Décision

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Elmaraghi c. Nadeau

2017 QCCS 4156

J.C.1466

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE LONGUEUIL

N° :

505-17-008854-160

 

DATE :

19 septembre 2017

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JEAN-JUDE CHABOT, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

HORÉYA ELMARAGHI

Partie demanderesse

c.

 

CLAUDE NADEAU

et

CHRISTIANE LAFRENIÈRE

et

CLINIQUE DENTAIRE NADEAU INC.

Parties défenderesses

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]          Il s’agit d’une demande en rejet modifiée d’une demande introductive d’instance re-modifiée en dommages-intérêts.

I. LE CONTEXTE

[2]          La demanderesse réclame des défendeurs solidairement la somme de 536 750 $ à titre de dommages pécuniaires (261 750 $), moraux (175 000 $) et punitifs (100 000 $) pour humiliation, atteinte à sa dignité, son intégrité, son honneur et sa réputation.

[3]          À l’époque pertinente aux faits en litige, la demanderesse est avocate inscrite au tableau de l’Ordre du Barreau du Québec depuis le 23 novembre 1983.  Elle est la mère de la Dre Nahla Abdel-Megid (ci-après « Megid »), une chirurgienne-dentiste, pour laquelle elle agit professionnellement à titre gratuit depuis le début de mai 2005 (P-3 en liasse).  La seule convention d’honoraires n’interviendra que le 24 avril 2014 alors que le litige avec les défendeurs sera déjà engagé depuis plusieurs années (P-3 en liasse).

[4]          Au début de 2005, le défendeur Claude Nadeau (ci-après « Nadeau ») exploite avec la Dre Sophie Arpin la Clinique dentaire Nadeau et Arpin à Ste-Julie.  Il s’agit d’une association à titre nominal essentiellement pour le partage des dépenses afférentes à l’exploitation de la Clinique.

[5]          Le 5 mai 2005, Megid signe avec Nadeau une convention d’indivision et de partage de dépenses (P-5) qui s’appliquera à l’achat par Megid de la Clinique de la Dre Arpin qui interviendra le 20 mai 2005 (P-4).

[6]          La Clinique dentaire Nadeau et Arpin devient la Clinique dentaire Nadeau et Megid le 20 mai 2006 (ci-après « la Clinique ») (P-6).  Le 19 février 2009, Nadeau incorpore sa propre pratique sous le nom de Clinique dentaire Nadeau inc. dont il est l’actionnaire majoritaire, seul administrateur, président et secrétaire (P-7).

[7]          Le conflit débute au printemps 2009 pour des problèmes de publicité et d’utilisation du numéro de téléphone de la Clinique.  Le 26 mai 2009, la demanderesse transmet une mise en demeure à Nadeau à cet égard (P-8).  Le problème persiste et s’amplifie, la demanderesse, au nom de Megid, accusant Nadeau de harcèlement, d’intimidation et d’atteinte à la dignité de Megid (lettre de mise en demeure des 3 mai 2010 (11 pages!), P-8 en liasse).  Les deux associés n’arrivent pas à s’entendre (note manuscrite de Nadeau du 9 mai 2011 (P-9) et réponse de la demanderesse du 10 mai 2011 (P-8 en liasse)).

[8]          En mars 2012, Megid porte même une longue plainte (7 pages) aux services de police de la Régie inter-municipale de police Richelieu-Saint-Laurent à l’encontre de Nadeau dans laquelle elle se plaint de harcèlement criminel à son égard et contre son personnel (P-62).  Elle complète sa plainte le 20 avril 2012 (9 pages) dans laquelle elle relate tous les incidents depuis 2011 (P-63).  La preuve n’indique pas qu’il y ait eu un suivi à ces plaintes.

[9]          Le climat continue de s’envenimer, le personnel respectif des dentistes s’en mêle.  Megid, se plaint constamment du non-respect de la Convention P-5 par Nadeau, de son attitude cavalière à son encontre et de l’implication injustifiée de l’épouse de Nadeau, la codéfenderesse Christiane Lafrenière (ci-après « Lafrenière »), dans l’administration de la Clinique.  Nadeau lui retourne les reproches.  Il s’ensuit une série de communications manuscrites entre Nadeau et Megid faisant état de récriminations réciproques (P-11 en liasse).  Megid refuse une médiation suggérée par Nadeau parce qu’elle l’accuse de mauvaise foi.

[10]       Puis survient un événement qui met le feu aux poudres : durant la semaine du 8 au 11 avril 2013, la demanderesse remplace la secrétaire-réceptionniste de Megid à la Clinique ce qui entraîne (c’était prévisible malgré la justification qu’en donne la demanderesse dans ses notes (P-16)) un tohu-bohu indescriptible virant quasiment à la foire d’empoigne, tant et si bien que le 1er mai 2013 Nadeau fait parvenir au Bureau du Syndic du Barreau du Québec une demande d’enquête  à l’égard  de la conduite  déontologique de la  demanderesse à son égard (P-10).  Il y relate les relations avec Megid et l’implication de la demanderesse depuis 2005 et particulièrement depuis mai 2011 et évidemment la semaine du 8 avril 2013.  La plainte est transmise à la demanderesse le 17 mai 2013 pour commentaires (P-18).

[11]       Le 5 juillet 2013, la demanderesse transmet au syndic-adjoint du Barreau sa réponse détaillée à la plainte de Nadeau (25 pages) qu’elle qualifie d’entrée de jeu de « vexatoire » et portant atteinte à la dignité de sa personne et à sa réputation (P-17).  Le 15 septembre 2013, Nadeau répond aux commentaires de la demanderesse (P-19).

[12]       Le 21 février 2014, Megid informe Nadeau de son intention de se retirer de la Clinique (P-20).  Elle indique avoir confié le mandat de la représenter pour la dissolution et liquidation de la Clinique à Normand Sénéchal.  Ce dernier ne se manifestera pas.  Le 23 avril 2014, Me Charles Ouellette intervient comme procureur de Nadeau.  Les parties essayent alors de négocier un règlement de leur litige.  Le 6 mai 2014, la demanderesse contacte Me Ouellette et lui confirme qu’elle représente Megid.  Plusieurs échanges ont lieu entre la demanderesse et Me Ouellette (en annexe à la pièce P-68 et P-22 en liasse).

[13]       Les 14 et 28 mai 2014, Nadeau se plaint de nouveau auprès du syndic-adjoint du Barreau de l’implication selon lui inappropriée de la demanderesse dans son litige avec Megid (P-24 en liasse).

[14]       Le 6 juin 2014, le syndic-adjoint en informe la demanderesse (P-68 en liasse) qui lui répond les 25 juin (P69) et 27 juin 2014 (P-70).

[15]       Le 17 novembre 2014, le syndic-adjoint du Barreau avise la demanderesse, faisant référence à un échange de correspondances entre elle et l’avocat de Nadeau, qu’aucune demande d’enquête ne peut faire l’objet d’un règlement sans l’accord du bureau du Syndic (P-32 en liasse).  La demanderesse  répond  le 20 novembre 2014 (P-32 en liasse).

[16]       Le 5 décembre 2014, Megid, assistée de la demanderesse, et Nadeau, assisté de Me Ouellette, signent une convention de dissolution, de partage et de liquidation de la Clinique dentaire Nadeau et Megid (P-31).

[17]       Le 19 décembre 2014, le syndic-adjoint avise la demanderesse qu’il a décidé de porter une plainte contre elle pour conduite dérogatoire.  La plainte est déposée le 28 janvier 2015 et modifiée le 30 juin 2015 (P-50 en liasse).

[18]       L’exécution de l’entente du 5 décembre 2014 rencontre des difficultés particulièrement au niveau du numéro de téléphone de la Clinique (P-30 à P-49, P-56 et P-57).

[19]       L’instruction de la plainte disciplinaire du 16 janvier 2015 modifiée le 30 juin 2015 se tient du 4 au 6 novembre 2015, les 16 et 17 mars 2016 et le 8 juin 2016.

[20]       Le 3 février 2016, la demanderesse dépose auprès du Barreau du Québec un avis de changement de son statut à celui d’avocat à la retraite et demande d’être inscrite comme tel à l’Ordre (P-1 en liasse).

[21]       Le 31 mars 2016, la demanderesse intente son présent recours contre les défendeurs pour un montant de 771 950 $ accompagné d’une demande de saisie avant jugement en mains tierces contre les banquiers de la défenderesse Clinique dentaire Nadeau inc.  La demande de saisie avant jugement est refusée le 4 avril 2016.

[22]       Le 20 mai 2016, le syndic-adjoint dépose une deuxième plainte disciplinaire contre la demanderesse lui reprochant d’avoir commis un acte dérogatoire à l’honneur et à la dignité du Barreau en intentant le recours susmentionné manquant ainsi à son obligation de ne pas exercer de représailles à la suite de la demande d’enquête des défendeurs Nadeau et Lafrenière, leurs communications avec le syndic-adjoint et leurs témoignages défavorables devant le Conseil de discipline (R-2 à la requête pour rejet).

[23]       Le 28 juin 2016, le Conseil de discipline rend sa décision sur la plainte du 16 janvier 2015 modifiée le 30 juin 2015 (R-1 à la requête pour rejet).  La décision, longuement motivée (138 paragraphes sur 30 pages) accueille en partie la plainte modifiée et déclare la demanderesse coupable d’avoir omis de sauvegarder son indépendance professionnelle dans le cadre de sa représentation de sa fille en contravention aux articles 3.00.01 et 3.06.05 du Code de déontologie des avocats (en vigueur à l’époque) et de l’article 59.2 du Code des professions.

[24]       Le même jour, la demanderesse, alors qu’elle se trouve à Alexandrie en Égypte, notifie à 17 heures (heure de Montréal) aux défendeurs une demande introductive d’instance modifiée dans laquelle, entre autres modifications, elle réduit ses réclamations aux chapitres de pertes pécuniaires, dommages moraux et punitifs à 536 750 $.

[25]       Le 15 novembre 2016, les défendeurs notifient à la demanderesse une demande de rejet du recours en vertu de l’article 51 C.p.c.

[26]       Le 28 novembre 2016, la demanderesse notifie aux défendeurs une demande introductive d’instance re-modifiée dans laquelle elle précise certaines de ses allégations.

[27]       Le 30 novembre 2016, elle notifie aux défendeurs une demande en rejet de la demande des défendeurs en rejet de la demande introductive d’instance et en rejet de l’exposé sommaire des moyens de défense orale.

[28]       Le 1er décembre 2016, la juge Sophie Picard fixe l’instruction des requêtes en rejet aux 7 et 8 mars 2017.

[29]       Le 6 février 2017, le Conseil de discipline rend sa décision sur la sanction des infractions constatées dans sa décision du 28 juin 2016 (A-4, pièces de la demanderesse jointe à sa déclaration sous serment du 6 mars 2017).  La décision, longuement motivée, impose une radiation temporaire de cinq mois et la condamne à 80% des déboursés.

[30]       Le 2 mars 2017, les défendeurs notifient à la demanderesse une demande en rejet modifiée dans laquelle ils ajoutent des motifs de quérulence et de proportionnalité et ajoutent une aggravation de la condition de la défenderesse Lafrenière fondée sur le rapport médical du Dr Jean-Pierre Lavoie proposé comme pièce R-4.

[31]       Le 6 mars 2017, la demanderesse réplique par une demande de rejet des rapports d’expertise.

[32]       Le 3 mars 2017, la demanderesse introduit une demande en appel de sa condamnation et de la sanction imposée devant le Tribunal des professions.

II. LES DEMANDES DES PARTIES

A. LES DÉFENDEURS

[33]       La demande de rejet modifiée vise non seulement le rejet du recours, mais aussi une condamnation à des dommages moraux de 10 000 $ et des dommages punitifs de 15 000 $.

[34]       Les motifs de rejet reposent principalement sur le caractère manifestement abusif et vexatoire du recours et accessoirement sur la prescription du recours d’une part et d’autre part sur l’absence de lien de droit entre la demanderesse et les défendeurs Lafrenière et Clinique dentaire Nadeau inc.  La demande de dommages moraux et punitifs repose sur l’article 54 C.p.c.

B. LA DEMANDERESSE

[35]       Elle expose que la demande en rejet des défendeurs ainsi que leur exposé sommaire des moyens de défense sont abusifs, dilatoires et manifestement mal fondés en faits et en droit.  Elle aussi demande des dommages pécuniaires, moraux et punitifs de l’ordre de 75 000 $ en conséquence, somme qui sera ramenée par la suite à 25 000 $.

[36]       Elle demande accessoirement le rejet des rapports d’expertises R-3 et R-4 avec encore une demande de dommages compensatoires de 2 400 $ et de dommages punitifs de 1 500 $.

III. QUESTIONS EN LITIGE

[37]       À ce stade préliminaire, il s’agit de déterminer sommairement à partir des actes de procédure et des pièces au dossier si la demande de la demanderesse ou la demande en rejet des défendeurs constituent ou peuvent constituer un abus de procédure et les sanctions à y apporter le cas échéant.  Accessoirement, le cas échéant, le Tribunal traitera du moyen de la prescription et du lien de droit entre Lafrenière et Clinique dentaire Nadeau inc. avec la demanderesse.

IV. DISCUSSION

[38]       Comme le point central est la question de l’abus de procédure et que le sort du litige ou d’une partie de celui-ci en dépend, le Tribunal en traitera en premier lieu.

A. LA QUESTION DE L’ABUS DE DROIT

1. Le droit

[39]       Les articles pertinents du Code de procédure civile sont les suivants :

51. Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d’office, déclarer qu’une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif.

L’abus peut résulter, sans égard à l’intention, d’une demande en justice ou d’un autre acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d’un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de l’utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, entre autres si cela a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte de débats publics.

52. Si une partie établit sommairement que la demande en justice ou l’acte de procédure peut constituer un abus, il revient à la partie qui l’introduit de démontrer que son geste n’est pas exercé de manière excessive ou déraisonnable et se justifie en droit.

La demande est présentée et contestée oralement, et le tribunal en décide sur le vu des actes de procédure et des pièces au dossier et, le cas échéant, de la transcription des interrogatoires préalables à l’instruction. Aucune autre preuve n’est présentée, à moins que le tribunal ne l’estime nécessaire.

La demande faite au tribunal de se prononcer sur le caractère abusif d’un acte de procédure qui a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte d’un débat public est, en première instance, traitée en priorité.

53. Le tribunal peut, dans un cas d’abus, rejeter la demande en justice ou un autre acte de procédure, supprimer une conclusion ou en exiger la modification, refuser un interrogatoire ou y mettre fin ou encore annuler une citation à comparaître.

Dans un tel cas ou lorsqu’il paraît y avoir un abus, le tribunal peut, s’il l’estime approprié:

1° assujettir la poursuite de la demande en justice ou l’acte de procédure à certaines conditions;

2° requérir des engagements de la partie concernée quant à la bonne marche de l’instance;

3° suspendre l’instance pour la période qu’il fixe;

4° recommander au juge en chef d’ordonner une gestion particulière de l’instance;

5° ordonner à la partie qui a introduit la demande en justice ou présenté l’acte de procédure de verser à l’autre partie, sous peine de rejet de la demande ou de l’acte, une provision pour les frais de l’instance, si les circonstances le justifient et s’il constate que sans cette aide cette partie risque de se retrouver dans une situation économique telle qu’elle ne pourrait faire valoir son point de vue valablement.

54. Le tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif d’une demande en justice ou d’un autre acte de procédure, incluant celui présenté sous la présente section, ordonner, le cas échéant, le remboursement de la provision versée pour les frais de l’instance, condamner une partie à payer, outre les frais de justice, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les débours que celle-ci a engagés ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs.

Si le montant des dommages-intérêts n’est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d’abus, le tribunal peut en décider sommairement dans le délai et aux conditions qu’il détermine ou, s’agissant de la Cour d’appel, celle-ci peut alors renvoyer l’affaire au tribunal de première instance qui en était saisi pour qu’il en décide.

55. Lorsque l’abus résulte de la quérulence d’une partie, le tribunal peut, outre les autres mesures, interdire à la partie d’introduire une demande en justice ou de présenter un acte de procédure dans une instance déjà introduite sans l’autorisation préalable du juge en chef et selon les conditions que celui-ci détermine.

56. Lorsque l’abus est le fait d’une personne morale ou d’une personne qui agit en qualité d’administrateur du bien d’autrui, les administrateurs et les dirigeants de la personne morale qui ont participé à la décision ou l’administrateur du bien d’autrui peuvent être condamnés personnellement au paiement des dommages-intérêts.

[40]       L’abus de procédure peut donc résulter d’une demande en justice ou d’un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire ou d’un comportement vexatoire ou quérulent.  Ce type d’abus existe sans égard à l’intention et procède plutôt d’une conduite blâmable :

[58]  Lorsqu’il est soutenu que la requête est « manifestement mal fondée » en droit, l’article 54.1 C.p.c. [aujourd’hui 51] exige aussi la démonstration d’une conduite blâmable de la partie ayant intenté le recours.  En d’autres mots, la partie demanderesse doit non seulement avoir intenté une poursuite non fondée en droit, mais la poursuite doit avoir été intentée de manière si évidente, si frivole ou si dilatoire qu’il s’agit d’un acte de procédure abusif.  Je suis guidé sur ce point par les motifs du juge Dalphond de la Cour d’appel dans l’affaire Royal LePage : « le fait de mettre de l’avant un recours ou une procédure alors qu’une personne raisonnable et prudente, placée dans les circonstances connues par la partie au moment où elle dépose la procédure ou l’argumente, conclurait à l’inexistence d’un fondement pour cette procédure ».  Le juge Dalphond a aussi noté, rappelant l’opinion du juge d’appel Rochon exprimée dans Viel, qu’une conclusion d’abus ne peut être prise à la légère.  Cette évaluation de l’abus est élargie par l’article 54.1 C.p.c. par rapport à l’ancien article 75.1 C.p.c., en ce qu’elle comprend une appréciation de la preuve au dossier de la requête relative à un acte de procédure abusif, indépendamment de l’étape de la procédure à laquelle elle est déposée.  Quelle que soit l’étape de la procédure, le caractère blâmable additionnel du comportement de la partie qui a intenté l’action doit être démontré pour en conclure que la demande en justice est « manifestement mal fondée » en droit.  Étant donné que monsieur Michaud n’a pas réussi à démontrer que la demande en justice était mal fondée selon les critères de l’article 165(4) C.p.c., elle n’est pas, a fortiori, « manifestement mal fondée » en droit en selon l’article 54.1.

(Références omises)

(Acadia Subaru c. Michaud, 2011 QCCA 1037, juge Kasirer)

[41]       Le comportement vexatoire ou quérulent constitue un motif indépendant de rejet et est l’illustration d’une conduite blâmable qui constitue en soi un abus de procédure.  L’abus de procédure peut aussi résulter de l’utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable, ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice.

[42]       Ainsi, une procédure qui n’est pas manifestement mal fondée en droit à prime abord peut néanmoins s’avérer abusive si la procédure est excessive ou déraisonnable eu égard aux circonstances de l’espèce, si elle est utilisée pour nuire à autrui, dont l’épuisement financier, par une complexification injustifiable de la demande initiale, par une multiplication de demandes ou de vacations au tribunal, par un mélange de demandes dont certaines peuvent avoir une apparence de légitimité alors que d’autres sont frivoles ou manifestement exagérées, ou si elle résulte finalement en un détournement des fins de la justice.  On cite souvent à titre d’exemple la poursuite-bâillon, mais ce n’est pas le seul cas.

[43]       Nous sommes ici au stade préliminaire du débat judiciaire.  Le Tribunal saisi d’une demande de rejet en vertu de l’article 51 doit agir avec grande prudence avant de rejeter sommairement un recours :

[13]   La Cour rappelle, dans Aliments Breton (Canada) inc. c. Bal Global Finance Canada Corporation, que la jurisprudence découlant des articles 75.1 et 75.2 C.p.c. demeure pertinente pour trancher une requête en vertu de l’article 54.1 C.p.c.  Entre autres, un juge doit faire preuve d’une grande prudence avant de rejeter sommairement un recours.  Par ailleurs, notre collègue le juge Vézina s’exprime ainsi sur cette question dans un arrêt récent :

          [67]  Les nouvelles dispositions pour « sanctionner les abus de procédure » exigent du doigté et de la finesse de la part des juges qui doivent décider sommairement des droits des parties alors que leur rôle est d’abord et avant tout de trancher en pleine connaissance de cause après avoir entendu pleinement les parties et leurs témoins.

          [68]  Confrontés à une poursuite-bâillon, ils doivent intervenir sans délai, mais dans le cas d’actions traditionnelles où il n’y a pas d’urgence, ils doivent se hâter lentement.

[14]   Dans le cadre d’une requête en rejet d’un recours, en vertu de l’article 54.1 C.p.c., un juge doit donc être prudent et s’abstenir de mettre fin prématurément à un recours avant d’avoir entendu les parties sur le fond de l’affaire, surtout s’il ne s’agit pas d’une poursuite-bâillon, comme en l’espèce.

(Guimont c. RNC Média inc. (CHOI-FM), 2012 QCCA 563)

[44]       Ceci ne signifie pas pour autant que dans les « actions traditionnelles », se hâter lentement, comme le dit la maxime grecque, implique de ne jamais rejeter un tel recours au stade préliminaire pour éviter la persistance d’un recours abusif.  L’appréciation du litige doit être faite avec constance.

2. Discussion

a) L’abus résultant d’une procédure manifestement mal fondée, frivole ou dilatoire

[45]       Il s’agit en l’espèce d’une demande en dommages-intérêts fondée sur le comportement allégué des défendeurs Nadeau et Lafrenière visant à nuire à la réputation de la demanderesse et à l’empêcher d’exercer correctement son métier.  Comme le souligne la juge Michèle Monast dans St-Paul-d’Abbotsford (Municipalité de) c. Paquette, 2012 QCCS 2773, le recours pour atteinte à la réputation repose sur le régime général de la responsabilité civile et commande une analyse contextuelle de la faute alléguée :

[79]   Au Québec, l’action en diffamation repose sur le régime général de la responsabilité civile (art. 1457 C.c.Q.).  Aussi, pour avoir gain de cause, les demandeurs doivent démontrer l’existence d’une faute, d’un préjudice, et d’un lien de causalité entre ces deux éléments.

[80]   La diffamation peut être verbale ou écrite.  Elle peut résulter de la communication d’informations ou de la diffusion de commentaires.  Les paroles prononcées peuvent être diffamatoires en raison de l’idée qu’elles expriment ou des insinuations qui s’en dégagent.

[81]   La faute peut être intentionnelle ou non.  L’existence de la bonne foi ne constitue pas un moyen d’exonération valable.

[82]   Le tribunal doit procéder à une analyse contextuelle de la faute.  Ainsi, il doit tenir compte des circonstances particulières dans lesquelles les propos sont prononcés.

[46]       En matière d’atteinte à la réputation, la qualification des propos tenus des gestes posés, l’existence d’une faute et d’un préjudice en découlant reposent sur des éléments factuels qui doivent être mis en preuve :

33 Pour démontrer le premier élément de la responsabilité civile, soit l’existence d’un préjudice, le demandeur doit convaincre le juge que les propos litigieux sont diffamatoires.  Le concept de diffamation a fait l’objet de plusieurs définitions au fil des années.  De façon générale, on reconnaît que la diffamation « consiste dans la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables » (Radio Setp-Îles, précité, p. 1818).

34  La nature diffamatoire des propos s’analyse selon une norme objective (Hervieux-Payette c. Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, 1997 CanLII 8276 (QC CS), [1998] R.J.Q. 131 C.S.), p. 143, infirmé, mais non sur ce point, par Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal c. Hervieux-Payette, 2002 CanLII 8266 (QC CA), [2002] R.J.Q. 1669 (C.A.)).  Il faut, en d’autres termes, se demander si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation d’un tiers.  À cet égard, il convient de préciser que des paroles peuvent être diffamatoires par l’idée qu’elles expriment explicitement ou encore par les insinuations qui s’en dégagent.  Dans l’affaire Beaudoin c. La Presse Ltée, 1997 CanLII 8365 (QC CS), [1998] R.J.Q. 204 C.S.), p. 211, le juge Senécal résume bien la démarche à suivre pour déterminer si certains propos revêtent un caractère diffamatoire :

      « La forme d’expression du libelle importe peu; c’est le résultat obtenu dans l’esprit du lecteur qui crée le délit ».  L’allégation ou l’imputation diffamatoire peut être directe comme elle peut être indirecte « par voie de simple allusion, d’insinuation ou d’ironie, ou se produire sous une forme conditionnelle, dubitative, hypothétique ».  Il arrive souvent que l’allégation ou l’imputation « soit transmise au lecteur par le biais d’une simple insinuation, d’une phrase interrogative, du rappel d’une rumeur, de la mention de renseignements qui ont filtré dans le public, de juxtaposition de faits divers qui ont ensemble une semblance de rapport entre eux ».

     Les mots doivent d’autre part s’interpréter dans leur contexte.  Ainsi, « il n’est pas possible d’isoler un passage dans un texte pour s’en plaindre, si l’ensemble jette un éclairage différent sur cet extrait ».  À l’inverse, « il importe peu que les éléments qui le composent soient véridiques si l’ensemble d’un texte divulgue un message opposé à la réalité ».  On peut de fait déformer la vérité ou la réalité par des demi-vérités, des montages tendancieux, des omissions, etc. « Il faut considérer un article de journal ou une émission de radio comme un tout, les phrases et les mots devant s’interpréter les uns par rapport aux autres. »

35  Cependant, des propos jugés diffamatoires n’engageront pas nécessairement la responsabilité civile de leur auteur.  Il faudra, en outre, que le demandeur démontre que l’auteur des propos a commis une faute.  […]

38 Dans tous les cas, l’appréciation de la faute demeure une question contextuelle de faits et de circonstances.  À cet égard, il importe de rappeler que le recours en diffamation met en jeu deux valeurs fondamentales, soit la liberté d’expression et le droit à la réputation. […]

(Prud’homme c. Prud’homme, [2002] 4 R.C.S. 663)

(soulignement ajouté)

[47]       Lorsque, comme en l’espèce, il existe un conflit qui perdure depuis un certain temps, l’examen sommaire du dossier, des gestes et des paroles prononcées devient singulièrement problématique car le litige repose sur des versions contradictoires et l’interprétation subjective des faits par chacune des parties.  Ce qui ne signifie pas pour autant que ce soit impossible.

[48]       Dans la demande d’enquête, Nadeau reproche à la demanderesse d’agir de façon abusive et déraisonnable dans la représentation de sa fille et de créer un climat de confrontation.

[49]       Il n’est pas inutile ici de référer à la plainte de Nadeau.  Au départ, il s’interroge si la conduite professionnelle de la demanderesse à son égard contrevient au Code de déontologie des avocats :

Je ne sais pas si cela contrevient au code de déontologie ou au Code des professions comme cela peut l’être par exemple par un chirurgien qui interviendrait chirurgicalement sur son enfant ou sa conjointe, mais force est de constater que cette avocate, en représentant sa fille, agit de façon abusive et déraisonnable en étant souvent sous l’emprise des émotions qui altère sa perception des faits.

Ainsi, depuis mon association en 2005, avec sa fille, Me Elmaraghi a multiplié les communications téléphoniques, écrites et mises en demeures.  Me Elmaraghi a un désir évident d’envenimer les conflits pour des peccadilles.  Elle a, à plusieurs reprises, semé la controverse, porté atteinte à ma réputation et celle d’une de mes employées, instauré un climat de provocation, provoqué du harcèlement et de l’intimidation, abusé de son titre d’avocate et même proférer des menaces.  Tout cela a été tolérés pendant toutes ces années, mais ces comportements ne peuvent plus durer et se doivent d’être dénoncés.

(cité textuellement)

(P-10, à la p 1/6)

[50]       Suit un résumé de divers incidents selon sa perception des faits puis il conclut :

À la lumière de ces évènements, il est à même de constater que Me Elmaraghi a un comportement inacceptable et malsain pour une avocate.  Au lieu de chercher à résoudre les problèmes, Me Elmaraghi préfère continuer dans l’adversité.  Je me sens brimé dans mes droits.  Je trouve inconcevable, non professionnel et contraire au code d’éthique et de déontologie du Barreau qu’une avocate tente d’intimider, de nuire à la réputation, de troubler la paix, de bousculer psychologiquement, d’instaurer la provocation et de proférer des menaces en abusant de son statut d’avocate.  Il est aussi impensable que cela puisse se produire, directement sur le lieu de travail de la partie adverse dans le dossier d’une avocate, tout en violant plusieurs règles et ententes connues et convenues entre associés et si difficilement obtenues.

(P-10, à la p 6/6)

[51]       La réponse à la plainte de Nadeau par la demanderesse démontre à l’évidence qu’elle en a eu pleine connaissance (P-17), la traitant de vexatoire et d’atteinte à sa dignité et à sa réputation.  C’est précisément ce qu’elle allègue aux paragraphes 40 à 44 de sa demande re-modifiée.

[52]       Ce qu’elle qualifie d’atteinte à sa réputation est en réalité sa perception subjective des événements de la même manière que la version de Nadeau représente sa perception subjective des événements, l’un et l’autre s’accusant d’être responsable d’envenimer le débat et de faire des affirmations diffamatoires.

[53]       Il s’agit d’une demande d’enquête sur la conduite de l’avocate.  Les faits que Nadeau représente son interprétation mais ne sont pas pour autant faux et faits avec malice ou intention de nuire.  Il exerce en droit que lui reconnaît le Code des professions.

[54]       Étant donné le caractère d’officier public de l’avocat et les règles d’intégrité, d’éthique et de professionnalisme qui le gouvernent, l’avocat est sujet à ce que sa conduite soit remise en question par un membre du public qui considère que l’avocat n’agit pas conformément au Code de déontologie des avocats.  L’enquête du syndic peut ou non résulter en une plainte au Conseil de discipline.  Cela fait partie des contraintes de la fonction.  L’avocat n’est pas n’importe lequel quidam, il est un officier public membre d’un Ordre professionnel.

[55]       Particulièrement, lorsque l’avocat représente un proche, il est encore plus susceptible d’être critiqué, surtout de la partie adverse, et susceptible à des attaques sur son rôle.  Il se peut que des remarques inappropriées soient faites, des paroles blessantes soient dites, des réflexions gratuites soient avancées, il n’en demeure pas moins que ceci n’a rien d’exceptionnel et fait partie des contraintes du métier.  Le rôle de l’avocat n’est pas d’avoir raison mais de se conduire avec indépendance professionnelle vis-à-vis son client afin de représenter pleinement avec compétence les droits de son client.  Si sa conduite est mise en question, c’est l’ordre professionnel qui en décidera au final.

[56]       Mais, dit la demanderesse, son recours ne repose pas uniquement sur la demande d’enquête du 1er mai 2013.  Elle allègue aux paragraphes 50 à 55 des lettres des 14 et 28 mai 2014 envoyées par Nadeau au syndic-adjoint (P-24 en liasse) qu’elle qualifie d’atteinte à sa réputation et de propos diffamatoires, précisant qu’elle n’en a eu connaissance que le 1er avril 2015 (para 52).  Elle allègue également des propos faux, vexatoires et diffamatoires transmis au Tribunal de la sécurité sociale du Canada le 11 septembre 2014 (aux para 25 à 36, P-14 en liasse) dont elle affirme n’avoir pris connaissance que le 20 octobre 2015 (au para 36).

[57]       Elle reproche également à Nadeau d’avoir intentionnellement rapporté au syndic-adjoint de fausses représentations relativement à des communications avec des responsables de Bell Canada en ce qui a trait à l’usage du numéro de téléphone de la Clinique et de les avoir répétées à l’audition devant le Conseil de discipline les 4 et 5 novembre 2015 portant ainsi atteinte à sa réputation (para 86).

[58]       Encore là, cela est son interprétation des faits qui est contredite non seulement par Nadeau mais aussi par Michel Côté, représentant de Bell, dans son témoignage rapporté dans la décision du Conseil de discipline (R-1, à la p 10, aux para 50 et 51) que la demanderesse a critiqué sévèrement devant le Conseil de discipline (id., au para 67).  Ce qu’a retenu le Conseil néanmoins, c’est un comportement harcelant de la demanderesse :

[121]  Au mois de décembre 2014, un nouveau litige éclate entre les deux associés portant sur l’utilisation future du numéro de téléphone de la Clinique, le service de numéro unique avec directeur d’appel, le contenu du message d’accueil et la façon de rediriger les appels aux deux dentistes.  Le litige concerne également la désignation de la personne autorisée à modifier le compte auprès de Bell ainsi que la facturation.

[122]  La preuve est à l’effet que Me Elmaraghi multiplie les appels auprès de Bell alors qu’elle n’est pas la personne autorisée au compte de la Clinique.  Une trentaine d’appels sont logés par Me Elmaraghi au mois de décembre 2014, dont 17 pour les seules journées des 17 et du 18 décembre 2014.  Le comportement harcelant de Me Elmaraghi à l’endroit des préposés au service à la clientèle a forcé le renvoi du dossier à monsieur Michel Côté du Centre relation clients affaire à la haute direction de Bell.

[123]  Tant lors de ses appels au service à la clientèle que pendant l’audition, Me Elmaraghi s’est acharnée à vouloir imposer sa compréhension des caractéristiques techniques d’un service de Bell plutôt que d’accepter les explications des spécialistes.

(R-1)

[59]       Elle reproche également aux défendeurs d’avoir voulu utiliser le Barreau du Québec pour qu’elle cesse de représenter Megid, ce qui aurait porté atteinte à sa réputation et contribué à ce qu’elle se retire de la pratique (aux para 93 à 97 et 102 à 104).

[60]       Elle leur reproche également d’avoir en décembre 2014 persisté dans leur comportement dans le but de lui nuire commettant ainsi une faute engageant leur responsabilité civile sous l’article 1457 C.c.Q. (aux para 104 à 109).  Elle leur reproche en plus d’avoir « récidivé dans leurs attaques » contre elle en présentant une nouvelle demande d’enquête au syndic-adjoint, laquelle a résulté dans une nouvelle plainte disciplinaire le 20 mai 2016.

[61]       Il s’agit toujours essentiellement des mêmes griefs sur des événements qu’elle interprète à sa manière mais qui ne sont pas nécessairement des faits et qui remettent en cause sa conduite professionnelle.

[62]       Soit dit avec égards, le litige entre Nadeau et Megid était un litige relativement banal ne requérant pas d’expertise particulière que tout avocat civiliste en litige aurait pu traiter adéquatement et cela d’autant mieux que celui-ci n’aurait pas été impliqué émotivement dans le débat.

[63]       Cela n’a pas échappé au Conseil de discipline :

[73]   Les parties ont eu la possibilité de présenter une preuve qui peut être qualifiée d’extrêmement détaillée et qui a été reprise et commentée tant par le Syndic adjoint que par Me Elmaraghi lors de leurs représentations respectives.

[74]   Ajoutons que dans le cadre d’une preuve aussi longue qu’inutile, Me Elmaraghi s’est efforcée de dépeindre le demandeur d’enquête comme une personne méchante, intransigeante, pointilleuse, arrogante, suspicieuse, mesquine et de mauvaise foi.  Curieusement, il semble que Me Elmaraghi considère que ses obligations déontologiques soient modulables en fonction du caractère de son opposant.

[75]   Cette preuve a toutefois permis au Conseil de constater que Me Elmaraghi s’est comportée en tout temps pertinent comme une mère désirant protéger sa fille coûte que coûte plutôt qu’en professionnelle du droit.  Certes, cela ne veut pas dire qu’elle a violé ses obligations professionnelles continuellement, mais force est de constater que cela s’est produit à quelques occasions.

(R-1)

[64]       Quant aux reproches de Nadeau sur le comportement de la demanderesse, le Conseil de discipline reconnaît eu égard à la preuve devant lui que celle-ci pouvait se montrer excessive :

[113]  Les témoins du Syndic adjoint ont collectivement décrit le comportement de Me Elmaraghi comme étant excessif, colérique et parfois même hystérique.  Il a été rapporté qu’elle criait contre les gens et qu’elle agissait de façon disproportionnée.  La principale intéressée et certains de ses témoins ont contredit ces affirmations.

[114]  Le Conseil a été à même de constater le tempérament de Me Elmaraghi dans ce dossier.

[115]  Me Elmaraghi s’est montrée incapable de respecter les membres du Conseil, les interrompant à de multiples reprises.  De même, elle a interrompu le témoignage du Dr C.N. lançant de façon totalement inapproprié « il ment de façon éhontée ».

[116]  La justification de Me Elmaraghi, lorsque ramené à l’ordre par le Conseil, en dit long sur son attitude dans le dossier.  Elle a en effet indiqué, s’adressant au Conseil : « C’est difficile quand c’est personnel ».

[117]  Le Conseil retiendra donc qu’il est beaucoup plus probable que Me Elmaraghi se soit emportée bien au-delà de ce qu’on pourrait considérer comme une représentation vigoureuse des intérêts d’un client.

(R-1)

[65]       Cela dit, le Conseil a constaté que Nadeau ne se gênait pas pour jeter régulièrement de l’huile sur le feu (R-1, au para 125), mais Nadeau n’est pas un avocat.

[66]       Que la demanderesse ait porté la décision du Conseil en appel, cette décision demeure un fait pertinent faisant partie des pièces au dossier que le Tribunal doit prendre en compte.

[67]       La demanderesse plaide que son recours repose aussi sur des propos diffamants à son égard écrits ou prononcés par Lafrenière.  Or, les propos reprochés aux paragraphes 86, 88, 93 à 97 et 105 à 110 ont tous été tenus soit dans les communications avec le syndic-adjoint soit dans le cadre du procès devant le Conseil de discipline.  Ce que le Tribunal a mentionné à cet égard s’applique ici aussi.

[68]       Elle reproche de plus des propos tenus dans des communications au Tribunal de sécurité sociale du Canada (aux para 24 à 36 et P-14) relativement au droit de Dame Giroux, secrétaire à l’emploi de la Clinique dentaire Nadeau inc., congédiée le 14 novembre 2013 pour cause de déloyauté, à des prestations d’assurance-emploi.  Le manque de loyauté allégué reposait particulièrement sur l’attribution d’une nouvelle patiente à Megid le 8 novembre 2013.  Après avoir conclu que les faits présentés par l’une et l’autre des parties étaient crédibles, le Tribunal de la sécurité sociale du Canada affirme qu’il ne peut conclure que la prestataire avait volontairement mal agi (P-13, aux para 31 et 41).

[69]       Or, le fait que la seule diffusion de ces documents ait été le Tribunal de la sécurité sociale et Dame Giroux, laquelle était parfaitement au fait de l’atmosphère et des conflits existants à la Clinique puisqu’elle y travaillait depuis plusieurs années, une lecture des documents montre que le seul propos gratuit qu’on y retrouve est celui de Nadeau dans le document du 3 septembre 2014 (P-14 en liasse), au troisième paragraphe de la première page : « Pour avoir reçu depuis les dernières années des lettres d’une avocate, j’ai cru y retrouver son style particulier ».  Cela ne nécessite pas de commentaire.  Le seul autre passage de ce document de sept pages mentionnant, sans la nommer, la demanderesse est le suivant :

Par contre, mon associée et sa mère avocate m’ont souvent mentionné de ne plus parler à Madame Cyr car elles veulent que je lui laisse faire la pluie et le beau temps au secrétariat.

(D-14 en liasse, page 2, 2e paragraphe)

[70]       Encore ici pas de commentaire.

[71]       Dans le document signé par Lafrenière du 3 juillet 2014, elle réfère elle aussi à la demanderesse mais pour les incidents survenus durant la semaine où la demanderesse a remplacé la secrétaire-réceptionniste de Megid :

[…]  Lorsque Mme Giroux vous mentionne (page GD3-9) que le Dr Nadeau ne voulait pas que ses employées communiquent avec les membres de l’équipe du Dr Megid, elle sait très bien que cette demande fut faite lorsqu’ils ont tous constatés que Me Horéya Elmaraghi était présente au comptoir de secrétariat à la clinique durant la semaine de vacances de sa fille Dr Nahla Abdel Megid.  Elle veut plutôt mentionner que le Dr Nadeau ne voulait pas avoir des problèmes avec la mère du Dr Megid qui est avocate (Me Horéyal Elmaraghi) alors il a plutôt mentionné a son équipe de ne pas s’adresser directement ou indirectement à Me Elmaraghi, mis a part pour le déroulement normal des activités de la clinique dentaire.  Cette demande exceptionnelle fut faite dans le seul but de ne pas avoir de problème ou stress supplémentaire pour chacunes des employées du Dr. Nadeau et d’essayer malgré tous de passer une bonne semaine.  Me Elmaraghi s’est bien arrangée pour faire une semaine d’enfer au Dr Nadeau et à moi-même et nous apporter un stress supplémentaire dans la clinique avant le retour de sa fille.  J’ai même du faire une plainte à la police suite aux menaces de Me Elmaraghi et nous avons du faire une plainte au Barreau du Québec pour les comportements inappropriés de cette avocate.  Mme Giroux était au courant de tout ce qui se passait à la clinique et malgré tout elle était plus loyale au Dr Megid qu’au Dr. Nadeau.

(cité textuellement)

(P-14 en liasse, à la p GD14-10)

[72]       Les autres références dans ce document à la demanderesse sont des affirmations d’une dame Cyr à l’effet qu’elle était « protégée » par la mère de Megid, ce qui ne relève pas de Lafrenière.

[73]       Le Tribunal a déjà traité de cet incident et de l’appréciation du Conseil de discipline à cet égard.

[74]       Les deux autres documents joints à P-14 ne sont pas des propos des défendeurs relatifs à la défenderesse.

[75]       En ce qui a trait à la défenderesse Clinique dentaire Nadeau inc., les seuls reproches se trouvent aux paragraphes 144.

[76]       On lui reproche d’avoir contesté l’attribution de prestations d’assurance-emploi à une dame Giroux qui était l’employée de celle-ci, ce qui n’est pas en soi un motif de faute.  On ajoute que Lafrenière était son employée de même que Nadeau, à titre de dirigeant et d’administrateur, est son mandataire et employé et que dès lors cette défenderesse est responsable des fautes commises par son mandataire et ses commettants.

[77]       D’une part, encore faut-il que les fautes alléguées du mandataire et des préposés aient lieu dans le cadre de l’exécution de leurs fonctions.  Diffamer une personne n’entre pas dans le cadre des fonctions du mandataire ou de l’employée.  Les reproches adressés à Nadeau et à Lafrenière n’ont aucun rapport direct avec la Clinique dentaire Nadeau inc.

[78]       D’autre part, les remarques précédentes règlent la question.

[79]       Alors qu’elle accuse les défendeurs de s’être servis du Barreau pour essayer de régler leur litige avec Megid, représentée par la demanderesse, Megid n’a pas non plus jugé bon de porter l’affaire devant un tribunal si effectivement Nadeau se conduisait en despote irrespectueux des ententes avec son associée.  Si Nadeau refusait de traiter avec elle, malgré toutes les mises en demeure de la demanderesse, la solution reposait devant un tribunal.  Tous les agissements abusifs allégués contre les défendeurs à l’endroit de Megid n’ont résulté en aucune procédure civile de Megid devant un tribunal contre les défendeurs.  Megid a préféré déposer des plaintes de nature criminelle qui n’ont pas abouti comme de raison puisqu’il s’agissait manifestement d’un conflit privé de nature civile.

[80]       Or, si la conduite professionnelle de la demanderesse a semblé déraper pour les défendeurs et qu’ils ont demandé au syndic du Barreau d’enquêter à ce sujet, il n’y a là manifestement pas d’atteinte à la réputation puisque le processus est confidentiel.  Si le processus a abouti à une condamnation pour acte dérogatoire et que la demanderesse a choisi d’étaler dans le domaine public tous les documents et commentaires qui ont trait à la plainte disciplinaire, elle ne peut se plaindre de sa diffusion dans le public.

[81]       Le Tribunal est d’avis que le recours de la demanderesse est manifestement mal fondé et abusif non seulement en raison que les propos dont elle se plaint ont été rapportés de bonne foi, celle-ci se présumant, dans le cadre d’un processus confidentiel autorisé par la loi, mais également en raison que les allégations de la demande n’établissent pas que les propos et gestes reprochés des défendeurs soient de nature diffamatoire.  Par ailleurs, la décision du syndic-adjoint d’émettre une plainte relève de sa discrétion et non pas des défendeurs.  Sauf des insinuations mal avisées à l’effet que le syndic-adjoint aurait cédé aux pressions des défendeurs, la demanderesse ne peut blâmer les défendeurs si le Conseil de discipline leur a donné partiellement raison.

[82]       Comme le Tribunal l’a noté précédemment, de par son statut de membre d’un ordre professionnel réglementé par le Code des professions et assujetti à des normes élevées de conduite professionnelle, l’avocat est non seulement vulnérable à la critique mais est également tenu d’accepter que sa conduite fasse l’objet d’une plainte et qu’elle soit même sanctionnée le cas échéant.

[83]       Les reproches allégués par la demanderesse, et non pas l’interprétation qu’elle en donne, ne présentent pas la gravité que la demanderesse leur accorde et ne justifie aucunement le recours qu’elle a entrepris.  S’il fallait que tous les avocats qui font l’objet d’une demande d’enquête professionnelle se mettent à poursuivre les plaignants, tout le processus de protection du public serait menacé.  C’est d’ailleurs la raison de l’existence de l’article 136 du Code de déontologie des avocats (LRRQ, B-1, r.3.1, anciennement article 4.02.01 (z), qui interdit d’intimider ou d’exercer des représailles contre une personne qui initie ou collabore à une enquête.

[84]       Le préjudice que la demanderesse prétend subir relève plus de la contrariété et de la frustration du refus des défendeurs d’accepter sa présence et de prétendre qu’elle était obnubilée par le fait que « sa cliente » était sa fille et qu’elle n’agissait pas avec l’indépendance professionnelle reliée à sa fonction que d’un véritable préjudice.  Ce n'est pas un préjudice indemnisable.  Ce disant, le Tribunal reviendra plus tard sur la question de l’abandon de sa carrière.

[85]       Même s’il s’agit d’un contexte tout à fait différent à l’espèce, les remarques de la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Mustapha c. Culligan du Canada Ltée, [2008] 2 RCS 114, n’en demeurent pas moins pertinentes à l’espèce :

[9]   […]  En droit, un préjudice personnel suppose l’existence d’un traumatisme sérieux ou d’une maladie grave : voir Hinz c. Berry, [1970] 2 Q.B. 40 (C.A.), p. 42; Page c. Smith, p. 189; Linden et Feldthusen, p. 425-427.  Le droit ne reconnaît pas les contrariétés, la répulsion, l’anxiété, l’agitation ou les autres états psychologiques qui restent en deçà d’un préjudice.  Je n’entends pas donner ici une définition exhaustive de ce qu’est un préjudice indemnisable, mais seulement dire que le préjudice doit être grave et de longue durée, et qu’il ne doit pas s’agir simplement des désagréments, angoisses et craintes ordinaires que toute personne vivant en société doit régulièrement accepter, fût-ce à contrecœur.  À mon sens, c’est cette nécessité d’accepter de telles contrariétés, au lieu de prendre action en responsabilité délictuelle pour obtenir réparation, qu’évoquait la Cour d’appel lorsqu’elle a cité Vanek c. Great Atlantic & Pacific Co. of Canada (1999), 48 O.R. (3d) 228 (C.A.) : [TRADUCTION] « [E]t la vie continue » (par. 60).  Tout bonnement, les contrariétés mineures et passagères n’équivalent pas à un préjudice personnel et, de ce fait, ne constituent pas un dommage.

[86]       La demande d’enquête et son contexte font partie de la réalité des avocats, font partie des contrariétés inhérentes à la profession et ne sont pas indemnisables à moins de circonstances très particulières qui n’apparaissent pas à la présente demande re-modifiée.  En conséquence, le Tribunal est d’avis que le recours de la demanderesse est manifestement mal fondé et frivole.

b) L’abus résultant d’un comportement vexatoire ou quérulent

i) les prétentions des défendeurs

[87]       Les défendeurs exposent que le recours de la demanderesse constitue une forme de représailles à leur égard à la suite de leurs demandes d’enquête auprès du syndic-adjoint.  Ils ne sont pas responsables des plaintes que le syndic-adjoint a déposé et que si celui-ci a jugé à propos de porter ces plaintes, c’est qu’il estimait qu’il y avait suffisamment d’éléments pouvant supporter ces plaintes.  D’ailleurs, la deuxième plainte déposée le 20 mai 2016 reproche précisément à la demanderesse d’avoir manqué à son obligation de ne pas exercer de représailles en intentant son recours contre les défendeurs.  À cet égard, ils réfèrent à la décision du Conseil de discipline sur la première plainte qui considérait que l’introduction du recours de la demanderesse constituait possiblement une forme de représailles contre les défendeurs :

[82]   Me Elmaraghi explique à Me Ouellette que sa cliente lui demande d’aviser le Dr C.N. de retirer les plaintes qu’il a déposées au Barreau du Québec.  Elle ajoute : « Avant le retrait de toute plainte logée au Barreau du Québec, il n’est difficile de faire confiance à votre client. »

[83]   Me Elmaraghi indique également à Me Ouellette qu’advenant le défaut de son client de retirer ses plaintes, les instructions de Dre N.M. sont de ne poursuivre aucune négociation.  Elle ajoute que suite au retrait des plaintes et de l’engagement du Dr C.N. de cesser de salir la réputation de sa cliente et de la sienne, elle sera en mesure d’entreprendre les démarches nécessaires.

[84]   Le Conseil souligne que la lettre de Me Elmaraghi du 17 octobre 2014 à Me Ouellette (reçu par Me Ouellette le 16 octobre en raison du décalage horaire) contient cinq (5) mentions du retrait de la demande d’enquête déposée par le Dr C.N.

[…]

[104]  Pour le Conseil, il est possible que l’exigence du retrait de la demande d’enquête ait pu être considérée comme des représailles au sens de l’article 4.02.01 z) du Code de déontologie des avocats.

(Pièce D-2.  Voir aussi P-30)

[88]       Ils exposent en conséquence que l’introduction du recours constitue un comportement vexatoire à leur égard, lequel par les montants réclamés constituent ni plus ni moins un moyen d’intimidation pour les contraindre à demander le retrait des plaintes contre la demanderesse ou à les punir pour les avoir suscitées.

[89]       Ils ajoutent que la décision du Conseil de discipline du 28 juin 2016 démontre que la demanderesse a eu un comportement excessif et quérulent (voir le paragraphe 64 ci-haut).

[90]       Ils ajoutent que la quérulence de la demanderesse se manifeste également dans le présent recours par une amplification et une multiplication déraisonnables de ses procédures :

- le 8 avril 2016, la demanderesse signifie aux défendeurs son recours, lequel comporte 226 paragraphes, leur réclamant la somme de 771 950 $;

- le même jour, elle signifie selon l’article 264 C.p.c. une mise en demeure de reconnaître l’origine d’un document ou de l’intégrité de l’information qu’il porte, alors qu’il s’agit de 71 pièces dont plusieurs en liasse, pour un total de 664 pages, dans un délai de dix jours, et ce, avant même la date de réponse à la procédure introductive d’instance de quinze jours;

- le 2 mai 2016, la demanderesse notifie une nouvelle mise en demeure de reconnaître les mêmes pièces que celles signifiées le 8 avril 2016;

- à la suite de la notification par les défendeurs de leur Exposé sommaire des moyens de défense et leur requête initiale en rejet, la demanderesse notifie aux défendeurs une Demande de rejet de la demande en rejet des défendeurs, accompagnée d’une déclaration sous serment de sa part, et en rejet de l’Exposé sommaire des moyens de défense orale des défendeurs, accompagnée elle aussi d’une déclaration sous serment de la demanderesse en négations des déclarations sous serment des défendeurs et comportant 74 paragraphes.  La demande de rejet de la demanderesse comporte une demande de dommages-intérêts de 75 000 $ contre les défendeurs à titre de dommages punitifs pour la mauvaise foi des défendeurs dans leur contestation et pour la réclamation injustifiée de dommages-intérêts et de dommages punitifs;

- la requête pour rejet des rapports médicaux comporte elle-même une demande de dommages compensatoires et punitifs.

[91]       Enfin, les défendeurs exposent que les actes de procédures, les preuves soumises et les démarches de la demanderesse sont totalement disproportionnés eu égard aux coûts, au temps, à la nature, à la complexité et à la finalité de la demande.

ii) les prétentions de la demanderesse

[92]       Elle expose dans un premier temps qu’elle conteste la compétence du Conseil de discipline à statuer sur une plainte logée contre elle alors qu’elle est avocate à la retraite et que son recours contre les défendeurs a été introduit après qu’elle soit devenue avocate à la retraite, et dans un deuxième temps qu’elle a déposé au Tribunal des professions une demande d’appel à l’encontre de sa condamnation et de la sanction sur la première plainte.

[93]       Elle rappelle que son recours soulève plusieurs incidents indépendants de la demande d’enquête de Nadeau où les défendeurs auraient eu des propos diffamatoires à son égard, que sa demande n’est pas abusive mais au contraire que son recours n’est pas limité à l’atteinte à sa réputation mais vise les gestes posés par les défendeurs dans l’intention de lui nuire et de l’empêcher de défendre sa cliente et qui l’ont forcé à prendre sa retraite alors que son passé d’avocate a toujours été sans tache.  Elle leur reproche d’avoir voulu utiliser le Barreau pour résoudre un litige civil au lieu de recourir aux tribunaux de droit commun et avoir à dépenser des honoraires d’avocats et des frais de justice : ils l’ont accablée gratuitement au Barreau.

[94]       Elle justifie par ailleurs les montants qu’elle réclame par l’énormité et la répétition des fautes des défendeurs et des dommages qu’elle a subis, niant toute idée d’intimidation à leur égard.  Elle ajoute d’ailleurs avoir réduit le montant de sa réclamation dans sa demande modifiée et avoir réduit le nombre de pièces au soutien de sa demande modifiée à 42 pièces.  Elle précise que les sommes réclamées pour la préparation de sa cause et pour répondre aux demandes du syndic-adjoint sont justifiées selon elle par le nombre d’heures qu’elle a dû y consacrer, ajoutant que ce ne sont pas des honoraires extra-judiciaires d’avocat qu’elle réclame mais la valeur de son temps consacré à cette instance rendu nécessaire par les fautes des demandeurs.

[95]       Enfin, elle indique que la somme réclamée dans sa Demande de rejet n’est pas de 75 000 $ mais de 25 000 $, ajoutant que le montant de 75 000 $ résulte d’une erreur matérielle.

[96]       En ce qui a trait aux dommages qu’elle réclame dans sa Demande de rejet, elle allègue la mauvaise foi et l’abus des défendeurs dans leur contestation de sa demande et pour la réclamation injustifiée et abusive de dommages-intérêts et punitifs dans leur demande de rejet modifiée.

iii) discussion

[97]       Indépendamment du résultat de la demande d’appel au Tribunal des professions et indépendamment de la deuxième plainte, de sa recevabilité ou non et de ce qu’en décidera le Conseil de discipline, le Tribunal est d’avis que le recours de la demanderesse est à sa face même une procédure vexatoire visant à intimider les défendeurs, une forme de représailles contre eux.

[98]       La réaction de la demanderesse est démesurée eu égard à ce qu’elle reproche de manière tout à fait interprétative aux défendeurs.  Tout son recours repose sur la représentation d’une seule personne, sa fille, fut-elle chirurgien-dentiste, dans le cadre d’un litige entre associés.  Tel qu’elle l’indique aux paragraphes 125, 133, 134 et 136 à 142, la demanderesse a eu une carrière belle et variée et n’était pas captive d’un seul client.  Il est tout à fait exagéré de prétendre comme elle le fait que les agissements des défendeurs l’ont contrainte à renoncer à la poursuite de sa carrière.  Il est exagéré de prétendre, comme elle fait au paragraphe 126 que le fait de ne pas pouvoir représenter sa cliente et fille lui a fait perdre une cliente importante qui avait besoin de ses services.  Le litige était simple et elle aurait tout aussi bien céder la place à un ou une collègue pour représenter sa cliente et pour le meilleur intérêt de sa cliente.  Le Tribunal le répète : l’avocat n’est pas un quidam quelconque, c’est un professionnel qui doit avoir la carapace dure.  D’ailleurs, c’est ce qu’elle était, une avocate avec beaucoup de clients, coriace et ayant eu une belle carrière.

[99]       Même si certains propos des défendeurs dépassaient la contrariété professionnelle et même si elle a souffert d’anxiété démesurée tel qu’elle l’explique aux paragraphes 127 à 129, son recours n’en demeurerait pas moins une forme de détournement des fins de la justice de manière à provoquer le long et inutile débat qu’annoncent les 150 paragraphes du recours re-modifié en dommages-intérêts et les pièces à leur soutien.  Les représentations des défendeurs dont elle se plaint ont été faites pour la grande majorité dans le cadre d’un processus confidentiel qui a résulté en deux plaintes du syndic-adjoint.  Elle impute aux défendeurs une mauvaise foi qui n’apparaît pas des pièces au dossier.

[100]    L’exagération apparaît aussi dans les montants et dans les dommages punitifs réclamés tant dans son recours principal que dans sa demande en rejet de la demande en rejet des défendeurs et de leur exposé sommaire des moyens de défense orale.  Particulièrement, elle réclame l’équivalent des honoraires extra-judiciaires en temps qu’elle aurait pu facturer pour sa défense devant le Conseil de discipline.  Ce n’est pas ce qu’elle prétend, mais c’est l’équivalent.

[101]    En ce qui a trait à sa demande de rejet de la demande de rejet des défendeurs, la justification donnée par la demanderesse est qu’elle voulait réclamer des dommages-intérêts à cause de leur mauvaise foi.  Dans un premier temps, une demande en cours d’instance est contestée oralement sauf autorisation du Tribunal et la demande de dommages-intérêts aurait pu être faite oralement lors du débat devant le Tribunal, quitte à la notifier préalablement (art. 101 C.p.c.).  Dans un deuxième temps, prétendre que la demande de rejet des défendeurs et leur exposé sommaire des moyens de défense orale sont à leur face même abusifs, dilatoires, vexatoires et manifestement mal fondés dans le but de lui nuire relève de la grossière exagération sinon d’une témérité condamnable.  La demanderesse aurait pu prétendre que la requête en rejet ou l’exposé étaient mal fondés en droit ou prématurés mais il y a une marge à prétendre qu’à leur face même, ils constituaient un abus de procédure, comme si l’ensemble de la demande re-modifiée en dommages-intérêts ne pouvait souffrir la moindre contestation sans qu’obligatoir/ement les défendeurs abusent de la procédure.  Quant aux dommages-intérêts réclamés à la requête en rejet de la demanderesse, ils sont au mieux fantaisistes dans les circonstances.

[102]    Elle demande même des dommages compensatoires de 2 400 $ et des dommages punitifs de 1 500 $ dans le cadre de sa demande de rejet d’un rapport d’expertise dont le Tribunal traitera ci-après.

[103]    Tout le processus engagé par la demande re-modifiée en dommages-intérêts intentée par la demanderesse constitue de l’avis du Tribunal un abus de procédure manifeste caractérisée par la hargne et l’intention de nuire aux défendeurs sans justification autre qu’ils aient osé lui résister et la critiquer professionnellement, justifiant le rejet immédiat de la demande selon le premier alinéa de l’article 53 C.p.c.

3. Conclusion

[104]    En conclusion, le Tribunal est donc d’avis que la demande re-modifiée de la demanderesse est non seulement manifestement mal fondée et abusive mais en plus qu’elle démontre un comportement vexatoire et constitue un détournement des fins de la justice.  La demanderesse n’a pas réussi à démontrer que la procédure n’a pas été exercée de manière excessive ni qu’elle se justifie en droit.

[105]    Compte tenu de ce qui précède, les autres moyens de rejet avancés par les défendeurs deviennent sans objet.

B. LA DEMANDE DE DOMMAGES-INTÉRÊTS ET DE DOMMAGES PUNITIFS

1. Dommages-intérêts

a) Les prétentions des défendeurs

[106]    Les défendeurs Nadeau et Lafrenière réclament des dommages moraux de l’ordre de 5 000 $ chacun.  Ils exposent avoir dû débourser une importante somme d’argent et de temps sans compter le stress et les inconvénients en raison de cette demande abusive.

[107]    En ce qui a trait à Lafrenière, celle-ci expose qu’elle a même subi des problèmes cardiaques qui ont nécessité une chirurgie et qu’elle a dû consulter un travailleur social.  Elle réfère à cet égard à une lettre du cardiologue Jean-Pierre Lavoie du 12 mai 2016 et d’une attestation de soins de l’Institut de cardiologie de Montréal du 7 novembre 2016 (R-3).

[108]    Dans leur demande de rejet modifiée notifiée le 2 mars 2017, soit cinq jours avant la date d’audition, Lafrenière affirme que sa condition cardiaque s’est détériorée en raison du stress engendré par les présentes procédures judiciaires et réfère à cet égard à la lettre du Dr Jean-Pierre Lavoie du 20 décembre 2016 (R-4).

b) Les prétentions de la demanderesse

[109]    Dans un premier temps, la demanderesse s’objecte par voie d’une demande en rejet d’un rapport d’expertise.  En fait, elle  demande le rejet des deux rapports R-3 et R-4.  Elle expose d’abord que les défendeurs n’ont pas indiqué dans le protocole de l’instance établi lors de la conférence de gestion devant la juge Picard le 3 mai 2016 qu’ils produiraient une expertise.  En ce qui a trait au rapport R-4, sa production est donc tardive.  Par ailleurs, les deux rapports devraient être rejetés pour cause d’irrégularité et de partialité.

[110]    Par ailleurs, la demanderesse plaide que les défendeurs n’ont pas fait la preuve des dommages réclamés ni établi un lien de causalité entre les dommages réclamés et les abus dont ils se plaignent, particulièrement en rapport au stress qui « aurait engendré des problèmes familiaux » ou occasionné les problèmes de santé de Lafrenière ou justifié la consultation d’un travailleur social.

c) Discussion

[111]    Les défendeurs n’ont pas indiqué non plus dans le protocole qu’ils ne produiraient pas de rapports.  D’autre part, le protocole annonce que les défendeurs soumettront une demande sous l’article 51 C.p.c., laquelle a été notifiée le 14 septembre 2016 accompagnée par le rapport R-3.  La demanderesse n’est donc pas prise au dépourvu par ce rapport.

[112]    En ce qui a trait au rapport R-4, le motif de tardiveté est fondé.  Les défendeurs sont en possession de ce rapport depuis le mois de décembre 2016 et avaient donc l’obligation de le transmettre en temps utile à la demanderesse et non à la dernière minute (art. 252 et 293 C.p.c.).  Le rapport R-4 sera donc rejeté pour ce motif.

[113]    Pour ce qui est du rapport R-3, il a été notifié le 14 novembre 2016.  Selon l’article 241 C.p.c., la demanderesse aurait dû en demander son rejet dans les dix jours de sa notification, date où elle a pu prendre connaissance du motif de rejet allégué.  Elle ne fournit pas d’explications pour le retard.

[114]    La demande de rejet des rapports d’expert n’est accueillie que pour le rapport R-4.  La demande de dommages compensatoires et punitifs pour le rejet du rapport est purement frivole et vexatoire.

[115]    Cela étant dit, le fait par le médecin d’appeler sa patiente « une charmante dame » ne signifie pas nécessairement que le médecin est partial vis-à-vis la Cour.  Sa patiente peut lui être sympathique, considérant son âge pour avoir une maladie coronarienne, mais sans pour cela ne vouloir ni ne pouvoir s’acquitter de son devoir devant le Tribunal : White Burger Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co, 2015 CSC 23.

[116]    Quoi qu’il en soit, les documents sous la pièce R-3 ne sont d’aucune valeur probante quant à la réclamation en dommages.  Ils décrivent la condition actuelle de Lafrenière.

[117]    Pour réclamer des dommages-intérêts encore faut-il qu’il y ait un lien de causalité entre la faute et les dommages.  Ici, il n’y a pas de lien direct apparent entre la cardiopathie de Lafrenière non plus qu’avec les problèmes familiaux de Nadeau et Lafrenière et l’institution du recours de la demanderesse.

[118]    Ce qui reste ce sont des dommages pécuniaires et moraux généraux qui sont une conséquence directe du recours intenté.

[119]    Même si les défendeurs indiquaient dans la requête pour rejet les honoraires d’avocats qu’ils ont dû débourser en raison du recours de la demanderesse, ces honoraires n’étaient pas spécifiquement réclamés dans les conclusions de la requête.  Les défendeurs ont modifié leur demande lors de l’audition pour les réclamer : 26 761,48 $ (R-6).

[120]    Ces honoraires sont la conséquence directe du recours abusif de la demanderesse et le Tribunal y fait droit.

[121]    Pour les dommages moraux, le Tribunal arbitre ces dommages à 2 000 $ pour chacun des défendeurs Nadeau et Lafrenière.

2. Dommages punitifs

[122]    L’octroi de dommages punitifs en matière de chartes repose sur une atteinte illicite et intentionnelle aux droits d’un individu.  Cependant, lorsque l’article 54 C.p.c. autorise l’octroi de dommages-intérêts punitifs, il vise l’usage abusif du droit d’ester en justice dans l’intention de nuire à autrui ou par témérité, sans cause raisonnable, par représailles.  L’intention de nuire n’a pas à être spécifique, l’intention générale suffit : le plaideur abusif veut entraîner la partie adverse dans un débat long et coûteux pour le punir.  C’est le cas en l’espèce où la demanderesse cherche à punir les défendeurs pour avoir osé remettre en question son rôle de représentante légale de sa fille, d’avoir osé se plaindre de son manque d’indépendance professionnelle par des procédés qu’eux jugeaient inappropriés.

[123]    Comme le souligne la juge Hélène Langlois dans l’affaire Lavigne c. Denis, 2016 QCCS 2970 :

[99]    Une demande en justice abusive donne donc droit à des dommages punitifs.

[100]  Le Code civil à l’article 1621 C.c.Q. règle les critères d’évaluation de tels dommages qui tiennent compte de toutes les circonstances dont notamment la gravité de la faute, la situation patrimoniale du débiteur et l’étendue de la réparation déjà octroyée.

[101]  « La Cour suprême du Canada enseigne que le pouvoir des tribunaux de sanctionner une demande en justice abusive en conformité avec l’article 1621 C.c.Q. comporte des objectifs de punition, de dissuasion tant particulière quant à la partie fautive, que générale, et de dénonciation des actes qui s’avèrent particulièrement répréhensibles » [Thériault-Martel c. Savoie, 2014 QCCS 3937].

[102]  L’utilisation du système judiciaire à des fins de représailles constitue une faute grave.

[124]    Dans les circonstances, le Tribunal est d’avis d’octroyer aux défendeurs Nadeau et Lafrenière des dommages punitifs de 2 000 $ chacun.

[125]    En l’espèce, il n’y a pas lieu d’accorder de dommages punitifs en faveur de la défenderesse Clinique dentaire Nadeau inc. puisqu’elle n’est visée que par ricochet et d’autre part parce qu’un tel octroi ferait double emploi avec les montants accordés aux défendeurs Nadeau et Lafrenière.

[126]    PAR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[127]    REJETTE la Demande de rejet de la demande modifiée en rejet de la Demande introductive re-modifiée et en rejet de l’exposé sommaire des moyens de défense orale;

[128]    ACCUEILLE la Demande modifiée en rejet de la Demande introductive d’instance re-modifiée en dommages-intérêts;

[129]    DÉCLARE que la Demande introductive d’instance re-modifiée de la demanderesse constitue un abus de procédure au sens de l’article 51 C.p.c.;

[130]    REJETTE la Demande introductive d’instance re-modifiée en dommages-intérêts de la demanderesse;

[131]    CONDAMNE la demanderesse à payer aux défendeurs la somme de 26 761,48 $ à titre d’honoraires extra-judiciaires avec intérêts au taux légal à partir de la date du présent jugement;

[132]    CONDAMNE la demanderesse à payer aux défendeurs Nadeau et Lafrenière la somme de 2 000 $ chacun à titre de dommages moraux avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. depuis le 28 novembre 2016, date de signification de la Demande introductive d’instance en dommages-intérêts;

[133]    CONDAMNE la demanderesse à payer aux défendeurs Nadeau et Lafrenière la somme de 2 000 $ chacun à titre de dommages punitifs avec intérêts depuis la date du présent jugement;

[134]    REJETTE la demande de dommages punitifs en faveur de la défenderesse Clinique dentaire Nadeau inc.;

[135]    LE TOUT avec les frais de justice.

 

 

__________________________________

Honorable Jean-Jude Chabot, j.c.s.

 

Horéya Elmaraghi

Se représente elle-même

 

Me Martine Perron

Lord, Poissant & associés

Procureur des défendeurs Claude Nadeau, Christiane Lafrenière et Clinique dentaire Nadeau inc.

 

Dates d’audience :

7 et 8 mars 2017

 

AVIS :
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