[1] La requérante DuProprio inc. demande la permission de faire appel d’un jugement de la Cour supérieure du Québec, district de Montréal (l’honorable Marie-Claude Armstrong), rendu le 12 avril 2016, autorisant l’exercice d’une action collective en lien avec des publicités et commentaires faits à propos des services offerts par les courtiers immobiliers et des frais qui sont associés à ces services;
[2] Pour les motifs du juge Chamberland, auxquels souscrivent les juges Morin et Bélanger, LA COUR :
[3] REJETTE la requête, avec les frais de justice contre la requérante.
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MOTIFS DU JUGE CHAMBERLAND |
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[4] Le 12 avril 2016, la Cour supérieure (l’honorable Marie-Claude Armstrong) autorise l’exercice d’une action collective contre la requérante DuProprio inc. (DuProprio) en lien avec des publicités et commentaires faits à propos des services offerts par les courtiers immobiliers et des frais qui sont associés à ces services.
[5] La requête pour permission de faire appel d’un jugement entendue en même temps que cinq autres requêtes au même effet, trois formées à la suite d’un jugement prononcé le 24 février 2016 autorisant l’exercice d’une action collective relativement à une éclosion de légionellose dans la région de Québec entre les mois de juillet et octobre 2012 (200-09-009238-160, 200-09-009241-164 et 200-09-009247-161) (le dossier Allen) et deux, à la suite d’un jugement prononcé le 31 mars 2016 autorisant l’exercice d’une action collective en lien avec la présence et l’exploitation d’éoliennes dans la parc éolien des Moulins, Phase I (200-09-009270-163 et 200-09-009273-167).
[6] Toutes ces requêtes soulèvent les deux mêmes questions :
a) la formulation du test applicable au droit de faire appel d’un jugement autorisant l’exercice d’une action collective prévue a l’article 578 n.C.p.c.;
b) le sort des requêtes pour permission de faire appel.
[7] Suivant l’arrêt de la Cour dans le dossier Allen, le test est le suivant : le juge d’appel accordera la permission de faire appel du jugement autorisant l’exercice d’une action collective lorsque ce jugement lui paraîtra comporter à sa face même une erreur déterminante concernant l’interprétation des conditions d’exercice de l’action collective ou l’appréciation de la preuve relative à ces conditions, ou encore, lorsqu’il s’agit d’un cas flagrant d’incompétence de la Cour supérieure.
[8] Il reste maintenant à examiner chacune des requêtes pour permission de faire appel et décider de leur sort à la lumière du test retenu et des circonstances propres à chacune des requérantes.
[9] L’action collective entreprise par l’intimée vise à faire cesser l’utilisation par la requérante d’instruments publicitaires qui seraient faux, trompeurs ou dénigrants à l’égard des services offerts par les courtiers immobiliers et des frais qui sont associés à ces services.
[10] L’intimée est un organisme sans but lucratif qui regroupe la quasi-totalité des détenteurs de permis de courtage immobilier du Québec, ainsi que 1085 agences immobilières.
[11] La juge de première instance rappelle tout d’abord les principes applicables à l’autorisation d’une action collective, avant d’énoncer les faits que l’intimée allègue au soutien de sa requête.
[12]
Quant au premier critère de l’article 575 n.C.p.c.
(« questions de droit ou de fait identiques, similaires ou
connexes »), et bien que la requérante n’ait soulevé aucune contestation à
cet égard, la juge conclut qu’il est satisfait. Il s’agit de déterminer si la
publicité reprochée à la requérante viole une loi ou constitue une faute au
sens de l’article
[13] Quant au second critère de l’article 575 n.C.p.c. (« les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées »), la juge estime que les allégations de la requête sont à prime abord sérieuses; elles s’appuient sur des éléments factuels clairement identifiés et documentés quant à la faute et sur les affirmations de la personne désignée (en l’occurrence, M. Patrick Juanéda) quant au préjudice, tant sur une base individuelle que collective.
[14] La nature du préjudice allégué par la personne désignée et pour les membres du groupe lui paraît suffisante au stade de l’autorisation. Par ailleurs, comme ce ne sont pas des dommages qui sont demandés, mais bien une ordonnance pour que cessent la publicité et les commentaires faux, trompeurs ou dénigrants, la juge souligne qu’il reviendra au juge du procès d’évaluer si un préjudice a été démontré de manière probante au moment de vérifier si les critères justifiant une injonction permanente sont satisfaits.
[15] La juge conclut que l’action collective proposée ne constitue pas « une demande insoutenable » et que les faits reprochés à la requérante, s’ils constituent une faute « après l’examen au mérite », paraissent justifier les conclusions recherchées (paragr. 53 et 54).
[16] À ce sujet, la juge de première instance estime, après analyse de la question, que rien ne s’oppose à ce que l’action collective - comme c’est le cas ici - ne recherche que des conclusions de nature injonctive.
[17] La juge conclut également qu’il ne saurait être question de refuser, au nom du principe de la proportionnalité, d’autoriser une action collective qui satisfait par ailleurs aux critères de l’article 575 n.C.p.c. Il ne saurait s’agir d’une cinquième exigence s’ajoutant aux critères d’autorisation prévus à l’article 575 n.C.p.c.
[18] Quant au troisième critère de l’article 575 n.C.p.c. (« la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui ou sur la jonction d’instance »), la juge rejette l’argument de la requérante voulant que l’action individuelle soit ici plus appropriée que l’action collective. Au contraire, vu les circonstances, elle estime préférable de procéder par action collective « pour justement éviter à DuProprio d’avoir à se défendre à des actions individuelles multiples, le cas échéant » (paragr. 110).
[19] Finalement, le fait que la demande s’inscrive dans un contexte de concurrence commerciale entre les parties ne justifie pas le refus d’autoriser l’action collective si, comme elle le croit, les critères prévus à l’article 575 n.C.p.c. sont par ailleurs satisfaits. Il reviendra à l’intimée de démontrer, par preuve prépondérante, les éléments justifiant l’octroi des conclusions recherchées pour que cesse, par injonction, la commission de la faute alléguée.
[20] La requérante invoque trois moyens au soutien de sa requête pour permission de faire appel. Je les résume.
[21] Premièrement, la juge de première instance a erré en concluant que l’action collective purement injonctive (dont le seul but est de faire cesser l’utilisation de certains outils promotionnels) satisfait au troisième critère de l’article 575 n.C.p.c. Un recours individuel, entamé par un seul courtier ou un groupe de courtiers, permettrait d’arriver aux mêmes fins, plus rapidement et à moindres coûts. Deuxièmement, la juge a erré en droit et en fait dans l’appréciation de la suffisance des allégations au soutien du préjudice prétendument causé à la réputation des courtiers par sa publicité. La requérante soutient que la juge a erronément déféré la démonstration prima facie du préjudice au juge du procès. Troisièmement, la juge a erré en droit et en fait dans son analyse de la suffisance des allégations au soutien du lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice prétendument causé à la réputation des courtiers.
[22] Je traiterai tout d’abord des deux derniers moyens d’appel, ceux relatifs à l’analyse des allégations au soutien du préjudice causé aux courtiers immobiliers et du lien de causalité entre le préjudice et la faute alléguée.
[23] La requérante ne me convainc pas d’une faiblesse apparente dans l’appréciation de cette preuve de la part de la juge de première instance. Il me semble inexact de soutenir que la juge a déféré la démonstration prima facie du préjudice prétendument subi, au juge saisi du fond de l’affaire. La juge a correctement appliqué le critère du citoyen ordinaire à son évaluation du préjudice résultant de la publicité prétendument fausse, trompeuse et dénigrante faite par la requérante. Elle a retenu les affirmations de la personne désignée, M. Patrick Juanéda, quant au préjudice allégué et ce, tant sur une base individuelle que collective. Et elle a conclu que l’action proposée par l’intimée ne constituait pas « une demande insoutenable » (paragr. 53).
[24] La juge a poursuivi son raisonnement en précisant qu’il reviendra ultimement au juge saisi du fond de l’affaire d’évaluer si le préjudice, individuel et collectif, a été démontré de manière probante et de vérifier si les critères permettant de prononcer une injonction permanente à l’encontre de la requérante sont satisfaits.
[25]
Je passe maintenant au premier moyen d’appel, « la juge de première
instance a erré en concluant que l’action collective purement injonctive, dont
le seul but est de faire cesser l’utilisation de certains outils promotionnels
par DuProprio, satisfait au troisième critère de l’article
[26] Sur ce point, la juge de première instance s’appuie sur l’arrêt Citoyens pour une qualité de vie/Citizens for a Quality of Life c. Aéroports de Montréal[1], arrêt dans lequel la juge Otis conclut que le juge de première instance a erré en refusant, au stade de l’autorisation, de permettre le recours en injonction pour faire cesser les troubles de bon voisinage[2]. Le juge Pelletier souscrit à cette conclusion[3], mais estime, contrairement à sa collègue de la formation, que la décision du juge de ne pas redéfinir le groupe est suffisamment motivée et qu’il n’y a pas de matière à intervention. Le juge Hilton souscrit à cette conclusion, et l’appel est rejeté.
[27] La requérante souligne par ailleurs que la Cour et la Cour suprême du Canada[4] ont maintes fois conclu à l’incompatibilité de l’action collective avec une demande en annulation d’un règlement municipal. En effet, l’action collective serait inutile puisque une action individuelle en annulation du règlement municipal permettrait d’atteindre le même résultat. Si le tribunal conclut à la nullité du règlement municipal, la conclusion ne profite pas seulement à la partie qui a exercé le recours, elle vaut aussi à l’égard de tous les contribuables.
[28] La requérante soutient que la même conclusion s’impose en cas de démarche purement injonctive (sans aucune conclusion en dommages).
[29] Le véhicule procédural de l’action collective ne serait pas approprié.
[30] À mon avis, l’argument de la requérante est voué à un échec certain.
[31] Je ne vois pas ce qui justifierait l’interdiction, au stade de l’autorisation, du recours en l’injonction pour mettre fin à de la publicité déloyale, tout comme pour contrer les troubles de voisinage. L’injonction est une voie de redressement efficace pour résoudre ce genre de problème, je ne vois pas en vertu de quel principe on se priverait d’y avoir recours[5].
[32] De toute manière, en l’espèce, comme le soulignait l’avocat de l’intimée à l’audience, le préjudice subi par les courtiers immobiliers étant allégué, le fait de ne pas quantifier les dommages et d’opter plutôt pour l’exécution en nature ne devrait pas créer de problème. Je suis d accord.
[33] Pour toutes ces raisons, je propose le rejet de la requête pour permission de faire appel, avec les frais de justice contre la requérante.
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JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A. |
[1]
[2] Id., paragr. 51-53
[3] Id., paragr. 94.
[4]
Marcotte c. Longueuil (Ville),
[5] Sur ce point, je rejoins l’avis des auteurs Vincent de l’Etoile et Chantal Chatelain dans « L’injonction collective : le recours collectif et l’injonction, un mariage heureux ? », (2011) 70 R. du B. 63, p. 85.
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