Décision

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Norka c. Farge

2025 QCTAL 10856

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Granby

 

Nos dossiers :

809757 24 20240725 G

815932 24 20240828 G

Nos demandes :

4409827

4443350

 

 

Date :

31 mars 2025

Devant la juge administrative :

Anjuly Hamel

 

Muriel Norka

 

Locatrice - Partie demanderesse

(809757 24 20240725 G)

Partie défenderesse

(815932 24 20240828 G)

c.

Peggy Farge

 

Locataire - Partie défenderesse

(809757 24 20240725 G)

Partie demanderesse

(815932 24 20240828 G)

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Par une demande introduite le 27 juillet 2024 (Dossier 809757, demande 4409827), la locatrice demande le recouvrement du loyer ainsi que le loyer dû au moment de l’audience, la résiliation du bail, l’expulsion de la locataire et des occupants, l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel et les frais.
  2.          Par une demande introduite le 28 août 2025 (Dossier 815932, Demande 4443350), la locataire demande l’autorisation de déposer son loyer au Tribunal, subsidiairement d’ordonner à la locatrice d’exécuter son obligation d’encaisser les loyers, de déterminer le loyer payable, des dommages moraux (500 $), l’autorisation d’opérer compensation et les frais.
  3.          Afin de favoriser une saine administration de la justice, et tel que le permet l’article 57 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement, les dossiers ont été joints et entendus durant la même audience.
  4.          Il s’agit d’un bail du 20 juin 2021 au 30 juin 2022, reconduit jusqu’au 30 juin 2025.
  5.          La locatrice soumet au Tribunal un avis d’augmentation de loyer, daté du 1er mars 2024, faisant passer le loyer de 1 150 $ à 1 350 $ pour la période du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025.
  6.          Elle soumet également la réponse reçue de la locataire le 20 mars 2024.
  7.          La locataire a répondu refuser l’augmentation et choisir de demeurer dans le logis, ajoutant être prête à faire un compromis et accepter une augmentation mensuelle de 75 $.

  1.          La locatrice estime qu’une augmentation de 75 $ a été valablement acceptée, portant le loyer à 1 225 $ pour la période du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025.
  2.          Elle réclame 8 575 $ représentant les mois de juillet 2024 à janvier 2025 de même que la résiliation du bail pour retard de plus de 3 semaines dans le paiement du loyer.
  3.      La locatrice précise avoir reçu des virements mensuels de 1 150 $ de la locataire, mais ne pas les avoir acceptés considérant qu’il s’agit de paiements partiels.
  4.      Elle répond au Tribunal que suivant la réception de la locataire aucune discussion n’a eu lieu concernant le montant de l’augmentation.
  5.      De plus, elle se déclare prête à s’engager à accepter le loyer mensuel de la locataire dès que le Tribunal en aura déterminé le montant.
  6.      La locataire dépose en preuve un échange de messages textes du 5 avril 2024, aux termes duquel la locatrice mentionne sa déception quant à sa réponse à propos de l’augmentation et lui propose une augmentation de 150 $. 
  7.      La locataire allègue qu’elle ne croyait pas que son offre de payer 75 $ avait été acceptée vu la tentative de négociation.
  8.      Elle s’attendait à ce que la locatrice s’adresse au Tribunal afin de faire fixer le loyer.
  9.      La locatrice ayant omis de saisir le Tribunal d’une demande en fixation de loyer, la locataire a considéré que l’augmentation n’était pas valable, le loyer demeurant à 1 150 $ pour le nouveau terme.
  10.      Elle soumet au Tribunal la preuve des virements mensuels effectués, lesquels ont expiré puisqu’ils n’ont pas été encaissés.
  11.      Au soutien de sa réclamation en dommages moraux, elle explique se sentir intimidée et harcelée par le refus de la locatrice d’encaisser ses loyers.
  12.      Au surplus, la locataire explique avoir manqué une journée de travail et vivre un grand stress lié à la gestion des recours en justice. 
  13.      Elle ajoute être particulièrement sensible au stress en raison d’un antécédent médical de commotion cérébrale.

Droit et analyse :

  1.      Le Tribunal rappelle que celui qui veut faire valoir un droit doit faire la preuve des faits allégués dans sa demande, et ce, de façon prépondérante[1].
  2.      Il revient au Tribunal d’apprécier la force probante de la preuve testimoniale administrée[2].
  3.      Les articles 1942, 1945 et 1947 du Code civil du Québec (ci-après C.c.Q.) prévoient que :

« 1942. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s’il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l’arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de 12 mois, l’avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.

Lorsque le bail est à durée indéterminée, le locateur ne peut le modifier, à moins de donner au locataire un avis d’au moins un mois, mais d’au plus deux mois.

Ces délais sont respectivement réduits à 10 jours et 20 jours s’il s’agit du bail d’une chambre. »

« 1945. Le locataire qui refuse la modification proposée par le locateur est tenu, dans le mois de la réception de l’avis de modification du bail, d’aviser le locateur de son refus ou de l’aviser qu’il quitte le logement; s’il omet de le faire, il est réputé avoir accepté la reconduction du bail aux conditions proposées par le locateur.

Toutefois, lorsque le bail porte sur un logement visé à l’article 1955, le locataire qui refuse la modification proposée doit quitter le logement à la fin du bail. »


« 1947. Le locateur peut, lorsque le locataire refuse la modification proposée, s’adresser au tribunal dans le mois de la réception de l’avis de refus pour faire fixer le loyer ou, suivant le cas, faire statuer sur toute autre modification du bail. Il peut également, lorsque le locataire qui a sous-loué son logement pendant plus de 12 mois refuse de quitter les lieux, s’adresser au tribunal pour mettre fin au bail.

S’il omet de présenter sa demande dans le mois suivant le refus, le bail est reconduit de plein droit aux conditions antérieures.

Si le tribunal rejette la demande visant à mettre fin au bail, mais que sa décision est rendue après l’expiration du délai pour donner un avis de modification du bail, celui-ci est reconduit, mais le locateur peut alors s’adresser au tribunal pour faire fixer un nouveau loyer, dans le mois de la décision finale. »

(Notre soulignement)

  1.      De plus, l’article 1893 C.c.Q. rend le respect des règles applicables à la reconduction du bail d’ordre public.
  2.      Ainsi, la locatrice peut, lors de la reconduction du bail, modifier celui-ci, notamment pour en augmenter le loyer. Pour ce faire, elle doit donner à la locataire un avis dans le délai prévu à l’article 1942 précité.
  3.      La locataire peut refuser les modifications proposées par la locatrice. Pour ce faire, elle doit répondre par écrit au locateur dans le mois de la réception de l’avis.
  4.      En l’instance, la locatrice a donné son avis d’augmentation le 1er mars 2024 en respect du délai requis.
  5.      La locataire a répondu le 20 mars 2024 refuser l’augmentation, mais souhaiter renouveler le bail. Sa réponse a également été transmise en respect du délai légal.
  6.      La locatrice n’a pas introduit de demande devant le présent Tribunal afin de faire fixer le loyer.
  7.      Puisqu’elle a omis de le faire, le bail a été reconduit de plein droit aux conditions antérieures, soit au loyer mensuel de 1 150 $ pour la période du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025.
  8.      Par ailleurs, la locatrice n'a pas établi l'existence d'une entente quant au montant de l'augmentation. Chacune des parties a suggéré un montant, mais aucune n'a exprimé son acceptation. Or, une entente implique un échange de consentement.
  9.      La locatrice a donc refusé à tort les paiements mensuels de 1 150 $ et elle ne peut invoquer son propre fait fautif pour obtenir la résiliation du bail en raison du retard de paiement de plus de trois semaines.
  10.      La résiliation du bail n’est pas justifiée par l’application de l’article 1971 C.c.Q.
  11.      Le paiement des loyers de juillet à janvier 2025, dont la somme s’élève à 8 050 $ devra tout de même être effectué par la locataire puisque ses virements sont expirés.
  12.      La condamnation au paiement de cette somme ne sera pas majorée des intérêts réclamés par la locatrice puisqu’elle a fait défaut d’encaisser les virements reçus de la locataire, les laissant expirer par l’écoulement du temps.
  13.      Puisque la locatrice n’a pas établi le bien-fondé de sa demande, elle devra en assumer les frais de justice et il n’y a pas lieu de se pencher sur la demande d’exécution provisoire de la présente décision.
  14.      La demande de la locataire concernant l’autorisation de déposer son loyer au Tribunal trouve sa source à l’article 1908 C.c.Q. :

« 1908. Le locataire qui, lors de l'aliénation de l'immeuble, de l'inscription d'une hypothèque sur les loyers ou d'une cession de créance, n'a pas été personnellement avisé du nom et de l'adresse du nouveau locateur ou de la personne à qui il doit payer le loyer, peut déposer son loyer au greffe du tribunal s'il obtient l'autorisation de celui-ci.

Le dépôt peut aussi être autorisé lorsque, pour tout autre motif sérieux, le locataire n'est pas certain de l'identité de la personne à qui il doit payer le loyer, lorsque le locateur ne peut être trouvé ou lorsqu'il refuse le paiement du loyer. »

  1.      Il est vrai que la locatrice peut refuser de recevoir des paiements partiels suivant l’article 1561 C.c.Q. 

  1.      Or, en l’instance et pour les raisons précitées, les paiements reçus étaient complets. La locatrice ne pouvait donc les refuser.
  2.      Le Tribunal ne peut cependant faire droit au recours de la locataire puisqu’elle n’a pas établi avoir transmis à la locatrice le préavis obligatoire de 10 jours avant d’introduire son recours[3].
  3.      Ce préavis est prévu au 2e alinéa de l’article 1907 du C.c.Q. :

« 1907. Lorsque le locateur n’exécute pas les obligations auxquelles il est tenu, le locataire peut s’adresser au tribunal afin d’être autorisé à les exécuter. Les parties sont alors soumises aux dispositions des articles 1867 et 1869.

Le locataire peut aussi déposer son loyer au greffe du tribunal, s’il donne au locateur un préavis de 10 jours indiquant le motif du dépôt et si le tribunal, considérant que le motif est sérieux, autorise le dépôt et en fixe le montant et les conditions. »

(Notre soulignement)

  1.      Comme la locatrice s’est spontanément déclarée prête à s’engager à accepter les paiements du loyer, le Tribunal prendra acte de son engagement.
  2.      L’article 1607 du C.c.Q. prévoit que le créancier de l’obligation a droit à des dommagesintérêts en réparation du préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel que lui cause le défaut du débiteur et qui en est une suite immédiate et directe.
  3.      Pour réussir à établir sa réclamation en dommages, la locataire doit démontrer l’inexécution de l’obligation de son cocontractant, le préjudice subi et le lien de causalité direct et immédiat entre les deux.
  4.      Seuls les dommages directs et prévisibles associés au manquement reproché peuvent être réclamés.
  5.      S’agissant de dommages indirects, la locatrice ne peut être tenue responsable des inconvénients liés à la perte d’une journée de travail.
  6.      La perte de temps et les efforts déployés pour obtenir justice sont des inconvénients inhérents aux efforts de quiconque est entraîné dans une démarche judiciaire[4].
  7.      Le stress découlant d’un recours judiciaire n’est également pas un dommage susceptible d’indemnisation puisqu’indirect.
  8.      Par ailleurs, le Tribunal n’est pas convaincu des explications fournies quant au harcèlement ou à l’intimidation subie.
  9.      En conséquence, aucun montant ne sera octroyé au chapitre des dommages moraux.
  10.      Comme la locataire a établi en partie en partie le bien-fondé de son recours, les frais de justice sont adjugés en sa faveur suivant le Tarif des frais exigibles par le Tribunal administratif du logement.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Sur la demande 4409827 :

  1.      ORDONNE à la locataire de payer à la locatrice la somme de 8 050 $ correspondant au loyer de juillet à janvier 2025;
  2.      REJETTE quant au surplus.

Sur la demande 4443350 :

  1.      FIXE le loyer payable à 1 150 $ par mois pour la période du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025;
  2.      PREND ACTE de l’engagement de la locatrice d’accepter les paiements du loyer;

  1.      CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire les frais de 97,50 $;
  2.      REJETTE quant au surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Anjuly Hamel

 

Présence(s) :

la locatrice

la locataire

Date de l’audience : 

13 janvier 2025

 

 

 


 


[1] Code civil du Québec, articles 2803 et 2804.

[2] Code civil du Québec, article 2845.

[3] Lemay c. Labonté 2016 QCRDL 2778; Poulin c. Fleury 2011 QCRDL 42462.

[4] Hinse c. Procureur Général du Canada, 2015 CSC 35, para 145.

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