Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Vidéotron c. Girard

2018 QCCA 767

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-025780-156

(500-06-000585-113)

 

DATE :

 11 mai 2018

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A.

PATRICK HEALY, J.C.A.

 

 

VIDÉOTRON S.E.N.C.

APPELANTE - défenderesse

c.

 

CHARLES GIRARD, représentant du groupe

INTIMÉ - demandeur

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelante Vidéotron se pourvoit contre un jugement du 11 novembre 2015 de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Carole Hallée), qui accueille l’action collective intentée par les intimés Charles Girard et les membres du groupe qu’il représente et la condamne à verser à ces derniers des dommages compensatoires, respectivement de 3 267 581 $ (locations à la carte, aussi appelées vidéos sur demande) et de 3 152 042,22 $ (forfaits de télédistribution) pour les montants perçus de ses abonnés à titre de frais du Fonds d’amélioration de la programmation locale, de l’intérêt et de l’indemnité additionnelle, en plus de la condamner à payer 1 000 000 $ de dommages punitifs[1].

[2]           Pour les motifs du juge Dufresne, auxquels souscrivent les juges Jacques J. Levesque et Patrick Healy, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE l’appel, avec les frais de justice en appel comme en première instance en faveur des intimés, à la seule fin de remplacer les paragraphes [172], [173] et [174] du jugement entrepris par les suivants :

[172]    CONDAMNE la défenderesse à verser aux demandeur et membres du groupe la somme de 3 267 581 $ plus taxes, avec intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 4 novembre 2011 sur une partie du montant octroyé, soit sur 1 318 497,54 $, et, à compter du 1er septembre 2014, sur l’autre partie du montant octroyé, soit 1 949 083,22 $;

[173]    CONDAMNE la défenderesse à verser aux demandeur et membres du groupe la somme de 3 152 042,22 $ avec intérêts au taux légal, majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec calculés, à défaut d’une entente convenue entre les parties, en décomposant par année le montant total de cette condamnation portant sur les services de télédistribution, tel qu’illustré au « Tableau : calculs des condamnations par année (facturation relativement aux rabais pour la période du recours) » reproduit à la page 2267 du mémoire d’appel de la défenderesse;

[174]    CONDAMNE la défenderesse à payer 200 000 $ à titre de dommages punitifs;

[4]           MAINTIENT les autres conclusions du dispositif du jugement entrepris.

 

 

 

 

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A.

 

 

 

 

 

PATRICK HEALY, J.C.A.

 

Me Sébastien Richemont

Me Marie-Pier Cloutier

WOODS

Pour l’appelante

 

Me David Bourgoin

Me Benoît Gamache

BGA

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

5 décembre 2017

 


 



 

 

MOTIFS DU JUGE DUFRESNE

 

 

[5]           L’action collective intentée par les intimés Charles Girard et les membres du groupe qu’il représente est accueillie en partie. L’appelante est ainsi condamnée à verser à ces derniers des dommages compensatoires, respectivement de 3 267 581 $ (locations à la carte, aussi appelées vidéos sur demande) et de 3 152 042,22 $ (forfaits de télédistribution) pour les montants perçus de ses abonnés à titre de frais du Fonds d’amélioration de la programmation locale, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle à compter du dépôt du recours collectif, et à payer des dommages punitifs (1 M$).

[6]           L’appelante n’a pas porté en appel la condamnation  pour les vidéos sur demande. Le pourvoi porte sur la condamnation prononcée pour les forfaits de télédistribution, y compris le calcul des intérêts accordés, le cas échéant, et sur l’octroi des dommages punitifs.

LE CONTEXTE

[7]           Une brève mise en contexte suffira à circonscrire la trame factuelle et l’objet du recours collectif.

[8]           L’intimé Charles Girard est un consommateur au sens de l’alinéa 1e) de la Loi sur la protection du consommateur[2] (ci-après la « L.p.c. »).

[9]           Le 1er décembre 2010, il se rend à une boutique de l’appelante. L’agent de vente de cette dernière lui présente une brochure décrivant les différents forfaits et leurs coûts. Il accepte l’offre promotionnelle comprenant certains rabais et escomptes. Il s’abonne sur-le-champ aux services de télédistribution, d’Internet et de téléphonie maison de l’appelante. Il signe alors le contrat qu’on lui soumet en s’assurant qu’il est conforme à la brochure en ce qui a trait au coût des services. L’agent de vente ne lui fait part d’aucuns autres frais. L’intimé Girard découvrira ultérieurement que l’appelante lui facture des frais additionnels de 1,5 % sur le prix de base des services et non sur le prix du forfait pour lequel il a contracté, méthode de calcul des frais pourtant non dénoncée par l’agent de vente.

[10]        La brochure publicitaire contient le prix des forfaits offerts avec la mention suivante en note de bas de page reproduite en tous petits caractères d’imprimerie : « Taxes en sus. Les frais pour le Fonds pour l’amélioration de la programmation locale sont inclus. » Cette contribution imposée par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (ci-après, le « CRTC ») aux radiodiffuseurs, dont l’appelante, vise la constitution d’un fonds destiné à l’amélioration de la programmation locale des stations de télévision dans les petits marchés[3] (ci-après, le « FAPL »). Le FAPL est entré en vigueur le 1er septembre 2009 et a été aboli le 1er septembre 2014.

[11]        Cette contribution financière au FAPL imposée par le CRTC aux entreprises de radiodiffusion est ainsi circonscrite dans le jugement entrepris :

[28]      En 2009, le taux du FAPL est de 1,5%. Il est réduit à 1% à compter du 1er septembre 2012 et de 0,5% au 1er septembre 2013 jusqu’à son abolition en 2014.

[29]      Lors de la création du FAPL, certains conseillers du CRTC ont exprimé l’avis que les entreprises de distribution de radiodiffusion ne refilent pas à leurs clients les coûts supplémentaires associés au FAPL. Toutefois, il ne s’agissait là que d’un souhait ou d’une suggestion qui ne liait aucunement les entreprises.

[30]      Par ailleurs, deux conseillers du CRTC ont évoqué qu’il soit probable que les clients se retrouveraient à assumer directement ou indirectement ce coût supplémentaire [référence omise].

[31]      Vidéotron décide d’augmenter son tarif. À compter de septembre 2009 et pour une période de sept semaines, elle appose la mention suivante sur les factures transmises à ses abonnés:

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) exige des fournisseurs de services de télédistribution qu’ils versent, à compter de septembre 2009, une contribution supplémentaire équivalant à 1,5% de leurs revenus pour supporter le nouveau Fonds pour l’amélioration de la programmation locale (FAPL). Face à cette nouvelle exigence du CRTC, Vidéotron ajustera votre facture de 1,5%, applicable sur les coûts de vos services de télédistribution. Cet ajustement apparaîtra sur vos prochaines factures. Pour plus de détails, visitez videotron.com/fapl.

              [Le Tribunal souligne; référence omise]

[32]      Cette augmentation débute le 25 novembre 2009. À ce moment, Vidéotron compte environ 1,6 million d’abonnés résidentiels.[4]

[12]        Ces constats ne sont pas remis en question en appel.

[13]        L’objet de l’action collective est clairement décrit dans le dispositif du jugement d’autorisation. Ce recours vise à « […] sanctionner une pratique de commerce dolosive et une politique de facturation unilatérale de frais non dénoncés dans un contrat et/ou calculés erronément »[5]. L’intimé Girard reproche plus particulièrement à l’appelante de ne pas avoir « dénoncé à ses abonnés un frais de 1,5% en sus, sous la rubrique «  Contribution […] [au FAPL] pour les locations à la carte et de l’avoir calculé erronément sur les services de télédistribution » [Je souligne]. Seules les conclusions du jugement entrepris quant au deuxième reproche, soit celles portant sur les services de télédistribution, sont visées par le présent appel.

[14]        Le 10 avril 2013[6], une juge de la Cour supérieure autorise l’exercice de l’action collective contre l’appelante et attribue à l’intimé Girard le statut de représentant des membres du groupe (art. 575 C.p.c.), lequel est ainsi décrit dans le jugement d’autorisation :

Toutes les personnes physiques et morales comptant moins de cinquante (50) employés, domiciliées ou ayant été domiciliées au Québec, et s’étant vues facturer par l’intimée depuis le 25 novembre 2009 des frais pour le Fonds d’amélioration de la programmation locale.[7] [ci-après, le « Groupe »]

                                                                                              [Reproduction intégrale]

[15]        Il importe de préciser que le Groupe se divise en deux. Le premier sous-groupe comprend les abonnés de l’appelante au service de télédistribution lorsque l’obligation de l’appelante de contribuer au FAPL est entrée en vigueur, le 1er septembre 2009. Elle utilise alors un contrat unique prévoyant une possibilité d’augmenter les coûts des services de télédistribution à condition d’en informer ses abonnés moyennant un avis écrit. Ainsi, à compter de septembre 2009, elle insère au cours de sept cycles de facturation une mention sur les factures transmises à ses abonnés pour les informer que leur facture sera dorénavant ajustée de 1,5 % « applicable sur les coûts […] [des] services de télédistribution. » Quant aux clients qui ne reçoivent pas de facture, une lettre distincte a été envoyée pour les informer de la modification apportée. Le deuxième sous-groupe comprend les abonnés, comme l’intimé Girard, qui ont contracté un service de télédistribution auprès de l’appelante en signant un contrat de type personnalisé, mis en vigueur par cette dernière à compter du 30 juin 2010. Il existe deux versions de ce contrat, soit celle de l’intimé Girard, dans laquelle les rabais dont bénéficie l’abonné sont indiqués avant les frais du FAPL, et celle où ces frais figurent après le rabais.

[16]        À la suite du jugement d’autorisation, l’intimé Girard dépose le 27 mai 2013 la requête introductive d’instance en recours collectif, laquelle fera l’objet d’une modification près de 18 mois plus tard. La demande amendée précise notamment le montant des dommages compensatoires réclamés et augmente sensiblement le montant des dommages punitifs réclamés pour l’ensemble de la conduite de l’appelante, les faisant passer de 250 000 $ dans la demande initiale à 2 M$ dans la demande amendée.

LE JUGEMENT ENTREPRIS

[17]        Une fois le contexte du recours collectif bien circonscrit, la juge de première instance aborde une à une les cinq questions soumises par les intimés.

[18]        À la première question en litige, à savoir si les frais du FAPL représentent un droit exigible en vertu d’une loi fédérale, au sens de l’article 227.1 L.p.c., la juge répond par l’affirmative. Elle ajoute que de toute manière, même si ce n’était pas le cas, cela n’a pas réellement d’impact sur l’issue du litige, puisque l’appelante s’est prêtée à des représentations fausses ou trompeuses en violation des articles 12, 219 et 224c) L.p.c.

[19]        Puis, la juge se penche sur les frais du FAPL perçus par l’appelante sur les locations à la carte, autrement appelées « vidéo sur demande » (VSD), et autres extras. Elle estime que l’avis transmis par l’appelante à ses abonnés en septembre 2009 est trompeur, en ce qu’il ne permet pas de comprendre que ces frais seront facturés sur les locations à la carte. La divulgation de ces frais n’est pas adéquate. À l’examen des factures de l’intimé Girard, y figure le montant facturé des frais du FAPL, mais l’équation pour saisir le calcul effectué est « nébuleuse ». À la lecture du contrat, le consommateur moyen comprendrait qu’il s’agit de frais relatifs au service de base. Enfin, au moment de la location, aucune indication n’apparaît à l’écran relativement à ces frais. Par conséquent, la juge conclut que l’appelante n’a pas divulgué ces frais, commettant ainsi une représentation fausse ou trompeuse. Elle ne pouvait donc réclamer à ses abonnés ces frais, comme le prévoient les articles 12 et 224c) L.p.c.[8]. Rappelons que cette conclusion du jugement entrepris n’est pas remise en question en appel.

[20]        La juge passe ensuite à la troisième question en litige, portant sur les frais du FAPL perçus par l’appelante sur des montants excédant le prix réel du forfait de télédistribution de ses abonnés. La juge constate que, lorsque le consommateur ajoute d’autres services à celui de la télédistribution, bénéficiant ainsi de rabais, les frais du FAPL sont calculés sans tenir compte des rabais applicables. Autrement dit, lorsque le consommateur ne prend qu’un forfait de télédistribution, ces frais sont calculés correctement, ce dernier ne bénéficiant d’aucun rabais. Néanmoins, la preuve révèle que l’appelante retranche les rabais avant de procéder au calcul du montant des frais du FAPL qu’elle doit remettre au CRTC. De plus, l’avis transmis par l’appelante en septembre 2009 indique que ces frais seront ajoutés « sur les coûts des services de télédistribution ».


 

[21]        La juge rejette l’argument de l’appelante voulant qu’elle ait remis au CRTC une somme supérieure de frais du FAPL à celle perçue de ses abonnés, puisqu’elle avait choisi de ne pas facturer ces frais sur les services d’installation et sur les achats de terminaux, de sorte que le consommateur n’est pas perdant. De fait, souligne la juge, l’appelante a repris indirectement du consommateur ce qu’elle a choisi de ne pas facturer par choix, choix qui n’est par ailleurs pas connu du consommateur. L’application des frais du FAPL sur le plein prix des services de ses abonnés, alors qu’elle déduit de ses revenus les rabais consentis à ces derniers au moment de calculer le montant à remettre au CRTC, revient pour elle à utiliser deux méthodes de calcul, « […] une qui n’est pas à l’avantage du consommateur et l’autre qui est à l’avantage de l’appelante ». Puis, elle ajoute : « Le contrat est écrit d’une façon, mais, à l’interne, est appliqué différemment »[9].

[22]        La juge est d’avis que l’appelante n’a pas respecté son propre avis transmis aux abonnés en septembre 2009. Le contrat personnalisé laisse également croire que les frais de 1,5 % seront imputés après rabais. En scrutant la facture de l’intimé Girard du 14 janvier 2011, la juge constate que ces frais sont imputés avant le rabais consenti. Ainsi, le tribunal estime que l’appelante a erronément calculé les frais du FAPL sur les services de télédistribution, en plus d’avoir perçu des sommes qu’elle n’a pas remises au CRTC, chaque client payant les frais avant rabais. Que ce soit pour les clients ayant bénéficié du contrat personnalisé ou pour ceux ayant contracté avec l’appelante avant septembre 2009, les frais du FAPL devaient s’appliquer sur les coûts réels, après rabais, de leur abonnement.

[23]        Référant à l’interprétation donnée par la Cour suprême dans l’arrêt Richard c. Time[10] à l’article 218 L.p.c., la juge souligne que l’impression générale qui se dégage de l’avis de septembre 2009 et du contrat personnalisé n’est pas conforme à la réalité. Effectivement, l’avis indique aux abonnés de l’appelante que les frais du FAPL seront perçus sur les coûts réels des services de télédistribution, alors que ceux bénéficiant d’un contrat personnalisé avaient le droit de s’attendre à ce que ces frais soient calculés uniquement à la section 1.1 du contrat, laquelle inclut les rabais applicables. Par ailleurs, si ce n’était de la vigilance de l’intimé Girard, le consommateur moyen ne pouvait deviner que les frais en question sont perçus avant rabais, et ce, même s’ils apparaissent immédiatement après le rabais sur le contrat personnalisé et qu’ils sont également calculés sur les locations à la carte.

[24]        La juge résume ainsi les trois fautes commises par l’appelante et en tire la conclusion qui s’en infère :

[121]    En résumé, Vidéotron a commis trois fautes pouvant tromper ou induire en erreur le consommateur :

1. L’avis transmis sur ses factures n’était pas conforme à la réalité puisque le frais de 1,5% n’était pas calculé sur le coût réel des services de télédistribution, mais sur les coûts avant rabais;

2.  Les abonnés ayant contracté avec Vidéotron après le 30 juin 2010 se sont également vu facturer le frais de 1,5% avant le rabais alors que l’impression générale du contrat personnalisé laisse entendre le contraire; et

3.  Aucune clause contractuelle ou externe ne prévoit le frais de 1,5% pour les VSD.

[122]    L’analyse en deux temps proposée par la Cour suprême afin de déterminer si une représentation constitue une pratique interdite au sens de l’article 218 de la loi est satisfaite. Vidéotron a commis une pratique interdite.

[Référence omise]

[25]        Ayant constaté l’existence de pratiques interdites, la juge passe ensuite à l’étape de la détermination du remède applicable, conformément à l’article 272 L.p.c.

[26]        À cette fin, elle fait remarquer que l’intimé Girard demande la réduction de son obligation de tout montant payé en trop à l’appelante. Puis, procédant à vérifier l’application des quatre conditions énoncées par la Cour suprême dans Time[11] pour qu’il y ait présomption de préjudice, la juge estime qu’elle n’a pas à recourir à cette présomption, la preuve du préjudice subi par le consommateur étant manifeste. En pratique, le préjudice subi par les intimés consiste à avoir payé plus que ce que le contrat prévoit. Puis, la juge conclut ainsi :

[133]    Dans les circonstances, il est approprié d’ordonner le remboursement aux abonnés des sommes de frais du FAPL versées sur les services VSD et sur les sommes versées au-delà du coût réel du forfait de télédistribution. Ces frais ont été facturés illégalement et les abonnés ont subi un préjudice.

[27]        Au chapitre des frais du FAPL facturés sur les locations à la carte, le tribunal retient le montant perçu par l’appelante pour toute la période visée et admis par cette dernière dans la convention d’admissions des parties du 15 avril 2015, soit 3 276 581 $. Quant aux frais perçus sur l’excédent du prix réel du forfait de télédistribution de ses abonnés, la juge constate que la preuve du quantum des dommages est incomplète. Après réouverture d’enquête, le tribunal fixe le montant des frais du FAPL payés en trop à 3 152 042,22 $.

[28]        Enfin, en ce qui a trait aux dommages punitifs réclamés, la juge constate que, malgré le dépôt du recours collectif, l’appelante n’a pas modifié sa méthode de calcul. Elle fait aussi remarquer que le double système informatique de l’appelante a également rendu difficile l’obtention de certaines données pertinentes à la détermination du quantum des dommages. En outre, le fait d’avoir choisi de ne pas facturer les frais du FAPL sur les frais d’installation et d’achat de terminaux ne peut constituer une défense à l’imposition illégale de ces frais à ses abonnés sur les services de télédistribution. Les membres ont non seulement subi un préjudice financier, mais l’appelante a aussi contrevenu à la L.p.c., une loi d’ordre public à portée sociale. Somme toute, l’appelante a facturé des sommes dont elle n’a pu établir la justification, pour des raisons de facilité, étant donné son double système informatique.

[29]        La juge estime justifié l’octroi de dommages punitifs, « afin de dissuader de telles compagnies de profiter de leurs positions pour soutirer, de façon récurrente, des montants minimes à leur clientèle, sous prétexte qu’il serait trop compliqué de rectifier la situation ». Considérant qu’il s’agit d’une violation claire, intentionnelle et grave de la L.p.c., et que l’appelante n’a pas modifié sa pratique après le dépôt du recours collectif, la juge condamne l’appelante au paiement de 1 million de dollars à titre de dommages-intérêts punitifs.

QUESTIONS EN LITIGE

[30]        L’appelante formule ainsi les questions en litige :

1.         La juge de première instance a-t-elle commis une erreur de droit en appliquant l’article 227.1 L.p.c.

2.         A-t-elle erré en droit en condamnant l’appelante pour une somme de 3 152 042,22 $ à titre de frais qui auraient été facturés illégalement sur les forfaits de télédistribution en raison de représentations fautives, et plus précisément :

2.1         A-t-elle erré en droit en accordant réparation aux membres du Groupe en vertu de l’article 272 L.p.c., et ce, en l’absence de représentations fautives et en omettant d’appliquer le test de l’arrêt Time?

2.2         En fondant sa décision sur les principes du droit civil général, a-t-elle commis une erreur de droit en concluant sur une base collective à une soi-disant erreur provoquée par le dol?

2.3         Pouvait-elle conclure que l’appelante a commis une faute sur la base de fondements juridiques étrangers à ceux autorisés, et ce, sans amendement aux procédures ou au jugement d’autorisation du recours collectif et en présence d’une preuve claire et explicite démontrant l’impossibilité de traiter collectivement cette question?

2.4         Et, de manière subsidiaire, a-t-elle commis une erreur manifeste dans l’appréciation de la preuve lorsqu’elle conclut, sans distinction, que les représentations relatives aux rabais multiproduits et « bundle » étaient fautives?

3.         La juge a-t-elle erré en droit en condamnant l’appelante à verser des intérêts sur les montants de condamnation à compter du 4 novembre 2011, date de signification de la requête pour autorisation d’exercer le recours collectif?

4.         Enfin, la juge a-t-elle erré en droit en condamnant l’appelante au paiement de 1 000 000 $ en dommages punitifs?

[31]        Il y a lieu d’aborder une à une ces questions, sauf les diverses interrogations soulevées sous la question 2 ci-dessus qui participent d’une même analyse et d’un même raisonnement et seront regroupées aux fins de la discussion. Mais auparavant, il paraît propice de citer les dispositions législatives pertinentes.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES DE LA L.P.C.

215. Constitue une pratique interdite aux fins du présent titre une pratique visée par les articles 219 à 251 ou, lorsqu’il s’agit de la vente, de la location ou de la construction d’un immeuble, une pratique visée aux articles 219 à 222, 224 à 230, 232, 235, 236 et 238 à 243.

215. Any practice contemplated in sections 219 to 251 or, in case of the sale, lease or construction of an immovable, in sections 219 to 222, 224 to 230, 232, 235, 236 and 238 to 243 constitutes a prohibited practice for the purposes of this title.

216. Aux fins du présent titre, une représentation comprend une affirmation, un comportement ou une omission.

216. For the purposes of this title, representation includes an affirmation, a behaviour or an omission.

217. La commission d’une pratique interdite n’est pas subordonnée à la conclusion d’un contrat.

217. The fact that a prohibited practice has been used is not subordinate to whether or not a contract has been made.

218. Pour déterminer si une représentation constitue une pratique interdite, il faut tenir compte de l’impression générale qu’elle donne et, s’il y a lieu, du sens littéral des termes qui y sont employés.

218. To determine whether or not a representation constitutes a prohibited practice, the general impression it gives, and, as the case may be, the literal meaning of the terms used therein must be taken into account.

219. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, par quelque moyen que ce soit, faire une représentation fausse ou trompeuse à un consommateur.

219. No merchant, manufacturer or advertiser may, by any means whatever, make false or misleading representations to a consumer.

227.1. Nul ne peut, par quelque moyen que ce soit, faire une représentation fausse ou trompeuse concernant l’existence, l’imputation, le montant ou le taux des droits exigibles en vertu d’une loi fédérale ou provinciale.

227.1. No person may, by any means whatever, make false or misleading representations concerning the existence, charge, amount or rate of duties payable under a federal or provincial statute.

272. Si le commerçant ou le fabricant manque à une obligation que lui impose la présente loi, un règlement ou un engagement volontaire souscrit en vertu de l’article 314 ou dont l’application a été étendue par un décret pris en vertu de l’article 315.1, le consommateur, sous réserve des autres recours prévus par la présente loi, peut demander, selon le cas:

a l’exécution de l’obligation;

b)  l’autorisation de la faire exécuter aux frais du commerçant ou du fabricant;

c)  la réduction de son obligation;

d)  la résiliation du contrat;

e)  la résolution du contrat; ou

f)  la nullité du contrat,

sans préjudice de sa demande en dommages-intérêts dans tous les cas. Il peut également demander des dommages-intérêts punitifs.

272. If the merchant or the manufacturer fails to fulfil an obligation imposed on him by this Act, by the regulations or by a voluntary undertaking made under section 314 or whose application has been extended by an order under section 315.1, the consumer may demand, as the case may be, subject to the other recourses provided by this Act,

(a)  the specific performance of the obligation;

(b)  the authorization to execute it at the merchant’s or manufacturer’s expense;

(c)  that his obligations be reduced;

(d)  that the contract be rescinded;

(e)  that the contract be set aside; or

(f)  that the contract be annulled,

without prejudice to his claim in damages, in all cases. He may also claim punitive damages.

ANALYSE

[32]        À l’audience, l’appelante apporte certaines précisions. Elle conteste le bien-fondé des dommages compensatoires accordés, en l’occurrence l’octroi du remboursement des frais du FAPL payés en trop par les membres du Groupe pour les services de télédistribution, mais non le calcul du montant octroyé à ce titre. Elle remet aussi en question, si besoin est, le point de départ du calcul des intérêts accordés. Enfin, il importe de mentionner que les faits relatés par la juge, et pris en considération par celle-ci, ne sont pas l’objet de débat en appel.

1.    Droits exigibles au sens de l’article 227.1 L.p.c.

[33]        L’article 227.1 L.p.c. trouve application en l’espèce dans la mesure où les activités de l’appelante sont réglementées par le législateur fédéral et assujetties au contrôle du CRTC. L’appelante plaide qu’il n’en est rien.

[34]        Dans l’exercice de sa compétence, le CRTC, organisme constitué par le gouvernement fédéral, a choisi d’imposer aux télédiffuseurs, dont l’appelante, une contribution obligatoire, à des fins d’intérêt public bien ciblées, que cette dernière s’est empressée de récupérer de ses abonnés.

[35]        Le paragraphe 29.1(1) du Règlement sur la distribution de radiodiffusion[12], adopté par le CRTC en vertu du paragraphe 10(1) de la Loi sur la radiodiffusion[13], prévoit le versement de frais de 1.5 % au FAPL par les détenteurs de licence de radiodiffusion, dont l’appelante :

 (1) Sauf condition contraire de sa licence, un titulaire verse à la programmation canadienne, pour chaque année de radiodiffusion, une contribution égale à 1,5 % des recettes brutes provenant de ses activités de radiodiffusion au cours de l’année de radiodiffusion. La contribution est versée au Fonds pour l’amélioration de la programmation locale.

[…]

[36]        Le terme « titulaire » est ainsi défini par ce règlement :

 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

[…]

titulaire Personne autorisée à exploiter une ou plusieurs entreprises de distribution aux termes d’une licence ou d’une licence régionale. (licensee)

[…]

[37]        Les frais du FAPL imposés par le CRTC aux télédiffuseurs s’assimilent clairement à des droits exigibles en vertu d’une loi fédérale, d’autant que l’article 227.1 L.p.c. doit recevoir une interprétation large et libérale, comme l’indiquent les motifs de mon collègue le juge Schrager dans l’arrêt Dion :

[65]      The Act Respecting Registry Offices obliges a party requiring registration to pay. The Consumer was only obliged to pay in this case because of a contractual undertaking. The Merchants plead that Section 227.1 C.P.A. has no application because the obligation is created not by statute but by contract.

[66]      I do not believe that such a narrow reading conforms to the broad liberal interpretation to be given to the C.P.A. The obligation to pay as between the parties was imposed by the contract but nonetheless the RDPRM fee is a “duty” payable under a provincial statute as foreseen by Section 227.1 C.P.A. The Merchants were prohibited by Section 227.1 C.P.A. from making any misleading representation about the amount of the duty payable under the Tariff.[14]

[Références omises]

[38]        Il s’agit bien d’un droit exigé de l’appelante en vertu d’une loi fédérale. En effet, dans Dion, la Cour, sous la plume du juge Schrager, est d’avis que « [t]he use of the word “statute” in Section 227.1 C.P.A. is sufficiently wide to encompass duties payable under subordinate enactments such as a regulation or tariff since these can only exist pursuant to a statute. »[15]. Le fait que l’obligation du consommateur découle du contrat le liant à l’appelante, plutôt que de la loi elle-même, ne change rien à la situation[16].

[39]        Cela établi, la réponse apportée à cette première question est d’incidence relative sur le sort du pourvoi dans la mesure où, de toute façon, le comportement de l’appelant constitue une violation de l’article 219 L.p.c.

2.    L’application de l’article 272 L.p.c.

[40]        L’appelante soutient que la juge n’a pas eu recours au test juridique approprié, en ce sens qu’elle n’a pas appliqué à son analyse les quatre critères de l’arrêt Richard c.Time de la Cour suprême[17]. Si elle s’y était référée, elle aurait conclu à l’absence de preuve eu égard à trois de ces critères.

[41]        L’appelante considère, plus particulièrement, que trois des conditions de l’art. 272 L.p.c. ne sont pas satisfaites en l’espèce, soit l’existence même d’une représentation fausse ou trompeuse (art. 219 et 227.1 L.p.c.) (premier critère), la prise de connaissance de cette représentation par le consommateur (deuxième critère) et la proximité suffisante entre le contenu de la représentation et le contrat (quatrième critère).

[42]        En ce qui a trait au premier critère, non seulement le contrat signé par l’intimé Girard mentionne expressément, selon l’appelante, le FAPL, mais ce dernier est en mesure d’y voir la charge imposée (1,5 %). De même, la facture que reçoit ce dernier est conforme à son contrat. Elle soutient de surcroît qu’elle ne s’est prêtée à aucune représentation fausse, parce qu’elle n’a fait aucune représentation sur la méthode de calcul des frais.

[43]        Elle adresse aussi à la juge le reproche d’avoir eu recours à l’argument d’interprétation contractuelle et de présentation visuelle du contrat personnalisé de l’intimé Girard et l’emplacement sur la facture du supplément, alors que ces prétentions ont été invoquées tardivement après la clôture de la preuve. Or, ce moyen n’est pas fondé.

[44]        En marge du second critère, l’appelante plaide que l’intimé Girard n’a pas pris connaissance des frais du FAPL à la signature du contrat, mais plutôt au moment de la réception de sa première facture. Puis, à propos de la quatrième condition, elle soulève le fait qu’à l’instar de la situation dans l’affaire Dion[18], l’intimé Girard n’aurait pas été influencé dans sa décision de s’abonner à ses services par la facturation des frais du FAPL sur la base du plein prix de ses services.

[45]        À l’audience en appel, l’appelante formule plus généralement sa proposition : l’erreur de la juge tient de l’amalgame qu’elle aurait fait du recours en vertu de la L.p.c. et de celui en vertu du Code civil du Québec (recours en responsabilité contractuelle). Si elle avait appliqué l’analyse préconisée par la Cour suprême dans l’arrêt Time, précité, elle aurait conclu à l’absence de preuve permettant l’application de la présomption de préjudice.

[46]        Qu’en est-il des moyens de l’appelante?

[47]        L’analyse de la juge ne se fonde pas à proprement parler sur l’article 272 L.p.c., et ce, même s’il s’agissait là du fondement du recours de l’intimé Girard. Elle s’en remet plutôt au fardeau de preuve en matière civile pour trancher la responsabilité de l’appelante :

[130]    Avec égards, le Tribunal n’a pas à appliquer la présomption absolue de préjudice dans la présente affaire.


 

[131]    Le seul effet pratique de cette présomption est d’alléger le fardeau de preuve dont le consommateur doit s’acquitter relativement au dol.

[132]    Le préjudice ici pour le consommateur est manifeste. Il est d’avoir payé plus que ce qui est indiqué dans le contrat.

[133]    Dans les circonstances, il est approprié d’ordonner le remboursement aux abonnés des sommes de frais du FAPL versées sur les services VSD et sur les sommes versées au-delà du coût réel du forfait de télédistribution. Ces frais ont été facturés illégalement et les abonnés ont subi un préjudice.

[Référence omise]

[48]        La juge s’écarte en quelque sorte de l’application de la L.p.c., et ce, même si les intimés réclamaient expressément un des remèdes énumérés à l’article 272 in limine L.p.c., soit la réduction de leur obligation corrélative. Partant, sa démarche analytique participe d’un cadre différent. L’omission d’appliquer le test préconisé dans l’arrêt Time, précité, n’est pas sans conséquence, d’autant que le contrat signé par l’intimé Girard indique expressément les frais du FAPL. L’erreur n’emporte toutefois pas l’intervention de la Cour. En effet, aurait-elle mis en œuvre la vérification des quatre critères énoncés dans l’arrêt Time qu’elle aurait conclu néanmoins à la condamnation de l’appelante au remboursement des frais du FAPL versés par ses abonnés, membres du Groupe, au-delà du coût réel de leur forfait de télédistribution. Voyons ce qu’il en est.

[49]        Dans cet arrêt phare de la Cour suprême, les juges LeBel et Cromwell examinent en profondeur les conditions d’ouverture aux remèdes de l’article 272 L.p.c. La grille d’analyse élaborée par la Cour suprême dans Time comporte quatre critères dont le cumul emporte la présomption de préjudice :

(1)  La violation par le commerçant ou le fabricant d’une des obligations imposées par le titre II de la loi;

(2)  La prise de connaissance par le consommateur de la représentation constituant la pratique de commerce interdite;

(3)  La formation, la modification ou l’exécution d’un contrat de consommation subséquente à cette prise de connaissance; et

(4)  Une proximité suffisante entre le contenu de la représentation et le bien ou le service visé par le contrat.[19]

[50]        À la différence du Code civil du Québec, la L.p.c. ne fait pas appel à la notion de faute en matière de responsabilité. Elle se réfère aux notions de non-respect (art. 271 L.p.c.) ou de manquements (art. 272 L.p.c.). Le manquement reproché à l’appelante est d’avoir fait des représentations fausses ou trompeuses (art. 219 et 227.1 L.p.c.). En somme, la contravention à la loi donne ouverture au recours prévu à l’article 272 L.p.c.

[51]        Le fardeau de preuve du consommateur qui démontre un manquement du commerçant à l’une de ses obligations en vertu de la loi est allégé. Une fois établie la preuve du manquement, la démonstration des critères 2, 3 et 4 de la démarche préconisée par la Cour suprême dans l’arrêt Time, précité, pour l’ouverture du recours fondé sur l’article 272 L.p.c., tient lieu de preuve de causalité et, dès lors, la présomption absolue de préjudice s’impose. Voici en quels termes la Cour suprême décrit la démarche analytique préconisée et ses effets :

[123]    […] À notre avis, la commission d’une pratique interdite peut entraîner l’application d’une présomption absolue de préjudice. En conséquence, le consommateur n’a pas à prouver le dol et ses conséquences selon les règles ordinaires du droit civil pour avoir accès aux mesures de réparation contractuelles prévues à l’art. 272 L.p.c. De même, le commerçant ou le fabricant poursuivi ne peut soulever un moyen de défense basé sur le « dol éclairé et non préjudiciable ». La sévérité des sanctions prévues à l’art. 272 L.p.c. n’est pas un concept à géométrie variable : la présomption irréfragable de préjudice peut s’appliquer à toutes les contraventions aux obligations imposées par la loi.

[124]    L’application de la présomption absolue de préjudice présuppose qu’un lien rationnel existe entre la pratique interdite et la relation contractuelle régie par la loi. Il importe donc de préciser les conditions d’application de cette présomption dans le contexte de la commission d’une pratique interdite. À notre avis, le consommateur qui souhaite bénéficier de cette présomption doit prouver les éléments suivant : (1) la violation par le commerçant ou le fabricant d’une des obligations imposées par le titre II de la loi; (2) la prise de connaissance de la représentation constituant une pratique interdite par le consommateur; (3) la formation, la modification ou l’exécution d’un contrat de consommation subséquente à cette prise de connaissance, et (4) une proximité suffisante entre le contenu de la représentation et le bien ou le service visé par le contrat. Selon ce dernier critère, la pratique interdite doit être susceptible d’influer sur le comportement adopté par le consommateur relativement à la formation, à la modification ou à l’exécution du contrat de consommation. Lorsque ces quatre éléments sont établis, les tribunaux peuvent conclure que la pratique interdite est réputée avoir eu un effet dolosif sur le consommateur.  Dans un tel cas, le contrat formé, modifié ou exécuté constitue, en soi, un préjudice subi par le consommateur. L’application de cette présomption lui permet ainsi de demander, selon les mêmes modalités que celles décrites ci-dessus, l’une des mesures de réparation contractuelles prévues à l’art. 272 L.p.c.

[125]    […] Le texte de l’art. 272 L.p.c. contient les mots « sans préjudice de sa demande en dommages-intérêts dans tous les cas ». Cette expression, qui ne souffre d’aucune ambiguïté, signifie que le recours en dommages-intérêts, qu’il soit de nature contractuelle ou extracontractuelle, est autonome par rapport aux mesures de réparation contractuelles spécifiques prévues aux al. a) à f) de l’art. 272. En rédigeant l’art. 272 L.p.c. de cette façon, le législateur a voulu laisser au consommateur la liberté de choisir la sanction qu’il estime appropriée en réparation de son préjudice.

[…]

[127]    L’article 272 L.p.c. permet aussi l’octroi de dommages-intérêts compensatoires en matière extracontractuelle dans le cas où un commerçant ou un fabricant commet une pratique interdite. En effet, la doctrine et la jurisprudence majoritaires au Québec considèrent que le dol commis au cours de la phase précontractuelle constitue une faute civile susceptible d’engager la responsabilité extracontractuelle de son auteur (Lluelles et Moore, p. 321; Kingsway Financial Services Inc. c. 118997 Canada inc.1999 CanLII 13530 (QC CA), 1999 CanLII 13530 (C.A. Qué.)). La preuve du dol établit ainsi la faute civile. En raison du caractère particulier de la L.p.c., cette preuve s’établit cependant selon des modalités différentes de celles applicables en vertu du Code civil du Québec.

[128]    En effet, dans la mesure où il est ouvert au consommateur, le recours prévu à l’art. 272 L.p.c. allège son fardeau de preuve au moyen d’une présomption absolue de préjudice découlant de toute illégalité commise par le commerçant ou le fabricant. Cette présomption dispense le consommateur de la nécessité de prouver l’intention de tromper du commerçant, comme l’exigerait le droit civil en matière de dol. Suivant l’interprétation suggérée par le juge Fish dans l’arrêt Turgeon, le consommateur qui bénéficie de la présomption irréfragable de préjudice aura également réussi à prouver la faute du commerçant ou du fabricant pour l’application de l’art. 272 L.p.c. Cette preuve permettra ainsi au tribunal de lui accorder des dommages-intérêts visant à compenser tout préjudice résultant de cette faute extracontractuelle.[20]

(1)       La représentation fausse ou trompeuse

[52]        D’emblée, rien ne fait obstacle à ce que l’appelante récupère de ses abonnés la contribution au FAPL que lui a imposée par règlement le CRTC. Certains membres du CRTC avaient exprimé le souhait que la contribution imposée aux radiodiffuseurs ne soit pas récupérée des clients ou abonnés de ces derniers, mais rien ne s’y opposait formellement. L’appelante a choisi de récupérer ces frais de ses abonnés dans le but, soutient-elle, de mettre de la pression sur le CRTC et d’obtenir l’abolition du FAPL.

[53]        Cette dernière plaide que le contrat mentionne expressément les frais du FAPL[21], que l’abonné peut y voir le montant des frais chargés et que la facture est conforme à cet égard au contrat souscrit.

[54]        L’appelante utilise pour un premier sous-groupe du présent recours un contrat unique de télécommunication résidentielle au moment de l’entrée en vigueur, le 1er septembre 2009, de la contribution au FAPL[22]. Ce contrat prévoit la possibilité pour l’appelante d’augmenter les coûts de ses services de télédistribution :

1. DÉFINITIONS

[…]

1.5 Contrat - les présents termes et conditions, tels que modifiés de temps à autre conformément au paragraphe 61, ainsi que la facture et la description des Services de base transmise avec la lettre de bienvenu au Client.

[…]

61. Les termes et conditions du présent Contrat pourront être modifiés de temps à autre par Vidéotron. La version à jour du présent Contrat sera affichée sur le site de Vidéotron à www.vidéotron.com. Une version à jour écrite du Contrat pourra être demandée au Service à la Clientèle Résidentielle de Vidéotron dont les coordonnées apparaissent sur la facture du Client. Cette version à jour ainsi que la facture la plus récente transmise au Client auront préséance sur toute autre version du Contrat. Nonobstant ce qui précède, toute modification au Contrat ayant une conséquence sur le Prix des Services de base ou toute modification à des dispositions importantes du présent Contrat sera transmise par écrit au Client. Dans un tel cas, le client pourra, au plus tard dans les trente (30) jours suivants l’avis écrit de Vidéotron, mettre fin au Service de base affecté par la modification, et ce, sans Frais autres que les sommes dues pour l’utilisation du Service jusqu’à la date de résiliation, à défaut de quoi le client sera réputé avoir accepté les modifications visées par l’avis. Pour plus de certitude, aucun avis ne sera requis aux termes du présent paragraphe lorsque la modification en question n’a pas pour effet de modifier les obligations de Vidéotron de façon importante et défavorable au Client, ou lorsque cette


 

modification est rendue nécessaire pour des raisons technologiques ou réglementaires ou pour se conformer à la loi.

                                     [Caractères en gras dans l’original; soulignements ajoutés]

[55]        Ce contrat type comporte la définition du terme « prix » :

1. DÉFINITIONS

[…]

1.8 Prix - le prix ou la mensualité payable par le Client pour les Services offerts par Vidéotron selon le type de service, le type d’abonnement et, lorsque applicable, la période d’abonnement choisis par le Client, le tout tel que plus amplement décrit sur la facture du Client. Pour plus de certitude, et à moins que le contexte n’exige un sens différent, « Prix » s’entend également du prix de vente ou le montant de location payable par le Client, le cas échéant, pour des Équipements.

[…]

                                                                                                                [Je souligne]

[56]        À la suite de sa décision de reporter à ses abonnés le coût de la contribution au FALP, l’appelante les informe de l’augmentation du prix des services de télédistribution, en insérant, sur sept cycles de facturation, un avis à cet effet sur la première page des factures des clients :

Le Conseil de la radiodistribution et des télécommunications canadiennes (CRTC) exige des fournisseurs de services de télédistribution qu’ils versent, à compter de septembre 2009, une contribution supplémentaire équivalant à 1,5% de leurs revenus pour supporter le nouveau Fonds pour l’amélioration de la programmation locale (FAPL). Face à cette nouvelle exigence du CRTC, Vidéotron ajustera votre facture de 1,5%, applicable sur les coûts de vos services de télédistribution. Cet ajustement apparaîtra sur vos prochaines factures. Pour plus de détails, visitez videotron.com/fapl.

                                                         [Caractères en gras dans l’original; je souligne]

[57]        L’existence d’un contrat n’écarte en rien la responsabilité du commerçant qui, par ailleurs, s’est prêté à de fausses représentations, pas plus que la facture subséquente au contrat, non plus qu’il ne peut plaider, comme l’appelante le soutient, que son manquement à la L.p.c. a été sans effet sur la décision de l’intimé Girard de contracter. Ce dernier demande la réduction de l’obligation corrélative (art. 272 (c) L.p.c.), soit le remboursement de la différence entre le montant des frais calculés sur le prix des forfaits et celui computé par l’appelante sur le prix du service de base correspondant.

[58]        Enfin, pour les abonnés qui ne reçoivent pas de facture, l’appelante leur transmet une lettre pour les informer de la modification apportée.

[59]        En ce qui concerne le second sous-groupe dont fait partie l’intimé Girard, soit les abonnés de l’appelante ayant contracté avec elle à compter du 30 juin 2010, ils ont signé un contrat personnalisé lequel, tel qu’expliqué précédemment, est de deux types : une version où les rabais sont indiqués avant les frais du FAPL et une autre où c’est le contraire. Une facture est par la suite envoyée à ces clients dans laquelle les frais du FAPL apparaissent sous la rubrique « Ajustement et frais ponctuels », comme étant une « Contribution 1,5 % : Fonds d’amélioration prog. locale ». Dans la lettre accompagnant la première facture, on peut lire que la section des ajustements et frais ponctuels « présente les ajustements apportés au compte ainsi que les frais ponctuels (ex. : crédits divers, frais uniques, etc.) ».

[60]        L’appelante n’a donc pas caché à ses clients de ses services de télédistribution l’ajout des frais reliés au FAPL, et ce, qu’ils reçoivent ou non une facture. L’appelante s’est néanmoins prêtée à de fausses représentations, selon l’expression choisie par le législateur pour décrire une des pratiques interdites dans la L.p.c.. La preuve est non équivoque à cet égard. Voyons plus amplement.

[61]        L’appelante n’a jamais avisé ni informé l’intimé Girard sur quelle base seront calculés ces frais de 1,5 %, d’autant qu’en pratique, elle les a facturés sur le prix de base des services de télédistribution et non sur le prix des forfaits comportant un rabais sur le prix des services de télédistribution. Or, les abonnés de l’appelante, dont l’intimé Girard et les autres membres du Groupe, ont tous souscrit à un des forfaits offerts qui a emporté leur adhésion à ce fournisseur de service. L’avis inséré dans les factures des abonnés ayant contracté avec l’appelante avant le 1er septembre 2009, pas plus que le contrat ou la facture de ceux ayant contracté à compter du 30 juin 2010, n’indiquent la base de calcul des frais du FAPL. Quant aux dépliants promotionnels, où est inscrite en bas de page, en petits caractères, la mention selon laquelle « [l]es frais pour le Fonds pour l’amélioration de la programmation locale sont inclus » dans le prix des services de télédistribution y figurant, sont de pertinence relative, en ce qu’ils ne présentent que les forfaits de télédistribution, alors que le problème dont il est question ici survient lorsque le consommateur prend des services supplémentaires à celui de la télédistribution, bénéficiant ainsi de rabais.

[62]        En pratique, les agents de l’appelante proposent et vendent des forfaits comportant des rabais à même ce qui est convenu d’appeler un bouquet de forfaits. Lorsque l’appelante facture les frais mensuels du FAPL à ses abonnés, elle les facture sur le prix de base des services et non sur le prix du forfait choisi par le client, prix nécessairement plus élevé puisqu’il ne tient pas compte des rabais consentis. En somme, l’appelante présente une offre de service attrayante de forfaits comportant des économies de prix, mais elle leur fait payer les frais du FAPL de 1,5 % que lui a imposé le CRTC, ce qui en soi n’est pas illégal, sur le prix de base des services que n’ont jamais accepté de payer les abonnés, et ce, sans jamais les en avoir informés. Pour découvrir la réalité, il leur aurait fallu effectuer des calculs. Pas évident, pour le moins; et encore moins pour le consommateur visé par la L.p.c., défini comme une personne « crédule et inexpérimentée »[23] aux fins de l’analyse sous l’article 218 L.p.c.

[63]        Mais il y a plus. Il faut rappeler ici qu’en vertu de l’article 29.1(1) du Règlement sur la distribution de radiodiffusion[24], la contribution de l’appelante est égale à 1,5 % des recettes brutes provenant de ses activités annuelles de radiodiffusion. Or, les recettes brutes de cette dernière équivalent au total des forfaits vendus et payés par ses clients pour les services de radiodiffusion. Ainsi, non seulement l’appelante s’est gardée d’expliquer clairement à ses clients potentiels par la voix de ses agents de vente l’existence de ce coût additionnel et non seulement le calcul qu’elle a effectué n’est pas transparent, mais elle tire en définitive un revenu plus grand que ce qu’elle verse elle-même au CRTC à titre de contribution au FAPL. Le fait que l’appelante a, globalement, versé au CRTC un montant supérieur à celui perçu de ses abonnés, parce qu’elle a pris la décision de ne pas percevoir les frais du FAPL sur les frais d’installation et d’achat de terminaux, ne change rien au fait que le client n’a jamais été informé qu’il devait payer des frais sur un prix d’abonnement qui n’est pas le sien.

[64]        La preuve d’un manquement tant à l’article 219 L.p.c qu’à l’article 227.1 L.p.c. a été établie en l’espèce. L’appelante s’est prêtée à une pratique de commerce interdite par omission d’informer adéquatement le consommateur, d’autant qu’elle lui soutirait plus que ce qu’elle prétendait récupérer. Le premier critère pour donner ouverture à l’octroi des remèdes prévus à l’article 272 L.p.c. est donc satisfait.

(2)          La prise de connaissance par le consommateur de la pratique interdite

[65]        D’avis que le Titre II de la L.p.c. vise les manquements précontractuels, voire les fausses représentations au moment de la conclusion du contrat de service, la preuve du dol n’est pas requise. La preuve démontre, selon l’appelante, que l’intimé Girard voulait un trio de services au meilleur prix. En somme, ce consommateur recherchait un forfait attrayant. Il était satisfait du prix proposé par l’agent de vente et ne se préoccupait pas, ajoute-t-elle, du supplément de 1,5 %. Mais justement, on ne l’en a pas informé au moment propice, soit avant la conclusion du contrat. L’appelante souligne qu’il a néanmoins appris l’existence de ces frais additionnels lors de la réception de sa première facture puisque la charge y apparaissait.

[66]        L’intimé Girard et les autres membres du Groupe n’ont jamais su ni connu au moment de la conclusion du contrat ou de sa modification subséquente, selon le cas, que ce supplément n’était pas calculé sur le prix du forfait choisi par le consommateur, mais sur le prix de base du service, et que l’appelante récupérait d’eux plus qu’elle ne versait au CRTC au titre de sa contribution au FAPL. Le contrat comme la facture des services sont silencieux à ces égards.

[67]        Le deuxième critère est donc satisfait.

(3)          La formation, la modification ou l’exécution d’un contrat de consommation subséquente à cette prise de connaissance

[68]        L’appelante ne conteste pas que ce critère est satisfait en l’espèce.

[69]        Comme, en pratique, les représentations fausses, en l’occurrence l’omission de divulguer la méthode de calcul des frais additionnels et leur incidence pratique, sont subséquentes à la formation du contrat, le troisième critère est satisfait. Dans les faits, les pratiques interdites ont perduré pendant toute la durée de celui-ci.

(4)          Une proximité suffisante entre le contenu de la représentation et le bien ou le service visé par le contrat

[70]        Le consommateur qui souhaite bénéficier de la présomption absolue de préjudice doit démontrer, selon les enseignements de l’arrêt Time, « une proximité suffisante entre le contenu de la représentation [commission de la pratique de commerce interdite] et le bien ou service visé par le contrat »[25]. Dans la même foulée, la Cour suprême explique que « la pratique interdite doit être susceptible d’influer sur le comportement adopté par le consommateur relativement à la formation, à la modification ou à l’exécution du contrat de consommation »[26].

[71]        L’appelante soutient que le quatrième critère n’est pas satisfait étant donné que l’intimé Girard a admis dans son témoignage qu’il aurait contracté de toute manière s’il l’avait su.

[72]        En l’espèce, la présomption de préjudice bénéficie aux intimés. Les fausses représentations, c’est-à-dire l’omission de divulguer la méthode de calcul utilisée et ses répercussions, soit notamment le fait de percevoir plus des intimés que ce que l’appelante ne verse elle-même au CRTC pour le FAPL, étaient susceptibles d’influer sur leur décision de contracter avec l’appelante pour ses services de télédistribution aux conditions auxquelles ils ont effectivement contracté.

[73]        L’intimé Girard a témoigné que si on lui avait dénoncé le fait que ces frais additionnels étaient computés sur le prix de base du service de distribution, il se serait « probablement » abonné quand même, mais il aurait insisté pour ne pas participer au FAPL. Il a, à tout le moins, perdu le bénéfice de négocier le mode d’imputation de ces frais et, en cas de refus de l’appelante, de revoir sa décision. De toute manière, si ces options peuvent paraître utopiques dans la mesure où le contrat proposé par le commerçant en est un d’adhésion, le silence de l’agent de l’appelante à propos des frais de FAPL et l’absence de divulgation du mode d’imputation des coûts additionnels sur le prix de base du contrat et non sur le prix du forfait proposé et accepté par le client établissent une proximité amplement suffisante entre le contenu, vide en l’espèce, de la représentation et le service visé par le contrat.

[74]        Le quatrième critère est donc aussi satisfait.

[75]        La démonstration des quatre conditions énoncées dans Time, précité, emporte la preuve de causalité et la présomption de préjudice, ce qui permet au consommateur d’obtenir les mesures de réparation énumérées à l’article 272 L.p.c. : « Cette présomption dispense le consommateur de la nécessité de prouver l’intention de tromper du commerçant, comme l’exigerait le droit civil en matière de dol »[27].

[76]        Comme il a été démontré que l’intimé Girard a pris connaissance de la pratique de commerce interdite, que le contrat de consommation est subséquent à la fausse représentation et qu’il existe une « proximité suffisante » entre la représentation et le contrat tel que conclu, l’intimé Girard et les autres membres du Groupe ont droit à réparation. La mesure réparatrice recherchée par ces derniers consiste uniquement à demander le trop-perçu, soit la différence entre le montant des frais payés par les membres du Groupe et le montant qu’ils auraient dû payer si les frais avaient été calculés sur la base de leur véritable coût de service, plutôt que le remboursement total des frais payés à l’appelante au titre du FAPL. En l’espèce, le quantum accordé n’est pas remis en question par l’appelante.

[77]        En résumé, les quatre conditions donnant ouverture à réparation en vertu de l’article 272 L.p.c. sont satisfaites et la condamnation de l’appelante au remboursement des montants payés en trop par les intimés pour le service de télédistribution (3 152 042,22 $) doit être maintenue. Sur ce point, le pourvoi ne peut réussir.

[78]        Qu’en est-il maintenant de l’ordonnance de paiement des intérêts sur le montant de la condamnation et de l’octroi des dommages punitifs?


 

3.    Le calcul des intérêts sur le montant des condamnations prononcées

[79]        L’appelante conteste l’octroi des intérêts à compter de la signification de la requête en autorisation, le 4 novembre 2011, sur le montant des deux condamnations, soit celle portant sur les services de télédistribution (3 152 042,22 $) et celle portant sur les vidéos sur demande (3 267 581 $).

[80]        L’appelante relève le fait qu’une condamnation au paiement d’intérêts à compter du 4 novembre 2011, sans autre distinction, est injustifiée, alors que ces condamnations portent sur la récupération de trop-payés qui s’échelonnent bien après la date de signification de la requête en autorisation. Même s’il faut reconnaître qu’elle n’a pas modifié sa pratique au premier moment où elle fut avisée des reproches qui lui étaient adressés par l’intimé Girard, la condamnation au paiement d’intérêts telle que prononcée dans le jugement entrepris emporte une injustice à laquelle il faut remédier.

[81]        L’intimé Girard n’en sera pas surpris outre mesure. Pendant la plaidoirie en première instance, son avocat, tout en faisant remarquer à juste titre que l’appelante n’avait pas modifié sa pratique de facturation après la signification de la requête et n’avait pas non plus pris des mesures diligentes pour assurer la conservation de la documentation pertinente à l’objet du litige dénoncé, concède néanmoins que, pour les années subséquentes à l’année 2011, le calcul des intérêts pourrait être sur une base annuelle plutôt que globale.

[82]        La proposition d’effectuer le calcul année par année ne posait aucun problème. Cette méthodologie aurait dû être privilégiée dans les circonstances, ne serait-ce que compte tenu du fait que l’appelante n’avait pas encore perçu des intimés les frais qu’elle sera éventuellement obligée de rembourser. En effet, la perception des frais reliés au FAPL s’est échelonnée du 1er novembre 2009 jusqu’au 31 août 2014. L’erreur est donc manifeste et déterminante et doit être corrigée.

[83]        À cette fin, je propose d’imputer les intérêts sur une base annuelle en décomposant le montant des condamnations pour les forfaits de télédistribution. À défaut d’une meilleure proposition, les parties devront effectuer le calcul des intérêts en décomposant le montant total de la condamnation portant sur les services de télédistribution en se référant au Tableau illustrant les calculs des condamnations par année (facturation relativement aux rabais pour la période du recours)[28]. En ce qui a trait à l’octroi des intérêts portant sur la condamnation de 3 267 581 $ pour les frais du FAPL facturés sur les ventes de vidéos sur demande, je propose de retenir l’une des formules proposées par l’appelante en décomposant, à quelques sous près, le montant de la

condamnation en deux périodes, soit 1 318 497,54 $ à partir de la signification de la requête en autorisation, le 4 novembre 2011, et 1 949 083,22 $ à partir de la date d’abolition du FAPL, le 1er septembre 2014.

[84]        Le dispositif de l’arrêt sera ajusté en conséquence.

4.    Les dommages punitifs

[85]        La juge octroie 1 million de dollars aux intimés à titre de dommages punitifs, soit la moitié du montant qu’ils demandaient à la suite d’un amendement apporté le 24 novembre 2014 à leur requête introductive d’instance en recours collectif.

[86]        Il importe toutefois de faire remarquer qu’à l’origine de ses procédures (requête en autorisation du 4 novembre 2011), l’intimé Girard réclame 5 000 000 $ à titre de dommages punitifs, pour ensuite amender sa requête le 18 décembre 2012 et réduire sa réclamation à ce titre à 250 000 $. Puis, à la suite du jugement d’autorisation, la requête introductive d’instance en recours collectif de l’intimé, portant la date du 27 mai 2013, réitère sa demande pour l’octroi de dommages punitifs de 250 000 $, mais cette requête est par la suite amendée, en date du 24 octobre 2014, afin cette fois de demander 2 000 000 $ à ce titre.

[87]        D’ailleurs, ces modifications apportées au quantum des dommages punitifs, tantôt vers le bas, tantôt vers le haut, ne font l’objet d’aucune allégation précise dans les requêtes successives en autorisation. L’appelante s’en tient à des généralités dans l’action collective initiale, comme dans celle amendée d’ailleurs. Cela dit, encore faut-il analyser le bien-fondé de ce chef de réclamation.

[88]        Après avoir souligné, à juste titre, que « la gravité de la conduite du commerçant et les effets sur le consommateur » doivent être pris en compte, la juge reprend succinctement l’essentiel des manquements observés. Puis, elle explique ce qui justifie, en l’espèce, l’octroi de dommages punitifs :

[164]    La LPC est une loi d’ordre public à portée sociale comme le rappelle la juge Roy de notre Cour :

[68] La Loi est une loi d’ordre public à portée sociale. Elle vise à rétablir le déséquilibre entre le commerçant et le consommateur, particulièrement en matière de contrat d’adhésion. La prudence est de mise pour le commerçant.

[165]    Dans la présente affaire, les membres ont non seulement subi un préjudice financier, mais il y a eu contravention à la loi. Les consommateurs ont mal été informés. Le consommateur ne peut savoir que le commerçant exige plus que le 1,5% des coûts des services de télédistribution.

[166]    Vidéotron a facturé des sommes qu’elle n’a pas expliquées pour des motifs de commodité.

[167]    Le comportement de Vidéotron justifie l’octroi de dommages-punitifs substantiels afin de dissuader de telles compagnies de profiter de leurs positions pour soutirer, de façon récurrente, des montants minimes à leur clientèle, sous prétexte qu’il serait trop compliqué de rectifier la situation.

[168]    La violation de la loi était claire et intentionnelle. Une condamnation à des dommages-intérêts punitifs est fondée afin de décourager la répétition d’un tel comportement.

[169]    En 2014 Vidéotron comptait environ 1 500 000  abonnés, et elle ne s’est pas amendée après le dépôt du recours collectif. Prenant en compte la gravité de la violation et la nécessité de dissuader le comportement fautif, le Tribunal ordonne le paiement de 1 000 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs.

[Références omises]

[89]        À l’audience en appel, l’appelante demande l’annulation des dommages punitifs, sinon leur réduction. Son raisonnement s’appuie d’abord sur ses moyens au fond, c’est-à-dire sur l’absence de représentation trompeuse, mais aussi sur la preuve qu’elle a administrée. Se référant à l’arrêt Dion[29], l’appelante soutient que ses témoins ont établi que les manquements reprochés sont, si prouvés, mineurs, en ce qu’il y a absence de malice, de violation intentionnelle ou de négligence sérieuse de sa part. Qu’en est-il?

[90]        La norme d’intervention d’une cour d’appel en matière d’octroi de dommages punitifs est particulièrement élevée, comme le rappelle la Cour suprême dans l’arrêt Marcotte :

[98]      Dans larrêt Cinar Corporation c. Robinson2013 CSC 73 (CanLII)[2013] 3 R.C.S. 1168, notre Cour confirme quil nexiste que deux motifs autorisant une cour dappel à modifier le montant des dommages-intérêts punitifs établi par le tribunal de première instance :

(1) en présence dune erreur de droit; ou [. . .] (2) lorsque ce montant na pas de lien rationnel avec les objectifs de lattribution de dommages-intérêts punitifs, soit la prévention, la dissuasion (particulière et générale) et la dénonciation [par. 134][30]

[91]        Cette norme exigeante d’intervention a d’ailleurs maintes fois été réitérée par la Cour :

[125]    Enfin, une cour d’appel ne peut intervenir et modifier le montant des dommages-intérêts punitifs « que (1) en présence d’une erreur de droit; ou que (2) lorsque ce montant n’a pas de lien rationnel avec les objectifs de l’attribution de dommages-intérêts punitifs, soit la prévention, la dissuasion (particulière et générale) et la dénonciation » [Renvois omis][31]

[92]        L’octroi de dommages punitifs est permis, conformément à l’article 1621 C.c.Q., si une disposition législative le prévoit. C’est le cas, en l’espèce, comme la juge de première instance le mentionne. En effet, l’article 272 in fine L.p.c. l’énonce expressément.

[93]        La juge se dirige donc bien en droit lorsqu’elle décide de l’opportunité d’octroyer des dommages punitifs. Son analyse trouve assise dans l’arrêt Marcotte de la Cour suprême qu’il apparaît à propos de citer sur ce point :

[91]      Dans larrêt Richard, la Cour énonce des lignes directrices permettant de déterminer les situations dans lesquelles une contravention à la L.p.c. ouvre la porte aux recours prévus à lart. 272. Quant aux dommages-intérêts punitifs, la Cour affirme que « les violations intentionnelles, malveillantes ou vexatoires, ainsi que la conduite marquée dignorance, dinsouciance ou de négligence sérieuse de la part des commerçants ou fabricants à légard de leurs obligations et des droits du consommateur sous le régime de la L.p.c. peuvent entraîner loctroi de dommages-intérêts punitifs [en vertu de lart. 272] » (par. 180 (nous soulignons)). Les consommateurs nont pas à « prouver lintention de tromper du commerçant » pour que lart. 272 sapplique (par. 128).

[…]               

[100]    Larticle 1621 C.c.Q. régit loctroi de dommages-intérêts punitifs en droit québécois, et il ne permet au tribunal den attribuer que « [l]orsque la loi [le] prévoit », auquel cas ceux-ci « ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive ». En lespèce, la seule disposition applicable qui prévoit loctroi de dommages-intérêts punitifs est lart. 272 L.p.c., qui indique que le consommateur « peut également demander des dommages-intérêts punitifs » si le commerçant « manque à une obligation que lui impose la [L.p.c.] ».

[101]    Notre Cour sest penchée sur la question des dommages-intérêts punitifs accordés en vertu de lart. 272 L.p.c. dans larrêt Richard. Elle conclut quils doivent être accordés dans un contexte de prévention, cest-à-dire « pour décourager la répétition de comportements indésirables » (par. 180). Ils doivent être réservés aux actes « intentionnels, malveillants ou vexatoires » qui contreviennent à la L.p.c. ou aux comportements « dignorance, dinsouciance ou de négligence sérieuse à légard des droits du consommateur et de leurs obligations envers lui sous le régime de la L.p.c. », le tribunal devant apprécier « non seulement le comportement du commerçant avant la violation, mais également le changement (sil en est) de son attitude envers le consommateur [...] après cette violation » (ibid., par. 177-178).

[…]

[108]    Avec égard, nous arrivons à une autre conclusion à la lumière des constats de fait tirés par le juge du procès. La L.p.c. est une loi dordre public; les obligations et les objectifs qui y sont prévus doivent entrer en ligne de compte dans la décision qui condamne une partie aux dommages-intérêts punitifs pour manquement à cette loi. Ces obligations et objectifs ont été examinés en détail dans larrêt Richard […].

[109]    En conséquence, avec égard, il nest pas nécessaire détablir un comportement antisocial ou répréhensible pour que des dommages-intérêts punitifs soient attribués en vertu de la L.p.c. Il faut plutôt examiner le comportement global du commerçant avant, pendant et après la violation, pour déterminer sil a adopté une attitude « laxiste, passive ou ignorante à légard des droits du consommateur et [de leurs propres] obligations », ou un comportement « dignorance, dinsouciance ou de négligence sérieuse ».[32]

[94]        L’erreur commise dans le jugement entrepris, et cela dit avec égards, se situe du côté quantum. Le montant de 1 million de dollars accordé à titre de dommages punitifs est excessif et disproportionné, en l’espèce. Voici pourquoi.

[95]        Les critères d’appréciation des dommages-intérêts punitifs sont, sans pour autant être exhaustifs, ceux énumérés à l’article 1621 C.c.Q. :

1621. Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.

[96]        La L.p.c., loi d’ordre public, poursuit deux objectifs distincts, soit « le rétablissement d’un équilibre dans les relations contractuelles entre les commerçants et le consommateur »[33] et « l’élimination des pratiques déloyales et trompeuses susceptibles de fausser l’information dont dispose le consommateur et de l’empêcher de faire des choix éclairés »[34]. Et d’ajouter la Cour suprême : « [p]ar la réalisation de ces deux objectifs, le législateur cherche à sauvegarder l’existence d’un marché efficient où le consommateur peut intervenir avec confiance »[35].

[97]        Le simple fait d’une violation de la L.p.c. ne peut suffire à justifier une condamnation à des dommages punitifs[36]. L’examen du comportement du commerçant doit être observé tant au moment de la violation qu’après celle-ci avant d’octroyer des dommages-intérêts punitifs[37].

[98]        Dans l’arrêt  de principe Richard c. Time inc., la Cour suprême rappelle les objectifs poursuivis par l’octroi de dommages-intérêts punitifs :

[155]    L’article 1621 C.c.Q. impose lui-même la prise en compte des objectifs généraux des dommages-intérêts punitifs. En effet, la rédaction de cette disposition confère aux dommages-intérêts punitifs une fonction essentiellement préventive. Suivant cet article, l’octroi de dommages-intérêts punitifs doit toujours conserver pour objectif ultime la prévention de la récidive de comportements non souhaitables. Notre Cour a reconnu que cette fonction préventive est remplie par l’octroi de dommages-intérêts punitifs dans des situations où un individu a adopté un comportement dont il faut prévenir la répétition ou qu’il faut dénoncer, dans les circonstances précises d’une affaire donnée (Béliveau St-Jacques, par. 21 et 126; de Montigny, par. 53). Lorsque le tribunal choisit de punir, sa décision indique à l’auteur de la faute que son comportement et la répétition de celui-ci auront des conséquences pour lui. Une condamnation à des dommages-intérêts punitifs est fondée d’abord sur le principe de la dissuasion et vise à décourager la  répétition d’un comportement semblable, autant par l’individu fautif que dans la société. La condamnation joue ainsi un rôle de dissuasion particulière et générale. Par ailleurs, le principe de la dénonciation peut aussi justifier une condamnation lorsque le juge des faits désire souligner le caractère particulièrement répréhensible de l’acte dans l’opinion de la justice. Cette fonction de dénonciation contribue elle-même à l’efficacité du rôle préventif des dommages-intérêts punitifs[38].

[Je souligne]

[99]        Les dommages-intérêts punitifs n’ont pas, il va sans dire, de vocation compensatoire. Dans les faits, cependant, ils contribuent à l’accroissement du montant que se partageront les membres du groupe, mais pas toujours uniquement ces derniers[39]. Il importe de bien cibler, comme l’enseigne la Cour suprême[40], les objectifs qui doivent guider l’attribution des dommages punitifs pour mieux mesurer leur quotité, d’autant que si l’exercice n’a rien de mathématique, et encore moins de scientifique, il ne doit pas s’effectuer pour autant dans l’abstrait. Autrement, leur octroi risque de gonfler artificiellement le montant des dommages-intérêts accordés. Si délicate soit-elle, la détermination de la quotité d’un chef de dommages aussi subjectif a priori que les dommages punitifs doit reposer sur un ensemble de faits constatables. Une simple équation mathématique, comme la multiplication effectuée à partir du nombre de membres du groupe partie au litige, peut s’avérer un prisme déformant, parfois réducteur, parfois amplificateur.

[100]     Le premier alinéa de l’article 1621 C.c.Q. met en garde, en quelque sorte, contre toute tendance haussière de ce chef de dommages,comme le reconnaît la jurisprudence :

[210]    Lorsqu’un tribunal décide s’il accordera des dommages-intérêts punitifs, il doit mettre en corrélation les faits de l’affaire et les buts visés par ces dommages-intérêts et se demander en quoi, dans ce cas précis, leur attribution favoriserait la réalisation de ces objectifs. Il doit tenter de déterminer la somme la plus appropriée, c’est-à-dire la somme la moins élevée, mais qui permettrait d’atteindre ce but (Whiten, par. 71). Même sans retenir l’allégation d’une violation de la Charte de la langue française comme facteur aggravant, il n’en demeure pas moins que la conduite des intimées était grave et délibérée et pouvait affecter un grand nombre de consommateurs. De plus, même après que le consommateur leur a reproché leurs pratiques trompeuses, selon la preuve, elles n’ont rien corrigé. Ce fait doit également être considéré comme un facteur aggravant.[41]

[Je souligne]

[101]     Cet éclairage jurisprudentiel sert de guide incontournable et rien ne justifie de s’en éloigner, malgré l’argument que l’on tente parfois de tirer de la nature subjective des dommages-intérêts punitifs jumelée au caractère discrétionnaire de leur octroi.

[102]     La méthode d’analyse préconisée pour l’octroi de dommages de ce type en vertu de l’article 272 L.p.c. est ainsi résumée :

[179]    Pour récapituler, les principes applicables au recours en dommages-intérêts punitifs sous le régime de la L.p.c. peuvent se résumer comme suit :

[…] le tribunal doit déterminer s’il se trouve devant des comportements(1) qui sont incompatibles avec les objectifs poursuivis par le législateur dans la loi en cause et (2) dont la perpétration nuit à leur réalisation.

[180]    Dans le cas d’une demande de dommages-intérêts punitifs fondée sur l’art. 272 L.p.c., la méthode analytique ci-haut mentionnée s’applique comme suit :

       Les dommages-intérêts punitifs prévus par l’art. 272 L.p.c. seront octroyés en conformité avec l’art. 1621 C.c.Q., dans un objectif de prévention pour décourager la répétition de comportements indésirables;

       Compte tenu de cet objectif et des objectifs de la L.p.c., les violations intentionnelles, malveillantes ou vexatoires, ainsi que la conduite marquée d’ignorance, d’insouciance ou de négligence sérieuse de la part des commerçants ou fabricants à l’égard de leurs obligations et des droits du consommateur sous le régime de la L.p.c. peuvent entraîner l’octroi de dommages-intérêts punitifs. Le tribunal doit toutefois étudier l’ensemble du comportement du commerçant lors de la violation et après celle-ci avant d’accorder des dommages-intérêts punitifs.[42]

[103]     Appliqués aux faits de l’espèce, ces principes justifient l’octroi de dommages punitifs, ne serait-ce que pour dissuader non seulement l’appelante, mais aussi tout autre commerçant, de s’adonner à cette pratique de commerce interdite qui consiste à ne pas être parfaitement transparent avec le consommateur lorsqu’on sollicite ou recherche sa clientèle et l’obtient. Le montant des dommages accordés à ce titre, en l’espèce, excède toutefois largement l’ordre de grandeur indiqué dans les circonstances pour satisfaire l’atteinte des objectifs poursuivis. Tout considéré, le montant des dommages-intérêts punitifs octroyé de 1 million de dollars est nettement déraisonnable, en ce qu’il n’est pas rationnellement proportionné aux objectifs poursuivis, compte tenu des circonstances précises de la présente affaire[43]. Il s’agit là d’une erreur de principe qui justifie l’intervention de la Cour.

[104]     Les critères d’évaluation du quantum des dommages punitifs en matière de violation de la L.p.c. sont bien circonscrits, comme il est fait mention ci-devant, dans l’arrêt Richard c. Time inc.[44].

[105]     L’appelante est nantie et le nombre d’abonnés est élevé (environ 1 500 000). Ces éléments de considération sont acquis en l’espèce, mais encore faut-il que le montant des dommages punitifs octroyé soit à la fois proportionnel à la gravité des manquements


 

reprochés et nécessaire pour assurer leur fonction préventive. Or, le lien rationnel qui doit exister entre le montant accordé et les objectifs de l’attribution des dommages-intérêts punitifs est en l’espèce ténu[45].

[106]     De tous les facteurs à prendre en considération, la gravité du manquement ou de la violation à la loi est le plus important[46]. Or, placée dans son contexte, la pratique de commerce interdite à laquelle s’est prêtée l’appelante participe davantage d’une prise de décision mal avisée que d’une volonté arrêtée de surfacturer à leur insu ses abonnés. La fausse représentation tient pour l’essentiel, comme on l’a vu, au fait de ne pas avoir dénoncé explicitement la méthode de calcul ou d’imputation des frais additionnels, privant ainsi ses abonnés, nombreux faut-il le remarquer, de renseignements pertinents à leur adhésion ou au maintien de celle-ci.

[107]     Cela dit, on ne peut ignorer le fait que tant le contrat intervenu entre les parties que la facture envoyée aux clients dénonçaient expressément l’ajout de frais reliés au FAPL. L’appelante a certes manqué de transparence quant à la méthode de calcul, mais on ne peut pour autant lui prêter l’intention d’avoir voulu camoufler, de propos délibéré, l’imputation de frais additionnels à cette fin. Somme toute, la décision de l’appelante est le résultat d’un mauvais choix ou d’un faux calcul, qui s’assimile à une insouciance marquée de ses clients, lorsqu’elle affirme avoir opté pour l’imputation de ces frais sur le prix du service de base plutôt que sur le prix réduit après déduction des rabais, étant donné qu’elle excluait toute imputation sur les frais d’installation et sur l’achat de terminaux.

[108]     En fait, sans être bénigne, la gravité de la violation doit cependant être relativisée, comme déjà mentionné ci-dessus, d’autant que l’appelante doit rembourser en totalité aux intimés les montants perçus en trop, soit les frais sur le montant excédant le prix réel du forfait de télédistribution de ses abonnés, et les montants perçus pour le FAPL sur les vidéos sur demande qui ne sont pas objet du présent pourvoi (dommages compensatoires). La résultante de ces condamnations fait en sorte que l’appelante assume donc seule la totalité de sa contribution au FAPL, sans aucune participation de ses abonnés, et ce, même s’il n’était pas illégal en soi d’en imputer la charge à sa clientèle. L’appelante s’y est tout simplement mal prise, sans égard et au détriment des intimés, et ne s’est jamais amendée. Dans ce contexte, les dommages compensatoires accordés (6 419 623,22 $) comportent un effet punitif non négligeable et ont certainement un effet dissuasif[47].


 

[109]     En gardant à l’esprit que « les dommages punitifs doivent être accordés avec retenue »[48], une pondération adéquate des facteurs pertinents fait en sorte que l’octroi de dommages-intérêts de 200 000 $, ce qui est assez près de ce qui avait été initialement demandé dans la requête introductive d’instance de l’action collective, est amplement suffisant pour atteindre les objectifs visés, soit la dénonciation de la pratique de commerce interdite, la prévention d’une récidive et la dissuasion, tant particulière que générale. Il s’agit de « la somme la plus appropriée, c’est-à-dire la somme la moins élevée, mais qui permettrait d’atteindre [ces objectifs] »[49].

[110]     Enfin, en lien avec l’objectif de dissuasion particulière, il est pertinent de noter que le comportement de l’appelante dans la présente affaire n’a rien en commun avec son comportement antérieur, dénoncé d’ailleurs sévèrement dans Vidéotron c. Union des consommateurs[50]. Dans cette affaire, l’appelante avait apporté une modification unilatérale des conditions essentielles de son contrat à durée déterminée pour les services d’Internet. Elle avait imposé un plafond à la consommation mensuelle d’internet aux abonnés qui avaient contracté un forfait illimité. La Cour maintient la condamnation aux dommages punitifs prononcés par la juge de première instance dans cette affaire. Le juge Parent, tel qu’il était, retient notamment le fait que les revenus encaissés par l’appelante auprès du sous-groupe visé s’inscrivent dans un contexte où elle savait qu’elle se donnait un avantage concurrentiel unique en offrant un service Internet illimité, pour ensuite modifier unilatéralement le contrat à durée déterminée.

[111]     Tout en étant conscient de la norme exigeante d’intervention en matière d’octroi de dommages punitifs, dans la mesure où l’octroi de tels dommages résulte d’un pouvoir discrétionnaire du juge de première instance[51], j’estime néanmoins que le jugement entrepris ne cerne pas adéquatement le comportement global de l’appelante avant, pendant et après la violation de la L.p.c.[52]. Entre autres, la juge lui reproche comme facteur contribuant à l’octroi de dommages punitifs de ne pas s’être amendée « après le dépôt du recours collectif », alors que la défense opposée par l’appelante ne tient pas d’une procédure abusive, même si elle s’avère non fondée sur le fond.

[112]     Pour ces raisons, je propose donc d’intervenir pour réduire à 200 000 $ le montant de la condamnation à des dommages punitifs.

CONCLUSION

[113]     En résumé, le pourvoi ne peut réussir sur le fond. Ainsi, les condamnations de 3 152 042,22 $ (les services de télédistribution) et de 3 267 581 $ (les vidéos sur demande) étant bien fondées, l’appel ne sera accueilli qu’aux seules fins de modifier la période d’imputation des intérêts pour chacune des condamnations et le montant des dommages punitifs (200 000 $). Vu le sort mitigé de l’appel, les frais de justice sont accordés aux intimés en appel, mais demeurent inchangés en première instance.

 

 

 

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

 



[1]     Girard c. Vidéotron, s.e.n.c., 2015 QCCS 5212 [jugement entrepris].

[2]     RLRQ, c. P-40.1.

[3]     Règlement sur la distribution de radiodiffusion, DORS/97-555, paragr. 29.1(1).

[4]     Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. 28-32.

[5]     Girard c. Vidéotron, s.e.n.c., 2013 QCCS 1488, paragr. 78 [jugement d’autorisation].

[6]     Id., paragr. 79.

[7]     Id.

[8]     Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. 50-73.

[9]     Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. 90.

[10]    Richard c. Time inc., [2012] 1 R.C.S. 265, 2012 CSC 8, paragr. 67, 71 et 77.

[11]    Richard c. Time inc., supra, note 10, paragr. 124.

[12]    DORS/97-555.

[13]    L.C. 1991, ch. 11.

[14]    Dion c. Compagnie de services de financement automobile Primus Canada, 2015 QCCA 333, paragr. 65-66, demandes d’autorisation d’appel et d’appel incident à la Cour suprême rejetées, 24 septembre 2015, no 36392.

[15]    Id., paragr. 67.

[16]    Id., paragr. 65-66.

[17]    Richard c. Time inc., supra, note 10, paragr. 124.

[18]    Dion c. Compagnie de services de financement automobile Primus Canada, supra, note 14.

[19]    Richard c. Time Inc., supra, note 10, paragr. 124.

[20]    Richard c. Time Inc., supra, note 10, paragr. 123-125 et 127-128.

[21]    Deux modèles de contrat ont été utilisés en l’espèce. Dans un cas comme dans l’autre, les frais du FAPL y sont mentionnés. Selon le modèle utilisé, la mention des frais apparaît après les rabais, comme dans le cas du contrat souscrit par M. Girard, ou avant ceux-ci. L’emplacement des frais dans le contrat est sans incidence réelle.

[22]    Règlement modifiant le Règlement sur la distribution de radiodiffusion, DORS/2009-234, art. 7.

[23]    Richard c. Time, supra, note 10, paragr. 72.

[24]    Supra, note 3 : «  (1) Sauf condition contraire de sa licence, un titulaire verse à la programmation canadienne, pour chaque année de radiodiffusion, une contribution égale à 1,5 % des recettes brutes provenant de ses activités de radiodiffusion au cours de l’année de radiodiffusion. La contribution est versée au Fonds pour l’amélioration de la programmation locale. » [Je souligne]

[25]    Richard c. Time Inc., supra, note 10, paragr. 124.

[26]    Id.

[27]    Richard c. Time, supra, note 10, paragr. 128.

[28]    Ce tableau est reproduit à la page 2267 du Mémoire de l’appelante. Les sources ayant servi à la confection de ce tableau sont les pièces P-7B et P-8 du dossier de première instance, qui sont reproduites aux pages 378 et 379.

[29]    Dion c. Compagnie de services de financement automobile Primus Canada, supra, note 14, paragr. 134.

[30]    Banque de Montréal c. Marcotte, [2014] 2 R.C.S. 725, 2014 CSC 55, paragr. 98. Voir aussi : Richard c. Time Inc., supra, note 10, paragr. 188-190.

[31]    FTQ-Construction c. Lepage, 2016 QCCA 1375, paragr. 125, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 20 avril 2017, no 37271.

[32]    Banque de Montréal c. Marcotte, supra, note 30, paragr. 91, 100-101 et 108-109.

[33]    Richard c. Time Inc., supra, note 10, paragr. 160.

[34]    Id., paragr. 161.

[35]    Id., paragr. 162.

[36]    Id., paragr. 178.

[37]    Id., paragr. 179.

[38]    Id., paragr. 155.

[39]    Voir les articles 571 et 591 à 598 C.p.c.

[40]    Richard c. Time Inc., supra, note 10, entre autres les paragr. 89, 155 et 210.

[41]    Id., paragr. 210. Voir aussi Daniel Gardner, « Les dommages punitifs et la protection du consommateur: un commentaire de l’arrêt Time Inc. », (2011) 90 R. du B. can. 699, p. 702 et suiv.

[42]    Richard c. Time Inc., supra, note 10, paragr. 179-180.

[43]    Id., paragr. 209.

[44]    Id., paragr. 199-203.

[45]    Richard c. Time Inc., supra, note 10, paragr. 190.

[46]    Id., paragr. 200.

[47]    Id., paragr. 202. Voir aussi Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, paragr. 128.

[48]    Cinar Corporation c. Robinson, [2013] 3 R.C.S. 1168, 2013 CSC 73, paragr.138.

[49]    Richard c. Time Inc., supra, note 10, paragr. 210.

[50]    2017 QCCA 738.

[51]    Perreault c. McNeil PDI inc., 2012 QCCA 713, paragr. 73, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 25 octobre 2012, no 34877.

[52]    Banque de Montréal c. Marcotte, supra, note 30, paragr. 109.

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