Décision

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Quatrini c. Mendoza Palacios

2023 QCTAL 33239

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

726237 31 20230807 G

No demande :

3999100

 

 

Date :

27 octobre 2023

Devant la juge administrative :

Marilyne Trudeau

 

Carlos Quatrini

 

Maria Rosa Larosa

 

Locateurs - Partie demanderesse

c.

Clisbeth Mendoza Palacios

 

Mohamed El Ghiouaj

 

Locataires - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Par une demande introduite le 7 août 2023, les locateurs requièrent la résiliation du bail pour deux motifs : le retard de plus de trois semaines et les retards fréquents dans le paiement du loyer. L'expulsion des locataires, le recouvrement du loyer dû au moment de l'audience, l'exécution provisoire malgré l'appel et les frais de justice sont également réclamés.

[2]         Les parties sont liées par un bail du 15 juillet 2019 au 30 juin 2023 au loyer mensuel de 735 $, reconduit jusqu’au 30 juin 2024.

[3]         Le bail ne prévoit pas que les locataires sont solidairement responsables envers les locateurs.

APERÇU

[4]         La locatrice explique que, suivant une décision rendue par ce Tribunal le 29 juillet 2022, le loyer a été fixé à 745 $ par mois pour la période du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023.

[5]         La locatrice exhibe un avis d'augmentation du loyer, augmentant celui-ci à 770 $ par mois à compter du 1er juillet 2023, remis en mains propres aux locataires le 29 mars 2023.

[6]         Les locataires n'ayant pas répondu à cet avis, les locateurs estiment que le loyer a valablement été augmenté au 1er juillet 2023. Ils réclament la somme de 100 $, soit un montant de 25 $ par mois depuis le 1er juillet 2023, les locataires versant la somme de 745 $ mensuellement. Par imputation des paiements reçus sur les dettes les plus anciennes, il s’agit d’un solde du loyer d’octobre 2023.


[7]         La locatrice soumet que le loyer ayant été payé en retard, les locataires n’ont pas respecté l’ordonnance de payer le premier jour du mois à compter du 1er septembre 2022, rendue dans la décision de la juge administrative Rachel Tupula, le 29 juillet 2022[1]. 

[8]         Le locataire admet avoir reçu l'avis d'augmentation. Il explique toutefois avoir remis au locateur leur avis de refus en mains propres, mais que celui-ci a refusé de signer l’accusé de réception, indiquant qu’il le remettrait à son épouse. Étant sans nouvelle, le locataire explique avoir téléphoné au locateur deux ou trois semaines plus tard.

[9]         Au soutien, il fait entendre l’enregistrement de cette conversation avec le locateur.

[10]     La locatrice soumet qu’aucune réponse par courrier recommandé n’a été reçue des locataires, le loyer a donc été augmenté.

QUESTIONS EN LITIGE

1)      Le loyer a-t-il été valablement augmenté au 1er juillet 2023?

2)      Des sommes sont-elles dues aux locateurs en loyer impayé?

3)      Les locataires sont-ils en retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer justifiant la résiliation du bail?

4)      Les locataires payent-ils leur loyer fréquemment en retard de manière à justifier la résiliation du bail?

ANALYSE ET DÉCISION

[11]     Le Tribunal juge pertinent de rappeler les articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec qui prévoient que celui qui veut faire valoir un droit doit faire la preuve des faits allégués dans sa demande, et ce, de façon prépondérante.

[12]     La force probante de la preuve testimoniale est laissée à l'appréciation du Tribunal, qui, pour ce faire, évalue la crédibilité des témoignages à la lumière de la chronologie des événements, de ce qui apparaît de la motivation des parties à agir et de la corroboration des allégations par d'autres témoignages notamment.

[13]     Par conséquent, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le Tribunal est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, la partie demanderesse perdra[2].

[14]     Comme le soulignent les auteurs Nadeau et Ducharme dans leur Traité de droit civil du Québec :

Celui sur qui repose l'obligation de convaincre le juge supporte le risque de l'absence de preuve, c'est-à-dire qu'il perdra son procès si la preuve qu'il a               offerte n'est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve offerte de               part et d'autre est contradictoire et que le juge est placé dans l'impossibilité               de déterminer où se trouve la vérité[3].

La reconduction du bail et le recouvrement du loyer

L'augmentation de loyer

[15]     Les articles 1942, 1945 et 1947 du Code civil du Québec stipulent ce qui suit :

1942. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s'il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l'arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de 12 mois, l'avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.

Lorsque le bail est à durée indéterminée, le locateur ne peut le modifier, à moins de donner au locataire un avis d'au moins un mois, mais d'au plus deux mois.

Ces délais sont respectivement réduits à 10 jours et 20 jours s'il s'agit du bail d'une chambre. »


1945. Le locataire qui refuse la modification proposée par le locateur est tenu, dans le mois de la réception de l'avis de modification du bail, d'aviser le locateur de son refus ou de l'aviser qu'il quitte le logement; s'il omet de le faire, il est réputé avoir accepté la reconduction du bail aux conditions proposées par le locateur.

Toutefois, lorsque le bail porte sur un logement visé à l'article 1955, le locataire qui refuse la modification proposée doit quitter le logement à la fin du bail.

1947. Le locateur peut, lorsque le locataire refuse la modification proposée, s'adresser au tribunal dans le mois de la réception de l'avis de refus, pour faire fixer le loyer ou, suivant le cas, faire statuer sur toute autre modification du bail; s'il omet de le faire, le bail est reconduit de plein droit aux conditions antérieures.

[16]     L'article 1898 du Code civil du Québec édicte quant à lui :

1898. Tout avis relatif au bail, à l'exception de celui qui est donné par le locateur afin d'avoir accès au logement, doit être donné par écrit à l'adresse indiquée dans le bail, ou à la nouvelle adresse d'une partie lorsque l'autre en a été avisée après la conclusion du bail; il doit être rédigé dans la même langue que le bail et respecter les règles prescrites par règlement.

[...]

[17]     La juge Michèle Pauzé de la Cour du Québec, dans l'affaire Bon Apparte c. Brousseau[4], conclut qu'il incombe au locataire de prouver la réception de son avis de refus lorsque le locateur conteste l'avoir reçu :

[10] Plus récemment, dans une décision fort élaborée, l'Honorable Juge Claude Filion de la présente Cour en arrivait à la conclusion que si le législateur avait mentionné que le locataire avait un mois "de la réception de l'avis " de modification de bail pour y répondre, c'est qu'il fallait au propriétaire non seulement prouver l'envoi de l'avis mais également sa "réception ".

[11] L'Honorable Juge Filion après l'étude tant des dispositions du Code civil du Québec que celles du Règlement sur la procédure devant la Régie du logement (R-8.1, r. 5) puis par analogie des dispositions prévues à l'article 139 de la Loi sur la protection du consommateur (L.R.Q. P-40.1) écrit:

En l'espèce, la Cour note que l'article 1942 C.p.c. mentionne que l'avis doit avoir été "donné" au locataire. Le mot "donné" doit se comprendre, pour les fins de la présente cause, comme "reçu" par le locataire. En effet, le législateur mentionne de façon explicite à l'article 1945 C.c.Q. que le délai, pour le locataire qui refuse les modifications proposées, court à partir de "la réception de l'avis de modification du bail". Par ailleurs, nulle part n'est-il mentionné que "l'envoi d'un avis " est suffisant.[3]

[12] Qu'en est-il en l'instance quant au locataire, qui prétend que suite à l'avis reçu de son locateur de modifier le bail envoie, dit-il, dans le délai prévu par la Loi un avis à son locateur mais que ce dernier prétend ne pas avoir reçu?

(...)

[14] Comme on peut le constater à la lecture de l'article 1947, le législateur a reformulé le même délai en computant celui-ci à compter non pas de "l'envoi de l'avis " mais bien de la réception de l'avis de refus.

Ce faisant, le législateur a imposé au locataire la preuve de la réception de son avis de refus lorsque celle-ci est contestée par le locateur. »

[Références omises]

[18]     En l'instance, les locateurs se sont déchargés de leur fardeau de démontrer la réception de leur avis d'augmentation de loyer par les locataires, en mains propres le 29 mars 2023, tel qu’il appert de l’accusé de réception.

[19]     Le fardeau de preuve quant à la transmission d'un avis de contestation de l'augmentation de loyer dans le délai imparti incombe donc aux locataires.

[20]     Or, sachant que le locateur avait refusé de signer l’accusé de réception et celui-ci ne confirmant pas l’avoir reçu en mains propres lors de la conversation téléphonique produite à l’audience, les locataires auraient dû faire preuve de prudence et de diligence en faisant parvenir une copie de leur refus aux locateurs par courrier recommandé ou de toute autre manière permettant d’en confirmer la réception.


[21]     En se contentant de ne rien faire, les locataires n'ont pas été prudents et diligents. 

[22]     Les locataires ne s’étant pas déchargés de leur fardeau, ne pouvant démontrer avoir répondu à l’avis d’augmentation donné par les locateurs, celui-ci leur est opposable.

[23]     Le Tribunal conclut donc que le loyer mensuel a été augmenté de 25 $ par mois au 1er juillet 2023, portant celui-ci à 770 $, pour la période de bail en cours se terminant au 30 juin 2024.

Les sommes dues aux locateurs

[24]     Par ailleurs, comme la réception de l'avis d'augmentation de loyer de 25 $ par mois pour la période du bail du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024 a été démontrée, la somme de 100 $ est due aux locateurs. Par imputation des paiements faits sur les dettes les plus anciennes, il s’agit d’un solde du loyer d’octobre 2023. 

[25]     Au jour de l’audience, les locataires n’étant pas en retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer, ce premier motif de résiliation du bail n’est pas fondé.

Les retards fréquents

[26]     Quant au deuxième motif de résiliation, le loyer étant payable le premier jour de chaque mois, un locateur peut obtenir la résiliation du bail s’il démontre trois conditions cumulatives: (1) des retards fréquents (c’est-à-dire souvent, se répètent à intervalles rapprochés), (2) qu’il subit un préjudice (3) qui se qualifie de sérieux.

[27]     La preuve démontre que le loyer a été payé le premier jour du mois à l’exception du montant de 25 $ d’augmentation au centre de la présente décision, les locataires croyant de bonne foi l’avoir refusée.

[28]     De la preuve présentée, le Tribunal ne peut conclure que les locataires n’ont pas respecté l’ordonnance rendue le 29 juillet 2022 de payer le loyer le premier jour du mois. Cette partie de la demande est donc rejetée.

[29]     Le préjudice causé aux locateurs ne justifie pas l'exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l'article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[5].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[30]     ACCUEILLE en partie la demande;

[31]     CONSTATE la reconduction du bail pour la période du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024 au loyer mensuel de 770 $;

[32]     CONDAMNE les locataires à payer aux locateurs 100 $, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 1er octobre 2023, plus les frais judiciaires de 130 $;

[33]     REJETTE la demande quant aux autres conclusions.

 

 

 

 

 

 

 

 

Marilyne Trudeau

 

Présence(s) :

la locatrice Maria Rosa Larosa

le locataire Mohamed El Ghiouaj

Date de l’audience : 

4 octobre 2023

 

 

 


 


[1] Palacios c. Quatrini (T.A.L., 2022-07-29), 2022 QCTAL 21615, SOQUIJ AZ-51871166.

[2] Léo DUCHARME, Précis de la preuve, 6e édition, 2005, Wilson et Lafleur ltée, p. 62.

[3] Nadeau, André et Ducharme, Léo, vol. 9, 1965, Montréal, Wilson et Lafleur. Pages 98 et 99.

[5] RLRQ, chapitre T-15.01.

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