Décision

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Habibi c. Tang

2025 QCTAL 4210

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

795935 31 20240523 T

No demande :

4583753

 

 

Date :

05 février 2025

Devant le juge administratif :

Charles Rochon-Hébert

 

Aida Habibi

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Nguon Se Tang

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Le 14 janvier 2025, la locataire dépose une demande de rétractation d'une décision rendue le 3 décembre 2024 à la suite d’une audience tenue le 24 octobre 2024 lors de laquelle elle était absente.
  2.          Elle demande aussi d’être relevée des conséquences de son défaut d'avoir respecté le délai prescrit pour déposer sa demande.
  3.          La décision attaquée résilie le bail, ordonne l’expulsion de la locataire et de tous les occupants du logement et la condamne à payer 3 600 $ en loyers impayés, plus intérêts et frais.
  4.          La demande de la locataire se fonde sur l’article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement, lequel édicte ce qui suit :

« 89. Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.

Une partie peut également demander la rétractation d'une décision lorsque la Régie a omis de statuer sur une partie de la demande ou s'est prononcée au-delà de la demande.

La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l'empêchement.

La demande de rétractation suspend l'exécution de la décision et interrompt le délai d'appel ou de révision jusqu'à ce que les parties aient été avisées de la décision.

Une partie qui fait défaut d’aviser de son changement d’adresse conformément à l’article 60.1 ne peut demander la rétractation d’une décision rendue contre elle en invoquant le fait qu’elle n’a pas reçu l’avis de convocation si cet avis a été transmis à son ancienne adresse. »


  1.          De plus, l’article 44 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement stipule que :

« 44. La demande de rétractation d’une décision doit contenir non seulement les motifs qui la justifient mais, si elle est produite par le défendeur à la demande originaire, elle doit également contenir les moyens sommaires de défense à la demande originaire. »

  1.          À maintes reprises, les tribunaux ont déterminé que la rétractation est un moyen procédural exceptionnel, car le principe de l'irrévocabilité des jugements est important. Ce principe a été réitéré par la Cour d'appel du Québec :

« Le principe de l'irrévocabilité des jugements est nécessaire à une saine administration de la justice, d'où le sérieux que doivent avoir les motifs de rétractation. La procédure doit contribuer à la protection des droits des deux parties et la remise en question des décisions doit demeurer l'exception et ne pas devenir la règle[1]. »

  1.          Pour obtenir une rétractation, il faut de plus que le demandeur n'ait pas été négligent dans l'exercice de ses droits. Le Tribunal fait siens les propos de l'honorable juge Louis Rochette de la Cour supérieure dans l'affaire Mondex Import inc. c. Victorian Bottle inc. :

« Par ailleurs, en ce qui a trait à la partie elle-même, il n'y a pas d'ambiguïté, elle ne doit pas adopter un comportement négligent dans la défense de ses droits, sans quoi le principe de l'irrévocabilité des jugements pourra lui être opposé. Cela n'est que logique et en conséquence, une partie ne peut laisser cheminer une affaire judiciaire qui la concerne directement sans s'en préoccuper. Elle doit être empressée de faire valoir sa prétention et de préserver ses droits. Les règles de procédure ne peuvent être modulées pour tenir compte du laxisme d'une partie[2]. »

  1.          La locataire n’affirme pas dans sa demande quand elle aurait eu connaissance de la décision attaquée, mais il appert du dossier que la décision lui a été expédiée le 17 décembre 2024 et notifiée par le locateur le 12 janvier 2025 en même temps que l’avis d’exécution en lien avec son expulsion.
  2.          La locataire affirme qu’elle n’a tenté de prendre connaissance de son courrier dans sa boîte à lettres que vers la mi-janvier 2025 parce qu’elle ignorait que la grève des postes était terminée depuis déjà un mois.
  3.      Comme motif de rétractation, la locataire fait valoir que bien qu’elle connût la date de l’audience du 24 octobre 2024, elle a choisi de ne pas s’y présenter puisqu’elle avait un nouvel emploi et ne voulait pas s’absenter.
  4.      Elle n’a pas demandé la remise de l’audience, n’a pas mandaté quelqu’un pour la représenter.
  5.      Quant au motif de défense à la demande originaire, la locataire n’en fait valoir aucun. Elle admet qu’elle devait 3 600 $ en loyer en date de l’audience. Tout au plus, elle indique qu’elle a tenté de payer une partie de son solde après l’audience, mais que le locateur a refusé d’encaisser ses virements. 
  6.      Le Tribunal est d’avis qu’il n’y a pas lieu de rétracter la décision attaquée.
  7.      Le Tribunal entretient des doutes sur la date de connaissance de la décision par la locataire, mais cette question n’est pas pertinente dans la mesure où le Tribunal n’estime pas valable son motif de rétractation et constate qu’elle n’avait aucune défense à faire valoir lors de l’audience du 24 octobre 2024.
  8.      Vraisemblablement, la décision rendue aurait été la même si la locataire avait été présente et les tentatives de paiement postérieures à l’audition sont des faits postérieurs qui de toute façon n’auraient pas suffi à éviter la résiliation du bail par l’effet de l’article 1883 C.c.Q.
  9.      De plus, la partie qui connait une cause d’empêchement de se présenter à une audience doit en demander la remise au Tribunal ou mandater quelqu’un pour le faire.

  1.      L’avis d’audition transmis à la locataire mentionnait ce qui suit :

« La remise

Vous pouvez obtenir la remise de l’audience à une date postérieure en produisant le consentement écrit de l’autre partie. À défaut, vous ou votre mandataire pouvez demander une remise par écrit ou verbalement à l’audience. Dans ce cas, la demande de remise n’est pas accordée automatiquement. Il appartient au juge administratif d’apprécier le bien-fondé de votre demande. »

  1.      La locataire a fait preuve de négligence en ignorant ce rappel et le locateur ne peut être privé de son droit d’être entendu en temps utile du fait que la locataire préfère se présenter au travail qu’à l’audience.

La demande de limitation procédurale

  1.      Le locateur demande également à l’audience qu’il soit interdit, sauf autorisation, à la locataire de déposer une nouvelle demande devant le Tribunal administratif du logement à l’encontre de la décision attaquée.
  2.      Ce type de demande est communément appelé demande forclusion et est prévu à la Loi sur le Tribunal administratif du logement qui se lit comme suit à son article 63.2 :

« 63.2. Le Tribunal peut, sur requête ou d’office après avoir permis aux parties intéressées de se faire entendre, rejeter un recours qu’elle juge abusif ou dilatoire ou l’assujettir à certaines conditions.

Lorsque le Tribunal constate qu’une partie utilise de façon abusive un recours dans le but d’empêcher l’exécution d’une de ses décisions, elle peut en outre interdire à cette partie d’introduire une demande devant elle à moins d’obtenir l’autorisation du président ou de toute autre personne qu’il désigne et de respecter les conditions que celui-ci ou toute autre personne qu’il désigne détermine.

Le Tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif ou dilatoire d’un recours, condamner une partie à payer, outre les frais visés à l’article 79.1, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les autres frais que celle-ci a engagés, ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs. Si le montant des dommages-intérêts n’est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d’abus, le Tribunal peut en décider sommairement dans le délai et aux conditions qu’il détermine. »

  1.      Le locateur soutient que la demande en rétractation aurait pour but de l’empêcher d’exécuter la décision attaquée.
  2.      Le locataire habite toujours le logement concerné et doit toujours des arrérages de loyers et en devrait toujours pour plusieurs mois même si le locateur n’avait pas refusé, à tort, les virements transmis depuis l’audience sur la demande originaire. 
  3.      Le locateur avait entamé des démarches avec un huissier pour expulser la locataire le 12 janvier 2025, mais celles-ci ont été suspendues en raison de la présente demande en rétractation.
  4.      La locataire a épuisé ses recours utiles auprès du Tribunal administratif du logement, mais son discours laisse entendre qu’elle pourrait faire, malgré tout, d’autres procédures pour empêcher son expulsion puisqu’elle estime inconcevable d’être expulsée en saison hivernale sans avoir d’abord trouvé un autre endroit où se loger.
  5.      Le Tribunal comprend les appréhensions de la locataire, mais le droit ne peut pas être détourné à d’autres fins, même si l’objectif poursuivi en est un de préservation et de protection personnelle pendant une période difficile.
  6.      Le Tribunal est d'avis que les circonstances et les faits répondent donc aux exigences requises pour prononcer l’ordonnance recherchée puisque la demande en rétractation vise à empêcher l’exécution forcée de la décision du 4 décembre 2024 et dans l’intervalle, d’inciter le locateur, qui s’y refuse, à négocier.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      REJETTE la demande en rétractation de la locataire;
  2.      MAINTIENT la décision rendue le 3 décembre 2024;
  3.      INTERDIT à la locataire de déposer une nouvelle demande devant le Tribunal administratif du logement dans le présent dossier, à moins d'obtenir l'autorisation du président ou de toute autre personne qu'il désigne et de respecter les conditions que celui-ci ou toute autre personne qu'il désigne peut déterminer.

 

 

 

 

 

 

 

 

Charles Rochon-Hébert

 

Présence(s) :

la locataire

le mandataire du locateur

Date de l’audience : 

30 janvier 2025

 

 

 


 


[1] Entreprises Roger Pilon Inc et al. c. Atlantis Real Estate Co., (1980) C.A. 218. 

[2] Cour supérieure 200-17-001038-983, REJB 1999-12482.

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