Décision

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LH-Lakeshore inc. c. Dionne

2023 QCTAL 29514

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau de Montréal

 

No dossier:

690860 31 20230316 F

No demande:

3845021

RN :

 

3950484

 

Date :

29 septembre 2023

Devant la greffière spéciale :

Me Julie Langlois

 

LH-Lakeshore Inc.

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Germaine Dionne

Locataire - Partie défenderesse

 

DÉCISION

 

 

[1]         La locatrice a produit une demande de fixation de loyer, conformément aux dispositions de l'article 1947 du Code civil du Québec. Elle demande également le remboursement des frais.

[2]         Le Tribunal, lorsque saisi d'une demande de fixation de loyer, détermine le montant du loyer selon les critères prévus au Règlement sur les critères de fixation de loyer[1] (ci-après « le Règlement »).

[3]         Suivant ce Règlement, l'ajustement du loyer est calculé à partir du loyer payé au terme du bail, en tenant compte de la part attribuable du logement et en fonction de certaines dépenses précises encourues par la locatrice durant l'année de référence. Ces dépenses comprennent notamment la variation des taxes municipales, des taxes scolaires et des assurances, le coût encouru pour les frais d'énergie, les frais d'entretien ainsi que des dépenses pour les réparations majeures.

[4]         En tant que demanderesse, la locatrice assume le fardeau de prouver, lors de l'audience, les montants inscrits au formulaire des renseignements nécessaires.

[5]         Plusieurs dossiers de fixation de loyer visant des logements du même immeuble ou du même ensemble immobilier et concernant la même période de référence ont été entendus en même temps, conformément à l’article 57 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[2].

[6]         Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023 à un loyer mensuel de 390,00 $.

[7]         À l’audience, les parties sont présentes et font valoir leur point de vue sur le dossier. Il est à noter que la locatrice est représentée par avocat.

[8]         Lors de l'audience du 10 août 2023, prévue pour la fixation du loyer 2023-2024, le Tribunal se retrouve face à un dossier contenant des preuves de notification du Formulaire hors délai.


[9]         Le Tribunal interroge la locatrice au sujet de ce manquement.

[10]     Elle allègue avoir utilisé un fichier Excel qui reprend essentiellement les éléments de l'outil de calcul du Tribunal administratif du logement (ci-après : « TAL ») et croyait que le Formulaire n’était nécessaire que pour l’audition sur la fixation. Elle croyait que l'outil de calcul apparaissant sur le site internet du TAL (et donc le fichier Excel) était suffisant pour à la locataire.

[11]     Elle allègue que les deux documents (soit le Formulaire et le fichier Excel inspiré de l’outil de calcul) contiennent les mêmes informations et que le fichier Excel a été envoyé aux locataires dans les délais.

[12]     Elle ajoute que suivant une audition dans un autre dossier en date du 27 juillet 2023, elle a compris l’importance du Formulaire et l’a par la suite rapidement notifié aux locataires pour les dossiers apparaissant au rôle du 10 août 2023.

[13]     Elle allègue que les locataires ont reçu le Formulaire avant l’audition et qu’ils ne subissent alors aucun préjudice de ce « manquement à une technicalité ».

[14]     Les locataires présents confirment avoir reçu le Formulaire uniquement en date du 2 août 2023, et valident avoir reçu un fichier Excel illisible, en même temps que l’avis de renouvellement.

[15]     Tel qu’il appert du dossier et des témoignages, seule la demande de modification a été notifiée en bonne et due forme dans les délais aux locataires.

[16]     La notification du Formulaire est une nouvelle obligation édictée suivant l'entrée en vigueur de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[3] en août 2020 :

« 56.3. Lorsque le Tribunal est saisi d’une demande de fixation de loyer, le locateur doit, dans les 90 jours suivant la date de la transmission, par le Tribunal, du formulaire relatif aux renseignements nécessaires à la fixation, déposer au dossier ce formulaire dûment complété.

Il doit également, dans le même délai, notifier une copie de ce formulaire complété au locataire et produire au dossier du Tribunal la preuve de cette notification. Lorsque le demandeur est le locateur et qu’il fait défaut de produire au dossier du Tribunal cette preuve de notification dans le délai requis, la demande est alors périmée et le Tribunal ferme le dossier.

Malgré les articles 56.1 et 56.2, le demandeur n’a pas à notifier les pièces ni une liste des pièces au soutien de sa demande et il n’a pas à déposer une telle liste au dossier du Tribunal.

Le présent article ne s’applique pas à une demande de révision du loyer d’un logement à loyer modique au sens de l’article 1984 du Code civil. »

(Notre soulignement)

[17]     Comme il vient d'être précisé, la Loi sur le Tribunal administratif du logement a remplacé la Loi sur la Régie du logement[4]. L'obligation de notification du Formulaire au Tribunal existait tout de même sous l'ancienne Loi, comme il est possible de le constater au Règlement sur la procédure devant la Régie du logement[5], mais elle n'exigeait pas d'en notifier une copie au locataire :

« 8. Après avoir reçu une demande de fixation de loyer, de contestation du réajustement de loyer ou une demande pour statuer sur une modification du bail, la Régie fait parvenir au locateur 2 exemplaires du formulaire qu'il doit remplir en y indiquant tous les renseignements nécessaires à la fixation du loyer, notamment les revenus ainsi que les dépenses d'exploitation et d'immobilisation de l'immeuble.

Le présent article ne s'applique pas à une demande de révision du loyer d'un logement à loyer modique au sens de l'article 1984 du Code civil.

9. Le locateur doit retourner au bureau de la Régie un exemplaire du formulaire dûment rempli dans les 20 jours de la mise à la poste de ce formulaire par la Régie. »

Les pièces justificatives et les factures doivent être produites lors de l'audience à moins que le locateur ne les ait déjà déposées au bureau de la Régie. »

(Notre soulignement)

[18]     La nouvelle Loi vient donc d'abord, au premier alinéa de l'article 56.3, allonger le délai de notification du Formulaire au Tribunal à 90 jours plutôt que 20 jours.


[19]     Le législateur prend toutefois la peine, au deuxième alinéa du même article, de préciser une nouvelle obligation du locateur qui est de transmettre au Tribunal, toujours dans un délai de 90 jours, une preuve de notification de ce même formulaire au locataire. Le législateur prend d'ailleurs la peine de préciser explicitement la sanction du défaut de respecter ce délai.

[20]     Cette conséquence, soit la péremption de la demande, est d'ailleurs la même que celle prévue à l'article 56.2 encadrant la notification de la demande elle-même.

[21]     Il est clair pour le Tribunal que le Législateur souhaitait, par cet ajout délibéré aux obligations du locateur et de sa conséquence en cas de défaut, souligner l'importance du Formulaire, des informations qu'il contient et que le locataire en soit dûment informé avant de se présenter en audience afin de se préparer une défense s'il y a lieu et d'éviter des ajournements.

[22]     En effet, en matière de fixation de loyer, le Formulaire est la source de toutes les informations servant au calcul de l'augmentation devant être octroyée. Il serait même facile d'argumenter qu'il est plus important que la demande elle-même, puisqu'il contient à la fois la somme réclamée et le justificatif de cette somme, ce que la demande ne précise pas. Le Formulaire est d'autant plus important en fixation de loyer, puisque le locateur n'a pas l'obligation de transmettre au locataire les pièces au soutien de sa demande avant l'audience[6].

[23]     Bien qu'une audience en fixation de loyer ne présente généralement pas de questions de droit très complexes et que les interventions du locataire se résument principalement à commenter des questions de fait et vérifier la preuve admise par la locatrice, particulièrement des factures, le locataire est tout de même en droit de s'y préparer et d'en connaître les principaux enjeux avant de s'y présenter.

[24]     Lorsqu'un locateur dépose une demande de fixation, une copie du Formulaire lui est transmise avec un accusé de réception expliquant bien les différentes obligations devant être accomplies afin de faire procéder le dossier.

[25]     Dans le dossier qui nous occupe, l’accusé de réception envoyé à l’adresse courriel de la locatrice[7] le 27 mars 2023 pouvait se lire ainsi (caractères en gras dans le texte original) :

« (…)

De plus, vous devez dans les 90 jours suivants la date de la transmission du Formulaire de renseignements nécessaires ci-joint, déposer au dossier du Tribunal ce formulaire dûment complété.

Vous devez également, dans le même délai, notifier une copie de ce formulaire rempli au locataire et produire au dossier du Tribunal la preuve de cette notification. Si vous êtes le locateur et que vous faites défaut de produire au dossier du Tribunal cette preuve de notification dans le délai requis, le Tribunal fermera le dossier.

(…) »

[26]     Cette obligation est également rappelée sur le Formulaire lui-même, dans un texte encadré, bien en vue et en caractère gras.

[27]     Pour toutes ces raisons, et considérant que la locatrice avait jusqu'au 26 juin 2023 pour notifier le Formulaire aux locataires, le Tribunal ne peut que constater la péremption[8] de la demande de fixation de loyer.

[28]     Le Tribunal a offert à la locatrice de l'entendre sur les motifs qui pouvaient justifier de la relever de son défaut[9], mais celle-ci n'avait aucune justification valable à cet égard, alléguant tout simplement qu’elle est nouvelle et ne savait pas.

[29]     En effet, l’ignorance de la loi ou le manque de diligence, même en l’absence de mauvaise foi, ne peut constituer une excuse valide[10].


[30]     De plus, il est reconnu que l’outil de calcul du TAL n’équivaut nullement au Formulaire. Ainsi, pour reprendre les termes du greffier spécial, Me William Durand :

« si le législateur avait voulu que le locateur informe le locataire des montants justifiant sa demande d'augmentation de loyer sans autres formalités ou obligations de forme, il aurait choisi d'autres mots moins spécifiques que « formulaire relatif aux renseignements nécessaires »[11] ».

[31]     CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;

[32]     CONSIDÉRANT la jurisprudence unanime du Tribunal à l'effet que l'outil de calcul n'équivaut pas au Formulaire[12];

[33]     CONSIDÉRANT la notification tardive du Formulaire à la locataire;

[34]     CONSIDÉRANT l'absence de motif raisonnable justifiant de ne pas avoir notifié la locataire et transmis au Tribunal cette preuve de notification dans le délai légal;

[35]     CONSIDÉRANT que les deux critères sont cumulatifs, l’absence de motif raisonnable suffit à ne pas analyser la présence ou l’absence de préjudice;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[36]     CONSTATE la péremption de la demande.

[37]     REFUSE de relever la locatrice de son défaut.

[38]     REJETTE la demande de fixation de la locatrice qui en supporte les frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Julie Langlois, greffière spéciale

 

Présence(s) :

Me Kenneth Zigby, avocat de la locatrice

la locataire

Date de l’audience :

10 août 2023

 

 

 


 


[1] RLRQ, c. T-15.01, r. 2.

[3] RLRQ c T-15.01.

[4] LRQ, c R-8.1.

[5] RRQ, c R-8.1, r. 5.

[7].reception@pgkmontreal.com.

[9] Article 59, de la Loi sur le Tribunal administratif du logement, RLRQ c T-15.01.

[10] Gagnon c. Éthier, R.L. révision Montréal 31-050506-023V-060120, le 14 mai 2007, j.a. Bissonnette et Jodoin.

[11] Morin c. Tye, 2022 QCTAL 8967 (CanLII).

[12] Storm c. Lavertu Jolin, 2022 QCTAL 36327 (CanLII).

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