Blanes Cardenas c. Ciarrochi | 2022 QCTAL 24631 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Salaberry-de-Valleyfield | ||||||
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No dossier : | 638705 27 20220617 G | No demande : | 3587630 | |||
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Date : | 30 août 2022 | |||||
Devant le juge administratif : | Michel Huot | |||||
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Ana Blanes Cardenas
Edgar Rene Olivares Lombo |
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Locateurs - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Francesco Ciarrochi |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Les demandeurs déposent une demande le 17 juin 2022 contre le locataire. Ils demandent au Tribunal administratif du logement de les autoriser à reprendre le logement concerné pour y loger le père de la locatrice, monsieur Julian Antonio Blanes Casas à compter du 30 novembre 2022.
[2] La demande est notifiée par courrier recommandé au locataire qui admet l’avoir reçue.
CONTEXTE
[3] Le locataire signe un bail[1] avec les anciens locateurs, madame Irene Hill et Wassim Mekkoui, pour la période du 1er décembre 2017 au 30 novembre 2018 au loyer mensuel de 950 $. Le bail est reconduit par l’effet de la loi à chaque année dont pour le bail en cours, soit du 1er décembre 2021 au 30 novembre 2023 au loyer mensuel de 970 $.
[4] Le 23 décembre 2021, les demandeurs se portent acquéreurs de l’immeuble concerné. À la suite de l’achat de l’immeuble, le locataire reçoit une lettre en décembre 2021 pour l’aviser qu’un nouveau gestionnaire s’occupera de l’immeuble.
[5] Il y a lieu de reprendre le contenu de ladite lettre[2] :
« Monsieur Ciarrocchi,
Nous aimerions nous présenter en tant que nouveaux gestionnaires immobiliers de [...]. Votre bail actuel et vos conditions de paiement resteront en vigueur. Cependant, tous les paiements, demande d’entretien et correspondance doivent être envoyés à l’adresse indiquée au bas de cette lettre.
Si vous avez des questions concernant votre propriété, votre loyer ou si vous avez une demande d’entretien, n’hésitez pas à nous contacter.
Concernant les paiements de loyer
À compter du 1 janvier 2022, veuillez adresser vos chèques de loyer à LJ Propriétés et les envoyer à l’adresse ci-dessous au plus tard le 1er de chaque mois. Si vous souhaitez payer par virement électronique, veuillez l’envoyer à notre adresse courriel info2@jlproperties.ca
Concernant les demandes d’entretien
S’il vous plaît écrivez-nous pour les demandes d’entretien à info@jlproperties.ca. S’il s’agit d’une urgence, veuillez nous appeler immédiatement au (514) 500-5222.
Si vous avez des questions sur votre propriété, votre bail ou sur LJ Propriétés, n’hésitez pas à nous contacter.
Nous sommes prêts à vous fournir une gestion exceptionnelle et de maintenir un lieu de vie sûr et agréable.
Cordialement,
L’équipe de LJ Propriétés » (sic)
[6] Le locataire ne reçoit aucune lettre lui indiquant que madame Ana Blanes Cardenas et monsieur Edgar Rene Olivares Lombo sont les nouveaux propriétaires.
[7] À la suite de la réception de la lettre de LJ Propriétés du 23 décembre 2021, le locataire commence à payer son loyer directement à LJ Propriétés. Il libelle ses chèques à l’attention de LJ Propriétés.
[8] Le 28 avril 2022, les demandeurs signent un avis de reprise de logement et ils l’envoient au locataire. Le locataire admet l’avoir reçu. Le locataire ne répond pas à l’avis de reprise. Il est donc présumé refuser de quitter le logement. Le 17 juin 2022, les demandeurs déposent leur demande.
Témoignages des demandeurs
[9] Les demandeurs témoignent qu’ils souhaitent reprendre le logement concerné pour y loger les parents de la locatrice, soit madame Martha Éléna Cardenas Rios et monsieur Julian Antonio Blanes Casas.
[10] Les demandeurs expliquent qu’ils vivent ensemble dans une maison avec leur bébé. Les parents de la demanderesse viennent plusieurs fois par année leur rendre visite. Ils demeurent sous leur toit lors de leurs visites.
[11] La demanderesse témoigne que sa mère travaille encore et qu’elle prendra sa retraite bientôt. La demanderesse témoigne que son père exploite sa propre entreprise et qu’il est plus facile pour lui de venir fréquemment les visiter.
[12] Les demandeurs témoignent que les parents de la locatrice ne sont pas citoyens canadiens et ne vivent pas au Canada de façon permanente. Ni le père ni la mère de la locatrice n’ont été entendus à titre de témoins.
Témoignage du locataire
[13] Le locataire témoigne qu’il ignorait, avant de recevoir l’avis de reprise, que les demandeurs étaient propriétaires de l’immeuble. Il croyait que c’était LJ Propriétés.
[14] Il explique qu’il fait le paiement de son loyer à la compagnie LJ Propriétés depuis la transaction immobilière.
[15] Il ne souhaite pas quitter le logement, mais s’il doit le faire, il souhaite obtenir une indemnisation de 2 000 $ pour ses frais de déménagement et de rebranchement aux différents services.
PRÉTENTIONS DES DEMANDEURS
[16] Les demandeurs prétendent qu’ils sont en droit de reprendre le logement concerné pour y loger les parents de la demanderesse.
PRÉTENTIONS DU LOCATAIRE
[17] Il prétend que les demandeurs ne respectent pas les exigences de l’article
[18] De plus, il allègue que le fait pour les parents de la demanderesse de ne pas avoir témoigné a un impact sur la demande puisque le Tribunal n’a pu apprécier la crédibilité du témoignage des parents de la locatrice.
ANALYSE ET DÉCISION
[19] Le présent litige soulève deux questions que le Tribunal devra trancher pour disposer du présent litige :
2) La preuve présentée permet‑elle d’autoriser la reprise du logement?
[20] Avant de disposer de ces questions, le Tribunal rappelle aux parties les règles de preuve prévues aux articles
« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »
« 2804. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. »
« 2843. Le témoignage est la déclaration par laquelle une personne relate les faits dont elle a eu personnellement connaissance ou par laquelle un expert donne son avis.
Il doit, pour faire preuve, être contenu dans une déposition faite à l’instance, sauf du consentement des parties ou dans les cas prévus par la loi. »
« 2845. La force probante du témoignage est laissée à l’appréciation du tribunal. »
[21] Les parties ont l’obligation de convaincre le Tribunal, selon la balance des probabilités, des prétentions qu’elles allèguent.
[22] Par conséquent, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n’est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le Tribunal est dans l’impossibilité de déterminer où se situe la vérité, la partie qui l’allègue perdra.
[23] Comme le soulignent les auteurs Nadeau et Ducharme[3] dans leur Traité de droit civil du Québec :
« Celui sur qui repose l’obligation de convaincre le juge supporte le risque de l’absence de preuve, c’est-à-dire qu’il perdra son procès si la preuve qu’il a offerte n’est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve offerte de part et d’autre est contradictoire et que le juge est placé dans l’impossibilité de déterminer où se trouve la vérité. »
1) Les propriétaires de l’immeuble respectent‑ils les conditions imposées par l’article
[24] Le Code civil du Québec prévoit le droit au maintien dans les lieux pour les locataires à l’article 1936, lequel se lit comme suit :
« 1936. Tout locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux ; il ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi. »
[25] Le droit pour le locateur de reprendre un logement constitue une exception au droit au maintien dans les lieux. Les règles applicables en matière de reprise de logement sont d’ordre public en vertu de l’article
[26] L’article
« 1957. Le locateur d’un logement, s’il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l’habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.
Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l’union civile. »
[27] L’article 1957 exige que le locateur soit également le propriétaire de l’immeuble. Il s’agit d’une double condition pour qu’une reprise puisse avoir lieu.
[28] La juge administrative Marilyne Trudeau s’exprimait sur le sujet dans l’affaire Soh (Gestion immobilière Patsom c. Hales[4]. Le Tribunal souscrit à son analyse. Il y a lieu de reprendre son analyse :
« [10] Le droit d’un locateur de reprendre possession d’un logement est régi par l’article
« 1957. Le locateur d’un logement, s’il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l’habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.
Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l’union civile. »
[11] Le législateur exige donc une double qualité pour être autorisé à reprendre un logement. Ainsi, il faut être à la fois locateur et propriétaire.
[12] Cette double qualité reliée au statut de locateur et propriétaire de l’immeuble est apparue avec la réforme du Code civil du Québec et constitue maintenant une exigence légale qui a pour but d’éviter les pratiques abusives, soit, par exemple, la reprise en faveur d’un gestionnaire ou d’un usufruitier ou par tous les copropriétaires de l’immeuble.
[13] Il ressort de cet article qu’aucun propriétaire, qui n’est pas locateur au bail, ne peut reprendre un logement.
[14] Tel qu’indiqué à l’audience du 30 mars 2022, le demandeur ne détient pas la qualité requise pour exercer le recours en reprise de logement puisqu’il n’est pas le locateur au bail du logement.
[15] La législation québécoise en matière de louage résidentiel s’articule autour de principes assurant le droit au maintien dans les lieux du locataire. Aussi, la reprise du logement étant un cas d’exception, les règles d’application doivent recevoir une interprétation restrictive.
[16] La loi comporte donc des exigences précises, soit dans les formalités préalables à l’exercice du droit, soit dans les critères à satisfaire pour exercer le droit à la reprise.
[17] Dans la décision Torn c. Bourne, un propriétaire avait confié la gestion de son immeuble à sa sœur sans que l’on dénonce aux locataires ce mandat. Il tente, ensuite, de reprendre un logement ce qui lui est refusé. La Cour du Québec confirme la décision de la Régie du logement (telle qu’elle se nommait alors) et écrit :
« [31] Or, comme l’ont écrit plusieurs décisions rendues sur le sujet, la connaissance de l’identité du propriétaire, si elle diffère du locateur, est importante en cas de reprise puisque seul celui qui cumule les deux fonctions, les deux titres, peut reprendre le logement pour y loger soit lui-même, ses ascendants ou descendants au premier degré ou toute autre personne précisée par la Loi dont il demeure le principal soutien.
[...]
[34] De plus, l’article
[29] Or, en l’instance, selon la preuve présentée et disponible, le paiement du loyer s’effectue auprès de LJ Propriétés depuis l’achat du condo. Les chèques sont d’ailleurs libellés à cette entreprise qui, de l’avis du Tribunal, est la locatrice des lieux. Aucun document ne fut remis au locataire pour l’aviser que les propriétaires étaient les locateurs.
[30] En conséquence, le Tribunal conclut que les demandeurs ne possèdent pas la qualité de « locateurs » au bail et, conséquemment, ils ne satisfont pas les exigences légales pour exercer le droit à la reprise du logement. La demande sera par conséquent rejetée.
2) La preuve présentée permet‑elle d’autoriser la reprise du logement?
[31] Le Tribunal ayant déjà refusé la demande de reprise, il n’y a plus lieu de se prononcer sur cette question.
[32] Le locataire peut donc continuer de vivre dans le logement concerné.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[33] REJETTE la demande.
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Michel Huot | ||
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Présence(s) : | les locateurs le locataire Me Guy Audet, avocat du locataire | ||
Date de l’audience : | 2 août 2022 | ||
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[1] Pièce P-2.
[2] Pièce L-1.
[3] NADEAU, André et DUCHARME, Léo, vol. 9, 1965, Montréal, Wilson et Lafleur ltée, pages 98 et 99.
[4] Soh (Gestion immobilière Patsom) c. Hales, 2022 QCTAL11504.
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