Guimont c. R. |
2017 QCCA 1754 |
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COUR D’APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE
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N° : |
200-10-003162-158, 200-10-003261-166 |
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(200-73-006088-127) (200-73-006138-120) |
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DATE : |
8 NOVEMBRE 2017 |
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200-10-003162-158 |
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ROCH GUIMONT |
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APPELANT - Accusé |
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c. |
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SA MAJESTÉ LA REINE |
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INTIMÉE - Poursuivante |
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200-10-003261-166 |
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CONSTANCE GUIMONT |
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APPELANTE - Accusée |
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c. |
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SA MAJESTÉ LA REINE |
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INTIMÉE - Poursuivante |
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[1] Les appelants se pourvoient contre un verdict de culpabilité prononcé le 10 juillet 2015 par un jury présidé par l’honorable Louis Dionne de la Cour supérieure, district de Québec, qui les a déclarés coupables de quatre chefs d’accusation de possession de marchandises contrôlées, contrairement aux articles 37 et 45(1)b) de la Loi sur la production de défense[1], ainsi que de quatre chefs d’accusation d’exportation de marchandises ou de technologies figurant sur la liste des marchandises d’exportation contrôlée, contrairement aux articles 13 et 19(1) de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation[2].
[2] Pour les motifs du juge Bouchard, auxquels souscrivent les juges Thibault et Bich, LA COUR :
[3] ACCUEILLE les appels;
[4] CASSE les déclarations de culpabilité;
[5] ORDONNE l’arrêt des procédures.
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MOTIFS DU JUGE BOUCHARD |
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Mise en contexte
[6] Au début de mois de décembre 2008, le Service de police de la Ville de Québec (ci-après « SPVQ ») est informé que l’appelant Roch Guimont serait lourdement armé et qu’il aurait affirmé vouloir commettre un meurtre. Il faut remonter à l’automne 2001 pour comprendre pourquoi le SPVQ prend cette information au sérieux et ordonne à son Groupe d’intervention tactique, le 3 décembre 2008, d’investir manu militari le domicile de l’appelant.
[7] À cette époque, soit en 2001, l’appelant n’est plus qu’à un mois d’obtenir son diplôme de l’École nationale de police du Québec. Or, un soir de novembre, il ramène chez lui une femme avec qui il a une relation sexuelle. Le lendemain matin, cette dernière porte plainte au SPVQ. Elle allègue avoir été victime d’agression sexuelle.
[8] Le juge Gilles Blanchet, dans un jugement rendu le 16 août 2013 faisant suite à une poursuite de l’appelant en dommages-intérêts pour diffamation et atteinte à la réputation contre certains médias, décrit ainsi la suite des évènements ayant mené à la perquisition du 3 décembre 2008[3] :
[4] Début d’une longue descente aux enfers. Une accusation d'agression sexuelle est portée contre lui et il lui faudra près de trois ans avant d’en être acquitté, le 5 février 2004, au terme d'un procès devant jury.
[5] Mais en marge de cette apparente victoire, obtenue au prix d’un long et coûteux combat, les dommages collatéraux s’accumulent : abandon du programme d'études à l'Institut de police, désespoir et dépression, abus d'alcool et de drogues, prise de poids, dégradation de la santé physique et psychologique. Tout cela fait en sorte que le grand rêve de 2001, alors presque atteint, est désormais hors de portée.
[6] Pendant quelques années, Guimont travaille comme chauffeur de taxi, tout en continuant de boire beaucoup. En 2005, il abandonne son emploi et passe à l'aide sociale. En novembre 2006, il intente une poursuite en dommages-intérêts au montant de 670 000 $ contre la Ville de Québec, pour les fautes alléguées de son service de police, et contre son accusatrice Érika Harper. En avril 2007, la poursuite est rejetée à l’égard de la Ville de Québec, sur requête en irrecevabilité, au motif de prescription. Ce jugement est confirmé par la Cour d'appel en novembre 2007. Contre Érika Harper, la même poursuite n’est déclarée irrecevable que pour partie seulement, mais elle devra plus tard être abandonnée lorsque la défenderesse fera faillite, en octobre 2008.
[7] En parallèle de ces recours devenus caducs, Guimont et sa mère s'investissent dans une croisade tous azimuts pour obtenir justice et réparation : interventions auprès de la Procureure générale du Canada et de plusieurs ministères, à Québec et à Ottawa, plainte déontologique à la Direction des affaires internes du Service de police de la Ville de Québec, plaintes disciplinaires au Barreau du Québec contre le procureur qui avait représenté Guimont dans son action civile contre la Ville, mais aussi contre ceux qui lui ont obtenu un acquittement devant jury dans le dossier criminel d’agression sexuelle, et multiples démarches auprès des médias d’information pour tenter de les sensibiliser à sa thèse du complot. Tout cela sans succès.
[8] Le demandeur et sa mère aménagent également un site Internet et produisent un disque CD où on peut lire tous les détails de l'erreur judiciaire dont Guimont dit avoir été victime en 2001 et du vaste complot tramé contre lui par la plaignante, les policiers, les procureurs au dossier et les hautes autorités du ministère de la Justice du Québec.
(…)
[14] Vient enfin cette soirée fatidique du 1er décembre 2008, alors que Guimont est de nouveau ivre dans un bar de Québec. Il se confie au barman, Pascal Gagnon, à qui il raconte ses mésaventures passées et l'injustice dont il a été l'objet suite à l’accusation non fondée d'abus sexuel portée contre lui en 2001. Le barman le reconduit chez lui et est invité à y entrer pour prendre un verre.
[15] C'est alors que Guimont lui exhibe ce que les médias écrits et parlés qualifieront ensuite d’arsenal, soit un fusil de calibre 12 à pompe avec crosse repliable, deux vestes pare-balles, des lunettes d’approche permettant la vision nocturne, un casque militaire américain en acier, des contenants de poivre de Cayenne, des masques à gaz et un rayon laser à longue portée.
[16] Selon la déclaration donnée aux policiers par le barman Gagnon, les propos de Guimont, tout au long de cette rencontre nocturne, donnent lieu de penser qu'il pourrait s'en prendre à son accusatrice de 2001, Érika Harper, et aux autorités policières. Après qu’il ait mentionné quelque chose comme « Je les tirerais tous », Gagnon le prévient qu’il pourrait devoir le dénoncer à la police, ce sur quoi l’autre l’invite à le faire, tout en ajoutant «Tu vas voir que tu vas avoir tout un show ».
[17] Les deux vont ensuite déjeuner ensemble dans un restaurant, aux petites heures du matin, et Guimont remet à Gagnon le CD que sa mère et lui ont monté, en parallèle de leur site Internet, pour dénoncer l’injustice dont il aurait été victime. Sur ce disque, dont il prend connaissance quelques heures plus tard, Gagnon est interpelé par des expressions telles que «loi du talion», «œil pour œil, dent pour dent», «combattre le feu par le feu, car l’injustice appelle l’injustice» et «le temps est venu de passer aux actes, car seule la vengeance reste parfois la forme la plus sûre de justice, encore en 2008».
[18] Troublé par ce contexte qu’il juge explosif, le barman Gagnon décide d’alerter les autorités policières. Le 3 décembre, vers 18h, une escouade du Groupe d’intervention tactique (GIT) du SPVQ procède à une intervention musclée au logement de Guimont, qui est menotté et incarcéré. Dès le lendemain, il comparait sous des accusations de menaces de mort, possession d’arme prohibée et entreposage négligent d’une arme à feu. Il est incarcéré au centre de détention d’Orsainville jusqu’au 19 décembre, date à laquelle il est libéré sous caution en attendant son procès.
[Je souligne]
[9] On aura remarqué, à la lecture de l’extrait précité, que des lunettes de vision nocturne ont été saisies lors de la perquisition du 3 décembre 2008, mais qu’aucune accusation n’a alors été portée eu égard à celles-ci. De fait, c’est près de trois ans plus tard seulement, soit le 27 octobre 2011, que les appelants seront accusés de possession de marchandises contrôlées au sens de la Loi sur la protection de défense[4], et ce, en lien avec ces lunettes. Ici encore, un bref retour en arrière s’impose pour expliquer ce délai.
[10] Ruinés financièrement par les nombreuses poursuites judiciaires intentées et les autres démarches entreprises aux fins d’obtenir justice, les appelants commencent à exploiter en 2007-2008, à titre de gagne-pain, une entreprise de vente en ligne de matériel militaire, dont des lunettes de vision de nuit de troisième génération sur le site Internet eBay. Le modus operandi est le suivant : Roch Guimont s’occupe des achats aux États-Unis desdites lunettes, de leur réparation et de leur revente alors que sa mère, l’appelante Constance Guimont, finance les opérations et s’occupe de la réception ainsi que de l’expédition des lunettes aux acheteurs.
[11] Au début de l’année 2009, le policier militaire Serge Boivin, qui est affecté à la garnison de Valcartier, enquête sur la disparition de lunettes de vision de nuit sur la base militaire. Il prend connaissance d’annonces sur le site eBay où une personne, ayant pour nom d’utilisateur « Terrasept », offre en vente des lunettes de vision de nuit de troisième génération. Dans le cours de son enquête, Serge Boivin obtient une ordonnance de communication enjoignant à Vidéotron de lui fournir les nom et adresse du détenteur du compte Internet en question. Vérification faite, il appert que l’appelante Constance Guimont est la détentrice du compte Internet et que Roch Guimont apparaît au compte comme mandataire.
[12] La continuité de l’enquête est ensuite confiée à la Gendarmerie royale du Canada (ci-après la « GRC ») puisque même si l’enquête n’a pu établir que les lunettes offertes sur le site eBay étaient d’origine militaire canadienne, celles-ci sont néanmoins l’objet d’une réglementation stricte, ainsi que nous le verrons.
[13] Le 21 mai 2009, Daniel Laberge, l’enquêteur de la GRC chargé du dossier, apprend que le SPVQ a effectué une perquisition, le 3 décembre 2008, au domicile de l’appelant Roch Guimont situé au 3490, rue McCartney, appartement 9, Québec et que divers items ont été saisis, dont une lunette de vision de nuit comportant un intensificateur d’image de troisième génération et portant le numéro de série 935054. Il examine cette lunette au local du SPVQ, laquelle est saisie à son tour par la GRC le 12 août 2009.
[14] Une surveillance est par la suite organisée aux domiciles respectifs des appelants, soit au 3490, rue McCartney, appartement 9, Québec et au 610, rang Saint-Mathias, Saint-Raymond où habite Constance Guimont. Cette surveillance révèle que les appelants vendent bel et bien des lunettes de vision nocturne via le site eBay et qu’ils utilisent les services de Postes Canada pour l’expédition. Un agent d’infiltration achète en effet de l’appelant, via eBay, au mois d’août 2009, une lunette de vision de nuit de troisième génération. De plus, l’appelante porte plainte, le 26 octobre 2009, au SPVQ à la suite d’une vente sur eBay d’une lunette de vision de nuit de troisième génération pour laquelle l’acheteur, un chinois résidant à Hong Kong, refuse de lui payer le prix convenu de 4 000 $.
[15] Le 15 juin 2010, la GRC procède à des perquisitions aux deux domiciles des appelants. Sont notamment saisis une lunette de vision comportant un intensificateur d’image portant le numéro de série 837239, ainsi que trois autres intensificateurs d’image de troisième génération portant respectivement les numéros de série 884935DD, 3644390 et 3642721.
[16] Les deux perquisitions permettent également à la GRC de saisir différents documents qui, juxtaposés aux relevés de transactions sur eBay et aux reçus de Postes Canada, établissent l’exportation d’intensificateurs d’image de troisième génération dans quatre pays, à savoir l’Allemagne, la Russie, la Thaïlande et la Nouvelle-Zélande.
Les accusations
[17] Neuf chefs d’accusation seront portés contre les appelants.
[18] Un premier, le 15 septembre 2011, pour possession de marchandises contrôlées en contravention de l’article 37 de la Loi sur la production de défense et en lien avec la perquisition du 3 décembre 2008. Quatre autres chefs quasi identiques résultant de la perquisition du 15 juin 2010 et déposés le 25 janvier 2012. Enfin, le 11 juin 2012, quatre chefs d’accusation d’exportation en contravention de l’article 13 de la Loi sur les licences d’importation et d’exportation.
[19] Ces chefs d’accusation sont ainsi libellés :
No 200-73-006080-116 |
Le ou vers le 3 décembre 2008, à Québec, district judiciaire de Québec, avoir eu en sa possession des marchandises contrôlées, à savoir une lunette de vision de nuit ayant comme composante un intensificateur d’image de troisième génération de marque ITT portant le numéro de série 935054, contrairement à l’article 37 de la Loi sur la production de défense (L.R.C. (1985), ch. D-1), commettant ainsi l’infraction prévue à l’article 45(1)b) de ladite Loi. |
No 200-73-006088-127 |
Le ou vers le 15 juin 2010, avoir eu en sa possession des marchandises contrôlées, à savoir un intensificateur d’image de troisième génération de marque ITT portant le numéro de série 884935DD parmi des pièces détachées de lunettes de vision de nuit, contrairement à l’article 37 de la Loi sur la production de défense (L.R.C. (1985), ch. D-1), commettant ainsi l’infraction prévue à l’article 45(1)b) de ladite Loi. |
Le ou vers le 15 juin 2010, avoir eu en sa possession des marchandises contrôlées, à savoir un intensificateur d’image de troisième génération de marque ITT portant le numéro de série 3644390 parmi des pièces détachées de lunettes de vision de nuit, contrairement à l’article 37 de la Loi sur la production de défense (L.R.C. (1985), ch. D-1), commettant ainsi l’infraction prévue à l’article 45(1)b) de ladite Loi. |
Le ou vers le 15 juin 2010, avoir eu en sa possession des marchandises contrôlées, à savoir un intensificateur d’image de troisième génération de marque ITT portant le numéro de série 3642721 parmi des pièces détachées de lunettes de vision de nuit, contrairement à l’article 37 de la Loi sur la production de défense (L.R.C. (1985), ch. D-1), commettant ainsi l’infraction prévue à l’article 45(1)b) de ladite Loi. |
Le ou vers le 15 juin 2010, avoir eu en sa possession des marchandises contrôlées, à savoir une lunette de vision de nuit ayant comme composante un intensificateur d’image de troisième génération de marque ITT portant le numéro de série 837239, contrairement à l’article 37 de la Loi sur la production de défense (L.R.C. (1985), ch. D-1), commettant ainsi l’infraction prévue à l’article 45(1)b) de ladite Loi. |
No 200-73-006138-120 |
Le ou vers le 4 novembre 2008, a exporté, en Allemagne, des marchandises ou des technologies figurant sur la liste des marchandises d’exportation contrôlée, à savoir un intensificateur d’image de troisième génération, sans détenir une licence d’exportation délivrée en vertu de la Loi sur les licences d’importation et d’exportation L.R.C. (1985) ch. E-19, contrairement à l’article 13 de la Loi, commettant ainsi l’infraction criminelle prévue à l’article 19(1) de la Loi. |
Le ou vers le 26 septembre 2008, a exporté, en Russie, des marchandises ou des technologies figurant sur la liste des marchandises d’exportation contrôlée, à savoir un intensificateur d’image de troisième génération, sans détenir une licence d’exportation délivrée en vertu de la Loi sur les licences d’importation et d’exportation L.R.C. (1985) ch. E-19, contrairement à l’article 13 de la Loi, commettant ainsi l’infraction criminelle prévue à l’article 19(1) de la Loi. |
Le ou vers le 2 mars 2009, a exporté, en Thaïlande, des marchandises ou des technologies figurant sur la liste des marchandises d’exportation contrôlée, à savoir un intensificateur d’image de troisième génération, sans détenir une licence d’exportation délivrée en vertu de la Loi sur les licences d’importation et d’exportation L.R.C. (1985) ch. E-19, contrairement à l’article 13 de la Loi, commettant ainsi l’infraction criminelle prévue à l’article 19(1) de la Loi. |
Le ou vers le 21 août 2009, a exporté, en Nouvelle-Zélande, des marchandises ou des technologies figurant sur la liste des marchandises d’exportation contrôlée, à savoir un intensificateur d’image de troisième génération, sans détenir une licence d’exportation délivrée en vertu de la Loi sur les licences d’importation et d’exportation L.R.C. (1985) ch. E-19, contrairement à l’article 13 de la Loi, commettant ainsi l’infraction criminelle prévue à l’article 19(1) de la Loi. |
[20] Tel que mentionné précédemment[5], les appelants ont été acquittés du premier chef d’accusation de possession de marchandises contrôlées se rapportant à la saisie pratiquée le 3 décembre 2008. Ils ont cependant été déclarés coupables des huit autres chefs d’accusation.
Les dispositions législatives
[21] Il importe de citer les dispositions législatives pertinentes qui, il faut bien le dire, ne sont pas d’application courante.
[22] Les chefs d’accusation de possession de marchandises contrôlées sont fondés sur les articles 37 et 45(1)b) de la Loi sur la production de défense (ci-après « LPD ») qui sont libellés comme suit[6] :
37. (1) À moins d’être inscrit en application de l’article 38 ou exempté d’inscription en application des articles 39 ou 39.1, nul ne peut délibérément examiner des marchandises contrôlées, en avoir en sa possession ou en transférer à une autre personne. (2) Il est interdit à la personne inscrite ou exemptée d’inscription de transférer délibérément des marchandises contrôlées à une personne qui ne l’est pas ou de lui permettre de les examiner en toute connaissance de cause.
(3) Pour l’application du présent article, effectue un transfert quiconque aliène de quelque façon une marchandise contrôlée ou en communique le contenu. (4) L’inscription d’une personne s’étend aux administrateurs, cadres et employés autorisés par elle en conformité avec les règlements. |
37. (1) No person shall, unless the person is registered under section 38 or exempt from registration under section 39 or 39.1, knowingly examine or possess a controlled good or transfer a controlled good to another person.
(2) No person registered or exempt from registration shall knowingly transfer a controlled good to or permit the examination of a controlled good by a person who is not registered or exempt from registration.
(3) In this section, transfer means, in respect of a controlled good, to dispose of it or disclose its content in any manner.
(4) The registration of a person extends to the officers, directors and employees authorized by the registered person in accordance with the regulations. |
45. (1) Quiconque contrevient à l’article 37 commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité : a) par procédure sommaire, une amende maximale de 100 000$ et un emprisonnement maximal de deux ans, ou l’une de ces peines; b) par mise en accusation, une amende maximale de 2 000 000 $ et un emprisonnement maximal de dix ans, ou l’une de ces peines. |
45. (1) Every person who contravenes section 37 is guilty of
a) an offence punishable on summary conviction and liable to a fine not exceeding $100,000 or to imprisonment for a term not exceeding two years, or to both: or (b) an indictable offence and liable to a fine not exceeding $2,000,000 or to imprisonment for a term not exceeding 10 years, or to both. |
[23] Pour savoir ce qu’est une marchandise contrôlée, il faut ensuite consulter l’article 35 de la LPD qui réfère à l’annexe qu’on retrouve à la fin de cette loi et qui renvoie à son tour à la Liste des marchandises d’exploitation contrôlée établie en application de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation (ci-après « LLEI »)[7] :
ANNEXE (article 35) 1. Marchandises figurant à l’annexe de la Liste des marchandises d’exportation contrôlée établie en application de l’article 3 de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation : […] c) au groupe 2 : celles prévues aux articles 2002 et 2004 à 2022; […] |
SCHEDULE (section 35) 1. The following goods listed in the schedule to the Export Control List made under section 3 of the Export and Import Permits Act are controlled goods : […] (c) Group 2 : goods listed in items 2002 and 2004 to 2022; […] |
[24] Constitue notamment un bien contrôlé[8]:
« 2015. Matériel d'imagerie ou de contremesures, comme suit, spécialement conçu pour l'usage militaire et ses composants et accessoires spécialement conçus : […] c. matériel intensificateur d'image; […] Notes : 1. Le terme « composants spécialement conçus » comprend le matériel suivant lorsqu'il est spécialement conçu pour l'usage militaire : […] b. les tubes intensificateurs d'image (autres que ceux de la première génération); » |
[25] Quant aux infractions d’exportation, ce sont les articles 13 et 19(1) de la LLEI[9] qui leur servent de fondement :
13. Il est interdit d'exporter, de transférer ou de tenter d'exporter ou de transférer des marchandises ou des technologies figurant sur la liste des marchandises d'exportation contrôlée, ou des marchandises ou des technologies vers un pays dont le nom paraît sur la liste des pays visés si ce n'est sous l'autorité d'une licence d'exportation délivrée en vertu de la présente loi et conformément à une telle licence.
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13. No person shall export or transfer, or attempt to export or transfer, any goods or technology included in an Export Control List or any goods or technology to any country included in an Area Control List except under the authority of and in accordance with an export permit issued under this Act. |
19. (1) Quiconque contrevient à la présente loi ou à ses règlements commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité : a) par procédure sommaire, une amende maximale de vingt-cinq mille dollars et un emprisonnement maximal de douze mois, ou l’une de ces peines;
b) par mise en accusation, une amende dont le montant est fixé par le tribunal et un emprisonnement maximal de dix ans, ou l’une de ces peines.
(2) Les poursuites pour infraction visée à l’alinéa (1)a) se prescrivent par trois ans à compter de sa perpétration. |
19. (1) Every person who contravenes any provision of this Act or the regulations is guilty of
(a) an offence punishable on summary conviction and liable to a fine not exceeding twenty-five thousand dollars or to imprisonment for a term not exceeding twelve months, or to both; or
(b) an indictable offence and liable to a fine in an amount that is in the discretion of the court or to imprisonment for a term not exceeding ten years, or to both.
(2) A prosecution under paragraph (1)(a) may be instituted at any time within but not later than three years after the time when the subject-matter of the complaint arose. |
La requête en arrêt des procédures pour délai déraisonnable
[26] Le 27 janvier 2015, les appelants, lors d’une conférence préparatoire tenue devant le juge de première instance, annoncent leur intention de présenter une requête en arrêt des procédures fondée sur l’alinéa 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés[10] qui garantit à tout inculpé le droit d’être jugé dans un délai raisonnable. À cette date, il s’est écoulé un peu plus de 40 mois depuis la première dénonciation, le 15 septembre 2011, pour possession de marchandises contrôlées en lien avec la perquisition du 3 décembre 2008[11].
[27] C’est le 16 juillet 2015 que le juge rejette la requête des appelants, soit avant l’arrêt rendu le 8 juillet 2016 par la Cour suprême dans l’affaire R. c. Jordan[12]. C’est donc à la lumière de l’état du droit prévalant avant cet arrêt[13] que le juge examine la conduite des parties entre le 15 septembre 2011, date de la première dénonciation pour possession de marchandises contrôlées, et le 1er juin 2015, date du début du procès devant jury[14]. Mille trois cent cinquante-quatre jours ou un peu plus de quarante-cinq mois se sont alors écoulés entre ces deux dates.
[28] Après un résumé du droit applicable à l’époque et un examen des délais encourus, le juge conclut son analyse somme suit[15] :
[90] L’analyse du dossier, en regard des trois premiers facteurs, démontre que sur une période d’un peu plus de 1354 jours, 336 jours sont imputables à la défense, 427 jours sont inhérents, 430 jours sont de consentement et 91 jours sont de l’ordre d’un délai institutionnel, pour un total de 1284 jours.
[91] Les délais imputables à la poursuite sont de 70 jours.
[92] Bien qu’à première vue, le délai total puisse paraître long, il est, en l'espèce, le résultat de délais inhérents aux procédures, de remises de consentement et de renonciations des requérants à invoquer leurs droits prévus à l’article 11b) de la Charte. Le Tribunal est donc d’avis qu’il n’y a pas de délai déraisonnable pouvant donner ouverture au remède extraordinaire de l’arrêt des procédures en l’espèce.
[93] Quant à la présomption qu’un délai excessif est susceptible d’entraîner un préjudice, rien ne démontre, dans la présente affaire, une possibilité d’une quelconque atteinte au droit à une défense pleine et entière, considérant au surplus que l’affaire repose dans une large mesure sur une preuve documentaire et matérielle qui ne peut s'envoler au simple passage du temps.
[29] Considérant l’application de l’arrêt Jordan aux affaires déjà en cours au moment du prononcé de cet arrêt, ce qui est notre cas, il y a lieu de rappeler sommairement le nouveau cadre d’analyse applicable aux demandes fondées en vertu de l’alinéa 11b) de la Charte.
* * *
[30] Ce nouveau cadre d’analyse repose désormais sur deux plafonds au-delà desquels le délai total est présumé déraisonnable : 18 mois pour les affaires instruites devant une cour provinciale et 30 mois pour celles, comme en l’espèce, instruites devant une cour supérieure[16].
[31] Il faut ensuite passer à la première étape qui commence par le calcul du délai total entre la dénonciation ou l’acte d’accusation s’il n’y a pas de dénonciation et la conclusion réelle ou anticipée du procès[17]. Appliqué à notre situation, cet enseignement de la Cour suprême nous amène à conclure que le délai total qui doit être pris en compte est celui qui s’est écoulé entre le 15 septembre 2011, date de la première dénonciation, et le 10 juillet 2015, date où le jury rend son verdict[18]. Ceci donne un délai total de 1393 jours ou un peu plus de 46 mois.
[32] L’intimée propose une autre façon de calculer le délai total. Comme le juge de première instance, elle arrête son calcul au 1er juin 2015 qui correspond à la date où débute le procès. C’est une erreur. La Cour suprême, dans Jordan, et récemment dans R. c. Cody[19], est très claire. Le délai prend fin non pas au début du procès, mais à la fin de celui-ci[20].
[33] L’intimée plaide ensuite que puisque les appelants ont été acquittés de l’infraction pour laquelle une dénonciation a été faite le 15 septembre 2011, il faudrait considérer que la date de départ du délai est le 25 janvier 2012 qui correspond à la seconde sommation déposée contre les appelants. Un délai de 132 jours séparant le 15 septembre 2011 du 25 janvier 2012 devrait donc être retranché du délai total.
[34] On peut en effet se questionner, a priori, sur l’opportunité de prendre pour point de départ une accusation pour laquelle les appelants ont été acquittés. C’est là toutefois faire abstraction de la situation réelle des appelants qui, de façon concrète, ont fait face à trois séries d’accusations intimement reliées entre elles et découlant d’une même enquête policière. Si on met de plus dans la balance les droits individuels que l’alinéa 11b) de la Charte vise à protéger, dont le droit à la sécurité de la personne qui couvre l’anxiété et la stigmatisation qu’entraînent des poursuites criminelles[21], je ne vois aucune raison de ne pas prendre le 15 septembre 2011 comme point de départ du délai[22].
[35] Il faut donc conclure de la première étape de l’analyse prescrite par l’arrêt Jordan que le délai total en l’espèce est de 1393 jours ou un peu plus de 46 mois.
* * *
[36] Une fois le délai total calculé, la seconde étape de l’analyse consiste à soustraire le délai imputable à la défense, lequel comprend, en premier lieu, les périodes que cette dernière renonce à invoquer, étant entendu que si cette renonciation peut être implicite, elle doit néanmoins être claire et sans équivoque[23].
[37] En second lieu, le délai imputable à la défense pouvant être soustrait peut aussi résulter de sa conduite en tant que telle, sauf s’il s’agit d’une mesure prise légitimement par elle afin de répondre aux accusations portées à son endroit[24]. Il va de soi que la défense a aussi besoin de temps pour se préparer[25].
[38] En résumé, il faut retenir que le délai imputable à la défense est celui qu’elle renonce clairement à invoquer, ainsi que celui qui est engendré par les retards causés uniquement ou directement par sa conduite lorsque celle-ci découle d’une mesure prise illégitimement qui ne vise pas à répondre aux accusations[26]. Le délai global entre la première dénonciation, le 15 septembre 2011, et le prononcé du verdict, le 10 juillet 2015, étant de 1 393 jours[27], voyons donc ce qu’il en est.
[39] Même si la première dénonciation a eu lieu le 15 septembre 2011, la communication de la preuve est venue longtemps après[28]. De plus, deux nouvelles séries d’accusations sont portées le 25 janvier 2012 et le 11 juin 2012. Le 30 août suivant, lors de la comparution, une remise de consentement est accordée jusqu’au 29 novembre 2012.
[40] Visiblement, l’intimée n’était pas prête à aller à procès avant cette date. Aussi, même si les appelants ont consenti à plusieurs remises, ils ne pouvaient pas faire autrement. Aucun délai ne peut leur être imputé jusqu’au 29 novembre 2012.
[41] Il en va différemment entre le 29 novembre 2012 et le 30 janvier 2013. À deux reprises, il est expressément noté au procès-verbal que les appelants renoncent aux délais[29]. Cent neuf jours doivent donc être retranchés du délai total de mille trois cent quatre-vingt-treize jours.
[42] Ceci nous amène au 19 mars 2013. Des pourparlers de règlements sont en cours. Selon le procès-verbal d’audience, une remise de consentement est accordée jusqu’au 19 avril suivant. Il n’est pas fait mention que les appelants ont renoncé aux délais[30].
[43] Le 19 avril, il appert qu’une remise est nécessaire pour poursuivre les négociations. Le procès-verbal fait état d’une remise de consentement jusqu’au 30 mai 2013, mais ne mentionne pas que les appelants ont renoncé aux délais[31].
[44] La même chose se produit le 30 mai. Les parties sont toujours en négociation. Le tout est remis au 14 juin de consentement et aucune renonciation aux délais n’est notée.
[45] Certes, le consentement à des ajournements peut, suivant les circonstances, équivaloir à une renonciation[32]. Mais comme le mentionne la Cour suprême dans ses arrêts les plus récents, si renonciation il y a, celle-ci doit être claire et sans équivoque[33].
[46] À deux reprises, soit les 29 novembre 2012 et 30 janvier 2013, le procès-verbal d’audience mentionne que les appelants ont renoncé aux délais. Cette mention n’apparaît pas cependant aux procès-verbaux des 19 mars, 19 avril et 30 mai 2013. Dès lors, il m’apparaît périlleux de conclure que les appelants, à ces dates, ont renoncé aux délais. La situation ne peut pas être qualifiée de claire et de non équivoque.
[47] Ceci nous amène au 14 juin 2103. À cette date, l’avocat de l’appelante, après trois mois de négociations infructueuses, se retire du dossier. Cette dernière demande alors une remise au 24 septembre 2013 pour prendre connaissance de la preuve. Le délai découlant de cette demande de remise est de 102 jours. Doit-il être soustrait du délai global comme l’a fait le juge de première instance?[34]
[48] Pour répondre à cette question, il faut en venir à la conclusion que l’appelante a renoncé aux délais. Or, le procès-verbal du 14 juin 2013 ne mentionne pas que l’appelante a renoncé aux délais. Le juge de première instance non plus. Si cette dernière a renoncé, c’est donc de manière implicite. Or, ce n’est pas parce que la défense fait une demande de remise qu’on doit automatiquement conclure qu’elle a renoncé aux délais. Une demande de remise, en soi, n’a rien d’illégitime. Tout dépend des circonstances.
[49] Le 14 juin 2013, en raison d’un différend avec sa cliente, l’avocat de l’appelante se retire du dossier[35]. De toute évidence, l’appelante, qui se représentera désormais elle-même, se retrouve dans une situation délicate. Ce n’est pas comme si c’était elle qui avait congédié son avocat dans des circonstances permettant de suspecter une manœuvre dilatoire.
[50] Une fois son avocat autorisé à se retirer, l’appelante pouvait légitimement demander un délai, notamment pour prendre connaissance de la preuve. Aussi, je ne suis pas prêt d’emblée à conclure qu’elle a renoncé implicitement aux délais.
[51] Cela étant, il ressort généralement de la preuve que l’appelante est personnellement impliquée dans le dossier depuis ses débuts. Elle suit celui-ci de très près, de sorte que je suis loin d’être convaincu qu’elle avait réellement besoin de 102 jours pour prendre connaissance de la preuve, et ce, d’autant plus qu’elle fait équipe avec son fils, l’appelant Roch Guimont, lequel est lui-même très au fait des procédures puisqu’il se représente seul lui aussi à la même époque.
[52] À ce stade-ci de mon analyse, je crois donc plus prudent de considérer les deux hypothèses suivantes : soit celle où le délai de 102 jours est imputable à la défense et doit être retranché du délai total et celle où il ne doit pas l’être parce que la situation n’est pas parfaitement claire et non équivoque.
[53]
Le 24 septembre 2013, les appelants optent pour un procès devant jury
sans enquête préliminaire. L’affaire est alors renvoyée au terme des assises
criminelles du
2 décembre 2013. Avec raison, le juge n’impute ce délai à aucune des parties[36].
[54] Le 2 décembre, le dossier est à nouveau remis, en partie à cause d’un manque d’effectif du côté de la magistrature. Le 3 mars 2014, la poursuite demande une remise au 2 avril suivant. À cette date, les appelants annoncent une requête alléguant une perquisition illégale. S’agissant d’une procédure légitime, aucun délai ne peut être imputé à la défense.
[55] Le 26 mai, la cause est remise de contentement au 10 juin pour permettre aux appelants de modifier leur requête et finaliser les admissions qu’ils sont disposés à faire en vue du procès. Le juge soustrait un délai de 15 jours. Je ne vois aucune raison, à la lumière de l’arrêt Jordan, de soustraire ce délai. Il n’y a pas eu de renonciation aux délais de la part des appelants et rien n’indique que leur démarche est illégitime.
[56] Le 10 juin, cependant, les appelants modifient leur stratégie. Ils annoncent qu’ils ne feront aucune admission, de sorte que la poursuite devra faire sa preuve. Les dossiers sont remis au 8 septembre 2014. Un délai de 90 jours doit ici être imputé aux appelants. Ces derniers, bien entendu, ne sont pas obligés de faire des admissions. En changeant toutefois inopinément leur fusil d’épaule, ils ne sauraient profiter de cet allongement des délais.
Me FRANK D'AMOURS
Pour la poursuite
Et la trame de ça, pour compléter ce que mon confrère vous a dit quand il vous disait, tout à l'heure, qu'on voit difficilement comment qu'on pourrait commencer un procès devant juge et jury, ça me fait beaucoup de témoins avec beaucoup de déplacements, les gens à l'étranger pour, à ce stade-ci, des peut-être le 9, peut-être le 2, peut-être le... Vous comprenez là, c'est très aléatoire. Parce que ce matin quand même que vous me diriez: "ben, on pense à une convocation de jury le 9", faire le tour de ces gens-là, donc bouquer les avions, de bouquer les hôtels et tout, je vous répondrai pas demain matin là, malheureusement. Il y a une logistique un peu particulière.
LA COUR
Oui, oui, mais là on n'est pas dans une cause de meurtre là.
Me FRANK D'AMOURS
Pour la poursuite
Non, non, je comprends. Je comprends.
LA COUR
Tu sais, puis les règles veulent que le poursuivant fasse sa preuve à un moment donné. Ils sont pas obligés de faire des admissions.
Me FRANK D'AMOURS
Pour la poursuite
Je comprends.
(…)
LA COUR
Alors, à tout à l'heure.
SUSPENSION REPRISE
Alors, messieurs-dames, rebonjour.
Donc, à la lumière de ce que j'ai entendu et suite à mes discussions avec le juge coordonnateur, il est manifeste que l'on ne commencera pas le procès devant le jury le 2 février prochain. Je vais faire en sorte qu'on cancelle les candidats-jurys qui auraient été, à ce moment-ci, convoqués. On va regarder ensemble comment on peut définir un échéancier raisonnable, avec les agendas respectifs des parties, pour profiter au maximum des prochaines semaines et des 3 semaines de février qui étaient prévues. Mon objectif étant que je souhaiterais que l'on puisse entendre idéalement au complet et la requête, le cas échéant, et les arguments sur la requête, et peut-être même voir les voir-dire, le cas échéant également, pendant cette période. Et ce qui fait que je resterai au dossier, mais quant au procès, ben, ça ira possiblement quelque part en juin.
Me DENIS LAVOIE
Pour la poursuite
En juin.
LA COUR
En juin, oui. Alors, ce qui devrait permettre à Me D'Amours d'avoir un peu de temps j'imagine. Refaire un peu la liste des témoins…
Me FRANK D'AMOURS
Pour la poursuite
Ça va me permettre de faire des vérifications supplémentaires qui étaient nécessaires, je vous en remercie.
LA COUR
Voilà, voilà. Et ce sera, je pense que ce sera préférable pour... Ça allonge le délai, ça sera préférable pour tout le monde, mais je pense que c’est mieux que de circonscrire 12 citoyens contre eux-mêmes puis que de les voir, comme j'ai déjà vu, tourner en rond en arrière parce qu'on n'a pas effectivement fait nettoyer les dossiers au préalable .
Me DENIS LAVOIE
Pour la poursuite
Hum .
LA COUR
Alors, ça m'apparaît plus sage de procéder comme cela. Ça donnera l’occasion aux parties, au fur et à mesure qu'on va avancer aussi, de réfléchir sur toute cette affaire, le cas échéant. Tant qu'on n'a pas commencé avec les jurys, même avec les jurys, si un jour pointait à l'horizon potentiel en temps, parce que je le répète, on n'est pas dans un dossier de meurtre, on verra, mais d'un autre côté, c'est pas moi qui va mettre la pression d'un côté comme de l'autre.
[Je souligne]
[58] Le 9 janvier 2015, il est donc clair pour tout le monde que le procès va se tenir en juin et que les trois semaines réservées en février pour la tenue de celui-ci serviront à entendre la requête des appelants en perquisition illégale, les voir-dire, bref à mettre le dossier en état. Aucun délai ne peut donc être imputé à la défense jusqu’au 1er juin 2015, date du début du procès.
[59] De fait, c’est le 27 janvier 2015, lors de la présentation par les appelants de leur requête en perquisition illégale, que ceux-ci annoncent le dépôt prochain de leur requête en délai déraisonnable, laquelle sera à nouveau discutée lors d’une conférence préparatoire subséquente tenue le 6 février, formellement déposée le 30 avril et finalement plaidée le 21 mai 2015.
* * *
[60] En résumé, il faut retenir que les appelants ont expressément renoncé aux délais à deux reprises, soit le 29 novembre 2012 et le 30 janvier 2013. Cent neuf jours doivent, en conséquence, être retranchés.
[61] Un autre délai, celui-ci de 90 jours, doit aussi être retranché lorsque les appelants, le 10 juin 2014, reviennent sur leur décision et annoncent qu’ils ne feront aucune admission. Le délai alors occasionné est causé uniquement et directement par leur conduite, laquelle est, dans les circonstances, discutable.
[62] Aussi, après la déduction des renonciations et des délais imputables à la défense, on en arrive à un délai global de 1 194 jours (1 393 - 109 - 90 = 1 194), soit environ 39 mois. Alternativement, si on retranche les 102 jours résultant de la demande de remise formulée le 14 juin 2013 pour permettre à l’appelante de prendre connaissance de la preuve après que son avocat se fut retiré du dossier, le délai global est alors de 1 092 jours ou d’environ 36 mois.
[63] Ceci met un terme à la seconde étape de l’analyse prescrite par l’arrêt Jordan.
* * *
[64] Le plafond présumé de 30 mois étant dépassé dans les deux hypothèses soulevées précédemment, la troisième étape du test commandait au ministère public de réfuter la présomption du caractère déraisonnable du délai en invoquant des circonstances exceptionnelles[37] et en démontrant qu’il a pris des mesures raisonnables pour éviter le délai[38]. Or, rien de tel ne ressort du dossier.
[65] Au contraire, il ressort plutôt des notes sténographiques de l’audience tenue le 9 janvier 2015[39] que le ministère public, alors que le procès doit débuter trois semaines plus tard, plus exactement le 2 février 2015[40], n’est absolument pas prêt.
[66] Aucun événement distinct pouvant entraîner des délais, comme une urgence médicale[41] ou encore une grève des représentants du ministère public, événement que cette Cour a qualifié de circonstance exceptionnelle dans Dupuis c. R.[42], n’est, de plus, survenu.
[67] Est-on par ailleurs en présence d’une affaire particulièrement complexe au sens où l’entend l’arrêt Jordan[43]? Je ne le crois pas et le juge de première instance non plus lequel, à deux reprises, rappelle à l’avocat du ministère public qu’« on est pas dans une cause de meurtre »[44], laissant entendre par là que l’affaire est loin d’être complexe à ses yeux.
[68] Enfin, c’est à tort que l’intimée reproche aux appelants de n’avoir offert aucune preuve de préjudice, la Cour suprême ayant été très claire dans Jordan en affirmant que « l’absence de préjudice ne peut en aucun cas servir à justifier des délais lorsque le plafond est dépassé. »[45].
* * *
[69] À ce stade-ci de l’analyse, il ne reste donc qu’à se demander si le délai global de 39 ou 36 mois, selon l’hypothèse retenue, peut être néanmoins justifié par l’application de la mesure transitoire exceptionnelle étant donné que les accusations ont été portées avant le prononcé de l’arrêt Jordan et que la conduite des parties ne saurait être jugée trop rigoureusement en fonction d’une norme dont elles n’avaient pas connaissance[46]. À cet égard, c’est encore au ministère public à qui il appartient d’établir que ce délai est justifié, et ce, parce qu’il s’est raisonnablement conformé au droit antérieur tel qu’établi par l’arrêt Morin[47].
[70] Il découle de cet arrêt que le préjudice subi par l’accusé, la gravité de l’infraction ou encore le fait que certains districts judiciaires soient aux prises avec des délais institutionnels considérables sont des éléments qui peuvent justifier un dépassement du plafond présumé[48].
[71] À cet égard, il convient d’éliminer d’entrée de jeu le troisième élément pouvant être pris en compte. Rien au dossier ne permet en effet d’avancer que le district judiciaire de Québec est aux prises avec des problèmes de délais systémiques. L’intimée, d’ailleurs, n’invoque pas ce motif.
[72] Quant au préjudice pouvant résulter des accusations portées, la preuve, il est vrai, ne permet pas de distinguer ce préjudice de celui découlant des perquisitions effectuées en 2008 et 2010 aux deux domiciles des appelants. Reste que ce dernier préjudice étant bien réel, notamment en raison de la couverture médiatique extrêmement négative dont les appelants ont fait l’objet[49], on peut facilement en déduire que les longs délais encourus par la suite n’ont certainement pas contribué à amenuiser le stress et les inquiétudes vécus par les appelants. Il vaut la peine à cet égard de rappeler que ces derniers ont été poursuivis par voie de mise en accusation et qu’ils faisaient face à des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 10 ans ou encore, qu’ils pouvaient être condamnés au paiement d’une amende de 2 000 000 $[50].
[73] Ceci nous amène à la gravité de l’infraction, critère pouvant être pris en compte dans le cadre de l’application de la mesure transitoire exceptionnelle[51].
[74] Ainsi que nous venons de le voir, le crime de possession de marchandises contrôlées prévu aux articles 37 et 45(1)b) de la Loi sur la production de défense[52] et celui d’exportation de marchandises ou de technologies figurant sur la liste des marchandises d’exportation contrôlée prévu aux articles 13 et 19(1) de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation[53] sont passibles de 10 ans d’emprisonnement. De prime abord, il s’agit de crimes graves. Il faut savoir cependant que le matériel de guerre visé par le législateur fédéral est très varié et comprend toute une panoplie d’objets, tels des mitrailleuses, mortiers, canons, bombes, torpilles, roquettes, chars d’assaut, navires de guerre, aéronefs de combat, agents biologiques, substances radioactives, etc.
[75] En bref, et à l’instar du juge de première instance, il est permis de se questionner en l’espèce sur l’opportunité pour le ministère public d’avoir choisi de poursuivre par acte d’accusation plutôt que par voie sommaire :
LA COUR
J’ai juste une question pendant qu’on dit ça, je vous dis ça. Les accusations sont toutes portées par acte criminel han?
Me FRANK D’AMOURS
Pour la poursuite
Oui.
LA COUR
Est-ce qu’il y avait une raison particulière?
Me FRANK D’AMOURS
Pour la poursuite
Compte tenu de la nature des accusations, compte tenu du matériel, compte tenu des, en tout cas, des pays où ça a été vendu, et cetera, on a jugé que c’était des choses qui étaient assez sérieuses pour qu’on procède par acte criminel
[76] On conviendra que la réponse donnée par le représentant du ministère public, à la lumière du matériel de guerre en tout genre visé par le législateur, permet difficilement de conclure que la possession et l’exportation de lunettes de vision de nuit présentent un degré élevé de gravité. J’en viens donc à la conclusion que la mise en balance des facteurs requis par le droit antérieur à l’arrêt Jordan (préjudice, gravité, délais institutionnels importants), dans le cadre de l’application de la mesure transitoire exceptionnelle, milite en faveur de l’arrêt des procédures, ce qui me dispense d’examiner les autres moyens soulevés par les appelants.
Conclusion
[77] Je propose en conséquence d’accueillir les appels, de casser les déclarations de culpabilité et d’ordonner l’arrêt des procédures.
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JEAN BOUCHARD, J.C.A. |
[1] L.R.C. 1985, c. D-1. À noter que les appelants ont été acquittés d’un chef d’accusation de même nature en lien avec une perquisition effectuée le 3 décembre 2008 au domicile de l’appelant Roch Guimont.
[2] L.R.C. 1985, c. E-19. Il importe de préciser que les marchandises dont il est fait mention dans les actes d’accusation sont des lunettes de vision de nuit et des intensificateurs d’image de troisième génération de marque ITT capables de capter de faibles sources de lumière et de les amplifier pour permettre à son utilisateur de voir la nuit comme le jour.
[3] Guimont c. RNC Média inc. (CHOI-FM), 2013 QCCS 4132.
[4] Supra, note 1.
[5] Supra, note 1.
[6] Supra, note 1. Il s’agit de la version de la loi en vigueur au moment de la commission des infractions.
[7] Supra, note 2.
[8] Liste des marchandises et technologies d’exportation contrôlée, DORS/89-202, tel qu’en vigueur entre 2009 et 2011.
[9] Supra, note 2.
[10] Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11, annexe B.
[11] C’est le 30 avril 2015 cependant que les appelants déposent formellement leur requête et le 21 mai suivant qu’ils la présentent au juge, lequel la rejette le 16 juillet 2015, soit quelques jours après le prononcé du verdict, le 10 juillet 2015.
[12] 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631.
[13] En particulier, l’arrêt R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771.
[14] Guimont c. R., 2015 QCCS 4029, paragr. 60.
[15] Ibid.
[16] R. c. Jordan, supra, note 12, paragr. 46. Soulignons que le plafond de 30 mois s’applique également aux affaires instruites devant une cour provinciale à l’issue d’une enquête préliminaire.
[17] Id., paragr. 60. Voir également : R. c. Kalanj, [1989] 1 R.C.S. 1594, p. 1607-1608.
[18] La Cour suprême n’ayant pas encore tranché de manière définitive la question de la prise en compte du délai de détermination de la peine aux fins de l’application de l’alinéa 11b) de la Charte, je retiens la date du verdict comme étant celle de la fin du procès. Cela étant, la peine ayant été prononcée six jours après le verdict, la prise en compte ou non du délai de détermination de celle-ci est sans effet au regard de l’argument fondé sur l’alinéa 11b) de la Charte. Voir R. c. Jordan, supra, note 12, paragr. 49, note infrapaginale 2.
[19] 2017 CSC 31.
[20] Id., paragr. 21.
[21] R. c. Morin, supra, note 13, [1992] 1 R.C.S. 771.
[22] Voir incidemment : Vauclair, Martin et Béliveau, Pierre, Traité général de preuve et de procédure pénales, 23e éd., Cowansville, Les Éditions Thémis/Éditions Yvon Blais, 2016, no 2161, p. 981.
[23] R. c. Jordan, supra, note 12, paragr. 61; R. c. Cody, supra, note 19, paragr. 27.
[24] R. c. Jordan, supra, note 12, paragr. 63-65; R. c. Cody, supra, note 19, paragr. 28-35.
[25] R. c. Jordan, supra, note 12, paragr. 65.
[26] R. c. Cody, supra, note 19, paragr. 30.
[27] Supra, paragr. 29.
[28] Le 5 avril 2012 selon le procès-verbal daté du même jour. Voir également : R. c. Guimont, supra, note 14, paragr. 67.
[29] R. c. Guimont, supra, note 14, paragr. 70 et 71.
[30] Id., paragr. 72.
[31] Id., paragr. 73.
[32] R. c. Sharma, [1992] 1 R.C.S. 814, p. 824.
[33] R. c. Jordan, supra, note 12, paragr. 61; R. c. Cody, supra, note 19, paragr. 27.
[34] R. c. Guimont, supra, note 14, paragr. 75.
[35] R. c. Guimont, supra, note 14, paragr. 20.
[36] Ibid., paragr. 76.
[37] R. c. Jordan, supra, note 12, paragr. 68; R. c. Cody, supra, note 19, paragr. 24, 48 et s.
[38] Id., paragr. 70.
[39] Supra, paragr. [57] des présents motifs.
[40] Le procès a été fixé à cette date cinq mois auparavant, soit le 8 septembre 2014.
[41] R. c. Jordan, supra, note 12, paragr. 72.
[42] 2016 QCCA 1940, paragr. 27.
[43] R. c. Jordan, supra, note 12, paragr. 77.
[44] Supra, paragr. [57] des présents motifs.
[45] R. c. Jordan, supra, note 12, paragr. 81.
[46] Id., paragr. 92-104; R. c. Cody, supra, note 19, paragr. 67-74.
[47] Supra, note 13.
[48] R. c. Cody, supra, note 19, paragr. 69.
[49] Guimont c. RNC Média inc. (CHOI-FM), supra, note 3, paragr. 28 et 29.
[50] Voir la législation citée aux paragraphes [22] et [25] des présents motifs.
[51] R. c. Cody, supra, note 19, paragr. 69.
[52] Supra, note 1.
[53] Supra, note 2.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.