L.M. c. Nasser |
2020 QCRDL 13121 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Longueuil |
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Nos dossiers : |
332251 37 20170420 G 380958 37 20180209 G |
Nos demandes : |
2226793 2434619 |
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Date : |
16 juillet 2020 |
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Régisseure : |
Danielle Deland, juge administrative |
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L… M…
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Locataire - Partie demanderesse (332251 37 20170420 G) Partie défenderesse (380958 37 20180209 G) |
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c. |
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Christian Nasser
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Locateur - Partie défenderesse (332251 37 20170420 G) Partie demanderesse (380958 37 20180209 G) |
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D É C I S I O N
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[1] La
locataire demande au Tribunal d’ordonner au locateur de faire des réparations
nécessaires, de cesser toute forme de harcèlement, une diminution de loyer de
20 % à compter du 1er juin 2016, des dommages moraux pour
troubles et inconvénients (50 000 $), des dommages-intérêts punitifs
(2 000 $) et des dommages matériels (3 635,56 $), le tout
avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[2] Le
locateur demande la résiliation du bail et l’expulsion de la locataire et de
tous les occupants du logement, le recouvrement du loyer dû (86,23 $)
ainsi que les loyers dus au moment de l’audience, le tout avec les intérêts et
l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[3] Les parties sont liées par un bail du 1er juin 2016 au 30 juin 2017 pour un loyer mensuel de 500 $, bail reconduit au 30 juin 2018 pour un loyer de 505 $ par mois, de nouveau au 30 juin 2019 pour un loyer mensuel de 505 $, la locataire ayant refusé l’augmentation de loyer demandée par le locateur, et reconduit une dernière fois au 30 juin 2020 pour un loyer fixé à la somme de 520 $ par mois (dossier 456187 37 20190418 F).
[4] Une ordonnance d’accès ayant déjà été émise aux termes d’une décision interlocutoire et le bail étant ci-après résilié, les demandes d’ordonnance de faire des travaux par la locataire et la demande d’ordonnance d’accès par le locateur seront caduques.
[5] Le Tribunal de la Régie du logement n'a pas la compétence juridictionnelle requise pour statuer sur des litiges relevant de fautes extracontractuelles (propos diffamatoires, atteinte à la réputation).
[6] Outre la question de la résiliation de bail pour troubles de comportement de la locataire, ne resteront donc en litige que les questions suivantes :
- le locateur a-t-il droit au recouvrement du loyer qui serait dû ?
- la locataire a-t-elle droit à une diminution de loyer ?
- la locataire a-t-elle droit à des dommages moraux ? À des dommages punitifs ? À des dommages matériels ?
Paiement du loyer
[7] Le locateur réclame la somme de 86,23 $ étant une somme que la locataire a payée à Plomberie Denis Deschenaux Inc. pour une facture datée du 21 décembre 2017 et déposée au dossier du tribunal sous la cote L-15, somme qu’elle a retenue sur son loyer de janvier 2018.
[8] La locataire a déposé des courriels démontrant que dès le 8 décembre 2017, elle demandait au locateur de régler le problème de son manque d’alimentation en eau chaude. Le 17 décembre 2017, elle écrivait de nouveau au locateur l’avisant qu’elle retiendrait les sommes qu’elle aurait à payer à un plombier pour une visite d’urgence. Sur la facture, le plombier écrit qu’il a vérifié le chauffe-eau et constaté que l’élément du bas ne fonctionne pas et il souligne que le chauffe-eau a plus de 10 ans.
[9] En défense le locateur plaide qu’il n’a jamais reçu la copie de la facture du plombier retenu par la locataire et qu’en plus le plombier n’a fait que constater que l’élément du bas ne fonctionnait pas, mais qu’il ne l’a pas réparé. Cet argument n’a pas convaincu la soussignée.
« 1868. Le locataire peut, après avoir tenté d'informer le locateur ou après l'avoir informé si celui-ci n'agit pas en temps utile, entreprendre une réparation ou engager une dépense, même sans autorisation du tribunal, pourvu que cette réparation ou cette dépense soit urgente et nécessaire pour assurer la conservation ou la jouissance du bien loué. Le locateur peut toutefois intervenir à tout moment pour poursuivre les travaux.
Le locataire a le droit d'être remboursé des dépenses raisonnables qu'il a faites dans ce but; il peut, si nécessaire, retenir sur son loyer le montant de ces dépenses. »
[10] Le Tribunal conclut que la locataire était en droit de retenir la somme de 86,23 $ de son loyer.
[11] Il n’a été prouvé aucun autre retard dans le paiement du loyer de la locataire et en conséquence la demande de résiliation de bail du locateur pour paiement de loyer en retard de plus de trois semaines et retards fréquents dans le paiement du loyer est rejetée.
Résiliation de bail pour troubles de comportement
[12] L’article
« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.
… »
[13] Le locateur a témoigné que la locataire a un comportement agressif, irrationnel et conflictuel et que ses excès de colère à son égard et à l’égard des entrepreneurs dont il retient les services lui nuisent dans la gestion de son immeuble. Il ajoute que le comportement de la locataire fait en sorte que certains locataires ont quitté l’immeuble ou menacent de le quitter et que plusieurs entrepreneurs refusent dorénavant de venir faire des travaux non seulement au logement concerné mais ailleurs dans l’immeuble. En effet, la preuve a démontré que la locataire se rend parfois dans d’autres logements appartenant au locateur, demande les cartes d’affaires des entrepreneurs et les filme sans leur consentement.
[14] Le rapport de Monsieur Richard Paul du département d’urbanisme de la ville de Sorel-Tracy déposé au dossier du tribunal sous la cote P-7 laisse clairement entendre d’une part que les plaintes de la locataire n’étaient pas fondées et d’autre part que la locataire avait non seulement un problème d’agressivité, mais qu’elle accusait son propriétaire « de tous les péchés » (sic).
[15] Le locateur Nasser a témoigné que la locataire M… avait des demandes incessantes et déraisonnable depuis le début du bail. Il a envoyé à cette dernière une première mise en demeure le 24 novembre 2016 dans lequel il demande à la locataire de changer son comportement et de cesser de lui téléphoner à des heures indues. Il précise qu’il est prévu dans le bail que le locateur peut être rejoint sur son téléphone cellulaire. Or la locataire téléphone chez le locateur, même à quatre heures du matin, ce qui dérange ses jeunes enfants.
[16] Le locateur a fait témoigner Monsieur Camille Parent, Madame Nicole Gadbois Parent, Madame Élisabeth Deshaies et Madame Diane Roy. Il appert de l’ensemble de ces témoignages que Madame M… a des excès de colère réguliers qui troublent tellement la jouissance paisible de ses voisins, que plusieurs locataires ont quitté ou menacent de quitter l’immeuble. Selon ces témoignages, la locataire aurait une « crise » à toutes les deux ou trois semaines selon certains, ou une « crise » environ à tous les mois selon d’autres. Plusieurs témoignages ont confirmé les dires du locateur Nasser à l’effet que la locataire M… essayait de liguer d’autres locataires de l’immeuble contre lui.
[17] Mais c’est la locataire elle-même qui a contribué à la preuve du locateur par son attitude excessive et déraisonnable aux nombreuses audiences. Cette attitude se comprend toutefois si on tient en compte le témoignage de la psychiatre que la locataire M… a elle-même convoquée à l’audience du 11 janvier 2019. Le Docteur Isabelle Thibault-Chabot a expliqué qu’elle était la psychiatre de la locataire M… depuis 2005 et que Madame M… souffrait non pas seulement d’un trait de personnalité limite mais bien d’un trouble de personnalité limite sévère (trouble <borderline>) qui fait en sorte que Madame M… a de la difficulté à se limiter. Elle souffre d’une intensité émotionnelle hors normes et il s’agit d’un problème chronique où les chances de guérison sont minces et où la psychiatrie peut davantage < gérer> le problème que le guérir.
[18] Monsieur Nasser a déposé au dossier du tribunal une décision rendue par le juge administratif Anne Morin le 3 avril 2006 dans le dossier OMH de Longueuil c. L M.[1]. La soussignée croit pertinent de reproduire certains paragraphes de cette décision :
« Le médecin explique que Mme M… a démontré un comportement très perturbé au niveau psychiatrique, ce qui a nécessité une garde en établissement pour une période d'un mois. Il signale que Mme M… se sentait alors persécutée.
Dr. Bouchard constate que la patiente est toujours émotive et qu'elle a un bon contact avec la réalité. Selon lui, il y a un risque que son état se dégrade si elle cesse de prendre sa médication.
Il s'agit d'une maladie qui survient de façon épisodique. Cette maladie ne se guérit pas, mais elle peut être contrôlée par une médication appropriée.
Si la locataire cesse de prendre les médicaments prescrits, le Dr. Bouchard souligne qu'elle peut présenter un risque qu'il ne peut cependant évaluer.
Contre-interrogé par Me Langlois, le Dr Bouchard, souligne qu'il est possible que la locataire fasse une rechute. Cependant, les chances de récidive sont plus faibles, car la locataire n'a été victime d'un premier épisode qu'à 44 ans et que son niveau de stress était élevé à ce moment.
Le Dr. Bouchard conclut son rapport par le résumé qui suit :
« Il est bien documenté au dossier de l'Hôpital Charles-Lemoyne que Madame M… a fait un épisode de maladie affective, phase maniaque, pour lequel elle a été hospitalisée du 20 juin au 3 août 2005. Plusieurs psychiatres ont eu l'occasion de constater un état mental perturbé avec interprétation paranoïde, délire de persécution. On a observé un discours pressurisé, une labilité affective, un contact avec la réalité qui est altéré. L'histoire recueillie et les observations faites en entrevue correspondent aux observations retrouvées au dossier hospitalier.
Cet épisode a bien répondu à un traitement approprié; et elle pu recevoir son congé après 44 jours d'hospitalisation. Depuis, cette amélioration s'est maintenue avec la poursuite de la médication. » (sic)
Il conclut son témoignage en précisant que la prise de médication, l'évolution de la maladie et les facteurs environnementaux sont déterminants pour évaluer les risques de rechute. »
[19] En défense, la locataire allègue que si elle a des problèmes, c’est justement à cause d’un diagnostic psychiatrique. La locataire a également soulevé le problème des préjugés que peuvent avoir les gens, et plus particulièrement la soussignée, à l’encontre des gens ayant un historique psychiatrique.
[20] Il est manifeste que la locataire M… est souffrante et qu’outre la souffrance causée par son trouble, Madame M… doit subir des préjugés. Mais l’appréciation de la preuve doit être objective et la seule conclusion à laquelle la soussignée peut arriver est que le comportement de la locataire trouble la jouissance paisible des autres locataires et qu’elle fait subir au locateur un préjudice sérieux qui justifie la résiliation du bail.
Harcèlement
[21] Selon Pierre Pratte, toute conduite ayant pour conséquence de restreindre la jouissance du locataire ne constitue pas nécessairement du harcèlement puisqu’elle doit être partie d’une stratégie plus ou moins planifiée en vue d'atteindre un objectif recherché, soit le départ du locataire. Pratte indique de plus que le harcèlement ne peut être apprécié de manière subjective puisqu’ainsi on reviendrait à qualifier le litige à partir de la perception personnelle du locataire.
[22] Il est manifeste que la locataire s’est sentie harcelée, voire persécutée. Mais la preuve ne permet pas au Tribunal de conclure que ce que la locataire a perçu comme étant du harcèlement était effectivement une stratégie du locateur afin d’obtenir qu’elle quitte son logement.
[23] La preuve du harcèlement n’ayant pas été faite, la réclamation de dommages punitifs sera rejetée.
Diminution de loyer
[24] Les articles
« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »
« 1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure. »
« 1910. Le locateur est tenu de délivrer un logement en bon état d'habitabilité; il est aussi tenu de le maintenir ainsi pendant toute la durée du bail.
La stipulation par laquelle le locataire reconnaît que le logement est en bon état d'habitabilité est sans effet. »
[25]
On constate donc qu’en vertu de
l'article
[26]
L'article
[27] Le juge Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin expliquent que ces obligations prévues aux articles 1854 al. 1 et 1864 sont « de résultat », ce qui signifie que les moyens de défense du locateur sont limités :
« Au contraire, dans le cas d'une obligation de résultat, la simple constatation de l'absence du résultat ou du préjudice subi suffit à faire présumer la faute du débiteur, une fois le fait même de l'inexécution ou la survenance du dommage démontré par le créancier. Dès lors, le débiteur, pour dégager sa responsabilité, doit aller au-delà d'une preuve de simple absence de faute, c'est-à-dire démontrer que l'inexécution ou le préjudice subi provient d'une force majeure. Il ne saurait être admis à dégager sa responsabilité en rapportant seulement une preuve d'absence de faute. »[2]
[28]
Quant à l’obligation du locateur prévue à l'article
« En présence enfin d'une obligation de garantie, le débiteur est présumé responsable. La seule façon pour lui d'échapper à sa responsabilité est de démontrer que c'est par le fait même du créancier qu'il a été empêché d'exécuter son obligation, ou encore que l'inexécution alléguée se situe complètement en dehors du champ de l'obligation assumée. »[3]
[29] Dans son ouvrage sur la diminution du loyer[4], l'auteur Denis Lamy passe en revue la jurisprudence en la matière et conclut que toute diminution de prestation du locateur de donne pas ouverture au recours en diminution de loyer :
« Il est essentiel, une fois de plus, de relire attentivement les dispositions qui ont à l'origine créé le recours en diminution de loyer, soit la Loi concernant la Régie des loyers et la Loi pour favoriser la conciliation entre locataires et propriétaires, puisque ce principe y fut très clairement énoncé :
Lorsqu'une maison, sans le fait ou la faute du locataire ou d'une personne dont il a la responsabilité, subit une dégradation qui en réduit sérieusement la valeur locative ou lorsque le locateur en diminue l'espace, les services ou les commodités, le locataire, à défaut d'entente avec le locateur, peut s'adresser à l'administrateur local pour obtenir la résiliation du bail ou une réduction de loyer et l'administrateur a le pouvoir de lui accorder une telle réduction qu'il juge équitable.
Le législateur avait donc clairement à l'esprit des situations qui allaient affecter sérieusement le logement du locataire. Selon les dictionnaires, le mot « sérieux » fait référence au caractère de ce qui mérite attention et considération du fait de son importance, de sa gravité (critique, réel, préoccupant, inquiétant).
…
Des défectuosités mineures qui n'occasionnent qu'un simple désagrément aux locataires, sans pour autant diminuer de façon significative et substantielle la jouissance paisible des lieux ou la fonctionnalité du logement, ne justifient donc pas l'intervention du tribunal.
En conséquence, pour obtenir une diminution de loyer, la perte de valeur locative ou la diminution de prestation d'une situation ou encore les défectuosités dénoncées par le locataire doivent lui occasionner une diminution significative réelle ou une perte substantielle. Le trouble ne doit pas être mineur ou n'être qu'un simple préjudice esthétique, il doit être sérieux. »
[30] Le juge administratif Daniel Laflamme écrivait dans l'affaire Beaulieu c. Belleville, (26 021011 004 G - 26 021030 002 G) :
« De plus, un inconvénient bénin ou une simple trivialité ne permettent pas d'invoquer la garantie. En effet, prétendre le contraire serait d'imposer un fardeau déraisonnable au locateur et rendrait le commerce de location résidentielle presque impossible. Seuls les problèmes réduisant la jouissance des lieux peuvent être considérés.
Outre la question que doit se poser le tribunal sur la perte réelle de jouissance pouvant donner ouverture à une diminution de loyer, le tribunal doit vérifier si le locateur a été mis en demeure de régler chacun des problèmes allégués et si la locataire a rencontré son fardeau de preuve.
En effet, pour chacun des reproches faits par la locataire, la soussignée a évalué si la locataire avait fait une preuve prépondérante qu’elle en avait subi une perte de jouissance du logement, qu’elle avait mis le locateur de régler le problème et si oui, quand. Ensuite la soussignée se devait d’évaluer si le problème avait perduré après la mise en demeure, quelle avait été la durée de cette perte de jouissance et la valeur de la diminution à accorder le cas échéant. »
[31] L’article
« 1595. La demande extrajudiciaire par laquelle le créancier met son débiteur en demeure doit être faite par écrit.
Elle doit accorder au débiteur un délai d'exécution suffisant, eu égard à la nature de l'obligation et aux circonstances; autrement, le débiteur peut toujours l'exécuter dans un délai raisonnable à compter de la demande. »
[32] L’article
« 1594. Le débiteur peut être constitué en demeure d'exécuter l'obligation par les termes mêmes du contrat, lorsqu'il y est stipulé que le seul écoulement du temps pour l'exécuter aura cet effet.
Il peut être aussi constitué en demeure par la demande extrajudiciaire que lui adresse son créancier d'exécuter l'obligation, par la demande en justice formée contre lui ou, encore, par le seul effet de la loi. »
[33] Le but de la mise en demeure est de permettre au locateur d'apporter les corrections qui s'imposent s'il est en défaut d'exécuter ses obligations.
[34] Dans son ouvrage, Denis Lamy[5] écrit :
« Doit-on faire débuter la diminution de loyer à compter de la date du début du trouble ? À compter de la signature du bail ? À compter de la date de dénonciation verbale du trouble au locateur ? À compter de la date de la réception de la mise en demeure écrite du locataire à son locateur ? À compter de la date effective où le locataire fait sa demande à la Régie du logement ou devant tout autre tribunal ? À compter de la date de la réception de la demande par le locateur ? À compter de la date du jugement se prononçant sur la demande du locataire ?
Dans ce domaine, il faut se rappeler que chaque cas est un cas d'espèce et que le tribunal possède un pouvoir discrétionnaire en fonction de la preuve qui lui fut présentée. Nos tribunaux et les auteurs ont eu l'occasion de répondre à cette question.
Selon la jurisprudence, en principe, la diminution
de loyer devrait débuter à compter du moment de la réduction des services
prévus au bail ou à compter de la date du début du trouble ou de la perte de
jouissance au bail ou à compter de la date du début du trouble ou de la perte
de jouissance que subit le locataire. Dans la pratique, elle ne débutera qu'à
compter de la mise en demeure ou à défaut à compter de la date de production de
la demande, celle-ci constituant demeure suivant l'article
Puisque le recours en diminution de loyer vise à
rétablir l'équilibre entre les prestations de chacune des parties et puisque le
législateur, conformément aux articles
Dans leur ouvrage[6], Thérèse Rousseau-Houle et Martine de Billy mentionnent que lorsque l'action en diminution de loyer est accueillie, il n'y a pas lieu, pour la Régie, de faire rétroagir la diminution antérieurement à la demande ou à la mise en demeure envoyée au locateur, sauf dans les cas particuliers où le locateur était déjà en demeure par les engagements qu'il avait pu prendre ou les promesses qu'il avait faites au locataire.
Il est donc possible, exceptionnellement, que la diminution de loyer soit accordée à compter de la signature du bail. »
[35] Selon les dispositions
de l'article
« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »
La locataire a le fardeau de démontrer, par
prépondérance de preuve, que les faits qu'elle présente sont probables,
conformément à l'article
« 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante ».
[36] Quant à l'appréciation du témoignage, elle est laissée à l'appréciation du Tribunal :
« 2845. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal. »
[37] Dans le cas présent, le Tribunal doit se demander si la locataire a démontré de manière suffisante le bien-fondé de sa réclamation en justice.
[38] Les auteurs Nadeau et Ducharme ont analysé les conséquences de l’absence de preuve ou de son insuffisance[7] :
« Celui sur qui repose l’obligation de convaincre le juge supporte le risque de l’absence de preuve, c’est-à-dire qu’il perdra son procès si la preuve qu’il a offerte n’est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve offerte de part et d’autre est contradictoire et que le juge se trouve dans l’impossibilité de déterminer où se trouve la vérité. »
- Barre de métal
[39] Les photographies déposées au dossier du tribunal sous la cote L-13 démontrent qu’une barre de métal située au seuil d’une pièce était légèrement crochie, mais il s’agit là d’un problème beaucoup trop mineur pour pouvoir donner ouverture à une diminution de loyer.
- Évier de cuisine bouché
[40] La locataire a soulevé un problème avec l’évier de cuisine dans sa mise en demeure du 9 novembre 2016, mais elle écrit que le problème avait été réglé le 29 octobre 2016, soit avant même l’envoi de sa mise en demeure.
- Balcons
[41] La locataire, dans sa mise en demeure envoyée au locateur le 9 novembre 2016 écrit que les deux balcons étaient tellement pourris qu’elle ne pourrait pas se servir de l’escalier de secours en cas d’incendie. La locataire a témoigné qu’elle avait fait venir un inspecteur qui avait conclu que les balcons étaient dangereux, que les rampes n’étaient pas réglementaires et explique qu’elle a porté plainte à la ville de Sorel-Tracy et a même été montré une vidéo au maire de la ville. La locataire a ajouté qu’elle avait été privée de son balcon pendant les travaux, mais a été incapable de préciser la date de ces travaux. Des photographies déposées au dossier du tribunal sous la cote L-18 semblent démontrer que des travaux ont effectivement eu lieu en septembre 2017, selon les dates que la locataire a elle-même indiquées au verso des photographies.
[42] En défense, le locateur a fait valoir que la locataire n’a pas fait la preuve de la non-conformité des balcons et des rampes.
[43] La soussignée conclut que la locataire n’a pas fait la preuve de la dangerosité du balcon non plus. Cependant le Tribunal accordera à la locataire une diminution de loyer de 10 % pendant deux semaines, cette période étant celle que la soussignée a estimée requise pour faire la réfection des balcons (500 $ X 10% X deux semaines = 25 $), puisque la locataire a dû être privée de l’usage de son balcon pendant les travaux.
- Plancher
[44] La locataire demande une diminution de loyer parce qu’il y aurait une bosse sur un plancher. Ce problème a été soulevé pour la première fois dans la demande de la locataire introduite le 20 avril 2017, puis la locataire l’a soulevée de nouveau dans sa mise en demeure du 27 juin 2017 et dans sa mise en demeure du 11 décembre 2017. Madame M… a déposé des photographies à l’appui de sa demande sous la cote L-10. Madame M… a également fait témoigner Monsieur Benoît Nadeau, charpentier menuisier propriétaire de la compagnie Construction DM Nadeau Inc. qui a expliqué au Tribunal qu’il y avait un < gros ballon> sous le plancher flottant et qu’un marcheur pourrait < tanguer> s’il marchait sur ce ballon. Selon lui c’était comme s’il y avait des trous dans le plancher sous le plancher flottant et les planches ont tendance à s’y disloquer. Les photos ne démontrent toutefois pas une très grande dénivellation.
[45] La locataire a cependant admis avoir enlevé le revêtement de sol et force est de conclure que les dommages subis par le locateur sont probablement plus élevés que la perte de jouissance de la locataire. En conséquence, le Tribunal n’accordera pas de diminution de loyer à la locataire qui a aggravé la situation.
- Prise électrique
[46] La soussignée n’a trouvé de mention de la prise électrique dans aucune des mises en demeure déposées au dossier du tribunal, ni dans la demande, ni dans aucun des amendements, exception faite de l’annexe à l’amendement du 17 août 2018.
[47] Monsieur Luc Daigle a témoigné pour la locataire et a confirmé qu’il s’était rendu au logement concerné le 8 juillet 2018. Il affirme que la locataire était très nerveuse et lui avait expliqué que son ordinateur avait < lâché>. Il avait alors constaté que la prise de courant avait surchauffé et qu’il avait fait un test avec une caméra thermique entre la prise de courant et le panneau. Tout était normal il n’y avait pas de risque d’incendie. Il avait donc mis le disjoncteur à <off> et était reparti.
[48] Contre interrogé par le locateur Nasser, Monsieur Daigle a confirmé que le locateur aurait pu lui-même remplacer la prise, puisque le problème était fort probablement limité à celle-ci.
[49] Or, la locataire a refusé l’accès au locateur afin qu’il puisse aller remplacer la prise de courant et il a fallu que la soussignée émette une ordonnance d’accès pour que le locateur puisse enfin régler le problème dont la locataire se plaignait. Il n’y a donc pas de diminution de loyer accordée pour la prise électrique.
- Porte patio
[50] La locataire a demandé au locateur de réparer sa porte patio dans sa mise en demeure du 11 décembre 2017 et dans son amendement du même jour. Monsieur Nadeau a témoigné que la porte était mal ajustée, qu’elle était étanche quand elle était bien fermée mais qu’elle ne se verrouillait pas. En défense, Monsieur Nasser a fait visionner une vidéo qui démontrait que lorsque la porte était complètement poussée à l’extrémité du rail, il était possible de la verrouiller. Il n’y aura donc pas de diminution de loyer pour la porte patio non plus.
- Fenêtres
[51] Madame M… a mentionné un problème de fenêtres dans ses mises en demeure du 27 juin et du 11 décembre 2017. Elle a également déposé des photographies au dossier du tribunal sous la cote L-8. Sur ces photographies on voit clairement que le <ruban d’étanchéité> a carrément été enlevé.
[52] Le locateur Nasser a témoigné quant à lui que suite à la réception de la mise en demeure, il était allé constater l’état des fenêtres le 24 novembre 2016 (et non pas seulement en juillet 2017 comme la locataire l’a écrit). Il confirme que les fenêtres ne sont pas neuves, puisqu’elles datent des années 1970 et qu’elles sont faites de PVC et de <velcros>. Il témoigne avoir changé une vitre pour une nouvelle vitre dont les velcros étaient meilleurs. Le locateur a démontré qu’il avait réparé la fenêtre et que le cadre de fenêtre et les rails étaient en bon état. Il a fait visionner une vidéo prise le 24 novembre 2016.
[53] La locataire n’a pas démontré par preuve prépondérante qu’après avoir envoyé une mise en demeure au locateur, ce dernier n’a pas remédié au problème de fenêtres.
- Boîte à lettres
[54] Madame M… a fait témoigner Madame France Ferland Langlois qui a expliqué qu’il n’y avait pas de serrure sur la boîte commune et sur un des casiers. Le témoin n’a cependant pas constaté s’il y avait une serrure ou non pour le casier postal du logement concerné.
[55] En défense, Monsieur Nasser a déposé une photographie au dossier du tribunal sous la cote P-3 et il a témoigné que c’est le postier qui a la clé de la boîte commune. Il explique que la boîte postale de cet immeuble de huit logis comprend deux compartiments de quatre boîtes chacun. Suite à une entente avec Postes Canada, quand un locataire quitte l’immeuble, et puisque les locataires ne font souvent pas de changement d’adresse auprès de Postes Canada, le locateur enlève carrément la serrure des logements vacants. Mais selon lui, jamais la boîte postale du logement concerné s’est-elle retrouvée sans serrures depuis le début du bail.
[56] Encore une fois, la locataire n’a pas fait la preuve que la serrure de son propre casier postal avait été enlevée et qu’une diminution de loyer était justifiée.
- Conduit de la sécheuse
[57] Madame M… a mentionné un problème avec le conduit de sa sécheuse dans son amendement du 11 décembre 2017. Elle a déposé des photographies de la grille extérieure sous la cote L-3 et des photos prises à l’intérieur du logement sous la cote L-5. Madame M… a témoigné que la partie rigide sur laquelle se fixe le tuyau souple de la sécheuse était écrasé de sorte qu’il lui était impossible de fixer son tuyau souple sur la sortie d’air vers l’extérieur.
[58] Monsieur Nadeau a confirmé que ce morceau rigide s’installait par l’extérieur et qu’il était écrasé et que la locataire ne pouvait donc pas y fixer son tuyau souple. Mais la locataire ne s’est pas plainte d’un trop haut taux d’humidité dans le logement parce que l’air humide de sa sécheuse n’aurait pas pu être évacué vers l’extérieur. Elle a plutôt témoigné que le moteur de sa sécheuse avait brûlé parce que la grille extérieure était bourrée de charpie, empêchant l’air d’être évacué à l’extérieur.
[59] Monsieur Steve Bérard, pompier à la ville de Sorel-Tracy a témoigné pour la locataire que le 16 juin 2017 il s’est rendu au logement concerné et avait constaté que la grille était obstruée dans le conduit de la locataire. Le témoin a ajouté que la sécheuse n’aurait pu prendre feu car il y a toujours un mécanisme d’arrêt de ces appareils en cas de surchauffe. Le pompier Bérard a donc conclu que si la locataire a enlevé sa sécheuse, elle l’avait fait par excès de prudence.
[60] Le locateur Nasser a quant à lui témoigné que la grille avait été nettoyée en juin 2017 lorsque les pompiers étaient venus et que la grille était de nouveau obstruée en décembre 2017 (photo L-3). Le pompier Bérard a alors confirmé que si la grille était de nouveau obstruée en décembre 2017, cela signifiait que non seulement la locataire avait réussi à fixer son tuyau souple sur la sortie d’air, mais qu’elle ne vidait peut-être pas régulièrement le filtre à charpie de sa sécheuse.
[61] Considérant le manque de cohérence de la demande et de la preuve de la locataire quant à la sécheuse et à la sortie d’air, la soussignée conclut que la locataire n’a pas rencontré son fardeau de preuve.
- Manque d’eau chaude
[62] La preuve a démontré que la locataire a manqué d’eau chaude du 7 décembre 2018 au 2 janvier 2019. La locataire aura donc droit à une diminution de loyer de 20 % pendant 28 jours (505 $ ÷ 31 X 28 X 20% = 91,22 $) et ce, en vertu des obligations de résultat et de garantie du locateur, peu importe qu’il ait fait les efforts pour remédier au problème avec diligence ou non.
Dommages moraux
[63] La locataire n’a pas clairement démontré quels étaient les dommages moraux qu’elle aurait subis. Cependant la locataire a mentionné à plusieurs reprises qu’au décès de son mari, peu avant le début du bail, elle avait hérité d’une somme de 50 000 $ et qu’elle n’avait dorénavant plus un cent. Elle a aussi allégué que le locateur, au moment de la signature du bail, lui avait dit qu’elle serait heureuse dans son logement, ce qui ne s’est pas avéré.
[64] La locataire n’a pas démontré que le locateur avait commis des fautes, ni qu’il avait fait preuve de cruauté mentale, ni qu’il avait porté atteinte à sa réputation. Cette réclamation de dommages moraux sera donc rejetée.
Dommages matériels
[65] La locataire n’a pas démontré qu’elle avait eu une surconsommation d’électricité de 1 000 $, ni à partir de quels critères elle avait pu établir que cette surconsommation était de 1 000 $ et encore moins que cette surconsommation résultait d’une faute du locateur.
[66] Dans tous les cas de réclamation pour surconsommation électrique, il est toujours très difficile de comparer la consommation électrique, même d'une année à l'autre dans un même logement, car plusieurs facteurs peuvent entrer en ligne de compte: le nombre d'occupants, l'occupation qu'en est faite du logement, les habitudes de vie des occupants, et le climat pendant les périodes comparées. En l'absence d'un expert démontrant un problème électrique ou en l'absence de la preuve d'un quelconque autre problème, il était presque impossible pour un Tribunal de pouvoir quantifier quelle serait une « consommation normale » vs une « surconsommation d'électricité ».
[67] Quant aux dommages réclamés pour couvrir les frais de la locataire lorsqu’elle a emménagé dans le logement concerné (2 635 $), il n’y a aucune justification permettant d’accorder ces dommages à la locataire.
[68] CONSIDÉRANT l’ensemble de la preuve;
[69] CONSIDÉRANT que la situation justifie l’exécution provisoire de la décision nonobstant appel;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[70] ACCUEILLE en partie la demande du locateur;
[71] RÉSILIE le bail pour troubles de comportement et ORDONNE l’expulsion de la locataire et de tous les occupants du logement;
[72] ORDONNE l’exécution provisoire de l’ordonnance d’expulsion nonobstant appel, à compter du 21e jour de sa date;
[73] CONDAMNE la locataire à payer au locateur les frais judiciaires de 75 $ et les frais de signification de 18 $;
[74] REJETTE la demande du locateur quant à ses autres conclusions;
[75] ACCUEILLE en partie la demande de la locataire;
[76] CONDAMNE le
locateur à payer à la locataire la somme de 116,22 $ à titre de diminution
de loyer, avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle
prévue à l’article
[77] REJETTE la demande de la locataire quant à ses autres conclusions et quant au surplus.
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Danielle Deland |
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Présence(s) : |
le locateur la locataire |
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Date de l’audience : |
23 janvier 2020 |
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[1] RL 37-050831-001 G.
[2] Beaudoin, Jean-Louis et Jobin, Pierre-Gabriel, Les obligations, 5e édition, no.826, p. 655.
[3] Idem note 1, à la page 37.
[4] LAMY, Denis, La diminution de loyer, Wilson & Lafleur Ltée, 2004, pages 29-30.
[5] Lamy, Denis, La diminution de loyer, Montréal, Wilson et Lafleur ltée, 1989, p.105.
[6] Rousseau-Houle, Thérèse et De Billy, Martine, Le bail du logement : analyse de la jurisprudence, Montréal, Wilson et Lafleur ltée, 2004, p.49.
[7] Nadeau André et Ducharme Léo, Traité de droit civil du Québec, vol. 9, 1965, Montréal, Wilson et Lafleur, page 99.
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