Quintana c. Gestion KL |
2014 QCRDL 14670 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Longueuil |
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No dossier: |
139906 37 20140303 G |
No demande: |
1435556 |
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Date : |
23 avril 2014 |
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Régisseure : |
Anne Morin Houde, juge administratif |
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SAMANTHA QUINTANA
WEDSON SAINT-PHARD |
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Locataires - Partie demanderesse |
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c. |
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GESTION KL |
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Locateur - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le tribunal est saisi d’un recours en annulation de bail pour cause de vice de consentement.
[2] Les locataires font valoir que la signature du bail s’est faite rapidement sans leur laisser le loisir de réfléchir suffisamment aux conséquences financières de ce contrat en particulier en ce qui concerne les coûts d’énergie d’Hydro-Québec.
[3] Les locataires affirment qu’à la suite d’une problématique reliée au fait que ceux habitant le logement situé au-dessus de leur étaient bruyants, ils ont voulu déménager dans un autre logement.
[4] Ils se plaignent en particulier de l’attitude de l’un des locateurs, M. Frédéric Lenoir. Ils blâment ce dernier de s’être présenté le 25 février dernier et d’avoir déclaré : « c’est aujourd’hui qu’on règle ça pour les relocaliser. »
[5] M. Lenoir s’est alors présenté à leur logement, a quitté pendant un certain temps puis est revenu pour finaliser la conclusion du contrat du nouveau logement.
[6] Pour la défense, Mme Nathalie Jodoin, une des locataires soutient avoir reçu de la locataire un téléphone de remerciement après la signature du nouveau bail et soutient ne pas comprendre le présent recours.
[7] De plus, selon elle, le loyer a été réduit de 725 $ à 750 $ pour tenir compte des frais d’Hydro-Québec.
[8] Le locataire nie cette version des faits. Selon lui, M. Lenoir leur a caché la vérité sur les frais réels d’électricité en les encourageant à ne pas souscrire un plan budgétaire.
[9] La partie demanderesse soutient avec force qu’ils n’auraient jamais loué le logement connu la vérité sur les coûts d’électricité et sans la pression exercée par M. Lenoir.
[10] Sans entrer dans tous les détails des témoignages, la partie défenderesse fait valoir qu’ils ont voulu aider les locataires en réduisant le coût du loyer et en leur permettant de déménager.
[11] Le tribunal estime qu’il se doit rendre une décision selon le recours introduit qui vise en premier lieu l’annulation du bail.
Analyse du droit applicable
[12] En vertu des règles applicables, le tribunal estime utile de reproduire les articles touchant aux règles relatives à la bonne foi et l'abus de droit :
« 6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.»
« 7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi. »
«1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation qu'à celui de son exécution ou de son extinction.»
« 2805. La bonne foi de présume toujours à moins que la loi n'exige expressément de la prouver.»
La doctrine
[13] Les auteurs Baudouin et Jobin, dans leur traité sur les obligations, ont analysé le concept et la portée de la notion de bonne foi que l'on retrouve au Code civil. Voici ce qu'ils énoncent :
« 86- Introduction- L'équité et la bonne foi faisaient partie de notre vocabulaire juridique bien avant la réforme du Code civil. Là où le Code civil du Québec se démarque de son prédécesseur, c'est eu égard à l'ampleur qu'il confère à ces termes. De leur participation à de simples règles particulières, l'équité et la bonne foi sont désormais érigées en principes généraux du droit des obligations. Il ne fait aucun doute que ces principes vont assez souvent entrer en conflit avec celui de l'autonomie de la volonté. Mais le Québec est loin d'être le seul pays où doivent être faits des ajustements fondamentaux dans le droit des contrats. La réforme du Code civil s'inscrit en effet dans une tendance contemporaine puisqu'on retrouve ce principe de bonne foi dans les Principes d'UNIDROIT et dans les Principes du droit européen notamment. Ce choix politique ayant été effectué, la question est de déterminer l'équilibre approprié entre ces principes opposés, aussi bien pour le législateur que pour les tribunaux dans leur interprétation des dispositions du Code civil. N'oublions pas cependant que, si l'équité et la bonne foi atténuent l'autonomie de la volonté sur le plan purement juridique, les règles découlant des principes d'équité et de bonne foi auront normalement l'effet bénéfique, à long terme, de rapprocher la théorie juridique de ses applications pratiques. Il est donc particulièrement important de tenter de cerner les notions d'équité et de bonne foi, puis d'en préciser les applications dans notre droit.
A. Définitions
87 - Remarque préliminaire - Notions difficiles à cerner s'il en est, la bonne foi et l'équité ne sont définies nulle part dans le Code. Comme ce sont deux concepts très larges, l'objectif du législateur d'assurer une plus grande justice contractuelle ne saurait être atteint en les enfermant dans des définitions rigides.....
89 - Bonne foi - On doit d'abord rappeler le sens subjectif, traditionnel, de la bonne foi. En fait, ce premier concept de bonne foi a deux acceptions dans le vocabulaire juridique. La première est celle qui oppose bonne foi à mauvaise foi; est de bonne foi toute personne qui agit sans intention malicieuse. Notons immédiatement à cet égard que l'article 2805 C.c édicte une présomption générale et réfragable de bonne foi. Le deuxième sens traditionnel de la bonne foi est l'ignorance ou la perception erronée de la réalité; une personne est de mauvaise foi lorsqu'elle agit en sachant qu'elle le fait de façon illégale ou illégitime.
Ces deux acceptions de la bonne foi renvoient à la disposition d'esprit dans laquelle se trouve une personne lorsqu'elle agit. Le Code civil en consacre une troisième, que l'on avait vu affirmée dans une trilogie de la Cour suprême. Cette bonne foi, dite objective, a un sens beaucoup plus large, soit celui de norme de comportement acceptable. Selon le contexte, de telles normes ont une dimension morale, sociale, ou encore elles renvoient simplement au «bon sens»; la bonne foi est donc devenue l'éthique de comportement exigée en matière contractuelle (comme d'ailleurs dans bien d'autres matières). Elle suppose un comportement loyal et honnête. On parle alors d'agir selon les exigences de la bonne foi. Ainsi, une personne peut être de bonne foi, c'est-à-dire ne pas agir de façon malicieuse ou agir dans l'ignorance de certains faits, et agir tout de même à l'encontre des exigences de la bonne foi, soit en violant des normes de comportement objectives et généralement admises dans la société.
B.
Applications 90 - Introduction - Ce qui vient d'être exposé est évidemment
assez abstrait; aussi, le meilleur moyen de circonscrire la portée réelle des
principes d'équité et de bonne foi est d'en examiner les applications. En droit
des obligations, l'article
(...)
116 - Observations générales - Les auteurs affirment maintenant qu'il existe en matière contractuelle des obligations de loyauté et de coopération. Le Québec a avantage à s'insérer dans un courant international dans ce sens; l'obligation de coopération, imposant à chaque partie les devoirs que commandent les circonstances pour permettre au contrat de produire son plein effet, fait d'ailleurs partie des Principes du droit européen du contrat. Tantôt vues comme des obligations distinctes, tantôt comme découlant l'une de l'autre, la loyauté et la collaboration constituent toutes deux des corollaires du principe de bonne foi dans l'exécution des contrats. Malgré la similitude de leur nature, nous tenterons de les distinguer et de saisir leur portée, puis de vérifier leur appartenance au droit civil québécois.
117 - Obligation de loyauté - À quels comportements l'exigence de loyauté oblige-t-elle les parties? Comme standard juridique, la loyauté se définit d'abord, mais pas exclusivement, de manière négative. Des auteurs estiment qu'elle emporte l'obligation d'agir sans intention malveillante, d'exécuter les prestations auxquelles l'on s'est engagé «comme une personne normalement respectueuse des règles du jeu». On parle aussi d'agir de façon honnête. Cette obligation pèse sur le créancier comme sur le débiteur; en effet, un créancier ne peut rendre l'exécution du contrat plus difficile ou plus onéreuse pour son cocontractant. »[1]
L'auteure et professeure Brigitte Lefebvre a aussi analysé le principe de la bonne foi depuis la réforme du Code civil. Citant en premier les commentaires du ministre de la Justice relativement à la portée de cette notion, elle énonce :
« Il n'est pas inutile de revoir les commentaires du ministre de la Justice. On retiendra de ces enseignements que «la révision du code s'est faite avec le souci, toujours présent, d'assurer un plus juste équilibre dans les relations contractuelles »; que «le principe qui constitue l'une des pierres angulaires du nouveau Code, celui de la bonne foi doit, en tout temps, gouverner les parties dans leurs rapports d'obligations » que la «bonne foi est une notion qui sert à relier les principes juridiques aux notions fondamentales de justice »; que «ce chapitre (celui des contrats) reflète [...] plusieurs changements dans les conceptions traditionnelles et
qu'il instaure au sein du droit commun des contrats, une philosophie nouvelle axée sur un meilleur équilibre entre les parties contractantes et la recherche d'une justice contractuelle meilleure »; «qu'il n'a pas paru utile d'énoncer le principe de la force obligatoire du contrat par l'affirmation formelle que le contrat valablement formé tient lieu de la loi à ceux qui l'ont conclu, compte tenu de toute la relativité que comporte l'affirmation, en regard des dispositions impératives de la loi, de l'ordre public, de la bonne foi, etc.»
(...)
Selon la classification proposée par Baert, un auteur belge, la bonne foi a quatre fonctions. Premièrement, la bonne foi a une fonction complétive ou supplétive. La bonne foi est alors créatrice d'obligation; elle permet entre autres de compléter la lettre du contrat par des obligations implicites accessoires. Au stade de la formation du contrat, elle impose souvent une obligation de renseignement, afin que le consentement soit donné de façon éclairée. Cette fonction illustre particulièrement la collaboration requise entre les cocontractants.
Deuxièmement,
la bonne foi a une fonction limitative ou modératrice qui consiste à poser des
limites à l'exercice d'un droit. Cette fonction met en évidence la relativité
des droits. Elle est principalement illustrée par la théorie de l'abus de droit
et codifiée à l'article
Troisièmement, la bonne foi a une fonction adaptative lorsqu'elle permet au juge de rétablir l'équilibre contractuel. (...)
Finalement, la bonne foi a une fonction interprétative. La bonne foi impose que l'on fasse prévaloir l'esprit du contrat sur la lettre. La bonne foi est le fondement de cette règle.
(...)
Ainsi, la bonne foi impose une obligation de parler. L'aspect actif de la bonne foi, par opposition à un rôle essentiellement passif qui n'aurait pour but que de réprimer les abus, peut être illustré, entre autres, par l'évolution de la notion de dol. Alors qu'au départ ce concept visait à réprimer les abus, tromperies et mensonges, il est désormais reconnu que la réticence ou le silence peuvent être constitutifs de dol. »[2]
[14] Le juge Raoul P. Barbe de la Cour du Québec dans l'affaire Gervais c. Bouffard, a déterminé en s'appuyant sur l'arrêt de la Cour Suprême dans la cause de Banque Nationale c. Houle, que les règles relatives à la bonne foi ont été élargies depuis et couvrent une « conduite contraire à la bonne foi ou simplement négligente. »[3]
[15] Selon ces auteurs et l’état de la jurisprudence, la bonne foi intervient pour limiter l'exercice des droits individuels lorsqu'on viole les normes de comportement généralement admises dans la collectivité. Cette théorie s'applique tout au long du contrat et est illustrée par la codification de la théorie de l'abus de droit.
Vice de consentement
[16] Afin
de disposer de la présente demande, le tribunal estime aussi utile de prendre
en compte les articles
«1400. L'erreur vicie le consentement des parties ou de l'une d'elles lorsqu'elle porte sur la nature du contrat, sur l'objet de la prestation ou, encore, sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement.
L'erreur inexcusable ne constitue pas un vice de consentement.»
«1401. L'erreur d'une partie, provoquée par le dol de l'autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.
Le dol peut résulter du silence ou d'une réticence.»
[17] Après analyse de la preuve, le tribunal est d’avis qu’il a été démontré que les locataires ont signé un bail et que la locataire a fait valoir son appréciation à l’égard de Mme Jodoin car elle ne souhaitait plus habiter un logement bruyant. De plus, il a été prouvé que le loyer a été réduit pour tenir compte du budget des locataires.
[18] Toutefois, le véritable litige porte toutefois sur le coût de l’énergie et de la capacité des locataires de l’assumer. Les locataires connaissaient-ils le véritable coût de l’énergie avant la signature du bail ?
[19] Le tribunal retient à cet effet, le témoignage des locataires qui rapportent une conversation avec M. Lenoir concernant les frais d’électricité et le plan budgétaire et qui les incite à ne pas s’informer à ce sujet.
[20] Compte tenu de la réaction des locataires au sujet de cette dépense supplémentaire et de l’absence de M. Lenoir à l’audience, le tribunal estime que les règles sur la prépondérance de preuve font en sorte que les locataires n’ont eu connaissance du coût réel des frais d’énergie qu’après la signature du bail et qu’ils n’auraient jamais contracté ce bail sans cette information primordiale.
[21] Le tribunal ne peut cautionner un tel comportement et estime donc à la lumière de la preuve et que l’erreur provoquée annule le bail conclut entre les parties. Le tribunal annule le bail conclut entre les parties le 25 février 2014.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[22] ANNULE le bail du 1er juillet 2014 au 30 juin 2015;
[23] CONDAMNE le locateur à payer aux locataires 79 $ en frais judiciaires et de signification.
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Anne Morin Houde |
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Présence(s) : |
les locataires Me Sylvain Pratte, avocat des locataires le locateur |
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Date de l’audience : |
9 avril 2014 |
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[1] Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, Éditions Yvon Blais Inc., 1998, 86-87-89-90, 116,117.
[2] Brigitte Lefebvre, «Liberté contractuelle et justice contractuelle : le rôle accru de la bonne foi comme norme de comportement» dans Développements récents en droit des contrats (2000), Service de la formation permanente du Barreau du Québec, 2000.
[3] REJB, 2001-23322, 6 mars 2001, # 124 à 126.
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