Décision

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Simard c. Zelcer

2022 QCTAL 26805

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

610572 31 20220201 G

No demande :

3453189

 

 

Date :

21 septembre 2022

Devant la juge administrative :

Stella Croteau

 

Alain Simard

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Boruch Zelcer

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le 1er février 2022, le locataire demande au Tribunal l’autorisation pour déposer ses loyers au greffe du Tribunal administratif du logement, ainsi que d’ordonner au locateur de réparer la porte d’entrée principale de l’immeuble, de réparer ou changer le calorifère situé dans l’entrée principale de l’immeuble ainsi que de réparer le mur de brique et le mortier à l’avant du logement, de diminuer le loyer du locataire de 10 % par mois, de condamner le locateur à 500 $ pour les dommages, plus les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, ainsi que les frais.

[2]         Le 3 février 2022, le locataire dépose une demande de réunion avec la demande du locateur en résiliation du bail pour retards fréquents, sous le dossier 598631. Celle-ci sera rejetée séance tenante considérant l’absence du locateur et la demande de rejet de la demande pour absence de preuve.

[3]         Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023, au loyer de 965 $.

[4]         Le locataire se désiste séance tenante de l’ordonnance de réparer le mur de brique car la réparation a été effectuée.

QUESTIONS EN LITIGE

[5]         Y a-t-il lieu de permettre le dépôt du loyer au greffe du Tribunal?

[6]         L'émission d'une ordonnance est-elle justifiée?

[7]         Le locataire a-t-il droit à une diminution de loyer?

[8]         Le locateur a-t-il commis une faute ayant causé des dommages au locataire?

[9]         En cas de faute du locateur, quel est le montant des dommages subis par le locataire?


CONTEXTE FACTUEL

[10]     Il s’agit d’un immeuble de huit logements.

[11]     Le locataire habite le logement depuis 7 ans.

[12]     Selon le bail signé le 3 juin 2015, entre le locataire et l’ancien locateur, le paiement du loyer se fait par chèque ou virement bancaire électronique, le 1er jour du mois.

[13]     Aucun lieu de paiement n’est indiqué.

[14]     Le locataire paie par chèque et l’ancien propriétaire venait chercher son chèque le 1er de chaque mois.

[15]     L’immeuble a été vendu en juin 2017. Le paiement continu à se faire par chèque, le 1er du mois, que le locateur vient quérir.

[16]     Puis le locateur délègue la gestion de son immeuble à Red Leaf Management. Le paiement des loyers devient alors compliqué.

[17]     Le 1er novembre 2019, personne ne vient chercher le chèque. Le 1er décembre 2019, deux chèques sont remis au gestionnaire. Il ne viendra pas en janvier 2020 mais viendra le 1er février 2020 et encore deux chèques lui sont remis. Ce qui se répètera à quelques occasions. Le 1er décembre 2020, il lui remettra les sept derniers chèques. Le chèque pour le mois de janvier 2021 est remis mais il ne sera pas encaissé. Le gestionnaire n’est pas venu chercher les chèques pour juillet et août 2022.

[18]     Le locataire se dit prêt à payer les mois de janvier 2021, juillet 2022 et août 2022.

[19]     Le locataire mentionnera, lorsqu’interrogé par le Tribunal sur la clause du bail qui indique le paiement par virement bancaire électronique, qu’il n’est pas bon en informatique et qu’il ne se fit pas à ça. Il indique au Tribunal qu’il a 60 ans.

[20]     Le locataire allègue que ce stratagème a été mis en place afin qu’il quitte son logement pour le relouer avec une augmentation.

[21]     Le locataire mentionne que la porte d’entrée de l’immeuble reste toujours ouverte. La poignée est manquante et le loquet est brisé. Des photos sont produites. Cela engendre une augmentation de ses coûts d’électricité pour lui.

[22]     De plus, le calorifère de l’entrée ne fonctionne pas.

[23]     M. Yves Brodeur, un autre locataire de l’immeuble viendra témoigner. Il habite l’immeuble depuis 20 ans. Il confirme que l’ancien propriétaire venait chercher les chèques le 1er jour du mois. Depuis que c’est le nouveau gestionnaire, ce dernier vient chercher les chèques certains mois seulement. Il a déjà été sept mois sans se présenter pour quérir les chèques. Puis le locateur a fait une demande à la Régie contre lui. Le locataire a donc fait des chèques postdatés. Ce locataire prétend que le locateur lui a offert 10 000 $ pour qu’il quitte le logement. D’après lui, le locateur ne vient pas quérir les chèques pour les prendre en défaut, les faire partir pour augmenter le loyer. Il confirme que la porte d’entrée reste ouverte et que le calorifère ne fonctionne pas.

ANALYSE

Y a-t-il lieu de permettre le dépôt du loyer?

[24]     L'article 1908 du Code civil du Québec prévoit :

« 1908. Le locataire qui, lors de l'aliénation de l'immeuble, de l'inscription d'une hypothèque sur les loyers ou d'une cession de créances, n'a pas été personnellement avisé du nom et de l'adresse du nouveau locateur ou de la personne à qui il doit payer le loyer peut déposer son loyer au greffe du tribunal s'il obtient l'autorisation de celui-ci.

Le dépôt peut aussi être autorisé lorsque, pour tout autre motif sérieux, le locataire n'est pas certain de l'identité de la personne à qui il doit payer le loyer, lorsque le locateur ne peut être trouvé ou lorsqu'il refuse le paiement du loyer. »


[25]     La preuve non contredite démontre que le locateur ne vient pas quérir les chèques. Ce qui équivaut à un véritable refus du paiement du loyer. Comme l’a écrit le juge administratif André Monty dans la décision Tardivel c. Dion[1] :

« Pour le Tribunal, un locateur ne refuse pas uniquement le paiement du loyer lorsqu'il indique qu'il refuser le paiement loyer. Les faits et gestes du locateur ou de ses mandataires peuvent amener le Tribunal à conclure que le locateur a refusé le paiement du loyer au sens de l'article 1908 du Code civil du Québec. Ce sera parfois le cas lorsque le locateur ou son représentant ne se présente pas pour quérir le loyer alors que le loyer est quérable. Il pourrait en être de même si la perception du loyer était soumise à des formalités imposées unilatéralement par le locateur comme la modification de la date sur le chèque, la signature d'un reçu ou la modification unilatérale du caractère quérable du loyer.

Dans le cadre du présent dossier, la preuve soumise convainc le Tribunal que le locateur a, au sens de l'article 1908 du Code civil du Québec, refusé le paiement du loyer. »

[26]     De plus, il n’a pas encaissé le chèque de janvier 2021, alors qu’il en avait possession.

[27]     En revanche, le bail mentionne une autre alternative de paiement, soit le virement bancaire électronique. Le locataire mentionne qu’il a 60 ans, qu’il n’est pas bon en informatique et qu’il ne se fit pas à ça. Donc, il ne l’utilise pas.

[28]     Considérant que le bail mentionne deux options de paiements, le locataire devait démontrer que le locateur refusait les deux alternatives. Ce qu’il n’a pas fait et au contraire, il confirme que c’est lui qui ne veut pas utiliser le virement bancaire électronique.

[29]     La preuve ne démontre pas que le locateur refuse le paiement par virement bancaire électronique. Le dépôt au greffe du Tribunal n’est donc pas autorisé.

L'émission d'une ordonnance est-elle justifiée?

« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »

« 1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure. »

« 1910. Le locateur est tenu de délivrer un logement en bon état d'habitabilité; il est aussi tenu de le maintenir ainsi pendant toute la durée du bail.

La stipulation par laquelle le locataire reconnaît que le logement est en bon état d'habitabilité est sans effet. »

[30]     La preuve démontre que la porte d’entrée de l’immeuble ne ferme pas. Les photos sont assez éloquentes.

[31]     La preuve démontre également que le calorifère de l’entrée ne fonctionne pas.

[32]     Le locateur a été avisé des réparations à effectuer il y a plus de six mois et il ne les a toujours pas effectuées.

[33]     Le Tribunal considère que le locateur ne remplit pas ses obligations. L’ordonnance est accordée.

Le locataire a-t-il droit à une diminution de loyer?

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »


[34]     Le locataire peut demander une diminution de loyer lorsque le locateur n’exécute pas pleinement ses obligations. Et ce, pour la période durant laquelle son logement n’est pas en bon état ou bien que sa jouissance paisible des lieux est compromise.

[35]     Le recours en diminution de loyer vise à rétablir l’équilibre entre la prestation des parties : le paiement du loyer pour le locataire et l’exécution des obligations pour le locateur.

[36]     La diminution peut être réclamée à partir du moment où on a dénoncé la situation au locateur au moyen d’une mise en demeure ou à partir du moment que le locateur est informé de la situation. Cette règle a pour but de permettre au locateur de corriger la situation qui cause la perte de jouissance.

[37]     L’évaluation doit être objective sans égard aux caractéristiques personnelles du locataire.

[38]     Elle doit tenir compte également de plusieurs facteurs, tels le montant du loyer, la grandeur du logement, les services inclus dans le loyer, etc.

[39]     Cela étant, une diminution de loyer ne peut être accordée que si la perte de jouissance est réelle, significative, sérieuse et substantielle[2].

[40]     Il s'agit d'obligations de résultat. Donc, en l'absence du résultat escompté le locateur sera responsable, sauf cas fortuit ou faute d'un tiers[3].

[41]     Lorsque la porte principale d’un immeuble ne ferme pas et que le calorifère de l’entrée ne fonctionne pas, cela engendre certainement une perte de jouissance significative, sérieuse et substantielle.

[42]     Cependant, la preuve ne démontre pas à quelle date le locateur a été avisé de ces réparations à effectuer. Le locataire lui a fait parvenir un courriel le 30 novembre 2021 dans lequel il mentionne qu’il dénoncera tous les problèmes de l’immeuble à la Régie du logement (ancienne appellation du présent Tribunal), sans faire l’énumération desdits problèmes. La diminution ne peut débuter que le 1er février 2022, soit à la date de la demande.

[43]     Le Tribunal accorde une diminution de loyer mensuel de 2,5 % à partir de cette date, jusqu’à la réparation de la porte et du calorifère.

En cas de faute du locateur, quel est le montant des dommages subis par le locataire?

[44]     Pour accorder des dommages-intérêts, le locataire doit démontrer la contravention du locateur aux obligations découlant du bail.

[45]     De plus, il doit prouver par une preuve adéquate l'existence de dommages réels et la valeur de ceux-ci.

[46]     Le locataire devait faire la preuve de ses dommages, ce qu’il n’a pas fait. Il mentionne des frais d’électricité plus élevés mais aucune facture n’est soumise.

[47]     Outre une mention générale de stress de la situation, aucun autre dommage n’est allégué.

[48]     Aucune somme n’est accordée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[49]     DIMINUE le loyer de 2,5 %, à compter du 1er février 2022, et ce, jusqu’à ce que les réparations ci-dessous soient entièrement et adéquatement faites;

[50]     ORDONNE au locateur de faire les réparations suivantes dans un délai de 30 jours des présentes :

        Réparer la porte d’entrée principale de l’immeuble;

        Réparer ou changer le calorifère de l’entrée de l’immeuble.


[51]     CONDAMNE le locateur à payer au locataire les frais de justice de 87 $;

[52]     REJETTE la demande quant au surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Stella Croteau

 

Présence(s) :

le locataire

Me Jean-Olivier Berthiaume, avocat du locataire

Date de l’audience : 

18 août 2022

 

 

 


 


[1] 2014 QCRDL 12250.

[2] Lamy, Denis, La diminution de loyer, 2004, Wilson & Lafleur, page : 27.

[3] Jean-Louis BAUDOIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations, 5e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, pages 36-37.

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