Décision

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Immeubles A. Côté c. Beaupré

2024 QCTAL 20284

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Saint-Hyacinthe

 

No dossier :

739631 23 20231011 G

No demande :

4076215

 

 

Date :

18 juin 2024

Devant la juge administrative :

Marilyne Trudeau

 

Les Immeubles A. Côté

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Gabrielle Beaupré

 

Locataire - Partie défenderesse

et

BRUNO LOISELLE

 

Caution - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Suivant un recours introduit le 11 octobre 2023, la locatrice demande des dommages-intérêts pour les dommages causés au logement. Elle demande aussi le remboursement des frais de justice.

[2]         Les parties étaient liées par un bail du 1er novembre 2022 au 30 juin 2023 au loyer mensuel de 1525 $.

[3]         Bruno Loiselle a signé le bail à titre de caution.

APERÇU

[4]         Le Tribunal a bien pris note de l'ensemble des témoignages et de la preuve administrée devant lui, mais il ne sera fait mention dans la présente décision que des éléments pertinents retenus pour fonder celle-ci.

Preuve en demande

[5]         Le logement était neuf, sa construction s’étant terminée en 2022. La locataire en était la deuxième occupante.

[6]         La mandataire de la locatrice explique être entrée dans le logement suivant le départ de la locataire et avoir constaté que le plancher de vinyle de la chambre à coucher avait été endommagé ainsi que plusieurs moulures. Elle a immédiatement pris des photographies qu’elle a envoyées à la locataire par message texte[1].


[7]         La somme de 2 019,25 $ a été dépensée pour la remise en état des lieux, tel qu’il appert de la facture soumise[2]. 

Preuve en défense

[8]         La locataire explique avoir, de bonne foi, acheté de la peinture afin de repeindre en blanc les murs du logement qu’elle avait peints et du plâtre afin de boucher certains trous. Elle présente une facture de la quincaillerie attestant de ces achats[3].

[9]         Elle ajoute que les moulures étaient déjà endommagées lors de son emménagement. Quant au plancher de la chambre, elle n’en a pas remarqué l’état.

[10]     La locataire soulève l’importante différence entre la première somme qui lui avait été réclamée, soit 1 124,92 $ et le montant actuel de 2 019, 25 $. 

[11]     La locataire soulève l’obligation de la locatrice de minimiser ses dommages, ce qu’elle ne croit pas qu’elle a fait. Étant elle-même dans le domaine de la construction, elle estime les sommes réclamées exagérées. Elle ne croit pas qu’il était nécessaire de remplacer l’intégralité du plancher de la chambre, alors que seules quelques tuiles (lattes) sont endommagées.

[12]     La caution, monsieur Loiselle, soulève, quant à lui, les frais de peinture de 425 $ facturés afin de repeindre une pièce au complet.

Réplique de la locatrice

[13]     La mandataire de la locatrice explique la différence entre les montants réclamés. Il s’agit d’une première estimation obtenue en vertu de laquelle la locatrice devait acheter elle-même les moulures, la peinture et les lattes de vinyle.

QUESTION EN LITIGE

[14]     La locatrice a-t-elle droit aux dommages réclamés?

ANALYSE ET DÉCISION

Le droit

[15]     D’emblée, il y a lieu de préciser que devant les instances civiles et selon les dispositions des articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec, il appartient à celui qui veut faire valoir un droit, ou l’extinction de celui-ci, de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, de façon prépondérante et probable.

[16]     À moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante. Aussi, la conséquence que le tribunal tire d’un fait connu à un fait inconnu constitue une présomption laissée à son appréciation, lequel doit toutefois ne prendre en considération que celles qui sont graves, précises et concordantes.[4] La force probante du témoignage est également laissée à l’appréciation du tribunal.[5] Si une partie ne s’acquitte pas de son fardeau de convaincre le tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c’est cette partie qui succombera et verra ses prétentions rejetées.[6]

[17]     Le bail, comme tout contrat, oblige ceux qui l’ont conclu pour ce qu'ils y ont exprimé, ainsi que pour tout ce qui en découle d'après sa nature et suivant les usages, l'équité ou la loi (1434 C.c.Q.).

[18]     Tout locataire a droit à la jouissance paisible des lieux loués, passant notamment par leur bon état d'habitabilité, de réparations ou de sécurité, que doit procurer le locateur au sein de son immeuble.[7] En corollaire, le locataire aura celle générale d’user du bien loué avec prudence et diligence[8].


[19]     Plus spécifiquement, ce dernier sera tenu de maintenir son logis en bon état de propreté[9], de ne pas contrevenir aux obligations légales prescrites eu égard à sa sécurité ou salubrité[10], d’en donner accès dans certaines circonstances[11], de ne pas agir de façon à détériorer le bien loué dont il a la garde[12], ni mettre en péril sa conservation ou son intégrité, de même que l’immeuble l’abritant[13], et d’aviser le locateur dans un délai raisonnable lorsqu’il aura connaissance d’une défectuosité ou d’une détérioration substantielle des lieux loués[14]. Dans le même ordre d’idées et hormis quelques exceptions, toute demande en justice doit être précédée d’une mise en demeure, à défaut elle en fera office[15].

[20]     Cela étant, la réclamation de la locatrice est fondée sur l'article 1890 du Code civil du Québec (C.c.Q.) qui oblige les locataires à remettre le logement dans le même état que reçu, à l'exception de la vétusté ou de l'usure normale notamment.

[21]     Aussi, cet article crée une présomption que le logement a été reçu dans un bon état à l'arrivée d’un locataire et se lit comme suit :

1890. Le locataire est tenu, à la fin du bail, de remettre le bien dans l'état où il l'a reçu, mais il n'est pas tenu des changements résultant de la vétusté, de l'usure normale du bien ou d'une force majeure.

L'état du bien peut être constaté par la description ou les photographies qu'en ont faites les parties; à défaut de constatation, le locataire est présumé avoir reçu le bien en bon état au début du bail.

[22]     En résumé, une fois les dommages au logement prouvés, la loi présume qu’un locataire en est responsable puisqu'il assume la garde du logement. L'obligation de conservation imposée aux locataires est prévue à l'article 1862 C.c.Q. qui stipule ce qui suit :

1862. Le locataire est tenu de réparer le préjudice subi par le locateur en raison des pertes survenues au bien loué, à moins qu'il ne prouve que ces pertes ne sont pas dues à sa faute ou à celle des personnes à qui il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.

Néanmoins, lorsque le bien loué est un immeuble, le locataire n'est tenu des dommages-intérêts résultant d'un incendie que s'il est prouvé que celui-ci est dû à sa faute ou à celle des personnes à qui il a permis l'accès à l'immeuble.

[23]     La présomption de faute peut être renversée par un locataire, en démontrant par une preuve convaincante, soit les causes probables des dommages ou une cause externe, soit en exposant qu'il ou les personnes à qui il a donné accès ont agi en personnes prudentes et diligentes[16] ou encore qu'il s'agisse d'un cas de force majeure[17].

[24]     Le professeur Jobin s'exprime comme suit à ce sujet :

Le législateur a imposé cette présomption au locataire afin de protéger les intérêts du locateur. En effet, comme le locataire a l'usage exclusif du bien loué, le locateur ne peut généralement pas être témoin de son comportement et il aurait souvent de la difficulté à prouver la faute du locataire, ou d'une personne à qui celui-ci en permet l'usage ou l'accès. Il est donc naturel que ce soit au locataire d'expliquer ce qui s'est passé ou au moins de montrer qu'il n'en est pas responsable[18].

[25]     Également, un locataire n’est pas imputable des améliorations, rénovations ou réparations rendues nécessaires par l'usure du temps ou la vétusté[19].


[26]     Les principes applicables à l'indemnité de relocation sont résumés de la façon suivante par le professeur Jobin[20] :

116. Dommages-intérêts. Le recours en dommages -intérêts vient presque toujours s'ajouter à celui en résiliation. En plus d'une indemnité pour pertes causées au bien loué ou autres dommages le cas échéant, le locateur réclame systématiquement une indemnité pour perte de loyer durant la période nécessaire pour trouver un nouveau locataire; plus précisément, l'indemnité couvre la perte de loyer jusqu'à la délivrance du bien au nouveau locataire, car c'est à partir de l'entrée en jouissance que le nouveau loyer est calculé.

L'indemnité de relocation obéit aux règles habituelles. Ainsi, le locateur a droit uniquement à la réparation du préjudice qui constitue une suite immédiate et direction de la faute du locateur. De plus, on ne doit pas oublier que le locateur a le devoir de minimiser sa perte: dans le contexte d'une résiliation, il doit prendre les moyens raisonnables pour remplacer le locataire fautif le plus vite possible.

[27]     L'article 1479 du Code civil du Québec reprend d'ailleurs ce principe en ces termes :

1479. La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l'aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter.

[28]     Cette règle est expliquée comme suit par les auteurs Baudouin et Jobin[21] :

La règle de la réduction des pertes, ou de la minimisation des dommages est bien connue en Common Law. La jurisprudence québécoise l'a également sanctionnée d'innombrables fois, tant en matière extra contractuelle qu'en matière contractuelle et elle est maintenant codifiée à l'article 1479 C.c.Q. Cette règle est fondée sur le principe selon lequel le débiteur n'est tenu qu'aux seuls dommages directs et immédiats. On peut l'exprimer simplement en disant que le créancier à le devoir, lorsqu'il constate l'inexécution de l'obligation de son débiteur, de tenter d'atténuer autant que possible le préjudice qu'il subit. Agir autrement constitue, en droit civil, un comportement fautif, parce que contraire à la conduite d'une personne normalement prudente et diligente, et mène à une réduction des dommages autrement alloués au créancier. Lorsque le créancier ne réduit pas ses pertes, il est difficile de prétendre que le dommage a été entièrement causé par le fait du débiteur, même si celui-ci en est à l'origine. Les tribunaux n'admettent donc pas que le créancier réclame la partie des dommages qu'il a subis et qu'il aurait pu raisonnablement éviter en se comportant avec prudence, diligence et bonne foi. L'obligation de réduire sa perte est donc une obligation de moyens.

[29]     Des décisions du plus haut tribunal du pays ont été rendues relativement à l'obligation de minimiser ses dommages[22].

[30]     La locatrice a donc l'obligation de prouver ses dommages, mais aussi qu'elle a tenté de les minimiser.

Les dommages au logement

[31]     Dans la présente affaire, la locatrice réclame la somme de 2 019,25 $ en dommages représentant les coûts de remise en état du logement.

[32]     De la preuve photographique présentée, le Tribunal conclut que le logement n’a pas été laissé en bon état lors du départ de la locataire et que celle-ci ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer par une preuve convaincante que les dommages causés ne résultent pas, du moins en partie, de sa faute.

[33]     Étant satisfait des explications et des preuves soumises, considérant les factures présentées et la preuve de leur paiement, le Tribunal fera droit à la demande de la locatrice, mais pour un montant de 1 800 $, tenant compte d’une certaine dépréciation pour la part d'usure normale du logement dans le temps.

[34]     Les frais applicables sont adjugés contre la partie défenderesse selon le Tarif des frais exigibles par le Tribunal administratif du logement.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[35]     ACCUEILLE en partie la demande de la locatrice

[36]     CONDMANE la locataire à payer à la locatrice la somme de 1 800 $, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter 11 octobre 2023, plus les frais de justice de 84 $ et de notification de 23 $;

[37]     REJETTE la demande quant au surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Marilyne Trudeau

 

Présence(s) :

le mandataire de la locatrice

la locataire

Date de l’audience : 

10 mai 2024

 

 

 


 


[1] Pièce P-1.

[2] Pièce P-2.

[3] Pièce L-1.

[4] Selon les articles 2846 et 2849 du Code civil du Québec.

[5] Article 2845 du Code civil du Québec.

[6] André Nadeau et Léo Ducharme, dans Traité de droit civil du Québec, vol. 9, 1965, Montréal, Wilson et Lafleur. 

[7] Voir les articles 1854, 1910 et 1912 du Code civil du Québec.

[8] Suivant l’article 1855 du Code civil du Québec.

[9] Article 1911 du Code civil du Québec.

[10] Selon le paragraphe 1o de l’article 1912 du Code civil du Québec.

[11] Voir les articles 1930 et suivants du Code civil du Québec.

[12] Voir notamment l’article 1862 du Code civil du Québec.

[13] Pierre-Gabriel Jobin, Le louage, Collection Traité de droit civil, 2e édition, Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, 1996.

[14] Conformément à l’article 1866 du Code civil du Québec.

[15] Voir les articles 1590, 1594 et 1595 du Code civil du Québec.

[16] Pierre-Gabriel JOBIN, Traité de droit civil : Le louage, 2e édition, Les Éditions Yvon Blais, 1996, pages 200 et suivantes.

[17] Pierre GAGNON et Isabelle JODOIN, Louer un logement, 2e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, page. 24.

[18] JOBIN Gabriel, Le Louage, 2e édition, Les Éditions Yvon Blais Inc., 1996.

[19] Milot c. Bernier, 2012 QCRDL 25585, j. adm. Claudine Novello, par. 33.

[20] Jobin, Pierre-Gabriel, Le louage, 2e édition, no.116, p. 364.

[21] Baudouin, Jean-Louis et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 5e édition, no. 826, p. 655.

[22] Deer College c. Michaels and Finn (1976) 2 R.C.S. 324; Banque Nationale c. Soucisse et al., 1981 2 R.C.S. 339.

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