les locataires paient le loyer par plusieurs paiements partiels, parfois en virement Interac, parfois en argent comptant ou par chèque. Ces divers paiements partiels alourdissent sa gestion et l’obligent à faire des suivis réguliers auprès des locataires.
  4.      Par ailleurs, le mandataire de la locatrice fait valoir des paiements hypothécaires mensuels importants, mais sans produire de documents qui établissent un lien entre les retards des locataires et des difficultés à assumer ses obligations.
  5.      Quant au préjudice sérieux allégué, celui-ci doit être évalué à l’aune des critères développés par la jurisprudence, notamment dans l’affaire Allaire c. Boudreau[1], la Cour du Québec précise :

« [54]  Pour pouvoir obtenir la résiliation du bail en raison des retards dans le paiement du loyer, les Intimés devaient prouver trois éléments qui sont cumulatifs : 1) que les retards étaient fréquents, 2) qu’ils en ont subi un préjudice et 3) que le préjudice subi était sérieux.

[55]  La preuve ne fait aucun doute ici.  Les retards de l’Appelante étaient plus que fréquents.  Ils sont devenus la norme pour cette dernière, sa façon de faire à elle, sans égard à ses obligations contractuelles.

[56]  Par ailleurs, de la preuve présentée par les Intimés, le Tribunal conclut qu’ils ont non seulement subi un préjudice de cette situation, mais aussi que ce préjudice est sérieux.

 [57]  La jurisprudence enseigne que le préjudice sérieux dont il est question ne se limite pas à une perte ou une menace pécuniaire. D’ailleurs, dans le contexte de l’application possible de l’article 1971 C.c.Q., le fait de payer les arrérages de loyer en tout temps avant jugement n’est pas pertinent [19]. Il faut mais il suffit que les retards soient fréquents et que la situation cause un préjudice sérieux au locateur.

[58]  Le préjudice sérieux dont il est question peut être d’une nature autre que pécuniaire [20] :

     alourdissement anormal de la gestion de l'immeuble, multiplicité des démarches auprès du locataire ou du tribunal pour percevoir les loyers ou coûts supplémentaires [21] ;

      soucis et tracas causés par l’entêtement du locataire à retenir son loyer, temps et énergie consacrés pour les vacations devant la Régie du logement, notes comptables et suivi des démarches effectuées [22] ;

      démarches constantes et multipliées pour se faire payer, demandes répétées à la Régie du logement afin d'obtenir le paiement du loyer, gestion de trois décisions de la Régie du logement [23] ;

      nombreux avis envoyés au locataire pour lui rappeler ses retards, remise du dossier à ses avocats pour récupérer le loyer dû et frais ainsi engagés [24] ;

      multiplication des démarches pour obtenir les loyers dus et paiement de frais bancaires pour de nombreux chèques retournés [25] ;

      impossibilité de disposer des sommes dues, procédures de recouvrement et pertes d’intérêts sur l’argent non reçu [26] ; »

  1.      En employant le terme sérieux, le législateur a imposé une preuve exigeante à la locatrice.
  2.      La perception tardive d'un loyer crée en soi un préjudice.
  3.      Pour justifier la résiliation d'un bail, il faut donc que ce préjudice soit plus grand que les simples inconvénients occasionnés par tout retard.
  4.      Cette preuve ne peut donc uniquement se fonder sur une simple allégation.
  5.      Le préjudice peut être prouvé par une preuve documentaire, le cas échéant, et il doit être fondé sur des faits objectifs et précis.
  6.      Dans les circonstances, le Tribunal conclut que la preuve soumise par la locatrice est suffisante pour démontrer, par prépondérance de preuve, que les retards des locataires lui ont causé un préjudice pouvant être qualifié de sérieux, vu les multiples suivis requis pour obtenir paiement.
  7.      La locatrice ayant démontré le préjudice sérieux occasionné par les fréquents retards des locataires à payer le loyer, elle est en droit d'obtenir la résiliation du bail.

  1.      Par contre, le Tribunal considère qu'il y a lieu de surseoir à la résiliation du bail pour retards fréquents et d'y substituer l'ordonnance prévue à l'article 1973 C.c.Q. Cette ordonnance sera en vigueur à compter du 1er mai 2025, vu le délai légal d’exécution de la présente décision et elle le demeurera pour toute la durée du présent bail, de même que pour sa période de reconduction subséquente, le cas échéant.
  2.      Il s’agit là d’une ordonnance sévère. Advenant le défaut des locataires de payer leur loyer le premier de chaque mois, le Tribunal, sur demande de la locatrice, résiliera le bail.
  3.      L'exécution provisoire de la présente décision n’est pas justifiée aux termes de l'article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      ORDONNE aux locataires de payer leur loyer le 1er de chaque mois à compter du 1er mai 2025, et ce, pour toute la durée du bail en cours et pour sa période de reconduction subséquente, le cas échéant;
  2.      CONDAMNE les locataires à payer à la locatrice une somme de 300 $ plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., depuis le 1er février 2025 et les frais de 139,50 $;
  3.      REJETTE la demande pour le surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Anaïs Gagné

 

Présence(s) :

le mandataire du locateur

Date de l’audience : 

20 février 2025

 

 

 


 


[1]  2017 QCCQ 4963 (CanLII).

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