Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Janvier et Estimable) c. Ville de Gatineau (SPVG) | 2023 QCTDP 20 | ||||||
TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE | |||||||
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CANADA | |||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||||
DISTRICT DE | GATINEAU | ||||||
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N° : | 550-53-000049-224 | ||||||
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DATE : | 31 octobre 2023 | ||||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | MAGALI LEWIS | |||||
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AVEC L’ASSISTANCE DES ASSESSEURS : | Me Marie Pepin, avocate à la retraite Me Pierre Deschamps | ||||||
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COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, agissant dans l’intérêt public et en faveur de JACKSON JANVIER et WILDA LINE ESTIMABLE | |||||||
Partie demanderesse | |||||||
c. | |||||||
VILLE DE GATINEAU (SPVG) et JOANIE TURGEON | |||||||
Parties défenderesses | |||||||
et JACKSON JANVIER et WILDA LINE ESTIMABLE Parties plaignantes | |||||||
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JUGEMENT | |||||||
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[Il] n’est pas suffisant de se débarrasser de la question de la race ou du racisme dans le discours public pour en éradiquer son impact dans les rapports sociaux[1].
[1] Le 19 juin 2019, Jackson Janvier et sa conjointe, Wilda Line Estimable (collectivement les plaignants), portent plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), pour dénoncer une interpellation et une détention policière survenue le 2 juin 2019 qui, selon eux, étaient motivées par du profilage racial.
[2] Le 7 octobre 2021, après avoir fait enquête sur l’intervention policière en question, la CDPDJ adopte la résolution CP-790.10[2] dans laquelle elle conclut que la preuve recueillie est suffisante pour soutenir la proposition de M. Janvier et Mme Estimable qu’ils ont été victimes de profilage racial. En conséquence, la CDPDJ suggère aussi des mesures de redressement au Service de police de la Ville de Gatineau (SPVG) en faveur des plaignants et dans l’intérêt public.
[3] La résolution qui atteste de l’issue de l’enquête de la CDPDJ est signée le 28 octobre 2021. Elle est notifiée aux parties le 3 novembre 2021[3].
[4] Le SPVG n’a pas donné suite aux mesures de redressement suggérées et une médiation n’a pas permis aux parties de régler leur différend.
[5] C’est dans ce contexte que, agissant en faveur de M. Janvier, de Mme Estimable et dans l’intérêt public, la CDPDJ poursuit la Ville de Gatineau et l’agente Joanie Turgeon, patrouilleuse pour le SPVG (collectivement les défenderesses), alléguant que, le 2 juin 2019, l’agente Turgeon a intercepté le véhicule de Mme Estimable dans lequel elle était passagère alors que M. Janvier était au volant, en violation de l’article
[6] La CDPDJ soutient que l’interception et la détention de M. Janvier à des fins d’enquête étaient motivées par la couleur de sa peau, puisque l’agente l’a intercepté après avoir observé qu’il a la peau noire. Elle soutient aussi que l’agente a prolongé indûment la détention et son enquête pour identifier M. Janvier parce qu’elle a mis en doute la véracité de la date de naissance inscrite sur son permis de conduire, voire la validité de ce permis, encore à cause de la couleur de sa peau.
[7] La CDPDJ demande au Tribunal de conclure que la Ville de Gatineau (SPVG) et l’agente Turgeon ont porté atteinte au droit de Mme Estimable et M. Janvier de recevoir des services ordinairement offerts au public exempts de discrimination par profilage fondée sur la race, la couleur, le sexe et l’âge, le tout contrairement à l’article
[8] Elle demande également au Tribunal de conclure que par leur comportement empreint de discrimination interdite au sens de l’article
[9] En défense, la Ville de Gatineau et l’agente Turgeon soutiennent que l’interception du véhicule que conduisait M. Janvier le 2 juin 2019 en était une de routine permise par l’article
[10] Les défenderesses soutiennent également que l’agente était justifiée de tenter de recueillir de l’information afin de confirmer l’identité de M. Janvier après avoir eu en main son permis de conduire, puisqu’elle « douta[i]t de la correspondance [des informations] de la pièce d’identité »[6] avec l’apparence de M. Janvier.
[11] Enfin, les défenderesses ajoutent que l’agente Turgeon a mis fin à l’intervention avant d’avoir identifié M. Janvier malgré qu’il ait refusé de collaborer.
[12] Pour décider de cette affaire, le Tribunal répondra aux questions suivantes :
[13] Avant d’aborder les questions que soulève la présente affaire, rappelons les principes applicables en matière de discrimination par profilage racial.
[14] Quelle que soit la forme que prend la discrimination, une analyse en deux volets s’impose[7].
[15] La partie demanderesse (la CDPDJ en l’occurrence) doit établir par une preuve prépondérante les trois éléments constitutifs de discrimination, à savoir (1) l’existence d’une distinction, d’une exclusion ou d’une préférence (en l’instance, l’interpellation et la détention de M. Janvier), (2) fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa de l’article
[16] La discrimination peut résulter de l’effet préjudiciable d’une action qui se veut à l’origine neutre puisque l’article
[17] Pour que le Tribunal conclue qu’il existe un lien entre un motif de discrimination prohibé par la Charte et la distinction ou l’exclusion dénoncée (il n’est pas question d’une préférence dans la présente affaire), la partie demanderesse doit démontrer que la race[10] ou la couleur de la peau de M. Janvier, son genre ou son âge a joué un rôle dans le traitement qu’il a subi le 2 juin 2019, soit dans la décision de l’intercepter pour l’identifier, puis de le détenir pour enquêter sur la validité de sa carte d’identité et éliminer la possibilité qu’il usurpe une identité[11].
[18] La preuve de discrimination, même circonstancielle, doit présenter un rapport tangible avec la conduite dénoncée, mais n’exige pas la preuve de l’intention de discriminer[12]. L’intention n’est en effet pas un élément constitutif de discrimination puisque les comportements discriminatoires sont souvent multifactoriels et inconscients[13]. Par ailleurs, de même que l’absence de mauvaise foi n’induit pas une conclusion positive de bonne foi[14], la preuve de bonne foi n’exclut pas la présence de profilage racial[15].
[19] L’état d’esprit, la bonne foi et les motivations de l’auteur de l’acte dont on doit déterminer s’il relève du profilage racial ne sont donc pas pertinents pour conclure qu’un comportement est discriminatoire. Ce qui importe, c’est l’effet concret de la décision ou de la conduite sur une personne ou un groupe de personnes visé par l’article
[20] Dans son analyse, le Tribunal doit comparer la situation de la personne qui se prétend victime de discrimination à celle d’individus aux caractéristiques identiques[17]. Le choix du groupe est crucial[18]. En l’instance, initialement, le groupe de comparaison est celui des personnes dont le permis de conduire n’est pas sanctionné qui, sans avoir commis d’infraction au CSR ni donné l’impression d’être sous l’influence d’une substance qui affecte leurs capacités de conduire, sont au volant d’un véhicule qui ne présente aucune déficience mécanique et qui est enregistré au nom d’une personne d’un genre différent du leur.
[21] Lorsque l’agente Turgeon décide que l’âge chronologique de M. Janvier ne correspond pas à son âge apparent en le comparant à son père, un homme blanc du même âge, le groupe de comparaison est rétréci à celui des personnes noires membres du groupe initialement identifié. Nous verrons pourquoi plus loin.
[22] Le Tribunal doit aussi tenir compte dans son analyse, de la perception qu’aurait une personne raisonnable, membre du groupe visé identifié, du traitement différentiel qui lui est présenté comme étant discriminatoire[19]. Cela s’explique par le fait qu’une personne qui n’est pas membre du groupe visé (une personne blanche en l’occurrence) n’a pas le vécu d’une personne membre du groupe visé pour lire et comprendre la situation dénoncée.
[23] À titre d’exemple, prenons celui d’un policier blanc qui ne peut pas raisonnablement prétendre complètement appréhender ce que vit une personne noire du fait de sa négritude et comprendre comment son comportement de personne en autorité historiquement à l’origine de comportement discriminatoire à l’égard des personnes noires peut être inadéquat ou perçu comme tel dans une situation donnée. De même, un homme ne peut prétendre entièrement mesurer ce que vit une femme du fait de son genre ni l’impact de ses propos ou de ses gestes sur elle.
[24] Tenir compte du vécu et de la perception du groupe protégé est essentiel à la compréhension de la discrimination et à l’élimination de ses effets dévastateurs.
[25] La discrimination est un fait social, l’expression, consciente ou non, de la « sacralisation et [de] l’absolutisation des différences physiques ou culturelles entre les groupes humains »[20]. Tenir compte, dans l’analyse d’une situation dont on doit décider si elle est discriminatoire, du vécu de la personne membre d’un groupe protégé par la Charte qui se croit victime de discrimination, de son interprétation de la situation et de sa description de l’impact que le traitement a eu et a sur elle, découle du principe suivant lequel la discrimination résulte de l’effet préjudiciable d’une action. À l’inverse, exclure de l’analyse le vécu et la perception de la personne qui dénonce la situation dont elle se dit victime perpétue le déni d’identité et d’humanité inhérent à la discrimination.
[26] Lorsque la preuve a établi les éléments constitutifs de discrimination à première vue au sujet d’une situation dénoncée, pour que le recours intenté contre elle soit rejeté, la partie défenderesse doit établir, par une preuve prépondérante, que ses actions sont fondées sur des motifs objectifs dénués de quelque préjugé que ce soit, sur les exemptions prévues par la loi ou celles développées par la jurisprudence[21].
[27] Ainsi, dans la présente affaire, dans la mesure où la CDPDJ aura établi qu’il y a discrimination à première vue par profilage à l’endroit de M. Janvier et Mme Estimable, les défenderesses devront établir que l’intervention policière auprès de M. Janvier était fondée sur des motifs raisonnables qui résistent à un examen indépendant, qu’elle n’était pas influencée par l’un ou l’autre des motifs interdits de discrimination et ne constituait pas un traitement différencié ou inhabituel[22].
[28] À défaut par elles de présenter une preuve prépondérante du respect, dans l’exercice des pouvoirs qui leur sont conférés, des droits de M. Janvier et Mme Estimable protégés par la Charte, le Tribunal conclura à l’existence de discrimination par profilage[23].
[29] La Cour d’appel a défini le profilage racial comme étant :
[…] une pratique fondée sur un stéréotype dépréciatif et qui consiste à attribuer à un groupe racial, consciemment ou non, une propension particulière à la criminalité. La nature même du phénomène – qui souvent revêt la forme d’un comportement inconscient plutôt que d’un racisme revendiqué – en rend la preuve difficile[24].
[30] La Cour suprême a repris et bonifié cette définition dans son arrêt Bombardier[25] :
Le profilage racial désigne toute action prise par une ou des personnes en situation d’autorité à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public, qui repose sur des facteurs d’appartenance, réelle ou présumée, tels la race, la couleur, l’origine ethnique ou nationale ou la religion, sans motif réel ou soupçon raisonnable, et qui a pour effet d’exposer la personne à un examen ou à un traitement différent.
Le profilage racial inclut aussi toute action de personnes en situation d’autorité qui appliquent une mesure de façon disproportionnée sur des segments de la population du fait, notamment, de leur appartenance raciale, ethnique ou nationale ou religieuse, réelle ou présumée.
(Nos mises en relief)
(Soulignements reproduits)
(Références omises)
[31] Tout récemment, appelé à décider de la validité de l’article
[28] […] actions de représentants des forces de l’ordre qui reposent non pas sur des motifs réels ou des soupçons raisonnables mais sur des facteurs d’appartenance réelle ou présumée, comme par exemple la race ou l’origine ethnique. Elles ont pour résultat d’exposer les personnes ciblées à un traitement différentiel qui se situe à l’opposé des idéaux d’égalité et de dignité de la personne auxquels la société adhère.
[…]
[30] […] le profilage racial dans les pratiques policières s’exprime très rarement de façon directe. Il le fait plutôt de façon insidieuse à travers des préjugés, des stéréotypes ou au nom de normes qui semblent neutres mais qui, au terme d’un raisonnement probabiliste, finissent par laisser les apparences prendre le pas sur les motifs réels d’intervention.
(Nos soulignements)
(Mises en relief omises)
[32] Quelques années avant ces décisions, dans R. c. Grant, la Cour suprême avait déjà pris acte du fait que les « minorités visibles […] risquent davantage de faire l’objet d’interventions policières « discrètes » injustifiées »[27].
[33] La discrimination est beaucoup plus complexe que les premières pensées qui viennent à l’esprit[28]. À l’ère du « politiquement correct » et de la promotion du multiculturalisme[29], les gens sont conscients, particulièrement les personnes en autorité, des risques associés au fait de parler ouvertement des préjugés qu’ils entretiennent, incluant les préjugés négatifs qui concernent les personnes racisées. La discrimination raciale est ainsi souvent ambiguë et indirecte, voire insidieuse[30]. Le phénomène est dynamique, en perpétuelle transformation et en constant renouvellement[31]. Lorsqu’il est dénoncé, la réponse est généralement une négation sur fond d’indignation, voire de menaces de représailles.
[34] Le profilage racial s’attache principalement à la motivation des agents de police, au processus mental qui les conduit à intercepter et détenir une personne[32]. Il se produit lorsque la race ou les stéréotypes raciaux conscients ou inconscients concernant la criminalité ou la dangerosité jouent un rôle dans la sélection ou le traitement des suspects[33]. Le profilage racial ne doit pas être toléré :
[5] Regardless of the connection, if any, between racial profiling and racial bias, racial profiling cannot be tolerated. It is offensive to fundamental concepts of equality and the human dignity of those who are subject to negative stereotyping. It fuels negative and destructive racial stereotyping of those who are subjected to profiling. Racial profiling will also ultimately undermine effective policing both by misdirecting valuable and limited resources and by alienating law-abiding members of the community who are members of the targeted race[34].
(Nos soulignements)
[35] Le juge Yergeau dégage ainsi les traits du profilage racial :
[42] Au plan juridique, cette définition, couplée à d’autres déjà mentionnées, permet de dégager certains traits du profilage racial :
a) action prise par des personnes en autorité, principalement par des policiers ;
b) sans motif réel ou soupçon ;
c) pour des motifs allégués de protection du public à un titre ou à un autre ;
d) envers des personnes ciblées, consciemment ou non, en raison de leur appartenance à une race, à une couleur ou à une origine ethnique ;
e) plutôt qu’en fonction de la description d’une personne sous enquête ;
f) avec pour effet de les exposer à un traitement différencié ou à l’application d’une mesure de façon disproportionnée[35].
[36] Le profilage racial est d’autant plus insaisissable et sournois dans le contexte d’une détention qui résulte d’une interception routière de routine que celle-ci n’exige pas de soupçon raisonnable[36].
[37] Selon le contexte dans lequel il est exercé, le profilage entraîne une atteinte discriminatoire (article 10) à un ou plusieurs droits protégés par la Charte, incluant la sauvegarde de la dignité (article 4), l’accès à un moyen de transport ou à un lieu public (article 15), la liberté, sauf pour les motifs prévus par la loi et suivant la procédure prescrite (article 24), et la protection contre les fouilles abusives (art. 24.1)[37].
[38] Le Tribunal fait siens les propos du juge Yergeau dans l’affaire Luamba[38] au sujet de l’article
[632] […], le pouvoir discrétionnaire de priver momentanément un citoyen de sa liberté dans ce cadre est le plus arbitraire et le moins filtré qui soit. Ramené à sa plus simple expression, il ne repose que sur l’intuition puisqu’il n’exige ni motif réel, ni soupçon. Il est le produit d’un processus mental insondable. Il peut s’exercer sans laisser de trace comme on l’a vu. Il ne connait aucun encadrement précis si ce n’est de rappeler aux policiers que le profilage racial est interdit. Même le nouveau chapitre du Guide de pratiques policières (section 2.1.7, Interpellation policière) ne s’y attaque pas spécifiquement. Il est de fait illusoire d’identifier ce qui déclenche chez les policiers l’intuition qui mènera à une interception routière plutôt qu’à une autre. Le profilage racial s’exerce ainsi de façon insidieuse, sans que le policier ne soit pour autant mû par des valeurs racistes. Pour les victimes, la preuve de cette disposition d’esprit est quasi-insurmontable si ce n’est en ayant recours à une liste d’indicateurs de profilage racial et à une preuve circonstancielle quand c’est possible.
(Référence omise)
(Mises en relief reproduites)
[39] Les études en psychologie sociale menées aux États-Unis en matière de réactions intuitives montrent que des stéréotypes, même inconscients, peuvent déclencher des soupçons concernant une personne[39].
[40] Bien que l’utilisation du profilage racial par les forces policières soit dénoncée depuis la fin des années 1980[40], le phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur et de se raffiner. Il continue de sévir parce qu’il joue sur plusieurs tableaux et change de registre quand une justification est détruite[41]. Ainsi, des mesures énergiques et soutenues doivent être mises en place pour reconnaître individuellement et collectivement l’existence des préjugés qui sont à la source du phénomène et faire en sorte qu’ils cessent de sévir.
[41] Lorsqu’il doit décider si une situation est discriminatoire et empreinte de profilage racial, le Tribunal doit prendre connaissance d’office et tenir compte du passé de discrimination dont ont souffert certains groupes défavorisés de la société canadienne jusqu’au sein de nos institutions judiciaires[42]. Le Tribunal doit donc tenir compte dans son analyse, du racisme, du racisme antinoir[43], et de son influence sur le comportement des personnes racisées (accusées ou plaignantes) dans leurs interactions avec la police[44].
[42] La connaissance d’office de l’existence du phénomène et de ses manifestations ne diminue pas le fardeau de la partie demanderesse d’établir par une preuve prépondérante que les policiers visés par la demande en justice ont appliqué une mesure dont on peut raisonnablement croire qu’elle était influencée par la race ou la couleur de peau d’une personne, son appartenance ethnique ou religieuse, perçue ou réelle.
[43] L’existence de profilage racial sera rarement prouvée par des preuves directes[45]. En effet, sauf exception, il ne faut pas compter que les policiers, même par inadvertance, admettent avoir été influencés par des stéréotypes raciaux dans l’exercice de leurs pouvoirs discrétionnaires d’intercepter et d’arrêter quelqu’un. Par ailleurs, un policier peut subjectivement ignorer qu’il se livre à du profilage racial. Le phénomène sera donc essentiellement prouvé par inférences tirées de preuves circonstancielles[46], indirectes et indicielles, et par présomptions de fait[47].
[44] Dans Gauthier c. Aznar[48], la Cour supérieure s’est exprimée en ces termes sur cette question :
[90] Il est évidemment rarissime, sauf s’il y a une admission pure et simple, de retrouver une preuve directe que des gestes posés par un policier à l’égard d’un citoyen l’ont été sur la base de la couleur de sa peau. Plus souvent qu’autrement, la preuve est donc circonstancielle. Ainsi, c’est à bon droit que l’agent Gauthier plaide que le seul fait que le plaignant allègue être la cible d’un geste fondé sur la couleur de sa peau ne crée pas de présomption à son encontre en matière déontologique. Par contre, un tribunal doit tirer les inférences qui s’imposent des faits mis en preuve lorsqu’ils pointent vers un fait inconnu ; dans la mesure où ces présomptions sont graves, précises et concordantes, il doit les prendre en considération, en apprécier le poids relatif et en tirer les conclusions.
[45] Le Tribunal doit donc, pour chacune des étapes de l’intervention[49], évaluer l’ensemble des circonstances de l’affaire qui lui est soumise et tirer les inférences raisonnables du portrait général révélé par la preuve circonstancielle, à la lumière de sa connaissance d’office en matière de profilage racial, et non pas isoler et compartimenter les différents éléments de preuve[50].
[46] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal répond par l’affirmative à la question.
[47] À 0 h 25 dans la nuit du 2 juin 2019, s’autorisant de l’article
[48] L’article
636. Un agent de la paix, identifiable à première vue comme tel, peut, dans le cadre des fonctions qu’il exerce en vertu du présent code, des ententes conclues en vertu de l’article 519.65 et de la Loi concernant les propriétaires, les exploitants et les conducteurs de véhicules lourds (chapitre P-30.3), exiger que le conducteur d’un véhicule routier immobilise son véhicule. Le conducteur doit se conformer sans délai à cette exigence.
[49] Après avoir exposé les versions de l’intervention de chacun des protagonistes, le Tribunal déterminera si la CDPDJ a établi qu’il y a dans la présente affaire discrimination à première vue basée sur la couleur de peau de M. Janvier, puis si les explications de l’agente Turgeon permettent d’écarter une conclusion en faveur de M. Janvier et Mme Estimable. Nous traiterons également de l’interception des plaignants en juillet 2019 par l’agent Kevin Desormeaux, collègue de l’agente Turgeon, et verrons si cette intervention sert les intérêts de la défense.
[50] M. Janvier explique qu’avec sa conjointe, ils aperçoivent une auto-patrouille de la police de Gatineau qui les suit alors qu’ils circulent sur la rue Principale en direction de leur résidence. Lorsqu’ils se trouvent sur le boulevard Wilfrid-Lavigne, l’auto-patrouille se place à la droite du véhicule, l’agente regarde à l’intérieur de l’habitacle, puis ralentit, repositionne l’auto-patrouille derrière la Cadillac et actionne les gyrophares.
[51] Mme Estimable dit alors tout haut : « Oh, ça y est ».
[52] Lorsque l’agente Turgeon arrive à la hauteur de la portière du conducteur, elle dit à M. Janvier qu’elle « l’arrête parce qu’il ne ressemble pas à une Wilda » et lui demande son permis de conduire.
[53] M. Janvier indique d’emblée que « Wilda » est « justement assise à côté » de lui, puis demande et obtient la permission d’aller chercher son permis de conduire dans le coffre arrière du véhicule. L’agente ne lui demande pas les certificats d’immatriculation et d’assurance du véhicule.
[54] À ce stade de l’intervention, le ton de l’agente est neutre et, sachant qu’il n’a commis aucune infraction au CSR et que son permis de conduire est valide, M. Janvier est calme.
[55] Lorsque l’agente revient vers le véhicule, après avoir fait des vérifications, elle demande à M. Janvier de confirmer son âge, ce à quoi il répond que son âge est sur son permis de conduire. L’agente lui précise alors que selon son permis de conduire il aurait « l’âge de son père, qu’il pourrait être son père ». Faisant écho à ce commentaire, Mme Estimable déclare qu’il lui arrive souvent de se faire dire qu’elle a l’air jeune et d’avoir à préciser qu’elle est plus vieille que l’âge qu’on lui donne. Elle demande ensuite à l’agente s’il y a un problème avec le véhicule et offre de lui remettre son permis de conduire.
[56] L’agente prend le permis de conduire de Mme Estimable et demande une deuxième pièce d’identité à M. Janvier qui lui fournit sa carte d’assurance maladie. Elle lui demande ensuite s’il est « recherché par la police », s’il a « des problèmes avec la police », s’il est « connu de la police ». Dans la description qu’il donne de l’intervention dans sa plainte au Commissaire à la déontologie policière[51], il répond par la négative aux questions de l’agente, alors qu’il témoigne à l’instruction ne pas lui avoir répondu.
[57] L’agente retourne à son véhicule avec les nouveaux documents qui lui ont été remis.
[58] M. Janvier mentionne qu’à ce stade il trouve le ton de l’agente Turgeon irritant, démesuré. Bien qu’il ne dise rien, il est hors de lui du fait de toutes les questions « anormales » de l’agente et des doutes qu’elle entretient à son égard. Il trouve dégradant le commentaire de l’agente qu’il pourrait « être son père » (le père de l’agente). Il « se sent rabaissé », comme « s’il était quelqu’un d’autre pour la policière ».
[59] Lorsque l’agente revient au véhicule des plaignants, elle leur remet les pièces d’identité et dit « vous êtes corrects, vous pouvez partir ». M. Janvier l’informe alors qu’il ne peut pas repartir immédiatement parce qu’il « vient de vivre quelque chose d’anormal » et demande si c’est à cause de la couleur de sa peau qu’elle l’a arrêté.
[60] L’agente lui répond que l’article
[61] Il demande son nom à l’agente avec l’intention de porter plainte, mais celle-ci ne lui donne que son prénom, pas son nom de famille ni son matricule.
[62] Ébranlé, M. Janvier attend quelques minutes avant de reprendre son chemin après la fin de l’intervention dont il vient d’être l’objet. Il constate que l’agente démarre l’auto-patrouille en même temps que lui et les suit jusqu’à l’intersection du boulevard Wilfrid-Lavigne et de l’avenue des Allumettières avant de tourner à droite.
[63] M. Janvier appelle le « 911 », le centre d’appels d’urgence, pour obtenir le nom complet de l’agente. Il appelle aussi la police pour expliquer la situation qu’il a vécue. Il parle à l’agent Morissette qui lui envoie un formulaire de plainte.
[64] Mme Estimable explique qu’elle voit l’auto-patrouille suivre le véhicule dans lequel elle est passagère pendant un certain temps avant que l’auto ne se mette à sa hauteur du côté droit de la Cadillac. À ce moment, elle se demande ce qui se passe.
[65] Lorsqu’elle arrive au niveau de la portière du conducteur, les premiers mots de l’agente Turgeon sont, à l’endroit de M. Janvier, qu’il ne ressemble pas à « une Wilda ». Elle considère que cette façon de s’adresser à un citoyen manque de professionnalisme.
[66] L’agente permet à M. Janvier d’aller chercher son permis de conduire qui est dans son sac à main dans le coffre arrière du véhicule et ne leur explique pas la raison de l’interception.
[67] Mme Estimable trouve malaisant le commentaire de l’agente que M. Janvier pourrait être son père et lui offre son permis de conduire pour lui démontrer que c’est elle la « Wilda » propriétaire du véhicule.
[68] Elle décrit l’attitude de l’agente comme étant inappropriée, déplacée et devenant insoutenable.
[69] Lorsque l’agente demande à M. Janvier s’il est recherché par la police, Mme Estimable ne comprend pas pourquoi on lui pose cette question, sur un ton qu’elle juge hautain, par ailleurs. Selon elle, l’agente « se permet d’aller plus loin alors qu’il n’y a pas lieu » de le faire. Elle qualifie l’attitude de l’agente de suspicieuse ; l’attitude de quelqu’un qui s’attend à ce que quelque chose ne soit pas en règle.
[70] Mme Estimable précise qu’elle reste calme, mais qu’elle angoisse et est stressée.
[71] Joanie Turgeon a un diplôme en Techniques policières. Elle travaille comme patrouilleur au SPVG depuis mai 2017.
[72] Elle patrouille seule le 2 juin 2019 sur un quart de travail de nuit lorsqu’elle répond à un appel envoyé sur les ondes radio à 0 h 21 d’une personne qui croit avoir entendu des détonations.
[73] Elle circule sur la rue Principale en direction ouest en route pour répondre à l’appel lorsqu’elle voit le véhicule conduit par M. Janvier. À 0 h 24, au coin du boulevard Wilfrid-Lavigne, elle utilise l’ordinateur à bord de l’auto-patrouille pour « enquêter » la plaque d’immatriculation du véhicule auprès du Centre de renseignements policiers du Québec (CRPQ)[52].
[74] L’agente Turgeon déclare enquêter systématiquement les plaques des véhicules qui circulent devant le sien afin de vérifier que la plaque concorde avec le véhicule enregistré à la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ), que les droits d’immatriculation sont payés et que le permis de conduire du propriétaire du véhicule enregistré à la SAAQ est valide. Elle affirme également que lorsque l’âge ou le genre du conducteur ne correspond pas à l’information qu’elle obtient du CRPQ sur le propriétaire du véhicule, elle intercepte le véhicule pour vérifier la validité du permis de conduire du conducteur.
[75] Elle affirme ne pas avoir vu les occupants du véhicule le 2 juin 2019 avant d’« enquêter la plaque ». Selon elle, elle agit alors comme elle le fait systématiquement. En réponse au commentaire de M. Janvier lorsqu’il affirme qu’il conduit un véhicule de luxe, elle précise qu’en ce qui la concerne, une Cadillac n’est pas une voiture de luxe.
[76] Lorsqu’un agent « enquête » une plaque d’immatriculation, différentes informations sont disponibles :
- La banque de données de la SAAQ fournit le nom du propriétaire enregistré du véhicule et sa date de naissance.
- L’agente peut aussi faire une demande d’information par nom (DNM) pour obtenir la liste des événements dans lesquels cette personne a été impliquée, comme témoin, victime ou auteur d’un crime ou d’une infraction.
- La première page qui s’ouvre en réponse à une demande d’enquête contient des hyperliens qui permettent au patrouilleur de consulter d’autres banques de données : celles d’autres corps policiers ; les accusations pendantes qui concernent le propriétaire du véhicule ; les conditions de remise en liberté du propriétaire, le cas échéant ; le nom de personnes qui ont été impliquées dans un événement fiché par la police en lien avec le véhicule ; le casier judiciaire des personnes dont le nom sort en réponse à la demande d’enquête.
[77] Lorsqu’elle « enquête » la plaque d’immatriculation du véhicule que M. Janvier conduit, elle apprend que Mme Estimable en est propriétaire et que son permis de conduire est valide.
[78] Elle observe le véhicule qui tourne à droite en direction nord sur le boulevard Wilfrid-Lavigne lorsqu’elle obtient l’information qui concerne la plaque d’immatriculation. Elle ne mentionne pas avoir observé qu’il y a des passagers dans le véhicule, soit parce qu’elle a vu leurs silhouettes lorsqu’elle se trouvait derrière la Cadillac, soit alors que le véhicule effectuait le virage à droite, lorsque la voiture est en angle par rapport à l’auto-patrouille, sous les lumières du feu de circulation et des réverbères.
[79] Lorsqu’elle approche de la rue North, l’agente se met dans la voie de gauche. Arrivée au niveau du conducteur, elle regarde à l’intérieur de l’habitacle lorsqu’elle fait un arrêt obligatoire : elle constate alors que le conducteur est un homme et ne voit pas la passagère.
[80] L’agente Turgeon précise qu’avant de voir M. Janvier, elle n’a pas de motif d’intercepter le véhicule en vertu de l’article
[81] Afin d’identifier le conducteur, elle se repositionne derrière le véhicule, retourne dans la page d’informations qu’elle a obtenue en enquêtant la plaque d’immatriculation et consulte les hyperliens afin de vérifier si le nom d’un homme est associé au véhicule. Comme elle ne trouve rien, elle décide d’intercepter le véhicule pour vérifier l’identité du conducteur.
[82] Dans le but de corroborer l’affirmation selon laquelle elle faisait quotidiennement des interceptions en vertu de l’article
[83] Selon l’agente Turgeon, les premières minutes de l’intervention se déroulent ainsi :
- Elle aborde M. Janvier en lui disant : « Bonsoir, je vous intercepte pour valider votre permis de conduire ».
- M. Janvier lui demande sèchement s’il a commis une infraction, sans la regarder, « creusé » dans son siège. Elle constate qu’il n’est pas à l’aise avec l’interception.
- Elle répond à sa question par la négative et lui mentionne qu’il n’a pas l’air d’une Mme Wilda. Elle convient que cette remarque est familière.
- Elle demande à M. Janvier de lui remettre son permis de conduire, ce qu’il fait. Elle n’a pas de souvenir qu’il l’a récupéré dans le coffre arrière du véhicule ni qu’il l’a sorti d’un portefeuille.
[84] M. Janvier est né en 1966. Il a 53 ans le 2 juin 2019. Or, l’agente Turgeon lui donne une trentaine d’années. Surprise par la différence entre l’âge chronologique de la personne dont elle a le permis de conduire en main et l’âge apparent de la personne qui est devant elle, elle demande à M. Janvier de confirmer sa date de naissance. Puisque son travail consiste notamment à enquêter l’usurpation d’identité et l’usage de faux documents, elle cherche à s’assurer que M. Janvier est bien qui il prétend être pour dissiper le doute qui s’est formé en elle. Elle ajoute qu’elle ne doute pourtant pas de la validité de la pièce d’identité qu’il lui a fournie.
[85] À ce sujet, l’agente Turgeon indique que même si la photographie de M. Janvier sur le permis de conduire qu’il lui a remis lui correspond, elle peut douter de son identité. La concordance entre l’information qui est sur la carte et celle qu’il lui fournirait verbalement diminuerait les chances que M. Janvier ait emprunté la pièce d’identité de quelqu’un d’autre.
[86] Même si la pièce d’identité n’a pas l’air fausse, elle doit garder à l’esprit qu’il est possible qu’elle le soit.
[87] Elle relate en ces termes la suite de l’échange :
- M. Janvier lui répond que sa date de naissance est sur son permis de conduire et lui demande si elle l’a lue.
- L’agente Turgeon lui répond qu’elle l’a lue et lui dit qu’il a l’air plus jeune qu’un homme né en 1966 alors qu’elle veut valider l’information.
- M. Janvier ne lui répond pas.
- Mme Estimable « s’interpose » pour dire que ça arrive que les gens aient l’air plus jeunes que leur âge et que cela lui arrive à elle aussi parfois.
- L’agente Turgeon mentionne que son père est né en 1967 et que M. Janvier à l’air d’avoir 30 de moins que lui. Elle explique au Tribunal qu’elle fournit cette explication pour faciliter la compréhension parce qu’elle perçoit que M. Janvier n’est pas à l’aise avec la situation.
[88] L’agente Turgeon explique que la technique qui consiste à demander à un citoyen de confirmer ses informations personnelles (date de naissance ou adresse) est appelée « technique du portier ». Cette technique permet de confirmer que le citoyen peut fournir les informations demandées sans réfléchir et ainsi valider l’information sur la carte d’identité.
[89] Bien que M. Janvier ne lui fournisse pas sa date de naissance, l’agente Turgeon ne considère pas son refus comme étant suspect parce qu’elle constate qu’il ne comprend pas la raison pour laquelle elle pose la question et que sa réaction reflète son expérience de personne noire.
[90] À l’instruction, l’agente explique que, le 2 juin 2019, M. Janvier avait l’air d’avoir le même âge qu’elle, qui est née en 1993, soit 26 ans, la moitié de son âge réel.
[91] L’agente Turgeon ne se souvient pas d’avoir eu la pièce d’identité de Mme Estimable en sa possession ni la carte d’assurance maladie de M. Janvier.
[92] En fait, elle affirme ne pas avoir demandé à M. Janvier une deuxième carte d’identité et précise que si elle en avait obtenu une, cela aurait aidé à valider l’information sur son permis de conduire et son identité.
[93] Elle n’explique pas pourquoi elle n’a pas demandé à voir une deuxième pièce d’identité pour confirmer l’identité de M. Janvier et choisit plutôt de lui demander s’il a des « implications » avec la police, s’il a des constats d’infractions ou a été impliqué dans des accidents, sans pour autant lui expliquer le but de ses questions.
[94] À l’instruction, elle explique qu’il s’agit d’une autre façon de confirmer l’identité de M. Janvier puisqu’il ne veut pas donner sa date de naissance.
[95] En réponse à ces questions, M. Janvier demande si l’agente veut savoir s’il est recherché. Elle sent qu’il est sur la défensive ; comprend qu’il ait pu interpréter ses questions comme une demande de confirmer s’il était recherché ; tente de le rassurer. L’échange ne se passe pas comme elle le souhaite bien qu’elle réponde par la négative à la question de M. Janvier.
[96] Elle précise au Tribunal que si M. Janvier était recherché par la police, ce n’est pas lui qui le lui dirait ; elle trouverait l’information dans les fichiers informatiques auxquels elle a accès dans l’auto-patrouille.
[97] Déstabilisée, l’agente Turgeon retourne à son véhicule pour consulter de nouveau l’ordinateur dans l’auto-patrouille, mais ne trouve rien qui relie M. Janvier à d’autres événements répertoriés par un corps policier.
[98] Elle se décrit à bout de ressources pour confirmer l’identité de M. Janvier et « abandonne » sa recherche. Elle précise que « l’humain en arrière de l’homme ça ne lui tente pas » de continuer l’intervention après avoir compris que M. Janvier se sentait victime de profilage.
[99] Elle retourne donc auprès de M. Janvier et lui dit, pour lui signaler qu’il peut reprendre la route : « ça va être correct, vous pouvez quitter ».
[100] Lorsque M. Janvier lui réitère qu’il croit que c’est parce qu’il est noir que l’interception s’est mal passée, l’agente Turgeon lui explique à nouveau sa démarche et parle de l’article
[101] Elle ne sent pas que M. Janvier écoute, comprend, désire comprendre ; il répète qu’il croit que c’est parce qu’il est noir. Elle lui mentionne alors qu’il peut faire une plainte, lui donne son nom et son matricule, volontairement, mais n’a pas de souvenir qu’il les ait notés.
[102] Lorsque M. Janvier l’informe qu’il n’est pas en état de prendre la route, l’agente Turgeon lui dit de prendre son temps. Elle attend qu’il reprenne la route, le suit environ une minute, puis tourne à droite sur le boulevard des Allumettières. Elle n’explique pas ce qui justifie ce comportement.
[103] L’agente Turgeon termine son intervention auprès de M. Janvier et Mme Estimable à 0 h 41. Elle ne se rend pas sur les lieux de l’appel qu’elle a reçu à 0 h 21 vers lequel elle se dirigeait avant de s’intéresser au véhicule des plaignants. Elle se justifie à ce sujet en indiquant avoir constaté au journal des activités qu’à 0 h 40 une autre équipe est déjà sur place.
[104] À 0 h 41, elle écrit dans le journal des activités qu’un citoyen « pas content » vient de lui reprocher d’avoir fait du profilage.
[105] Au début de son prochain quart de travail, elle parle avec l’agent Kevin Desormeaux du déroulement de l’interception de M. Janvier, du fait qu’elle n’a pas pu l’identifier parce qu’il avait l’air beaucoup plus jeune que son âge chronologique en fonction de sa date de naissance, et qu’il lui a reproché d’avoir fait du profilage racial.
[106] Bouleversée par l’événement, elle en reparlera à l’agent Desormeaux à chaque fois qu’elle devra répondre à une demande d’enquête ou d’information en lien avec les plaintes en déontologie policière et à la CDPDJ que les plaignants ont déposées.
[107] L’agent Desormeaux est policier patrouilleur pour la Ville de Gatineau depuis 2012. Il a été coéquipier de l’agente Turgeon en 2021 et 2022.
[108] L’agente Turgeon lui parle à plusieurs reprises de l’intervention du 2 juin 2019 auprès de M. Janvier, de l’inconfort qu’elle a ressenti du fait que ses actions ont été perçues comme étant teintées ou mues par du profilage racial.
[109] M. Janvier relate que, le 15 juillet 2019, il discute avec des amis à l’extérieur dans un secteur propice à la détente. Il voit qu’un policier les observe. Lorsqu’il se dirige vers son véhicule avec Mme Estimable et démarre, il voit que le policier démarre derrière lui.
[110] Alors qu’il emprunte une rue à deux voies et double sens, la voie sur laquelle il circule est bloquée par un camion. Plusieurs voitures devant et derrière celle qu’il conduit sont ainsi arrêtées sur la rue. Personne ne fait la circulation. Comme le camion ne donne pas signe d’être sur le point de se déplacer, les chauffeurs des voitures devant lui contournent l’obstacle un après l’autre après s’être assurés que la voie en sens inverse est libre. Cette manœuvre implique de franchir la ligne jaune qui sépare les deux voies.
[111] Lorsqu’il se trouve devant le camion qui bloque sa voie, M. Janvier fait la même manœuvre que les automobilistes avant lui. L’auto-patrouille qui se trouve quelques voitures derrière lui, active ses gyrophares, dépasse les voitures qui le séparent de celle conduite par M. Janvier et l’intercepte. L’agent Desormeaux demande son permis de conduire à M. Janvier, puis va à son véhicule. Lorsqu’il lui remet son permis, il lui dit qu’il a l’air plus jeune que son âge. M. Janvier lui répond qu’il ne veut pas avoir cette discussion, après quoi l’agent Desormeaux lui précise qu’au Québec on doit respecter le CSR et ne pas dépasser la ligne jaune.
[112] L’agent Desormeaux décrit l’interception de la même façon que M. Janvier, mais nie avoir vu les occupants du véhicule avant de l’intercepter.
[113] Cette affirmation est toutefois contredite par le témoignage clair de M. Janvier qui affirme avoir repéré l’auto-patrouille et le policier qui l’a intercepté – lui seul et aucun autre véhicule ayant fait la même manœuvre de dépassement que lui pour contourner un obstacle sur une voie de circulation. L’auto-patrouille est stationnée non loin d’où M. Janvier discute avec ses amis et le patrouilleur les observe.
[114] Le témoignage de l’agent Desormeaux est aussi contredit par le journal des activités de cette journée[54], qui corrobore la version de M. Janvier.
[115] Le journal des activités révèle en effet que l’agent Desormeaux interroge le CRPQ pour obtenir des informations sur la plaque d’immatriculation de la voiture de Mme Estimable à 14 h 13 le 15 juillet 2019, et que ce n’est que 21 minutes plus tard qu’il entre le nom de M. Janvier dans le fichier informatisé du CRPQ, soit après avoir obtenu son permis de conduire. L’agent Desormeaux n’a pas expliqué pourquoi il aurait « enquêté » la plaque du véhicule des plaignants 21 minutes avant de l’intercepter ni pourquoi il aurait enquêté cette plaque alors qu’il n’était pas directement derrière le véhicule avec son auto-patrouille.
[116] Les témoignages et les informations au journal des activités permettent de conclure qu’après avoir repéré le véhicule des plaignants en se fiant à la description que l’agente Turgeon lui en avait faite, l’agent Desormeaux souhaitait intercepter M. Janvier pour vérifier s’il avait réellement l’air aussi jeune que l’agente Turgeon l’avait perçu le 2 juin 2019. C’est ce qu’il a fait le 15 juillet 2019, quand l’occasion s’est présentée.
[117] Formé par le SPVG en matière de profilage racial (comme Isabelle Plante en a longuement témoigné, nous y reviendrons) et au fait de la réaction de M. Janvier à l’interception par l’agente Turgeon survenue six semaines plus tôt, l’agent Desormeaux ne pouvait pas ignorer l’impact qu’aurait sur celui-ci une interpellation et une détention sans motif. C’est donc le désir de valider la perception de sa collègue que M. Janvier avait l’air beaucoup plus jeune que son âge ou celui de la « venger » en faisant subir à M. Janvier l’inconfort d’une interception, qui conduit l’agent Desormeaux à le surveiller ouvertement, le suivre, l’intercepter et le détenir sans motif.
[118] Le Tribunal insiste sur le fait que l’interception de l’agent Desormeaux était sans motif. La Ville de Gatineau n’a en effet pas établi en vertu de quelle disposition règlementaire il est interdit de contourner un obstacle temporaire sur une voie qui n’est pas fermée à la circulation, lorsque les règles de prudence sont respectées.
[119] L’article 55 du Règlement sur la signalisation routière[55], prévoit que « les marques de couleur blanche ou jaune tracées sur la chaussée servent à guider et à diriger la circulation [...] »[56], alors que l’article 28 prévoit que le dépassement est interdit lorsqu’un panneau l’indique.
[120] Si la règle dont l’agent Desormeaux a parlé existe, il y a lieu de se demander pourquoi la Ville de Gatineau ne l’a pas invoquée. Quoi qu’il en soit, le Tribunal conclurait que M. Janvier a fait l’objet de profilage racial de la part de l’agent Desormeaux puisqu’il a vu la couleur de sa peau avant de l’intercepter et le détenir et n’a intercepté aucun des autres véhicules qui le précédaient et qui ont fait la même manœuvre de contournement que lui.
[121] Force est alors de constater que la Ville de Gatineau qui s’est servi du témoignage de l’agent Desormeaux dans le cadre de la défense de l’agente Turgeon approuve ce genre d’intervention, bien qu’il ajoute au stress que M. Janvier a décrit en lien avec l’intervention précédente de l’agente Turgeon.
[122] Toutefois, comme M. Janvier n’a pas dénoncé le comportement de l’agent Desormeaux à la déontologie policière ni à la CDPDJ et ne réclame pas d’indemnité en lien avec cette intervention, le Tribunal n’en tiendra pas compte dans la détermination de l’indemnité qu’il lui accordera.
[123] En matière de profilage racial, le Tribunal n’a pas à déterminer si l’intervention policière était raisonnable ou adéquate dans les circonstances, mais bien si elle a compromis le droit à l’égalité de la victime par son caractère discriminatoire au sens de la Charte[57].
[124] La partie qui dénonce le comportement dont elle estime avoir été victime et demande au Tribunal d’en prendre acte n’a pas à démontrer que la couleur de sa peau ou sa race a été la cause principale, la cause efficiente, la motivation première, le véritable motif ou encore l’élément déterminant du traitement différencié qu’elle a subi[58]. Il suffit que la race ou la couleur ait été un facteur parmi d’autres qui a contribué au traitement différencié que la personne a subi. Ainsi, l’existence de motifs légaux pour expliquer une intervention auprès d’une personne racisée ou perçue comme telle ne suffit pas à écarter l’existence de profilage racial[59].
[125] La preuve qu’un acte est motivé par du profilage racial, c’est-à-dire qu’il y a un lien entre le traitement reproché et la race ou la couleur de la personne qui subit le traitement, est généralement indirecte. Elle s’établit par la prise en compte de divers éléments de nature circonstancielle.
[126] Parce qu’il s’agit d’une preuve très difficile à faire, les tribunaux doivent être sensibles au contexte dans son ensemble lorsqu’ils évaluent si la race ou la couleur a, consciemment ou non, joué un rôle dans le comportement reproché[60]. Dans son évaluation de la situation, le Tribunal peut tenir compte de comportements qui, même pris isolément, peuvent être des indices de profilage : des questions inappropriées ou posées sans raison valable ; des décisions inusitées qui se démarquent des pratiques normales et correspondent au traitement différencié visé et interdit par la Charte[61] ; l’intransigeance, la suspicion, le harcèlement, des propos à caractère discriminatoire, un abus de droit ou de pouvoir[62].
[127] Lorsque la décision d’un agent de la paix est influencée ou motivée d’une quelconque façon par des considérations de race ou de couleur, elle est contaminée. Le juge doit alors conclure qu’il y a profilage discriminatoire, même si la décision peut paraître objectivement motivée après coup[63]. Ceci est d’autant plus vrai lorsque l’analyse révèle que la décision n’était pas objectivement motivée.
[128] Des explications invraisemblables ou contradictoires peuvent revêtir une importance considérable pour déterminer s’il y a eu profilage racial[64].
* * *
[129] La preuve a établi que la couleur de peau de M. Janvier a été un facteur dans l’interception du véhicule de Mme Estimable : l’agente Turgeon dévie de sa trajectoire alors qu’elle se rend sur les lieux où un citoyen a entendu des bruits de déflagrations, pour vérifier la validité du permis de conduire d’un homme noir qui conduit un véhicule immatriculé au nom d’une femme. Elle n’a aucun autre motif pour intercepter le véhicule : le véhicule ne présente aucun signe de mauvais état et n’est pas lié à une personne recherchée ou déjà connue de la police ; le permis de conduire de la propriétaire est valide et l’immatriculation payée.
[130] L’agente n’a pas expliqué pourquoi la vérification de la validité du permis de conduire de M. Janvier est devenue plus importante dans sa mission « de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, de prévenir et réprimer le crime »[65], que de se rendre sur les lieux où des bruits de déflagrations avaient été entendus afin de vérifier leur provenance et si cela présentait un risque pour la sécurité des citoyens.
[131] Tenant compte, de plus, de l’approche familière de l’agente à l’endroit de M. Janvier lorsqu’elle lui dit qu’il n’a « pas l’air d’une Wilda » et les soupçons qu’elle entretient quant à son identité sur la base de motifs purement subjectifs, le Tribunal conclut que la CDPDJ a satisfait son fardeau d’établir l’existence de discrimination à première vue et a établi que la couleur de peau de M. Janvier a été un facteur dans la décision de l’agente d’intercepter le véhicule et de détenir M. Janvier pour enquêter sur son identité après qu’il se soit dûment identifié en présentant son permis de conduire.
« L’agression contre autrui a besoin d’être légitimée et excusée. L’agresseur a besoin d’être rassuré, de se rassurer »[66].
[132] Les recherches en sociologie ont établi que les préjugés jouent un rôle important dans les relations humaines et sont difficiles à combattre :
[…] la recherche en psychologie sociale et en sociologie a largement démontré que les interactions humaines sont en grande partie dépendantes de nos préjugés et stéréotypes, ceux-ci servant à interpréter la réalité qui nous entoure et à déterminer les actions à entreprendre (Stangor, 2016). Plus encore, de tels préjugés sont le plus souvent inconscients et, ce faisant, extrêmement difficiles à combattre. Ainsi, n’importe quel membre policier va « lire » la réalité qui l’entoure selon des cadres implicites qui structurent sa compréhension du monde et son interprétation de la situation va changer selon qu’il fait face à une personne jeune ou âgée, à un homme ou à une femme, etc. (Goffman, 1974 ; Manning, 1977 ; Meyer, 2012). Bien entendu, la race étant une catégorie d’appartenance de l’identité importante dans nos sociétés, cette caractéristique va également lui servir à comprendre le monde qui l’entoure[67].
[133] Le racisme envers les hommes noirs est influencé par un ensemble de stéréotypes négatifs imaginés puis véhiculés par l’imaginaire collectif depuis le XVIIe siècle, pour justifier la traite des esclaves et les conditions de vie dans lesquelles ils ont été maintenus pendant plusieurs siècles. Ces stéréotypes les dépeignent comme étant de nature plus criminelle, physiquement plus forts, plus violents, plus agressifs, plus menaçants, plus pauvres et moins intelligents que les hommes blancs[68]. Intégrés par une partie de la population, consciemment ou non, ces stéréotypes amènent les policiers – comme une partie de la population en général – à plus rapidement soupçonner les hommes noirs d’être engagés dans une activité criminelle, à les traiter plus sévèrement et avec plus de force que les hommes blancs. Cette situation est bien connue des tribunaux[69].
[134] Le profilage est ancré dans le processus mental que suit une personne en autorité. Dans le cas d’une détention, ce processus mental rend la détention arbitraire parce qu’elle ne repose pas sur les soupçons raisonnables nécessaires pour justifier l’intervention auprès de l’individu ciblé[70].
[135] Pour déterminer s’il y a discrimination par profilage racial, il faut répondre à la question de savoir si la personne en autorité aurait agi différemment si le plaignant n’avait pas été membre d’un groupe protégé par la Charte[71], c’est-à-dire en l’instance si M. Janvier n’avait pas eu la peau noire.
[136] Lorsque la race, les stéréotypes raciaux ou la couleur de la peau sont « utilisés dans une quelconque mesure (to any degree) » dans le traitement d’une personne, aucun soupçon ou motif raisonnable ne peut justifier l’intervention a posteriori : la décision constitue du profilage racial[72].
[137] En déontologie policière, il a été décidé qu’à l’occasion de l’interception d’un véhicule aux seules fins de vérifier la validité du permis de conduire du conducteur, l’agent doit s’en tenir à demander les papiers d’identité du conducteur, sans faire aucun autre commentaire[73].
[138] Immobiliser un véhicule au hasard pour les fins d’un contrôle routier ponctuel restreint la liberté d’action de son conducteur et constitue une détention arbitraire puisqu’aucun critère ne régit l’exercice du pouvoir discrétionnaire des policiers dans ces situations[74].
[139] Mis sur pied pour réduire le nombre de décès et de blessures causées par des conducteurs qui conduisent dangereusement ou sous l’influence de l’alcool[75], l’interception arbitraire de véhicules devrait servir à vérifier la sobriété des conducteurs, la validité de leur permis[76], du certificat de propriété[77], que le véhicule est assuré conformément aux prescriptions de la loi[78], et ultimement, l’état mécanique du véhicule[79].
[140] Dans ce contexte, une personne détenue en vertu de l’article
[141] Les défenderesses soutiennent que durant son quart de travail dans la nuit le 2 juin 2019, l’agente Turgeon répondait à des appels et patrouillait son secteur en prévention de la criminalité. C’est dans ce but qu’elle vérifie de façon aléatoire des plaques d’immatriculation qui sont dans son champ de vision.
[142] L’agente Turgeon explique que son travail consiste à enquêter l’usurpation d’identité. Ainsi, l’interception dont le but initial était de vérifier la validité du permis de conduire du conducteur parce qu’il n’était pas le propriétaire du véhicule, s’est transformée en enquête sur une usurpation possible d’identité. Le motif de cette enquête est on ne peut plus subjectif : un homme noir d’une cinquantaine d’années ne présente pas les mêmes signes de vieillissement que le père de l’agente, lequel est blanc et du même âge que le conducteur.
[143] Le Tribunal note ici que lorsque l’agente Turgeon affirme qu’une voiture de marque Cadillac n’est pas une voiture de luxe, elle a tort : il s’agit d’une voiture de luxe de marque américaine. Nier ce fait est une tentative infructueuse d’éliminer un des éléments qui milite en faveur de la conclusion que le profilage racial a joué dans la présente affaire, en lien avec le phénomène décrit par l’expression « driving while black »[83].
[144] Le fait que la voiture est de l’année 2008 ne change pas qu’elle demeure une voiture de luxe, tout comme en 2012 une BMW de l’année 2001 ne perd pas son statut de voiture de luxe du seul fait de son âge[84].
[145] L’agente Turgeon n’explique pas pourquoi elle décide d’intercepter le véhicule seulement après avoir vu le conducteur. Même en possession des informations qui concernent la propriétaire du véhicule, elle pouvait intercepter le véhicule comme l’article
[146] L’affirmation de l’agente Turgeon qu’elle était à la gauche du véhicule lorsqu’elle a fait un arrêt obligatoire et regardé dans l’habitable est contredite par les plaignants qui, tous les deux, témoignent avec autant de sincérité que l’agente et affirment qu’elle s’est placée à la droite de leur véhicule.
[147] Il est de connaissance judiciaire qu’une fois au niveau de la fenêtre du conducteur ou du passager d’un véhicule on peut voir si les deux sièges avant sont occupés. De même, durant la manœuvre de dépassement, on peut aussi voir s’il y a des passagers assis à l’arrière du véhicule en regardant dans le véhicule.
[148] Si l’agente a vu que le conducteur de la Cadillac était un homme, c’est qu’elle a tourné la tête pour regarder à l’intérieur du véhicule.
[149] Le Tribunal conclut qu’elle a vu M. Janvier et Mme Estimable une fois au niveau de la fenêtre du passager ou du conducteur. Plus encore, le Tribunal croit qu’elle avait le devoir, pour sa propre sécurité, de vérifier combien de passagers se trouvaient dans le véhicule avant de décider si elle pouvait intercepter le véhicule seule en toute sécurité à une heure où il y a peu de circulation et donc peu de possibilités que quelqu’un lui vienne en aide en cas de problème.
[150] L’agente aurait pu voir que le conducteur du véhicule était un homme depuis la droite du véhicule, comme elle l’a fait alors qu’elle se plaçait à la droite d’un véhicule le 9 décembre 2017[87]. Elle pouvait le déduire aussi depuis l’arrière du véhicule, comme il lui est déjà arrivé de conclure que le véhicule qu’elle suivait alors qu’il faisait nuit était conduit par une femme[88] ou un homme[89], ou par une personne dont l’âge diffère de celui du propriétaire du véhicule inscrit à la SAAQ[90]. Les constats d’infractions analysés dans le cadre de la preuve des défenderesses permettent ainsi de retenir qu’un policier reconnaît le genre d’un conducteur sans le voir, en roulant derrière le véhicule, même lorsqu’il fait nuit[91].
[151] Ainsi, le fait que les témoignages soient contradictoires quant à savoir si l’agente s’est placée à la droite ou à la gauche de la Cadillac n’a, au mieux, pas d’incidence sur l’issue du litige, sinon cela est défavorable à l’agente pour les raisons qui suivent.
[152] La mémoire s’estompe inévitablement avec le temps[92]. Elle est un processus actif complexe, susceptible de nombreuses distorsions qui ne sont pas uniquement fonction du temps écoulé. Au mieux, elle ne restitue qu’une perception de l’événement original et n’est qu’un indice fragile parmi d’autres[93].
[153] Lorsqu’elle intercepte le véhicule de luxe, cinq longues minutes après avoir obtenu la réponse à sa demande d’informations au CRPQ concernant la plaque d’immatriculation, l’agente Turgeon sait qu’il est occupé par un homme noir qui n’est pas associé au véhicule. Elle choisit de dévier de sa route et de ne pas se rendre sur les lieux où un citoyen a dénoncé que la paix était troublée pour s’assurer qu’aucun acte criminel n’était en cours.
[154] Le fait que dans les premières minutes de l’intervention M. Janvier n’ait pas pensé qu’il était victime de profilage racial n’est pas pertinent dans la détermination de savoir si la couleur de sa peau, sa race ou son origine ethnique a influencé le processus mental de l’agente Turgeon.
[155] L’agente Turgeon n’a pas agi de façon conforme à sa pratique policière régulière d’intercepter un véhicule pour vérifier la validité du permis de conduire du conducteur : aucun des rapports d’infractions abrégés analysés durant l’instruction ne fait état que l’agente choisit de ne pas répondre à un appel pour enquêter sur la perpétration possible d’une infraction criminelle pour, à la place, enquêter sur une plaque d’immatriculation.
[156] Quant à l’affirmation des défenderesses que les interceptions que l’agente Turgeon faisait en vertu de l’article
[157] Né en 1966, M. Janvier est âgé de 53 ans le 2 janvier 2019.
[158] À l’audience, en mai 2023, M. Janvier n’a pas l’air d’avoir 30 ans. Le Tribunal en conclut qu’une personne raisonnable qui l’aurait comparé à une personne noire du même âge le 2 juin 2019 n’aurait pas conclu qu’il était âgé de 26 ou 27 ans.
[159] Il est par ailleurs tout à fait inexplicable de la part d’une personne en autorité de comparer les caractéristiques physiques d’une personne noire avec celles de son père blanc (et non la personne blanche moyenne au début de la cinquantaine), pour conclure que la première doit mentir sur son âge et donc sur son identité parce que la personne en autorité trouve qu’elle a l’air plus jeune que son père.
[160] Fonder un doute quant à l’identité de la personne noire et penser qu’elle ne veut pas révéler sa vraie identité sur cette comparaison boiteuse relève d’une astuce dont le but est d’éluder le reproche lié au profilage racial.
[161] Selon l’agente Turgeon, son père présente une calvitie, a les cheveux blancs, des rides, une peau qui perd de son tonus. M. Janvier n’a pas de cheveux blancs, pas de rides et une peau qui a plus de tonus. Une telle comparaison ne peut toutefois pas constituer un motif raisonnable pour mettre en doute la validité de la carte d’identité qu’il a remise et utiliser la « technique du portier ».
[162] Cette technique, qui consiste à demander à un citoyen de décliner sa date de naissance, son adresse ou toute autre information personnelle pour vérifier son identité, n’est d’ailleurs pas infaillible, comme l’affaire Boisvenu c. Sherbrooke (Ville de)[95] l’a démontré. En l’instance, la preuve n’a pas établi en quoi elle offrait plus de garantie de fiabilité que le permis de conduire de M. Janvier qui n’avait pas l’air d’un faux, ou qu’une autre pièce d’identité que l’agente n’a pas jugé utile de demander, ou qu’elle a demandé sans l’analyser.
[163] Dans l’affaire Boisvenu, la technique du portier a été utilisée sans succès à l’égard d’une même personne au cours d’une même nuit, à des moments différents, par des équipes de patrouilleurs qui ne se sont ni croisées ni parlées. Malgré le comportement douteux d’un homme blanc qui n’avait pas de papier d’identité, cette technique n’a pas permis de déjouer le fait qu’il se faisait passer pour une autre personne dont il connaissait les informations personnelles. Sans motif pour l’arrêter, les policiers l’ont laissé aller, ce qui lui a permis de perpétrer un crime sordide.
[164] Dans cette affaire, le service de police était poursuivi pour ne pas avoir empêché l’homme en question d’enlever et tuer une jeune femme quelques minutes après la deuxième interception. Un des agents a déclaré que pour faire une enquête de second niveau sur une personne il faut des motifs, des éléments qui attaquent la bonne foi. Selon cet agent lorsque « la personne collabore, on ne peut pas présumer qu’elle ne dit pas la vérité »[96]. La Cour a décidé qu’il n’est pas fautif pour des policiers de ne pas enquêter sur une personne qui n’a pas de papiers d’identité si sa façon de répondre ne leur donne pas de raison de douter de la fiabilité des informations qu’elle donne.
[165] Lorsqu’on compare les circonstances de l’interception de M. Janvier avec celles du suspect dans l’affaire Boisvenu, on constate qu’un homme noir qui n’a rien à se reprocher est traité avec moins d’indulgence qu’un homme blanc au passé criminel qui a un comportement suspect en pleine nuit.
[166] Il est difficile de concilier le fait qu’il soit à la fois raisonnable :
- De ne pas pousser plus loin l’enquête sur l’identité d’une personne blanche interpellée à cause de son comportement suspect et qui manifeste vouloir échapper à la police, parce que, malgré qu’elle n’ait pas de papier d’identité sur elle, elle fournit sans hésiter de fausses informations en répondant à des questions; et
- De douter de l’identité d’un homme noir qui n’a commis aucune infraction, n’a pas un comportement suspect et a fourni un permis de conduire officiel qui ne présente aucun signe de contrefaçon.
[167] Ceci est d’autant plus vrai que, dans la présente affaire, l’agente a rapidement perçu que M. Janvier était indisposé par l’interpellation à cause de son vécu de personne noire et par sa façon familière et inappropriée de s’adresser à lui, en lui donnant l’impression de lui demander s’il était recherché par la police.
[168] De plus, les rapports d’infractions abrégés analysés durant l’instruction révèlent que l’agente Turgeon utilise la technique du portier pour identifier un conducteur lorsqu’il n’a aucun papier d’identité sur lui, lorsque, après avoir constaté avant l’interception qu’il a l’air plus âgé[97] ou plus jeune[98] que le propriétaire du véhicule inscrit au fichier de la SAAQ, il s’identifie en donnant le nom du propriétaire du véhicule plutôt que son vrai nom.
[169] Le rapport d’infraction abrégé qui concerne le constat no 404 732 856 suggère, par ailleurs, qu’il est possible de voir la différence d’âge entre l’âge du propriétaire du véhicule inscrit au fichier CRPQ et celui du conducteur à 1 h 40 dans la nuit alors même que l’agente suit le véhicule[99].
[170] Le Tribunal a retracé une seule décision dans laquelle la technique du portier a été utilisée. Dans cette affaire qui impliquait le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), la technique a été utilisée deux fois pour identifier :
Une personne dont la photographie sur sa carte d’assurance maladie était altérée et n’avait pas d’autre pièce d’identité officielle sur elle qui permettait de l’identifier[100].
Une autre qui n’avait aucune pièce d’identité sur elle permettant de l’identifier[101].
[171] L’agente Turgeon n’avait aucun motif valable et raisonnable de douter de l’identité de M. Janvier. Si elle a choisi de ne pas lui demander une deuxième pièce d’identité pour vérifier la « véracité » de l’information sur la première, c’est qu’elle ne croyait pas que la carte qu’il lui avait remise était fausse et elle aurait dû mettre fin à sa détention.
[172] L’agente Turgeon a témoigné être ébranlée, déstabilisée, désemparée devant le constat que M. Janvier mettait en doute la « légalité » de son intervention en lien avec le profilage racial, au point d’en avoir eu les mains qui tremblent. Le Tribunal conclut qu’il est impossible, dans ces circonstances, qu’elle ait demandé à M. Janvier de lui remettre une autre carte d’identité ou qu’il le lui ait offert, qu’il la lui ait remise, mais qu’elle n’ait pas pris la carte ou omis d’en faire mention dans son rapport à cause de son état de choc.
[173] Douter de l’identité d’une personne qui paraît plus jeune que son âge chronologique repose uniquement sur une croyance non vérifiable et insondable. C’est ainsi que le profilage racial peut s’exercer « de façon insidieuse, sans que le policier soit pour autant mu par des valeurs racistes »[102].
[174] Il y a lieu de se demander si l’agente Turgeon, placée dans les mêmes circonstances mais voulant identifier un homme blanc, aurait douté de la validité de la carte d’identité qu’il lui aurait remise et voulu éliminer le risque d’usurpation d’identité parce qu’il avait l’air plus jeune ou plus vieux qu’un homme noir du même âge.
[175] Le Tribunal ne partage pas l’avis des défenderesses lorsqu’elles expriment que l’agente Turgeon était justifiée de faire un commentaire à M. Janvier sur son âge parce qu’il a admis s’être déjà fait dire qu’il avait l’air plus jeune que son âge, et ce, pour deux raisons.
[176] Dans un contexte social, se faire dire qu’on a l’air plus jeune que son âge est un compliment quant à son apparence physique. La personne visée remercie son interlocuteur et son égo s’en trouve flatté. Le contexte fait en sorte qu’un commentaire de ce genre, si tant est qu’il est déplacé, est sans réelle conséquence.
[177] La remarque de l’agente Turgeon concernant l’âge de M. Janvier ne se voulait pas un compliment. Elle traduisait plutôt le fait qu’elle ne croyait pas qu’il était qui il disait être, et donc qu’il lui aurait remis une fausse carte d’identité. Dire à M. Janvier, un homme de plus de 50 ans, qu’il semble avoir environ 25 ans peut certainement être reçu comme un commentaire ridicule, dénigrant, voire un prétexte pour intercepter un « homme » noir au volant d’une voiture de luxe.
[178] Comment répondre à cette micro-agression ? Comment se défendre contre le fait qu’on n’a pas menti sur son identité ? Comment convaincre quelqu’un qui croit qu’on a 25 ans qu’on en a réellement 53 comme notre carte d’identité l’indique ? Une personne qui, comme M. Janvier, est confrontée à des commentaires du genre de ceux de l’agente Turgeon peut raisonnablement se demander si sa parole vaudra plus que sa carte d’identité qui n’est non seulement pas frauduleuse, mais n’en a pas l’air.
[179] Le Tribunal écarte le témoignage de l’agente Turgeon, comme celui de l’agent Desormeaux, voulant que demander une deuxième pièce d’identité à M. Janvier n’était pas pertinent en l’instance. Lorsqu’un policier doute de l’information sur une carte qui lui est remise, cette technique est rapportée comme étant valide dans une autre affaire[103]. Elle apparait surtout plus fiable que la technique du portier qui peut facilement déjouer des policiers attentifs comme l’affaire Boisvenu l’a démontré.
[180] De fait, un agent de la paix qui a des motifs raisonnables de croire qu’une personne ne déclare pas ses véritables nom et adresse peut exiger des renseignements additionnels, la plupart du temps en demandant d’examiner un document d’identification avec photo[104].
[181] Le témoignage de l’agente Turgeon est confus lorsqu’elle essaie d’expliquer pourquoi elle a recours à la technique du portier, puisqu’elle indique qu’elle ne doute pas de la validité de la pièce que M. Janvier lui a remise. Si le Tribunal devait retenir cette affirmation, il devrait conclure que l’agente n’avait alors aucune raison d’enquêter sur la « véracité » de l’identité qui lui a été fournie.
[182] Elle affirme aussi que la technique du portier lui permettait de diminuer les chances que M. Janvier ait emprunté la pièce d’identité de quelqu’un, mais n’explique pas, si elle ne doute pas de son identité, pourquoi elle pense (en dehors du préjugé voulant que les Noirs soient plus criminalisés et donc plus fourbes) qu’il pourrait lui avoir remis la carte de quelqu’un d’autre.
[183] Les défenderesses ont tort lorsqu’elles soutiennent que demander à M. Janvier s’il était connu des policiers était une façon alternative raisonnable dans les circonstances de tenter de l’identifier, qui ne faisait pas preuve d’un biais à l’égard des personnes racisées et qui valait mieux que la contrainte et l’usage de la force.
[184] Le pouvoir d’un agent de la paix de demander à une personne qu’elle lui fournisse des renseignements permettant de confirmer l’exactitude des informations qu’elle lui a fournies pour s’identifier est tributaire du fait que l’agent « a des motifs raisonnables de croire que cette personne ne lui a pas déclaré ses véritables nom et adresse »[105].
[185] Une personne peut, par ailleurs, refuser de fournir des renseignements permettant de confirmer l’exactitude des informations qu’elle a déjà données tant qu’elle n’est pas informée de l’infraction alléguée contre elle[106]. Or, dans la présente affaire, M. Janvier n’avait commis aucune infraction, avait fourni son permis de conduire lorsque l’agente lui en a fait la demande et celle-ci ne l’a pas informé qu’elle doutait de la validité de son permis de conduire.
[186] Aucun citoyen, incluant les hommes noirs, n’a à s’identifier pour satisfaire la curiosité d’un patrouilleur.
[187] L’agente Turgeon n’a pas arrêté M. Janvier à des fins d’identification, usé de la force, ni ne l’a menotté, comme la loi le permet lorsqu’une personne refuse de s’identifier[107]. Elle n’a pas usé de la force parce que M. Janvier n’a pas refusé de s’identifier et parce qu’elle ne jugeait pas pertinent, comme elle l’a déclaré, de lui demander une deuxième carte d’identité, ce qui aurait évité d’avoir à procéder à une fouille[108]. L’agente Turgeon n’a donc pas fait une « faveur » à M. Janvier en n’usant pas de la force, comme les défenderesses semblent le croire.
* * *
[188] « Ça va être correct ».
[189] C’est ce que dit l’agente Turgeon à M. Janvier pour lui signifier qu’il peut partir.
[190] Dans le contexte, M. Janvier déclare qu’il reçoit cette information comme signifiant « je ne vous crois toujours pas, mais je vous laisse partir ». Le fait que l’agente Turgeon doutait de lui et cherchait des raisons pour le détenir ne lui a pas échappé. L’agente l’a bien vu. Lui dire « ça va être correct » n’était pas approprié dans les circonstances ; cette façon de s’adresser à M. Janvier reflète l’état d’esprit de l’agente qui estimait alors, comme elle l’a déclaré à l’instruction, qu’elle ne l’avait pas identifié.
[191] Le Tribunal n’est pas d’accord avec les défenderesses lorsqu’elles affirment que M. Janvier a refusé de coopérer et que l’agente Turgeon a mis fin à son intervention sans l’avoir identifié.
[192] L’agente avait en main une carte d’identité dont elle ne pouvait pas raisonnablement remettre la validité en doute. Elle avait devant elle une personne qui lui offrait une autre carte et un passager qui pouvait aussi s’identifier. Puisque la vérification qui doit être faite en vertu de l’article
[193] Croire ou tenter de faire croire qu’il en était autrement avec M. Janvier est lié au profilage racial et au traitement différencié qui le caractérise, qui veut qu’un homme noir doive s’identifier hors de tout doute.
[194] Dans l’exécution du mandat qui leur est confié d’enquêter sur les crimes[109], les policiers doivent protéger les citoyens contre l’arbitraire et l’abus de pouvoir et procéder, certes avec rigueur et sérieux, mais aussi en toute objectivité[110].
[195] Mme Estimable, qui elle aussi a la peau noire, est une victime par ricochet de la discrimination dont elle a été témoin[111]. Comme son conjoint, elle fait le constat que la parole d’une personne noire a moins de valeur que celle d’une personne blanche. Elle est témoin en première ligne que même valide et officielle, la carte d’identité d’une personne noire ne suffit pas à l’identifier dans un exercice de routine nullement en lien avec une infraction criminelle ou pénale.
[196] Le témoignage qu’elle rend, ses réactions émotives durant les témoignages et les représentations et ses tentatives infructueuses de retenir ses larmes, ont établi qu’elle aussi a subi l’intervention du 2 juin 2019 comme une remise en question par une personne en autorité qui a le pouvoir de l’arrêter, de sa valeur comme citoyenne, de la valeur de sa parole, et que cela lui a causé un préjudice.
[197] En fait, le 2 juin 2019, elle anticipe que le motif de l’intervention est en lien avec la couleur de sa peau et celle de M. Janvier puisque tous les deux sont conscients qu’une auto-patrouille les suit pendant cinq longues minutes avant d’activer ses gyrophares. Elle déclare d’ailleurs spontanément lorsque les gyrophares sont activés : « Oh, ça y est », alors qu’elle sait qu’ils n’ont commis aucune infraction et que les papiers qui leur donnent le droit de circuler avec le véhicule sont en règle.
[198] Témoin du fait que M. Janvier est tendu et ne répond pas au commentaire de l’agente Turgeon voulant qu’il paraisse plus jeune que l’âge chronologique qu’il devrait avoir suivant son permis de conduire, elle offre son permis de conduire et dit à l’agente qu’elle aussi se fait dire qu’elle a l’air plus jeune que son âge. L’agente Turgeon l’a pris sans tenir compte de l’information y contenue ou a refusé de le prendre rejetant du revers de la main une information qui aurait pu la rassurer quant à l’identité du conducteur.
[199] Mme Estimable continue d’être affectée par la situation, puisqu’encore aujourd’hui elle offre à M. Janvier de l’accompagner lorsqu’il utilise le véhicule pour éviter qu’il revive une situation similaire à celle du 2 juin 2019.
[200] La CDPDJ recherche une condamnation solidaire contre la Ville de Gatineau et l’agente Turgeon à payer 10 000 $ à titre de dommages-intérêts moraux au bénéfice de chacun des plaignants.
[201] Le profilage racial est incompatible avec le droit à la sauvegarde de la dignité et le droit à l’égalité[112]. Pour que M. Janvier et Mme Estimable aient droit à une indemnité en lien avec le traitement qu’ils ont subi le 2 juin 2019, le Tribunal doit conclure que leur droit à l’égalité a été violé à cause de leur race, la couleur de leur peau, ou leur appartenance ethnique, et que cela a compromis la reconnaissance ou l’exercice, en pleine égalité, de leur droit à la sauvegarde de leur dignité.
[202] Une arrestation illégale, une détention illégale, même de courte durée, ne peut être assimilée aux désagréments, angoisses et craintes qui participent du fait de vivre en société. Elle est la source d’un préjudice indemnisable[113]. Dans une société libre et démocratique, personne ne devrait accepter ni s’attendre à subir les ingérences injustifiées ou discriminatoires de l’État. Les atteintes à la liberté de mouvement et à la vie privée ne doivent pas être banalisées[114].
[203] M. Janvier témoigne avoir trouvé l’intervention de l’agente Turgeon choquante, dure et angoissante. Le soir même, il en reparle avec sa conjointe et a de la difficulté à dormir. Il se demande pourquoi il a été intercepté. Il déduit de la détention qu’il a subie le 2 juin 2019 qu’une partie de la police fait son travail de façon « non professionnelle ».
[204] Cela a aussi entraîné un changement de comportement chez Mme Estimable qui, par crainte qu’il subisse une nouvelle détention mue par du profilage racial, lui offre de l’accompagner lorsqu’il veut sortir avec leur véhicule comme s’il était en danger de circuler seul en voiture dans les rues de la ville.
[205] Les termes qu’il emploie dans le formulaire de plainte qu’il signe le 13 juin 2019 et transmet au Commissaire à la déontologie policière expriment bien la colère et l’indignation que lui a fait vivre l’interception du 2 juin 2019. Il écrit :
Suite à cet événement, on ne se sentait pas on avait le moral très bas car nous avions l’impression qu’on venait de subir un contrôle au faciès. On a eu de la difficulté à s’endormir. On s’imaginait toutes sortes de scénarios. On s’est dit que si on doit vivre cette situation encore, vaux mieux qu’on déménage à Ottawa. Maintenant, à chaque foi qu’on voit une voiture de patrouille, on revoir encore cette scène et on se demande si on ne va pas se faire intercepter pour des raisons banales. On a même peur de déposer cette plainte. Mais à la place qui est la nôtre, nous devons démasqués le comportement démesuré de la policière Turgeon. […] je crains fort que l’on assiste à de nouveaux débordements langagiers. Il faut attaquer chaque dérive verbal, discriminante et outrageant. Le contrôle au faciès prend assise sur des préjugées et des stéréotypes, souvent inconscients que seul le contexte pourrait démontrer. Il n’y avait pas de motif précis et raisonnable pour cette interception. Le comportement de la policière a fourni les meilleurs éléments pour évaluer que la situation était anormale : manque de courtoisie, intransigeance, intervention disproportionnée. La policière Turgeon s’est moqué de moi en me disant que je pouvais être son père. Il a fallu que je produise une deuxième carte d’identité hormis mon permis de conduite. […][115]
(Transcription textuelle)
[206] Pour M. Janvier, il est évident que son interception le 2 janvier 2019 n’était pas un hasard. Il considère qu’il était dans une situation de profilage racial humiliante et abusive, et que l’interception était illégale parce que « le seul crime » qu’il avait commis ce soir-là était de se trouver au volant d’une belle voiture.
[207] L’effet des interventions policières excessives à l’égard des minorités raciales en l’absence de tout soupçon raisonnable relatif à une activité criminelle constitue plus qu’un simple désagrément[116]. Cela favorise une perte de confiance dans l’équité du système de justice pénale[117]. La Cour supérieure a fait état de crainte, de colère, d’anxiété sur le plan psychologique, aux retombées matérielles et professionnelles et aux effets sur la perception de la citoyenneté de ces interventions[118]. Ce sont les sentiments du droit d’exister, d’appartenance et de contribution à la communauté qu’elles remettent en cause.
[208] Les victimes de profilage racial mentionnent voir les policiers comme des agresseurs, comme des personnes dangereuses. Le fait de se sentir agressées peut les amener à cesser toute collaboration avec la police[119]. Les têtes dirigeantes sont d’ailleurs bien conscientes des effets pervers du profilage sur les populations qui en sont victimes[120].
[209] À plusieurs moments, durant le témoignage de l’agente Turgeon, voire durant les plaidoiries, le Tribunal a pu observer chez M. Janvier et Mme Estimable des démonstrations d’émotions vives, dont des tentatives de retenir des larmes.
[210] Il ne fait aucun doute pour le Tribunal que cette intervention a été lourde de conséquences pour les plaignants, qui craignent maintenant des conséquences pour M. Janvier lorsqu’il conduit seul le véhicule immatriculé au nom de Mme Estimable.
[211] Le Tribunal doit toutefois tenir compte du fait que l’agente Turgeon, malgré sa conviction non justifiée qu’elle n’avait pas suffisamment identifié M. Janvier, ne s’est pas laissé aller à l’escalade comme cela est malheureusement trop souvent le cas lors d’interventions policières qui impliquent des hommes noirs.
[212] L’agente Turgeon est restée calme. M. Janvier n’a pas été arrêté ni menotté et il n’a pas reçu de constat d’infraction. De même, le Tribunal constate que l’agente a cessé d’agir lorsqu’elle a pris conscience que son intervention était reçue comme relevant du profilage racial.
[213] Dans ces circonstances, une indemnité de 6 000 $ en faveur de M. Janvier semble suffisante.
[214] Le Tribunal est d’avis que Mme Estimable subit le même préjudice que son conjoint, M. Janvier, puisque ses tentatives de dissiper les soupçons, incompréhensibles de son point de vue de personne noire, de l’agente Turgeon quant à l’identité de son conjoint, sont ignorées.
[215] Elles sont ignorées si l’agente Turgeon ne prend pas, comme elle y a été invitée, la carte d’identité de Mme Estimable pour vérifier qu’elle est bien la propriétaire du véhicule. Elles le sont aussi si elle prend la carte d’identité puisque cela ne la rassure pas.
[216] Bien que Mme Estimable reçoive l’intervention comme une négation de sa valeur en tant que personne, ce n’est pas elle qui était visée par l’intervention. Le Tribunal fixe à 4 000 $ l’indemnité qu’il lui accorde.
[217] Le but de l’octroi de dommages-intérêts punitifs est de marquer la désapprobation de l’acte illicite et de dissuader son auteur de le répéter[121].
[218] Il y a atteinte illicite lorsque l’état d’esprit de l’auteur de l’atteinte dénote un désir ou une volonté de causer les conséquences de sa conduite, ou s’il agit en toute connaissance des conséquences probables de ses gestes.
[219] Les ordres donnés par le commettant, la connaissance ou la non-interdiction des actes illicites, l’omission d’ordonner la cessation de ceux-ci ainsi que le niveau hiérarchique du poste du préposé fautif au sein de l’organisation du commettant sont des éléments qui donnent lieu à une présomption de fait, laquelle établit par prépondérance de preuve, l’existence de la volonté du commettant à l’égard des conséquences de l’atteinte à des droits en contravention à la Charte[122].
[220] La preuve a démontré que l’agente Turgeon est consciente du phénomène du profilage racial et des conséquences qu’une intervention policière mue par ce phénomène peut avoir sur les personnes racisées. Elle ne veut pas être associée au profilage racial ; elle veut s’en distancer.
[221] Lorsqu’elle comprend l’impact de son intervention sur M. Janvier, de ses questions, de ses propos malhabiles, elle est ébranlée et non seulement cesse d’agir à l’égard de M. Janvier, mais a cessé depuis de faire des interceptions aléatoires en vertu de l’article
[222] En mai 2020, l’agente Turgeon s’est inscrite à un cours d’introduction sur « La communication interculturelle », dont l’objectif est de « comprendre la complexité et les dynamiques de la communication dans des situations d’interaction et d’échange interculturelles »[123].
[223] Une condamnation contre l’agente Turgeon à payer des dommages-intérêts punitifs n’aurait pas plus d’effet dissuasif à son endroit que le jugement qu’elle a elle-même porté sur la situation, tenant compte de son souhait de ne plus revivre une telle expérience.
[224] Le Tribunal ne peut pas dire la même chose de la Ville de Gatineau.
[225] L’agente Turgeon a témoigné que les réticences de M. Janvier de confirmer sa date de naissance et d’indiquer s’il avait déjà eu des interactions avec la police étaient liées au fait qu’il se croyait victime de profilage racial.
[226] Malgré cela, la Ville de Gatineau reproche à M. Janvier son manque de collaboration alors que dans les circonstances, comme nous l’avons vu plus haut, la loi ne lui imposait aucune obligation de répondre aux questions de l’agente, puisqu’elles n’étaient pas permises par la loi. La Ville refuse de reconnaître la problématique dans l’intervention du 2 juin 2019.
[227] Il est insuffisant pour la Ville de Gatineau de reconnaître l’existence du profilage racial en théorie sans mettre les efforts nécessaires et faire preuve d’une ouverture et d’une empathie suffisante pour, en pratique, reconnaître les situations qui en constituent et travailler à faire disparaître le phénomène un événement à la fois.
[228] Mais il y a plus.
[229] La Ville de Gatineau utilise l’interception de M. Janvier par l’agent Desormeaux pour tenter de démontrer que les « soupçons » de l’agente Turgeon quant à l’âge de M. Janvier étaient justifiés.
[230] Or, comme déjà expliqué, cette intervention relève du profilage racial et d’une détention injustifiée à l’encontre d’une personne qui s’est déjà plainte officiellement de la façon dont il a été traité le 2 juin 2019.
[231] En utilisant cette intervention dans le cadre de sa défense, la Ville de Gatineau envoie le message qu’elle cautionne un comportement illégal de la part d’un de ses agents, à savoir intercepter une personne qui a été victime de profilage racial ou de représailles, aux seules fins de satisfaire sa curiosité personnelle en ajoutant un commentaire déplacé concernant l’âge de M. Janvier, sans se soucier de l’impact de cette interception sur celui-ci.
[232] Malgré sa reconnaissance du phénomène du profilage racial et la mise en place de programmes pour le contrer, la Ville de Gatineau ne donne pas l’exemple en tolérant des manœuvres qui peuvent être vécues par une victime qui a déposé une plainte en déontologie policière et à la CDPDJ comme de l’intimidation.
[233] Pour ces motifs le Tribunal fait droit aux montants que la CDPDJ réclame en faveur de M. Janvier à titre de dommages-intérêts punitifs, soit 5 000 $.
[234] Étant donné le contenu du témoignage d’Isabelle Plante, chef de la division recherche et développement et stratégie organisationnelle au SPVG, qui a décrit tous les efforts consacrés par le SPVG depuis 2012 et ceux qui visent à répondre aux recommandations du Tribunal dans l’affaire Nyembwe[124] rendue en janvier 2021, le Tribunal répond par la négative à la question.
[235] Le SPVG reconnaît que la problématique du profilage racial existe. Il se mobilise pour faire évoluer les mentalités afin de tenter de l’enrayer.
[236] En 2012, trois policiers du SPVG ont reçu la formation sur le profilage racial qui était donnée par le SPVM, lesquels sont ensuite devenus moniteurs au SPVG. Le plan de la formation en question indique que le phénomène du profilage racial prend de l’ampleur et que l’organisation « désire outiller son personnel policier en mettant en place une stratégie de sensibilisation portant sur la diversité culturelle et l’intervention en milieu interculturel »[125].
[237] En 2015, le directeur du SPVG demande qu’un plan d’action soit élaboré pour se rapprocher des communautés culturelles[126].
[238] En 2019, à la demande du SPVG, une formation est dispensée à tous les policiers par le Centre d’apprentissage interculturel[127] afin d’augmenter les compétences interculturelles, mieux collaborer et comprendre les enjeux.
[239] Le SPVG a préparé une fiche technique intitulée « Culture éthique - Le profilage racial et social : en être conscient »[128]. Dans cette fiche, qui est envoyée à tous les employés et laissée à des endroits stratégiques, après avoir expliqué ce qu’est le profilage racial et social et donné en exemple les jugements du Tribunal dans Mensah[129] et Rezko[130], le SPVG rappelle à ses employés que le profilage est proscrit et les invite à prendre conscience de ses conséquences sur les citoyens.
[240] En mars 2020, l’inspecteur-chef de la Division des normes professionnelles et des affaires internes écrit au président de la CDPDJ pour lui demander d’offrir des séances de formations dans le cadre de la formation que le SPVG a préparée pour lutter contre le profilage racial, sur la Charte et son mécanisme de protection, et ce, en réponse à l’étude parue en septembre 2019[131].
[241] Le 11 février 2021, un mois après que le jugement du Tribunal dans l’affaire Nyembwe[132] ait été rendu, le SPVG écrit à nouveau à la CDPDJ pour réitérer sa demande qu’elle dispense une formation sur le profilage racial à ses policiers[133], demande qui à ce jour est restée lettre morte de la part de la CDPDJ.
[242] À l’interne, le SPVG prend connaissance du rapport Harmony sur le profilage racial au sein du SPVM, ce qui donne lieu à la rédaction d’une directive organisationnelle sur les interpellations policières en novembre 2021[134].
[243] Après le jugement Nyembwe, le SPVG développe une nouvelle formation sur « Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées »[135].
[244] Au printemps 2022, une nouvelle formation est donnée au sein du SPVG sur la collecte de données sur les interpellations policières[136], dans laquelle on revient sur la mission policière, diverses définitions (interpellation ; détention psychologique ; profilage criminel, racial et social), les perceptions des citoyens face au travail des policiers, les conséquences sur eux.
[245] En février 2023, le SPVG lance le plan d’action « Servir la population dans toute sa diversité »[137], dans lequel il « réitère son engagement envers les personnes de toutes origines en favorisant par tous les moyens la levée des obstacles à l’équité, à la diversité et à l’inclusion »[138]. Les objectifs du plan sont :
- Mettre en place une structure de gouvernance afin d’assurer la réalisation du plan d’action par le biais de divers comités identifiés ;
- Colliger des données fiables sur le travail policier auprès de la diversité ;
- Consulter la diversité concernant ses interactions avec le SPVG ;
- Contribuer aux forums de discussion et aux comités portant sur la diversité ;
- Maintenir, accroître et promouvoir les interactions avec la diversité ;
- Faire en sorte que les pratiques policières soient le reflet de l’engagement de l’organisation envers la diversité ;
- Énoncer des attentes claires au personnel en matière de rapprochement auprès de la diversité ;
- Développer les compétences relatives aux savoir, savoir-faire et savoir-être ;
- Adapter les services à la diversité ;
- Diffuser le plan d’action et la position du SPVG en matière de diversité ;
- Accroître la représentativité de la diversité au sein du SPVG.
[246] La CDPDJ n’a pas démontré en quoi les démarches du SPVG ne sont pas les bonnes.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[247] ACCUEILLE la demande introductive d’instance en partie ;
[248] CONDAMNE solidairement la Ville de Gatineau (SPVG) et Joanie Turgeon à verser :
- 6 000 $ à Jackson Janvier à titre de dommages-intérêts moraux avec intérêt aux taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article
- 4 000 $ à Wilda Line Estimable à titre de dommages-intérêts moraux avec intérêt aux taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[249] CONDAMNE la Ville de Gatineau (SPVG) à payer 5 000 $ à Jackson Janvier à titre de dommages-intérêts punitifs avec intérêt aux taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[250] LE TOUT avec les frais de justice.
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| __________________________________ MAGALI LEWIS, Juge au Tribunal des droits de la personne | |
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Me Justine St-Jacques | ||
Me Maya Charrette-Côté BITZAKIDIS, CLÉMENT-MAJOR, FOURNIER | ||
Pour la partie demanderesse | ||
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Me Mathieu Turcotte | ||
DHC Avocats | ||
Pour les parties défenderesses
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Dates d’audience : | 15, 16, 17 et 18 mai 2023 | |
[1] Geneviève DORAIS, « Racisme anti-noir et suprématie blanche au Québec : déceler le mythe de la démocratie raciale dans l’écriture de l’histoire nationale », (2020) 29-1 BHP 136, en ligne : < Racisme anti-noir et suprématie blanche au Québec : déceler le mythe de la démocratie raciale dans l’écriture de l’histoire nationale (erudit.org) >, par. 34.
[2] Pièce P-3.
[3] Id.
[4] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.
[5] Code de la sécurité routière, RLRQ, c. C-24.2.
[6] Mémoire des défenderesses, par. 19.
[7] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation),
[8] Id., par. 35-36 et 45-46 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Rezko) c. Montréal (Service de police de la Ville de) (SPVM),
[9] Luamba c. Procureur général du Québec,
[10] Pour une analyse sur l’évolution du concept de race, voir Daniel DUCHARME et Paul EID, « La notion de race dans les sciences et l’imaginaire raciste : la rupture est-elle consommée ? », Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2005, en ligne : < La notion de race dans les sciences et l'imaginaire raciste : la rupture est-elle consommée ? (cdpdj.qc.ca) >, p. 7. Les auteurs écrivent :
[…] si la race biologique n’a aucune valeur explicative sur le plan sociologique, on ne peut en dire autant de la « race sociale », c’est-à-dire la race socialement construite. Plus encore, les préjugés et la discrimination fondés sur la race, ainsi que les inégalités qui en découlent, nous rappellent que la race, bien qu’étant originellement une fiction idéologique, n’en a pas moins des effets sociaux bien réels, qui ne peuvent en aucun cas être négligés par les chercheurs.
Voir aussi Victor HARMONY, Mariam HASSAOUI et Massimiliano MULONE, « Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées : Analyse des données du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et élaboration d’indicateurs de suivi en matière de profilage racial », 2019, en ligne : < Rapport Armony-Hassaoui-Mulone AOÛT (spvm.qc.ca) >, p. 14 : « [la race est un] construit social persistant » ; « les races existent et persistent parce que le racisme existe et persiste, et ce, malgré la disqualification scientifique de la notion de race humaine ».
Jean-Claude ICART, « Perspectives historiques sur le racisme au Québec », Conseil des relations interculturelles, 2001, en ligne : < E29 Perspectives historiques racisme (gouv.qc.ca) >.
[12] Id., par. 88.
[13] Id., par. 41 ; Pierre-Louis c. Québec (Ville de),
[14] R. c. Le,
[15] R. c. Viellot Blaise,
[16] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (DeBellefeuille) c. Ville de Longueuil,
[17] Procureure générale du Québec c. Association des juristes de l’État,
[18] Hodge c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines),
[19] R. c. Dorfeuille,
[22] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Mensah) c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal),
[23] Mensah, id., par. 82.
[27] R. c. Grant,
[28] Campbell v. Vancouver Police Board (No. 4), 2019 BCHRT 275, par. 101.
[29] GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, « La diversité : une valeur ajoutée : Politique gouvernementale pour favoriser la participation de tous à l’essor du Québec », 2008, en ligne : < PO_diversite_integral_MIDI.pdf (quebec.ca) >.
[30] DeBellefeuille, préc., note 16, par. 299 et 309 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Essalama) c. Ville de Montréal (SPVM),
[31] J.-C. ICART, id., p. 31.
[33] R. c. Le, id., par. 76 ; Peart v. Peel Regional Police Services, 2006 CanLII 37566 (ON CA), par. 91 (demande pour autorisation d’appeler refusée, CSC, 29-03-2027, 31798).
[34] R. v. Byrnes, 2018 ONCJ 278.
[37] Rezko, préc., note 8, par. 174 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Dagobert et autres) c. Bertrand,
[39] Noël SAINT-PIERRE, « Perspective des modèles d’intervention contre le profilage racial au Québec », dans SFBQ, vol. 309, Développements récents en profilage racial, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 5.
[40] Brown v. Regional Municipality of Durham Police Service Board, 1998 CanLII 7198 (ON CA) ; R. v. Brown, 2003 CanLII 52142 (ON CA), par. 7 ; COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE DU QUÉBEC, « Enquête sur les relations entre les corps policiers et les minorités visibles et ethniques : rapport final du Comité d’enquête », Montréal, 1988.
[42] Sarah E. HAMILL, « Sex, Race, and Motel Guests: Another Look at King v Barclay », (2017) 54-3 Osgoode Hall L J 851, en ligne : < Sex, Race, and Motel Guests: Another Look at King v Barclay | CanLII> ; Maria C. DUGAS, « Committing to Justice: The Case for Impact of Race and Culture Assessments in Sentencing African Canadian Offenders », (2020) 43-1 Dalhousie L J 103, en ligne : < Introduction | Committing to Justice: The Case for Impact of Race and Culture Assessments in Sentencing African Canadian Offenders | CanLII>, p. 107.
[43] R. c. S. (R.D.),
[44] R. c. Theriault, id.
[48] Gauthier et Aznar,
[49] Commissaire à la déontologie policière c. Lachance,
[51] Pièce P-6, Formulaire de plainte au Commissaire à la déontologie policière signé le 13 juin 2019.
[52] Pièce D-11, Journal des activités de Joanie Turgeon du 28 mai au 3 juin 2019.
[53] Pièce D-10, Constats d’infraction et rapports d’infractions abrégés, en liasse, sous pli cacheté.
[54] Pièce D-12, Journal des activités de l’agent Desormeaux du 15 juillet 2019.
[55] Règlement sur la signalisation routière, RLRQ, c. C-24.2, r. 41.
[56] Notre soulignement.
[57] Rezko, préc., note 8, par. 180 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Miller et autres) c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal) (SPVM),
[59] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville) ; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville),
[60] DeBellefeuille, id., par. 148.
[61] DeBellefeuille, id., par. 142 ; Michèle TURENNE, « Le profilage racial : une atteinte au droit à l’égalité – Mise en contexte, fondements, perspectives pour un recours », dans SFCBQ, vol. 309, Développements récents en profilage racial, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 87, 88, 90 et 96. Voir aussi David M. TANOVICH, « Applying The Racial Profiling Correspondence Test »,
[64] Voir notamment : Longueuil (Ville de) c. Debellefeuille,
[65] Loi sur la police, RLRQ, c. P-13.1, art. 48.
[68] J.-C. ICART, préc., note 10 ; Lilian THURAM, La pensée Blanche, Montréal, Mémoire d’Encrier, 2020.
[69] R. c. Le, préc., note 14. Voir aussi Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nyembwe) c. Ville de Gatineau,
[70] Id., par. 78.
[74] R. c. Hufsky,
[75] R. c. Mellenthin, id.
[77] Id., art. 36.
[79] Ladouceur, préc., note 74, p. 1287 ; R. c. Orbanski ; R. c. Elias,
[81] Ladouceur, préc., note 74, p. 1287 ; Commissaire à la déontologie policière c. Lachance, préc., note 49, par. 88.
[82] R. c. MacKenzie,
[85] L’obligation de remettre le certificat d’immatriculation du véhicule à un agent de la paix qui le demande est prévue à l’article
[88] Id., Rapport d’infraction abrégé sur le Constat no 404 203 715, p. 124. L’Interception a eu lieu à 17 h 20 le 5 novembre 2017 (voir p. 119) : à cette heure-là il fait nuit au mois de novembre.
[89] Id., Rapport d’infraction abrégé sur le Constat :
[90] Id., Rapport d’infraction abrégé sur le :
[91] Id., Rapport d’infraction abrégé :
[92] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Desrosiers et autres) c. Centre de la petite enfance Les Pandamis (anciennement Le Gardeurois),
[93] Julien LHUILLIER, « L’évaluation de la fiabilité des témoignages », (2011) 1 Les Cahiers de la justice 147, p. 147 ; Joyce W. LACY et Craig E. L. STARK, « The Neuroscience of Memory: Implications for the Courtroom », (2013) 14 Nat Rev Neurosci 649, en ligne : < (PDF) The Neuroscience of Memory: Implications for the Courtroom (researchgate.net)>.
[94] L’agente Turgeon a déclaré qu’elle ne fait plus d’interception en vertu de l’article
[95] Boisvenu c. Sherbrooke (Ville de),
[96] Id., par. 64.
[98] Id., Rapport d’infraction abrégé sur le Constat no 404 788 031, p. 196.
[99] Id., Constat no 404 732 856, p. 207-208 et Rapport d’infraction abrégé sur le Constat no 404 732 856, p. 209 pour voir l’heure à laquelle l’infraction a été commise.
[100] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Peart et un autre) c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal, SPVM),
[101] Id., par. 40-41.
[105] Code de procédure pénale, RLRQ, c. C-25.1, art. 72.
[106] Id., art. 73.
[107] Id.
[110] Jauvin c. Québec (Procureur général),
[111] Infineon Technologies AG c. Option consommateurs,
[113] Kosoian c. Société de transport de Montréal,
[114] Kosoian, id. ; DeBellefeuille, id., par. 236.
[115] Pièce P-6, Formulaire de plainte au Commissaire à la déontologie policière signé le 13 juin 2019.
[116] R. c. Le, préc., note 14, par. 95 ; Dorfeuille, préc., note 19, par. 86 ; Luamba, préc., note 9, par. 385.
[117] R. c. Le, id. ; R. c. Dorfeuille, id., par. 87.
[119] Id., par. 457.
[120] Id., par. 469.
[121] de Montigny c. Brossard (Succession),
[122] Gauthier c. Beaumont,
[123] Pièce D-9, Fiche de renseignement du cours, Université TÉLUQ.
[125] Pièce D-6, Plan de formation du SPVM.
[126] Pièce D-2, Directive administrative concernant le profilage criminel, racial et social.
[127] Pièce D-1, Offre de service du Centre d’apprentissage interculturel, version de 2019.
[128] Pièce D-4, Culture éthique - Le profilage racial et social : en être conscient, 2019.
[131] Pièce D-13, Lettre du 25 mars 2020 du SPVG à la CDPDJ.
[133] Pièce D-14, Lettre du 11 février 2021 du SPVG à la CDPDJ.
[134] Pièce D-3, Directive opérationnelle sur les interpellations policières, 25 novembre 2021.
[135] Pièce D-5.
[136] Pièce D-8. Présentation Interpellation policière : La collecte de données.
[137] Pièce D-15.
[138] Id., « Mot du directeur », p. 2.
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