Décision

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Attara c. Durocher

2023 QCTAL 32632

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau de Montréal

 

No dossier:

689361 31 20230313 T

No demande:

3962282

RN :

 

 

 

Date :

25 octobre 2023

Devant la greffière spéciale :

Me Julie Langlois

 

Raafat Attara

Locateur - Partie demanderesse

c.

Ronald Durocher

Locataire - Partie défenderesse

 

DÉCISION

 

 

[1]         Le locateur demande la rétractation d’une décision[1] rendue le 21 juin 2023 par le Tribunal administratif du logement (ci-après « TAL »), à la suite d'une audience tenue le 13 juin 2023 à laquelle il n’était pas présent.

[2]         Cette Décision se termine ainsi :

« POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[15]   REJETTE la demande du locateur qui en supporte les frais. »

[3]         Lorsque la rétractation d’une décision est demandée, l’article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[2] (ci-après « LTAL ») prend application :

« 89. Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.

(…)

La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l'empêchement.

La demande de rétractation suspend l'exécution de la décision et interrompt le délai d'appel ou de révision jusqu'à ce que les parties aient été avisées de la décision.

(…). »


[4]         Les tribunaux ont largement confirmé que la rétractation est une demande exceptionnelle, car elle porte atteinte au principe reconnu de l'irrévocabilité des jugements et décisions de la part d’un tribunal. Ce principe a été repris par la Cour d'appel du Québec abondamment. En effet, le principe de l'irrévocabilité des jugements est nécessaire à une saine administration de la justice, d'où le sérieux que doivent avoir les motifs de rétractation. La procédure doit contribuer à la protection des droits des deux parties et la remise en question des décisions doit demeurer l'exception et ne pas devenir la règle[3].

[5]         Pour que la demande de rétraction soit accueillie, le locateur doit déposer sa demande dans un délai de dix jours de la connaissance de la décision et il doit alléguer des motifs suffisants qui justifient son absence à la première audience. Ces conditions sont cumulatives et doivent exister en même temps : si une seule n'est pas rencontrée, la demande sera rejetée[4].

[6]         Le locateur allègue avoir pris connaissance de la Décision le 6 juillet 2023. Il avait donc, à compter de cette date, dix jours pour déposer sa demande au TAL, ce qu’il a fait en date du 7 juillet 2023[5].

[7]         Par conséquent, le critère du délai de dix jours de la connaissance de la décision est respecté.

[8]         Quant au critère des motifs, il faut retenir que le seul fait qu'une partie soit absente à l'audience ne lui donnera pas automatiquement droit à une demande en rétractation. En vertu de l'article 89 LTAL, la partie doit motiver son absence par une cause jugée suffisante[6].

[9]         Sur ce fait, le locateur invoque qu'il n'a pu se présenter à l'audience du 13 juin 2023, car il était en voyage en Bolivie.

[10]     Il dépose à cet effet une copie de ses billets d’avion, corroborant ledit voyage du 7 juin au 18 juin 2023.

[11]     Il allègue également avoir averti le Tribunal de cette absence par télécopieur, mais en date du 13 juin 2023, soit le jour de la première audition, aucune communication à cet effet ne se trouvait dans le dossier pour une raison que le locateur ne peut expliquer.

[12]     Séance tenante, le locateur dépose une lettre datée du 25 mai 2023, mais aucun bordereau attestant du destinataire n’accompagne cette lettre, seule la date d’envoi est visible, soit le 27 mai 2023. Il témoigne toutefois avoir bel et bien envoyé cette lettre au Tribunal et la soussignée ne voit aucune raison pour douter de la crédibilité de son témoignage.

[13]     Cette lettre contient une demande de remise pour l’audition du 13 juin 2023 et est signée par les locataires dans les dossiers 688741 et 689361 (le présent dossier). Le locateur prétend que cette lettre constitue une demande de remise de consentement.

[14]     Le locataire confirme d’ailleurs qu’il avait été avisé de la demande de remise du locateur, mais s’est tout de même présenté n’ayant pas reçu d’instruction contraire du Tribunal.

[15]     Il est à noter que le dossier 688741 a été rayé le 13 juin 2023 vu l’absence des deux parties ce qui tend à corroborer la version du locateur.

[16]     Selon les dispositions de l'article 2803 du Code civil du Québec[7] (ci-après « Code civil »), il revient à la partie demanderesse de faire la preuve des faits allégués dans sa demande :

« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée ».

[17]     Il appartient au locateur de prouver, par prépondérance de preuve, que les faits qu'il présente sont probables, conformément à l'article 2804 du Code civil :

« 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante ».

[18]     Le Tribunal doit déterminer le bien-fondé de la demande relativement à la problématique d'absence du locateur à l'audience. Le Tribunal doit étudier s'il s'agit d'un motif prévu à l'article 89 LTAL justifiant la rétractation de la décision.

[19]     Ainsi, après analyse de l'ensemble de la preuve soumise, le Tribunal conclut que le locateur a été empêché de se présenter à l'audience pour un motif sérieux, soit qu’il était à l’extérieur du pays le jour de l’audition, ce qui constitue une cause jugée suffisante pour rétracter la Décision.

[20]     Dans le cas sous étude, il serait contraire à la justice naturelle de priver le locateur de son droit de présenter sa preuve et de rejeter sa demande sans l'avoir entendu.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[21]     ACCUEILLE la demande de rétractation du locateur;

[22]     RÉTRACTE et ANNULE la Décision rendue le 21 juin 2023;

[23]     RÉFÈRE le dossier au maître des rôles afin qu'il convoque les parties pour une nouvelle enquête et audition sur la demande en modification du bail.

[24]     SUGGÈRE au maître des rôles de mettre le dossier sur le même rôle que le dossier 688741 afin que les deux dossiers soient entendus en même temps.

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Julie Langlois, greffière spéciale

 

Présence(s) :

le locateur

le locataire

Date de l’audience :

25 août 2023

 

 

 


 


[1] Attara c. Durocher, 2023 QCTAL 18794 (CanLII) (ci-après « Décision »).

[3] Voir Entreprises Roger Pilon Inc et al. c. Atlantis Real Estate Co., (1980) 1980 CanLII 2757 (QC CA), C.A. 218. Abondamment suivi par le TAL, notamment dans Bardoux c. Yazbeck, 2016 CanLII 149769 (QC TAL), Dion c. Akelada inc., 2023 QCTAL 10470 (CanLII), Venizelos-Branchaud c. Scimé, 2023 QCTAL 10235 (CanLII).

[4] Larosev c. L’Occident, 31 20191028 T, RL Montréal, 21 février 2020.

[5] Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement, chapitre T-15.01, r. 5, art. 4.

[6] Principe que rappellent les auteurs Rousseau-Houle et De Billy, dans Le bail de logement : analyse de la jurisprudence, Wilson & Lafleur Ltée (1989) Montréal, p. 307.

[7] CCQ-1991.

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