Décision

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Chauvette c. Tanguay

2025 QCTAL 13582

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Saint-Hyacinthe

 

No dossier :

812001 23 20240806 G

No demande :

4420074

 

 

Date :

16 avril 2025

Devant la juge administrative :

Marilyne Trudeau

 

Guylaine Chauvette

 

Yves Jeannotte

 

Locateurs - Partie demanderesse

c.

Félicidad Tanguay

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Par un recours introduit le 6 août 2024, les locateurs demandent la résiliation du bail pour logement impropre à l’habitation. Il demande également l’exécution provisoire malgré l’appel.
  2.          Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013 au loyer mensuel de 430 $, reconduit jusqu’au 30 juin 2025 au loyer mensuel de 535 $.
  3.          L’immeuble concerné est un triplex. Le logement compte trois pièces et demie 3½ et est situé au sous-sol.

APERÇU

Preuve en demande

  1.          Selon les locateurs, le logement est insalubre.
  2.          Ils se sont rendus chez la locataire alors qu’elle avait dénoncé la présence de moisissure dans son logement. Ils constatent alors l’accumulation dans le logement, partout sur les comptoirs ainsi que l’absence de lit dans la chambre à coucher. Des photographies prises lors de cette visite sont produites[1].
  3.          Une mise en demeure est expédiée à la locataire le 15 juillet 2024 en raison de l’état du logement et une plainte a été déposée auprès des autorités municipales.

  1.          Le 29 juillet 2024, le service d’inspection de la ville et s’est présenté au logement afin de procéder à une inspection. Selon le rapport produit à l’audience, la présence d’accumulation d’objets et de déchets dans l’ensemble du logement est observée et une forte odeur d’humidité était perceptible. Les photographies prises alors sont jointes au rapport[2].
  2.          Le 7 août 2024, une autre inspection a été effectuée. Selon le rapport produit[3], les enfants de la locataire étaient alors présents et ont expliqué les derniers correctifs effectués afin de désencombrer le logement et le nettoyer. Selon l’inspecteur, le logement ne peut être considéré comme insalubre dans son état actuel, mais il devra être maintenu en bon état et devra être nettoyé périodiquement.
  3.          Le locateur ajoute avoir passé dans le corridor à chaque semaine et avoir constaté les mauvaises odeurs se dégageant du logement de la locataire. Celles-ci étaient d’ailleurs toujours présente le matin de l’audience.
  4.      Les locateurs subissent un préjudice sérieux de la situation en raison de la dégradation de leur immeuble, du risque accru d’incendie et de l’impossibilité de procurer la jouissance paisible de leur logement aux autres locataires de l’immeuble.
  5.      Sébastien Morneau, inspecteur municipal, témoigne que lors de sa visite au logement le 29 juillet 2024, l’occupante était seule et il y avait une grande accumulation d’objets, de déchets, de vaisselle, de boîtes et de sacs dans toutes les pièces sauf dans le salon. Le logement était insalubre. Une entente verbale a été prise avec la locataire afin que son fils et sa fille l’aident à faire le ménage. Lors de sa deuxième visite le 7 août 2024, il a noté un grand avancement. Le logement n’était plus insalubre. Il n’est pas retourné depuis cette date.

Preuve en défense

  1.      La locataire admet que le logement n’était pas propre lors de la visite des locateurs.
  2.      Deux (2) ou trois (3) semaines auparavant, les pompiers étaient venus à deux (2) ou trois (3) reprises.
  3.      Ses enfants l’aident à maintenir le logement propre.
  4.      Miguel Angel Tanguay, fils de la locataire, témoigne de la visite du service d’incendie de la ville de Saint-Hyacinthe. Ils ont demandé à sa mère de sortir les effets présents dans l’entrée et bloquant l’accès à la sortie d’urgence. Il y avait effectivement une certaine accumulation avec les années. Ils avaient déjà commencé à faire du ménage. Il insiste maintenant sur le ménage et le tri des choses. Il est présent et aide sa mère à maintenir son logement en bon état de propreté. Il s’y rendait une fois à tous les deux ou trois mois avant et y va maintenant deux ou trois fois par semaine.

QUESTION EN LITIGE

  1.      L’état du logement requiert-il la résiliation du bail ?

ANALYSE ET DÉCISION

  1.      Les articles 1855, 1860, 1863, 1912, 1913, 1917, 1972 et 1973 du Code civil du Québec trouvent application dans la présente affaire. Ces dispositions édictent ce qui suit :

« 1855. Le locataire est tenu, pendant la durée du bail, de payer le loyer convenu et d'user du bien avec prudence et diligence. »

« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.

Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.

Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »


« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. « 

« 1912. Donnent lieu aux mêmes recours qu'un manquement à une obligation du bail:

1° Tout manquement du locateur ou du locataire à une obligation imposée par la loi relativement à la sécurité ou à la salubrité d'un logement;

2° Tout manquement du locateur aux exigences minimales fixées par la loi, relativement à l'entretien, à l'habitabilité, à la sécurité et à la salubrité d'un immeuble comportant un logement. »

« 1913. Le locateur ne peut offrir en location ni délivrer un logement impropre à l'habitation.

Est impropre à l'habitation le logement dont l'état constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, ou celui qui a été déclaré tel par le tribunal ou par l'autorité compétente. »

« 1917. Le tribunal peut, à l'occasion de tout litige relatif au bail, déclarer, même d'office, qu'un logement est impropre à l'habitation ; il peut alors statuer sur le loyer, fixer les conditions nécessaires à la protection des droits du locataire et, le cas échéant, ordonner que le logement soit rendu propre à l'habitation. »

« 1972. Le locateur ou le locataire peut demander la résiliation du bail lorsque le logement devient impropre à l'habitation. »

« 1973. Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.

Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail. »

  1.      Ces dispositions nous enseignent qu’un locataire est tenu, pendant toute la durée du bail, d'user du bien loué avec prudence et diligence ainsi qu'il doit maintenir le logement en bon état de propreté.
  2.      Une multitude de situations peut correspondre à un manquement d’un locataire à son obligation d'user du bien loué avec prudence et diligence et de le maintenir en bon état de propreté. Il peut s'agir d'odeurs nauséabondes, de nourriture à l'air libre, d'excréments sur le plancher ou encore d'un encombrement des pièces du logement.
  3.      Aussi, l'obligation générale d’un locataire comporte celle de coopérer et de ne pas nuire au locateur dans l'accomplissement de ses propres devoirs.
  4.      En l’espèce, la preuve démontre que la locataire a fait défaut à son obligation d'user des lieux loués avec prudence et diligence, qu'elle ne les a pas maintenus dans un état de propreté et que son occupation des lieux a conduit à rendre ceux-ci insalubres.
  5.      L'insalubrité généralisée du logement démontrée par les photographies produites lors des inspections et des visites du logement est telle qu'elle dépasse la simple nécessité de faire le ménage. Le logement était extrêmement encombré.
  6.      En raison de son usage du logement, la locataire empêche les locateurs de rencontrer leurs obligations légales envers les autres locataires de l’immeuble et met en péril l’intégrité du logement, leur causant ainsi un préjudice sérieux.
  7.      Ce Tribunal a rendu plusieurs décisions résiliant le bail de locataires qui ont rendu le logement insalubre, tel qu'il appert de la jurisprudence[4].

  1.      Le Tribunal note toutefois les efforts de la locataire afin d'obtenir de l'aide et de tenter de se conformer. Ainsi, il usera de sa discrétion judiciaire pour surseoir à la résiliation immédiate du bail et d'y substituer une ordonnance, tel que le permet l'article 1973 C.c.Q.
  2.      Vu les circonstances du dossier et le désir sincère de la locataire de bien vouloir collaborer pour l'avenir, le Tribunal juge approprié que celle-ci puisse bénéficier d'une ultime chance de conserver son logement à condition de nettoyer régulièrement celui-ci et de le maintenir dans un état de propreté en permanence. La locataire devra également permettre aux locateurs, s'ils le souhaitent, de visiter son logement mensuellement afin d'en vérifier l'état.
  3.      Cette ordonnance sera en vigueur à compter du 1er mai 2025, vu le délai légal d'exécution de la présente décision et elle le demeurera pour toute la durée du présent bail, de même que pour ses deux (2) périodes de reconduction subséquentes, le cas échéant.
  4.      Il s'agit là d'une ordonnance sévère. Advenant le défaut de la locataire de se conformer à ses obligations, le Tribunal, sur demande des locateurs, résiliera le bail.
  5.      Quant à la demande d'exécution provisoire de la décision, le Tribunal juge que celle-ci n'est pas justifiée, conformément à l'article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      ACCUEILLE en partie la demande du locateur;
  2.      SURSEOIT à la résiliation du bail;
  3.      ORDONNE à la locataire de nettoyer complètement le logement, le désencombrer totalement, le maintenir en bon état de propreté et en user avec prudence et diligence;
  4.      ORDONNE à la locataire de permettre au locateur ou au représentant de son choix de visiter le logement afin d'en vérifier l'état moyennant un avis de 24 heures;
  5.      DÉCLARE que les précédentes ordonnances seront en vigueur à compter du 1er mai 2025 pour toute la durée du présent bail, de même que pour ses deux (2) périodes de reconduction subséquentes, le cas échéant;
  6.      REJETTE la demande quant au surplus et aux autres conclusions.

 

 

 

 

 

 

 

 

Marilyne Trudeau

 

Présence(s) :

les locateurs

la locataire

Date de l’audience : 

6 février 2025

 

 

 


 


[1] Pièce P-1.

[2] Pièce P-2.

[3] Pièce P-3.

[4] Office municipal d'habitation de Montréal c. Dupuis, 31-120809-016 G, 14 novembre 2012, Anne Mailfait, juge administrative; Rocabado c. Remollino, 31-120919-124 G, 12 novembre 2012, André Gagnier, juge administratif; Koinis c. Blais Poulin, 31-120913-014 G, 22 octobre 2012, Eric-Luc Moffat, juge administratif.

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