Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Sauvé c. Ville de Léry

2023 QCCS 3986

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

montréal

 

No :

500-17-111535-202

 

 

 

DATE :

19 OCTOBRE 2023

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CATHERINE PICHÉ, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

CLAUDE SAUVÉ

et

JOCELYNE SAUVÉ POISSANT

et

ARIANE SAUVÉ POISSANT

et

GABRIELLE SAUVÉ POISSANT

et

JEAN-GUY DAVID

Demandeurs

c.

VILLE DE LÉRY

Défenderesse / Demanderesse en intervention forcée

et

MUNICIPALITÉ RÉGIONALE DE COMTÉ DE ROUSSILLON

Défenderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Défendeur en intervention forcée

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

APERÇU........................................................3

ANALYSE.......................................................4

1. ÉVOLUTION DU CADRE RÉGLEMENTAIRE QUANT À LA DENSITÉ HABITABLE DANS LE CORRIDOR VERT DE CHÂTEAUGUAY-LÉRY              4

2. MOYEN D’IRRECEVABILITÉ PARTIELLE DU PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC QUANT À LA PREUVE EXPERTE URBANISTIQUE              10

3. OBJECTIONS PRISES SOUS RÉSERVE............................13

3.1 Objection relative au privilège de règlement des litiges...............13

3.2 Objection relative au ouï-dire..................................16

4. PREMIÈRE QUESTION EN LITIGE : LE RECOURS EN EXPROPRIATION DÉGUISÉE DES DEMANDEURS EST-IL PRESCRIT?              17

4.1 Faits pertinents à la question en litige...........................17

4.2 Principes juridiques applicables................................18

4.3 Analyse.................................................19

5. SECONDE QUESTION EN LITIGE : LA RÈGLEMENTATION APPLICABLE A-T-ELLE POUR EFFET D’ENLEVER TOUTE UTILISATION RAISONNABLE DE L’IMMEUBLE?              21

5.1 Faits pertinents à la question en litige.........................21

5.2 Principes juridiques applicables.............................24

5.3 Analyse................................................26

6. TROISIÈME QUESTION EN LITIGE : LE POURVOI EN CONTRÔLE JUDICIAIRE DES DEMANDEURS EST-IL FONDÉ?              32

6.1 Faits pertinents à la question en litige.........................32

6.2 Principes juridiques applicables : la norme de contrôle............32

6.3 Analyse................................................33

CONCLUSION...................................................36

 

 

APERÇU

[1]               Claude Sauvé, sa famille et son ami Jean-Guy David voient le zonage de leurs terrains largement boisés situés dans la Ville de Léry (« Ville ») changer en 2016 par suite de l’adoption d’une règlementation d’urbanisme plus restrictive quant à la densité habitable[1]. C’est que leurs terrains sont situés dans un « territoire d'intérêt faunique et floristique », le Corridor vert de Châteauguay-Léry, et que la Ville et la Municipalité régionale de comté de Roussillon (« MRC ») ont ajusté les normes règlementaires applicables à leurs espaces boisés pour des considérations de protection de l’environnement.

[2]               Un résident qui se voit privé de son immeuble sans que la municipalité n'ait respecté les règles que lui impose la loi peut demander à la Cour supérieure qu'elle annule le règlement ou la résolution municipale, ou encore, d'être indemnisé jusqu'à concurrence de la pleine valeur de sa propriété, à supposer que son recours n’est pas prescrit. Ici, les demandeurs souhaitent qu’il soit déclaré que leurs lots ont fait l’objet d’une expropriation déguisée de la part des défenderesses. Subsidiairement, ils désirent faire déclarer que les règlements municipaux de 2016 applicables à leurs terrains, incluant les modifications apportées à ceux-ci en 2021, sont inopposables, nuls et inopérants. L’instance ayant été scindée, il n’est pas question ici du quantum des dommages encourus ou de l’indemnité pour expropriation.

[3]               Ces terrains sont-ils sujets à une expropriation déguisée par suite de changements à la réglementation d’urbanisme de la Ville et de la MRC? S’il y a expropriation déguisée, découle-t-elle d’une certaine concordance de la réglementation municipale au schéma d'aménagement de la MRC, entraînant la responsabilité solidaire de cette dernière? Les règlements municipaux applicables aux terrains en cause sont-ils inopposables, nuls et inopérants à l’égard des demandeurs? Le recours des demandeurs a-t-il été entrepris dans les délais? Il faut donc déterminer primordialement l’équilibre à atteindre entre le respect du droit de propriété et les limites des pouvoirs des municipalités et des villes dans la protection du patrimoine environnemental collectif.

[4]               Je suis d’avis que la règlementation de 2016 ne prive pas les demandeurs d’un usage raisonnable de leurs terrains et qu’il n’y a pas d’expropriation déguisée. Je conclus également que le recours en contrôle judiciaire des demandeurs quant aux règlements municipaux de 2016, tels que modifiés en 2021, doit être rejeté car présenté de manière tardive et non fondée. D’autres questions seront abordées dans le présent jugement, dont celles de la prescription applicable au recours des demandeurs, ainsi que le sort des objections prises sous réserve et de la demande d’irrecevabilité partielle du Procureur général du Québec quant à l’expertise urbanistique.

[5]               Ainsi, pour les motifs qui suivent, je suis davis quil y a lieu de rejeter l’ensemble de la demande des demandeurs.

ANALYSE

1.             ÉVOLUTION DU CADRE RÉGLEMENTAIRE QUANT À LA DENSITÉ HABITABLE DANS LE CORRIDOR VERT DE CHÂTEAUGUAY-LÉRY

[6]               En septembre 2003, le conseil de la Communauté Métropolitaine de Montréal (le « CMM ») s’est donné une vision du futur souhaité pour le Grand Montréal en adoptant la Vision 2025 intitulée « Cap sur le monde : bâtir une communauté compétitive, attractive, solidaire et responsable »[2].

[7]               Dans la mise en œuvre de cette vision, les élus des municipalités de la CMM se sont dotés d’un premier Plan métropolitain d’aménagement et de développement (« PMAD »), entré en vigueur le 12 mars 2012[3]. Le PMAD cible les défis territoriaux en matière d’aménagement, de transport et d’environnement, afin d’assurer la compétitivité et l’attractivité du Grand Montréal dans une perspective de développement durable[4]. Il énonce huit objets, dont les suivants, qui nous importent particulièrement ici :

  • « […]
  • La protection et la mise en valeur du milieu naturel bâti ainsi que des paysages;
  • L’identification de toute partie du territoire de la Communauté qui doit faire l’objet d’une planification intégrée de l’aménagement et du transport;
  • La définition des seuils minimaux de densité selon les caractéristiques du milieu;
  •  […]
  • La définition des territoires voués à l’urbanisation optimale de l’espace ainsi que la délimitation de tout périmètre métropolitain;
  •  […] »[5]

[8]               La troisième orientation du PMAD intitulée « Un Grand Montréal avec un environnement protégé et mis en valeur » se décline en cinq aspects :

« 3.1 Protéger 17% du territoire du Grand Montréal

3.2 Protéger les rives, le littoral et les plaines inondables

3.3 Protéger les paysages d’intérêt métropolitain

3.4 Protéger le patrimoine bâti d’intérêt métropolitain

3.5 Mettre en valeur le milieu naturel, le milieu bâti et les paysages dans une perspective intégrée et globale à des fins récréotouristiques »[6]

[9]               La carte 21 du PMAD identifie les bois et corridors forestiers métropolitains (« BCFM ») situés sur le territoire de la CMM, dont le corridor forestier Châteauguay-Léry (« Corridor »)[7]. En fait, c’est le gouvernement du Québec qui établit les orientations gouvernementales en aménagement du territoire (« OGAT »)[8], définies à l’article 1.2 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme  LAU »)[9], lesquelles permettent à la CMM d’identifier des BCFM sur son territoire.

[10]           Après avoir requis des MRC au critère 3.1.1 du PMAD d’identifier les aires protégées, bois métropolitains et corridors forestiers, la CMM leur demande, en vertu du critère 3.1.3, qu’elles identifient les usages compatibles avec la protection des BCFM:

« Pour les bois et les corridors forestiers identifiés au critère 3.1.1, la Communauté demande aux MRC et aux agglomérations d’identifier les usages compatibles à la protection, tels que l’agriculture, le récréotourisme, l’habitation de faible densité, les parcs et la conservation, et d’adopter des mesures interdisant l’abattage d’arbres. Ces mesures peuvent régir l’abattage selon les usages permis et prévoir des exceptions pour les coupes sanitaires, pour les coupes de récupération, pour les coupes sélectives, pour la réalisation de travaux de cours d’eau et pour les aménagements permettant l’accessibilité à un milieu naturel à des fins d’observation et d’interprétation. »

[Soulignements du Tribunal]

[11]           En fait, dans les deux ans suivant l’entrée en vigueur du PMAD, le conseil des MRC dont le territoire est en tout ou en partie compris dans celui de la CMM devait adopter un règlement de concordance audit plan[10]. Par la suite, les municipalités disposaient d’une période de six mois pour assurer la concordance de leurs règlements d’urbanisme au schéma d’aménagement de leurs MRC respectives[11].

[12]           Précisément pour le présent cas, la MRC de Roussillon (la « MRC ») a ainsi dû adopter un règlement de concordance assurant la conformité de son Schéma d’aménagement révisé adopté en 2006 (« SAR ») au nouveau PMAD de la CMM. Il s’agit du Règlement numéro 170 modifiant le SAR (Règlement 101) (Concordance au Plan métropolitain d’aménagement et de développement de la Communauté métropolitaine de Montréal)Règlement 170 »), produit en pièce D-1, adopté le 27 août 2014.

[13]           Les articles 20 et 27 du Règlement 170 avaient pour effet de constituer une nouvelle grande affectation intitulée « Conservation viable », visant « uniquement la portion du corridor vert de Châteauguay-Léry qui est située dans le périmètre d’urbanisation métropolitain » et consacrant la protection de ce milieu naturel comme étant « essentielle », tout en « permettant un développement résidentiel de faible densité s’intégrant au milieu naturel. » Ainsi, pour ce qui est des terrains des demandeurs, situés dans une zone dite d’ « habitation de faible densité », la fonction dominante de type « conservation » devait constituer 55% de l’aire d’affection, alors que celle d’habitation restait complémentaire et ne pouvait être autorisée que dans 45% de l’aire d’affectation.

[14]           De plus, l’article 82 du Règlement 170 introduisait par un document complémentaire du SAR un nouvel article 4.5.27 (P-10) qui prescrivait des dispositions normatives applicables dans le Corridor. En outre, la fonction résidentielle pouvait y être autorisée dans l’aire d’affectation Conservation-viable :

  • Lorsque la densité résidentielle brute maximale ne dépassait pas 0,5 logement à l’hectare (ou « log./ha ») pour l’ensemble de l’aire d’affectation;
  • Lorsque la densité brute maximale ne dépassait pas 2 log./ha, sous réserve du dépôt d’un plan d’aménagement d’ensemble (« PAE ») et du respect de certains critères de protection des milieux naturels;
  • Lorsque la densité brute maximale ne dépassait pas un nombre de log./ha situé entre 2 et 10, sous réserve du respect des conditions suivantes : le dépôt d’un PAE, la restriction au développement à une distance limitée du boulevard de Léry et la préservation d’un certain pourcentage d’espèces arbustives et arborescentes et d’espèces floristiques rares, menacées, vulnérables ou susceptibles d’être ainsi désignées.

[15]           Jugé conforme aux OGAT, le Règlement 170 entre en vigueur le 17 novembre 2014, conformément à l’article 53.7 LAU[12].

[16]           Le 13 juillet 2015, la Ville adopte de nouveaux règlements d’urbanisme pour assurer la conformité au Règlement 170 (« Réglementation de 2015 »), le tout conformément à l’article 58 LAU[13]. Or, ces règle ments n’entreront pas en vigueur car n’étant pas conformes aux objectifs du SAR, le tout tel qu’admis par les demandeurs à leur demande introductive d’instance, au paragraphe 9.

[17]           Le 11 avril 2016, la Ville adopte une règlementation d’urbanisme modifiée constituée des six règlements suivants (la « Réglementation de 2016 »):

1)       Le règlement sur le plan d'urbanisme n° 2016-450 (le « Plan d’urbanisme ») (P-3);

2)       Le règlement de zonage n° 2016-451 (le « Règlement de zonage ») (P-4»);

3)       Le règlement de lotissement n° 2016-452 (P-5);

4)       Le règlement sur les permis et certificats n° 2016-454 (P-6) ;

5)       Le règlement sur les plans d'implantation et d'intégration architecturale (« PIIA ») n° 2016-455 (P-7);

6)       Le règlement sur les PAE n° 2016-456 (P-8);

[18]            L’article 8.2.5 du Plan d’urbanisme crée l’affectation « Conservation-viable », applicable aux terrains situés dans le Corridor, tout en reprenant les principes applicables de l’article 27 du Règlement n° 170 et en indiquant que l’habitation de faible densité est autorisée à titre de fonction dite « complémentaire »[14].

[19]           Quant au Règlement de zonage, des dispositions applicables aux territoires d’intérêt faunique et floristique aux articles 905 à 912 introduisent un plan de gestion environnementale et reprennent les restrictions relatives à l’abattage d’arbres prescrites par le nouvel article 4.5.27 du document complémentaire du SAR (P-10)[15]. Ce document complémentaire impose, en outre, des restrictions quant au Corridor ,qui doivent se retrouver dans les règlements de la Ville.

[20]           De plus, l’Annexe A du Règlement de zonage subdivise l’aire d’affectation « Conservation-viable » en zones distinctes, dont la zone N03-63, qui s’applique aux présents terrains. L’annexe B, quant à elle, crée la Grille des usages et des normes pour cette zone (la « Grille ») (P-13) et prévoit que les résidences unifamiliales sont permises pour une densité résidentielle maximale de 0,5 log./ha, cette densité pouvant être augmentée sur approbation d’un PAE.

[21]           Le Règlement sur le lotissement encadre, à son article 50, l’obligation de cession de terrains ou de paiement de sommes d’argent pour fins de parcs, terrains de jeux ou espaces naturels.

[22]           Quant au Règlement sur les PAE, ses articles 32 à 35 encadrent le processus de dépôt d’un tel PAE, permettant laugmentation de la densité résidentielle, le cas échéant[16].

[23]           Le 13 février 2020, les demandeurs intentent un recours en expropriation déguisée contre la Ville et la MRC.

[24]           Enfin, en date du 24 février 2021, la MRC adopte le Règlement numéro 215 – Règlement modifiant le SAR de la MRC de Roussillon afin d’apporter des modifications relatives à l’affectation « Conservation-viable » Règlement n° 215 »)[17]. Ce dernier vient notamment remplacer l’article 4.5.27 du document complémentaire au SAR tel qu’introduit le 27 août 2014 par les nouvelles « dispositions normatives applicables au corridor vert de Châteauguay-Léry et au corridor forestier de Léry-Beauharnois », aux articles 4.5.27.1 à 4.5.27.6. En somme, le Règlement 215 a pour effet de :

  • Maintenir la règle selon laquelle les municipalités peuvent prescrire une densité résidentielle brute maximale de 0,5 log./ha pour les terrains situés dans l’aire d’affectation « Conservation-viable » (art. 4.5.27.2);
  • Autoriser l’ouverture d’une rue publique et l’augmentation de la densité résidentielle permise uniquement en vertu de l’une des deux possibilités prévues par l’article 4.5.27.3 :

1)       Première possibilité : la densité peut être augmentée à 2 log./ha sur 45% d’un terrain lorsque l’autre partie, soit 55% de celui-ci, est affectée à une fonction dominante de l’aire d’affectation « Conservation-viable », telle la conservation ou les activités récréotouristiques;

2)       Seconde possibilité: la densité peut être augmentée jusqu’à 14 log./ha sur 30% du terrain lorsque l’autre partie, soit 70% de celui-ci cette fois, est affectée à une fonction dominante de l’aire d’affectation Conservation-viable;

3)       Ces possibilités devant être encadrées à l’aide de l’un des outils d’urbanisme discrétionnaire que sont le règlement sur les PAE ou le règlement sur les PIIA. Ces règlements devront contenir des principes d’aménagement qui sous-tendent l’autorisation municipale de tout projet de développement résidentiel[18].

[25]           Le 14 mai 2021, le Règlement n° 215 entre en vigueur, ayant été déclaré conforme aux OGAT, le tout en vertu de l’article 53.7 LAU.

[26]           Le 12 juillet 2021, la Ville adopte deux autres règlements afin d’assurer la concordance au SAD, tel que modifié par le Règlement n° 215 Règlementation de 2021 »), soit:

  • Le Règlement numéro 2021-493 modifiant le Plan d’urbanisme numéro 2016-450 de la Ville de Léry, tel qu’amendé, le tout de façon à assurer la concordance avec le schéma d’aménagement révisé de la MRC de Roussillon (Pièce D-24); et
  • Le Règlement numéro 2021-494 modifiant le règlement de zonage numéro 2016-451, le règlement de lotissement numéro 2016-452, le règlement sur les permis et certificats numéro 2016-454, le règlement sur les plans d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA) numéro 2016-455 et les règlements sur les plans d’aménagement d’ensemble (PAE) numéro 2016-456 de la Ville de Léry, tel qu’amendés, le tout de façon à assurer la conformité avec le règlement 215 de la MRC de Roussillon (Pièce D-25).

[27]           La Réglementation de 2021 remplace la Grille de la zone N03-63 par une nouvelle grille, qui prévoit toujours que la densité résidentielle permise de plein droit est de 0,5 log./ha. De plus, elle prévoit aux articles 35 à 39 du Règlement sur les PIIA (P-9) que la discrétion du conseil municipal est limitée à une analyse d’intégration architecturale du bâti autorisé de plein droit. Quant aux nouveaux articles 909 à 911 du Règlement de zonage, de même que les nouveaux articles précités du Règlement sur les PIIA, ils reprennent les nouvelles dispositions introduites par les nouveaux articles 4.5.27.1 à 4.5.27.6 du Règlement n° 215.

[28]           Ces nouvelles dispositions entrent en vigueur le 26 août 2021, lors de la délivrance par le MRC d’un certificat de conformité.

[29]           Une Demande introductive d’instance modifiée en dommages-intérêts découlant d’une expropriation déguisée et en nullité et inopposabilité d’un règlement de zonage est signifiée le 22 septembre 2021, laquelle contient en outre une demande de verser une somme totale de 3 150 000$ aux demandeurs à titre d’indemnité pour expropriation déguisée et en dommages-intérêts punitifs. Une défense écrite modifiée est signifiée le 7 octobre 2021.

[30]           Enfin, un acte d’intervention forcée simple modifié est signifié le 9 mars 2023, lequel allègue que le contenu de la règlementation d’urbanisme en cause a été dicté par les orientations gouvernementales du Gouvernement du Québec et transposé dans des documents de planification de la CMM et de la MRC, de telle sorte à le responsabiliser des conséquences de la règlementation restrictive.

2.             MOYEN D’IRRECEVABILITÉ PARTIELLE DU PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC QUANT À LA PREUVE EXPERTE URBANISTIQUE

[31]           Le PGQ présente un moyen d’irrecevabilité partielle à l’encontre de l’expertise et du témoignage de l’experte urbaniste des défenderesses, précisément parce que certaines de ses opinions excèderaient le rôle de l’expert et relèveraient du domaine du tribunal, usurpant le rôle de ce dernier.

[32]           Le PGQ fait valoir que l’une des questions en litige l’impliquant consiste à déterminer la nature des liens, des rapports ou encore des effets juridiques entre les OGAT, le PMAD (de la compétence de la CMM), le schéma d’aménagement (de la compétence de la MRC) et les divers règlements de la compétence de la Ville, dont le règlement de zonage. Or, selon le PGQ, le rapport d’expertise aux pages 78 et 79 émet des opinions juridiques concernant les rapports et relations juridiques entre les OGAT, le PMAD, les schémas d’aménagement et les plans et règlements d’urbanisme. Précisément, le passage suivant comprendrait de telles opinions :

«Les [OGAT] constituent l’un des moyens pris par l’État québécois pour remplir ses engagements internationaux issus des divers sommets relatifs à la lutte aux changements climatiques et des engagements visant à se tourner vers un aménagement plus durable du territoire. 

L’examen des OGAT permet d’en prendre la pleine mesure. Plus qu’un simple et vague cadre de référence, les [OGAT] ont littéralement dicté le contenu du PMAD de la CMM et par extension, conditionné l’élaboration des outils d’urbanisme de portée régionale (schémas d’aménagement) ou locale (plans et règlements d’urbanisme).

C’est donc à un véritable exercice de conformité à ces orientations, liées aux engagements internationaux pris par le gouvernement, dont relève le PMAD de la [CMM], entré en vigueur en mars 2012.

C’est ensuite par un effet de cascade aux instruments de planification et règlementaires de portée régionale puis locale, que les exercices de concordance, visant à assurer la conformité de ces instruments au PMAD que le cadre règlementaire applicable aux bois et corridors forestiers métropolitains s’est transposé au schéma d’aménagement de la MRC de Roussillon, puis aux plan et règlements d’urbanisme de la Ville de Léry.[19]»

[33]           Le PGQ prétend donc que puisque l’une des questions en litige est de savoir si le Gouvernement du Québec a imposé ses orientations et un contenu aux défenderesses dans l’élaboration de leur règlementation municipale, l’usage du mot « dicté » par l’expert cause problème car il constitue une opinion légale. Pour cette raison, le PGQ demande que les passages problématiques du rapport soient écartés.

[34]           Une seule source est citée à l’appui de cet argument, soit l’arrêt Propriétés Bullion inc. c. Ville de Montréal[20], dans lequel la Cour d’appel confirme un jugement de notre Cour retirant certains extraits et interprétations de textes règlementaires d’une expertise d’urbaniste parce qu’ils ont une nature juridique[21]. La Cour y rappelle le principe bien établi voulant que « les expertises de nature juridique sont irrecevables, car inutiles au juge qui en est lui-même l’expert.[22]»

[35]           L'article 238 C.p.c. encadre les contours du rapport d’expert, précisant que le rapport doit être « suffisamment détaillé et motivé pour que le tribunal soit lui-même en mesure d’apprécier les faits qu’il expose et le raisonnement qui en justifie les conclusions. »

[36]           A priori, il est utile de souligner ma surprise que le moyen d’irrecevabilité partiel du PGQ soit annoncé au jour de la demande de remise précédant de quelques jours le procès au fond. Ce moyen doit, en principe, être présenté dans les dix jours de la connaissance du motif de rejet, selon l’article 241 C.p.c. Le PGQ mentionne en plaidoirie que les procureurs au dossier ont néanmoins convenu, sans admission quant au bien-fondé du moyen, qu’il pouvait être soulevé en début d’audition au mérite.

[37]           À tout évènement, exerçant mon rôle de gardien de la saine gestion de l’instance dans le respect du principe de proportionnalité, je conclus que certains extraits du rapport doivent être écartés car usurpant le rôle du Tribunal.

[38]           Dans son expertise, l’urbaniste Marie-Claude Aubin  Aubin ») examine attentivement la situation physique des terrains visés, le contexte d’adoption des divers instruments de règlementation municipale et les usages autorisés et conditions de développement résidentiel des terrains. Ensuite, considérant cette analyse, elle élabore un exercice relatif au potentiel de développement résidentiel de la parcelle C (qui inclut les terrains des demandeurs) et émet une opinion quant à la faisabilité et aux avantages de sa proposition. Elle fait également une analyse soignée des engagements internationaux, nationaux et québécois relativement à la lutte aux changements climatiques. Précisément, elle discute des OGAT comme des moyens pris par le Québec pour remplir ses engagements internationaux, dans l’optique d’aménagement du territoire de manière plus durable. Elle explique l’effet de cascade ou de transposition – à l’image d’une « poupée russe » pour reprendre ses mots – entre les OGAT et les outils d’urbanisme à portée régionale (schémas d’aménagement) ou locale (plans et règlements d’urbanisme). Elle conclut à cet égard que ce sont les OGAT qui « dictent » le contenu du PMAD de la CMM, et indirectement, les règlementations régionale et locale.

[39]           Le rapport de l’urbaniste contient des faits techniques importants qui me servent à comprendre les usages et contraintes urbanistiques applicables aux terrains en cause. Jusque-là, l’urbaniste m’apparaît habilitée à en statuer puisqu’elle est spécialisée dans l’assistance aux municipalités dans l’élaboration de schémas, de plans et de règlement d’urbanisme. Toutefois, il y a dans son rapport des interprétations techniques et des interprétations juridiques, dans un contexte d’urbanisme. Elle réfère aux différentes règlementations et les applique aux faits du dossier. En fait, elle interprète également les articles applicables pour soutenir l’argument des défenderesses, dans leur intervention forcée. En effet, la Ville souhaite démontrer que la règlementation contestée constitue l’aboutissement d’un processus de concordance encadré par la LAU et qui trouve sa source dans l’obligation des défenderesses d’« opérationnaliser » dans leur règlementation le contenu des OGAT.

[40]           Lanalyse et l’opinion de l’urbaniste se situent en partie au-delà de sa compétence. Une urbaniste appelée comme experte doit prendre en compte la règlementation d’urbanisme et de zonage[23], et son analyse du contexte d’application peut être utile et pertinente, même si c’est le tribunal qui reste le mieux placé pour décider ultimement si l’usage projeté est conforme ou non au règlement de zonage[24]. Les urbanistes connaissent les usages et les contraintes urbanistiques auxquels font face les municipalités et les villes dans l’élaboration de schémas, plans et règlements d’urbanisme, et comprennent mieux que quiconque les termes techniques utilisés dans la rédaction de tels outils[25]. L’expertise d’une urbaniste peut fournir une opinion quant au potentiel de développement, ou encore, suggérer des outils par lesquels un usage désiré pourrait être permis[26].

[41]           Il en reste que même si un expert aborde des questions juridiques, cela ne signifie pas nécessairement qu’il usurpe la fonction du juge[27], considérant que la frontière séparant l’expertise du rôle du juge demeure souvent floue[28]. Je suis néanmoins d’avis que les passages de l’expertise aux pages 78 et 79, dans lesquels une opinion est formulée par l’urbaniste quant aux liens et effets de nature juridique entre les OGAT, le MPAD, le schéma d’aménagement et de développement de la MRC et les règlements de la Ville, sont irrecevables pour les fins des présentes et doivent être écartées du reste de l’expertise. Je ne les considèrerai donc pas pour les fins de mon jugement.

3.             OBJECTIONS PRISES SOUS RÉSERVE

3.1   Objection relative au privilège de règlement des litiges

[42]           Une objection a été formulée par les défenderesses en contre-preuve au dépôt d’une lettre datée du 3 octobre 2022 faisant état d’une offre d’achat par la Communauté Métropolitaine de Montréal des terrains des demandeurs.

[43]           Il faut d’ores et déjà souligner qu’une autre objection a déjà été soulevée au procès durant le témoignage de monsieur Sauvé à une question posée relativement à cette offre faite par la CMM, sur la base du privilège relatif aux règlements des litiges. L’objection a été maintenue par jugement rendu oralement en cours d’instance.

[44]           Même si la nouvelle objection est maintenue, pour essentiellement les mêmes raisons, je tiens à ajouter des motivations plus détaillées à l’appui de mon jugement.

[45]           D’abord, il faut souligner que l’objection des défenderesses est faite quant à une communication concernant des discussions de règlement entre les demandeurs et une tierce partie au litige, soit la CMM.

[46]           La question principale est de savoir si le privilège protège la divulgation de négociations orales et écrites de règlement impliquant des parties tierces au litige dans lequel l’objection est formulée, alors que l’une des parties aux négociations et au litige souhaiterait que ces négociations soient divulguées (en l’occurrence, la partie demanderesse au présent litige). L’objection est formulée par l’autre partie au litige, laquelle n’a pas participé aux discussions de règlement. Cette problématique bien précise ne semble pas avoir été abordée par les tribunaux québécois.

[47]           Le privilège relatif aux règlements se fonde sur la protection de l’espace transactionnel de négociation des différends, visant à procurer aux parties négociatrices confiance que la nature et l’essence de leurs discussions qu’elles soient fructueuses ou non – ne soient pas divulguées[29].

[48]           L’arrêt Union Carbide est venu confirmer l’importation de cette règle de preuve de common law en droit civil québécois, ainsi que son importance fondamentale[30]. Selon le juge en chef du Canada, ce privilège sert à favoriser l’accès à la justice privé et public[31]. Il peut en outre être soulevé d’office, même lorsque les parties ne l’ont pas expressément invoqué.

[49]           L’obligation de préserver la confidentialité des documents utilisés durant les négociations ou des propos tenus durant les discussions de règlement a aussi été codifiée à l’article 4 C.p.c., lequel dispose que les parties à telles discussions « s’engagent à préserver la confidentialité de ce qui est dit, écrit ou fait dans le cours du processus, sous réserve de leur entente sur le sujet ou des dispositions particulières de la loi.»

[50]           Plus récemment, la Cour suprême du Canada expliquait dans l’arrêt Association de médiation familiale du Québec c. Bouvier que quoiqu’il ne soit pas absolu, particulièrement en situation de médiation familiale, le privilège relatif au règlement « favorise des discussions franches et ouvertes » et « facilite les règlements à l’amiable »[32]. D’ailleurs, la Cour d'appel du Québec, dans l'arrêt Groupe Hexagone énonçait également que, ce privilège « transcende le seul intérêt des parties à l'instance et, pour ce motif, constitue un intérêt légitime important »[33].

[51]           La Cour suprême dans l’arrêt Sable Offshore confirmait que le privilège permet de restreindre la divulgation de documents et de communications échangées en vue d'un règlement, et ce, « tant aux autres parties aux négociations qu'aux tiers[34] ». Dans cet arrêt, alors que certains des défendeurs avaient réglé avec la demanderesse, d’autres défendeurs voulaient connaître avant procès les sommes convenues, ce que la Cour refusa, considérant que le privilège vise à « encourager librement et franchement les parties à jouer cartes sur table.[35]»

[52]           Ainsi, pour invoquer le privilège relatif aux règlements, on doit démontrer (i) qu’il existe un litige réel ou éventuel, (ii) qu’une communication a été faite pour contribuer au règlement du litige et (iii) que l’intention des parties était de préserver la confidentialité de leurs échanges[36]. Même si le privilège agit comme exception à la règle de pleine divulgation de la preuve, il doit recevoir une interprétation généreuse puisqu’il participe de l’intérêt public que les parties règlent elles-mêmes leurs différends[37].

[53]           Or, la lettre en cause évoquant des offres de règlement faites par la CMM relativement à trois lots, y inclus celui des demandeurs, est visée par le privilège puisque les trois conditions sont remplies. Il existe à l’époque de la lettre un litige, la lettre visait à offrir d’acheter les terrains pour régler le litige, et l’intention des parties était de préserver la confidentialité des échanges. Quant à la CMM, elle regroupe les territoires des agglomérations de Montréal et de Longueuil, des villes de Laval et de Mirabel, ainsi que, partiellement ou totalement, ceux de 82 MRC, incluant la présente. Le fait que l’offre en cause dans la lettre provienne de la CMM et non directement des défenderesses ne change pas ma conclusion. La lettre, d’ailleurs, fait référence en exergue au présent litige avec la ville et la MRC.

[54]           À tout évènement, selon les auteurs Bryant, Lederman et Fuerst, puisque le privilège du règlement est fondé sur la politique publique encourageant les modes privés de règlement, il s’ensuit qu’il s’étend aux procédures subséquentes non reliées au différend que les parties ont tenté de régler[38] (ce qui n’est pas le cas ici). Les mêmes auteurs résument ainsi et en peu de mots la portée du privilège : « once privileged, always privileged. [39]» Ainsi, toute partie à une correspondance de négociation de règlement est protégée d’une demande de divulgation de cette correspondance formulée avant ou durant procès par ou à l’encontre d’une tierce partie[40].

[55]           Ces auteurs citent avec approbation une décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans une situation de faits fort similaire à la présente, pour les propos du juge voulant que le privilège protège les documents et communications créés pour fins de règlement d’une divulgation aux parties tierces aux négociations et donc aux étrangers, et ce, qu’une transaction ait été conclue ou non[41].

[56]           Ainsi, il est manifeste qu’autant les réponses aux questions entourant des discussions de règlement impliquant la CMM que la communication écrite en faisant état sont sujettes au privilège de règlement des litiges.

[57]           La seule question qui reste est de savoir si les demandeurs, en souhaitant volontairement au procès mettre en preuve les offres de règlement qui leur ont été faites par une tierce partie durant le déroulement de l’instance, ont renoncé à la protection du privilège de telle sorte à rendre admissible cette preuve concernant les discussions de règlement.

[58]           Une partie à des discussions de règlement ne peut renoncer seule au bénéfice du privilège. Le privilège du règlement des litiges appartient aux deux parties impliquées dans les discussions et ne peut être renoncé unilatéralement par l’une d’elles[42]. Ainsi, les demandeurs ne peuvent renoncer à son bénéfice.

[59]           D’ailleurs, il faut souligner le fait que les parties ont convenu conventionnellement que le privilège s’appliquerait aux discussions, tel qu’il relève de certains échanges courriels entre les parties et leurs avocats.

[60]           Enfin, si l’admissibilité de la communication concernant Norma Burdon était en cause, le fait que l’offre ait conduit à un règlement pourrait tempérer la conclusion à laquelle j’arrive. Le privilège relatif aux règlements n’est pas absolu. Si tant est que les négociations sont fructueuses et résultent en un règlement consensuel, les communications peuvent être offertes comme preuve du règlement dans le cas où l’existence, les modalités ou l’interprétation du règlement sont en cause[43]. Mais cela n’est pas le cas ici.

[61]           La Cour suprême expliquait, dans l’arrêt Sable Offshore, que pour analyser toute revendication d’exception à ce privilège, il faut se demander si la raison pour laquelle on souhaite divulguer l’essence ou le contenu des négociations l’emporte sur le principe de politique publique suivant lequel il faut favoriser les règlements amiables[44].  Il est vrai que le refus de divulguer la lettre en cause pourra nuire à la preuve de la valeur des terrains en cause dans une audience subséquente qui viserait à déterminer la juste indemnité que la Ville devrait verser par suite de l’expropriation, le cas échéant. Ce préjudice corrélatif serait néanmoins bien moindre à celui de nuire aux processus de règlement des litiges et de faire ainsi entrave au privilège y relatif. Par ailleurs, aucune exception au privilège ne s’applique ici ni n’a été plaidée. L’objection est donc maintenue.

3.2   Objection relative au ouï-dire

[62]           Une objection a été soulevée aux questions posées au demandeur Claude Sauvé lors de son interrogatoire au procès concernant la teneur des discussions au conseil municipal en 2015. Précisément, Sauvé témoigne qu’en réaction au mécontentement des résidents concernant la règlementation restrictive, l’ancien maire Yves Mailhot mentionne l’intention des élus dacheter leurs terrains à partir de « fonds verts ».

[63]           Les défenderesses s’objectent à la preuve offerte par Sauvé sur la base du ouï-dire, considérant que la déclaration pourrait servir à prouver la véracité de son contenu – c’est-à-dire que la Ville avait l’intention de racheter les terrains des demandeurs dès 2015. Ainsi, les demandeurs se serviraient de cette déclaration pour justifier qu’ils aient agi en justice seulement plusieurs années plus tard.

[64]           Les demandeurs prétendent que la preuve est recevable car pertinente au litige pour démontrer qu’ils se sont fiés sur cette promesse d’acheter leurs terrains, sans s’en servir pour prouver la véracité de son contenu. Elle leur servirait donc plutôt pour prouver leur comportement subséquent et serait admissible en preuve. De plus, les demandeurs soumettent que parce qu’un représentant de la Ville a été interrogé au procès, il a eu la possibilité de témoigner sur ce fait et le contredire, le cas échéant, ce quil n’a pas fait.

[65]           Le représentant de la Ville, Dale Stewart Stewart »), lors de son témoignage, n’a pas beaucoup de souvenirs des séances de conseil des années 2015 et suivantes. Il ne se souvient pas non plus de moments précis de manifestations de mécontentement de la part des résidents. Il admet qu’il existait des fonds dits de la « trame verte et bleue », lesquels permettaient le rachat de terrains à partir de fonds provinciaux, régionaux et municipaux. Stewart explique que ces fonds ont été utilisés une seule fois pour l’achat d’un terrain de concert avec un syndic de faillite. Ainsi, jamais n’admet-il avoir promis de racheter les terrains des demandeurs, ni parlé spécifiquement de « fonds verts » existants permettant de le faire.

[66]           L’article 2843, al. 2 C.c.Q. permet de s’objecter à la preuve d’une déclaration, faite hors de l’instance en cours, invoquée pour faire preuve de son contenu.

[67]           La règle du ouï-dire ne s'applique pas lorsque les paroles rapportées servent à établir qu’elles ont été dites et non à établir la véracité du propos[45]. Ici, la déclaration sert à prouver que la ville a offert d’acheter les terrains et non qu’elle les a effectivement achetés. L’objection est donc rejetée et la preuve permise. 

[68]           Par ailleurs, il faut souligner que les défenderesses font usage de cette déclaration de Sauvé dans leur plaidoirie, au soutien de leur argument quant à la prescription du recours des demandeurs[46]. En effet, elles utilisent cette déclaration de l’ancien maire Mailhot pour soutenir qu’à compter des mises en demeure en 2015, les demandeurs étaient au courant que la Ville allait adopter la règlementation restrictive et que les faits générateurs du droit réclamé étaient alors présents. Parce que les défenderesses s’objectent à la preuve et l’utilisent dans leur plaidoirie, je considère que même si l’objection n’était pas rejetée, elle a été abandonnée.

4.             PREMIÈRE QUESTION EN LITIGE : LE RECOURS EN EXPROPRIATION DÉGUISÉE DES DEMANDEURS EST-IL PRESCRIT?

[69]           La recours en expropriation déguisée des demandeurs n’est pas prescrit, pour les motifs qui suivent.

4.1   Faits pertinents à la question en litige

[70]           Les demandeurs ont témoigné qu’ils avaient eu connaissance des nouvelles restrictions municipales concernant leurs terrains dès 2015. Deux mises en demeure ont été envoyées le 14 août 2015 (en Pièce D-9). La Demande introductive d’instance en dommages-intérêts découlant d’une expropriation déguisée […] (la « Demande introductive d’instance ») a été déposée le 10 février 2020, puis modifiée subséquemment le 22 septembre 2021, pour y ajouter une demande en nullité et inopposabilité d’un règlement de zonage.

[71]           Dans leur Demande introductive d’instance, les demandeurs allèguent avoir fait l’objet d’une expropriation déguisée précisément par l’effet du règlement de zonage de 2016 et de la Grille des usages et des normes applicable. En raison des restrictions, ils soutiennent ne plus pouvoir utiliser ni développer leurs terrains et être contraints, sans compensation, à les conserver à l’état naturel ou à devoir les rendre disponibles pour usages à caractère public au bénéfice de la collectivité[47]. Les demandeurs soumettent que leur recours a été intenté dans un délai raisonnable suivant l’adoption des règlements.

[72]           Selon les défenderesses, le recours en expropriation déguisée des demandeurs est plutôt prescrit à sa face même, puisqu’ils ne l’ont signifié que presque 3 ans et 10 mois depuis l’adoption de la Règlementation de 2016 et 5 ans et 6 mois depuis celle du Règlement 170 (lequel crée la nouvelle grande affectation « Conservation viable »).

[73]           En somme, un délai de plus de 3 ans se serait écoulé entre l’adoption des règlements et le dépôt de leur procédure. Précisément, les défenderesses exposent que dès 2015, les demandeurs comprenaient que la règlementation restrictive serait adoptée et n’ont rien fait après l’envoi des mises en demeure. De plus, elles soutiennent que si les demandeurs avaient été raisonnablement diligents, ils auraient su que la Ville n'a pas rectifié la situation le 11 avril 2016, adoptant plutôt la règlementation en cause. Cette date serait donc le point de départ du délai de prescription. Selon les défenderesses, les demandeurs n’ont eu aucune raison entre 2016 et 2020 de ne rien faire sur le plan procédural. Aucun représentant des défenderesses n’aurait laissé croire que la règlementation serait modifiée ou que les terrains seraient expropriés durant cette période.

[74]           À quelle date est né l’intérêt à poursuivre en expropriation déguisée des demandeurs? Le délai de prescription a-t-il été autrement interrompu?

4.2   Principes juridiques applicables

[75]           L’article 2880 C.c.Q. dispose que « le jour où le droit d’action a pris naissance fixe le point de départ de la prescription extinctive ». Quant à l’article 2925 C.c.Q., il impose un délai de trois ans pour intenter une action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier.

[76]           Pour que la prescription commence à courir, il faut que le créancier connaisse les faits générateurs de son droit. En règle générale, la prescription commence à courir dès que la victime sait qu’une faute a été commise et qu’un dommage en a résulté, sans toutefois qu’elle ne coure contre les personnes qui sont dans l’impossibilité en fait d’agir. Une certaine diligence de la personne concernée est donc requise.

[77]           Notre Cour a examiné la question de prescription en cas de recours en expropriation déguisée dans l’affaire Habitations Germat, concluant que lorsqu’une personne exerce un recours pour réclamer une indemnité pour expropriation déguisée, le délai de prescription ne peut commencer à courir, si la preuve est à cet effet, qu’au moment où le résident acquiert un intérêt à poursuivre ou tant qu’il n’a pas pris réellement conscience que la municipalité ne corrigera pas la situation en faisant l’acquisition de l’immeuble exproprié[48]. Le juge y différencie, à cet égard, le début du calcul de la prescription applicable à une demande en nullité ou en inopposabilité d’un règlement municipal et celui applicable à la prescription d’une demande visant à obtenir la juste indemnité due à la suite d’une expropriation déguisée.

[78]           Précisément, le juge Sansfaçon établit dans Habitations Germat de quelle manière doit être fixé le point de départ de la prescription dans le cadre d’un recours en expropriation déguisée. Parce qu’en cette matière le demandeur doit être conscient de la perte effective des attributs de son droit de propriété par l’effet de la règlementation municipale restrictive, le point de départ de la prescription extinctive doit être établi en fonction « des circonstances propres du dossier, dont l’existence ou non d’un intérêt du demandeur à déposer sa demande et de l’existence ou non de sa croyance, analysée objectivement, que la situation potentiellement dommageable serait corrigée.[49]» Ainsi, ce n’est que le jour où le demandeur prend conscience réelle et objective de ses dommages que la prescription commence à courir.

[79]           La Cour d’appel dans Habitations Germat conclut de son examen du jugement de première instance que la date de départ choisie, soit celle de l’annonce de la tenue d’un référendum visant la parcelle de terrain en cause, est appropriée et découle d’une appréciation raisonnable de la preuve[50] . Cette date est, selon elle, le moment précis où les dirigeants des intimées ont pris conscience du fait que la Ville n’allait pas rétablir le zonage résidentiel sur leurs terrains, ni les exproprier selon la loi ou les indemniser[51]. Selon la Cour d’appel, c’est ce jour-là que la cause d’action s’est cristallisée, puisque même si les intimées connaissaient la modification du règlement de zonage depuis quelques années, les discussions avec la ville et les gestes qu’elle a posés leur permettaient pendant cette période d’« entretenir l’espoir raisonnable d’un changement de zonage ou d’une expropriation en bonne et due forme »[52].

4.3   Analyse

[80]           Les circonstances de l’espèce me permettent-elles de conclure que les gestes posés par la Ville ont permis aux demandeurs d’entretenir un espoir « raisonnable », voire une attente légitime, d’un changement de zonage ou d’une expropriation en bonne et due forme, de telle sorte que la cause d’action ne se soit cristallisée qu’au moment où les demandeurs réalisent que leurs terrains ne seront pas achetés par la Ville?

[81]           La preuve révèle que par suite de l’adoption du Règlement n° 170 par la MRC en 2014, les demandeurs envoient deux mises en demeure à la Ville (D-9) le 14 juin 2015 pour dénoncer l’adoption récente d’un « nouveau règlement de zonage » et la possible situation d’expropriation déguisée de leurs terrains selon l’article 952 C.c.Q. Ce règlement n’entrera pas en vigueur, mais la Réglementation de 2016 sera adoptée par la Ville le 11 avril 2016. Sauvé et les autres demandeurs ne poseront plus un geste par suite des mises en demeure de 2015.

[82]           Durant son interrogatoire au préalable tenu le 18 décembre 2020, Sauvé témoigne des discussions qu’il a eues avec la Ville à la suite des modifications règlementaires de 2016 et des propos entendus qui lui ont donné espoir de voir son terrain acheté[53]. Il explique à nouveau au procès qu’il a fait part de son mécontentement quant à la règlementation au Conseil de ville, et que c’est à ce moment qu’on lui a indiqué vouloir acheter les terrains à partir des fonds verts. Aucune autre démarche n’a subséquemment été faite, si ce n’est une approche de vente à un promoteur, laquelle n’a pas abouti. Après l’envoi des mises en demeure, Sauvé est convaincu et reste convaincu que la Ville souhaite toujours acheter son terrain ainsi que ceux des demandeurs.

[83]           Plusieurs années passent. Vers la fin 2019, lorsque Laurie-Ann Burdon vend son terrain à la Ville à un prix modique, Sauvé commence à perdre espoir. Il discute alors avec Jean-Guy David de son intention d’intenter un recours judiciaire. Ce n’est que le 13 février 2020 que les demandeurs signifient leur recours en indemnisation pour expropriation déguisée et amendent, plus tard, leurs procédures pour inclure un pourvoi en contrôle judiciaire.

[84]           Quant à Stewart, il confirme à l’audience qu’une résolution a été adoptée en 2013 avec l’appui du maire Mailhot, référant à une aide gouvernementale pour le rachat des terrains du boisé en cause. Cette résolution est abrogée par le prochain conseil. Une nouvelle demande d’aide financière est présentée pour cette fin en 2021. Stewart témoigne ne pas se souvenir très précisément du mécontentement des résidents à l’annonce des changements règlementaires.

[85]           Ici, tout comme dans Habitations Germat, les demandeurs souhaitent que l'effet d'expropriation soit constaté, et que la Ville soit condamnée dans un deuxième temps à les indemniser. Subsidiairement, ils demandent aussi que les règlements qui ont l’effet d'expropriation de leurs terrains soient déclarés inopposables, nuls et inopérants. Comme pour les résidents de Habitations Germat, le jour où « le droit d’action a pris naissance » est celui où les demandeurs ont pris conscience que la Ville n’allait pas modifier la règlementation en leur faveur, les exproprier ou encore les indemniser.

[86]           Les témoignages de Sauvé et Stewart sont tous deux imprécis et parfois incohérents. Je retiens néanmoins du témoignage de Sauvé, qui m’apparaît plus probant malgré sa mémoire souvent défaillante, qu’il y a eu autour de l’adoption de la Règlementation de 2016 une mention de la part d’un des représentants de la Ville que les terrains des demandeurs pourraient être achetés par celle-ci.

[87]           Selon le témoignage non-contredit de Sauvé, quoiqu’il comprenne en 2016 que son terrain sera désormais voué à la conservation, il prend espoir par suite des représentations de la Ville autour de 2016 d’être racheté à partir de « fonds verts ». Parce que les demandeurs ne sont pas des gens d’affaires sophistiqués, ceux-ci tiennent donc pour acquis des propos d’une entité en autorité que l’acquisition des terrains n’était qu’une formalité qui devait se faire prochainement. La mention récurrente par les divers témoins de l’existence de « fonds verts » me convainc que Sauvé n’aurait pu inventer une telle notion.

[88]           Considérant ces propos de la Ville, il n’est pas surprenant que les demandeurs se soient sentis confortés et aient négligé de faire des démarches pendant les années suivantes. Ce n’est que lorsqu’ils apprennent l’acquisition par la Ville d’un terrain de 7 719 mètres carrés pour la somme de 8 500 $ (le terrain Burdon)[54] qu’ils réalisent que la Ville ne les compensera pas à la hauteur de leurs attentes. Ils réalisent qu’ils doivent agir en justice pour faire valoir leurs droits. C’est à ce moment que naît la cause d’action. Les demandeurs croyaient objectivement jusqu’à 2019 que leur dommage serait corrigé par les défenderesses. Leur recours en expropriation n’est donc pas prescrit.

5.             SECONDE QUESTION EN LITIGE : LA RÈGLEMENTATION APPLICABLE A-T-ELLE POUR EFFET D’ENLEVER TOUTE UTILISATION RAISONNABLE DE L’IMMEUBLE?

[89]           L’ensemble de la preuve au dossier ne démontre pas d’« impossibilité d’utilisation raisonnable » des terrains des demandeurs. Il n’y a donc pas d’expropriation déguisée.

5.1        Faits pertinents à la question en litige

[90]           Les demandeurs possèdent deux lots situés à l’intérieur du périmètre d’urbanisation – en « zone blanche » - sur le territoire de la Ville, encadrés par le lot 5 140 608 qui longe la route 132, également appelée boulevard René-Lévesque, et le boulevard de Léry. Les lots sont rectangulaires et de dimension étroite, de telle sorte qu’il n’est pas facile de les développer, explique l’experte urbaniste Aubin à l’audience. Les terrains ne sont pas accessibles par voie publique et n’ont ni service d’aqueduc, ni service d’électricité. Comme en témoigne Stewart, les terrains sont effectivement enclavés, non-développables, touchant en outre à l’emprise d’une voie de chemin de fer abandonnée appartenant à CSX. Deux imposants milieux humides caractérisent les terrains. Leur superficie totale est de 72 455 mètres carrés ou 7,25 hectares.

[91]           Le schéma suivant préparé par l’urbaniste Aubin sert à mieux visualiser la localisation des lots, constituant la parcelle « C » :

[92]           Les lots appartenant aux demandeurs et faisant l’objet du litige sont les lots [1] et [2] du cadastre du Québec, de la circonscription foncière de Châteauguay, lesquels appartiennent plus précisément aux demandeurs suivants:

Lot [1]

Lot [2]

Propriétaire :

Âge :

Propriétaire :

Âge :

Claude Sauvé

72 ans

Jean-Guy David

79 ans

Huguette Sauvé Boisselle

77 ans

 

 

Jocelyne Sauvé Poissant

Dont les légataires universelles sont :

Ariane Sauvé Poissant et

Gabrielle Sauvé Poissant

74 ans

Décédée le 22 mai 2021

 

 

[93]           Le 29 mars 2012, Jocelyne Sauvé Poissant présente à la Ville une demande de permis de lotissement et d’abattage d’arbres. Le 26 avril 2012, cette demande est refusée, considérant que le lot fait partie de la zone H02-18 du Règlement de zonage 93-287, d’usage résidentiel, et que la Grille des usages et des normes applicables à cette zone stipule qu’un plan d’aménagement de l’ensemble de la zone est requis avant l’émission d’un tel permis[55].

[94]           La preuve révèle que le 7 avril 2014 les demandeurs mandatent l’arpenteuse-géomètre Louise Rivard (pièce P-21) pour les appuyer dans leur plan de développement de la parcelle.

[95]           Deux mises en demeure sont envoyées à la Ville relativement à la Règlementation de 2015 (qui, je le rappelle, n’entrera jamais en vigueur).

[96]           Comme mentionné, la Ville adopte de nouveaux règlements urbanistiques à caractère normatif et discrétionnaire en 2016. Ces règlements, ainsi que celui de 2017 pour le règlement portant sur les ententes relatives aux travaux municipaux, sont en vigueur lors de la signification de la Demande introductive d’instance des demandeurs en 2020.

[97]           Ainsi, alors qu’avant l’avènement des changements règlementaires, les terrains des demandeurs se situent dans une zone à usage résidentiel, ils se retrouvent, sous la Règlementation de 2016, dans une nouvelle zone, soit la N03-63 qui présente de nouveaux usages plus restrictifs.

[98]           La zone N03-63 qui caractérise leurs terrains est sujette à la Grille d’usages et de normes applicables[56], adoptée en vertu du Règlement de zonage 2016-451, laquelle autorise de plein droit les usages suivants :

  • L’usage résidentiel unifamilial (H-1) en structure de bâtiment isolée;
  • Les usages issus de la classe d’usages P-1 : parc, terrain de jeux, de sports et de loisirs, également en structure de bâtiment isolée;
  • La classe d’usage N-1 « Conservation » issue du groupe « Aire naturelle », également en structure de bâtiment isolée.[57]

[99]           Tel qu’expliqué par l’urbaniste Aubin, la densité résidentielle fut restreinte à plusieurs égards par suite des modifications règlementaires :

« Les normes applicables aux différents usages autorisés figurent aussi à la grille. La superficie minimale de terrain fixée pour l’usage résidentiel unifamilial isolé est de 3 000 mètres carrés alors qu’une densité maximale de 0,5 logement/ hectare était autorisée à l’intérieur de cette zone. La zone était également assujettie à l’application du Règlement sur les PAE numéro 2016-456 ainsi qu’à l’application du Règlement sur les PIIA numéro 2016-455. »[58]

[100]      Pour l’expliquer autrement, les municipalités souhaitant autoriser les fonctions résidentielles à l’intérieur d’une aire « Conservation-viable » devaient désormais prescrire dans leur règlement d’urbanisme une densité résidentielle brute maximale de 0.5 logement par hectare.

[101]      Ainsi, tel que l’explique Aubin, deux options auraient été possibles pour la réalisation d’un projet dans la zone en cause, en vertu du Règlement sur les plans d’aménagement d’ensemble (PAE) 2016-456:

« 1. Réaliser un projet de plein droit, conformément aux dispositions contenues à la grilles des usages et des normes de la zone N03-63 et des autres dispositions des règlements d’urbanisme applicables en l’espèce. Ce faisant, un projet réalisé dans cette zone ne pourrait excéder un maximum de 0,5 logement par hectare. Il serait en outre tout de même assujetti à l’application du Règlement sur les plans d’implantation et d’intégration architecturale 2016-455 (PIIA) mais serait alors dispensé de la production d’un PAE;

OU

2. Réaliser un projet dans le cadre de la procédure et des étapes applicables prévues au chapitre 3 des Dispositions applicables au secteur du corridor vert de Châteauguay-Léry, permettant alors un accroissement de la densité résidentielle sous réserve du respect des critères énoncés au règlement.

L’on se souviendra que la production et l’approbation d’un plan d’aménagement d’ensemble (PAE) constituent un préalable à la modification des règlements d’urbanisme, dans le présent cas, nécessaire pour se prévaloir d’un accroissement de la densité résidentielle. […] [59]»

[102]      Il faut donc comprendre que les terrains des demandeurs sont situés dès 2016 dans un secteur protégé avec usages restreints et un déboisement minimal, tel que le stipulent le Schéma et le document complémentaire de la MRC. Leurs terrains se voient donc imposer des restrictions quant au développement résidentiel. Ils considèrent que parce que la Ville n’offre pas de les compenser en achetant leurs terrains, ils subissent une expropriation déguisée. C’est pour cette raison et dans ce contexte qu’ils souhaitent être indemnisés à la hauteur de la valeur marchande réelle de leurs terrains.

5.2        Principes juridiques applicables

[103]      Le droit de propriété est celui « d’user, de jouir et de disposer librement et complètement d'un bien », aux « limites et [aux] conditions [qui sont] fixées par la loi», selon l’article 947 C.c.Q. L’article 952 C.c.Q. dispose, de même, que le propriétaire « ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est par voie d’expropriation faite suivant la loi pour une cause d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité.[60] »

[104]      Les municipalités régies par la Loi sur les cités et villes[61] ont le pouvoir d’exproprier, en vertu d’une procédure d’expropriation uniforme et encadrée prévue à la Loi sur l’expropriation[62]. Ce pouvoir d’expropriation s’exerce pour des fins publiques légitimes et moyennant juste indemnité[63].

[105]      Or, même en l’absence d’expropriation, le droit de propriété peut se trouver restreint par l’effet de normes telles des règlementations municipales ayant l’effet de dépouiller le propriétaire de l'exercice effectif de son droit ou, à tout le moins, de le léser à cet égard d'une manière ou d'une autre. Dans les récentes années, les jurisprudences concernant le recours en « expropriation déguisée » en vertu de l'article 952 C.c.Q. se sont multipliées[64].

[106]      La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Lorraine (Ville) c. 26468926 Québec inc. explique que l’expropriation faite en dehors du cadre législatif, pour des motifs « obliques » tels le fait d’éviter le paiement d’une indemnité, sera qualifiée de « déguisée »[65]. Deux modes de réparations s’offrent ainsi au propriétaire lésé, soit de demander que la réglementation ayant entraîné l’expropriation soit déclarée nulle ou inopposable à son égard, ou encore, de réclamer le paiement d’une indemnité correspondant à la valeur du bien dont il est privé[66].

[107]      L’adoption d’une règlementation autorisée par le législateur ne constitue pas a priori une expropriation déguisée, même si elle est restrictive. Comme le précise la Cour d’appel, ce n’est pas parce qu’une loi ou un règlement de zonage « tend à stériliser une partie de son droit de propriété ou de son exercice, même de façon draconienne, qu’il en devient abusif et inopposable.»[67]

[108]      Dans son appréciation des faits, le Tribunal doit se demander si la restriction dont souffrent les résidents en raison d’une règlementation municipale a pour effet de « supprimer toute utilisation raisonnable » de leur droit de propriété[68]. Il faudra apprécier le caractère raisonnable de l’usage «non seulement par rapport à l'utilisation potentielle optimale du terrain, mais aussi compte tenu de la nature du terrain et des diverses utilisations raisonnables dont il a effectivement fait l'objet»[69], selon les circonstances propres de l’affaire. Le propriétaire qui se prétend victime doit « établir que l’effet du règlement entraîne la suppression de toute utilisation raisonnable de son droit de propriété [70]». D’ailleurs, le propriétaire n’a pas à démontrer que la règlementation est invalide, ni que son terrain a été approprié physiquement[71].

[109]      Comme la Cour d’appel l’a identifié récemment dans l’arrêt Dupras, l’acte règlementaire restrictif doit avoir pour effet même de « déposséder » le propriétaire ou encore de lui retirer toute possibilité d’usage de son bien[72]. Ainsi, un simple changement de zonage ou une diminution de valeur actuelle ou potentielle de l’immeuble ne suffisent pas pour qu’il y ait expropriation déguisée. Selon la Cour, l’acte ou le geste en cause de la Ville doit « équivaloir à une ‘négation absolue’ de l'exercice du droit de propriété ou une véritable confiscation de l'immeuble’ », de sorte à « supprimer toute utilisation raisonnable de l’immeuble »[73]. La mauvaise foi ou faute de la ville ou municipalité n’est pas pertinente[74].

[110]      La municipalité, quant à elle, ne peut se défendre en prétextant que son règlement se fonde sur une habilitation législative qui l'autorise expressément à adopter le type de règlement qui est en cause[75].

[111]      Le fardeau de prouver une expropriation déguisée au sens de la jurisprudence repose sur les demandeurs. Ils doivent établir que la restriction concernant la densité habitable de leurs terrains a pour effet de supprimer toute utilisation raisonnable de leur propriété, pour avoir droit à une indemnité pour expropriation déguisée[76]. Or, lorsque l’instance est scindée comme elle l’est ici, il n’y a qu’à décider de la question de l’expropriation déguisée et non du montant de ladite indemnité.

[112]      Tout comme dans l’affaire Deragon[77] et bien d’autres[78], il existe ici un recours subsidiaire en invalidité des règlements municipaux en cause. Effectivement, même si l'invalidité des règlements n’est pas un critère de l'expropriation déguisée, s’il existe un motif d'invalidité, le titulaire du droit de propriété peut s'en prévaloir, et c’est ce que les demandeurs font ici[79].

5.3        Analyse

[113]      Avant l'entrée en vigueur des modifications réglementaires de 2016, les terrains des demandeurs étaient compris dans une zone résidentielle, présentant néanmoins certaines restrictions relativement à la réalisation de projets de développement. À ce moment, les demandeurs tentent de développer leurs terrains. La preuve montre qu’ils abandonnent leur projet de développement quand il devient nécessaire de présenter un plan d’ensemble. Plusieurs années passent avant qu'ils ne recourent aux tribunaux.

[114]      Depuis l’adoption de la nouvelle règlementation en 2016, la nouvelle zone N-03-63 fait partie intégrante d'un « territoire d'intérêt faunique et floristique » portant le nom de « Corridor vert de Châteauguay-Léry », dont les usages et normes autorisés par la Ville sont prévus clairement à la grille des normes et usages applicable. Il s’agit d’usages de types a) parc, terrain de jeux, de sports et de loisirs; b) conservation; ou c) habitation unifamiliale.

[115]      Selon les demandeurs, le règlement de zonage et la Grille restreignent tellement les possibilités d’usage résidentiel des terrains qu’ils ne peuvent ni utiliser ni développer leurs terrains et sont contraints, sans être compensés, de conserver ceux-ci à l'état naturel ou de les rendre disponibles pour des usages à caractère public au bénéfice de la collectivité́.

[116]      Les prétentions des demandeurs à cet égard doivent être rejetées. Les usages permis par la règlementation de 2016 de Léry étaient suffisants pour permettre une utilisation raisonnable des terrains. Il n’y a eu ni confiscation des terrains, ni négation absolue de l’exercice du droit de propriété des demandeurs[80] par suite de l’adoption de la Règlementation de 2016, puisqu’un usage raisonnable – quoique restreint – des terrains est toujours possible.

[117]      Le Règlement 170 et la Règlementation de 2016, tels que modifiés par le Règlement 215 et la Règlementation de 2021 autorisent trois options de développement :

1)       La construction de résidences unifamiliales sur des lots d’une superficie minimale de 10 000 m², pour une densité maximale de 0,5 log./ha[81];

2)       L’ouverture d’une rue et la construction de plusieurs résidences sur 45% d’un terrain, pour une densité maximale de 2 log./ha, sous réserve du dépôt d’un PIIA à la Ville[82]; et

3)       La construction à plus grande densité, pour un maximum de 14 log./ha sur 30% du ou des terrains, sous réserve du dépôt d’un PIIA à la Ville[83].

[118]      À titre de rappel, le Règlement sur les PIIA est un outil discrétionnaire qui permet « d’apprécier, au mérite, la démonstration faite par le requérant éventuel d’un projet, de l’atteinte des objectifs et critères établis au PIIA pour à la fois, assurer une utilisation raisonnable du site et la protection attendue du milieu naturel »[84]. L’article 35 du Règlement sur les PIIA indique clairement que l’objectif de la Ville est de protéger le corridor vert et ses composantes écologiques tout en permettant aux propriétaires un « usage raisonnable » de leurs terrains par l’évaluation des projets écologiques, appuyée par des expertises gouvernementales.

[119]      Pour les fins du présent dossier, l’urbaniste Aubin propose dans son expertise un projet de développement potentiel résidentiel pour la parcelle des Sauvé[85]. Son objectif est comme urbaniste de concilier la possibilité de développer avec la protection des milieux naturels. Aubin suggère l’utilisation du bonus de densité, qui est un mécanisme suggéré dans le cadre du Guide pour tenter de concilier un éventuel potentiel de développement urbain dans la mesure où l'on protège les boisés. Selon Aubin, les bonus de densité font partie des mesures permises de plein droit et sont de plus en plus favorisés comme la pratique pour éviter la fragmentation des milieux en concentrant les développements et en laissant le reste au naturel.

[120]      L’exercice relatif au potentiel estimé de développement résidentiel de la parcelle C des Sauvé, tel que présenté par l’urbaniste, permet en résumé à un promoteur qui voudrait développer la parcelle de se prévaloir d’un bonus à la densité de 14 logements/hectare, comme suit :

  • Il concentre le développement (rue publique et lots) sur les lots [1] et [2] de la parcelle « C »;
  • Il représente un développement correspondant à 30% de la superficie de la parcelle « C »;
  • Il comporte une proportion de 70% exclusivement vouée à l’une des fonctions dominantes de l’affectation « Conservation-viable », soit la « conservation ». Parce que le lot 5 140 625 est enclavé, il est consacré à cette fin[86].

[121]      Le schéma qui suit illustre la manière dont l’experte a imaginé le projet hypothétique de développement en date du 20 juillet 2021, le tout conformément à la Règlementation de 2016 :

[122]      Cette proposition permet de construire sur la parcelle C 30 logements, dont 18 unités unifamiliales isolées, desservies par une rue de 300 mètres traversant le développement. Il s’agit d’une option qui privilégie l’option du 14 logements à l’hectare en bonus densité.

[123]      L’urbaniste Aubin revoit sa proposition de développement de la parcelle C à la lumière de la Règlementation de 2021 et du règlement du litige avec madame Burdon, et propose un nouveau projet hypothétique daté du 14 août 2023 (déposé comme Annexe 8 de son Rapport). Ce projet permet de développer trois grappes de logements d’une densité totale brute de 13,4 logements par hectare, pour un total de 20 logements de type unifamilial contigu, sur 30% de la superficie totale.  Ce projet raccourcit la rue qui traverse le projet à 250 mètres, en outre pour respecter la règlementation et parce que le lot Burdon ne peut plus être alloué pour fins de conservation. Cette rue se rend jusqu’au boulevard de Léry et aura besoin d’être approuvée sur le plan municipal pour être réalisée, bien sûr. De plus, on y prévoit une aire pour fins de parc de 10% de la zone conservation, laquelle représente 70% de la parcelle.

[124]      L’image qui suit représente le projet proposé par l’urbaniste Aubin en août 2023:

 

 

[125]      Selon l’urbaniste Aubin, cet exercice de développement hypothétique appuie l’argument voulant que le nouveau cadre règlementaire mis en place par la Ville et issu de celui de la MRC permet une utilisation « raisonnable » du site, malgré les contraintes liées à la protection de ce milieu naturel[87]. Selon elle, le développement suggéré est un usage possible de la parcelle C, même s’il existe certaines entraves découlant de la nécessité d’obtenir des certificats d’autorisation de divers ministères ou organismes concernés, lesquelles « ne relèvent pas des conditions réglementaires mises en place par la Ville de Léry et la MRC de Roussillon.[88]»

[126]      Notre cour a examiné dans 119390 Canada inc. c. Ville de Châteauguay[89], laquelle décision fut confirmée en appel il y a quelques jours[90], un règlement municipal adopté en concordance avec les articles 27 et 82 du Règlement 170 de la MRC qui prescrivent des restrictions à la densité résidentielle. Cette règlementation prévoyait que le seuil de densité maximal était de 0,5 logements par hectare, que les lots devaient avoir une superficie maximale de 45 000 mètres carrés et que tout développement résidentiel était assujetti à l’approbation d’un PAE par la Ville de Châteauguay[91]. Quoique le règlement contesté puisse restreindre les possibilités de développement, le juge Jolin statue néanmoins qu’il ne constitue pas une véritable confiscation ou suppression du droit de propriété[92]. Le juge raisonne que la condition d’utilisation raisonnable doit s’apprécier « non seulement par rapport à l’utilisation optimale de l’immeuble, mais aussi compte tenu de la nature de l’immeuble et, le cas échéant, des diverses utilisations raisonnables dont il a effectivement fait l’objet »[93].

[127]      Ici, les demandeurs possèdent des terrains enclavés et non desservis dont les usages sont fondamentalement restreints. Depuis leur idée de projet avortée de 2012 et le mandat donné à l’arpenteur en 2014[94], aucune autre démarche n’a été faite auprès de la Ville ou de la MRC pour développer un projet résidentiel. Cela était justifié, à mon avis et comme indiqué ci-haut, par les représentations de la Ville selon lesquelles les terrains pourraient être achetés à partir de fonds verts. Or, comme l’explique Stewart au procès, aucun projet de développement dans la zone en cause n’a été approuvé par la Ville considérant l’absence de services publics sur les terrains.

[128]      Les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils ont été privés de tout usage raisonnable de leurs terrains du fait de la Règlementation de 2016 et 2021. Au contraire, la preuve de l’experte urbaniste démontre qu’il existe au moins une possibilité – tout à fait plausible –de développement résidentiel de faible densité aux termes de la règlementation. Il est vrai que certaines autorisations devront être obtenues dans la réalisation de ce projet hypothétique, mais cela n’empêche pas la possibilité d’y voir un « usage raisonnable », comme cela a été le cas dans 9263-7552 Québec inc. c. Procureur général du Québec[95]. À tout évènement, les demandeurs n’ont pas droit d’invoquer une « utilisation maximale » de leur terrain comme justification à une réclamation pour expropriation déguisée[96].

[129]      Le fait pour les demandeurs d’avoir négligé d’exploiter la possibilité d’une demande de PAE, laquelle aurait permis à la Ville d’autoriser un projet non conforme aux usages prescrits dans le respect de son plan global de développement, nuit à l’argument d’expropriation déguisée[97]. Les demandeurs n’ayant jamais tenté de présenter un projet de développement concret et conforme à la règlementation en vigueur, et ne s’étant jamais vu essuyer un refus de manière injustifiée par la Ville, il est difficile de conclure qu’aucun usage « raisonnable » des terrains n'existe.

[130]      La proposition de développement de l’urbaniste Aubin montre un usage raisonnable de la parcelle C, utilisant 30% des terrains pour construire une rue et 20 unités de logement, et en affectant 70% de la parcelle à un usage de conservation, pour respecter la règlementation applicable[98]. À titre comparatif, le projet de lotissement des demandeurs de 2012 prévoyait l’aménagement de 7 résidences unifamiliales isolées. Par ailleurs, le Plan d’urbanisme (P-3) dispose que la densité sur l’ensemble du territoire de la Ville est de 4 logements par hectare. Cette faible densité peut être favorablement comparée à la densité brute du projet proposé en Annexe 8 de 13.4 logements par hectare, montrant le caractère raisonnable de l’usage proposé par Aubin sur le plan de la densité habitable.

[131]      Or, il faut bien remarquer que considérant la situation enclavée et non desservie des terrains en cause, il faudra pour tout projet de développement résidentiel obtenir un droit de passage à travers la voie ferrée pour y construire une rue, et y construire en plus un égout, un aqueduc et des dépendances.  Des autorisations seront également requises en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement pour établir ces systèmes de gestion des eaux pluviales, d’égout et d’aqueduc, de même que pour réaliser des travaux de construction dans un ou des milieux humides. Ces démarches supplémentaires découlent des caractéristiques propres aux terrains et non de la règlementation contestée.

[132]      Le fait que, dans le développement d’un projet éventuel, les demandeurs puissent avoir à surmonter des défis économiques et des coûts prohibitifs, ou encore qu’ils aient à effectuer des demandes de permission discrétionnaire pour permettre d’avoir des services sur les terrains en cause, ne rend pas la règlementation prohibitive.

[133]      Finalement, la prépondérance de la preuve ne soutient pas une « impossibilité d’utilisation raisonnable » pour les terrains des demandeurs. Le projet proposé par Aubin m’apparaît réaliste, raisonnable et conforme à la règlementation applicable. Il n’y a donc pas d’expropriation déguisée. Cette conclusion entraîne donc le rejet de l’intervention forcée simple modifiée contre le Procureur général du Québec.

6.             TROISIÈME QUESTION EN LITIGE : LE POURVOI EN CONTRÔLE JUDICIAIRE DES DEMANDEURS EST-IL FONDÉ?

[134]      Je suis d’avis que ni les faits ni la preuve ne fondent le pourvoi en contrôle judiciaire subsidiaire des demandeurs, pour les raisons qui suivent.

6.1        Faits pertinents à la question en litige

[135]      Les demandeurs recherchent des conclusions subsidiaires en nullité, inopposabilité et inopérabilité des règlementations de 2016 et 2021. Précisément, ils demandent de déclarer la Règlementation de 2016, telle que modifiée en 2021, inopposable, nulle et inopérante à leur égard ainsi qu’à celui de leurs terrains situés dans la zone N03-63 du plan de zonage de la Ville.

6.2        Principes juridiques applicables : la norme de contrôle

[136]      La Cour supérieure a le pouvoir de contrôler la légalité (et non l’opportunité[99]) des actes de l’administration, y compris des municipalités. Elle peut prononcer la nullité d’un règlement ultra vires des pouvoirs conférés par la loi habilitante. De plus, elle interviendra si l’acte est adopté de mauvaise foi, dans le but de nuire ou pour d’autres fins impropres, de façon discriminatoire ou pour des considérations non pertinentes. L’appréciation par la Cour du caractère raisonnable du règlement se fait en fonction de la norme de la raisonnabilité[100]. D’ailleurs, un règlement peut aussi être attaqué s’il se trouve à appliquer des normes non justifiées par les faits[101].

[137]      La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov enseigne que la norme de la décision raisonnable implique de s’attarder au raisonnement suivi et au résultat de la décision contestée, afin de déterminer si cette décision est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »[102].

[138]      Lorsqu’il s’agit de réviser le caractère raisonnable d’un règlement municipal, la Cour suprême explique dans Catalyst Paper qu’il faut considérer la grande variété de facteurs dont les élus peuvent tenir compte dans l’adoption de règlements[103]. Elle impose le critère applicable suivant : « le règlement ne sera annulé que s’il s’agit d’un règlement qui n’aurait pu être adopté par un organisme raisonnable tenant compte de ces facteurs »[104]. Même si on doit faire preuve de grande retenue envers les conseils municipaux, cela ne veut pas dire qu’ils ont carte blanche dans l’exercice de leurs pouvoirs[105]. Il en reste que les règlements municipaux doivent être conformes à la nature et aux objectifs des corpus législatif et normatif applicables[106].

6.3        Analyse

[139]      Dans leur Demande introductive d’instance modifiée, les demandeurs allèguent que la modification de 2021 au schéma d’aménagement et de développement de la MRC voulait faire échec à la réclamation des demandeurs ainsi qu’à celle des autres résidents et propriétaires fonciers du Corridor, de telle sorte à assouplir les restrictions imposées par la Règlementation de 2016. Selon eux, l’objectif à long terme de la MRC était de protéger les deniers publics et de conserver le boisé. Selon les demandeurs, la Règlementation de 2021 a pour effet de « limiter abusivement la densité de construction et la superficie des terrains de la zone N03-63 pouvant être affectée à un usage autre que conservation, soit un usage de nature publique. » 

[140]      Plus encore, selon les demandeurs, le but des règlementations de 2021 et 2016 était de conserver le boisé à son état naturel pour éviter le développement des terrains, qu’un niveau de densité résidentiel de 0,5 logement par hectare est « manifestement abusif » et que les autres options pour augmenter la densité ont pour condition la cession à titre gratuit de 55 à 70% de la superficie des terrains. Enfin, ils soutiennent que le fait d’adopter une modification règlementaire pour faire échec à des procédures judiciaires constitue une décision déraisonnable, arbitraire et prise à des fins impropres.

[141]      Le présent recours est de la nature d’un pourvoi en contrôle judiciaire visé par l’article 529, C.p.c. Cet article dispose, en son troisième alinéa, que le pourvoi doit être signifié dans un délai « raisonnable » à partir de l'acte ou du fait qui lui donne ouverture. Même s’il est possible que le recours n’ait pas été signifié dans un délai considéré raisonnable[107], même en poussant l’analyse plus loin, je ne puis conclure à la non-opérabilité, à l’inopposabilité ou encore à la nullité des règlementations de 2016 ou 2021.

[142]      D’abord, tel qu’énoncé, la preuve ne permet pas de conclure que, par ses agissements, les défenderesses ont empêché les demandeurs de développer leurs terrains de telle sorte à exproprier leurs terrains de façon déguisée. Ensuite, malgré les tentatives des demandeurs de mettre en preuve des intentions cachées des défenderesses dans l’adoption de règlements municipaux plus restrictifs, je ne puis conclure que ces règlements sont le fruit d’un comportement empreint de mauvaise foi. À plusieurs reprises en contre-interrogatoire, Stewart a témoigné que la Ville n’avait pas restreint la règlementation municipale dans l’intention d’établir un parc régional, à sa connaissance.

[143]      Il appert de l’historique règlementaire énoncé ci-haut, également expliqué par l’urbaniste Aubin, que la vocation de conservation est au cœur de toute la structure règlementaire en cause, dans un esprit de protection de l’environnement dans le Corridor. Les municipalités ont l’obligation de préciser dans leurs plans et règlements les fonctions qui seront autorisées à l’intérieur de l’aire d’affectation « conservation-viable ». Les municipalités qui souhaitent permettre certaines constructions et usages résidentiels doivent prescrire, à l’intérieur de leurs règlements d’urbanisme, une densité résidentielle brute maximale de 0.5 logement à l’hectare pour l’ensemble de l’aire d’affectation. De même, la règlementation permet à une municipalité de planifier plus précisément la superficie de l’aire d’affectation par le biais d’adoption d’un PAE qui doit permettre une densité résidentielle brute maximale de logements par hectare. La Grille des usages et des normes dispose, quant à elle, une densité habitable maximale précisément pour la zone N03-63.

[144]      Je reprends ici les trois options de développement permises par le Règlement 170 et la Règlementation de 2016, tels que modifiés par le Règlement 215 et la Règlementation de 2021:

1)     La construction de résidences unifamiliales sur des lots d’une superficie minimale de 10 000 m², pour une densité maximale de 0,5 log./ha[108];

2)     L’ouverture d’une rue et la construction de plusieurs résidences sur 45% d’un terrain, pour une densité maximale de 2 log./ha, sous réserve du dépôt d’un PIIA à la Ville[109]; et

3)     La construction à plus grande densité, pour un maximum de 14 log./ha sur 30% du ou des terrains, sous réserve encore du dépôt d’un PIIA à la Ville[110].

[145]      Pour suivre la logique préconisée par le juge Jolin dans 119390 Canada inc. v. Ville de Châteauguay, une affaire similaire récemment confirmée en appel, la Ville agit dans les paramètres que la loi lui impose lorsqu’elle permet un zonage différé, protège certaines aires en les identifiant « conservation-viable», restreint la densité résidentielle, ou adopte un PAE ou un PIIA[111]. Le législateur a confié expressément aux autorités municipales la responsabilité d’assurer la protection des boisés et des milieux humides par le moyen de l’insertion, au règlement de zonage et dans un règlement sur les PAE, de normes pour régir, restreindre et augmenter (à certaines conditions) la densité résidentielle.

[146]      La règlementation attaquée s’inscrit directement dans un contexte de protection de l’environnement naturel du territoire municipal, lequel est un but légitime de l’exercice du pouvoir d’un conseil municipal[112].

[147]      La présence de boisés et de milieux humides dans le Corridor et sur les terrains en cause est l’une des considérations raisonnables que doit prendre en compte la Ville lorsqu’elle adopte sa règlementation. L’acte municipal d’adoption d’un tel cadre réglementaire rétablit l’équilibre fragile entre les intérêts privé et public, n’engendrant ni stérilisation du droit de propriété, ni appropriation des terrains, ni suppression de quelque usage raisonnable des terrains[113].

[148]      Enfin, même s’ils datent de plus de vingt ans, il y a lieu de reprendre les propos du juge Baudouin dans l’arrêt Abitibi (M.R.C.) c. Ibitiba ltée[114], lesquels sont toujours d’une grande pertinence dans ce contexte d’exploitation des boisés et milieux humides:

« La protection de l’environnement et l’adhésion à des politiques nationales est, à la fin de ce siècle, plus qu’une simple question d’initiatives privées, aussi louables soient-elles. C’est désormais une question d’ordre public. Par voie de conséquence, il est normal qu’en la matière, le législateur, protecteur de l’ensemble de la collectivité présente et future, limite, parfois même sévèrement, l’absolutisme de la propriété individuelle. Le droit de propriété est désormais de plus en plus soumis aux impératifs collectifs. C’est là une tendance inéluctable puisque, au Québec comme dans bien d’autres pays, la protection de l’environnement et la préservation de la nature ont trop longtemps été abandonnées à l’égoïsme individuel. [115]»

[149]      Enfin, le fait pour la Ville d’avoir modifié sa règlementation municipale pour répondre aux allégations faites dans le cadre des recours judiciaires institués dans les récentes années en réaction à la règlementation restrictive affectant le Corridor ne constitue pas une fin impropre du pouvoir de règlementer ou une forme de mauvaise foi[116].

[150]      Pour toutes ces raisons, la contestation de la règlementation de 2016 et 2021 n’est pas fondée.

CONCLUSION

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[151]      REJETTE la demande introductive d’instance;

[152]      REJETTE l’acte d’intervention forcée simple modifié de la Ville de Léry;

[153]      LE TOUT, avec frais, incluant les frais d’expert.

 

__________________________________CATHERINE PICHÉ, j.c.s.

Me Éric Oliver et

Me Maria Deborah Michaud

Municonseil Avocats Inc.

Pour les demandeurs

 

Me Simon Vincent

Bélanger Sauvé, s.e.n.c.r.l.

Pour les défenderesses

Me Mario Normandin

Bernard Roy (Justice Québec)

Pour le Procureur général du Québec

 

Date d’audience :

13, 14 et 15 septembre 2023

 


[1]  Il est utile de mentionner que l’une des demanderesses (Jocelyne Sauvé Poissant) est décédée après le début du processus judiciaire, et qu’une autre, Norma Burdon, a réglé à l’amiable durant les procédures. Jean-Guy David a actuellement presque 80 ans et est très malade. Ariane et Gabrielle Sauvé Poissant sont des sœurs et sont les nièces de Claude Sauvé.

[2]  Voir : https://cmm.qc.ca/wp-content/uploads/2020/06/depliant_vision2025.pdf. 

[3] Voir : https://cmm.qc.ca/planification/plan-metropolitain-damenagement-et-de-developpement-pmad/ « PMAD »).

[4]  Ibid, p. 5.

[5] Ibid, p. 5.

[6]  Ibid, p. 183.

[7]  Ibid, p. 186.

[8]  Voir, en outre, Une vision d’action commune, Cadre d’aménagement et orientations gouvernementales, région métropolitaine de Montréal, 2001-2021, publié en juin 2001 et disponible en ligne : https://www.mamh.gouv.qc.ca/fileadmin/publications/amenagement_territoire/orientations_gouvernementales/cmm_cadre_amenagement.pdf.

[9]  Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, Ch. A-19.1 : https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/A-19.1.

[10] PMAD, préc., p. 5. Voir Art. 58.1 LAU à cet effet.

[11] Ibid.

[12] L’article 53.7 LAU se lit ainsi :

« 53.7. Dans les 60 jours qui suivent la réception de la copie du règlement modifiant le plan métropolitain ou le schéma, le ministre doit donner son avis sur la conformité de la modification aux orientations gouvernementales. Dans le cas d’un règlement modificatif qui, en vertu du cinquième alinéa de l’article 5, délimite au schéma un territoire incompatible avec l’activité minière au sens de l’article 304.1.1 de la Loi sur les mines (chapitre M-13.1) ou modifie les limites d’un tel territoire, l’avis doit indiquer que la modification proposée ne respecte pas les orientations gouvernementales si le ministre a reçu du ministre des Ressources naturelles et de la Faune un avis motivé selon lequel elle ne respecte pas une orientation gouvernementale élaborée aux fins de l’établissement d’un tel territoire. L’avis du ministre des Ressources naturelles et de la Faune doit être reçu par le ministre au plus tard le trentième jour suivant celui où ce dernier lui a demandé son avis conformément à l’article 267.

Doit être motivé l’avis qui indique que la modification proposée ne respecte pas ces orientations. Le ministre peut alors, dans l’avis, demander à l’organisme compétent de remplacer le règlement.

Le ministre notifie l’avis à l’organisme compétent. Lorsque l’avis indique que la modification proposée ne respecte pas ces orientations, le ministre en transmet une copie à chaque organisme partenaire. »

[13] L’article 58 LAU se lit ainsi :

« 58. Le conseil de chaque municipalité régionale de comté ou municipalité mentionnée dans le document adopté en vertu de l’article 53.11.2 ou 53.11.4 doit, dans les six mois qui suivent l’entrée en vigueur du règlement modifiant le plan métropolitain ou le schéma, adopter tout règlement de concordance.

S’il s’agit de la modification d’un plan métropolitain, on entend par «règlement de concordance» tout règlement qui modifie un schéma applicable à une partie du territoire de la communauté métropolitaine et qui est nécessaire pour tenir compte de la modification du plan métropolitain.

S’il s’agit de la modification d’un schéma, on entend par «règlement de concordance» tout règlement qui est nécessaire pour tenir compte de la modification du schéma et par lequel une municipalité modifie son plan d’urbanisme ou par lequel elle adopte ou modifie tout règlement d’urbanisme.»

[14] Plan d’urbanisme en pièce P-3, p. 47.

[15] Voir pièce P-4, particulièrement en Section 7, p. 12-12 et suivantes.

[16] Pièce P-8.

[17] Pièce P-16.

[18] Voir Pièce P-16, articles 4.5.27.3 à 4.5.27.5.

[19] Voir Marie-Claude Aubin, Rapport d’expertise urbanistique – dans le dossier des recours en jugement déclaratoire, en nullité, en inopposabilité ou en versement d’une indemnité pour expropriation déguisée à l’encontre de la Ville de Léry et de la Municipalité régionale Comté de Roussillon, aux pp. 78-79 et p. 123-124 (le « Rapport Aubin »).

[20] Ville de Montréal c. Propriétés Bullion inc., 2017 QCCS 1187, préc., par. 9, 21, 31-35 (Requête pour permission d'appeler rejetée par 2017 QCCA 1051).

[21] Ibid., par. 9.

[22] Ibid, par. 8.

[23] Voir à ce sujet : 9295-2985 Québec inc. c. Municipalité de Lac-Simon, 2021 QCCS 457, par. 18 (« … la prise en compte de la réglementation est omniprésente dans l’analyse des questions d’urbanisme »).

[24] Ruel c. Société en commandite Rabaska, 2007 QCCS 1500, par. 30.

[25] Chambly Toyota inc. c. Ville de Carignan, AZ-97021773, tel que cité dans 9223-0812 Québec inc. c. 9245-8678 Québec inc., 2015 QCCS 748, par. 21.

[26] Succession de Lamarre c. Ville de Saint-Bruno-de-Montarville, 2019 QCCS 4250 (CanLII), par. 16 et suiv.

[27] Farias c. Federal Express Canada Corporation, 2021 QCCS 4677, par. 16.

[28] Tour des Canadiens c. Bouthillette Parizeau inc., 2021 QCCA 273, par. 13.

[29] Sable Offshore Energy Inc. c. Ameron International Corp., 2013 CSC 37 [2013] 2 R.C.S. 623, par. 12.

[30] Union Carbide Canada c. Bombardier inc., 2014 CSC 135.

[31] Ibid., par. 1.

[32] Association de médiation familiale du Québec c. Bouvier, 2021 CSC 54, par. 95-96.

[33] Procureure générale du Québec c. Groupe Hexagone, 2018 QCCA 2129, par. 94, citant Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, [2010] 2 R.C.S. 592, paragr. 81.

[34] Sable Offshore Energy Inc. c. Ameron International Corp., 2013 CSC 37 (CanLII), [2013] 2 RCS 623, par. 16, citant Middelkamp c. Fraser Valley Real Estate Board (1992), 1992 CanLII 4039 (BC CA), 71 B.C.L.R. (2d) 276 (C.A.).

[35] Sable Offshore, ibid., par 12-13. Voir aussi Lizotte c. Aviva, Compagnie d’assurance du Canada, 2016 CSC 52.

[36] Union Carbide Canada Inc. c. Bombardier Inc., 2014 CSC 35, par. 34; Sable Offshore, ibid., par. 14. Voir aussi : CHUQ – Université Laval c. Bursel inc, 2022 QCCS 1141, par. 17.

[37] Sable, ibid., par. 18.

[38] BRYANT, A. W., LEDERMAN, S. N., SOPINKA, J. and FUERST, M.-K., The Law of Evidence in Canada, 3rd ed., LexisNexis Canada, Butterworths, 2009, 1525 p., par. 14.331.

[39] Ibid.

[40] Ibid.

[41] Middelkamp , préc., par. 19-20 (“In my judgment this privilege protects documents and communications created for such purposes both from production to other parties to the negotiations and to strangers, and extends as well to admissibility, and whether or not a settlement is reached. This is because, as I have said, a party communicating a proposal related to settlement, or responding to one, usually has no control over what the other side may do with such documents. Without such protection, the public interest in encouraging settlements will not be served.”)

[42] Bryant et al., préc., par. 14.335.

[43] Union Carbide, préc., par. 35.

[44] Sable Offshore, préc., par. 30.

[45] Hilborn c. De Koven, EYB 2021-370414, 2021 QCCA 58, par. 38, citant : R. v. O'Brien, [1978] 1 SCR 591; Beaulne c. Valeurs mobilières Desjardins inc., 2013 QCCA 1082, EYB 2013-223277, paragr. 14.

[46] Voir, en outre, les paragraphes 48 et 49 du Plan d’argumentation écrit des défenderesses.

[47] Demande introductive modifiée, par. 27.

[48] Habitations Germat inc. c. Ville de Lorraine, 2018 QCCS 5781, par. 40 Habitations Germat, C.S. »); appel rejeté 2021 QCCA 167 Habitations Germat, C.A.). Les enseignements du jugement du juge Sansfaçon sur la prescription sont repris dans Municipalité d'East Broughton c. Cour du Québec, division des petites créances, 2021 QCCS 5091, par. 51-52.

[49] Ibid, Habitations Germat, C.S., par. 47.

[50] Habitations Germat, C.A., par. 28-29.

[51] Ibid.

[52] Ibid.

[53] Interrogatoire au préalable de monsieur Claude Sauvé du 18 décembre 2020, p. 23, 28 et 29.

[54] Voir Pièce P-11.

[55] Voir lettre de la Ville datée du 26 avril 2012 en Pièce P-20. De plus, comme l’explique la Ville :

« […] le règlement #2004-375 sur les ententes relatives à des travaux municipaux stipule que la délivrance d’un permis de lotissement dans les zones d’application, dont fait partie la zone H02-18, doit être assujettie à la conclusion d’une entente entre le requérant et la Ville de Léry. Tel qu’indiqué à l’article 7 du règlement 32004-375 ci-joint, une série d’étapes doivent être franchies avant la signature d’une telle entente.

Aussi, le règlement de lotissement #93-288 de la Ville de Léry stipule que « la longueur maximale d’une rue de type « cul-de-sac » est établie à cent dix mètres (110 m) mesurée jusqu’au cercle de virage; un cul-de-sac doit se terminer par un îlot de rebroussement ou un cercle de virage dont le rayon extérieur ne peut être inférieur à quinze mètres (15m). » Selon votre projet de lotissement joint à votre demande, la rue proposée aurait une longueur de 444,63 mètres. Par […] » [Pièce incomplète].

[56] La Grille est reproduite en Figure 13 du Rapport Aubin ainsi qu’en Pièce P-13

[57] Rapport Aubin, p. 45.

[58] Ibid., p. 45.

[59] Rapport Aubin, ibid., p. 47.

[60] De plus, l’article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne dispose que « [t]oute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.»

[61] Loi sur les cités et villes, RLRQ c. C-19, art. 570.

[62] Loi sur l'expropriation, RLRQ c. E-24, art. 35 et suiv. Le titulaire du droit de propriété peut réclamer une indemnité, comme s'il avait fait l'objet d'une expropriation en bonne et due forme selon la procédure prescrite. Le propriétaire devra conséquemment offrir son titre de propriété, en échange de l’indemnité.

[63] Lorraine (Ville) c. 26468926 Québec inc., 2018 CSC 35 (CanLII), [2018] 2 RCS 577, par. 1 (ci-après «Lorraine»).

[64] Voir : Deragon c. Ville de Mont-Saint-Hilaire, EYB 2023-530953, 2023 QCCS 3335 (ci-après, « Deragon »); Habitations Germat C.S., préc., par. 18; Lorraine, ibid., par. 23; Ville de Saint-Rémi c. 9120-4883 Québec inc., 2021 QCCA 630, EYB 2021-384311, par. 25; Sommet Prestige Canada inc. c. Ville de Saint-Bruno-de-Montarville, 2023 QCCS 676, EYB 2023-517774, par. 57, Ville de Saint-Bruno-de-Montarville c. Sommet Prestige Canada inc., 2023 QCCA 1131; Spénard c. Salaberry-de-Valleyfield (Cité de), [1983] C.S. 725 (décision où il est question de l'article 407 du Code civil du Bas-Canada, qui correspond à l'article 952 C.c.Q.).

[65] Lorraine, préc., par. 2.

[66] Ibid.

[67] Corporation municipale de Wendover-et-Simpson c. Filion, [1992] R.D.I. 267 (C.A.), p. 268.

[68] Deragon, préc., par. 56. Voir aussi plus récemment Robitaille c. Ville de Sorel-Tracy, 2022 QCCA 773, par. 20 (« L’adoption d’un règlement de zonage ayant pour effet d’empêcher tout usage raisonnable d’un terrain peut, certes, conférer à celui qui en est alors propriétaire le droit d’être indemnisé, mais il s’agit là d’un droit personnel et non d’un droit réel. »). Sur le test du caractère « raisonnable » de l’usage, voir : Annapolis Group Inc. c. Municipalité régionale d’Halifax, 2022 CSC 36, citant : Dupras c. Ville de Mascouche, 2022 QCCA 350, par. 27 (CanLII); requête pour permission d’en appeler devant la Cour suprême du Canada rejetée (29 septembre 2022), CSC no 40161, 2022 CanLII 88678 (CSC) (ci-après, « Dupras »); voir aussi Wallot c. Québec (Ville), 2011 QCCA 1165, 24 Admin. L.R. (5th) 306, par. 42; Municipalité de SaintColomban c. Boutique de golf Gilles Gareau inc., 2019 QCCA 1402, 7 R.P.R. (6th) 16, par. 64; Meadowbrook Groupe Pacific inc. c. Ville de Montréal, 2019 QCCA 2037, par. 29 (CanLII); Ville de Québec c. Rivard, 2020 QCCA 146, 98 M.P.L.R. (5th) 9, par. 64; Ville de SaintRémi c. 91204883 Québec inc., 2021 QCCA 630, par. 25 (CanLII)

[69] Deragon, préc., par. 57.

[70] Ibid., par. 59. Voir aussi Robitaille c. Ville de Sorel-Tracy, 2022 QCCA 773, par. 20 (« L’adoption d’un règlement de zonage ayant pour effet d’empêcher tout usage raisonnable d’un terrain peut, certes, conférer à celui qui en est alors propriétaire le droit d’être indemnisé, mais il s’agit là d’un droit personnel et non d’un droit réel. »).

[71] Deragon, ibid, par. 62.

[72] Dupras, préc., par. 27.

[73] Ibid.

[74] Ibid, par. 29.

[75] Deragon, préc, par. 61, citant notamment Dupras, préc. par. 38.

[76] Anapolis, préc., par .53.

[77] Deragon, préc.

[78] Voir notamment Dupras, préc.

[79] D’ailleurs, si je leur donnais raison sur ce point, ce que je ne ferai pas, la nullité des règlements municipaux aurait pour effet de faire disparaître la restriction dont ils se plaignent pour l’avenir.

[80] Dupras, préc., par. 27.

[81] Voir la Grille des usages et des normes applicable à la zone N03-63.

[82] Voir l’article 911 du Règlement de zonage et l’article 37 du Règlement sur les PIIA introduits par la Réglementation de 2021.

[83] Voir article 37 du Règlement sur les PIIA.

[84] Rapport Aubin, p. 96.

[85] Rapport Aubin, p. 100ss.

[86] Rapport Aubin, p. 115.

[87] Rapport Aubin, p. 120.

[88] Ibid.

[89] 119390 Canada inc. c. Ville de Châteauguay, 2022 QCCS 1131

[90] 119390 Canada inc. c. Ville de Châteauguay, 2023 QCCA 1203 (pourvoi seulement sur certains aspects du jugement du juge Jolin).

[91] Ibid., par. 287.

[92] 2022 QCCS 1131, par. 282-286.

[93] Ibid, par. 263.

[94] Un plan d’ensemble émanant de monsieur Sauvé a voulu être déposé par les demandeurs très tardivement au procès. Les défenderesses se sont objectées à son dépôt et l’objection a été prise sous réserve. Je considère ne pas avoir besoin de cette preuve puisque le témoignage de Sauvé quant au mandat donné me suffit. Considérant le fait que la pièce n’a pas été produite conformément au Code et dans les délais pour permettre son analyse et une contre-preuve, le cas échéant, je maintiens l’objection à sa production.

[95] 9263-7552 Québec inc. c. Procureur général du Québec, 2023 QCCS 1392.

[96] 2023 QCCS 1392, par. 153.

[97] Voir Exploitation agricole et forestière des Laurentides inc. c. Mont-Tremblant (Ville de), 2015 QCCS 1930, par. 71 et 72.

[98] Rapport Aubin, Annexe 8.

[99] Sainte-Anne-des-Plaines (Ville) c. Dickie, 2000 CanLII 22314 (QC CA), par. 16 et 17.

[100] Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 18; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, par. 82 et 292; Ville de Québec c. Galy, 2020 QCCA 1130, par. 44 à 46. Voir aussi : Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21, par. 79 (« L’arrêt Vavilov indique clairement que la cour de révision doit commencer son analyse à partir des motifs du décideur administratif; prendre comme point de départ sa propre perception du fond de l’affaire risque d’amener la cour de révision à glisser vers un contrôle selon la norme de la décision correcte. »).

[101] Deragon, préc., par. 75.

[102] Vavilov, préc., par. 85.

[103] Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2; voir également Wallot c. Québec (Ville de), 2011 QCCA 1165.

[104] Ibid, par. 24.

[105] Ibid.

[106] Ibid, par. 25.

[107] Sur la notion de délai raisonnable, voir : 6660 Canada ltée c. 7505493 Canada inc., 2019 QCCS 2235, par. 95 et ss.; Permission d’en appeler refusée : 96660 Canada ltée c. 7505493 Canada inc., 2019 QCCA 1610. Voir aussi : Corporation municipale de Wendover & Simpson c. Filion, [1992] R.D.J. 531, par. 21, 23 et 24.

[108] Voir la Grille des usages et des normes applicable à la zone N03-63.

[109] Voir l’article 911 du Règlement de zonage et l’article 37 du Règlement sur les PIIA introduits par la Réglementation de 2021.

[110] Voir article 37 du Règlement sur les PIIA.

[111] Châteauguay, préc., par. 294-95.

[112] Ibid, par. 301, citant en outre Entreprises Sibeca inc. c. Frelighsburg (Municipalité), 2004 CSC 61, par. 38 (la Cour suprême y décide que la protection de l’environnement naturel du territoire municipal ne peut constituer un but illégitime pour un conseil municipal) et 9034-8822 Québec inc. c. Sutton (Ville de), 2010 QCCA 858, par. 50.

[113] Ibid, par. 302.

[114] Abitibi (M.R.C.) c. Ibitiba ltée, 1993 CanLII 3768 (QC CA), [1993] R.J.Q. 1061 (C.A.).

[115] Ibid, p. 1066-1067.

[116] Gestion Trempe inc. c. Ville de Brossard, 2023 QCCS 2612, par. 68 (« (…) le Tribunal ne voit aucune fin impropre dans le fait, pour l’autorité réservante, de prendre acte d’une contestation judiciaire et d’agir en conséquence. »); rejet de la permission d’en appeler : Gestion Trempe inc. c. Ville de Brossard, 2023 QCCA 1168.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.