A c. R. | 2021 QCCS 5540 | |||||||
COUR SUPÉRIEURE | ||||||||
| ||||||||
CANADA | ||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||||
DISTRICT DE | TROIS-RIVIÈRES | |||||||
|
| |||||||
| ||||||||
N° : | 400-01-097406-201 | |||||||
N° : | 400-01-097409-205 | |||||||
| ||||||||
| ||||||||
______________________________________________________________________ | ||||||||
| ||||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | louis dionne, J.C.S. | ||||||
______________________________________________________________________ | ||||||||
| ||||||||
| ||||||||
A | ||||||||
Accusée | ||||||||
| ||||||||
c. | ||||||||
| ||||||||
SA MAJESTÉ LA REINE | ||||||||
Intimée | ||||||||
| ||||||||
______________________________________________________________________ | ||||||||
| ||||||||
JUGEMENT | ||||||||
______________________________________________________________________ | ||||||||
| ||||||||
[1] L’accusée a subi son procès devant jury sous les chefs d’accusations suivants :
400-01-097409-205
400-01-097406-201
[2] Le 9 décembre 2019, le jury a reconnu coupable l’accusée sur chacun des chefs d’accusations portés.
[3] Il reste maintenant au soussigné de décider de la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de l’accusée en regard du chef de meurtre au deuxième degré et de la peine à imposer sur le chef de séquestration.
[4] Le 28 avril 2019, B, le père de X, est à la maison avec cette dernière ainsi que Y, son fils, et Z, le fils de l’accusée, car celle-ci assiste à un meeting AA à Ville A. En l’absence de l’accusée, X tente à deux reprises de sortir de sa chambre par la fenêtre. Suite au retour de l’accusée le reste de la journée se passe bien.
[5] Durant la nuit du 29 avril 2019, vers 01h40 du matin, X réussit à sortir de sa chambre par la fenêtre pour aller sonner à la porte du voisin d’en face. Elle est complètement nue.
[6] Elle est rapidement rattrapée par son père qui la conduit dans sa chambre et qui barricade temporairement les fenêtres.
[7] Après que X ait tenté une nouvelle fois de sortir par la fenêtre, il ajoute un petit système d’alarme dans le but de l’entendre ou de réveiller l’accusée pour prévenir toute nouvelle tentative de fuite, dit-il.
[8] Fâché par la situation, il décide d’utiliser une chemise comme camisole de force pour attacher X en nouant les poignets ensemble par l’arrière.
[9] Pendant que l’accusée tient X, il met du ruban adhésif autour des bras de cette dernière, entre le coude et l’épaule et sur les chevilles par-dessus une tuque.
[10] X en crise est laissée ainsi dans sa chambre à crier alors que l’accusée et lui retournent se coucher. Durant la nuit, B retourne dans la chambre de X à quelques occasions.
[11] Le 29 avril au matin, après s’être levé un peu plus tard qu’à l’habitude, il donne son médicament à X avant de quitter pour le travail. Il ne la détache pas car il est pressé de se rendre au travail, dit-il. Il arrive au travail à 08h00.
[12] Ce matin-là, l’accusée se réveille en sursaut. Alors que B a déjà quitté pour le travail elle entend du bruit en provenance de la chambre de X. Elle constate que cette dernière est debout, les doigts sortant du collet de la chemise. Elle est « enroulée » de ruban adhésif des épaules jusqu’aux genoux et se tient à proximité de la fenêtre.
[13] Elle prend le « tape » et l’enroule autour de X après lui avoir demandé de croiser de nouveau ses bras sur son torse. Elle fait une dizaine de tours et laisse X dans sa chambre.
[14] Une fois dans la cuisine, elle entend de nouveau du bruit en provenance de la chambre. Elle y retourne et voit X sautiller qui lui dit qu’elle est tombée.
[15] Fâchée par la situation, l’accusée couche X au sol, sur le côté, et lui ajoute deux « tours » de ruban adhésif dans le sens longitudinal du corps pour l’empêcher de bouger.
[16] Elle commence par les pieds et monte vers les cheveux. Elle fait deux tours le long du corps en repassant devant le visage de X, le menton de cette dernière étant appuyé sur son thorax. Elle veut que X cesse de crier car c’est dérangeant.
[17] Après sa réunion de 08h00 B se met au travail. Dès 08h12, il reçoit un message texte de l’accusée l’informant que X s’est détachée et qu’elle est en train de sortir de sa chambre. À 8h14, il reçoit un autre message texte dans lequel l’accusée lui écrit : Bon vu que tu me rappelles pas je l’ai attachée bien comme il faut. Par la suite il reçoit plusieurs autres messages textes de l’accusée et ce jusqu’à 09h27.
[18] À 09h37, il décide de quitter le travail pour retourner à la maison vu la situation.
[19] Chemin faisant, il s’arrête pour fumer une cigarette et pour établir un plan de match sachant qu’ils doivent rencontrer le pédopsychiatre en après-midi ce jour-là pour discuter de la situation.
[20] Il est de retour à la maison vers 10h00. Il ne va pas voir X et demande plutôt à l’accusée ce qui est arrivé. Cette dernière lui dit que X a essayé de se sauver et qu’elle l’a attachée comme il faut. Il conclut qu’il est temps de faire hospitaliser X, ce à quoi il s’était refusé dans le passé.
[21] Il appelle au bureau du pédopsychiatre et y laisse un message. Il entend la petite crier mais il n’intervient pas car il est habitué de l’entendre crier lorsqu’elle est en crise.
[22] Après le retour d’appel en provenance du bureau du pédopsychiatre, il demande à l’accusée de détacher X pour la faire manger avant le rendez-vous fixé en après-midi puisqu’ils doivent y aller tous les deux.
[23] Lorsqu’il entre dans la chambre de X, suivi de l’accusée, il constate que cette dernière ne bouge pas.
[24] X a du ruban adhésif partout, à un point tel qu’il est incapable de le « casser » avec ses mains. En panique, il récupère des ciseaux dans la cuisine pour retirer le ruban adhésif la recouvrant afin de débuter des manœuvres de réanimation.
[25] Il coupe le ruban adhésif d’un bout à l’autre qu’il laisse sur le bord de la porte. Le corps au complet de X est couvert de ruban adhésif. Dans sa tête X est morte.
[26] Dans la même matinée, du sous-sol où est sa chambre, Z entend l’accusée appeler B en hurlant d’un ton « terrorisé ». Il monte à l’étage jusqu’à la chambre de X où B et l’accusée sont en train de retirer le « tape » qui est sur X.
[27] Il précise que le « tape » était autour du visage de X, que toute sa tête est recouverte, même ses cheveux, son menton, sa bouche, son nez et les yeux. Bref il ne voit pas les yeux au travers du ruban adhésif car il y en a plusieurs couches.
[28] Il constate que X est immobile, blême et que ses lèvres sont mauves.
[29] Vu la situation B appelle au 911 pour signaler que sa petite fille de 7 ans ne respire plus et qu’elle est possiblement décédée.
[30] Les policiers et les ambulanciers se rendent rapidement sur les lieux.
[31] L’agent Martin Noël de la Sûreté municipale de Granby est le premier intervenant sur les lieux. Il retrouve X sur le dos, étendue sur le sol et complètement nue dans une chambre de la résidence située au fond du passage.
[32] En pénétrant dans la chambre, il constate qu’il y fait très chaud. Les meubles de la chambre sont empilés le long du mur devant les fenêtres.
[33] Sur sa droite, il voit le corps de X au-dessus duquel B essaie de faire un massage cardiaque à une main tenant un téléphone dans l’autre main.
[34] Il débute les manœuvres de réanimation dans l’attente des ambulanciers. Une chaleur frappante se dégage du corps de X, sa peau est moite et plissée des avant-bras jusqu’au bas du ventre et des cuisses aux chevilles.
[35] Lorsqu’il aperçoit le visage de X, il remarque qu’elle a un œil ouvert et un autre fermé, il y a absence de regard. Elle n’a aucun pouls et aucune respiration perceptibles.
[36] Le corps de X est très petit, ses genoux sont plus gros que la chair de ses cuisses. Elle est rachitique, dit-il.
[37] Kariane Royer, ambulancière, répond à l’appel logé au 911 pour un enfant en arrêt cardio-respiratoire au [...]. À 11h36 elle est sur les lieux avec son collègue.
[38] En entrant dans la chambre de X elle ressent un « grosse » chaleur et de l’humidité. Il y fait très sombre, il n’y a pas de lit, pas de matelas et X est au sol nue.
[39] Après avoir branché son défibrillateur sur X, elle constate que cette dernière est en asystolie.
[40] X est très chaude au toucher et moite. Ses cheveux sont collés sur les tempes. Il y a présence de marques de compression sur son corps à la hauteur du thorax et des cuisses comme si elle avait porté des bas trop serrés.
[41] L’agente Linda Harpin de la Sûreté municipale de Granby est aussi intervenue au [...] le 29 avril. Lors de son témoignage elle mentionne que la « carapace » de plastique qui était dans la chambre de X s’est retrouvée dans le corridor. Cette « carapace » est de forme ondulée, comme celle d’une tortue, faite de plastique transparent et mesurant de 8 à 10 pouces de longueur par 4 pouces de largeur. Les dimensions de la « carapace » correspondent à la hauteur du ventre de l’enfant.
[42] À l’autopsie, la Dre Caroline Tanguay, pathologiste judiciaire, conclut qu’en l’absence de cause traumatique, de cause naturelle ou de cause toxicologique de décès, il s’agit d’une autopsie blanche et qu’elle doit donc s’en remettre aux circonstances ayant entouré l’événement pour en arriver à un diagnostic par exclusion.
[43] Considérant les informations obtenues voulant que du ruban adhésif ait été apposé sur le corps de X, dans un premier temps, et que par la suite on en ait ajouté sur la tête et sur la bouche, elle conclut qu’il s’agit d’un décès par suffocation externe.
[44] L’article 235 du Code criminel (C.cr.) prévoit que quiconque commet un meurtre au deuxième degré est coupable d’un acte criminel et doit être condamné à l’emprisonnement à perpétuité.
[45] En vertu de l’article 745 c) du C.cr., le bénéfice de la libération conditionnelle est subordonné, en cas de condamnation à l’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au deuxième degré, à l’accomplissement d’au moins dix ans de la peine, délai que le juge peut porter à au plus vingt-cinq ans.
[46] L’article 745.4 du C.cr. prévoit ce qui suit :
745.4 Sous réserve de l’article 745.5, au moment de prononcer la peine conformément à l’article 745, le juge qui préside le procès du délinquant déclaré coupable de meurtre au deuxième degré — ou en cas d’empêchement, tout juge du même tribunal — peut, compte tenu du caractère du délinquant, de la nature de l’infraction et des circonstances entourant sa perpétration ainsi que de toute recommandation formulée en vertu de l’article 745.2, porter, par ordonnance, le délai préalable à sa libération conditionnelle au nombre d’années, compris entre dix et vingt-cinq, qu’il estime indiqué dans les circonstances.
[47] Les facteurs à considérer en l’espèce sont donc :
[48] Dans Shropshire[1], le juge Iacobucci précise que l’analyse visée à l’article 744 (aujourd’hui 745.4 C.cr.) doit porter sur tous les facteurs cités dans l’arrêt Lyons ajoutant que dans l’arrêt R. c. Luxton, [1990] 2 RCS 711, on a souligné l’importance de déterminer la peine en fonction de l’accusé et du crime particulier qu’il a commis.
[49] Le juge Iacobucci propose la norme d’application suivante en regard de l’article 745.4 C.cr., soit :
27 À mon avis, une norme plus appropriée, qui refléterait davantage l'intention du législateur, peut être formulée ainsi: en règle générale, le délai préalable à la libération conditionnelle est de 10 ans, mais le juge du procès peut y déroger en décidant que, suivant les critères énumérés à l'art. 744, qu'un délai plus long devrait s'écouler avant que l'on examine l'opportunité de mettre le contrevenant en liberté.[2]
[50] Il faut donc retenir que dans le cas du meurtre au deuxième degré, le législateur a voulu reconnaître qu’il y aura divers degrés de gravité qui refléteront différents degrés de culpabilité morale comme le souligne le juge Iacobucci.
[51] Il retient aussi que le pouvoir de proroger le délai préalable à la libération conditionnelle n’a pas à être exercé avec modération mais qu’il doit être utilisé chaque fois que cela est indiqué dans les circonstances.
[52] Il mentionne également qu’en la matière la détermination de la dangerosité future ainsi que la réprobation et la dissuasion sont aussi des critères pertinents. Selon lui, la réprobation peut être visée par le critère légal de la « nature de l’infraction » alors que la « dangerosité future » peut être visée par le facteur du « caractère du contrevenant »[3].
[53] Les principes de détermination de la peine qui sont applicables en la matière se retrouvent aux articles 718 à 718.2 C.cr.
[54] Le Tribunal doit garder à l’esprit l’objectif et les principes énoncés par le législateur à l’article 718 C.cr. :
Objectif
718 Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :
a) dénoncer le comportement illégal et le tort causé par celui-ci aux victimes ou à la collectivité;
b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;
c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;
d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;
e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;
f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes ou à la collectivité.
[55] Dans Nasogaluak[4], le juge LeBel rappelle qu’aucune de ces fins n’a priorité sur les autres. Leur importance relative dépendra entièrement des faits de l’espèce :
[43] […] Aucun objectif de détermination de la peine ne prime les autres. Il appartient au juge qui prononce la sanction de déterminer s’il faut accorder plus de poids à un ou plusieurs objectifs, compte tenu des faits de l’espèce. La peine sera par la suite ajustée — à la hausse ou à la baisse — dans la fourchette des peines appropriées pour des infractions similaires, selon l’importance relative des circonstances atténuantes ou aggravantes, s’il en est. Il découle de ce pouvoir discrétionnaire du juge d’arrêter la combinaison particulière d’objectifs de détermination de la peine et de circonstances aggravantes ou atténuantes devant être pris en compte que chaque affaire est tranchée en fonction des faits qui lui sont propres, sous réserve des lignes directrices et des principes fondamentaux énoncés au Code et dans la jurisprudence.
[56] Cependant dans Friesen[5], une affaire de violence sexuelle contre une fillette de 4 ans, la Cour Suprême mentionne :
[102] D’après le libellé de l’art. 718.01, le législateur voulait concentrer l’attention des juges chargés de déterminer la peine sur l’importance relative des objectifs de détermination de la peine dans les cas de mauvais traitements d’enfants. L’expression « primary consideration » utilisée dans la version anglaise de cet article prescrit un ordonnancement relatif des objectifs de détermination de la peine que l’on ne trouve pas dans la liste générale des six objectifs aux al. 718a) à f) du Code criminel.
[57] Le prononcé d’une peine juste demeure cependant un processus individualisé.
[58] Toute peine doit par ailleurs être conforme au principe fondamental de proportionnalité énoncé à l’article 718.1 C.cr. qui requiert que la sanction n’excède pas ce qui est juste et approprié compte tenu de la gravité de l’infraction et du degré de responsabilité morale de l’accusé.
[59] À cet égard, il est utile de rappeler qu’en dépit de son caractère exceptionnel, la peine maximale n’est pas réservée aux pires crimes commis dans les pires circonstances. Elle doit être infligée si les principes normatifs du Code appliqués dans un contexte individualisé et les circonstances le justifient[6].
[60] Il convient de rappeler que la détermination de la peine est un exercice difficile qui ne relève pas d’une science exacte ni d’une procédure inflexiblement prédéterminée[7].
[61] Il revient au juge, dans sa recherche d’une sentence adéquate, de pondérer les principes normatifs prévus par le législateur, soit :
[62] Dans Lacasse[8], le juge Wagner, traitant de la détermination de la peine s’exprime ainsi :
[1] La détermination de la peine demeure l’une des étapes les plus délicates du processus de justice pénale et criminelle au Canada. Même si cette tâche est régie par les art. 718 et suiv. du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, et que les objectifs y mentionnés guident les tribunaux et sont bien définis, elle implique néanmoins, par définition, l’exercice par ceux-ci d’un large pouvoir discrétionnaire dans la mise en balance de tous les facteurs pertinents afin de pouvoir satisfaire aux objectifs visés par le prononcé des peines.
[2] À cette fin, les tribunaux ont élaboré au fil des ans des outils qui visent à assurer l’harmonisation et la proportionnalité des peines en encadrant l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire et à éviter des écarts importants, marqués et substantiels entre les peines infligées à des délinquants pour des crimes semblables commis dans des circonstances semblables. À titre d’exemple, au Québec et dans d’autres provinces, les tribunaux ont adopté un système de fourchettes et de catégories de peines pour réaliser ces objectifs.
[3] La crédibilité du système de justice pénale et criminelle auprès des justiciables est tributaire de la justesse des peines infligées aux délinquants. Qu’elle soit trop sévère ou trop clémente, une peine injuste peut, dans un cas comme dans l’autre, susciter dans l’esprit du justiciable un doute quant à la crédibilité du système compte tenu de ses objectifs.
[4] Parmi les principaux objectifs du droit criminel canadien, on trouve l’objectif de réinsertion sociale du délinquant. Cet objectif fait partie des valeurs morales fondamentales qui distinguent la société canadienne de nombreuses autres nations du monde et il guide les tribunaux dans la recherche d’une peine juste et appropriée.
[63] Dans Friesen[9], la Cour suprême mentionne ce qui suit :
44. (…).Les tribunaux doivent donc s’inspirer des principes que nous énonçons en l’espèce au moment d’infliger des peines pour d’autres infractions d’ordre sexuel contre des enfants. Les tribunaux peuvent aussi s’en inspirer au moment d’imposer des peines pour enlèvement d’enfant et des infractions de traite de personnes lorsque la victime est un enfant et que le fondement factuel de la déclaration de culpabilité met en cause de la violence ou de l’exploitation sexuelle.
[64] Dans leur traité de droit criminel sur la peine, les auteurs Parent et Desrosiers, traitant de l’article 745 c) C.cr. mentionnent ce qui suit :
554. (…) Loin d’être exceptionnelle, la prorogation du délai préalable à la libération conditionnelle est un « élément constitutif du châtiment » qui doit être envisagé à la lumière du caractère du contrevenant, de la nature de l’infraction reprochée et des circonstances entourant sa réalisation. L’adoption d’un plancher minimum quant au délai préalable à la libération conditionnelle n’est donc pas un terme d’office, mais l’échelon inférieur d’une fourchette s’étalant sur une période de 10 à 25 ans. S’il est vrai que le « délai moyen se rapproche généralement du minimum de 10 ans », il n’est pas rare d’observer des prorogations allant bien au-delà du seuil requis par la loi. [10]
[65] Ils ajoutent ce qui suit pour les peines se rapprochant du minimum requis :
557 : « À la lueur des causes précédemment mentionnées et en s’appuyant sur l’orientation de la jurisprudence contemporaine en pareille matière, nous pouvons conclure que les peines s’approchant du minimum de 10 ans comportent immamcablement la présence de facteurs atténuants et/ou « l’absence de facteurs véritablement significatifs pouvant justifier une augmentation du temps d’épreuve ».[11]
[66] En ce qui concerne les peines se situant dans la partie médiane de celles généralement imposées pour ce type de crime, les mêmes auteurs ajoutent :
560. Bien que les ordonnances de prorogation s’échelonnant sur des périodes de 12 à 15 ans d’emprisonnement occupent une place médiane dans l’échelle des peines généralement imposées en matière de meurtre au deuxième degré, celles-ci opèrent une transition importante vers la partie supérieure des peines admissibles en semblable matière. (…) La commission d’un acte brutal perpétré à l’égard de personnes vulnérables et comportant des circonstances particulièrement préjudiciables permet également de franchir le seuil des quinze ans d’inégibilité.[12]
[67] Plus loin, ils ajoutent :
562. Ces exemples, auxquels il serait possible de substituer bien d’autres, montrent que les décisions se situant dans la partie médiane des peines infligées en matière de meurtre au deuxième degré comportent plusieurs circonstances aggravantes dont le poids peut être contrebalancé, en partie, par la présence de certains facteurs atténuants généralement associés à la personnalité du délinquant (jeune âge de l’accusé, absence d’antécédents judiciaires, trouble non exonératoire ou « demi-folie », absence de mobile, faible risque de récidive, etc.).[13]
[68] Quant aux peines se situant dans la partie supérieure de celles généralement imposées pour ce type d’infraction (15 à 20 ans et plus), ils mentionnent ce qui suit :
563. Si la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 15 ans constitue un seuil critique en droit pénal canadien, les ordonnances de prorogation s’échelonnant sur des périodes de 17 à 25 ans d’emprisonnement se caractérisent par l’aggravation des facteurs se rapportant à la perpétration du crime (p. ex. : brutalité et cruauté du geste commis, nombre de victimes, planification de l’agression, crime commis dans un contexte conjugal, infraction reliée au trafic de stupéfiants, etc.), à la culpabilité morale du délinquant (p. ex. : responsabilité pleine et entière, niveau de dangerosité particulièrement élevé, antécédents de violence), ainsi que par la disparition progressive de circonstances atténuantes.[14]
[69] Cette affaire a fait couler beaucoup d’encre depuis le 29 avril 2019, beaucoup de choses ont été dites avant même que le procès ne débute et que la preuve ne soit connue. Il ne faut pas perde de vue que l’appréciation d’une juste peine ne doit pas s’écarter des facteurs énoncés par le législateur afin d’éviter de verser dans la vengeance sociale et la vindicte populaire qui n’ont pas leur place dans la détermination de la peine au Canada.
[70] Dans M. (C.A.)[15], le juge en chef Lamer s’exprime ainsi :
80. Toutefois, quelques précisions s'imposent quant au sens du mot châtiment. La légitimité du châtiment en tant que principe de détermination de la peine a souvent été mise en doute en raison de l'assimilation malheureuse de ce mot au mot «vengeance» dans le langage populaire. Voir, par ex., les arrêts R. c. Hinch and Salanski, précité, aux pp. 43 et 44; R. c. Calder (1956), del, 114 C.C.C. 155 (C.A. Man.), à la p. 161. Toutefois, il devrait ressortir clairement de l'examen que je viens de faire que le châtiment a peu à voir avec la vengeance, et j'attribue à cette confusion une large part des critiques formulées contre le châtiment en tant que principe. Comme l'ont signalé des universitaires et d'autres commentateurs judiciaires, la vengeance n'a aucun rôle à jouer dans un système civilisé de détermination de la peine. Voir Ruby, Sentencing, op. cit., à la p. 13. La vengeance, si je comprends bien, est un acte préjudiciable et non mesuré qu'un individu inflige à une autre personne, fréquemment sous le coup de l'émotion et de la colère, à titre de représailles pour un préjudice qu'il a lui‑même subi aux mains de cette personne. En contexte criminel, par contraste, le châtiment se traduit par la détermination objective, raisonnée et mesurée d'une peine appropriée, reflétant adéquatement la culpabilité morale du délinquant, compte tenu des risques pris intentionnellement par le contrevenant, du préjudice qu'il a causé en conséquence et du caractère normatif de sa conduite. De plus, contrairement à la vengeance, le châtiment intègre un principe de modération; en effet, le châtiment exige l'application d'une peine juste et appropriée, rien de plus.
POSITION DES PARTIES
[71] La poursuite demande que le temps d’épreuve soit fixé entre 15 et 18 ans, alors que la défense suggère le minimum soit 10 ans.
[72] L’écart entre les parties est grand. De part et d’autre elles ont présenté de la jurisprudence au soutien de leur position respective.
[73] Bien que les causes auxquelles les procureurs ont référé soient intéressantes et instructives, il ne faut pas perdre de vue que la peine que le Tribunal doit prononcer doit être individualisée et réfléter la culpabilité morale de l’accusée. Il en va du respect du principe de proportionnalité énoncée à l’article 718.1 C.cr.
[74] La poursuite attire l’attention du Tribunal sur les affaires Turcotte, Dewald et Salah[16].
[75] Dans Turcotte il était question du meurtre, d’une grande brutalité des deux enfants en bas âge de l’accusée après que ce dernier ait décidé de les amener dans la mort pour faire mal à sa conjointe qui entretenait une liaison amoureuse avec un autre homme.
[76] Dans Dewald, l’accusé a plaidé coupable à 2 chefs de meurtre au deuxième degré après avoir noyé ses propres enfants âgés de 10 et 12 ans.
[77] Dans Salah, il s’agit d’une affaire de complot pour mettre le feu à une résidence pour intimider la mère de 2 enfants qui meurent dans l’incendie sous les yeux horrifiés de cette dernière.
[78] La défense attire l’attention du Tribunal sur les affaires Sorella, D.W.M., Dion, Lincoln, Durand, Joncas et Waraich[17].
[79] Dans Sorella, un des éléments pertinents sur la détermination de la peine était la maladie mentale dont souffrait l’accusée ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[80] Dans D.W.M., outre la présence de plusieurs circonstances atténuantes, la poursuite était d’avis que le temps d’épreuve ne devait pas être prolongé au-delà du minimum de 10 ans.
[81] Dans Dion, l’histoire de l’accusée est décrite par le psychiatre comme « une vie à l’enseigne de la détresse ». À 18 ans, on lui diagnostique un trouble de personnalité limite et malgré la présence de nombreux antécédents judiciaires les avocats ont suggéré d’un commun accord la peine minimale, soit 10 ans de temps d’épreuve.
[82] Dans Lincoln, le jury a fait une recommandation pour que le Tribunal s’en tienne au minimum et l’accusée souffrait d’un trouble mental, soit une personnalité limite, ce qui n’est pas notre cas en l’espèce.
[83] Dans Waraich, il s’agit d’un cas où le jury a fait une recommandation limitant le temps d’épreuve à 10 ans.
LA GRAVITÉ OBJECTIVE
[84] Le meurtre au second degré commande une peine d’emprisonnement à perpétuité.
[85] La séquestration, prise par acte criminel, est passible d’un emprisonnement maximal de 10 ans.
LA GRAVITÉ SUBJECTIVE
[86] La détermination de la gravité subjective des délits nécessite la prise en compte des circonstances atténuantes et aggravantes propres à leur perpétration et au caractère du délinquant.
LES CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES
[87] L’accusée est âgée de 38 ans et est la mère d’un adolescent. Bien que n’ayant pas le bénéfice d’un rapport présentenciel, le Tribunal estime, de la preuve entendue, que tout porte à croire que le risque de récidive est faible ainsi que la dangerosité future. Elle n’a pas d’antécédents judiciaires et bénéficie du soutien de sa famille considérant les lettres d’appui déposées par ses proches. Elle peut encore devenir un actif pour la société. À l’audience, elle a exprimé des remords et des regrets que le Tribunal considère comme sincères. Les messages textes déposés en preuve (pièce P-31) laissent voir de l’animosité envers X mais aussi de la détresse chez l’accusée, la détresse de quelqu’un qui est dépassé par les événements.
LES CIRCONSTANCES AGGRAVANTES
[88] Les infractions perpétrées constituent un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de dix-huit ans, vulnérable et membre de la famille de l’accusée. Elles ont été commises dans un contexte d’abus de confiance et d’autorité. Les événements se sont déroulés sur plusieurs heures alors que l’accusée aurait pu intervenir autrement qu’en utilisant du ruban adhésif. Les événements ont fait des victimes collatérales, qui souffrent encore aujourd’hui de la perte de X, telles qu’en témoignent sa mère biologique, sa grand-mère et sa tante. La culpabilité morale de l’accusée est importante considérant l’âge de la victime et son rôle auprès de cette dernière.
L’HARMONISATION DES PEINES
[89] Le principe de l’harmonisation des peines requiert l’infliction à un délinquant d’une peine semblable à celle administrée à d’autres accusés pour des infractions semblables commises dans des circonstances similaires.
[90] Ce principe revêt par contre un caractère relatif, les délinquants devant être coupables d’infractions semblables et présenter des profils similaires.
[91] La parité des peines est non seulement impossible, mais n’est pas souhaitable. L’harmonisation exige plutôt l’imposition de peines intelligibles pour des infractions semblables commises dans des circonstances similaires par des individus présentant un profil comparable.
L’ABUS DE CONFIANCE
[92] Au chapitre de l’abus de confiance, la Cour suprême, dans Friesen[18], précise :
[129] L’abus de confiance est aussi un facteur aggravant parce qu’il accroît le degré de responsabilité du délinquant. Un délinquant en situation de confiance vis‑à‑vis un enfant a l’obligation de le protéger et d’en prendre soin, une obligation qu’un étranger n’a pas. Un manquement à l’obligation de protection et de soin accroît donc la culpabilité morale (…).
[93] Bien que la culpabilité morale de l’accusée soit importante, il ne faut pas perdre de vue cependant qu’elle n’était pas seule impliquée dans cette affaire.
L’ÂGE DE LA VICTIME
[94] Toujours dans Friesen, la Cour Suprême se prononce en regard de l’âge de la victime comme suit[19] :
[134] L’âge de la victime constitue lui aussi un facteur aggravant important. Le rapport de force inégal qui existe entre les enfants et les adultes est encore plus marqué dans le cas des jeunes enfants, dont « l’état de dépendance est habituellement total » et qui « sont souvent démunis lorsqu’ils sont privés de la protection et de l’assistance de leurs parents » (R. c. Magoon, 2018 CSC 14, [2018] 1 R.C.S. 309, par. 66).
MAUVAIS TRAITEMENTS
[95] Les articles 718.01 et 718.04 C.cr. prévoient que le Tribunal qui impose une peine pour une infraction qui constitue un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de dix-huit ans ou vulnérable doit accorder une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion.
CIRCONSTANCES DE L’INFRACTION
[96] En l’espèce, le comportement de l’accusée dépasse l’entendement. La méthode utilisée pour corriger X ce jour-là demeure tout à fait incompréhensible, inexpliquée et inexplicable. Le crime est insensé et relève d’un acte odieux quand on pense à ce que la victime a pu vivre durant toutes ces heures.
[97] Bien que le Tribunal ne soit pas confronté à des infractions de nature sexuelle visant un enfant, il n’en demeure pas moins qu’il est en présence d’infractions dont le fondement factuel de la déclaration de culpabilité repose sur la violence faite à un enfant.
[98] La protection des enfants est l’une des valeurs les plus fondamentales de la société canadienne. La violence contre des enfants est particulièrement répréhensible parce qu’elle représente le contraire de cette valeur.
[99] Dans Sharpe, les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et Bastarache
[100] s’expriment ainsi sur les mesures de protection des enfants au Canada :
La société canadienne reconnaît depuis toujours que les enfants méritent une forme accrue de protection. Cette protection est fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant. La vulnérabilité des enfants résulte de l’inégalité normale du rapport de force qui existe entre les adultes et les enfants. En raison de cette vulnérabilité, les enfants sont souvent victimes de violence et d’exploitation.[20]
CONCLUSION
[101] En l’espèce le jury s’est abstenu de faire une recommandation au Tribunal conformément à l’article 745.2 C.cr.
[102] Les facteurs aggravants outrepassent les facteurs atténuants et permettent d’envisager une période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle qui excède le minimum prévu de 10 ans mais qui ne doit pas aller jusqu’à 18 ans considérant l’objectif de réinsertion sociale et le principe de modération
[103] Cependant, il est clair que les objectifs de dénonciation et de dissuasion doivent primer dans les circonstances entourant la commission de l’infraction pour décider du temps d’épreuve à imposer.
[104] CONDAMNE A à l’emprisonnement à perpétuité sur le chef d’accusation d’avoir commis l’acte criminel de meurtre au deuxième degré à l’endroit de X;
[105] CONDAMNE A à une peine de 4 ans d’incarcération sur le chef d’accusation d’avoir séquestré X;
[106] FIXE à 13 ans le délai préalable à sa libération conditionnelle;
[107] REND l’ordonnance prévue à l’article 109(1) et (2)b) C.cr. lui interdisant d’avoir en sa possession des armes et munitions, telles qu’énumérées audit article 109 et ce, à perpétuité;
[108] REND l’ordonnance prévue à l’article 487.051(1) C.cr., nécessaire pour le prélèvement de substances corporelles pour fin d’analyse génétique.
| ||
| __________________________________LOUIS DIONNE, j.c.s. | |
| ||
| ||
Me Alexandre Biron Biron, Spain 154 rue Radisson - C.P. 444 Trois-Rivières (Québec) G9A 5G4 et Me Pénélope L. Provencher Lacoursière Lebrun 1243, rue Hart Trois-Rivières (Québec) G9A 4S4
Procureurs de la requérante-accusée | ||
| ||
Me Jean-Sébastien Bussières Directeur des poursuites criminelles et pénales 109, rue Saint-Charles Saint-Jean-Sur-Richelieu (Québec) J3B 2C2 et Me Claude Robitaille Directeur des poursuites criminelles et pénales Palais de justice de Granby 77, rue Principale, # 1.20 Granby (Québec) J2G 9B3
Procureurs de l’intimée-poursuivante | ||
| ||
Date d’audience : | 17 décembre 2021 | |
[1] R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227, 241.
[2] Précité, note 1, par. 27.
[3] Précité, note 1, par. 19.
[4] R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, par. 43.
[5] R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par. 44.
[6] R. c. L.M., 2008 CSC 31, par. 20-22.
[7] Ibid, note 6, par. 17.
[8] R. c. Lacasse, 2015 CSC 64.
[9] Précité, note 5, par. 44.
[10] Hugues PARENT et Julie DESROSIERS, Traité de droit criminel, Tome III, La Peine, 3e Édition, Montréal, Les Éditions Thémis, 2020, par. 554.
[11] Ibid, par. 557
[12] Ibid, par. 560
[13] Ibid, par. 562.
[14] Ibid, par. 563.
[15] R. c. M. (C.A.), 1996, par. 80.
[16] R. c. Turcotte, 2016 QCCS 112; Turccotte c. R. 2018 QCCA 1076; R. v. Dewald, 144 O.A.C. 352; R. v. Salah, 2015 ONCA 23;
[17] R. c. Sorella, 2019 QCCS 2516; R. v. D.W.M. 2005 BCSC 1061; R. v. Lincoln, 2009 BCSC 1181; R. c. Durand 2012 QCCS 2375; R. c Joncas, 2007 QCCS 226; R. v. Waraich, 2008 BCSC 919.
[18] Précité, note 5, par. 129.
[19] Précité, note 5, par. 134.
[20] R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, par. 170.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.