Décision

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Décision

Thimineur c. Clermont

2014 QCRDL 3160

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Saint-Jean

 

No dossier:

25-100825-005 25 20100825 G

25-100601-002 25 20100601 G

No demande:

34603

34616

 

 

Date :

29 janvier 2014

Régisseure :

Anne Morin Houde, juge administratif

 

LUCIE THIMINEUR

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

JEAN-PHILIPPE CLERMONT

 

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le tribunal est saisi de deux recours en justice. D’une part, le locateur requiert des dommages-intérêts à titre d’indemnité de relocation car la locataire a quitté avant la fin de son contrat de bail. Le locateur est représenté par son père.

[2]      La locataire soutient avoir dû quitté à cause notamment de problèmes de voisinage et souligne la négligence du locateur d’agir ce qui l’a obligé à déménager.

[3]      Les deux causes ont été réunies pour preuve commune.

[4]      Le locateur demande des dommages-intérêts à titre d’indemnité de relocation. La demande a été signifiée par huissier.

[5]      Il s’agit d’un bail à durée fixe du 1er juillet 2009 au 30 juin 2010 à un loyer mensuel de 540 $, payable le premier jour de chaque mois.

[6]      La preuve démontre que le locataire a quitté le logement au cours du mois de février 2010 à la suite de problèmes avec ses voisins.

[7]      Le locateur réclame 1 080 $, soit le loyer des mois de mars et avril 2010 à la suite du départ prématuré du logement de la locataire.

[8]      M. Clermont, le mandataire de M. Jean-Philippe Clermont son fils, explique que le logement a été reloué pour le 1er mai 2010.

[9]      La locataire a également un recours contre le locateur et explique qu’elle a habité cet immeuble depuis 2005 et qu’elle a déménagé à la fin de juin 2006 au 1er étage.

[10]   Elle a voulu quitter en juin 2009, car elle s’est plainte des locataires voisins et qu’elle a été menacée par le locataire.

[11]   La situation s’est par la suite dégradée et la locataire se plaint que le locataire voisin se stationnait de manière à nuire au libre passage de son véhicule ou à stationner à sa place.


[12]   De plus, la locataire se plaint de problèmes d’infiltrations d’eau dans la salle de bain et dans le passage. La locataire dépose des photos pour démontrer les traces d’infiltrations d’eau au plafond.

[13]   Elle indique que des insectes se trouvaient dans les luminaires de la chambre et de la cuisine.

[14]   Toutefois, aucune preuve ne lie la présence d’insectes à l’inaction du locateur.

[15]   Elle témoigne aussi des bruits émanant du logement de son voisin et des cris. Pour démontrer le bien fondé de cette réclamation, elle fait écouter un enregistrement dans lequel on entend clairement des cris et des bruits de dispute entre ses voisins.

[16]   Elle souligne que cette situation a nui à la jouissance des lieux et la dérangeait.

Analyse

[17]   En défense, M. Clermont souligne être allé voir les locataires fautifs régulièrement et a obtenu leur départ pour la fin de leur bail. Le mandataire souligne avoir voulu régler le tout à l’amiable pour expliquer le fait qu’aucun recours en résiliation de bail n’avait été introduit contre les locataires fautifs.

[18]   Le tribunal dispose donc de la demande de la locataire relativement à sa réclamation en dommages-intérêts en premier pour les troubles de de voisinage qu’elle allègue.

[19]   À ce sujet, la locataire se plaint du comportement bruyant des locataires qui dérangent la jouissance paisible des lieux. Elle allègue aussi que ces locataires n’ont pas le comportement d’une personne prudente et diligente par leur attitude et leur comportement bruyant.

[20]   Selon les règles de droit, il appartient à la locataire de démontrer que ses voisins contreviennent à leurs obligations et que leur conduite lui cause un préjudice qui justifie son recours.

[21]   L’article 1855 du Code civil du Québec prévoit l’obligation générale pour tout locataire, pendant la durée du bail, d’user du bien loué de manière prudente et diligente.

[22]   L’article 1861 du Code civil du Québec précise que tout locataire troublé a droit à une réduction de son loyer s’il a dénoncé la situation. Le droit au dommage n’existe si le locateur n’a pas agi avec prudence et diligence.

[23]   La lecture de l’article 976 du Code civil du Québec nous apprend que les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent, suivant la nature des lieux ou les usages locaux.

[24]   L’auteur Pierre-Gabriel Jobin[1] souligne que deux conditions essentielles doivent être rencontrées pour être en mesure de conclure que le locataire contrevient à son obligation et qu’il trouble la jouissance des lieux.

[25]   Il doit s’agir d’un inconvénient anormal ou excessif présentant un caractère persistant et les locataires auteurs du trouble, doivent avoir agi de manière illégitime.

[26]   Dans ce présent cas, la locataire doit démontrer que les bruits et comportements reprochés au locataire ainsi qu’aux personnes à qui il donne accès au logement sont déraisonnable, excessifs, anormaux ainsi que suffisamment répétitifs, continus et persistants pour justifier sa réclamation.

[27]   Ainsi, dans la cause O.M.H.M. c. Goudreault, le tribunal de la Régie du logement a établi les critères à considérer en matière de troubles de jouissance. Le juge administratif Bernard a ainsi décidé :

« Pour réussir en la présente cause, le locateur doit établir que le locataire ou une personne dont il est responsable ou à qui il permet l’accès du logement a eu, au cours d’une certaine période, des comportements et des attitudes qui par leurs répétitions et insistances agacent, excèdent ou importunent gravement les autres locataires du même immeuble, troublant ainsi la jouissance normale des lieux à laquelle ils ont droit. »[2]


[28]   Le tribunal se doit d’apprécier les témoignages de façon objective et chercher à déterminer si les reproches peuvent constituer des actes ayant pour but de restreindre le droit à la jouissance paisible des lieux.

[29]   On ne peut donc conclure que tous les troubles de jouissance ou conflits pouvant exister entre les parties constituent, de ce seul fait, un manquement contractuel, car les parties ont chacune une perception personnelle et n’ont pas toujours la distance nécessaire pour apprécier objectivement les événements.

[30]   Le mandataire du locateur souligne l’exagération des faits reprochés, n’admet aucunement les faits tels que présentés par la locataire. Le tribunal note aussi que le locateur a choisi d’aviser les voisins fautifs mais n’a pas recours au tribunal pour les expulser vu les troubles de jouissance.

[31]   Le tribunal estime que le fil des événements permet au tribunal de conclure en faveur de la locataire selon les règles relatives à la prépondérance de preuve.

[32]   À ce propos, selon les dispositions de l’article 2803 du Code civil du Québec, il revient à la partie demanderesse de faire la preuve des faits allégués dans sa démarche pour expliciter sa réclamation en dommages-intérêts :

« 2803.    Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

                Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée».

[33]   Cette preuve doit faire en sorte que les faits ainsi présentés sont probables, selon l’article 2804 C.c.Q. :

« 2804.    La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence  est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante».

[34]   Quant à l’appréciation du témoignage, elle est laissée à la discrétion du tribunal :

« 2845.    La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal. »

[35]   Les parties à un contrat de location ont l’obligation d’agir de bonne foi en vertu de l’article 6 du Code civil et de l’article 1375 de ce même code qui précise :

«1375.      La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation qu'à celui de son exécution ou de son extinction.»

[36]   Les auteurs Nadeau et Ducharme ont analysé, dans leur Traité de droit civil du Québec, les difficultés relatives à une preuve contradictoire :

« Celui sur qui repose l’obligation de convaincre le juge supporte le risque de l’absence de preuve, c’est-à-dire qui perdra son procès si la preuve offerte n’est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve offerte de part et d’autre est contradictoire et que le juge est placé dans l’impossibilité de déterminer où se trouve la vérité. »[3]

Décision

[37]   Compte tenu de l’ensemble des témoignages et des règles de droit, la locataire a démontré que ses voisins lui causait un préjudice justifiant l’octroi de dommages car la vie en logement suppose une tolérance de la vie en voisinage et son départ avant la fin du bail. Le tribunal estime que le locateur a manqué de diligence pour régler ce litige favorisant la négociation d’un départ des voisins fautifs à la fin de leur bail, défavorisant ainsi la locataire demanderesse qui devait alors supporter tous les inconvénients reliés au problème de jouissance. En conséquence, la demande du locateur est rejetée car la locataire était justifiée de quitter son logement vu la négligence à agir de manière à ce que la locataire puisse jouir de son logement de manière à y vivre conformément aux prescriptions de la loi.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Dans le dossier 25-100601-002 G :

[38]   REJETTE la demande du locateur

Dans le dossier 25-100825-005 G :

[39]   CONDAMNE le locateur à payer 2 000 $ à titre de dommages-intérêts plus les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévu à l’article 1619 C.c.Q. depuis le 25 août 2010.

 

 

 

 

 

 

 

 

Anne Morin Houde

 

Présence(s) :

le locataire

le mandataire du locateur

Date de l’audience :  

8 octobre 2013

 


 



[1][1] Pierre-Gabriel Jobin, Le louage, 2e édition, Cowansville, Les éditions Yvon Blais inc., 1996, p.252.

[2] Office Municipal d’Habitation de Montréal c. Marcel Goudreault, 32-950727-011 G, le 14 septembre 1995, Me Gérald Bernard.

[3] Nadeau, André et Ducharme, Léo, Traité de droit civil du Québec, vol. 9, 1965, Montréal, Wilson et Lafleur, page 99.

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