Richard c. Domaine Chénier inc.

2020 QCRDL 10027

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Laval

 

No dossier :

430139 36 20181129 G

No demande :

2638715

 

 

Date :

09 avril 2020

Régisseure :

Sophie Alain, juge administrative

 

Jean Paul Richard

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Domaine Chénier Inc.

 

Locateur - Partie défenderesse

D É C I S I O N

 

 

[1]      Par un recours introduit le 29 novembre 2018, le locataire demande une ordonnance pour l’exécution en nature des obligations du locateur et une diminution de loyer de 100 $ par mois à la suite d’infiltrations d’eau en provenance du toit et des troubles qui en découlent.

[2]      Le 20 décembre 2019, le locataire produit un amendement pour obtenir 50 $ par semaine à titre de dommages moraux à compter du 1er novembre 2018.

[3]      Le toit ayant été refait en avril 2019 et les travaux exécutés, l’ordonnance d’exécution en nature n’a plus d’objet. En revanche, le locateur, un organisme sans but lucratif, conteste le reste de la réclamation.

Questions en litige

[4]      Le Tribunal identifie les questions suivantes :

·         Le locataire a-t-il droit à une diminution de loyer ?

·       Le locateur a-t-il commis une faute ? Le cas échéant, à quelles sanctions doit-il être condamné ?

Contexte

[5]      Les parties sont liées par un bail reconduit. À l’époque pertinente, le bail était du 1er juillet 2018 au 30 juin 2019 au loyer mensuel de 591 $.

[6]      Le locataire loue un logement de 3½ pièces depuis 2008.

[7]      L’immeuble a été construit il y a 40 ans. Il comporte 3 étages et 77 logements. Le logement du locataire est situé au dernier et 3e étage. Une portion du toit a été réparée en 2015.


[8]      Le dimanche 28 octobre 2018, un employé du locateur avise le locataire, alors absent, que de l’eau s’écoule probablement du plafond dans son logement, puis il entre dans le logement avec un voisin pour constater l’urgence. On installe trois chaudières de cinq gallons chacune.

[9]      Le 1er novembre, Madame Danielle Laurin, directrice générale du locateur, rencontre sur place un entrepreneur en toiture et communique avec d’autres pour obtenir des soumissions pour la réfection de la toiture de l’immeuble. Après convocation en urgence du conseil d’administration le 12 novembre 2018 et l’examen des six soumissions, le contrat de réfection de la toiture est accordé à Toiture Hogue pour la réfection du toit avec goudron et gravier. Une rencontre a lieu le jeudi 14 novembre, où le représentant lui annonce l’impossibilité d’exécuter la réfection vu la présence de la neige. Le contrat est finalement signé le 19 novembre. Des travaux temporaires sont exécutés le 27 novembre.

[10]   Le 3 décembre 2018, le locataire avise que l’eau s’écoule encore du plafond. Le même jour, Toiture Hogue effectue une réparation sur le toit[1]. L’eau s’écoule aux jonctions des panneaux préfabriqués de béton, dès qu’il pleut ou qu’il y a du redoux.

[11]   Le 5 décembre 2018, le locataire demande qu’on répare son plafond à la suite du dégât d’eau. Cependant, comme le locataire n’est pas disponible avant le 13 décembre, la réparation a lieu à cette date[2].

[12]   Le 20 décembre 2018, le locataire demande qu’un concierge se déplace car « ça va recommencer » à couler. Le concierge, Josée Costa, note deux petites gouttes[3].

[13]   Le 12 janvier 2019, le locataire indique que son plafond coule à nouveau et qu’une bosse s’est formée au plafond. Le concierge intervient immédiatement[4].

[14]   Le 19 février 2019, le locataire indique que l’eau s’écoule dans son espace de rangement et qu’il a besoin d’une chaudière supplémentaire. Le concierge lui apporte un gros bac de recyclage. Le 1er mars 2019, le concierge installe une gouttière (un système de récupération de l’eau) pour limiter les inconvénients au locataire. Le 4 mars, le locateur engage un entrepreneur pour dégager la neige sur le toit[5].

[15]   Le 6 mars, le locataire se plaint qu’il y a encore un écoulement d’eau. Le concierge appose un plastique au plafond.[6]

[16]   À compter du 23 avril 2019, les travaux de réfection de la toiture débutent[7].

[17]   Le 1er mai 2019, le locateur débute les travaux de rénovation dans le logement du locataire.

[18]   Le 4 juin, des employés font des percements dans le mur du rangement du logement.

[19]   Les travaux définitifs de peinture ne seront exécutés qu’après le 19 juin 2019 (date de l’intervention chirurgicale de sa conjointe), soutient le locataire, voire en juillet 2019.

[20]   Durant toute cette période, il a vécu divers inconvénients :

·         Impossibilité d’inviter des gens chez lui

·         Difficulté à dormir, car il entendait des « touk, touk, touk »

·         Vidange du bac d’eau, continuellement, matin et soir

·         Déplacement du bac, continuellement, pour se rendre à la salle de bain.

[21]   Le locataire soumet n’avoir jamais refusé que le locateur effectue des travaux dans son logement. Il a donné une autorisation générale à l’employé du locateur d’entrer en tout temps en autant de l’appeler avant. Le seul moment où il a demandé un report, c’est au moment où sa conjointe est revenue de l’hôpital et ne se sentait pas bien et que M. Costa lui a confirmé que l’odeur de la peinture serait importante et désagréable pour sa conjointe.

[22]   En défense, Madame Laurin explique que, le 29 avril 2019, le locateur a offert un espace dans l’immeuble pour permettre au locataire d’entreposer ses biens le temps des travaux dans son logement.

[23]   Les travaux ont débuté le 1er mai 2019 en démantelant la gouttière. José Costa, concierge, déclare qu’après avoir démantelé la gouttière, il a fait remplacer le gypse et laver le tapis environ 3 à 4 jours après les travaux du 19 mai 2019. Il a repeint le logement avant le début de l’été.

Le droit

[24]   La demande du locataire est fondée sur l’article 1863 du Code civil du Québec (C.c.Q.), lequel énonce que si une des parties (locateur) n’exécute pas ses obligations, l’autre partie (locataire) peut demander, entre autres, des dommages et la diminution du loyer[8].

[25]   En raison de l’infiltration d’eau dans son logement en provenance du toit, le locataire expose que son logement n’est pas dans un bon état de réparation et d’habitabilité et reproche au locateur le non-respect des obligations suivantes :

·         d’exécuter toutes les réparations nécessaires[9], et

·         de procurer la jouissance paisible durant la totalité du bail[10].

[26]   Ces obligations sont dites « de résultat »[11]. Cela signifie que les moyens de défense du locateur sont limités[12]. La seule façon d'échapper à sa responsabilité est de démontrer qu'il n'a pu remplir ses obligations en raison d’une force majeure ou de la faute d’une autre personne. Le locateur ne peut pas invoquer simplement sa diligence raisonnable ou démontrer qu’il a eu un comportement prudent et diligent.

[27]   Si le locataire démontre que le locateur a failli à ses obligations, il peut obtenir une diminution de loyer proportionnelle à la perte de la valeur locative. Pour l’accorder, la preuve doit être prépondérante que la perte est sérieuse, significative et substantielle[13].

[28]   Pour sa part, l’octroi de dommages vise à compenser le préjudice subi (moral[14], matériel) lorsqu’il y a un lien entre la faute reprochée et les dommages réclamés.

Décision

[29]   D’abord, le Tribunal écarte l’argumentation du locateur que le locataire est chanceux de bénéficier d’un logement, compte tenu de la liste d’attente de plus de 15 ans pour entrer dans l’immeuble. Ce fait ne constitue pas une défense acceptable dans les circonstances du dossier.

[30]   En ce qui concerne le témoignage du locataire, celui-ci était crédible. Cependant, il apparaît moins fiable que la documentation produite par le locateur; en effet, le locataire a soutenu que les travaux s’étaient terminés en octobre pour se raviser que c’était finalement en juillet. Bref, la mémoire des dates semble plus déficiente, de sorte que le Tribunal retiendra davantage la documentation produite par le locateur, comme preuve, en ce qui concerne les dates[15].

·         Le locataire a-t-il droit à une diminution de loyer ?

[31]   Le locataire demande une diminution de loyer de 100 $ (ce qui équivaut à environ 16,9% du loyer).

[32]   La toiture était en fin de vie utile et devait être remplacée à court terme. En revanche, elle n’avait pas coulé avant le 28 octobre 2018.

[33]   En guise de défense, le locateur invoque la force majeure et soutient que, n’eut été de la première tempête de neige, vers le 14-15 novembre 2018, la toiture aurait été refaite en novembre 2018, ce qui aurait mis fin rapidement aux inconvénients subis par le locataire. C’est donc en raison de la tempête de neige et de l’absence de redoux suffisamment long que les travaux de la toiture n’ont pu être exécutés avant avril 2019.

[34]   Les éléments constitutifs et cumulatifs de la défense de force majeure sont l'imprévisibilité et l'irrésistibilité selon la définition donnée au second alinéa de l'article 1470 C.c.Q. La doctrine indique également la nécessité du caractère d’extériorité[16].

[35]   Le fardeau repose sur le locateur de démontrer que la tempête de neige constitue une force majeure.

[36]   La jurisprudence n’hésite pas à considérer des phénomènes météorologiques exceptionnels comme étant des cas de force majeure[17]. Cependant, tel ne sera pas le cas lorsque des conditions météorologiques, quoique hors de l'ordinaire, n'ont pas atteint le degré d'irrésistibilité et d'imprévisibilité requis.

[37]   Le Tribunal conclut que la tempête de neige était irrésistible puisqu'elle a empêché le couvreur d'exécuter complètement son obligation, durant toute la période hivernale, elle a donc retardé l’exécution de l’obligation[18].

[38]   En ce qui concerne l’extériorité, l’entrepreneur en toiture a refusé d’exécuter la réfection du toit au motif qu’il était dans l’impossibilité absolue de le faire durant la période hivernale, à moins d’un retour à des température plus clémentes.

[39]   Cependant, le locateur n’a pas démontré en quoi l’intensité de la tempête de neige répondait au critère d’imprévisibilité, compte tenu de notre climat.

[40]   Par conséquent, de l’avis du Tribunal, il ne s’agit pas d’un cas de force majeure au sens de l’article 1470 du Code civil du Québec. Le locataire a donc droit à une diminution de loyer.

[41]   En revanche, la preuve démontre que lors d’un redoux à la fin novembre et début décembre, le couvreur a pu colmater, à deux reprises de manière temporaire, les fissures à deux reprises[19].

[42]   Également, la preuve démontre que chaque fois qu’il y avait écoulement d’eau (lors d’un redoux), le locataire avisait le locateur. Dans un tel contexte, et considérant le défaut de fiabilité du témoignage du locataire, voire son exagération, le Tribunal conclut à des écoulements d’eau sporadiques.

[43]   Cependant, le Tribunal convient que durant cette période, la présence d’une chaudière ou du bac a été incommodante, tout comme l’obligation de les vider. De plus, les travaux dans le logement du locataire en mai 2019 ont entraîné divers inconvénients.

[44]   Aussi, le Tribunal estime juste et raisonnable d’octroyer au locataire une diminution globale et finale de 200 $ (équivalant à environ 4% pour 8 mois), à titre de diminution de loyer, compte tenu de sa perte évidente de jouissance des lieux causée par les infiltrations d’eau.

·                   Le locateur a-t-il commis une faute ?

[45]   Non. Le locataire n’a pas convaincu le Tribunal que les représentants du locateur ont commis une faute. Au contraire, la preuve est convaincante que le locateur a octroyé, très rapidement et avec diligence, le mandat à un couvreur.

[46]   Par conséquent, le Tribunal ne peut accorder des dommages au locataire.

[47]   Finalement, puisque le Tribunal accueille, en partie, la présente demande, il y a lieu d’accorder les frais de justice, incluant ceux de notification[20].


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[48]   ACCUEILLE en partie la demande;

[49]   DIMINUE le loyer d'un montant global et final de 200 $;

[50]   CONDAMNE le locateur à payer au locataire la diminution de loyer ci-dessus établie, avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. dès que la décision sera exécutoire;

[51]   CONDAMNE le locateur payer au locataire les frais de notification de 68 $;

[52]   REJETTE le surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Sophie Alain

 

Présence(s) :

le locataire

la mandataire du locateur

Date de l’audience :  

10 février 2020

 

 

 


 



[1] Pièces P-22 et P-23.

[2] Pièce P-24.

[3] Pièce P-25.

[4] Pièce P-26.

[5] Pièce P-34.

[6] Pièce P-35.

[7] Pièce P-36.

[8] Ces deux dernières notions sont différentes : Mirza c. Chowdhury, 2013 QCRDL 38512.

[9] Article 1864 C.c.Q. : Sauf celles qui sont de menues réparations d’entretien à la charge du locataire locatives.

[10] Articles 1854 al. 1 et 1910 al. 1 C.c.Q.

[11] Jacques Deslauriers, Vente, louage, contrat d’entreprises ou de services, Éditions Wilson Lafleur, 2013, numéros 1143 et 1596 (version électronique CAIJ).

[12] Voir notamment les sections sur les moyens ou les causes d’exonération dans BAUDOUIN, La responsabilité civile, 8e édition par Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, Volume I - Principes généraux, Éditions Yvon Blais, 2014.

[13] Par opposition, la perte de jouissance qualifiée simplement de minime ou de peu d’importance ne peut donner ouverture à une diminution de loyer.

[14] Les dommages moraux visent à compenser les troubles, ennuis, inconvénients, la perte de jouissance de la vie, les douleurs et les souffrances psychologiques.

[15] Article 2845 C.c.Q. Le Tribunal apprécie la force probante de chaque témoignage.

[16] Jean-Louis BAUDOUIN, Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations, 7e édition par P.-G. JOBIN et Nathalie VÉZINA, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, parag. 847; Frédéric LEVESQUE, Précis de droit québécois des obligations : Contrat - Responsabilité - Exécution et extinction, 2014, EYB2014DQO28, no 496 [en ligne La Référence].

[17] Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, Volume 1 - Principes généraux, 8e édition, 2014, EYB2014RES68, no 727 à 734 [en ligne]. On y indique entre autres tempête de verglas de 1998, manifestations d'ouragan ou pluies diluviennes ayant causé des inondations importantes.

[18] Vincent KARIM, Les obligations [vol. 1], 4e éd. (2015), Wilson & Lafleur, no 3261 [en ligne CAIJ].

[19] Pièces P-20 et P-23.

[20] En vertu de l'article 7 du Tarif des frais exigibles par la Régie du logement, RLRQ, c. R-8.1, r. 6.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.