Ilaire c. Comito | 2024 QCTAL 3316 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 732368 31 20230907 T | No demande : | 4143754 | |||
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Date : | 31 janvier 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Francine Jodoin | |||||
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Jorie Ilaire
Natalie Ilaire |
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Locataires - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Nicola Comito |
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Locateur - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Les locataires demandent la rétractation d’une décision rendue le 23 novembre 2023, l’exécution provisoire et les frais.
[2] Le locateur soulève un moyen préliminaire quant à la recevabilité de la demande de rétractation qui n’a pas été notifiée.
[3] Les locataires admettent ce fait invoquant que le préposé aux renseignements qui les a reçus pour l’ouverture de la demande les a mal informés.
[4] Il a été convenu de prendre cette demande sous réserve et de procéder sur la demande de rétractation. Le locateur a pris connaissance de celle-ci à l’audience et se déclare prêt à procéder.
[5] La décision rendue prononce la résiliation du bail vu le non-paiement du loyer et condamne les locataires à payer la somme de 2 295 $, soit le loyer des mois d’août, septembre et octobre 2023.
[6] Les locataires allèguent avoir été empêchées de se présenter à l’audience en raison de l’état de santé de madame Jorie Ilaire. En effet, celle-ci a subi la veille un traitement de dialyse et ne se sentait pas apte à se déplacer au Tribunal. Elle avait des vomissements. Les locataires admettent qu’il s’agit d’un effet secondaire habituel des traitements.
[7] Aucune communication n’a été faite au locateur, ni même au Tribunal pour aviser de cette absence.
[8] Il est établi que les locataires n’habitent pas au logement étant sous le coup d’une évacuation temporaire. Elles estiment devoir être dispensées de payer le loyer et croyaient que les faits seraient présentés au Tribunal par le locateur.
[9] Le locateur précise que les locataires ne se sont pas conformées à l’entente d’évacuation temporaire puisqu’elles ont conservé leurs biens personnels au logement de sorte qu’elles doivent le loyer.
[10] Il appert qu’une demande pour faire statuer sur l’opportunité d’évacuation a été produite par le locateur en date du 11 mai 2023[1] et que celle-ci a été remise le 15 novembre 2023 vu la demande de non-paiement produite. Le locateur a amendé cette demande subséquemment pour ajouter une réclamation en dommages à la suite d’un écoulement d’eau pour lequel les locataires seraient responsables.
[11] Ainsi, l’obligation des locataires de payer le loyer durant la période d’évacuation est au cœur de la défense de celles-ci.
REQUÊTE PRÉLIMINAIRE EN IRRECEVABILITÉ POUR DÉFAUT DE NOTIFICATION
[12] L’article 56 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[2] (LTAL) impose l’obligation à une partie qui produit une demande d’en notifier une copie à la partie adverse.
[13] Cette preuve de notification doit ensuite être produite au dossier du Tribunal dans les 45 jours de la production de la demande.
[14] Le Tribunal peut, toutefois, convoquer sans délai les parties auquel cas la preuve de cette notification doit être produite à l’audience ce qui pourrait dispenser les locataires de devoir produire cette preuve de notification au dossier du Tribunal[3] avant l’audience.
[15] Dans le cas où la convocation du Tribunal est faite à l’intérieur du délai de 45 jours et que la partie demanderesse ne peut produire cette notification à l’audience, l’article 56.2 LTAL prévoit que celle-ci s’expose au rejet de la demande.
[16] Dans l’affaire Nowicki c. Richard,
« 28] Le principe de justice naturelle qui sous-tend la nécessité de notifier une demande en justice dans un délai raisonnable, ici fixé par le législateur à 45 jours, est celui de permettre à la partie défenderesse de connaître l’existence de la procédure intentée contre elle et de préparer sa défense en temps utile.
[29] Il va sans dire que le Tribunal ne peut procéder à l’audition au mérite d’une demande sans d’abord avoir vérifié si celle-ci a été notifiée valablement, à défaut de quoi il peut à l’audience :
- constater la péremption de l’instance;
- rejeter la demande selon l’art. 56.2 al. 3 LTAL;
- ajourner ou remettre l’audience pour permettre à la partie demanderesse de parfaire sa preuve de notification, par exemple si celle-ci est incomplète (3);
- si le délai de 45 jours n’est pas encore expiré, remettre le dossier pour permettre à la partie demanderesse de notifier la demande à l’intérieur de ce délai qu’il peut d’ailleurs prolonger à cette occasion;
- permettre à la partie défaillante de présenter une demande afin d’être relevée de son défaut qui sera adjugée selon les principes applicables. »
[Référence omise] [Notre soulignement]
[17] Lorsque les parties sont convoquées en audience à l’intérieur du délai de 45 jours de la production de la demande[4] et que la notification n’a toujours pas été faite, le législateur a prévu la possibilité de sanctionner ce défaut par le rejet. De l’avis du Tribunal, l’utilisation de l’expression « sous peine de rejet » n’établit pas une conséquence définitive et inéluctable. Elle fait appel au risque de voir sa demande rejetée en cas de défaut uniquement.
[18] Avant l’adoption des nouvelles dispositions législatives sur la notification des demandes, la jurisprudence du Tribunal administratif du logement était divisée sur les conséquences associées au défaut de notification[5] dans un délai raisonnable[6].
[19] Il va de soi que le défaut de notification peut être sanctionné par le rejet de la demande, il ne s’agit, cependant, pas d’une conséquence inévitable si on peut y remédier.
[20] Le Tribunal est d’avis qu’il dispose d’une discrétion pour remettre la cause dans le but de permettre cette notification dans la mesure où le demandeur est toujours dans le délai pour ce faire.
[21] Rappelons que si l’obligation de notifier une demande participe aux règles de justice naturelle[7], le délai pour ce faire relève davantage d’un retard ou irrégularité de procédure[8] auquel une partie peut remédier.
[22] Ajoutons que ces nouvelles mesures adoptées par le législateur en 2020 visent principalement à faciliter la mise au rôle et éviter les retards indus[9].
[23] En l’occurrence, l’audience sur la rétractation a eu lieu à l’intérieur du délai de 45 jours[10]. Bien que la notification n’ait pas été faite, le locateur a pu prendre connaissance de la demande et soumettre ses arguments au soutien du rejet de celle-ci.
[24] Ainsi, la notification ayant pu être faite à l’audience, à l’intérieur du délai de 45 jours, le Tribunal estime qu’il n’y a pas lieu de rejeter la demande pour ce motif.
ANALYSE
[25] L’article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[11] permet à une partie de demander la rétractation d’une décision rendue en son absence. Cette demande doit être faite dans les 10 jours de la connaissance de la décision.
[26] Lorsque la demande de rétractation est produite par un défendeur, celle-ci doit contenir les moyens sommaires de défense qu’il entend faire valoir[12].
[27] Cela dit, pour soutenir une demande de rétractation les motifs invoqués ne peuvent résulter de la négligence ou insouciance d’une partie à protéger ses droits[13].
[28] Dans la décision Desrochers c. Allaire[14], alors que la locataire n’avait pas été présente à l’audience pour cause de gastro-entérite, la Cour du Québec écrit :
« [23] L’examen de la suffisance de la cause ayant mené à l’absence d’une partie ne peut certes pas sanctionner la négligence, mais le Tribunal ne peut voir comment la demanderesse aurait été négligente dans la mesure où elle n’a aucune responsabilité dans le fait d’avoir été malade. Si une demande de remise avait été faite, il est plus que probable qu’elle aurait été accordée et ce fait n’aurait rien changé quant à l’impossibilité de procéder le jour de l’audience.
[24] Dans son analyse de l’opportunité d’accueillir une demande de rétractation, le Tribunal doit finalement tenir compte du sérieux des motifs de défense. »
[29] Le Tribunal retient que l’état de santé de la locataire, Jorie Ilaire, au lendemain de ses traitements de dialyse l’ont affaibli au point ou le déplacement au Tribunal devenait difficile. Quant à sa sœur, elle n’a pas voulu quitter son chevet.
[30] Certes, en l’occurrence, le Tribunal juge que les locataires n’ont pas fait une gestion exemplaire du dossier en laissant cheminer le dossier sans aviser qui que ce soit de leur absence.
[31] On ne peut toutefois déceler dans leur comportement une négligence ou insouciance telle qu’il faille les priver de l’exercice de leurs droits. Le seul préjudice pour le locateur sera d’avoir l’opportunité d’apporter une preuve complète sur les motifs de reproches qui leur sont adressés à la lumière du contexte d’évacuation.
[32] De toute évidence, l’audience sur le non-paiement de loyer a procédé sans qu’une preuve complète sur tous les faits pertinents n’aient pu être présentée.
[33] À cet égard, le Tribunal fait siens les propos tenus dans l’affaire Tremblay c. Savard[15] :
« [42] Le Tribunal doit également tenir compte du fait qu’en cas de rejet du pourvoi, le préjudice que subira la partie condamnée par défaut sans avoir pu faire valoir ses motifs de défense est beaucoup plus important que celui que subit la partie adverse en cas d’accueil de la requête, préjudice qui se limite aux inconvénients inhérents à devoir procéder de nouveau à l’audition au fond de la cause, mais en présence cette fois-ci de la partie défenderesse.
[43] Pour ces raisons, le principe du droit à une défense pleine et entière doit donc en principe l’emporter sur celui de l’irrévocabilité des jugements, à moins que, par sa propre négligence ou turpitude, la personne qui soumet le pourvoi en rétractation se soit placée dans une situation où elle ne peut plus prétendre à invoquer avec crédibilité son droit à une défense.
[44] Dans un tel contexte, il faut aussi ajouter qu’à défaut d’une situation claire quant aux gestes posés de part et d’autre par les parties, qui ont mené à la condamnation de la partie défenderesse par défaut, le bénéfice du doute doit être accordé à celle-ci afin de favoriser le maintien et ses recours légaux.
[45] Enfin, il est bon de rappeler que si le droit de faire valoir une défense pleine et entière existe, encore faut-il qu’à sa face même, des motifs de défense sérieux existent. Un pourvoi en rétractation ne saurait en effet être accueilli alors que la thèse soutenue par la partie défenderesse est frivole ou vouée à l’avance à un échec certain, d’où une perte de temps pour le système judiciaire et des coûts inutiles pour les parties, ce qui est de nature à déconsidérer l’administration de la justice. »
[Notre soulignement]
[34] Le Tribunal souscrit à cette analyse. Le Tribunal estime donc qu’il y a lieu de donner l’opportunité aux locataires de présenter leur défense à l’encontre du locateur.
[35] Il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[36] REJETTE la demande en irrecevabilité pour défaut de notification;
[37] ACCUEILLE la demande de rétractation, sans remboursement de frais;
[38] REFÈRE le dossier à la mise au rôle pour la convocation des parties sur la demande originaire pour une durée d’1h15;
[39] REJETTE la demande quant au surplus.
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Francine Jodoin | ||
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Présence(s) : | les locataires le locateur Me Élisabeth Gendron, avocate du locateur | ||
Date de l’audience : | 9 janvier 2024 | ||
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[1] Dossier 706228.
[2] RLRQ, c. T-15.01.
[3] Selon une certaine jurisprudence, Zhao c. Mahano,
[4] À supposer même que ce délai est applicable aux demandes incidentes telles que la rétractation.
[5] Le Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement prévoit encore à ce jour que la demande doit être notifiée dans un délai raisonnable, article 7.
[7] Thangarajasingam c. Lalumière,
[8] Voir article 2 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement, RLRQ, c. T-15.01, r. 5 qui permet de remédier en tout temps à un vice de procédure. Quant au respect d’un délai, l’article 59 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement permet de prolonger un délai ou relever une partie du défaut de le respecter.
[9] Immeubles Bermont c. Ladouceur,
[10] L’échéance étant le 29 janvier 2023.
[11] Op. cit., note 2.
[12] Article 44 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement, RLRQ, c. T-15.01, r. 5.
[13] Lettrage Graphico-Tech inc. c. Quden inc.,
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