Décision

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Décision

Caron c. Chaussé

2014 QCRDL 14147

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Saint-Jérôme

 

No dossier:

130375 28 20140114 G

No demande:

1399649

 

 

Date :

16 avril 2014

Régisseure :

Marie-Louisa Santirosi, juge administratif

 

Guy Caron

 

Myriam Poirier

 

Locateurs - Partie demanderesse

c.

Isabelle Chaussé

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Les locateurs demandent l'autorisation de reprendre le logis afin que Mme Myriam Poirier puisse l’habiter dès le 1er juillet 2014.

[2]      Il s’agit d’un bail débutant le 1er juillet 2013 au 30 juin 2014, au loyer mensuel de 1 000 $.  Les locateurs en sont copropriétaires depuis environ huit ans.

[3]      Ils expliquent qu’ils se sont séparés récemment.  Le locateur doit pourvoir aux besoins de son ex-conjointe, Mme Poirier, qui vit des choses difficiles et suit des thérapies.  Il lui sera plus facile de gérer financièrement la situation si elle habite l’une de leurs maisons. 

[4]      Mme Poirier habite un logement à Blainville dont le bail se termine en juillet prochain.  Elle ne reconduit pas le contrat parce qu’elle trouve le logis trop éloigné de son travail administratif à St-Sauveur. 

[5]      La maison de la locataire est la plus petite de leurs unités locatives, et elle est située à proximité des autres logements qu’elle doit administrer.  La locatrice mentionne qu’il s’agit également de celle  qu’elle préfère en raison de son aménagement extérieur.

[6]      Le ou vers le 18 décembre 2013, ils font parvenir un avis à la locataire.  L'avis est conforme à la loi et plus spécifiquement aux articles 1960 et 1961 C.c.Q. Celle-ci refuse de quitter le logement, d'où l'introduction de la présente demande.

[7]      La locataire habite l’unité concernée depuis juillet 2013.  Elle mentionne qu’avant de s’engager, elle a vérifié les intentions de la locatrice, c.-à-d., si elle prévoyait vendre.  La locataire explique qu’elle souffre de fatigue chronique (Hyperthyroïdie) et recherchait un endroit pour s’installer à long terme, voire à vie.  En outre, elle est travailleuse autonome et œuvre à partir de son domicile.  Elle doit déplacer son bureau avec chacun de ses déménagements.

[8]      C’est l’assurance de la locatrice qui l’a convaincue de choisir ce logement, plutôt qu’un autre. 


[9]      D’autre part, elle fut très surprise de recevoir l’avis daté du 18 décembre 2013, soit la journée après avoir contacté la locatrice pour se plaindre de sa voisine et lui demander d’intervenir.  Elle ne croit pas qu’il s’agisse d’une coïncidence et croit que la locatrice désire se débarrasser d’elle en choisissant ce moyen détourné.  Elle se fonde sur les actions rapides de la locatrice lorsque la voisine s’est plainte d’elle, alors qu’elle n’a pas semblé intervenir pour elle, une partialité qu’elle déplore.  En outre, elle relate des difficultés pour rejoindre la locatrice en décembre dernier.

[10]   La locatrice dément son inaction et déclare qu’elle a fait une intervention aussi rapide auprès de la voisine sans toutefois que la locataire en soit informée.  Elle souligne que la locataire pouvait en tout temps rejoindre son ex-conjoint, également locateur.

[11]   La locataire mentionne que le site internet des locateurs annonce dans leur logement à louer son unité bien qu’il soit inscrit que la maison n’est pas disponible.  Les locateurs répliquent qu’ils n’ont pas mis à jour leur site.

[12]   Finalement, elle trouve curieux que malgré l’assurance que la locatrice lui avait donnée en juillet, elle décide de reprendre son logement plutôt qu’un autre plus spacieux.  Elle ajoute qu’elle ne pourra pas trouver un logement équivalent à moins de 20% plus cher.  Or, elle n’a pas les moyens de verser ce type de loyer.

[13]   Dans l’éventualité où le tribunal accueille le recours, elle demande une compensation pour son déménagement incluant l’emballage de ses biens.  Elle remet une note de son médecin qui souligne qu’elle ne peut emballer ses effets en raison de sa condition.

[14]   Elle dépose également deux estimations qui évaluent les coûts de déménagement et ses déboursés entre 7 434,99 $ et 7 703,74 $.  Entre autres, la locataire réclame 1 320 $ en perte de revenus et 1 000 $ pour son stress.

[15]   Les locateurs trouvent la somme exagérée. La locatrice mentionne que les coûts de rebranchement sont déductibles pour la locataire puisqu’il concerne son bureau et le locateur réitère que l’une des raisons de la reprise est financière.

ANALYSE DES FAITS ET APPLICATIONS DE LA LOI

[16]   Un locateur peut obtenir l'éviction d'un locataire lors d'une reprise de logement que ce soit pour l'habiter ou pour y installer un membre de la famille (article 1957 du Code civil du Québec). Il doit cependant remplir certaines conditions.

[17]   Plus précisément, le locateur doit démontrer qu’il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l’avis et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres buts.

[18]   En l'instance, la reprise servira à l’un des copropriétaires, Mme Poirier, et aidera les demandeurs financièrement.  La locatrice a témoigné avec innocence et droiture.  Elle a convaincu la soussignée qu’elle a l’intention d’habiter le logement et que son choix est déterminé non seulement par la surface habitable, mais également par l’environnement.

[19]   La locataire habite le logement depuis peu.  Elle n’a jamais eu de différend avec les propriétaires et leurs relations sont bonnes.  La locatrice a même indiqué qu’elle respectait la locataire.  La plainte concernant la voisine n’est pas un élément qui permet de croire que leur relation se soit modifiée, pas plus que les difficultés vécues par la locataire pour rejoindre la locatrice en décembre.

[20]   Le tribunal conçoit la déception de la locataire, mais elle doit comprendre que même si les locateurs n’avaient pas l’intention de reprendre le logement en juillet 2013, des situations inattendues peuvent survenir et modifier les intentions premières.

[21]   À titre d'information aux parties, il convient d'ajouter que l'article 1968 C.c.Q. prévoit un recours en faveur du locataire en recouvrement de dommages-intérêts et même de dommages punitifs si la reprise de logement est obtenue de mauvaise foi. De plus, l'article 1970 C.c.Q. précise qu'un logement qui fait l'objet d'une reprise ne peut être reloué ou utilisé à d'autres fins que celle pour laquelle le droit a été exercé sans l'autorisation de la Régie.

[22]   L'article 1967 du Code civil du Québec permet au tribunal d'imposer certaines conditions à la reprise, notamment le paiement par le locateur des frais de déménagement et les autres frais qui y sont directement reliés, comme ceux s'appliquant au réabonnement aux divers services publics.

[23]   Cette compensation est d'autant plus nécessaire que la reprise du logement est une des rares situations qui permettent de faire échec au droit au maintien dans les lieux.


[24]   Cette indemnité est laissée à la discrétion du tribunal qui considérera, entre autres, le temps d’occupation du logement, l’impact sur le locataire et sa famille, l’âge des occupants ou tout autre facteur pertinent.

[25]   Il ne s’agit pas d’une pénalité contre le locateur qui exerce un droit, mais une compensation pour les inconvénients subis par le locataire et directement liés à la reprise. 

[26]   Pour cette raison, le 1 000 $ réclamé pour le stress ne sera pas considéré.

[27]   D’autre part, il s’agit d’un logement résidentiel, les locateurs n’ont pas à compenser pour des pertes de revenus ou pour le déménagement du bureau de la locataire.  La soussignée ne tiendra pas compte du 1 320 $ pour la perte de revenus et un montant doit être soustrait pour le déménagement des effets de bureau.

[28]   Dans le cas présent, la locataire aura occupé le logement pendant un an.  Considérant que le déménagement avec emballage s’élève entre 4 950 $ et 5 219 $ et considérant que les soumissions incluent un travail de 10 heures incluant les effets de bureau, il appert raisonnable d’attribuer une indemnité de 3 000  ou l’équivalent de trois mois de loyer.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[29]   AUTORISE les locateurs à reprendre le logement pour Mme Myriam Poirier à compter du 1er juillet 2014 à 0:00 heure;

[30]   ORDONNE à la locataire et à toute personne logeant avec elle, de quitter les lieux loués, au plus tard le 30 juin 2014 à minuit;

[31]   ORDONNE aux locateurs de remettre à la locataire au plus tard le 30 juin 2014, la somme de 3 000 $;

[32]   Les locateurs assument les frais de la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Marie-Louisa Santirosi

 

Présence(s) :

les locateurs

la locataire

Date de l’audience :  

25 mars 2014

 


 

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