Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Dancosse c. Rochon Dinelle

2020 QCCA 1394

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-028952-208

(500-17-112262-202)

 

DATE :

2 novembre 2020

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MANON SAVARD, J.C.Q.

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

SIMON RUEL, J.C.A.

 

 

GILLES DANCOSSE

APPELANT - demandeur

c.

 

JULIE ROCHON DINELLE

INTIMÉE - défenderesse

et

 

BANQUE DE MONTRÉAL

MISE EN CAUSE - mise en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           La Cour est saisie de l’appel d’un jugement rendu le 8 juin 2020 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Thomas M. Davis)[1], déclarant illégale et invalide la saisie avant jugement pratiquée le 29 mai 2020 et accordant mainlevée totale de tous les biens saisis, tout en rejetant la demande de renouvellement d’une ordonnance de type Norwich prononcée le même jour, avec les frais de justice.

[2]           L’appel devait être entendu le 6 novembre 2020, mais, avant qu’il ne le soit, l’intimée a consenti, avec l’accord de l’appelant, à ce que la Cour tranche l’appel selon les termes suivants : accueillir l’appel, sans frais; infirmer le jugement de première instance; rejeter sa demande pour annuler la saisie avant jugement sur la base de l’insuffisance des allégations, frais à suivre le sort du recours; et enfin, renouveler l’ordonnance de type Norwich accordée par la juge Chantal Masse, j.c.s., le 29 mai 2020, pour une durée de dix (10) jours.

[3]           La Cour donnera suite à cette entente.

[4]           Toutefois, l’appel soulevant une question de procédure qui risque de se présenter à nouveau, la Cour estime nécessaire d’ajouter quelques paragraphes à son arrêt pour y répondre et ainsi dissiper la confusion qui semble exister à ce sujet et qui découle d’une interprétation erronée de l’arrêt Jasko c. Desnoyers[2].

[5]           La présente affaire en est une où l’appelant allègue s’être fait voler par l’intimée. Il a intenté une action le 29 mai 2020, joignant à sa procédure introductive d’instance une demande relative à des ordonnances de type Mareva et Norwich et à l’exécution d’une saisie avant jugement.

[6]           À l’appui de cette demande, l’appelant a joint deux déclarations sous serment, la sienne et celle de sa conjointe, les deux datées du 27 mai 2020, énonçant avec force détails les circonstances justifiant les conclusions recherchées.

[7]           Le juge de première instance, saisi d’une demande en annulation de la saisie avant jugement, a conclu que les déclarations sous serment ne respectaient pas les exigences de l’article 520 C.p.c. puisqu’elles dataient du 27 mai 2020 alors que la demande relative à l’exécution de la saisie avant jugement était datée du lendemain, le 28 mai 2020. À son avis, ces déclarations qui portent « une date antérieure à la procédure nécessaire à l’institution de l’instance n’[ont] aucune assise juridique »[3] (paragr. 5). Le juge évoque le caractère exceptionnel de la saisie avant jugement et s’en remet au principe voulant que les formalités qui l’entourent doivent être rigoureusement suivies.

[8]           Le juge de première instance a raison de souligner le caractère exceptionnel de la saisie avant jugement, mais tort de conclure que les formalités qui l’entourent n’ont pas été suivies en l’espèce.

 

[9]           L’article 520 al. 1 C.p.c. prévoit que la demande de saisie avant jugement doit être soutenue par une déclaration sous serment[4] :

520. La saisie avant jugement se fait au moyen d’un avis d’exécution sur la base des instructions du saisissant appuyées de sa déclaration sous serment dans laquelle il affirme l’existence de la créance et les faits qui donnent ouverture à la saisie; le cas échéant, il y indique ses sources d’information. Si l’autorisation du tribunal est nécessaire, elle doit figurer sur la déclaration du saisissant.

520. A seizure before judgment is carried out under a notice of execution and according to the seizor’s instructions, supported by an affidavit in which the seizor affirms the existence of the claim and the facts justifying the seizure, specifying, if applicable, the source of the information relied on. If the authorization of the court is necessary, it must appear on the seizor’s affidavit.

[10]        Il n’y a rien dans le Code de procédure civile qui requiert la déclaration sous serment produite au soutien d’une demande relative à l’exécution d’une saisie avant jugement d’être concomitante ou postérieure à cette demande, pourvu qu’elle expose clairement les faits, et autres éléments de preuve pertinents, dont les déclarants peuvent attester la véracité.

[11]        Les décisions mentionnées par le juge au soutien de son raisonnement[5] s’appuient toutes sur l’arrêt Jasko[6]. Or, cet arrêt ne dit pas que toute déclaration sous serment antérieure à la date de la demande de saisie avant jugement doit entraîner le rejet de la demande à laquelle elle se rattache.

[12]        Dans cette affaire, l’appelant reprochait au juge de première instance d’avoir rejeté sa demande en rétractation de jugement au motif que la déclaration sous serment l’accompagnant - qui se limitait à affirmer « That the facts set forth in the annexed motion to revoke judgment are to my knowledge true » - était datée du 27 octobre alors que la demande en rétractation était datée du 5 novembre. La Cour a rejeté l’appel, expliquant, sous la plume du juge Montgomery[7] :

 

It is hard to see how, in an affidavit, dated 27th October, appellant could swear to the truth of allegations in a motion apparently made on 5th November. He makes no effort to explain this discrepancy, dismissing it as a mere clerical error of no consequence. It was, however, been held in numerous decisions of the Superior and Provincial Courts that such an irregularity is fatal: Commissaires d'écoles de St-Rémi c. Colette, Richard c. Royal Trust Co. and Bouliane c. Paradis, and the authorities therein cited. With this jurisprudence, I am in agreement. There might as well be no affidavit as one bearing a date anterior to that of the proceeding that it is supposed to support.

            [Renvois omis]

[13]        Deux points méritent tout de suite d’être soulignés. D’abord, la déclaration sous serment dans cette affaire se limitait à attester de la véracité des faits allégués dans la requête à laquelle elle était jointe. De plus, l’appelant dans cette affaire n’a pas cherché à expliquer l’incongruité de la situation, soit le décalage entre la déclaration sous serment et la requête dont elle vise à attester la véracité des allégations factuelles.

[14]        La situation ici est bien différente. Les déclarations sous serment de M. Dancosse et de sa conjointe ne sont pas rédigées en fonction d’une requête dont elles viseraient à confirmer sous serment les allégations factuelles. Elles exposent plutôt, de façon détaillée, des faits que la demande de saisie avant jugement reprend, mais sans référer à celle-ci. Le fait que ces deux déclarations assermentées sont antérieures à la demande n’est donc pas fatal, comme la Cour en a déjà décidé d’ailleurs dans Lavalin inc. c. Investissements Pliska inc.[8], Best Buy Canada Ltd. c. 9026-8863 Québec inc.[9] et Tremaine c. A.H. Robins Canada Inc.[10]

[15]        Me Benoît Byette résume bien l’état du droit à ce sujet[11] :

[…] Le simple fait que la date de la déclaration sous serment soit antérieure à la date de la demande ne sera pas suffisant en soi pour l’écarter.

Il faudra donc s’attarder à la nature de la déclaration sous serment et à son contenu. Si cette déclaration sous serment ne fait pas référence à cette demande et qu’elle allègue les faits de façon indépendante du contenu de la demande, l’antériorité de sa date ne sera pas considérée. La déclaration sous serment peut certainement attester la véracité de faits énoncés au soutien de la demande et qui pouvaient, même avant l’existence de cette dernière, faire l’objet d’un serment. S’il s’agit d’une déclaration sous serment qui n’allègue pas les faits et qui ne réfère qu’à la demande en attestant la véracité des faits qui sont y allégués, l’antériorité de la déclaration sous serment devrait constituer un motif suffisant pour l’écarter. Comment un déclarant peut-il attester, à une date donnée, la véracité des faits qui sont allégués à une demande qui était alors inexistante?

[Renvois omis; Soulignement ajouté]

[16]        La Cour se devait donc de faire la mise au point pour éviter que l’erreur se répète.

[17]        Pour donner suite à l’entente des parties et pour ces motifs, LA COUR :

[18]        ACCUEILLE l’appel, sans les frais de justice;

[19]        INFIRME le jugement de première instance, et, procédant à rendre jugement sur la demande de l’intimée pour annuler la saisie avant jugement sur la base de l’insuffisance des allégations;

[20]        REJETTE la demande et RENOUVELLE l’ordonnance de type Norwich prononcée le 29 mai 2020 par Mme la juge Chantal Masse, j.c.s., pour une durée de dix (10) jours, frais à suivre le sort du recours.

 

 

 

 

MANON SAVARD, J.C.Q.

 

 

 

 

 

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

 

 

 

 

 

SIMON RUEL, J.C.A.

 

Me Nicolas Plourde

Me Simon-Alexandre Poitras

SARRAZIN PLOURDE

Pour l’appelant

 

Me Valérie Tellier

DEVICHY AVOCATS INC.

Pour l’intimée

 

Date d’audience : Appel tranché sur le vu du dossier (art. 384 C.p.c.)

Date de mise en délibéré : 20 octobre 2020

 



[1]     Dancosse c. Rochon Dinelle, 2020 QCCS 2611. La permission de faire appel a été accordée le 23 juin 2020, 2020 QCCA 832 (j. Vauclair).

[2]     Jasko c. Desnoyers, [1973] R.P. 259 (C.A.).

[3]     Dancosse c. Rochon Dinelle, 2020 QCCS 2611, paragr. 5.

[4]     La déclaration sous serment doit respecter les exigences des articles 105 et 106 C.p.c.

[5]     Charron c. Charron, J.E. 2003-1382 (C.S.), requête pour permission d’appeler rejetée, 15 août 2003; Brunet c. Amyot, 2012 QCCS 3277, requête pour permission d’appeler rejetée, 23 mars 2012, 2012 QCCA 553; Raschella c. Trinité Construction inc., 2014 QCCS 6531, infirmée par Raschella c. Trinité Contruction inc., 2015 QCCA 118.

[6]     Jasko c. Desnoyers, supra, note 2.

[7]     Id., p. 261.

[8]     Lavalin inc. c. Investissements Pliska inc., [1990] R.D.J. 12 (C.A.), paragr. 5.

[9]     Best Buy Canada Ltd. c. 9026-8863 Québec inc., 2007 QCCA 936, paragr. 12-13.

[10]    Tremaine c. A.H. Robins Canada Inc., [1990] R.D.J. 500 (C.A.), demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 21 mars 1991, no 22236.

[11]    Benoît Byette, « Forme et désignations des actes de procédure », dans Pierre-Claude Lafond (dir.), Jurisclasseur Québec, coll. « Droit civil », vol. « Procédure civile I », 2e éd., fasc. 12, Montréal, Lexis Nexis (à jour au 31 août 2015), no 38.

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