Décision

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Francesangeli c. Reich

2011 QCRDL 34668

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau de Montréal

 

No :          

31 110308 042 F

31 110308 042 S 110314

RN :

 

11 0135

 

Date :

29 septembre 2011

Greffière spéciale :

Me Émilie Pelletier

 

Gino Francesangeli

Locateur - Partie demanderesse

(31 110308 042 F)

Partie défenderesse

(31 110308 042 S 110314)

c.

Alan Reich

Locataire - Partie défenderesse

(31 110308 042 F)

Partie demanderesse

(31 110308 042 S 110314)

 

DÉCISION

 

 

[1]      Le locateur demande la fixation du loyer conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec et le remboursement des frais.

[2]      Le Tribunal est aussi saisi d’une requête en irrecevabilité de la partie défenderesse, Alan Reich.

DÉLAIS PRESCRITS PAR LA LOI

[3]      Le locataire demande au Tribunal de déclarer irrecevable la demande de fixation de loyer du locateur puisqu’elle n’a pas été introduite dans le délai prescrit par la loi. De plus, il soulève que le délai pour transmettre l’avis de modification du bail n’a pas été respecté par le locateur.

[4]      Le locataire souligne que certaines informations alléguées dans la demande de fixation de loyer sont erronées. Il précise que son dernier bail débutait le 1er mai 2010 et qu'il se terminait le 30 avril 2011.

[5]      La preuve produite au dossier démontre que les parties sont liées par un bail du 1er mai 2010 au 30 avril 2011 à un loyer mensuel de 640,00 $. Le locateur ne conteste pas cette information.

[6]      Le locateur explique qu’il a envoyé l'avis de modification du bail au locataire le 8 janvier 2011. À cet effet, il produit en preuve l’enveloppe envoyée par courrier recommandé qui contenait l’avis de modification du bail. L’adresse mentionnée sur l’enveloppe est […] L’estampille de Postes Canada indique que l’enveloppe fut postée le 8 janvier 2011. De plus, Postes Canada a indiqué le numéro de repérage, soit le RW 529 779 025 CA. Enfin, Postes Canada mentionne qu’il y a eu un renvoi à l’expéditeur puisque le courrier fut non réclamé.

[7]      L'historique de suivi de Postes Canada concernant l'envoi RW 529 779 025 CA a aussi été déposé au dossier. Tel que le mentionne l’enveloppe, la lettre fut remise à Postes Canada le 8 janvier 2011. Par la suite, Postes Canada a tenté d'effectuer la livraison le 11 janvier 2011, mais sans succès. Une carte avis a été laissée au destinataire afin de lui indiquer où l'article peut être ramassé. Le 19 janvier 2011, Postes Canada a indiqué que l’article sera retourné à l’expéditeur s’il n’est pas ramassé dans les 10 jours. L’article fut renvoyé à l'expéditeur. Toutefois, en date du 30 janvier 2011, l’article a été transféré vers le Centre des envois non distribuables. Finalement, le 7 février 2011, l'article a été retourné avec succès à l'expéditeur.

[8]      Lorsque le locateur s'est aperçu que le locataire n'avait pas reçu l’avis de modification du bail, il l’a alors envoyé à nouveau. Le locataire témoigne qu'il a effectivement reçu l’avis de modification du bail le 9 février 2011 et qu’il a envoyé son avis de refus le 2 mars 2011. Dans cet avis, le locataire avise le locateur que l’envoi fut effectué en retard et qu’il devait lui transmettre l’avis de modification du bail avant le 31 janvier 2011.

[9]      Le locateur a reçu l’avis de refus du locataire le 3 mars 2011 et il a introduit le présent recours le 14 mars 2011 à la Régie du logement.

[10]   Le locataire ajoute qu’il conteste le fait que l’enveloppe présentée au Tribunal soit ouverte et que le document envoyé initialement ne s’y trouve pas. Il soutient qu’il est illégal d’ouvrir une enveloppe une fois qu’elle est mise à la poste. De plus, il souligne que l’avis de modification du bail est daté du 11 janvier 2011 et que cette date est ultérieure à celle alléguée par le locateur pour l’envoi de l’avis, soit le 8 janvier 2011.

[11]   Les articles pertinents du Code civil du Québec sont les suivants :

1942. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s'il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l'arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de 12 mois, l'avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.

Lorsque le bail est à durée indéterminée, le locateur ne peut le modifier, à moins de donner au locataire un avis d'au moins un mois, mais d'au plus deux mois.

Ces délais sont respectivement réduits à 10 jours et 20 jours s'il s'agit du bail d'une chambre.

1945. Le locataire qui refuse la modification proposée par le locateur est tenu, dans le mois de la réception de l'avis de modification du bail, d'aviser le locateur de son refus ou de l'aviser qu'il quitte le logement; s'il omet de le faire, il est réputé avoir accepté la reconduction du bail aux conditions proposées par le locateur.

Toutefois, lorsque le bail porte sur un logement visé à l'article 1955, le locataire qui refuse la modification proposée doit quitter le logement à la fin du bail.

1947. Le locateur peut, lorsque le locataire refuse la modification proposée, s'adresser au tribunal dans le mois de la réception de l'avis de refus, pour faire fixer le loyer ou, suivant le cas, faire statuer sur toute autre modification du bail; s'il omet de le faire, le bail est reconduit de plein droit aux conditions antérieures.

[12]   Les parties étant liées par un bail dont le terme est le 30 avril 2011, le locateur avait donc jusqu’au 31 janvier 2011 pour donner son avis de modification au locataire.

[13]   Selon la preuve présentée, l’adresse et le numéro de repérage indiqués sur l’enveloppe concordent avec l’historique de suivi de Postes Canada et le témoignage du locateur.

[14]   Soulignons qu’en date du 30 janvier 2011, l’historique de suivi de Postes Canada indique que l’article est en transfert vers le Centre des envois non distribuables, ce qui signifie selon le glossaire publié sur le site Internet de Postes Canada :

Centre des envois non distribuables (CEND) - Bureau où l’on envoie le courrier non distribuable sans adresse de retour. On ouvre les articles pour trouver l’adresse de l’expéditeur. S’il y en a une, on retourne l’article à l’expéditeur. S’il n’y en a pas, l’article est vendu aux enchères ou détruit. [Undeliverable Mail Office (UMO)][1]

Ainsi, l’enveloppe a pu être ouverte par Postes Canada tout comme par l’expéditeur au moment où Postes Canada lui l’a retournée. Dans un cas comme dans l’autre, il ne semble pas illégal d’ouvrir l’enveloppe et cela n’est pas déterminant quant à la question de la date de transmission de l’avis.  Conséquemment, le Tribunal ne retient pas les arguments soulevés par le locataire concernant le fait que la lettre est datée ultérieurement à la date d’envoi et que l’enveloppe fut ouverte.

[15]   Le Tribunal est d’avis que la prépondérance de la preuve démontre que le locateur a transmis une première fois l’avis de modification du bail le 8 janvier 2011. Toutefois, il n'a pas été réclamé par le destinataire. Postes Canada l’a donc retourné au locateur qui a par la suite envoyé un nouvel avis de modification du bail au locataire, lequel a été reçu le 9 février 2011.

[16]   Dans l’affaire Krasnicki c. Joly[2], le Banc de révision de la Régie du logement a distingué les termes «donner» et «recevoir». Le premier signifie que l’on doit transmettre au destinataire l’avis alors que le second fait plutôt appel à l’obligation de recevoir dans  le délai prescrit.

[17]   Ainsi, l'obligation du locateur est remplie dès le moment où il transmet son avis de modification du bail au locataire. Le délai commence donc à courir lorsque la lettre est déposée à la poste. Toutefois, cet avis doit par la suite être reçu par le locataire. Les régisseurs Joly et Bernard précisent également dans Krasnicki c. Joly[3] :

Il peut donc s'écouler un laps de temps entre le moment où l'avis est donné et le moment où il est reçu; il s'agit du délai d'acheminement de l'avis du locateur au locataire; la réception ultérieure par le locataire complétera cette transmission. Le locateur a alors complété son obligation à ce stage du processus et c'est à compter de ce moment que les délais impartis au locataire commencent à être comptés.

[18]   En postant l’avis de modification du bail le 8 janvier 2011, le locateur l’a donné au locataire dans le délai prescrit par la loi, soit au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l'arrivée du terme du bail.

[19]   Lorsque le locateur s’est aperçu que le courrier fut non réclamé, il a été diligent en s’assurant d’envoyer à nouveau l’avis de modification du bail. À cet effet, le témoignage du locataire confirme que cet avis fut reçu le 9 février 2011, soit deux jours après le retour de la lettre à l’expéditeur par Postes Canada.

[20]   L’avis ayant finalement été reçu par le locataire le 9 février 2011, la transmission s’est donc complétée et c’est à compter de cette date que commença à courir le délai d’envoi de l’avis de refus du locataire[4].

[21]   Enfin, le locateur a reçu l’avis de refus du locataire le 3 mars 2011. Il avait donc jusqu’au 3 avril 2011 pour s’adresser au tribunal. Le présent recours fut introduit le 14 mars 2011, le locateur a ainsi respecté le délai d’un mois prescrit par la loi.

[22]   Pour les motifs mentionnés précédemment, le Tribunal considère l’avis de modification du bail valide, rejette la requête en irrecevabilité du locataire et déclare recevable la demande de fixation de loyer.

[23]   Le locateur a produit le formulaire de renseignements nécessaires à la fixation de loyer ainsi que les pièces justificatives et les factures au soutien de ces renseignements.

[24]   Après calcul, l’ajustement du loyer permis en vertu du Règlement sur les critères de fixation de loyer[5] est de 5,12 $ par mois, s’établissant comme suit :

Taxes municipales et scolaires

0,87 $

Assurances

 0,00 $

Gaz

 0,78 $

Électricité

 0,02 $

Mazout

 0,00 $

Frais d’entretien

0,13 $

Frais de services

0,00 $

Frais de gestion

 0,42 $

Réparations majeures, améliorations majeures,

mise en place d’un nouveau service

 

 0,00 $

Ajustement du revenu net

 2,90 $

 

TOTAL

 

 5,12 $

 

FRAIS

[25]   Le locateur demande que le locataire soit condamné au paiement des frais de la demande.

[26]   Dans l’affaire A. Rossi buildings c. Bradley[6], la Régie du logement, siégeant en révision, présente une synthèse de la jurisprudence et des principes applicables relativement à la réclamation des frais en matière de fixation de loyer. Le Tribunal réitère alors le principe établi que les frais de la demande de fixation doivent être assumés par le locateur.

[27]   À cet effet, le Bureau de révision rappelle :

[qu’]en matière de fixation de loyer, le législateur a tarifié le coût de cette demande alors que le locateur exerce un recours prévu par la loi qui constitue le seul moyen de fixer l’augmentation à laquelle il peut avoir droit. Par ailleurs, le locataire a parallèlement exercé son option de refuser l’augmentation demandée et ce faisant, il exerce lui-même un droit conféré par la loi. 

C’est pourquoi, lorsque la Régie statue sur une telle demande, elle détermine l’augmentation à laquelle le locateur a droit sans blâmer pour autant le locataire d’avoir contesté et dans la majorité des cas, le locateur doit assumer le coût de cette procédure[7].

[28]   Toutefois, des exceptions à cette règle sont également établies par la jurisprudence. À cet égard, le Bureau de révision statue également dans A. Rossi buildings c. Bradley[8] que deux conditions cumulatives doivent être rencontrées :

1)     le locateur doit établir qu'il a tenté de négocier avec le locataire en lui donnant notamment accès aux données pertinentes sur lesquelles il a basé son calcul, et ce, avant le dépôt de la demande à la Régie du logement;

2)     l’ajustement accordé par le Tribunal en vertu du Règlement sur les critères de fixation de loyer doit être au moins égal au montant demandé par le locateur dans son avis d’augmentation.

[29]   Dans le présent dossier, le locateur n’a présenté aucune preuve au Tribunal afin de démontrer qu’il a rencontré la première condition établie par la jurisprudence citée précédemment. Conséquemment, le Tribunal ne peut pas accorder au locateur le remboursement des frais de la demande.

[30]   CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;

[31]   CONSIDÉRANT que l’avis de modification du bail a été donné dans le délai au locataire;

[32]   CONSIDÉRANT que le locateur a introduit le présent recours dans le délai prescrit par le Code civil du Québec;

[33]   CONSIDÉRANT qu’un ajustement mensuel de 5,12 $ est justifié;

[34]   CONSIDÉRANT qu’il n’y a pas lieu de condamner le locataire au paiement des frais de la demande;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[35]   REJETTE la requête en irrecevabilité du locataire.

[36]   FIXE le loyer, après arrondissement au dollar le plus près, à 645,00 $ par mois du 1er juillet 2011 au 30 juin 2012.

[37]   Les autres conditions du bail demeurent inchangées.

[38]   Le locateur assume les frais de la demande.

 

 

 

 

 

Me Émilie Pelletier, greffière spéciale

 

Présence(s) :

le locateur

le locataire

Dates des audiences :  

 

12 avril 2011

19 juillet 2011


 



[2] J.L. 88-29 (R.L. révision).

[3] Précitée, note 2.

[4] F.D.L. Compagnie Limitée c. Demissie, [1995] J.L. 313 (R.L.).

[5] R.R.Q., c. R-8.1, r.2.

[6] R.L. révision Montréal 31-040416-297V-041221, le 1er février 2007, rr. Bernard et Bissonnette.

[7] Id.

[8] Précitée, note 6

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