Ha c. Clermont

2012 QCRDL 33027

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau de Montréal

 

No :          

31 120424 043 G

31 120604 076 G

 

 

Date :

25 septembre 2012

Régisseure :

Manon Talbot, juge administratif

 

Kinh Trung Ha

 

Locateur - Partie demanderesse

(31 120424 043 G)

Partie défenderesse

(31 120604 076 G)

c.

Gina Clermont

 

Locataire - Partie défenderesse

(31 120424 043 G)

Partie demanderesse

(31 120604 076 G)

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le 24 avril 2012, le locateur déposait à la Régie du logement une demande de résiliation de bail, recouvrement de loyer (500 $) et de tout le loyer dû à l'audience, exécution provisoire de la décision et condamnation de la locataire aux frais judiciaires.

[2]      Pour sa part, le 4 juin 2012, la locataire, Madame Gina Clermont, déposait à la Régie du logement une demande de diminution de loyer rétroactive au mois de mars 2012, la résiliation du bail, dommages et intérêts (1 125 $), exécution provisoire de la décision nonobstant l'appel et condamnation du locateur aux frais judiciaires.

[3]      Le même jour, elle demandait la réunion des dossiers.

[4]      Dans une décision intérimaire rendue le 19 juin 2012, les deux demandes ont été réunies afin d'être entendues et jugées sur la même preuve, conformément à l'article  57 de la Loi sur la Régie du logement.

[5]      À l’audience, le tribunal autorisait la demande d’amendement verbale de la locataire visant à augmenter sa demande en dommages-intérêts à la somme de 1 625 $.

[6]      Il est admis que les parties étaient liées par un bail du 1er février 2012 au 30 juin 2013 au loyer mensuel de 500 $.

[7]      Le locateur a déclaré lors de l'audience que la locataire doit la somme de 1 500 $ correspondant au loyer des mois d’avril, juin et juillet 2012.

[8]      La locataire admet ne pas avoir payé ces sommes et fait valoir en défense les motifs de sa propre demande.


Allégations et preuve de la locataire

[9]      Madame Clermont déclare être emménagée dans son logement le 8 février 2012. Dès le lendemain, elle constate des lésions sur son corps. Elle s’interroge sur les raisons de ses démangeaisons, mais ne découvre rien d’anormal dans son logement. Ce n’est qu’après quelques semaines qu’elle aperçoit la présence de punaises sur la douillette de son lit. Elle appelle donc le locateur le 16 mars 2012 pour dénoncer la situation et pour vérifier s’il avait déjà été confronté à un problème de punaises dans son l’immeuble auparavant. Le locateur lui répond qu’un autre logement avait déjà fait l’objet d’une extermination.

[10]   Suite à cette dénonciation par la locataire, un exterminateur se présente au logement quatre jours plus tard. Madame Clermont constate alors qu’elle fait une réaction allergique aux produits utilisés pour la fumigation. L’exterminateur lui suggère donc de quitter le logement pour la durée du traitement, soit 21 jours. Ainsi, elle décide de résider chez un ami pendant cette période.

[11]   L’exterminateur retourne au logement le 12 avril suivant pour effectuer un deuxième traitement. Madame Clermont continue donc d’habiter chez son ami pour le reste du mois. Cependant, elle dit s’être rendue régulièrement au logement pour ouvrir les fenêtres et faire évacuer les odeurs émanant des produits utilisés. Elle ne pouvait toutefois pas faire le ménage du logement puisqu’elle devait laisser les produits agir sur les planchers, les meubles et les matelas.

[12]   Ce n’est qu’en mai 2012 qu’elle réintègre son logement. Elle s’inquiète toutefois que le problème soit irrésolu parce que le locateur refuse de procéder à l’extermination des autres logements de l’immeuble. Elle décide donc de quitter son logement et signe un bail le 10 juin 2010 pour un logement dans un autre immeuble. Elle affirme avoir avisé la conjointe du locateur de son départ avant la fin du mois de juin 2012.

[13]   Au soutien de sa demande, le procureur de la locataire allègue que le locateur a fait défaut de lui procurer la jouissance pleine et entière de son logement. Elle réclame ainsi une diminution de loyer de 250 $ pour le mois de mars, soit la moitié du loyer parce qu’elle a occupé son logement pour une partie du mois seulement. Elle réclame également le mois d’avril en totalité parce qu’elle a dû quitter le logement pendant la fumigation des lieux.

[14]   Quant aux dommages matériels qu'elle évalue à 625 $, elle les explique par l'achat d’une sécheuse usagée (125 $) et le remplacement de certains meubles en bois. Elle dit avoir jeté un bureau, une base de lit, des tables de chevet et un miroir parce que les produits utilisés avaient imprégné le bois et lui occasionnaient des réactions allergiques. Quant à la sécheuse, elle explique que ses effets personnels, tels les vêtements et la literie, devaient non seulement être lavés à l’eau chaude, mais également séchés à l’air très chaud pour assurer l’éradication des punaises, selon l’exterminateur. Compte tenu qu’elle avait l’habitude de sécher ses vêtements à l’air libre, elle s’est procuré une sécheuse.

[15]   Elle invoque également que cette situation lui a causé des troubles, ennuis et inconvénients, qu'elle estime à 1 000 $. Elle témoigne du stress psychologique occasionné par la présence de ces insectes. Elle a dû dormir chez un ami et nettoyer de fond en comble son logement et tous ses effets personnels. Elle ajoute avoir dormi la nuit avec les lumières allumées pour éviter les morsures des insectes.

Allégations et preuve du locateur

[16]   Le locateur soutient avoir agi avec diligence car dès qu’il a été informé par la locataire de la présence de punaises, soit le 16 mars 2012, il a mandaté un exterminateur qui s’est présenté quelques jours plus tard au logement.

[17]   De plus, il soutient qu’il ne peut être tenu responsable de la présence de punaises car ces insectes se transportent sur des personnes. Or, il mentionne que le problème est survenu suite à l’arrivée de la locataire dans le logement.

[18]   En réponse aux allégations de la locataire à l’effet qu’il refusait de faire exterminer tout l’immeuble, il explique que la présence de punaises dans un logement n’entraîne aucunement l’obligation de procéder à une extermination dans l’ensemble des logements. Il admet toutefois avoir demandé la fumigation des autres logements de l’immeuble en juillet 2012.


[19]   Par ailleurs, à l’égard de la réclamation pour dommages-intérêts matériels, il mentionne que généralement les occupants d’un logement n’ont pas à quitter les lieux plus que quelques heures et n’ont pas à se départir de leurs biens matériels suite au traitement.

[20]   Finalement, il nie les affirmations de la locataire à l’effet qu’il aurait été informé de son départ en juin 2012. Il prétend plutôt avoir reçu son appel autour du 23 juillet 2012 pour lui annoncer qu’elle quittait le logement.

Analyse et discussion

- Dossier 31-120604-076G

[21]    Le recours de la locataire se fonde sur les articles 1854 , 1863 , 1864 et 1910 du Code civil du Québec, lesquels se lisent comme suit :

« 1854.      Le locateur est tenu de délivrer au loca­taire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouis­sance paisible pendant toute la durée du bail.

                 Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »

«1863.       L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de deman­der, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent.  Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agis­sant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résilia­tion du bail.

                 L'inexécution confère, en outre, au loca­taire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablis­sement du loyer pour l'avenir. »

« 1864.      Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues répa­rations d'en­tretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure. »

« 1910.      Le locateur est tenu de délivrer un loge­ment en bon état d'habitabilité; il est aussi tenu de le maintenir ainsi pendant toute la durée du bail.

                La stipulation par laquelle le locataire recon­naît que le logement est en bon état d'habitabi­lité est sans effet. »

[22]   Les obligations du locateur prévues aux articles 1854, 1864 précités sont considérées comme étant des obligations de résultat, ainsi les moyens de défense du locateur sont limités, comme l'explique l'honorable juge Jean-Louis Baudoin :

« ... dans le cas d'une obligation de résultat, la simple constatation de l'absence du résultat ou du préjudice subi suffit à faire présumer la faute du débiteur, une fois le fait même de l'inexécution ou la survenance du dommage démontré par le créancier. Dès lors, le débiteur, pour dégager sa responsabilité, doit aller au-delà d'une preuve de simple absence de faute, c'est-à-dire démontrer que l'inexécution ou le préjudice subi provient d'une force majeure. Il ne saurait être admis à dégager sa responsabilité en rapportant seulement une preuve d'absence de faute. »[1]

[23]   De plus, l'article 1854 alinéa 2 est à l'effet que l'obligation du locateur en est une « de garantie » qui est encore plus lourde :

« En présence enfin d'une obligation de garantie, le débiteur est présumé responsable. La seule façon pour lui d'échapper à sa responsabilité est de démontrer que c'est par le fait même du créancier qu'il a été empêché d'exécuter son obligation, ou encore que l'inexécution alléguée se situe complètement en dehors du champ de l'obligation assumée. »[2]


[24]   La Cour du Québec énonçait ce qui suit en ce qui concerne les obligations du locateur en matière d'insectes :

« La présente persistance d'insectes rebutants diminue à la fois l'habitabilité, la jouissance et l'usage des lieux. Lorsque le locataire ne parvient pas à s'en libérer par des moyens ordinaires, le locateur doit faire désinsectiser par un exterminateur professionnel utilisant un procédé éprouvé, dont la fumigation. Dans ce cas, les travaux requis sont des réparations autres que locatives et l'on qualifie le trouble de défaut ou vice de la chose.

La garantie contre les défauts cachés ne peut s'appliquer dans l'espèce, puisque la locataire connaissait le trouble dès la signature du bail. Mais cela n'atténue en rien les autres obligations du locateur, notamment celle de livrer et maintenir les lieux en bon état d'habitabilité, à laquelle on ne peut déroger. »[3]

[25]   En l'occurrence, la preuve n'a pas révélé que l'origine du trouble dénoncé résultait d'une faute de la locataire. Le locateur ne peut écarter sa responsabilité sur de simples allégations à l’effet que la locataire serait la source du problème.

[26]    La preuve non contestée démontre que la locataire a avisé le locateur de la situation dont elle se plaint dès qu'elle en a eu connaissance. Par contre, la preuve révèle également que le locateur a agi avec célérité dans le but de remédier au défaut.

[27]   Il ressort aussi de la preuve soumise, que la locataire s’est logée à l’extérieur pendant la durée du traitement d’extermination. Or, il n’a pas été établi de façon prépondérante que le logement constituait une menace pour sa santé. Le tribunal considère que le seul témoignage de la locataire est insuffisant pour soutenir que sa situation justifiait de quitter le logement ou encore de se débarrasser de ses biens meubles.

[28]   Cependant, tel que mentionné précédemment, le locateur est tenu de garantir l’usage du logement pour lequel il est destiné et de le maintenir dans tel état. Le locateur ne peut se décharger de sa responsabilité en démontrant qu'il a agi avec diligence pour éradiquer les punaises puisque son obligation est de résultat, voire de garantie quant à la jouissance des lieux loués. Le tribunal doit, par conséquent, conclure qu'il a contrevenu à ses obligations.

[29]   Le tribunal considère que la locataire doit être compensée pour la perte de jouissance et de valeur locative démontrée à l'audience. Toutefois, vu la courte période de temps pour laquelle la locataire a dû subir cette perte, le tribunal estime juste et raisonnable de lui accorder une somme forfaitaire de 350 $ pour la période entre la mi-mars et le premier mai 2012.

[30]   Le tribunal estime qu'elle doit aussi être compensée pour les troubles et inconvénients découlant de la présence de punaises. Une somme de 400 $ paraît juste et raisonnable dans les circonstances.

[31]   Le tribunal ne peut faire droit au chef de réclamation pour les dommages matériels car cette dernière n’a pas démontré de façon convaincante que ses effets ne pouvaient être nettoyés et servir à nouveau.

[32]   Le tribunal fait siens les propos du juge administratif Luce De Palma qui écrit :

« [56] Le tribunal ne peut finalement faire droit aux autres chefs de réclamations des locataires, notamment quant à la perte d'objets mobiliers invoquée, ces derniers n'ayant aucunement démontré que ces effets ne pouvaient être nettoyés et traités convenablement afin de servir de nouveau à l'usage auquel ils étaient destinés.

[57] De plus, tel que l'indiquait la juge administratif Francine Jodoin dans l'affaire Henry c. Beaupérin, les locataires n'ont jamais avisé formellement le locateur de leur intention de se départir de leurs biens, au préalable, empêchant ainsi ce dernier de constater l'étendue des dommages et la valeur de ceux-là, le cas échéant. »[4]

[33]   Au surplus, la locataire n’a pas fourni au tribunal les preuves d’achat démontrant le remplacement de ces biens par d’autres.

[34]   Quant à l’achat de la sécheuse, le tribunal considère qu’il s’agit d’un dommage indirect et imprévisible qui ne peut être compensé.

[35]   Finalement, en ce qui a trait à la demande de résiliation du bail, le tribunal doit conclure que par son départ, la locataire a unilatéralement résilié le bail. Cependant, le tribunal est d’avis que la locataire n’a pas démontré avoir subi un préjudice sérieux ni même que le logement constituait une menace pour la santé justifiant d’abandonner le logement, d’autant plus que la preuve révèle que le problème de punaises était corrigé dans son logement lors de son départ.


[36]   La résiliation du bail sera constatée, mais aux torts de la locataire.

[37]   Le préjudice causé à la locataire ne justifie pas l’exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l’article 82.1 de la Loi sur la Régie du logement.

- Dossier 31-120424-043G

[38]   Le locateur réclame notamment le loyer du mois de juillet 2012 au motif que la locataire aurait quitté le logement pendant ce mois. Or, la preuve est contradictoire quant à savoir à quelle date la locataire a abandonné le logement. Cependant, après examen des témoignages et de la preuve du bail démontrant que celui-ci commençait le 10 juin 2012, le tribunal en arrive à la conclusion que la locataire a quitté et avisé le locateur de son départ en juin plutôt qu’en juillet 2012.

[39]   Le tribunal fera droit à la demande du locateur quant au paiement du loyer des mois d’avril et juin 2012.

[40]   Le préjudice causé au locateur ne justifie pas l’exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l’article 82.1 de la Loi sur la Régie du logement.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Dossier 31-120604-076G

[41]   CONSTATE la résiliation du bail liant les parties aux torts de la locataire;

[42]   CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la somme de 750 $ plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 4 juin 2012, plus les frais judiciaires de 76 $;

[43]   REJETTE la demande de la locataire quant au surplus et aux autres conclusions;

Dossier 31-120424-043G

[44]   CONSTATE la résiliation du bail liant les parties aux torts de la locataire;

[45]   CONDAMNE la locataire à payer au locateur la somme de 1 000 $ plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 24 avril 2012 sur la somme de 500 $, et sur le solde à compter de l’échéance de chaque loyer, plus les frais judiciaires de 76 $;

[46]   REJETTE la demande quant au surplus et aux autres conclusions;

[47]   PERMET aux parties d’opérer compensation entre les sommes qui leurs sont respectivement dues.

 

 

 

 

 

Manon Talbot

 

Présence(s) :

le locateur

la locataire

Me Éric Martineau, avocat de la locataire

Date de l’audience :  

8 août 2012

 


 



[1] Beaudoin J.-L. et P.-G.Jobin, Motifs d'exonération dans Les obligations, 6e Édition par P.-G. Jobin avec la collaboration de N. Vézina, 2005, EYB2005OBL32, approx. 22 page(s).

[2] Id.

[3] Baily c. Diramio, J.E. 86-107 (C.Q.).

[4] Lalonde c. 9099-7685 Québec inc., Régie du logement Montréal, 31-050826-032G; 31-071121-095G, le 4 février 2010, juge administratif Luce De Palma.

AVIS :
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