Décision

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Décision

Dridi c. Office municipal d'habitation de Montréal

2021 QCTAL 11853

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

381108 31 20180214 G

No demande :

2435378

 

 

Date :

11 mai 2021

Devant le juge administratif :

Charles Rochon-Hébert

 

Ali Dridi

 

Khira Zidouk

 

Locataires - Partie demanderesse

c.

OFFICE MUNICIPAL D’HABITATION de Montréal

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

Contexte

[1]      Par une demande déposée le 14 février 2018, les locataires demandent une diminution de loyer mensuelle de 50% pour la période de mai à octobre 2017, 10 000 $ en dommages moraux et 335 $ en dommages matériels.  

[2]      Ils demandent également l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel ainsi que le paiement des frais de justice.

[3]      Les parties étaient liées par un bail de logement du 1er juin 2016 au 31 mai 2017 pour un loyer mensuel de 807 $ reconduit du 1er juin 2017 au 31 mai 2018 pour un loyer mensuel de 843 $.

Les faits

[4]      L’essentiel des faits se résume comme suit :

[5]      Le logement concerné fait partie d’un ensemble immobilier d’environ 40 logements répartis dans des immeubles de 3 étages en comportant chacun 6. Le logement des locataires comprenait 6 pièces et demie et occupait le rez-de-chaussée ainsi que le sous-sol de l’un de ces immeubles.

[6]      Des problèmes d’infiltration d’eau et de moisissures ont requis des travaux majeurs sur l’un des murs extérieurs de chacun des immeubles. Ceux-ci impliquaient, entre autres, l’enlèvement de la brique, des réparations à la structure de l’immeuble et la pose de nouvelles portes de balcon.


[7]      Le locateur en informe les locataires en février 2017.

[8]      Les travaux préparatoires extérieurs débutent en avril 2017.

[9]      Au début du mois de mai 2017, les ouvriers installent une toile dans le logement pour isoler la zone des travaux du reste. La surface du logement dont sont ainsi privés les locataires est d’environ un mètre sur la longueur du salon. Les locataires sont également privés de l’accès au balcon.

[10]   Selon le locateur, la toile a été enlevée le 8 juin 2017 puisqu’il ne restait ensuite que des travaux de finitions intérieures à faire (peinture, moulures, etc.), lesquels ont été exécutés en septembre 2017.

[11]   De plus, les travaux de maçonnerie extérieurs ont été réalisés en juillet 2017 selon le locateur.

[12]   Le locateur explique que pendant les travaux, pour minimiser les inconvénients des locataires, les ouvriers devant accéder au logement le faisaient par la porte du balcon.

[13]   La locataire présente à l’audience un témoignage tout à fait à l’opposé concernant l’intensité et la durée des travaux.

[14]   En effet, elle affirme à plusieurs reprises pendant son témoignage que la toile et les débris sont restés dans le logement pendant une durée de cinq mois. Elle ajoute qu’au moins un ouvrier a été présent dans le logement cinq jours sur sept de 8 h à 16 h pendant quatre mois pour y effectuer les travaux.

[15]   Elle se plaint de la poussière et du bruit incessant qui a fortement affecté son quotidien, celui de son mari qui est aussi cosignataire du bail ainsi que de ses deux filles adultes au nom de qui elle réclame des dommages-intérêts.

[16]   En juin 2017, la locataire demande d’être relocalisée ailleurs pendant les travaux. Le locateur refuse parce que l’évacuation des locataires n’était pas nécessaire, vu la nature des travaux et puisqu’au moment où la locataire fait cette demande les travaux sont terminés, sauf pour ce qui est relatif à la finition intérieure.

[17]   La locataire réclame 335 $ pour la disparition de son antenne parabolique. Le locateur a donné le 10 avril 2017 un avis aux locataires leur demandant de les retirer d’ici le 14 avril suivant. La locataire nie la réception de cet avis. Selon toute vraisemblance, les ouvriers ont retiré l’antenne dans le cadre des travaux et elle est ensuite disparue. 

[18]   Enfin, le locateur nie avoir retiré la boîte à lettres et la sonnette du logement dans le cadre des travaux.

Analyse et conclusion

[19]   Le recours des locataires repose notamment sur les articles suivants du Code civil du Québec :

« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail. 

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l’usage pour lequel il est loué, et de l’entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »

« 1858. Le locateur est tenu de garantir le locataire des troubles de droit apportés à la jouissance du bien loué.

Le locataire, avant d’exercer ses recours, doit d’abord dénoncer le trouble au locateur. »

« 1863.  L’inexécution d’une obligation par l’une des parties confère à l’autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l’exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l’inexécution lui cause à elle-même ou, s’agissant d’un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L’inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l’avenir. »


[20]   Les auteurs Isabelle Jodoin et Pierre Gagnon au sujet de l'article 1854 du Code civil du Québec s'expriment comme suit :

« Cet article énonce les principales responsabilités de la locatrice : fournir, au début du bail en bon état, le logement visé (délivrance) et procurer au locataire, en tout temps, une occupation confortable et conforme à l'usage auquel il est destiné (jouissance paisible). Il s'agit d'une obligation de résultat, et non seulement de moyens. Par conséquent, il ne suffit pas pour la locatrice de tenter de résoudre les problèmes relatifs à la location. Elle doit les régler, sauf dans des situations exceptionnelles relevant de la force majeure[1]. »

[21]   Dans son ouvrage sur la diminution du loyer[2], l'auteur Denis Lamy passe en revue la jurisprudence en la matière et conclut que toute diminution de prestation du locateur n'est pas ouverture au recours en diminution de loyer :

« Il est essentiel, une fois de plus, de relire attentivement les dispositions qui ont à l'origine créé le recours en diminution de loyer, soit la Loi concernant la Régie des loyers et la Loi pour favoriser la conciliation entre locataires et propriétaires, puisque ce principe y fut très clairement énoncé :

Lorsqu'une maison, sans le fait ou la faute du locataire ou d'une personne dont il a la responsabilité, subit une dégradation qui en réduit sérieusement la valeur locative ou lorsque le locateur en diminue l'espace, les services ou les commodités, le locataire, à défaut d'entente avec le locateur, peut s'adresser à l'administrateur local pour obtenir la résiliation du bail ou une réduction de loyer et l'administrateur a le pouvoir de lui accorder une telle réduction qu'il juge équitable.

Le législateur avait donc clairement à l'esprit des situations qui allaient affecter sérieusement le logement du locataire. Selon les dictionnaires, le mot « sérieux » fait référence au caractère de ce qui mérite attention et considération du fait de son importance, de sa gravité (critique, réel, préoccupant, inquiétant).

[...]

Des défectuosités mineures qui n'occasionnent qu'un simple désagrément aux locataires, sans pour autant diminuer de façon significative et substantielle la jouissance paisible des lieux ou la fonctionnalité du logement, ne justifient donc pas l'intervention du tribunal.

En conséquence, pour obtenir une diminution de loyer, la perte de valeur locative ou la diminution de prestation d'une situation ou encore les défectuosités dénoncées par le locataire doivent lui occasionner une diminution significative réelle ou une perte substantielle. Le trouble ne doit pas être mineur ou n'être qu'un simple préjudice esthétique, il doit être sérieux. »

[22]   Quant aux dommages moraux, ils visent à compenser les troubles, les ennuis, les inconvénients, la perte de jouissance de la vie, les douleurs et les souffrances psychologiques.

[23]   Les témoignages sont très contradictoires quant à la durée et à l’intensité des travaux exécutés par le locateur.

[24]   Les locataires avaient le fardeau de prouver les faits au soutien de leur demande. Or, le Tribunal n’a aucune hésitation à retenir la version du locateur dont les témoins sont nettement plus crédibles que la locataire.

[25]   En effet, les prétentions de la locataire quant à la durée et à l’intensité des travaux exécutés par le locateur sont grossièrement exagérées et contredites par la preuve; par exemple lorsqu’elle affirme que pendant quatre mois des ouvriers travaillaient du matin au soir tous les jours ouvrables.

[26]   Non seulement cette affirmation est totalement invraisemblable, compte tenu de la nature des travaux, mais la locataire affirmait elle-même dans une mise en demeure transmise au locateur que les travaux s’y étaient terminés le 8 juin 2017.

[27]   Concernant cette mise en demeure, la copie remise au Tribunal lors de l’audience a d’ailleurs été altérée par la locataire pour indiquer le 31 octobre 2017 comme date de fin de travaux et l’exemplaire au dossier de la locataire, altéré pour indiquer le 15 septembre 2017.

[28]   Étant donné que le Tribunal accorde bien peu crédibilité au témoignage de la locataire, le Tribunal estime que la locataire à échouer à prouver les faits au soutien de sa demande sauf pour ce qui est de l’exécution des travaux du début de mai 2017 au début de juin 2017.


[29]   La perte de jouissance alors subie par les locataires n’est cependant pas assez significative et substantielle pour justifier une quelconque diminution du loyer en tenant compte de la superficie totale du logement dont les locataires ont pu continuer de faire l’usage.

[30]   De plus, le Tribunal ajoute que les dommages moraux réclamés par les locataires l’étant pour leurs filles adultes qui ne sont pas parties au bail, ils plaident donc pour autrui une réclamation extracontractuelle pour laquelle le Tribunal n’a pas compétence.

[31]   Quant à l’antenne parabolique, les locataires n’ont aucune preuve qu’ils en possédaient bien une, de sa valeur ou de son coût de remplacement. Cet aspect est donc également rejeté.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[32]   REJETTE la demande des locataires.

 

 

 

 

 

 

 

 

Charles Rochon-Hébert

 

Présence(s) :

Khira Zidouk, locataire et mandataire du locataire Ali Dridi

le mandataire du locateur

Me Marie-Pier Durand, avocate du locateur

Date de l’audience :  

26 février 2021

 

 

 


 



[1] Louer un logement, 2e édition, Éditions Yvon Blais, 2012, page 8.

[2] LAMY, Denis, La diminution de loyer, Wilson & Lafleur Ltée, 2004, pages 29-30.

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