Duval c. Rouleau | 2025 QCTAL 16339 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
Bureau dE Saint-Jérôme |
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No dossier : | 681848 28 20230216 G | No demande : | 3804052 |
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Date : | 07 mai 2025 |
Devant la juge administrative : | Lucie Béliveau |
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Benoit Duval | |
Locateur - Partie demanderesse |
c. |
Maud Rouleau | |
Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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- Le locateur demande des dommages-intérêts pour l'équivalent des mois de loyer perdus, plus les intérêts et l'indemnité additionnelle prévue au Code civil du Québec et les frais de justice.
- Le bail de logement concerné était du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017, reconduit jusqu'au 30 juin 2020 au loyer mensuel de 775 $.
- La preuve démontre que la locataire a déguerpi en emportant tous ses effets mobiliers à la fin mars 2020, donnant ainsi ouverture à la résiliation de plein droit en vertu de la loi[1].
- La locataire allègue qu’il y a déjà eu un jugement du 29 novembre 2022 à l’encontre du locateur qui lui accordait une diminution de loyer et condamnait le locateur à lui payer des dommages moraux et punitifs.
- Elle allègue que l’état du logement justifiait son départ anticipé. En effet, allègue-t-elle, le juge n’a pas pu résilier le bail car au moment de l’audience, elle avait déjà quitté le logement.
- Le locateur rétorque qu’un jugement l’a effectivement condamné à payer des dommages moraux et punitifs à la locataire et a accordé à cette dernière une diminution de loyer. Cependant, il explique qu’il y a eu deux audiences dans ce dossier et qu’il devait présenter sa défense lors de la deuxième audience, mais il n’a pas pu se présenter. Il a été négligent en ne demandant pas de rétractation du jugement.
- Il affirme que le logement était en parfait état lorsque la locataire a quitté et qu’il n’y a aucune raison pour laquelle elle serait dispensée de payer son loyer.
Analyse et décision
- La soussignée a pris connaissance du jugement déposé par la locataire et des procès-verbaux qui notent que lors de la preuve de la locataire, les deux parties étaient présentes alors qu’à la deuxième audience, le locateur était absent et le juge note qu’il doit prendre une décision sans avoir obtenu sa défense. Le locateur n’a donc pas pu présenter sa version des faits, mais toujours est-il que la locataire n’a pas pu démontrer que le logement était inhabitable ou impropre à l’habitation. Une infiltration d’eau a abimé le plafond qui a tardé à être réparé et il semble qu’il y avait une anomalie relative à l’installation des plinthes de chauffage.
- D’ailleurs, même si la locataire demandait la résiliation du bail dans son recours contre le locateur, le jugement n’a ni prononcé de résiliation rétroactive ni constaté la résiliation du bail, ce n’est pas sans raison.
- La locataire ne soumet aucune photographie ni autre preuve matérielle de l’état du logement lorsqu’elle a quitté le logement. Les photographies ne sont pas contemporaines car elles datent de 2017 et 2018, alors qu’elle quitte à la fin mars 2020.
- Il semble que les dommages dus aux infiltrations d’eau ont été réparés avant qu’elle déménage.
- Si la locataire voulait se soustraire à ses obligations en plaidant que le logement était impropre à l’habitation, son fardeau de preuve aurait été autrement plus contraignant.
- En effet, la loi édicte qu’un logement est impropre à l’habitation si son état constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des locataires ou qu’il été déclaré comme tel par le tribunal ou l’autorité compétente[2].
- Seulement dans les circonstances prévues à cet article, la locataire serait justifiée d’abandonner son logement et il s’agit d’une preuve exigeante à faire.
- Dans un jugement de la Cour du Québec sous la plume de l’honorable juge Jean-Guy Blanchette[3], l'analyse ou l'évaluation de la situation doit être objective et rationnelle :
« (...) pour évaluer si l'impropreté d'un logement à habitation constitue une menace sérieuse pour la santé, la Cour doit procéder à ladite évaluation d'une façon objective et se demander si une personne ordinaire peut vivre objectivement dans les conditions exposées lors de l'audition. Ce ne sont pas les appréhensions subjectives ni l'état psychologique du locataire ou des occupants qui doivent prévaloir, mais bien la situation ou l'état des lieux compris et analysé objectivement lors de la prise de décision du déguerpissement (...) »
- Le Tribunal partage l'analyse faite par Me Christine Bissonnette, juge administrative dans une décision de la Régie du logement quant à la preuve à faire pour démontrer qu'un logement est impropre à l'habitation, laquelle est reprise régulièrement en jurisprudence[4] :
« Or, pour réussir sur leurs demandes, la locataire doivent établir par une preuve concrète et prépondérante les éléments suivants :
1) les problèmes reliés à la chose louée ou dans l'immeuble en général;
2) la dénonciation de leurs plaintes au locateur;
3) l'inaction du locateur à exécuter ses obligations légales;
4) leur départ est justifié, car le logement était impropre à l'habitation au sens de l'article 1913 C.c.Q. et si la santé des occupants est en jeu, une preuve médicale est requise;
5) la relation de cause à effet entre l'état du logement et les dommages réclamés. »
- L’avis donné au locateur est insuffisant pour prouver l’impropreté du logement. La locataire devait prouver que le logement représentait une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public. Il ne s’agit pas seulement de l’affirmer, il s’agit d’une preuve exigeante à faire.
- Aucun tribunal ou autorité compétente non plus n’a établi le danger pour la santé ou la sécurité du public.
- D’autre part, la locataire n’a pas entrepris de recours contre le locateur, elle ne pouvait se faire justice elle-même.
- En conséquence, le Tribunal rejette la défense de la locataire qui n’a pas prouvé selon la prépondérance que le logement était impropre à l’habitation ou inhabitable et en conséquence, le Tribunal conclut qu’elle a quitté sans droit le logement.
- La résiliation d'un bail de logement aux torts d'un locataire qui quitte sans droit ne met pas un terme à son obligation de payer le loyer convenu pendant toute la durée du bail[5].
- Ainsi, si le locataire n'exécute pas ses obligations, le locateur peut légalement lui réclamer l'équivalent des mois de loyer perdus[6].
- Le locateur déclare que le logement n'avait pas été reloué au moment où il a introduit sa demande auprès du Tribunal administratif du logement. Il réclame 2 325 $ pour l'équivalent des mois de loyer perdus, soit pour les mois d'avril à juin 2020 inclusivement.
- Toutefois, même si le locateur peut réclamer des dommages-intérêts pour l'équivalent des mois de loyer perdus, il a tout de même intérêt à soumettre devant le Tribunal les démarches qu'il a entreprises pour relouer le logement, afin de minimiser ses dommages.
- Pour illustrer ce principe, le juge Laskin, dans un arrêt de la Cour suprême[7], écrivait :
« (...) un demandeur lésé a le droit de recouvrer les dommages-intérêts pour les pertes qu'il a subies, mais l'étendue de ces pertes dépend de la question de savoir s'il a pris ou non les mesures raisonnables pour éviter qu'elles s'accroissent immodérément. »
- L'article 1479 du Code civil du Québec reprend d'ailleurs ce principe en ces termes :
« 1479. La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l'aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter. »
- Le Tribunal est satisfait des explications données par le locateur concernant la période réclamée puisqu’il a fait la preuve qu’il a pris les moyens pour minimiser ses dommages en publicisant le logement à louer et en relouant rapidement. En conséquence, le montant réclamé est accordé, soit 2 325 $.
- Finalement, tel que prévu par règlement[8], le locateur a droit frais de justice, lesquels ne correspondent pas nécessairement à tous les types de frais encourus et aux montants déboursés.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- ACCUEILLE la demande du locateur;
- CONDAMNE la locataire à payer au locateur la somme de 2 325 $, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 28 avril 2023, plus les frais de justice de 107 $.
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| Lucie Béliveau |
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Présence(s) : | le locateur la locataire |
Date de l’audience : | 18 mars 2025 |
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[3] Gestion immobilière Dion, Lebeau Inc. c. Grenier, C.Q., J.E. 91-345.
[4] Hajjar c. Hébert, R.D.L., 1999-10-06, [1999] J.L. 316.
[8] Tarif des frais exigibles par le Tribunal administratif du logement, RLRQ, c. T-15.01, r. 6.