Décision

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Pascan Aviation inc. (Arrangement relatif à)

2015 QCCS 4227

 

 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N°:

500-11-049320-159

 

DATE :

Le 14 SEPTEMBRE 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

MARTIN CASTONGUAY, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI SUR LES ARRANGEMENTS

AVEC LES CRÉANCIERS DES COMPAGNIES, L.R.C. (1985),

ch. C-36, TELLE QU’AMENDÉE, ET :

 

PASCAN AVIATION INC., personne morale ayant sa principale

place d’affaires au 6200, route de l’Aéroport, Longueuil

(arrondissement Saint-Hubert), province de Québec, J3Y 8Y9

 

- et -

 

LES STRUCTURES & COMPOSANTES

AVTECH INC., personne morale ayant sa principale

place d’affaires au 6200, route de l’Aéroport, Longueuil

(arrondissement Saint-Hubert), province de Québec, J3Y 8Y9

 

- et -

 

3939421 CANADA INC., personne morale ayant sa principale

place d’affaires au 6200, route de l’Aéroport, Longueuil

(arrondissement Saint-Hubert), province de Québec, J3Y 8Y9

 

- et -

 

8039879 CANADA INC., personne morale ayant sa principale

place d’affaires au 6200, route de l’Aéroport, Longueuil

(arrondissement Saint-Hubert), province de Québec, J3Y 8Y9

 

- et -

 

PASCAN EXPRESS INC., personne morale ayant sa principale

place d’affaires au 6200, route de l’Aéroport, Longueuil

(arrondissement Saint-Hubert), province de Québec, J3Y 8Y9

 

- et -

 

8039895 CANADA INC., personne morale ayant sa principale

place d’affaires au 6200, route de l’Aéroport, Longueuil

(arrondissement Saint-Hubert), province de Québec, J3Y 8Y9

 

- et -

 

LES CARBURANTS AVTECH INC., personne morale

ayant sa principale place d’affaires au 6200, route de l’Aéroport,

Longueuil (arrondissement Saint-Hubert), province de Québec, J3Y 8Y9

 

                         Débitrices

 

- et -

 

BANQUE DE DÉVELOPPEMENT DU CANADA, personne morale

ayant une place d’affaires au 5, Place Ville-Marie, Montréal, province

de Québec, H3B 5E7

 

- et -

 

INVESTISSEMENT QUÉBEC, personne morale

ayant une place d’affaires au 413, rue Saint-Jacques,

bureau 500, Montréal, province de Québec, H2Y 1N9

 

                         Requérantes

 

- et -

 

PRICE WATERHOUSE COOPERS INC., personne morale

ayant une place d’affaires au 1250, boulevard René-Lévesque,

bureau 3500, Montréal, province de Québec, H3B 2G4

 

                         Mise en cause / Contrôleur

 

- et -

 

BANQUE ROYALE DU CANADA, banque à charte

ayant une place d’affaires au 1, Place Ville-Marie, rez-de-chaussée,

Montréal, province de Québec, H3C 3B5

 

                         Mise en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 31 août 2015, Banque de Développement du Canada et Investissement Québec (ci-après les requérantes) demandaient au Tribunal de prononcer une ordonnance initiale aux termes des articles 4, 5 et 11 de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (ci-après « La Loi »)[1] à l’égard des débitrices suivantes :

-       Pascan Aviation Inc.

-       Pascan Express Inc.

-       8039879 Canada Inc.

-       3939421 Canada Inc.

-       Les Structures & Composantes Avtech Inc.

-       8039895 Canada Inc.

-       Les Carburants Avtech Inc.

                         (ci-après « le Groupe Pascan »)

[2]           La demande d’ordonnance initiale visait également l’établissement d’un financement temporaire de 1 000 000,00 $ les fonds provenant des requérantes elles-mêmes, le tout accompagné des charges afférentes.

[3]           Les requérantes demandaient également à ce que Monsieur Dominic Deveaux (ci-après « Deveaux ») soit nommé chef de la restructuration (ci-après « C.R. ») du Groupe Pascan.  Le Tribunal juge utile de reproduire les allégations de la requête traitant de ce point.

Nomination du CRO

129.      Les Requérantes proposent que la Cour nomme Dominic Deveaux pour agir à titre de chef de la restructuration de Groupe Pascan ;

130.      La nomination du CRO est rendue nécessaire compte tenu de la perte de confiance des Requérantes dans la direction et l’administration actuelle de Groupe Pascan ;

131.      La nomination du CRO est une condition essentielle à l’octroie (sic) du financement temporaire offert par les Requérantes ;

132.      Le CRO est déjà familier avec les opérations de Groupe Pascan compte tenu de son implication au cours des derniers mois et permettra d’assurer, avec l’aide des employés clés de Groupe Pascan, la continuité de ses opérations.

133.      Les Requérantes requièrent donc que le CRO soit nommé par la Cour pour agir à titre de chef de la restructuration de Groupe Pascan selon les termes d’une offre de services de gestion faite à Groupe Pascan et communiquée comme pièce R-24 ;

134.      Les Requérantes proposent de plus que le CRO dispose de tous les pouvoirs décrits au projet d’ordonnance initiale et qu’il bénéficie des protections requises pour maintenir les opérations de Groupe Pascan ;

[4]           Comme il est d’usage pour semblable requête en vue d’une ordonnance initiale, y était jointe un projet d’ordonnance.  Celle-ci quant aux pouvoirs du C.R. prévoyait entre autres ce qui suit :

30. -     Déclare que le CRO peut exercer, sans l’intervention des administrateurs tous les pouvoirs décrits dans l’offre de service qui ne sont pas incompatibles avec les pouvoirs suivants.

[5]           L’offre de service est celle préparée par Deveaux[2].  Outre ses émoluments fixés à 40 000,00 $ par mois, ce document précise les pouvoirs et objectifs du C.R.  Le Tribunal juge utile de les reprendre dans leur intégralité.

POUVOIRS

Dans le cadre de son rôle mentionné ci-avant et en vue de favoriser l’atteinte des objectifs décrits ci-après, le Gestionnaire aura tous les pouvoirs nécessaires pour :

·         Conduire, gérer, opérer et superviser l’entreprise, les activités commerciales et les affaires financières du CLIENT et poser tout geste à cet égard ou en lien avec la restructuration du CLIENT.

·         Prendre toutes les mesures pour maintenir le contrôle sur les recettes et débours du CLIENT incluant, sans limiter la généralité de ce qui précède, toutes les mesures pour contrôler et utiliser tous les comptes bancaires du CLIENT.

·         Maintenir ou mettre fin, licencier ou mettre à pied, temporairement ou en permanence, les employés du CLIENT ou de leurs agents ou consultants et prendre toute autre mesure relative à la gestion des ressources humaines et à toute autre décision administrative s’y rapportant.

·         Représenter le CLIENT dans toutes négociations avec quelque personne que ce soit.

·         Communiquer et fournir de l’information au contrôleur concernant les affaires du CLIENT.

·         Prendre toutes les mesures, signer tout document ou toute entente et encourir toutes les dépenses et obligations nécessaires ou incidentes aux pouvoirs du Gestionnaire.

OBJECTIFS

Les objectifs stratégiques poursuivis par le Gestionnaire sont les suivants :

1.    Restructuration financière

      a.          Déposer et faire approuver un plan d’arrangement en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies destiné aux créanciers ordinaires du CLIENT.

2.   Performance opérationnelle

      a.          Améliorer la performance financière et la rentabilité du CLIENT de sorte que le CLIENT puisse faire face à ses obligations courantes, pourvoir à la réserve moteur et aux investissements en maintenance requis sur la flotte opérationnelle et payer les intérêts prévus aux conventions de prêts.

      b.          Mettre en place une équipe de gestion permettant de réduire et éventuellement permettre de mettre fin au mandat du gestionnaire sur une base mensuelle.

3.   Vente / Recapitalisation des entités opérationnelles

      a.          Solliciter des offres quant aux actifs et aux activités opérationnelles du CLIENT et intéresser des acquéreurs, partenaires ou investisseurs potentiels de telle sorte que les prêts sur les actifs opérationnels soient assumés ou remboursés à la satisfaction des prêteurs.

4.   Vente / disposition des actifs excédentaires

      Solliciter des offres afin de procéder à la vente des actifs excédentaires du CLIENT de telle sorte que ces offres rencontrent minimalement les conditions établies par les prêteurs selon les conventions en place avec le CLIENT.

[6]           Groupe Pascan bien qu’en accord avec le principe d’une ordonnance initiale, a déposé une contestation écrite au dossier, celle-ci comporte quatre points bien précis, toutefois, seulement deux furent débattus devant le Tribunal.  Ce sont les suivants :

-                Identité et rémunération du C.R.

-                Pouvoirs du C.R.

[7]           Pour une bonne compréhension des motifs de contestation, une mise en situation s’impose dès maintenant.

[8]           Le Groupe Pascan œuvre dans les services de transport aérien de passagers, de fret de nolisement ainsi que certains services aéroportuaires.  Deux administrateurs voient à sa gestion soit Messieurs Serge Charron (ci-après « Charron ») et Denis Charest (ci-après « Charest »).

[9]           Jusqu’à tout récemment, le Groupe Pascan exploitait une flotte de 21 avions et un hélicoptère desservant une quinzaine de destinations soit (Rouyn-Noranda, Val-d'Or, Gatineau, Montréal, Québec, Bagotville, Mont-Joli, Bonaventure, Baie-Comeau, Sept-Îles, Havre-Saint-Pierre et Îles-de-la-Madeleine), à Terre-Neuve-et-Labrador (Wabush et Goose Bay) et au Nouveau-Brunswick (Bathurst).[3]

[10]        Le Groupe Pascan a connu une baisse de son chiffre d’affaires de quelque 50% depuis les deux dernières années et en conséquence, a enregistré des pertes importantes que celle-ci attribue aux facteurs suivants :

a)    Le ralentissement du Plan Nord qui avait débuté en mai 2011;

b)    Les difficultés économiques qui ont frappé les compagnies qui oeuvrent dans le secteur minier au Québec;

c)    La volatilité des prix du pétrole et du minerai de fer lors des deux dernières années;

d)    Les mesures d’austérité mises en place par le gouvernement du Québec;

e)    La perte de plusieurs contrats face à une compétition accrue; et

f)     La dégradation de certains pans de l’économie québécoise, plus particulièrement dans le nord de la province.[4]

[11]        Jusqu’en février 2015, Groupe Pascan bénéficiait d’une marge de crédit de 1 500 000,00 $ consentie par la Banque Royale du Canada.

[12]        En raison des difficultés financières du Groupe Pascan et suite à des négociations qui ont achoppé, la Banque Royale du Canada a retiré son appui financier à celle-ci, de telle sorte qu’elle ne bénéficie plus de marge de crédit.

[13]        De fait, les seuls créanciers institutionnels sont les requérantes, lesquelles ont consenti des crédits pour le financement d’actifs ainsi que pour partie du fonds de roulement et ce, à hauteur de 21 069 903,00 $ en date du 17 août 2015.

[14]        Les difficultés rencontrées par Groupe Pascan ont amené les requérantes à désigner des gestionnaires spécialisés en leur sein pour prendre charge de comptes en difficultés nommément Monsieur Dany Couillard (ci-après « Couillard »).

[15]        Couillard a témoigné qu’à l’occasion de rencontres à l’hiver 2015 avec Groupe Pascan, celle-ci ne voyait qu’une seule issue possible à son problème de liquidité soit l’obtention d’une aide gouvernementale.

[16]        Au printemps 2015, lorsqu’il est devenu clair que le Groupe Pascan ne pouvait rencontrer ses obligations face aux requérantes, celles-ci ont exigé et obtenu que Groupe Pascan retienne les services de consultants en restructuration soit, PriceWaterHouseCooper (ci-après « PWC ») et Gestion Evologie inc. (Deveaux).[5]

[17]        La preuve non contredite révèle que dès le départ Groupe Pascan s’est élevée contre le niveau de rémunération de Deveaux qu’elle considérait trop dispendieux en regard de sa situation financière.

[18]        Quoi qu'il en soit et comme c’est souvent le cas en semblable situation Groupe Pascan a quand même confié un mandat à Deveaux.

[19]        Dès son arrivée chez Groupe Pascan, Deveaux commande une évaluation des avions exploités par Groupe Pascan.  Celle-ci révèle une forte diminution de la valeur de ceux-ci en raison de deux facteurs.

-       Absence ou déficit important de la réserve moteurs[6]

-       Cannibalisation de certains appareils[7]

[20]        Évidemment, cette situation est révélée aux requérantes à leur grand désarroi.

[21]        À la même époque, outre les difficultés rencontrées par Groupe Pascan pour honorer ses obligations face aux requérantes, celle-ci affiche également des retards dans le paiement de ses droits d’atterrissage auprès de certains aéroports qu’elle dessert.

[22]        Qui plus est, des litiges surgissent quant à des aéronefs, loués et exploités par Groupe Pascan.

[23]        Notamment, deux litiges existent entre Groupe Pascan et deux locateurs d’avions actuellement exploités ou en possession de Groupe Pascan ce sont :

                         Coast to Coast Helicopter inc.
            et
                         Danish Air Transport Leasing

Ce fait revêt une importance quant à la décision que doit prendre le Tribunal.

[24]        Bref, la situation est catastrophique.

[25]        Deveaux, de concert avec les administrateurs de Groupe Pascan, Charron et Charest met en place un programme de rationalisation des routes qui, fait en sorte que Groupe Pascan n’a besoin que de 8 avions pour opérer, 14 autres devant être vendus.

[26]        Parallèlement, Deveaux et les administrateurs de Groupe Pascan négocient avec certains des fournisseurs de celle-ci afin d’étaler le paiement de leurs créances.

[27]        Suite à l’arrivée de Deveaux et jusqu’à la fin mai, les parties discutent et tentent d’établir des conditions de tolérance quant à leurs créances, acceptables aux yeux des requérantes.

[28]        Les parties ne s’entendent pas, et le fait que Charest, le principal interlocuteur pour Groupe Pascan quitte pour une période de deux semaines pour vaquer à ses autres affaires, est la goutte qui fait déborder le vase.

[29]        De guerre lasse en juin 2015, les requérantes font signifier au Groupe Pascan un avis suivant l’article 244 de la LFI[8] indiquant qu’ils entendent procéder à la réalisation de leurs garanties.

[30]        Le 12 juin 2015, soit à l’expiration de l’avis suivant l’article 244 de la LFI, Groupe Pascan met fin au mandat de Deveaux.

[31]        Le 19 juillet 2015, Deveaux, hors la connaissance de Groupe Pascan, remet aux requérantes, PWC et Lavery, avocats des requérantes, un document intitulé « Memorandum ».  Ce document élabore plusieurs stratégies dont la mise en faillite des entités détenant les avions ainsi que la « prise de contrôle des trois (3) entités (Groupe Pascan « 2.0 » par les prêteurs ».

[32]        Ce n’est que plus tard que les administrateurs apprendront l’existence de ce « Memorandum ».

[33]        En dépit de l’avis suivant l’article 244 de la LFI, les parties continuent de se parler et au début juillet 2015 Groupe Pascan dépose un plan d’affaires démontrant un possible retour à la rentabilité.  Cela étant, une injection de fonds de 1 000 000,00 $ est nécessaire en vue de sa réalisation.

[34]        Des discussions entre les requérantes et les administrateurs dont Charest s’amorcent donc sur cette base.

[35]        Précisions que des deux administrateurs de Groupe Pascan, Charest est le seul qui a la capacité financière d’injecter des fonds.

[36]        D’emblée, Charest indique qu’il n’a pas l’intention d’injecter de nouveaux fonds, la solution passe alors par un prêt des requérantes et dès lors, la discussion s’oriente dans cette direction.

[37]        Ainsi, les requérantes convaincues des possibilités de rétablissement financier de Groupe Pascan sont prêtes à avancer 1 000 000,00 $ de façon intérimaire à certaines conditions, dont l’implication de Deveaux et le désengagement dans les faits des administrateurs actuels lesquels se verraient à toutes fins pratiques dépouillés de leurs pouvoirs.  Couillard, directeur de comptes et restructuration auprès de la BDC invoque les éléments suivants pour justifier cette approche.

-       Perte de confiance.

-       Équipe de gestion incapable de gérer la crise notamment quant à l’incapacité par Groupe Pascan de vendre (5) cinq aéronefs depuis janvier 2014.

-       Menaces de poursuite.

[38]        Si Charron accepte de signer l’entente proposée par les requérantes, Charest s’y refuse.

[39]        Dès lors, la situation se dégrade.

[40]        Ainsi, la requête en vue d’une ordonnance initiale est signifiée et produite le 26 août 2015.

[41]        Partie de la requête est traitée le 31 août 2015 de telle sorte qu’une ordonnance initiale est prononcée sans que soit tranchée la question de la nomination d’un CR.  Voici pourquoi.

[42]        Comme nous l’avons vu, les requérantes proposaient Deveaux, tandis que Groupe Pascan proposait à leur contestation écrite une autre candidate à savoir Madame Hélène Zakaib (ci-après « Zakaib »), avocate de formation et ancienne député à l’Assemblée nationale et ministre déléguée aux finances responsables de la politique industrielle et de la Banque de développement économique du Québec.

[43]        En raison des contestations de part et d'autre, le Tribunal a effectué un bref survol des compétences de Deveaux et Zakaib pour constater que ni l’un ni l’autre n’avaient œuvré, que ce soit pour fins de restructuration ou autres, dans un milieu hautement réglementé comme celui de l’aviation civile.

[44]        Qui plus est, dans son fameux Memorandum du 19 juillet 2015, Deveaux y va d’une remarque, qui si à première vue semble anodine, est lourde de conséquences.

« Les autorités de Transport Canada ont déjà remis en question le respect de la réglementation par les dirigeants de Groupe Pascan et surveille étroitement la situation ».

[45]        Par ailleurs, les émoluments demandés de part et d'autre soit 40 000,00 $ par mois pour Deveaux et 30 000,00 $ par mois pour Zakaib apparaissaient démesurés dans les circonstances.

[46]        Face à des candidats suggérés de part et d’autre qui n’ont jamais œuvré dans une industrie aussi réglementée et qui demandent des honoraires importants, le Tribunal peut et doit intervenir.

[47]        Ainsi, le Tribunal a suggéré aux parties de tenter de s’entendre sur l’identité d’un candidat ayant les compétences nécessaires pour réaliser une restructuration dans le milieu de l’aviation civile, semblable candidat pouvant certainement rassurer Transport Canada.  De plus, le Tribunal a invité les parties à considérer un mode de rémunération plus réaliste dans les circonstances.

[48]        Une fois cette étape franchie, restait pour le Tribunal à déterminer l’étendue des pouvoirs attribués au CR.

[49]        Malheureusement, les parties, une nouvelle fois, n’ont pu s’entendre sur le choix d’un candidat.  Cette mésentente s’articule plus sur l’indépendance qui doit guider le CR dans l’exercice de ses fonctions.

[50]        Le Tribunal se doit d’ouvrir une parenthèse.  Au-delà du droit, il y a les hommes.

[51]        Clairement, les intervenants Charest du côté de Groupe Pascan et Couillard pour les requérantes ne se font pas confiance.

[52]        Charest a témoigné à deux reprises devant le Tribunal.  Il s’agit d’un homme intelligent, aguerri en affaires mais surtout doté d’un caractère fort.

[53]        Ainsi, il y a fort à parier que ses choix de candidats à la fonction de C.R. soient des personnes, sur qui, à tort ou à raison, il pense pouvoir exercer un certain ascendant.

[54]        De l’autre côté, les requérantes cherchent à éviter cette problématique en demandant au Tribunal de doter le C.R. de pouvoirs qui sortent de l’ordinaire pour semblable fonction.

[55]        En effet, un chat est un chat même si on l’appelle Fido.  L’étendue des pouvoirs réclamés par les requérantes pour le C.R. s’apparente plus aux pouvoirs d’un séquestre qu’à ceux normalement dévolus à un C.R.

[56]        Avant de s’attaquer à l’identité du meilleur candidat à la fonction de C.R., il y a lieu de revenir aux principes de base qui doivent guider le Tribunal.

[57]        L’auteur Janis Sarra résume parfaitement la situation propice à la nomination d’un C.R.

« In the past two decades, there has been the growing use of chief restructuring officers (CRO) in CCAA workouts, frequently appointed in the initial stay order.  This development is a governance response to creditor concerns that directors and officers that may have skills appropriate to oversight of financially healthy corporations may not have the skills or expertise to deal with a turnaround situation.”

[58]        Il s’agit là du critère le plus important devant guider le Tribunal.  En effet, les administrateurs en place, bien au fait de leur industrie sont normalement les mieux placés pour effectuer la restructuration.  Cela étant, même les meilleurs administrateurs peuvent devenir dépassés en situation de crise.

[59]        Dans la présente affaire, si Charron et Charest savaient mener leur barque pendant les années de rentabilité, la preuve révèle qu’ils ont perdu le contrôle en situation de crise.  Les éléments suivants le démontrent :

-       5 avions invendus alors qu’ils avaient déterminé que ceux-ci étaient excédentaires depuis janvier 2014.

-       Cannibalisation de certains appareils.

-       Absence de réserve moteurs.

[60]        Cela étant, les administrateurs de Groupe Pascan ont démontré qu’avec un guide adéquat, ils étaient en mesure de prendre les bonnes décisions.

[61]        Dans la présente affaire, la nomination d’un C.R., non contestée par ailleurs par Groupe Pascan, est souhaitable.

[62]        La nomination d’un C.R. par les tribunaux à l’occasion d’une restructuration sous l’égide de la Loi, n’est pas de droit nouveau.

[63]        Il y a cependant lieu de rappeler sinon préciser les buts recherchés lorsque la nomination d’un C.R. s’impose.

[64]        Il va sans dire que la situation ou les pouvoirs d’un C.R. lorsque l’entreprise est en voie de liquidation diffèrent sensiblement de ceux d’un C.R. qui sera impliqué dans l’élaboration d’un plan d’arrangement[9].

[65]        Dans la présente affaire, il a été représenté au Tribunal qu’effectivement un plan d’arrangement sera ultimement déposé si bien que des négociations ont déjà été entamées avec certains créanciers.

[66]        Dans pareil cas, le C.R. pour réaliser son mandat doit identifier les gestes à poser en vue de la réhabilitation financière de l’entreprise que ce soit la disposition d’actifs ou l’établissement d’un nouveau plan d’affaires ou les deux.  Il doit par la suite élaborer de concert avec le contrôleur et le conseil d’administration, un plan d’arrangement viable et acceptable par toutes les parties intéressées que ce soit les actionnaires, les créanciers garantis ou ordinaires et ultimement voir à son implantation et réalisation.  De plus, étant nommé par le Tribunal, il doit rendre compte à celui-ci.

[67]        Bien que la nomination d’un C.R. puisse rassurer l’ensemble des parties intéressées, il n’a pas pour fonction de voir aux intérêts d’une seule catégorie de parties intéressées.

[68]        Pour ce faire, certaines qualités s’imposent dont l’indépendance face à ces mêmes parties ainsi qu’une solide connaissance et réputation tant dans l’industrie en cause, qu’en matière de restructuration.

[69]        Le choix du meilleur C.R. possible constitue une décision capitale dans le processus de restructuration d’une entreprise.  Lorsque ce choix incombe au Tribunal en raison de divergences entre les parties, voici les critères devant le guider.

-       Bonne connaissance de l’industrie dans laquelle l’entreprise évolue de façon à ce que sa présence rassure tous les intervenants de cette industrie, c’est-à-dire, créanciers, clients, autorités compétentes.

-       Indépendance[10].

-       Expérience en matière de restructuration.

-       Coût raisonnable.

[70]        Ces critères ne sont pas cumulatifs, mais leur analyse permettra d’identifier le candidat idéal parmi ceux proposés.

[71]        Maintenant que les critères de sélection sont établis qu’en est-il des pouvoirs demandés par les requérantes.

[72]        Les requérantes pour justifier les pouvoirs demandés font état du bris de confiance sans prendre en considération qu’un contrôleur est déjà en place.

[73]        Les requérantes, citent par ailleurs l’ordonnance prononcée par le juge Schrager alors à la Cour supérieure dans l’affaire Aveos Fleet Performance[11] par laquelle tous les pouvoirs d’administration étaient confiés au C.R. et ce, à l’exclusion des administrateurs en place.

[74]        Cette ordonnance n’est pas motivée comme c’est généralement le cas en matière d’ordonnances urgentes prononcées en vertu de la Loi.

[75]        Les avocats de Groupe Pascan, officiers de justice, au fait du dossier Aveos révèlent au Tribunal que l’étendue des pouvoirs conférés au C.R. était motivée par les démissions ou absences des administrateurs d’Aveos.

[76]        Cette même ordonnance précise le degré de collaboration que devaient apporter les actionnaires et administrateurs, le Tribunal juge utile de la reproduire.

« ORDER that the Petitioners and their shareholders, direct and indirect subsidiaries, former and current officers, directors, employees, servants, agents and representatives (the « Company Persons”) shall cooperate fully with the CRO in the exercise of his powers and the discharge of his obligations.  Without limiting the generality of the foregoing, the Company Persons shall provide the CRO with such access to the Petitioners’ and their direct and indirect subsidiaries’ books, records, assets and premise as the CRO requires to exercise his powers and perform his obligations under this Order.”

[77]        Le Tribunal est d’avis qu’au présent stade, la collaboration et non la coercition s’impose, d’autant plus que le Tribunal s’assurera de l’indépendance du candidat retenu.

[78]        Le Tribunal, ne met pas en cause le choix des requérantes d’utiliser les mécanismes prévus par la Loi d’autant plus qu’ils croient fermement aux capacités de réhabilitation financière de Groupe Pascan.

[79]        Cela étant, les requérantes doivent composer avec les conséquences de leurs choix, or dépouiller les administrateurs de leurs pouvoirs en faveur d’un C.R. n’est pas la norme appliquée par les tribunaux.

[80]        Cette décision n’est pas immuable et peut être révisée par le Tribunal s’il devient évident que les administrateurs ne collaborent pas avec le C.R.  Dans une telle éventualité, le Tribunal n’entretiendrait aucune hésitation à consentir des pouvoirs accrus au C.R. et ce, dans la forme utilisée par le juge Schrager dans l’affaire Aveos.

[81]        Voyons maintenant les candidats.  Chacun de ceux-ci a déposé un curriculum vitae et Messieurs Deveaux, Nice et Simard ont témoigné de leur expérience passée.

[82]        Le Tribunal tient à préciser que le présent exercice ne constitue pas un jugement de valeur face aux candidats non retenus mais plutôt l’application des critères ci-devant exposés.

[83]        Deveaux a une forte expérience en matière de restructuration mais aucune dans le milieu de l’aviation civile.

[84]        Qui plus est, son « Memorandum » du 19 juillet 2015 et sa transmission aux requérantes, PWC et les avocats des requérantes alors que ses honoraires avaient été payés par Groupe Pascan font douter le Tribunal de son indépendance.  De plus, à cause de l’animosité qui s’en est suivi, la relation entre Deveaux et les administrateurs de Groupe Pascan serait dysfonctionnelle.

[85]        La candidature de Deveaux ne peut donc être retenue.

[86]        La candidature de madame Zakaib doit également être écartée.

[87]        En effet, en dépit d’un parcours académique et professionnel remarquable, madame Zakaib n’a aucune connaissance du milieu de l’aviation et une connaissance fort limitée en matière de restructuration.

[88]        La candidature de Monsieur Simard sera également écartée.

[89]        Si sa connaissance du milieu de l’aviation civile est impressionnante, reste qu’il n’a participé à aucune restructuration sous l’égide de la Loi.

[90]        Qui plus est, il y a quelques mois à peine, il oeuvrait dans une entreprise dont l’âme dirigeante est le même que celui de Coast to Coast Helicopters inc. actuellement en litige avec Groupe Pascan.  Dans les circonstances, le critère d’indépendance ou l’apparence d’indépendance n’est pas rencontré.

[91]        Monsieur Derek Nice est retenu pour occuper les fonctions de C.R. pour les raisons suivantes :

-       Solide expérience dans le domaine de l’aviation civile.

-       Participation à des restructurations sous l’égide de la Loi dans l’industrie de l’aviation civile.

-       Coût plus que raisonnable dans les circonstances.

[92]        Quant à ce dernier point, le Tribunal ne peut qu’inviter les gestionnaires impliqués dans les restructurations à plus de créativité dans leurs choix de consultants.

[93]        Les coûts reliés à ces consultants externes sont assimilables aux coûts de justice tant décriés par les justiciables.

[94]        Dans la présente affaire, le simple jeu de la compétition aura permis d’identifier un C.R. à presque la moitié du coût[12] de celui proposé lors de la requête initiale.

[95]        Les requérantes et le contrôleur demandent au Tribunal que ce soit le contrôleur qui contrôle et non supervise les recettes et débours du Groupe Pascan.

[96]        Une fois de plus, le Tribunal n’en voit pas la nécessité, aucune preuve de malversation, négligence ou incompétence à cet égard n’ayant été présentée au Tribunal.

[97]        En terminant, il ressort de la preuve que M. Charron s’est désintéressé de son rôle d’administrateur laissant toute latitude à M. Charest.  Or, celui-ci en raison de ses autres intérêts peut avoir à s’absenter.  Ainsi si les absences de M. Charest viennent à équivaloir à un manque de collaboration de sa part, le Tribunal, sur demande, pourra réviser les pouvoirs du C.R.

 


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE le volet visant la nomination d’un chef de la restructuration de la requête en vue du prononcé d’une ordonnance initiale du 26 août 2015.

NOMME Monsieur Derek Nice à titre de chef de la restructuration pour toutes les entités du Groupe Pascan aux conditions établies dans son offre du 10 septembre 2015 adressée à PricewaterhouseCoopers, reflétant les engagements auxquels a souscrit Monsieur Nice lors de son témoignage.

ORDONNE aux débitrices, ses actionnaires, administrateurs, employés et/ou représentants de collaborer sans réserve avec le chef de la restructuration dans l’exercice de ses fonctions et pouvoirs notamment en lui fournissant un accès à tous les livres comptables et/ou information financière ainsi qu’à tous les locaux, équipements actuellement exploités ou utilisés par les débitrices.

DÉCLARE que le C.R. peut exercer tous les pouvoirs décrits dans l’offre de services, le tout sujet à l’accord de l’administrateur des débitrices et du contrôleur pour toute décision ou acte pouvant avoir un impact important sur les débitrices, à savoir :

a)    Représenter les débitrices dans toute négociation avec des parties intéressées (qu’il s’agisse de créanciers, fournisseurs, investisseurs, etc.);

b)    S’assurer de la transition du rôle de gestionnaire supérieur responsable entre Serge Charron et Julian Roberts;

c)    S’assurer de l’entretien adéquat des aéronefs et de la sécurité des passagers;

d)    Trouver des nouveaux clients, maintenir les relations avec les clients actuels et promouvoir les services des débitrices;

e)    Prendre des décisions au sujet de la rétention des employés, incluant le maintien en fonction des employés clés;

f)     Rationaliser les opérations d’une ou de plusieurs unités d’exploitation des débitrices, incluant la vente de la flotte excédentaire;

g)    Résilier ou répudier tout contrat ou arrangement, selon les modalités de la LACC;

h)    Communiquer et fournir de l’information concernant les débitrices au contrôleur, à la demande de ce dernier dans l’accomplissement de ses fonctions; et

i)     Tout autre pouvoir, responsabilité ou devoir que le C.R. peut accepter d’exercer à la demande des débitrices suite à une ordonnance de cette Cour.

 

DÉCLARE que tous les pouvoirs exercés par le C.R. conformément à la présente ordonnance et à l’offre de services sont réputés être exercés par le C.R. pour et au nom des débitrices, et non par le C.R. en sa qualité personnelle.

ORDONNE que le C.R. devra, dans l’exercice de ses pouvoirs, consulter et rendre des comptes aux débitrices et à leur administrateur.

DÉCLARE que le C.R. bénéficie de l’obligation d’indemnisation prévue au paragraphe 25 de l’ordonnance initiale et de la charge des administrateurs en garantie de cette obligation d’indemnisation en ce qu’elle concerne les obligations et responsabilités que le C.R. peut encourir lorsqu’il agit en cette qualité à compter de la présente ordonnance.

ORDONNE aux débitrices d’acquitter les frais et débours raisonnables du CRO directement liés à la présente instance, au plan et à la restructuration engagés après la date de la présente ordonnance.

DÉCLARE que, en garantie des frais et déboursés professionnels du CRO engagés après la date de la présente ordonnance à l’égard de la présente instance, du plan et de la restructuration, ceux-ci bénéficient de la charge d’administration établie au paragraphe 39 de l’ordonnance initiale suivant la priorité établie aux paragraphes 40 et 41 de l’ordonnance initiale.

ORDONNE qu’aucune personne n’intente, ne continue ou ne fasse exécuter de procédures à l’encontre du C.R., en relation avec les affaires ou les biens des débitrices, sans avoir d’abord obtenu la permission préalable du tribunal, moyennant un préavis écrit de cinq (5) jours au procureur des débitrices et à tous ceux qui sont mentionnés au présent paragraphe qu’il est proposé de nommer dans ces procédures.

ORDONNE que la présente ordonnance et toutes ses dispositions prennent effet à compter de 00 :01 heure de Montréal, province de Québec, à la date de la présente ordonnance.

 

 

 

 

[98]        LE TOUT, sans frais.

 

__________________________________

Martin Castonguay, j.c.s.

 

Me Jean Legault

Me Mathieu Thibault

LAVERY, DE BILLY

Avocats de Banque de Développement du Canada et Investissement Québec

 

Me Guy P. Martel

Me Joseph Reynaud

STIKEMAN ELLIOTT

Avocats de Groupe Pascan

 

Me Alain Tardif

McCARTHY TÉTRAULT

Avocat de Fiducie Denis Charest

 

Me Martin Desrosiers

OSLER, HOSKIN & HARCOURT

Avocat du contrôleur PricewaterhouseCoopers

 

Date d’audience :

Le 9 septembre 2015

 



[1] Loi facilitant les transactions et arrangements entre les compagnies et leurs créanciers L.R.C. (1985) ch. C-36.

[2] Pièce R-24.

[3] Paragraphe 22 de la requête.

[4] Paragraphe 26 de la contestation écrite.

[5] Même si le mandat est signé entre le Groupe Pascan et Gestion Evologie inc. et s’agissant d’un mandat intuitu personae le Tribunal ne référera qu’à Monsieur Deveaux.

[6] Une réserve moteur est exigée des prêteurs, celle-ci consiste à mettre de côté une certaine somme d’argent par heure de vol pour constituer une réserve qui servira à la remise à neuf du ou des moteurs lorsque leur vie réglementaire sera expirée.

[7] Canibalisation consiste à retirer d’un avion des pièces en état de fonctionnement pour les poser dans un autre appareil sans qu’elles soient remplacées.

[8] Loi sur la faillite et l’insolvabilité L.R.C. (1985) ch. B-3.

[9] Janis Sarra : Rescue :The Companies’ Creditors Arrangement Act Thomson Carswell pages 160-161.

[10] Janis Sarra : Rescue :The Companies’s Criditors Arrangement Act “If the CRO is court-appointed, arguably it has obligations to the court and must act neutrally with respect to stakeholders” page 161.

[11] Aveos Fleet Performance Inc./Aveos Performance aéronautique inc. (Arrangement relatif à), 500 - 11­­­­-042345-120, 20 mars 2012.

[12] Honoraires de M. Nice fixés à 23 000,00 $ par mois, excluant l’ajout de certaines personnes ressources et dépenses tandis que M. Deveaux exigeait 40 000,00 $ par mois dans le cadre de la présentation de la requête initiale.  Il faut noter qu’à l’occasion de la preuve portant sur le choix du C.R., M. Deveaux a accepté de réduire ses émoluments à 32 000,00 $ par mois.

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