Société en commandite Cap Reit c. Tremblay |
2019 QCRDL 25597 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau de Montréal |
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No dossier: |
181591 31 20141024 F |
No demande: |
1605306 |
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RN :
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2601359
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Date : |
19 août 2019 |
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Greffière spéciale : |
Me Nathalie Bousquet |
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Société en commandite CAPREIT |
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Locatrice - Partie demanderesse |
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c. |
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Denise Tremblay |
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Locataire - Partie défenderesse |
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DÉCISION RECTIFIÉE
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[1] La
locatrice a produit une demande de fixation de loyer en vertu de l’article
[2] En vertu de l’article 57 de la Loi sur la Régie du logement[1], les dossiers concernant 31 logements de cet immeuble sont réunis pour l’audition.
[3] Les parties en l’instance sont liées par un bail du 1er mars 2014 au 28 février 2015, à un loyer mensuel de 1 338 $, incluant un espace de stationnement.
[4] Le logement en l’instance est situé dans un immeuble comportant 980 unités résidentielles et 52 locaux non résidentiels, pour lequel plus de 8 millions de dépenses engendrées pour avoir effectué des réparations majeures alléguées.
L’ajustement du loyer
[5] En matière de location résidentielle, le Code civil du Québec a ajouté des règles supplémentaires, dont le principe fondamental est le droit au maintien dans les lieux pour un locataire.
[6] L’article
[7] Suivant ce Règlement, l’ajustement du loyer est déterminé selon la méthode générale de fixation du loyer qui prévoit un calcul fait en fonction de certaines dépenses précises encourues par le locateur durant l’année de référence, notamment de la variation des taxes municipales, des taxes scolaires et des assurances, les coûts encourus pour les frais d’énergie, les frais d’entretien ainsi que les dépenses pour les réparations majeures et en tenant compte de la part attribuable du logement.
[8] Les règles de la fixation du loyer prévoient un traitement différent selon qu’il s’agisse d’une dépense de la nature de l’entretien, d’une amélioration majeure ou d’une réparation majeure. Il s’agit de notions distinctes auxquelles le Règlement sur les critères sur la fixation du loyer prévoit des traitements différents et un pourcentage différent.
[9] Les frais d’entretien sont des réparations usuelles, récurrentes, qui visent à entretenir l’immeuble, à l’extérieur tout comme à l’intérieur, que ce soit dans les aires communes ou privatives. Un décret annuel prévoit un pourcentage de récupération, divisé ensuite par la quote-part de chacun des logements, puis divisé sur 12 mois (total de l’année des frais d’entretien x le pourcentage autorisé par décret, multiplié à nouveau par la quote-part du logement concerné, puis divisé sur 12 mois).
[10] Dans le cas de réparations effectuées dans les logements, elles sont réparties en fonction de la nature et de l’ampleur des réparations et/ou rénovations afin de déterminer si de fait, certaines de ces réparations peuvent constituer une amélioration majeure pour un logement en particulier ou s’il ne s’agit que de réparations légères qui alors sont de la nature d’un entretien.
[11] Ainsi, une remise en bon état d’un logement, même partielle, où quelques milliers de dollars peuvent facilement y avoir été dépensés en matériaux divers et en main-d’œuvre, peut, en certains cas, constituer une amélioration majeure pour un logement. En ce cas, seul ce logement subira une hausse de loyer sur ces dépenses, les autres logements de l’immeuble ne subiront pas de hausse pour les améliorations majeures effectuées dans d’autres logements. Les logements qui n’ont pas bénéficié de telles réparations constituant une amélioration majeure pour un logement particulier n’ont pas à subir une augmentation sur leur loyer qui tiendrait compte des dépenses ayant constitué une amélioration pour un autre logement.
[12] Les réparations majeures qui s’appliquent à l’ensemble de toutes les unités de l’immeuble sont celles qui concernent par exemple la structure de l’immeuble, telle la réfection d’un mur de briques, de la toiture, du remplacement d’un drain français, lesquelles sont alors prises en compte pour tous les logements, selon le pourcentage attribué par décret et ensuite calculé sur la quote-part du logement.
[13] Tout ce processus légal est aussi régi par plusieurs autres dispositions législatives dont le Tribunal fera état après la mise en contexte des faits.
Faits contextuels
[14] En l’instance, il s’agit d’une demande afin de faire ajuster le loyer pour le renouvellement du bail de la période de 2014-2015, dont l’année de référence pour les dépenses est 2013. Une seule journée avait été prévue pour l’audience sur ces demandes. Or, les dossiers concernés pour la fixation de loyer de la période 2015-2016 avaient aussi été convoqués devant le Tribunal et ils ont donc dû être reportés par le Tribunal puisqu’il faut préalablement déterminer les loyers de la période de 2014-2015.
[15] Les demandes de modification du bail de la locatrice pour la fixation de la période de 2014-2015 ont donc été produites pour la plupart en 2014. Le Formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer (RN) a été produit le jour même de l’audience, soit le 28 septembre 2018. Les locataires n’ont pas eu accès aux pièces que la locatrice présentera au Tribunal au soutien de sa demande visant à obtenir une augmentation de loyer. Il est utile de préciser qu’il s’agit d’un immeuble comportant 980 logements résidentiels et 52 locaux non résidentiels, avec des réparations majeures alléguées, pour l’année 2013, à plus de 8 millions de dollars.
[16] C’est donc dans ce contexte que le procureur de plusieurs des locataires a présenté une requête verbale visant à ce que le Tribunal rejette la demande de modification des conditions du bail 2014-2015 pour délai déraisonnable de la production en audience du Formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer et compte tenu que la locatrice n’a pas donné accès aux documents à être présentés en audience malgré les lettres qui lui ont été adressées.
[17] La locatrice a effectivement fait défaut de produire le Formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer dans le délai prévu par le Règlement de procédure devant la Régie du logement[3] et a omis de transmettre copies des pièces au procureur des locataires malgré ses demandes, le Tribunal a rejeté la requête visant à faire rejeter la demande en modification du bail de la locatrice. Il a été tenu compte notamment de l’ampleur de la preuve, du temps nécessaire pour préparer les pièces, de la complexité des dossiers de fixation de loyer, le tout sous réserve des droits des locataires à accéder aux documents pour préparer adéquatement leur défense. Il ne faut pas oublier que la forme (la procédure) ne peut l’emporter sur le fond et que le Tribunal entendait s’assurer que les locataires puissent être outillés pour faire leur défense, étant évident que des journées supplémentaires d’audience seraient nécessaires et qu’il s’écoulerait plusieurs mois avant que l’audience puisse reprendre.
[18] Puisque les locataires ont contesté les revenus déclarés par la locatrice provenant des espaces commerciaux et des bureaux et commerces loués eu égard aux montants déclarés par la locatrice au Formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer (RN) en comparaison avec les revenus et les nombres de locaux déclarés sur des RN de d’autres années et aussi en raison du nombre de pieds carrés des espaces commerciaux, le Tribunal a requis de la locatrice de lui produire les baux commerciaux avec la liste détaillée des locataires commerciaux et leur loyer respectif de décembre 2013 pour la prochaine audience.
[19] De même, toujours en vue de permettre aux locataires de se constituer une défense et de pouvoir, le cas échéant, présenter des contre-preuves ainsi que de pouvoir préciser les documents et les dépenses précises qui seraient contestés, le Tribunal a suggéré à la locatrice de laisser les locataires emporter avec eux les cartables comprenant les factures que la locatrice avait préparés pour leur permettre de suivre la présentation de sa preuve pour l’audience, les objectifs étant de permettre d’une part aux locataires de se constituer une défense, de favoriser une meilleure gestion de l’instance, de circonscrire les débats et d’assurer une meilleure administration de la justice. Pour ces mêmes motifs, le Tribunal a aussi requis de la locatrice de préparer une ventilation des dépenses d’entretien.
[20] La locatrice a refusé de permettre aux locataires d’emporter lesdits cartables.
[21] Le Tribunal a rejeté l’objection de la procureure de la locatrice qui a soumis ne pas avoir le consentement des dirigeants de la locatrice pour montrer ces baux et même pour permettre aux locataires d’avoir copies de ces preuves documentaires. Elle a aussi mentionné qu’auparavant aucun greffier n’avait requis de la locatrice de lui produire ces baux, outre le fait que les locataires commerciaux n’ont pas consenti et n’apprécieraient pas de savoir que les locataires peuvent connaître le prix de la location de leurs locaux.
[22] Le calcul de l’ajustement de chacun des loyers s’effectue en tenant compte au préalable de l’établissement de la quote-part du logement dans l’immeuble. L’établissement de cette quote-part du loyer répond à la formule suivante : le loyer mensuel du logement dont on demande l’ajustement (incluant les services, que ceux-ci soient partie au bail ou prévus dans un autre contrat) pour le mois de décembre, divisé par le total de tous les autres loyers payables pour les unités résidentielles et les unités non résidentielles pour le mois de décembre, (incluant les services, que ceux-ci soient partie au bail ou prévus dans un autre contrat) et tenant compte aussi de la valeur objective des unités vacantes au mois de décembre et des autres revenus provenant de l’exploitation de l’immeuble (divisés par 12 mois), le tout ensuite rapporté sur 100, nous donne ainsi la quote-part de chacun des logements à ajuster. D’où l’importance de l’établissement de la preuve à l’égard des revenus puisque plus les revenus locatifs sont élevés, moins sera grande la quote-part du logement dans les dépenses et moins sera alors élevé le montant de l’ajustement mensuel de loyer.
[23] S’agissant donc d’un élément essentiel au litige et au calcul à effectuer, le Tribunal a donc maintenu cette demande afin que la locatrice produise copies de ces baux au Tribunal à la prochaine date d’audience à être fixée.
[24] Aussi, pour éviter que des ajournements soient demandés par une partie pour étudier plus avant des preuves dont elle n’aurait eu accès qu’au jour même de l’audience, et lui permettre de préparer adéquatement sa défense et des contre-preuves sur la preuve présentée, il est préférable que les documents soient transmis à l’autre partie dans un délai raisonnable avant l’audience.
[25] Le Tribunal a donc émis une ordonnance afin de permettre aux locataires de voir tous les documents qui seraient présentés en audience au soutien des demandes de modification de bail de la locatrice et afin de préparer des contre-preuves et leur défense. Pour ce faire, cinq jours avaient été prévus, selon les disponibilités des parties, du 14 au 18 janvier dans les locaux de la locatrice.
[26] Il est pertinent de préciser que le Tribunal a choisi ce mode en raison même du refus de la locatrice de permettre aux locataires d’emporter les divers cartables contenant copies des documents qu’elle entendait présenter au Tribunal, la procureure affirmant ne pas avoir à ce stade le consentement de la locatrice pour ce faire.
[27] Il faut comprendre que lorsqu’une partie présente des preuves devant le Tribunal, elle renonce de ce fait à la confidentialité et ne peut légalement en l’instance justifier de restreindre l’accès et la transmission des documents soumis au Tribunal au soutien de sa demande.
[28] Tel que précisé par le Bureau de Révision de la Régie du logement[4], dans le processus de la fixation du loyer, la greffière spéciale est chargée de présider l’audience sur la fixation du loyer :
« Cette appréciation est laissée à la
discrétion du Tribunal, guidée en cela par les articles
C’est à l'audience que l'examen de ces pièces est effectué par la greffière spéciale. Comme il appartient au locateur de prouver que son augmentation est justifiée, il doit produire toutes les pièces justificatives requises et toutes ses factures. (Notre soulignement)
(…)
Enfin, les articles
« 75. Sous réserve des articles 76 et 77, le Livre septième du Code civil s'applique à la preuve faite devant la Régie. »
« 76. Peut se prouver par la production d'une copie qui en tient lieu si le régisseur est satisfait de sa véracité :
1° un acte juridique constaté dans un écrit; ou
2° le contenu d'un écrit autre qu'authentique.
Toutefois, la preuve peut être faite par tout moyen lorsqu'une partie établit que, de bonne foi, elle ne peut produire l'original de l'écrit, non plus que toute copie qui en tient lieu. »
« 77. Une partie peut administrer une preuve testimoniale :
1. Même pour contredire ou changer les termes d'un écrit, lorsqu'elle veut prouver que la présente loi n'a pas été respectée;
2. Si elle veut prouver que le loyer effectivement payé n'est pas celui qui apparaît au bail;
3. Si elle veut interpréter ou compléter un écrit. »
Ainsi, le locateur produit ses documents qui sont analysés et évalués par la greffière spéciale en tenant compte des règles déjà citées. Puis, le locateur complète cette preuve documentaire par son témoignage sous serment. Il apporte ainsi toutes les explications pertinentes à l'appui de ses factures. À tout moment, la greffière spéciale peut décider qu'un document n'est pas admissible parce que peu fiable ou non justifié; elle peut exiger une preuve supplémentaire ou se satisfaire de ce qui est produit. » (Notre soulignement)
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(2) R.R.Q. c. R-8.1, r. 5.
(3) L.R.Q. c. R-8.1.
[29] Ainsi l’on comprend que le Tribunal peut exiger la production de documents afin de compléter et d’apprécier la preuve à leur égard ainsi que la contre-preuve qui peut être présentée par la suite. Cela ne signifie donc pas que le droit des locataires de pouvoir se constituer une défense pleine et entière soit limité et qu’ils n’aient pas le droit d’obtenir copies au préalable desdits documents que la partie adverse entend présenter au Tribunal.
[30] Même si la Loi sur la Régie du logement[5] et son Règlement sur la procédure devant la Régie du logement[6] n’exigent pas la production des pièces avant l’audience ni n’exigent la dénonciation ou la transmission des pièces, le principe du droit à une défense pleine et entière prévu par la Charte québécoise des Droits et Libertés[7] prône tout autant que les principes de justice naturelle et du droit d’être entendu[8] et s’appliquent en l’instance de même que toutes les dispositions légales mentionnées ci-après.
[31] À la reprise de
l’audience le 6 mai 2019, le Tribunal a refusé d’accepter la représentation
d’une locataire à titre de mandataire pour l’un de ses voisins, car en effet,
la présentation d’un mandat émis par le mandant désignant le conjoint de la
locataire ne rencontre manifestement pas les dispositions légales prévues au
Chapitre du mandat au Code civil du Québec non plus que
l’article
[32] Les locataires ont ensuite demandé au Tribunal de citer la locatrice pour outrage au Tribunal pour ne pas avoir respecté la durée et les journées déterminées pour la divulgation de la preuve, le lieu prévu et le fait qu’il leur a été impossible de préparer adéquatement leur défense puisqu’un agent de sécurité les a empêchés de pouvoir prendre des photos des documents qu’ils souhaitaient étudier.
[33] La procureure explique qu’elle n’a pas obtenu le consentement de la locatrice pour permettre la remise des copies des documents ou de permettre la prise de photos de ceux-ci, mais qu’elle leur a permis de venir consulter sur place les divers documents et que ceux-ci étaient disponibles sur les tables.
[34] Le Tribunal ne peut accorder cette demande des locataires quant à la citation pour outrage au tribunal. En effet, il faut distinguer les outrages commis en audience directement devant le Tribunal de ceux commis par action à l’extérieur du Tribunal. Il est fermement établi depuis longue date par la Cour suprême, dans la cause Radio-Canada c. Commission de police de Québec[9] : « par l’opinion apparemment unanime, ancienne et constante d’un grand nombre de juges et d’auteurs », que le pouvoir inhérent de punir les outrages ex facie appartient exclusivement aux tribunaux supérieurs.
[35] Ne s’agissant donc pas en l’instance de faits qui auraient été commis directement devant le Tribunal lors de l’audience, il n’appartient pas au tribunal de la Régie du logement, mais bel et bien à la Cour supérieure d’évaluer s’il y a lieu de citer pour outrage la locatrice et ensuite de recevoir et d’évaluer les preuves quant à la commission de l’actus réus et la preuve de la mens réa selon le fardeau de la preuve établie hors de tout doute raisonnable puisqu’une telle procédure n’est pas de nature civile, mais bien pénale.
[36] Les locataires soulèvent qu’ils n’ont pas pu préparer leur défense pleine et entière compte tenu qu’il leur a été impossible de pouvoir analyser adéquatement les documents consultés lors de la rencontre et l’un des locataires qui a pris une photo d’une facture avant de se faire interdire de prendre des photos fait valoir que celle-ci ne correspond pas aux montants indiqués dans la liste d’addition des factures et qu’en conséquence les listes et les totaux indiqués ne font pas fiables.
[37] La procureure de la locatrice explique que sa cliente ne peut permettre aux locataires d’obtenir copies des documents au motif que la compagnie détentrice de la compagnie locatrice émet des actions publiques. Elle invoque donc la règle de la « privacy policy » pour justifier son refus de remettre copies des pièces aux locataires, précisant donc qu’elle ne peut risquer que des informations se retrouvent divulguées ou publicisées dans les médias sociaux, ce qui irait à l’encontre de cette « privacy policy » et qu’elle n’a pas le consentement des investisseurs et actionnaires pour ce faire.
[38] Pour ces mêmes raisons, elle ne peut présenter au Tribunal les baux des commerces et ne les a d’ailleurs pas apportés au Tribunal, malgré la demande du Tribunal du 28 septembre 2018, se contentant de vouloir présenter le « ledger » (document utilisé en comptabilité). Aucune disposition légale n’est plaidée ni aucune jurisprudence produite pour étayer et appuyer les positions de la locatrice de refuser de les produire au Tribunal.
[39] Le Tribunal a informé les parties de l’impasse devant laquelle il se trouve, soit le droit des locataires de pouvoir préparer adéquatement une défense pleine et entière opposant les devoirs ou obligations de la locatrice envers ses actionnaires, lesquels, en l’absence d’une disposition légale particulière, ne peuvent justifier de restreindre les droits des locataires à avoir copies ou photos des documents, dont les factures et les baux des locataires non résidentiels, afin de se préparer une défense pleine et entière.
[40] Le Tribunal a donc suggéré à la locatrice d’émettre une ordonnance précise aux locataires leur interdisant de diffuser et de divulguer quelque contenu que ce soit des documents et de lui permettre de caviarder des informations sensibles, mais la procureure a choisi que le Tribunal rende décision bien que le Tribunal ait informé les parties qu’il n’y a pas d’autre option que de rejeter la demande de la locatrice.
[41] Malgré les efforts du Tribunal pour amener les parties à un consensus qui s’est avéré au final impossible, chacune des parties demeure avec la même position : soit le refus par la locatrice de remettre des copies des documents et de permettre aux locataires de faire des photos des documents mis en preuve en raison du « privacy policy », insistant sur le fait qu’elle a préparé des cartables contenant des copies de ces documents pour être vus par les locataires durant l’audience et qu’ils ont été mis disponibles pour consultation par les locataires à son bureau durant trois jours au lieu des cinq journée prévues par le Tribunal, et pour les locataires, soit l’impossibilité dans les circonstances de pouvoir aménager convenablement une défense quant aux revenus déclarés et quant aux nombreuses et importantes réparations majeures alléguées au Formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer de plus de 8 millions de dollars.
Le droit
[42] Dans le cadre du processus de fixation du loyer, tel que mentionné, la locatrice doit démontrer au Tribunal, par prépondérance de preuve, les revenus et la valeur objective relatifs à toutes les unités, résidentielles ou commerciales, des autres revenus provenant de l’exploitation de l’immeuble, de même que la preuve des dépenses alléguées en lui présentant tous les documents, factures et autres pièces justificatives requises, bref, de tous les éléments prévus audit Règlement sur les critères sur la fixation du loyer mentionné précédemment.
[43] Les locataires peuvent présenter leurs propres preuves et faire des contre-preuves des éléments présentés par la locatrice.
[44] Le tout s’effectue en audience, les parties ayant été dûment convoquées et alors les deux parties ont donc la possibilité de faire valoir leur droit par procédure légale en conformité de toutes les règles applicables.
[45] D’ailleurs la Cour suprême[10] a déjà précisé :
« Le contenu des principes de justice naturelle et d’équité applicables aux cas individuels variera selon les circonstances de chacun cas… En conclusion, la simple question à laquelle il faut répondre est celle-ci : compte tenu des faits de ce cas particulier, le tribunal a-t-il agi équitablement à l’égard de la personne qui se prétend lésée ? Il me semble que c’est la question sous-jacente à laquelle les cours ont tenté de répondre dans toutes les affaires concernant la justice naturelle et l’équité. »
[46] La Cour suprême a aussi déterminé que le manquement à une audition équitable n’a pas besoin d’être important pour constituer un excès de juridiction[11] :
« J’estime nécessaire d’affirmer que la négation du droit à une audience équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l’audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n’appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d’hypothèse sur ce qu’aurait pu être le résultat de l’audition. »
[47] Quant aux obligations
de divulgation des preuves prévues par exemple à l’ancien article
« Le principe général posé à l’article
[48] En l’instance, les copies des pièces demandées sont celles qui seront produites au Tribunal pour servir la preuve des revenus et des dépenses, à partir desquels tout le calcul de l’ajustement du loyer sera effectué. Force est donc de constater que tous ces documents sont pertinents tant pour l’établissement de la preuve, mais aussi pour l’établissement d’une défense.
[49] Par ailleurs, plusieurs dispositions légales reflètent tous ces principes et définissent davantage leur mise en application.
[50] L’article 9.8 de Loi sur la Régie du logement[13] prévoit que :
9.8. La Régie et ses régisseurs sont investis des pouvoirs et immunités d'un commissaire nommé en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête (chapitre C-37), sauf du pouvoir d'imposer une peine d'emprisonnement.
Ils ont en outre tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de leurs fonctions; ils peuvent notamment rendre toutes les ordonnances qu'ils estiment propres à sauvegarder les droits des parties.
Ils ne peuvent être poursuivis en justice en raison d'un acte accompli de bonne foi dans l'exercice de leurs fonctions.
[51] L’article
[52] L’article
[53] Le nouveau Code de procédure civile est entré en vigueur le 1er janvier 2016.
[54] Ses dispositions préliminaires indiquent :
« Code de procédure civile
DISPOSITION PRÉLIMINAIRE
Le Code de procédure civile établit les principes de la justice civile et régit, avec le Code civil et en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12) et les principes généraux du droit, la procédure applicable aux modes privés de prévention et de règlement des différends lorsque celle-ci n’est pas autrement fixée par les parties, la procédure applicable devant les tribunaux de l’ordre judiciaire de même que la procédure d’exécution des jugements et de vente du bien d’autrui.
Le Code vise à permettre, dans l’intérêt public, la prévention et le règlement des différends et des litiges, par des procédés adéquats, efficients, empreints d’esprit de justice et favorisant la participation des personnes. Il vise également à assurer l’accessibilité, la qualité et la célérité de la justice civile, l’application juste, simple, proportionnée et économique de la procédure et l’exercice des droits des parties dans un esprit de coopération et d’équilibre, ainsi que le respect des personnes qui apportent leur concours à la justice.
Enfin, le Code s’interprète et s’applique comme un ensemble, dans le respect de la tradition civiliste. Les règles qu’il énonce s’interprètent à la lumière de ses dispositions particulières ou de celles de la loi et, dans les matières qui font l’objet de ses dispositions, il supplée au silence des autres lois si le contexte le permet. »
[55] Ainsi, le Titre II du Code
de procédure civile prévoit les principes de la procédure applicable devant
les tribunaux de l’ordre judiciaire et retrouve-t-on aux articles
17. Le tribunal ne peut se prononcer sur une demande ou, s’il agit d’office, prendre une mesure qui touche les droits d’une partie sans que celle-ci ait été entendue ou dûment appelée.
Dans toute affaire contentieuse, les tribunaux doivent, même d’office, respecter le principe de la contradiction et veiller à le faire observer jusqu’à jugement et pendant l’exécution. Ils ne peuvent fonder leur décision sur des moyens que les parties n’ont pas été à même de débattre.
18. Les parties à une instance doivent respecter le principe de proportionnalité et s’assurer que leurs démarches, les actes de procédure, y compris le choix de contester oralement ou par écrit, et les moyens de preuve choisis sont, eu égard aux coûts et au temps exigé, proportionnés à la nature et à la complexité de l’affaire et à la finalité de la demande.
Les juges doivent faire de même dans la gestion de chacune des instances qui leur sont confiées, et ce, quelle que soit l’étape à laquelle ils interviennent. Les mesures et les actes qu’ils ordonnent ou autorisent doivent l’être dans le respect de ce principe, tout en tenant compte de la bonne administration de la justice.
19. Les parties à une instance ont, sous réserve du devoir des tribunaux d’assurer la saine gestion des instances et de veiller à leur bon déroulement, la maîtrise de leur dossier dans le respect des principes, des objectifs et des règles de la procédure et des délais établis.
Elles doivent veiller à limiter l’affaire à ce qui est nécessaire pour résoudre le litige et elles ne doivent pas agir en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive ou déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi.
Elles peuvent, à tout moment de l’instance, sans pour autant qu’il y ait lieu d’en arrêter le cours, choisir de régler leur litige en ayant recours à un mode privé de prévention et de règlement des différends ou à la conciliation judiciaire; elles peuvent aussi mettre autrement fin à l’instance.
20. Les parties se doivent de coopérer notamment en s’informant mutuellement, en tout temps, des faits et des éléments susceptibles de favoriser un débat loyal et en s’assurant de préserver les éléments de preuve pertinents.
Elles doivent notamment, au temps prévu par le Code ou le protocole de l’instance, s’informer des faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions et des éléments de preuve qu’elles entendent produire.
[56] Il est intéressant de reprendre le commentaire de la ministre de la Justice au sujet de l’article 20 précité[15] :
« Cet article exprime une autre facette du devoir de coopération des parties; il reprend une règle actuellement implicite du droit procédurale qui fonde plusieurs dispositions relatives à la divulgation de la preuve. »
[57] À ces dispositions s’ajoutent aussi celles contenues au Chapitre III du Titre III du Code de procédure civile intitulé « La communication et la production des pièces et des autres éléments de preuve », dont les articles 247 à 250 :
247. Les pièces au soutien de la demande en justice sont indiquées au défendeur dans l’avis d’assignation; celles au soutien d’un acte de procédure le sont dans celui-ci ou dans un avis qui y est joint.
Aucun avis n’est requis si une copie des pièces a été remise aux autres parties au moment de la notification de la demande ou de l’acte.
248. La partie qui entend invoquer à l’instruction un élément de preuve en sa possession le communique aux autres parties au plus tard avec la déclaration qui accompagne la demande d’inscription. Elle en est dispensée s’il s’agit d’une pièce au soutien d’un acte de procédure ou si le protocole de l’instance en dispose autrement. Dans les autres cas, la communication est faite dans les 30 jours qui suivent l’ordonnance d’inscription ou la fixation de la date de l’instruction, à moins que le tribunal n’ait fixé un autre délai.
La partie qui omet de communiquer ses éléments de preuve ne peut les produire lors de l’instruction si ce n’est qu’avec l’autorisation du tribunal.
249. La partie qui ne peut remettre à la partie qui le demande copie d’une pièce ou d’un autre élément de preuve, en raison de leur nature ou des circonstances, est tenue d’y donner accès par un autre moyen.
En cas de désaccord entre elles, les parties peuvent soumettre à la décision du juge les modalités et le délai de communication de ces pièces et éléments de preuve.
250. À moins que les pièces et les autres éléments de preuve n’aient déjà été produits au greffe du tribunal en vue de la conférence préparatoire à l’instruction, les parties les produisent, au moins 15 jours avant la date fixée pour l’instruction; ce délai est d’au moins trois jours à l’avance si la date de l’instruction est fixée à moins de 15 jours. Cependant, dans tous les cas, le tribunal peut demander que les pièces et les autres éléments de preuve lui soient remis dans le délai qu’il indique.
Lorsqu’il y a traitement de l’affaire inscrite par suite du défaut du défendeur, les pièces et les autres éléments de preuve sont produits avec la demande d’inscription pour jugement.
[58] Et bien sûr, lors de
l’application des dispositions du Code civil du Québec, dont les
articles
« Code civil du Québec
DISPOSITION PRÉLIMINAIRE
Le Code civil du Québec régit, en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12) et les principes généraux du droit, les personnes, les rapports entre les personnes, ainsi que les biens.
Le code est constitué d’un ensemble de règles qui, en toutes matières auxquelles se rapportent la lettre, l’esprit ou l’objet de ses dispositions, établit, en termes exprès ou de façon implicite, le droit commun. En ces matières, il constitue le fondement des autres lois qui peuvent elles-mêmes ajouter au code ou y déroger. »
[59] Doivent également être
considérés les articles
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
2805. La bonne foi se présume toujours, à moins que la loi n'exige expressément de la prouver.
2811. La preuve d'un acte juridique ou d'un fait peut être établie par écrit, par témoignage, par présomption, par aveu ou par la présentation d'un élément matériel, conformément aux règles énoncées dans le présent livre et de la manière indiquée par le Code de procédure civile (chapitre C-25.01) ou par quelque autre loi.
[60] Les règles de l’administration et la recevabilité de la preuve sont détaillées au Livre 7 du Code civil du Québec, intitulé « De la preuve », traitant notamment des règles de la preuve, du traitement de celles-ci, des différents moyens de preuve, de leur recevabilité et de la détermination du fardeau de la preuve, auxquels les articles 75, 76 et 77 de la Loi sur la Régie du logement[16] s’ajoutent.
[61] La Charte des droits et libertés de la personne[17] prévoit aux articles 23 :
23. Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu’il s’agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle.
Le tribunal peut toutefois ordonner le huis clos dans l’intérêt de la morale ou de l’ordre public
[62] Bref, même si la Loi sur la Régie du logement[18] et son Règlement sur la procédure devant la Régie du logement[19] n’exigent pas la production des pièces avant l’audience ni n’exigent spécifiquement la transmission des pièces, les principes de justice naturelle et d’équité procédurale établis par la jurisprudence ainsi que le principe du droit à une défense pleine et entière et les différentes règles légales ci-dessus explicitées s’appliquent en l’instance et le Tribunal doit en assurer le respect.
[63] En conséquence, le Tribunal peut exiger des documents pour compléter leur étude et apprécier la preuve ainsi que la contre-preuve qui peut être présentée par la suite. Il peut rendre des ordonnances visant à assurer le bon déroulement d’une audience et le respect du droit de chacune des parties. Il peut notamment assurer le droit d’une partie à une communication adéquate des preuves concernant des éléments pertinents au litige, tels en l’instance l’établissement prépondérant des revenus non résidentiels provenant de la location de locaux à bureaux ou de commerces, ainsi que des dépenses alléguées. Rappelons que ces documents sont le fondement même de la preuve considérée par le Tribunal pour établir l’ajustement du loyer, c’est donc dire leur importance capitale en l’espèce.
[64] Il est donc faux de prétendre que c’est exclusivement durant l’audience que la partie adverse peut voir les documents présentés devant le Tribunal. Si cela s’avère requis pour assurer le droit à une défense pleine et entière et le droit à une audition équitable et par les dispositions législatives mentionnées, cette partie peut obtenir copies des documents avant audience. Il en va du respect de la justice naturelle.
[65] Le Tribunal doit donc,
en l’instance, considérer l’importance du pourcentage d’augmentation de loyer
en jeu, l’ampleur de la preuve documentaire concernant le cœur même du litige,
soit les revenus et les dépenses. Il doit aussi considérer toutes les règles
précitées sur la justice naturelle de même que l’article
[66] De tout ceci et du refus de la locatrice de produire les baux commerciaux au Tribunal et de permettre aux locataires l’accès par copies ou photos des documents qu’elle entend présenter au Tribunal pour étayer les preuves de ses revenus et de ses dépenses, les locataires n’ont pu et ne peuvent se préparer une défense adéquate, et ne pouvaient valablement le faire simplement en regardant et prenant des notes des documents lors de la rencontre au bureau de la locatrice.
[67] CONSIDÉRANT que les obligations des dirigeants de la locatrice envers ses actionnaires ne justifient aucunement le Tribunal de ne pas assurer le respect des droits des locataires à l’application des règles de justice naturelle;
[68] CONSIDÉRANT donc que le droit à une défense pleine et entière et aux règles de justice naturelle est compromis en raison du refus de la locatrice de permettre aux locataires de prendre des photos pour obtenir photocopies des pièces documentaires qu’elle présente au Tribunal et de leur présenter les baux commerciaux;
[69] CONSIDÉRANT que la locatrice a été requise par le Tribunal de lui fournir les baux des locataires des locaux non résidentiels pour la reprise de l’audience afin de supporter le montant indiqué pour ce chapitre à son formulaire de fixation de loyer (RN), ces revenus étant expressément contestés par les locataires, et que la locatrice ne les a pas apportés à la reprise de l’audience du 6 mai 2019 et ne les a pas présentés non plus au Tribunal;
[70] CONSIDÉRANT l’absence de preuve prépondérante quant aux revenus non résidentiels de décembre 2013;
[71] CONSIDÉRANT donc que le Tribunal est dans l’impossibilité de procéder au calcul de l’augmentation du loyer puisque dans l’impossibilité d’établir la quote-part du logement dont on demande l’ajustement;
[72] CONSIDÉRANT le maintien du refus de la locatrice à ce que les locataires puissent prendre copies ou photos de tout ou partie des preuves documentaires, et même à voir les baux commerciaux;
[73] CONSIDÉRANT l’absence de preuve justifiant une condamnation des locataires aux frais introductifs de la demande;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[74] REJETTE la demande de la locatrice;
[75] La locatrice assume les frais de la demande.
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Me Nathalie Bousquet, greffière spéciale |
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Présence(s) : |
Me Roxane Hardy, avocate de la locatrice |
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Dates des audiences : |
28 septembre 2018 et 6 mai 2019 |
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Société en commandite Cap Reit c. Tremblay |
2019 QCRDL 25597 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau de Montréal |
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No dossier: |
181591 31 20141024 F |
No demande: |
1605306 |
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RN :
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2601359
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Date : |
02 août 2019 |
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Greffière spéciale : |
Me Nathalie Bousquet |
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Société en commandite CAPREIT |
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Locatrice - Partie demanderesse |
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c. |
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Denise Tremblay |
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Locataire - Partie défenderesse |
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DÉCISION
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[1] La
locatrice a produit une demande de fixation de loyer en vertu de l’article
[2] En vertu de l’article 57 de la Loi sur la Régie du logement[20], les dossiers concernant 31 logements de cet immeuble sont réunis pour l’audition.
[3] Les parties en l’instance sont liées par un bail du 1er mars 2014 au 28 février 2015, à un loyer mensuel de 1 338 $, incluant un espace de stationnement.
[4] Le logement en l’instance est situé dans un immeuble comportant 980 unités résidentielles et 52 locaux non résidentiels, pour lequel plus de 8 millions de dépenses engendrées pour avoir effectué des réparations majeures alléguées.
L’ajustement du loyer
[5] En matière de location résidentielle, le Code civil du Québec a ajouté des règles supplémentaires, dont le principe fondamental est le droit au maintien dans les lieux pour un locataire.
[6] L’article
[7] Suivant ce Règlement, l’ajustement du loyer est déterminé selon la méthode générale de fixation du loyer qui prévoit un calcul fait en fonction de certaines dépenses précises encourues par le locateur durant l’année de référence, notamment de la variation des taxes municipales, des taxes scolaires et des assurances, les coûts encourus pour les frais d’énergie, les frais d’entretien ainsi que les dépenses pour les réparations majeures et en tenant compte de la part attribuable du logement.
[8] Les règles de la fixation du loyer prévoient un traitement différent selon qu’il s’agisse d’une dépense de la nature de l’entretien, d’une amélioration majeure ou d’une réparation majeure. Il s’agit de notions distinctes auxquelles le Règlement sur les critères sur la fixation du loyer prévoit des traitements différents et un pourcentage différent.
[9] Les frais d’entretien sont des réparations usuelles, récurrentes, qui visent à entretenir l’immeuble, à l’extérieur tout comme à l’intérieur, que ce soit dans les aires communes ou privatives. Un décret annuel prévoit un pourcentage de récupération, divisé ensuite par la quote-part de chacun des logements, puis divisé sur 12 mois (total de l’année des frais d’entretien x le pourcentage autorisé par décret, multiplié à nouveau par la quote-part du logement concerné, puis divisé sur 12 mois).
[10] Dans le cas de réparations effectuées dans les logements, elles sont réparties en fonction de la nature et de l’ampleur des réparations et/ou rénovations afin de déterminer si de fait, certaines de ces réparations peuvent constituer une amélioration majeure pour un logement en particulier ou s’il ne s’agit que de réparations légères qui alors sont de la nature d’un entretien.
[11] Ainsi, une remise en bon état d’un logement, même partielle, où quelques milliers de dollars peuvent facilement y avoir été dépensés en matériaux divers et en main-d’œuvre, peut, en certains cas, constituer une amélioration majeure pour un logement. En ce cas, seul ce logement subira une hausse de loyer sur ces dépenses, les autres logements de l’immeuble ne subiront pas de hausse pour les améliorations majeures effectuées dans d’autres logements. Les logements qui n’ont pas bénéficié de telles réparations constituant une amélioration majeure pour un logement particulier n’ont pas à subir une augmentation sur leur loyer qui tiendrait compte des dépenses ayant constitué une amélioration pour un autre logement.
[12] Les réparations majeures qui s’appliquent à l’ensemble de toutes les unités de l’immeuble sont celles qui concernent par exemple la structure de l’immeuble, telle la réfection d’un mur de briques, de la toiture, du remplacement d’un drain français, lesquelles sont alors prises en compte pour tous les logements, selon le pourcentage attribué par décret et ensuite calculé sur la quote-part du logement.
[13] Tout ce processus légal est aussi régi par plusieurs autres dispositions législatives dont le Tribunal fera état après la mise en contexte des faits.
Faits contextuels
[14] En l’instance, il s’agit d’une demande afin de faire ajuster le loyer pour le renouvellement du bail de la période de 2014-2015, dont l’année de référence pour les dépenses est 2013. Une seule journée avait été prévue pour l’audience sur ces demandes. Or, les dossiers concernés pour la fixation de loyer de la période 2015-2016 avaient aussi été convoqués devant le Tribunal et ils ont donc dû être reportés par le Tribunal puisqu’il faut préalablement déterminer les loyers de la période de 2014-2015.
[15] Les demandes de modification du bail de la locatrice pour la fixation de la période de 2014-2015 ont donc été produites pour la plupart en 2014. Le Formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer (RN) a été produit le jour même de l’audience, soit le 28 septembre 2018. Les locataires n’ont pas eu accès aux pièces que la locatrice présentera au Tribunal au soutien de sa demande visant à obtenir une augmentation de loyer. Il est utile de préciser qu’il s’agit d’un immeuble comportant 980 logements résidentiels et 52 locaux non résidentiels, avec des réparations majeures alléguées, pour l’année 2013, à plus de 8 millions de dollars.
[16] C’est donc dans ce contexte que le procureur de plusieurs des locataires a présenté une requête verbale visant à ce que le Tribunal rejette la demande de modification des conditions du bail 2014-2015 pour délai déraisonnable de la production en audience du Formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer et compte tenu que la locatrice n’a pas donné accès aux documents à être présentés en audience malgré les lettres qui lui ont été adressées.
[17] La locatrice a effectivement fait défaut de produire le Formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer dans le délai prévu par le Règlement de procédure devant la Régie du logement[22] et a omis de transmettre copies des pièces au procureur des locataires malgré ses demandes, le Tribunal a rejeté la requête visant à faire rejeter la demande en modification du bail de la locatrice. Il a été tenu compte notamment de l’ampleur de la preuve, du temps nécessaire pour préparer les pièces, de la complexité des dossiers de fixation de loyer, le tout sous réserve des droits des locataires à accéder aux documents pour préparer adéquatement leur défense. Il ne faut pas oublier que la forme (la procédure) ne peut l’emporter sur le fond et que le Tribunal entendait s’assurer que les locataires puissent être outillés pour faire leur défense, étant évident que des journées supplémentaires d’audience seraient nécessaires et qu’il s’écoulerait plusieurs mois avant que l’audience puisse reprendre.
[18] Puisque les locataires ont contesté les revenus déclarés par la locatrice provenant des espaces commerciaux et des bureaux et commerces loués eu égard aux montants déclarés par la locatrice au Formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer (RN) en comparaison avec les revenus et les nombres de locaux déclarés sur des RN de d’autres années et aussi en raison du nombre de pieds carrés des espaces commerciaux, le Tribunal a requis de la locatrice de lui produire les baux commerciaux avec la liste détaillée des locataires commerciaux et leur loyer respectif de décembre 2013 pour la prochaine audience.
[19] De même, toujours en vue de permettre aux locataires de se constituer une défense et de pouvoir, le cas échéant, présenter des contre-preuves ainsi que de pouvoir préciser les documents et les dépenses précises qui seraient contestés, le Tribunal a suggéré à la locatrice de laisser les locataires emporter avec eux les cartables comprenant les factures que la locatrice avait préparés pour leur permettre de suivre la présentation de sa preuve pour l’audience, les objectifs étant de permettre d’une part aux locataires de se constituer une défense, de favoriser une meilleure gestion de l’instance, de circonscrire les débats et d’assurer une meilleure administration de la justice. Pour ces mêmes motifs, le Tribunal a aussi requis de la locatrice de préparer une ventilation des dépenses d’entretien.
[20] La locatrice a refusé de permettre aux locataires d’emporter lesdits cartables.
[21] Le Tribunal a rejeté l’objection de la procureure de la locatrice qui a soumis ne pas avoir le consentement des dirigeants de la locatrice pour montrer ces baux et même pour permettre aux locataires d’avoir copies de ces preuves documentaires. Elle a aussi mentionné qu’auparavant aucun greffier n’avait requis de la locatrice de lui produire ces baux, outre le fait que les locataires commerciaux n’ont pas consenti et n’apprécieraient pas de savoir que les locataires peuvent connaître le prix de la location de leurs locaux.
[22] Le calcul de l’ajustement de chacun des loyers s’effectue en tenant compte au préalable de l’établissement de la quote-part du logement dans l’immeuble. L’établissement de cette quote-part du loyer répond à la formule suivante : le loyer mensuel du logement dont on demande l’ajustement (incluant les services, que ceux-ci soient partie au bail ou prévus dans un autre contrat) pour le mois de décembre, divisé par le total de tous les autres loyers payables pour les unités résidentielles et les unités non résidentielles pour le mois de décembre, (incluant les services, que ceux-ci soient partie au bail ou prévus dans un autre contrat) et tenant compte aussi de la valeur objective des unités vacantes au mois de décembre et des autres revenus provenant de l’exploitation de l’immeuble (divisés par 12 mois), le tout ensuite rapporté sur 100, nous donne ainsi la quote-part de chacun des logements à ajuster. D’où l’importance de l’établissement de la preuve à l’égard des revenus puisque plus les revenus locatifs sont élevés, moins sera grande la quote-part du logement dans les dépenses et moins sera alors élevé le montant de l’ajustement mensuel de loyer.
[23] S’agissant donc d’un élément essentiel au litige et au calcul à effectuer, le Tribunal a donc maintenu cette demande afin que la locatrice produise copies de ces baux au Tribunal à la prochaine date d’audience à être fixée.
[24] Aussi, pour éviter que des ajournements soient demandés par une partie pour étudier plus avant des preuves dont elle n’aurait eu accès qu’au jour même de l’audience, et lui permettre de préparer adéquatement sa défense et des contre-preuves sur la preuve présentée, il est préférable que les documents soient transmis à l’autre partie dans un délai raisonnable avant l’audience.
[25] Le Tribunal a donc émis une ordonnance afin de permettre aux locataires de voir tous les documents qui seraient présentés en audience au soutien des demandes de modification de bail de la locatrice et afin de préparer des contre-preuves et leur défense. Pour ce faire, cinq jours avaient été prévus, selon les disponibilités des parties, du 14 au 18 janvier dans les locaux de la locatrice.
[26] Il est pertinent de préciser que le Tribunal a choisi ce mode en raison même du refus de la locatrice de permettre aux locataires d’emporter les divers cartables contenant copies des documents qu’elle entendait présenter au Tribunal, la procureure affirmant ne pas avoir à ce stade le consentement de la locatrice pour ce faire.
[27] Il faut comprendre que lorsqu’une partie présente des preuves devant le Tribunal, elle renonce de ce fait à la confidentialité et ne peut légalement en l’instance justifier de restreindre l’accès et la transmission des documents soumis au Tribunal au soutien de sa demande.
[28] Tel que précisé par le Bureau de Révision de la Régie du logement[23], dans le processus de la fixation du loyer, la greffière spéciale est chargée de présider l’audience sur la fixation du loyer :
« Cette appréciation est laissée à la
discrétion du Tribunal, guidée en cela par les articles
C’est à l'audience que l'examen de ces pièces est effectué par la greffière spéciale. Comme il appartient au locateur de prouver que son augmentation est justifiée, il doit produire toutes les pièces justificatives requises et toutes ses factures. (Notre soulignement)
(…)
Enfin, les articles
« 75. Sous réserve des articles 76 et 77, le Livre septième du Code civil s'applique à la preuve faite devant la Régie. »
« 76. Peut se prouver par la production d'une copie qui en tient lieu si le régisseur est satisfait de sa véracité :
1° un acte juridique constaté dans un écrit; ou
2° le contenu d'un écrit autre qu'authentique.
Toutefois, la preuve peut être faite par tout moyen lorsqu'une partie établit que, de bonne foi, elle ne peut produire l'original de l'écrit, non plus que toute copie qui en tient lieu. »
« 77. Une partie peut administrer une preuve testimoniale :
1. Même pour contredire ou changer les termes d'un écrit, lorsqu'elle veut prouver que la présente loi n'a pas été respectée;
2. Si elle veut prouver que le loyer effectivement payé n'est pas celui qui apparaît au bail;
3. Si elle veut interpréter ou compléter un écrit. »
Ainsi, le locateur produit ses documents qui sont analysés et évalués par la greffière spéciale en tenant compte des règles déjà citées. Puis, le locateur complète cette preuve documentaire par son témoignage sous serment. Il apporte ainsi toutes les explications pertinentes à l'appui de ses factures. À tout moment, la greffière spéciale peut décider qu'un document n'est pas admissible parce que peu fiable ou non justifié; elle peut exiger une preuve supplémentaire ou se satisfaire de ce qui est produit. » (Notre soulignement)
______________________________________
(2) R.R.Q. c. R-8.1, r. 5.
(3) L.R.Q. c. R-8.1.
[29] Ainsi l’on comprend que le Tribunal peut exiger la production de documents afin de compléter et d’apprécier la preuve à leur égard ainsi que la contre-preuve qui peut être présentée par la suite. Cela ne signifie donc pas que le droit des locataires de pouvoir se constituer une défense pleine et entière soit limité et qu’ils n’aient pas le droit d’obtenir copies au préalable desdits documents que la partie adverse entend présenter au Tribunal.
[30] Même si la Loi sur la Régie du logement[24] et son Règlement sur la procédure devant la Régie du logement[25] n’exigent pas la production des pièces avant l’audience ni n’exigent la dénonciation ou la transmission des pièces, le principe du droit à une défense pleine et entière prévu par la Charte québécoise des Droits et Libertés[26] prône tout autant que les principes de justice naturelle et du droit d’être entendu[27] et s’appliquent en l’instance de même que toutes les dispositions légales mentionnées ci-après.
[31] À la reprise de
l’audience le 6 mai 2019, le Tribunal a refusé d’accepter la représentation
d’une locataire à titre de mandataire pour l’un de ses voisins, car en effet,
la présentation d’un mandat émis par le mandant désignant le conjoint de la
locataire ne rencontre manifestement pas les dispositions légales prévues au
Chapitre du mandat au Code civil du Québec non plus que
l’article
[32] Les locataires ont ensuite demandé au Tribunal de citer la locatrice pour outrage au Tribunal pour ne pas avoir respecté la durée et les journées déterminées pour la divulgation de la preuve, le lieu prévu et le fait qu’il leur a été impossible de préparer adéquatement leur défense puisqu’un agent de sécurité les a empêchés de pouvoir prendre des photos des documents qu’ils souhaitaient étudier.
[33] La procureure explique qu’elle n’a pas obtenu le consentement de la locatrice pour permettre la remise des copies des documents ou de permettre la prise de photos de ceux-ci, mais qu’elle leur a permis de venir consulter sur place les divers documents et que ceux-ci étaient disponibles sur les tables.
[34] Le Tribunal ne peut accorder cette demande des locataires quant à la citation pour outrage au tribunal. En effet, il faut distinguer les outrages commis en audience directement devant le Tribunal de ceux commis par action à l’extérieur du Tribunal. Il est fermement établi depuis longue date par la Cour suprême, dans la cause Radio-Canada c. Commission de police de Québec[28] : « par l’opinion apparemment unanime, ancienne et constante d’un grand nombre de juges et d’auteurs », que le pouvoir inhérent de punir les outrages ex facie appartient exclusivement aux tribunaux supérieurs.
[35] Ne s’agissant donc pas en l’instance de faits qui auraient été commis directement devant le Tribunal lors de l’audience, il n’appartient pas au tribunal de la Régie du logement, mais bel et bien à la Cour supérieure d’évaluer s’il y a lieu de citer pour outrage la locatrice et ensuite de recevoir et d’évaluer les preuves quant à la commission de l’actus réus et la preuve de la mens réa selon le fardeau de la preuve établie hors de tout doute raisonnable puisqu’une telle procédure n’est pas de nature civile, mais bien pénale.
[36] Les locataires soulèvent qu’ils n’ont pas pu préparer leur défense pleine et entière compte tenu qu’il leur a été impossible de pouvoir analyser adéquatement les documents consultés lors de la rencontre et l’un des locataires qui a pris une photo d’une facture avant de se faire interdire de prendre des photos fait valoir que celle-ci ne correspond pas aux montants indiqués dans la liste d’addition des factures et qu’en conséquence les listes et les totaux indiqués ne font pas fiables.
[37] La procureure de la locatrice explique que sa cliente ne peut permettre aux locataires d’obtenir copies des documents au motif que la compagnie détentrice de la compagnie locatrice émet des actions publiques. Elle invoque donc la règle de la « privacy policy » pour justifier son refus de remettre copies des pièces aux locataires, précisant donc qu’elle ne peut risquer que des informations se retrouvent divulguées ou publicisées dans les médias sociaux, ce qui irait à l’encontre de cette « privacy policy » et qu’elle n’a pas le consentement des investisseurs et actionnaires pour ce faire.
[38] Pour ces mêmes raisons, elle ne peut présenter au Tribunal les baux des commerces et ne les a d’ailleurs pas apportés au Tribunal, malgré la demande du Tribunal du 28 septembre 2018, se contentant de vouloir présenter le « ledger » (document utilisé en comptabilité). Aucune disposition légale n’est plaidée ni aucune jurisprudence produite pour étayer et appuyer les positions de la locatrice de refuser de les produire au Tribunal.
[39] Le Tribunal a informé les parties de l’impasse devant laquelle il se trouve, soit le droit des locataires de pouvoir préparer adéquatement une défense pleine et entière opposant les devoirs ou obligations de la locatrice envers ses actionnaires, lesquels, en l’absence d’une disposition légale particulière, ne peuvent justifier de restreindre les droits des locataires à avoir copies ou photos des documents, dont les factures et les baux des locataires non résidentiels, afin de se préparer une défense pleine et entière.
[40] Le Tribunal a donc suggéré à la locatrice d’émettre une ordonnance précise aux locataires leur interdisant de diffuser et de divulguer quelque contenu que ce soit des documents et de lui permettre de caviarder des informations sensibles, mais la procureure a choisi que le Tribunal rende décision bien que le Tribunal ait informé les parties qu’il n’y a pas d’autre option que de rejeter la demande de la locatrice.
[41] Malgré les efforts du Tribunal pour amener les parties à un consensus qui s’est avéré au final impossible, chacune des parties demeure avec la même position : soit le refus par la locatrice de remettre des copies des documents et de permettre aux locataires de faire des photos des documents mis en preuve en raison du « privacy policy », insistant sur le fait qu’elle a préparé des cartables contenant des copies de ces documents pour être vus par les locataires durant l’audience et qu’ils ont été mis disponibles pour consultation par les locataires à son bureau durant trois jours au lieu des cinq journée prévues par le Tribunal, et pour les locataires, soit l’impossibilité dans les circonstances de pouvoir aménager convenablement une défense quant aux revenus déclarés et quant aux nombreuses et importantes réparations majeures alléguées au Formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer de plus de 8 millions de dollars.
Le droit
[42] Dans le cadre du processus de fixation du loyer, tel que mentionné, la locatrice doit démontrer au Tribunal, par prépondérance de preuve, les revenus et la valeur objective relatifs à toutes les unités, résidentielles ou commerciales, des autres revenus provenant de l’exploitation de l’immeuble, de même que la preuve des dépenses alléguées en lui présentant tous les documents, factures et autres pièces justificatives requises, bref, de tous les éléments prévus audit Règlement sur les critères sur la fixation du loyer mentionné précédemment.
[43] Les locataires peuvent présenter leurs propres preuves et faire des contre-preuves des éléments présentés par la locatrice.
[44] Le tout s’effectue en audience, les parties ayant été dûment convoquées et alors les deux parties ont donc la possibilité de faire valoir leur droit par procédure légale en conformité de toutes les règles applicables.
[45] D’ailleurs la Cour suprême[29] a déjà précisé :
« Le contenu des principes de justice naturelle et d’équité applicables aux cas individuels variera selon les circonstances de chacun cas… En conclusion, la simple question à laquelle il faut répondre est celle-ci : compte tenu des faits de ce cas particulier, le tribunal a-t-il agi équitablement à l’égard de la personne qui se prétend lésée ? Il me semble que c’est la question sous-jacente à laquelle les cours ont tenté de répondre dans toutes les affaires concernant la justice naturelle et l’équité. »
[46] La Cour suprême a aussi déterminé que le manquement à une audition équitable n’a pas besoin d’être important pour constituer un excès de juridiction[30] :
« J’estime nécessaire d’affirmer que la négation du droit à une audience équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l’audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n’appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d’hypothèse sur ce qu’aurait pu être le résultat de l’audition. »
[47] Quant aux obligations
de divulgation des preuves prévues par exemple à l’ancien article
« Le principe général posé à l’article
[48] En l’instance, les copies des pièces demandées sont celles qui seront produites au Tribunal pour servir la preuve des revenus et des dépenses, à partir desquels tout le calcul de l’ajustement du loyer sera effectué. Force est donc de constater que tous ces documents sont pertinents tant pour l’établissement de la preuve, mais aussi pour l’établissement d’une défense.
[49] Par ailleurs, plusieurs dispositions légales reflètent tous ces principes et définissent davantage leur mise en application.
[50] L’article 9.8 de Loi sur la Régie du logement[32] prévoit que :
9.8. La Régie et ses régisseurs sont investis des pouvoirs et immunités d'un commissaire nommé en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête (chapitre C-37), sauf du pouvoir d'imposer une peine d'emprisonnement.
Ils ont en outre tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de leurs fonctions; ils peuvent notamment rendre toutes les ordonnances qu'ils estiment propres à sauvegarder les droits des parties.
Ils ne peuvent être poursuivis en justice en raison d'un acte accompli de bonne foi dans l'exercice de leurs fonctions.
[51] L’article
[52] L’article
[53] Le nouveau Code de procédure civile est entré en vigueur le 1er janvier 2016.
[54] Ses dispositions préliminaires indiquent :
« Code de procédure civile
DISPOSITION PRÉLIMINAIRE
Le Code de procédure civile établit les principes de la justice civile et régit, avec le Code civil et en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12) et les principes généraux du droit, la procédure applicable aux modes privés de prévention et de règlement des différends lorsque celle-ci n’est pas autrement fixée par les parties, la procédure applicable devant les tribunaux de l’ordre judiciaire de même que la procédure d’exécution des jugements et de vente du bien d’autrui.
Le Code vise à permettre, dans l’intérêt public, la prévention et le règlement des différends et des litiges, par des procédés adéquats, efficients, empreints d’esprit de justice et favorisant la participation des personnes. Il vise également à assurer l’accessibilité, la qualité et la célérité de la justice civile, l’application juste, simple, proportionnée et économique de la procédure et l’exercice des droits des parties dans un esprit de coopération et d’équilibre, ainsi que le respect des personnes qui apportent leur concours à la justice.
Enfin, le Code s’interprète et s’applique comme un ensemble, dans le respect de la tradition civiliste. Les règles qu’il énonce s’interprètent à la lumière de ses dispositions particulières ou de celles de la loi et, dans les matières qui font l’objet de ses dispositions, il supplée au silence des autres lois si le contexte le permet. »
[55] Ainsi, le Titre II du Code
de procédure civile prévoit les principes de la procédure applicable devant
les tribunaux de l’ordre judiciaire et retrouve-t-on aux articles
17. Le tribunal ne peut se prononcer sur une demande ou, s’il agit d’office, prendre une mesure qui touche les droits d’une partie sans que celle-ci ait été entendue ou dûment appelée.
Dans toute affaire contentieuse, les tribunaux doivent, même d’office, respecter le principe de la contradiction et veiller à le faire observer jusqu’à jugement et pendant l’exécution. Ils ne peuvent fonder leur décision sur des moyens que les parties n’ont pas été à même de débattre.
18. Les parties à une instance doivent respecter le principe de proportionnalité et s’assurer que leurs démarches, les actes de procédure, y compris le choix de contester oralement ou par écrit, et les moyens de preuve choisis sont, eu égard aux coûts et au temps exigé, proportionnés à la nature et à la complexité de l’affaire et à la finalité de la demande.
Les juges doivent faire de même dans la gestion de chacune des instances qui leur sont confiées, et ce, quelle que soit l’étape à laquelle ils interviennent. Les mesures et les actes qu’ils ordonnent ou autorisent doivent l’être dans le respect de ce principe, tout en tenant compte de la bonne administration de la justice.
19. Les parties à une instance ont, sous réserve du devoir des tribunaux d’assurer la saine gestion des instances et de veiller à leur bon déroulement, la maîtrise de leur dossier dans le respect des principes, des objectifs et des règles de la procédure et des délais établis.
Elles doivent veiller à limiter l’affaire à ce qui est nécessaire pour résoudre le litige et elles ne doivent pas agir en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive ou déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi.
Elles peuvent, à tout moment de l’instance, sans pour autant qu’il y ait lieu d’en arrêter le cours, choisir de régler leur litige en ayant recours à un mode privé de prévention et de règlement des différends ou à la conciliation judiciaire; elles peuvent aussi mettre autrement fin à l’instance.
20. Les parties se doivent de coopérer notamment en s’informant mutuellement, en tout temps, des faits et des éléments susceptibles de favoriser un débat loyal et en s’assurant de préserver les éléments de preuve pertinents.
Elles doivent notamment, au temps prévu par le Code ou le protocole de l’instance, s’informer des faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions et des éléments de preuve qu’elles entendent produire.
[56] Il est intéressant de reprendre le commentaire de la ministre de la Justice au sujet de l’article 20 précité[34] :
« Cet article exprime une autre facette du devoir de coopération des parties; il reprend une règle actuellement implicite du droit procédurale qui fonde plusieurs dispositions relatives à la divulgation de la preuve. »
[57] À ces dispositions s’ajoutent aussi celles contenues au Chapitre III du Titre III du Code de procédure civile intitulé « La communication et la production des pièces et des autres éléments de preuve », dont les articles 247 à 250 :
247. Les pièces au soutien de la demande en justice sont indiquées au défendeur dans l’avis d’assignation; celles au soutien d’un acte de procédure le sont dans celui-ci ou dans un avis qui y est joint.
Aucun avis n’est requis si une copie des pièces a été remise aux autres parties au moment de la notification de la demande ou de l’acte.
248. La partie qui entend invoquer à l’instruction un élément de preuve en sa possession le communique aux autres parties au plus tard avec la déclaration qui accompagne la demande d’inscription. Elle en est dispensée s’il s’agit d’une pièce au soutien d’un acte de procédure ou si le protocole de l’instance en dispose autrement. Dans les autres cas, la communication est faite dans les 30 jours qui suivent l’ordonnance d’inscription ou la fixation de la date de l’instruction, à moins que le tribunal n’ait fixé un autre délai.
La partie qui omet de communiquer ses éléments de preuve ne peut les produire lors de l’instruction si ce n’est qu’avec l’autorisation du tribunal.
249. La partie qui ne peut remettre à la partie qui le demande copie d’une pièce ou d’un autre élément de preuve, en raison de leur nature ou des circonstances, est tenue d’y donner accès par un autre moyen.
En cas de désaccord entre elles, les parties peuvent soumettre à la décision du juge les modalités et le délai de communication de ces pièces et éléments de preuve.
250. À moins que les pièces et les autres éléments de preuve n’aient déjà été produits au greffe du tribunal en vue de la conférence préparatoire à l’instruction, les parties les produisent, au moins 15 jours avant la date fixée pour l’instruction; ce délai est d’au moins trois jours à l’avance si la date de l’instruction est fixée à moins de 15 jours. Cependant, dans tous les cas, le tribunal peut demander que les pièces et les autres éléments de preuve lui soient remis dans le délai qu’il indique.
Lorsqu’il y a traitement de l’affaire inscrite par suite du défaut du défendeur, les pièces et les autres éléments de preuve sont produits avec la demande d’inscription pour jugement.
[58] Et bien sûr, lors de
l’application des dispositions du Code civil du Québec, dont les
articles
« Code civil du Québec
DISPOSITION PRÉLIMINAIRE
Le Code civil du Québec régit, en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12) et les principes généraux du droit, les personnes, les rapports entre les personnes, ainsi que les biens.
Le code est constitué d’un ensemble de règles qui, en toutes matières auxquelles se rapportent la lettre, l’esprit ou l’objet de ses dispositions, établit, en termes exprès ou de façon implicite, le droit commun. En ces matières, il constitue le fondement des autres lois qui peuvent elles-mêmes ajouter au code ou y déroger. »
[59] Doivent également être
considérés les articles
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
2805. La bonne foi se présume toujours, à moins que la loi n'exige expressément de la prouver.
2811. La preuve d'un acte juridique ou d'un fait peut être établie par écrit, par témoignage, par présomption, par aveu ou par la présentation d'un élément matériel, conformément aux règles énoncées dans le présent livre et de la manière indiquée par le Code de procédure civile (chapitre C-25.01) ou par quelque autre loi.
[60] Les règles de l’administration et la recevabilité de la preuve sont détaillées au Livre 7 du Code civil du Québec, intitulé « De la preuve », traitant notamment des règles de la preuve, du traitement de celles-ci, des différents moyens de preuve, de leur recevabilité et de la détermination du fardeau de la preuve, auxquels les articles 75, 76 et 77 de la Loi sur la Régie du logement[35] s’ajoutent.
[61] La Charte des droits et libertés de la personne[36] prévoit aux articles 23 et 30 :
23. Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu’il s’agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle.
Le tribunal peut toutefois ordonner le huis clos dans l’intérêt de la morale ou de l’ordre public
30. Toute personne arrêtée ou détenue doit être promptement conduite devant le tribunal compétent ou relâchée.
[62] Bref, même si la Loi sur la Régie du logement[37] et son Règlement sur la procédure devant la Régie du logement[38] n’exigent pas la production des pièces avant l’audience ni n’exigent spécifiquement la transmission des pièces, les principes de justice naturelle et d’équité procédurale établis par la jurisprudence ainsi que le principe du droit à une défense pleine et entière et les différentes règles légales ci-dessus explicitées s’appliquent en l’instance et le Tribunal doit en assurer le respect.
[63] En conséquence, le Tribunal peut exiger des documents pour compléter leur étude et apprécier la preuve ainsi que la contre-preuve qui peut être présentée par la suite. Il peut rendre des ordonnances visant à assurer le bon déroulement d’une audience et le respect du droit de chacune des parties. Il peut notamment assurer le droit d’une partie à une communication adéquate des preuves concernant des éléments pertinents au litige, tels en l’instance l’établissement prépondérant des revenus non résidentiels provenant de la location de locaux à bureaux ou de commerces, ainsi que des dépenses alléguées. Rappelons que ces documents sont le fondement même de la preuve considérée par le Tribunal pour établir l’ajustement du loyer, c’est donc dire leur importance capitale en l’espèce.
[64] Il est donc faux de prétendre que c’est exclusivement durant l’audience que la partie adverse peut voir les documents présentés devant le Tribunal. Si cela s’avère requis pour assurer le droit à une défense pleine et entière et le droit à une audition équitable et par les dispositions législatives mentionnées, cette partie peut obtenir copies des documents avant audience. Il en va du respect de la justice naturelle.
[65] Le Tribunal doit donc,
en l’instance, considérer l’importance du pourcentage d’augmentation de loyer
en jeu, l’ampleur de la preuve documentaire concernant le cœur même du litige,
soit les revenus et les dépenses. Il doit aussi considérer toutes les règles précitées
sur la justice naturelle de même que l’article
[66] De tout ceci et du refus de la locatrice de produire les baux commerciaux au Tribunal et de permettre aux locataires l’accès par copies ou photos des documents qu’elle entend présenter au Tribunal pour étayer les preuves de ses revenus et de ses dépenses, les locataires n’ont pu et ne peuvent se préparer une défense adéquate, et ne pouvaient valablement le faire simplement en regardant et prenant des notes des documents lors de la rencontre au bureau de la locatrice.
[67] CONSIDÉRANT que les obligations des dirigeants de la locatrice envers ses actionnaires ne justifient aucunement le Tribunal de ne pas assurer le respect des droits des locataires à l’application des règles de justice naturelle;
[68] CONSIDÉRANT donc que le droit à une défense pleine et entière et aux règles de justice naturelle est compromis en raison du refus de la locatrice de permettre aux locataires de prendre des photos pour obtenir photocopies des pièces documentaires qu’elle présente au Tribunal et de leur présenter les baux commerciaux;
[69] CONSIDÉRANT que la locatrice a été requise par le Tribunal de lui fournir les baux des locataires des locaux non résidentiels pour la reprise de l’audience afin de supporter le montant indiqué pour ce chapitre à son formulaire de fixation de loyer (RN), ces revenus étant expressément contestés par les locataires, et que la locatrice ne les a pas apportés à la reprise de l’audience du 6 mai 2019 et ne les a pas présentés non plus au Tribunal;
[70] CONSIDÉRANT l’absence de preuve prépondérante quant aux revenus non résidentiels de décembre 2013;
[71] CONSIDÉRANT donc que le Tribunal est dans l’impossibilité de procéder au calcul de l’augmentation du loyer puisque dans l’impossibilité d’établir la quote-part du logement dont on demande l’ajustement;
[72] CONSIDÉRANT le maintien du refus de la locatrice à ce que les locataires puissent prendre copies ou photos de tout ou partie des preuves documentaires, et même à voir les baux commerciaux;
[73] CONSIDÉRANT l’absence de preuve justifiant une condamnation des locataires aux frais introductifs de la demande;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[74] REJETTE la demande de la locatrice;
[75] La locatrice assume les frais de la demande.
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Me Nathalie Bousquet, greffière spéciale |
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Présence(s) : |
Me Roxane Hardy, avocate de la locatrice |
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Dates des audiences : |
28 septembre 2018 et 6 mai 2019 |
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[1] RLRQ, Chapitre R-8.1.
[2] RLRQ, Chapitre R-8.1, r. 2.
[3] RLRQ c. R-8-1, r.5, art. 9.
[4] Haneef Begum Ghaznavi c. Habitation Rive-Sud et 8109664 Canada Inc., no : 31 110315 107 V 110912, Bureau de Révision de la Régie du logement, 21 mars 2013, Juges administratifs Francine Jodoin et Éric-Luc Moffatt.
[5] RLRQ. c. R-8.1.
[6] RLRQ. c. R-8.1, r. 5.
[7] RLRQ, c. C-12.
[8]
Harelkin c. Université de Régina,
[9]Radio-Canada
c. Commission de police de Québec,
[10]
Martineau c. Comité de discipline de l’institution de Matsqui (no. 2),
[11]
Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent,
[12]
Blaikie c. Commission des valeurs mobilières du Québec, [1985] 2 R.C.S.
Voir également : Westinghouse Canada Inc. c. Arkwright Boston
Manufacturers Mutuel Insurance Compagny
[13] RLRQ, Chapitre R-8.1.
[14]
Art
[15] Ministère de la Justice et SOQUIJ, Commentaires de la ministre de la Justice : Code de procédure civile, chapitre C-25.01, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, art. 20.
[16] Voir note 4.
[17] RLRQ, c. C-12.
[18] RLRQ. c. R-8.1.
[19] RLRQ. c. R-8.1, r.5.
[20] RLRQ, Chapitre R-8.1.
[21] RLRQ, Chapitre R-8.1, r. 2.
[22] RLRQ c. R-8-1, r.5, art. 9.
[23] Haneef Begum Ghaznavi c. Habitation Rive-Sud et 8109664 Canada Inc., no : 31 110315 107 V 110912, Bureau de Révision de la Régie du logement, 21 mars 2013, Juges administratifs Francine Jodoin et Éric-Luc Moffatt.
[24] RLRQ. c. R-8.1.
[25] RLRQ. c. R-8.1, r. 5.
[26] RLRQ, c. C-12.
[27]
Harelkin c. Université de Régina,
[28]Radio-Canada
c. Commission de police de Québec,
[29]
Martineau c. Comité de discipline de l’institution de Matsqui (no. 2),
[30]
Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent,
[31]
Blaikie c. Commission des valeurs mobilières du Québec, [1985] 2 R.C.S. Voir
également : Westinghouse Canada Inc. c. Arkwright Boston Manufacturers
Mutuel Insurance Compagny
[32] RLRQ, Chapitre R-8.1.
[33]
Art
[34] Ministère de la Justice et SOQUIJ, Commentaires de la ministre de la Justice : Code de procédure civile, chapitre C-25.01, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, art. 20.
[35] Voir note 4.
[36] RLRQ, c. C-12.
[37] RLRQ. c. R-8.1.
[38] RLRQ. c. R-8.1, r.5.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.