Li c. Dukis |
2016 QCRDL 26131 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
279452 31 20160527 G |
No demande : |
2008755 |
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Date : |
27 juillet 2016 |
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Régisseure : |
Linda Boucher, juge administrative |
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Yangchun Li |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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Louise Dukis |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Il
s’agit d’une demande de résiliation de bail et expulsion de la locataire et de
tous les autres occupants du logement au double motif de son comportement et du
non-paiement du loyer, recouvrement du loyer (525 $), plus les intérêts au
taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[2] Il appert que les parties sont liées par un bail reconduit du 1er août 2016 au 30 juillet 2017 au loyer mensuel de 525 $.
[3] Depuis qu’il a acquis l’immeuble au mois de janvier dernier, le locateur reçoit des plaintes de bruit concernant la locataire provenant de l’occupante du logement situé directement en dessous soit le numéro 10.
[4] Lui-même, alors qu’il allait percevoir le loyer en juin dernier, a entendu la défenderesse frapper durement sur son plancher.
[5] Il tente alors de la convaincre de cesser et constate une porte de chambre brisée d’avoir été trop souvent claquée.
[6] Il sait que la défenderesse agit ainsi en représailles contre la voisine du # 10 qu’elle accuse de faire trop de bruit, pour avoir également reçu ses nombreuses plaintes.
[7] Il ajoute que la locataire n’a pas acquitté son loyer pour le mois de juillet 2016.
[8] Mme Clémentine Le-Juez est venue témoigner pour la demande, elle occupe le logement numéro 10 et se heurte quotidiennement à la défenderesse depuis son arrivée, il y a une année de cela.
[9] Dès que le moindre bruit est émis chez elle, le son d’une conversation, une porte qui s’ouvre et quelques fois rien du tout mais le bruit provenant d’un logement voisin déclenche une répercussion chez la défenderesse qui frappe sur le plancher en guise de représailles.
[10] La témoin se défend de faire du bruit, sinon celui de la vie quotidienne et toujours sans excès.
[11] Son conjoint et elle ont bien tenté de parler à la défenderesse, mais ils se sont heurtés à un mur. Depuis, celle-ci les provoque, même en public lors de rencontres fortuites.
[12] Elle aime son logis, mais n’en peut plus du comportement de sa voisine du dessus.
[13] La preuve n’est pas contestée.
[14] Voici qui résume la preuve.
Le droit
[15] Les articles
« 1855. Le locataire est tenu, pendant la durée du bail, de payer le loyer convenu et d'user du bien avec prudence et diligence.»
« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.
Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.
Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail.»
[16] En matière de bruit, les opinions diffèrent selon la tolérance et la sensibilité de chacun. Ainsi, un son qui paraîtra normal pour l’un sera intolérable pour l’autre.
[17] C’est pourquoi dans l’appréciation de la preuve, le tribunal doit tenir compte de la norme objective, c’est à dire celle de la personne moyennement tolérante.
[18] Dans la cause Pasquale Fata c. Mabtoule Chaouqi, la juge administrative Francine Jodoin définit ainsi la norme objective en matière de bruit excessif :
En l'occurrence, bien que le Tribunal constate que le locataire est difficile d'approche et peu enclin à écouter les doléances des autres locataires, la preuve soumise n'a pas démontré de bruits excessifs et anormaux constituant une entrave sérieuse à la jouissance paisible des autres locataires de l'immeuble. La preuve eut égard à la fréquence, durée et intensité des bruits reprochés est vague et imprécise et ne permet pas de conclure à une situation suffisamment grave et sérieuse qui justifierait la résiliation du bail. Il est évident que dans un immeuble à logements multiples, chacun des locataires aient appelés à subir certains inconvénients dus à la présence des autres locataires et à leur occupation. » ([1])
(nos soulignements)
[19] Lorsque la juge administrative parle des inconvénients inhérents à la vie en commun dans un immeuble, par exemple, elle fait référence à l’obligation de tolérance qui est faite aux voisins selon l’article 976 C.c.Q. ([2])
[20] Comme l’enseigne le professeur Jobin :
« 98. Conditions. Deux conditions, à notre avis, s'attachent à la responsabilité pour troubles de voisinage entre les locataires. D'abord, comme madame le suggère le texte même de l'article 1860, alinéa l le locataire voisin doit avoir subi des inconvénients anormaux. Qu'est-ce qu'un inconvénient anormal ? Cette première question nous amènera à préciser notamment si le trouble doit être persistant et si le locataire voisin doit avoir subi un préjudice sérieux. Deuxièmement, le comportement reproché au locataire doit être illégitime de sa part.
Relativement à la première condition, on relève parfois l'affirmation que le trouble causé au locataire voisin doit être « anormal ». Pour juste qu'elle soit, l'expression n'en demeure pas moins vague. Afin de mieux cerner le niveau d'exigence imposé au locataire, on peut maintenant se tourner vers le langage utilisé par le législateur lui-même pour définir l'abus de droit et surtout pour poser les critères des troubles de voisinage : « Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux ». Conciliation d'intérêts contraires, tolérance, situation des lieux et usage seront donc les guides du juge pour apprécier la conduite du locataire prétendument fautif. Ainsi, le niveau critique d'un trouble de voisinage peut varier sensiblement d'un contexte à un autre. On tiendra compte des mœurs, du niveau général de tolérance du milieu social ainsi que des caractéristiques inhérentes à l'usage pour lequel les lieux ont été loués (par exemple, une famille ayant des enfants fait plus de bruit qu'un couple sans enfant). Par ailleurs, pour apprécier ce qui constitue « la jouissance normale » du locataire victime, les tribunaux, en principe, ne tiendront pas compte de sa sensibilité particulière (due par exemple à son âge ou à son état de santé) : dans cette mesure, le test des inconvénients excessifs paraît bien être objectif. Cependant, à juste titre, les tribunaux insistent sur leur pouvoir d'apprécier un trouble de voisinage suivant les circonstances de chaque espèce.
Par ailleurs, on notera que le trouble doit être persistant. Dans l'esprit des tribunaux, un fait isolé ne saurait constituer des inconvénients anormaux. [...] » ([3])
[21] Après analyse et délibéré, le tribunal juge que la défenderesse est responsable de bruits répétés, insistants et déraisonnables.
[22] Elle empêche sa voisine du dessous de vivre normalement chez elle et la prive de la jouissance paisible de son foyer que le locateur est d’ailleurs tenu de lui garantir.
[23] Ce dernier se voit donc en défaut de respecter son obligation par la faute du comportement abusif de la défenderesse.
[24] Nul n’est tenu de vivre dans un environnement ou le moindre bruit généré par l’activité normale au foyer provoque l’ire de sa voisine et déclenche quotidiennement une série de représailles bruyantes et dérangeantes.
[25] Il a même été dit que la défenderesse leur attribue des bruits provenant d’autres logements et se venge sur eux, bien qu’ils soient innocents de ceux-là.
[26] Partant, le tribunal conclut que le locateur est bien fondé de réclamer la résiliation du bail et l’éviction rapide de la locataire fautive.
[27] Pour ce qui est du loyer, la locataire n’est pas en retard de plus de trois semaines pour le paiement de son loyer au jour de l’audience. La résiliation du bail n’est donc pas justifiée par l'application de l'article 1971 C.c.Q.
[28] Le préjudice causé au
locateur justifie l'exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à
l'article
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[29] ACCUEILLE en partie la demande du locateur;
[30] RÉSILIE le bail et ORDONNE l’expulsion de la locataire ainsi que de tous les autres occupants des lieux loués;
[31] ORDONNE l'exécution provisoire, malgré l'appel, de l'ordonnance d'expulsion à compter du 11e jour de sa date;
[32]
CONDAMNE la locataire à payer au locateur la somme de 525 $
plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[33] REJETTE la demande quant au surplus.
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Linda Boucher |
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Présence(s) : |
le locateur |
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Date de l’audience : |
21 juillet 2016 |
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[1] R.L. 31-040511-136G, le 20 avril 2005.
[2]
Article
[3] Pierre-Gabriel Jobin, Le louage, Les Éditions Yvon Blais, 2e édition, p. 252, 253.
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