Ernso c. Thai | 2024 QCTAL 21308 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 747567 31 20231122 T | No demande : | 4221980 | |||
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Date : | 21 juin 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Leyka Borno | |||||
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Villard Ernso |
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Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Tuyet Mai Thai |
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Locateur - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le locataire requiert la rétractation d’une décision rendue le 7 février 2024 à la suite d’une audience tenue le 8 janvier 2024 à laquelle il était absent.
[2] Il a pris connaissance de cette décision à la fin du mois de février 2024 et a déposé sa demande le 1er mars 2024.
[3] Par cette décision, le Tribunal résilie la décision, le condamne à payer la somme de 1 310 $ à la locatrice et aux frais de justice.
[4] Au soutien de sa demande, le locataire allègue qu’il ne s’est pas présenté à l’audience, car il n’a jamais reçu l’avis du Tribunal l’y convoquant.
[5] Néanmoins, il affirme ne pas avoir de problèmes quant à la réception de son courrier. Il a d'ailleurs reçu la décision contestée ainsi que l'avis de convocation pour la présente audience.
[6] Il ajoute qu'il vérifie quotidiennement sa boîte aux lettres.
[7] Quant à son moyen sommaire de défense, le locataire déclare qu’en date de l’audience du 8 janvier 2024, il ne devait aucun loyer. Toutefois, il ne sait pas à quelle date il a payé celui-ci.
[8] Il précise qu’il effectue ses paiements comptants sans exiger de reçus.
[9] Par ailleurs, il reconnaît qu’il ne paie pas toujours son loyer le premier de chaque mois.
[10] Quant à la locatrice, celle-ci s’oppose à la demande de rétractation. Elle soutient que le locataire paie toujours son loyer en retard depuis deux ans.
[11] La locatrice présente verbalement une demande de forclusion en vertu de l'article 63.2 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.
Analyse et décision
[12] La présente demande se fonde sur l’article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement1 (Loi) qui prévoit :
« 89. Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.
Une partie peut également demander la rétractation d’une décision lorsque le Tribunal a omis de statuer sur une partie de la demande ou s’est prononcé au-delà de la demande.
La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l’empêchement.
La demande de rétractation suspend l’exécution de la décision et interrompt le délai d’appel ou de révision jusqu’à ce que les parties aient été avisées de la décision.
Une partie qui fait défaut d’aviser de son changement d’adresse conformément à l’article 60.1 ne peut demander la rétractation d’une décision rendue contre elle en invoquant le fait qu’elle n’a pas reçu l’avis de convocation si cet avis a été transmis à son ancienne adresse. »
[13] Par ailleurs, l’article 44 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement prévoit que la partie qui demande la rétractation doit exposer ses moyens sommaires de défense.
[14] À maintes reprises, les tribunaux ont déterminé que la rétractation est un moyen procédural exceptionnel, car le principe de l'irrévocabilité des jugements est important. Ce principe a été réitéré par la Cour d'appel du Québec :
« Le principe de l'irrévocabilité des jugements est nécessaire à une saine administration de la justice, d'où le sérieux que doivent avoir les motifs de rétractation. La procédure doit contribuer à la protection des droits des deux parties et la remise en question des décisions doit demeurer l'exception et ne pas devenir la règle[1]. »
[15] L’absence d’une partie ne donne pas ouverture systématiquement à la rétractation de jugements tel que le mentionnent les auteurs Rousseau-Houle et De Billy[2] :
« Le seul fait qu'une partie soit absente à l'audience ne lui donnera pas automatiquement droit à une demande en rétractation. En vertu de l'article 89, la partie doit motiver son absence par une cause jugée suffisante. »
[16] Le Tribunal conclut que le demandeur n’a pas établi, par prépondérance de preuve, ne pas avoir reçu l’avis d’audition.
[17] Selon l’article 16 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement, l’attestation d’expédition de l’avis établit une présomption de réception de l’avis par son destinataire. Le locataire est donc présumé avoir reçu l’avis d’audition.
[18] Or, l’étude du dossier révèle que l’avis d’audition pour l’audience du 8 janvier 2024 est expédié à l’adresse du locataire dès le 28 novembre 2023. L’adresse du locataire au dossier est la bonne et il n’y a eu aucun retour de courrier à l’expéditeur.
[19] Par ailleurs, le Tribunal note que le locataire a reçu les autres communications du Tribunal, notamment l'avis de convocation de la présente audience.
[20] Le locataire n’a pas réussi à renverser la présomption prévue à l’article 16 RPTAL, le Tribunal jugeant son témoignage non crédible.
[21] Mais il y plus.
[22] Conformément à l'article 44 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement, l'analyse d'une demande de rétraction ne se limite pas à vérifier si la partie demanderesse a établi un empêchement de se présenter à l'audience, elle doit aussi démontrer l'existence d'un moyen sommaire de défense à faire valoir à l'encontre de la demande originaire.
[23] Le Tribunal partage les propos de la juge administrative Jocelyne Gravel dans la décision Charbonneau c. St-Laurent[3]:
« On constate qu'un défendeur doit également prouver avoir un moyen de défense valable à faire valoir à l'encontre de la demande originaire. Dans l'éventualité où les moyens de défense invoqués sont voués à l'échec, il serait dès lors inutile de permettre la rétractation.
Comme exprimé par la Cour d'appel du Québec, les motifs d'une demande de rétractation doivent être sérieux puisqu'ils ont pour effet de déroger au principe de l'irrévocabilité des jugements. »
[24] Or, dans le présent dossier, le locataire déclare avoir payé les loyers dus en espèces. Il ne se souvient pas de la date à laquelle il aurait payé ces loyers.
[25] De plus, il n’a aucun reçu ni aucune autre preuve de paiement à présenter au Tribunal.
[26] Le seul témoignage du locataire à cet effet est donc insuffisant pour convaincre le Tribunal d’un moyen de défense sérieux et valable à faire valoir.
[27] Par conséquent, le Tribunal rejette la demande de rétractation.
[28] Quant à la limitation procédurale, l’article 63.2 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement prévoit ce qui suit :
« 63.2. Le Tribunal peut, sur demande ou d’office après avoir permis aux parties intéressées de se faire entendre, rejeter un recours qu’il juge abusif ou dilatoire ou l’assujettir à certaines conditions.
Lorsque le Tribunal constate qu’une partie utilise de façon abusive un recours dans le but d’empêcher l’exécution d’une de ses décisions, il peut en outre interdire à cette partie d’introduire une demande devant lui à moins d’obtenir l’autorisation du président ou de toute autre personne qu’il désigne et de respecter les conditions que celui-ci ou toute autre personne qu’il désigne détermine.
Le Tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif ou dilatoire d’un recours, condamner une partie à payer, outre les frais visés à l’article 79.1, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les autres frais que celle-ci a engagés, ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs. Si le montant des dommages-intérêts n’est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d’abus, le Tribunal peut en décider sommairement dans le délai et aux conditions qu’il détermine. »
[29] La preuve présentée ne soutient pas une telle conclusion. Aussi, faut-il rappeler qu’interdire à un justiciable de présenter une demande devant un tribunal est un remède extrême qui ne doit être utilisé qu’avec grande circonspection et rigueur, vu ses conséquences graves sur les droits du justiciable.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[30] REJETTE la demande de rétractation;
[31] MAINTIENT la décision du 7 février 2024;
[32] REJETTE la demande de limitation procédurale du locateur.
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Leyka Borno | ||
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Présence(s) : | le locataire le locateur | ||
Date de l’audience : | 25 mars 2024 | ||
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[1] Entreprises Roger Pilon Inc et al. c. Atlantis Real Estate Co.,
[2] Le bail de logement : analyse de la jurisprudence, Wilson & Lafleur Ltée (1989) Montréal, p. 307.
[3] Charbonneau c. St-Laurent, R.L., Montréal, 31-0505508-055T-060905, 26 septembre 2006.
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