Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Adoption — 161

2016 QCCA 16

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-08-000169-150

(150-43-000454-143)

 

DATE :

14 janvier 2016

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

 

A

APPELANT - Requérant

et

 

B

INTIMÉ - Intimé

et

DIRECTEUR DE L’ÉTAT CIVIL

MIS EN CAUSE - Mis en cause

et

X

Partie intéressée

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 29 avril 2015 par la Cour du Québec, chambre de la jeunesse district A (l’honorable Doris Thibault), qui rejette sa requête en ordonnance de placement en vue d’une adoption.

[2]           Pour les motifs de la juge St-Pierre, auxquels souscrivent les juges Hilton et Bouchard, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE l’appel;

[4]           infirme le jugement entrepris;

[5]           ACCUEILLE la requête pour ordonnance de placement en vue d’adoption de l’enfant X né le [...] 2014;

[6]           ordonne le placement de l’enfant X auprès du requérant A en vue de son adoption;

[7]           CONFIRME que l’autorité parentale à l’égard de l’enfant X est dévolue au requérant A et à l’intimé B pendant la durée de la présente ordonnance;

[8]           déclare que l’enfant conservera ses prénom et nom (X) pendant la durée de la présente ordonnance;

[9]           RÉDUIT de six mois à trois mois à compter de l’arrêt le délai pour présenter une requête en adoption;

[10]        LE TOUT, sans frais.

 

 

 

 

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

Me Christian Lajoie

LAJOIE & PEARSON

Pour l’appelant

 

B

Intimé

 

Me Pascale F. Tremblay

TOURANGEAU, TREMBLAY

Pour la partie intéressée

 

Date d’audience :

16 septembre 2015


 

 

MOTIFS DE LA JUGE ST-PIERRE

 

 

[11]        En ne déclarant pas sa filiation maternelle à l’enfant dont elle a accouché, une mère porteuse, qui participe en toute bonne foi et sans rémunération au projet parental d’un couple d’amis homosexuels dont elle accepte de porter l’enfant issu d’une fécondation in vitro d’un ovule d’une donneuse ontarienne anonyme inséminé avec le sperme de l’intimé, a-t-elle fraudé la loi?

[12]        Dans ces circonstances, la présentation d’une requête pour ordonnance de placement pour adoption avec le seul consentement du père déclaré constitue-t-elle une « démarche illégale et contraire à l’ordre public »?

[13]        Alors qu’elle ne souhaite pas établir de lien de filiation entre elle et l’enfant, ce dont elle informe le couple d’entrée de jeu, qu’elle leur réitère à la suite de la naissance de l’enfant et dont elle témoigne sous serment lors d’une audience devant la juge, peut-on qualifier ce cas d’espèce de situation où l’on « a fait renoncer la mère porteuse de façon anticipée à sa qualité et à ses droits de mère », de sorte que cela vicie la demande de placement et qu’il faut nécessairement la rejeter?

[14]        Voilà les questions que soulève le présent pourvoi et auxquelles, à mon avis, il y a lieu de répondre négativement.

Une précision

[15]        Avant d’énoncer le contexte, de résumer le jugement dont appel et d’entreprendre l’analyse, je crois utile, voire même essentiel, de mentionner que le Directeur de l’état civil, la Direction de la protection de la jeunesse (« la DPJ ») et la procureure générale du Québec ont été informés de l’affaire, mais qu’aucun d’eux n’a jugé nécessaire, pertinent ou utile d’intervenir en l’espèce.

[16]        En septembre 2014, la demande d’ordonnance de placement pour adoption a été signifiée au Directeur de l’état civil ainsi qu’au Centre jeunesse A, soit à la DPJ.

[17]        Le Directeur de l’état civil ne s’est pas manifesté, mais la DPJ l’a fait en déposant au dossier, le 29 septembre 2014 et par l’entremise de son avocat, une déclaration voulant qu’elle ne soit pas présente lors de l’audition et qu’elle s’en remette à la justice.

[18]        Bien qu’il n’ait pas comparu en première instance, le Directeur de l’état civil a tout de même été mis en cause au dossier d’appel. Il n’y a pas comparu.

[19]        De plus, à la demande de la Cour et aux termes de la lettre suivante communiquée à son avocat, l’appelant a été requis d’informer la procureure générale du Québec du dossier et de l’audition fixée, ce qu’il a fait sans délai :

Maître Lajoie,

La formation responsable d'entendre votre pourvoi a commencé à étudier votre dossier et croit utile, en raison des questions en litige soulevées, que la procureure générale du Québec (PGQ) en soit informée afin de lui donner l'occasion d'intervenir, le cas échéant, si elle le juge opportun.

Par conséquent, pourriez-vous signifier à la PGQ, d'ici au 25 août 2015, une copie de votre avis d'appel, du jugement dont appel, de votre exposé et de celui du procureur à l'enfant ainsi qu'une copie de la présente lettre. Vous devrez déposer au dossier de la Cour les preuves de signification.

Si la PGQ souhaite intervenir, elle pourra le faire par un avis signifié aux parties et déposé au greffe de cette Cour au plus tard le 8 septembre 2015. Dans le cas d'une telle intervention, il y aura convocation d'une conférence de gestion pour la suite des choses.

Cela dit, et pour le moment, le dossier demeure inscrit au rôle du 16 septembre 2015.

Veuillez agréer, Maître Lajoie, l'expression de nos sentiments les meilleurs.

[Soulignement dans l’original]

[20]        À la suite de cette signification et de l’examen de l’affaire, un avocat représentant la procureure générale du Québec a confirmé à la Cour que celle-ci choisissait de ne pas intervenir au dossier.

Le contexte

[21]        L’appelant et l’intimé, conjoints qui font vie commune depuis plus de six ans, veulent avoir un enfant.

[22]        Deux options s’offrent à eux : l’adoption, au Québec ou à l’international, et le recours à une mère porteuse.

[23]        Selon la preuve administrée, ils ont tôt fait d’abandonner la première option en raison des obstacles qu’elle comporte : les délais pour une adoption au Québec, tenant compte de l’âge de l’un d’eux, et leur orientation sexuelle pour l’adoption internationale.

[24]        Ils retiennent toutefois la seconde option et entreprennent des démarches pour la mise en œuvre en Ontario d’un projet parental réalisé avec le concours d’une mère porteuse ontarienne portant et accouchant de l’enfant en Ontario. Ce projet n’aboutit pas, mais il permet tout de même l’obtention d’ovules d’une donneuse anonyme ontarienne.

[25]        Alors qu’ils perdent espoir de concrétiser un projet parental, une connaissance de la mère de l’un d’eux, une québécoise, accepte de porter l’enfant issu d’une fécondation in vitro d’un ovule de la donneuse ontarienne inséminé avec le sperme de l’intimé. Le projet parental est donc réalisé au Québec.

[26]        L’enfant naît le [...] 2014, alors que l’appelant a au moins dix-huit ans de plus que lui.

[27]        L’intimé, géniteur de l’enfant, déclare la naissance de l’enfant au Directeur de l’état civil, mais la mère porteuse ne le fait pas.

[28]        Le 22 avril 2014, le Directeur de l’état civil délivre le certificat de naissance de l’enfant où il a inscrit le nom de l’intimé à la rubrique « Père » et les mots « non déclaré » à la rubrique « Mère ».

[29]        Le 5 septembre 2014, l’intimé signe un consentement spécial à l’adoption de l’enfant en faveur de l’appelant, son conjoint.

[30]        Le 8 septembre 2014, l’appelant introduit une requête en ordonnance de placement devant la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, présentable le 8 octobre qu’il signifie au Directeur de l’état civil ainsi qu’à la DPJ.

[31]        Comme prévu, la requête est entendue le 8 octobre 2014.

[32]        S’inspirant de l’arrêt Adoption - 1445[1] de la Cour, rendu le 10 juin 2014, et dont il lui remet une copie, l’avocat de l’appelant invite la juge à  faire droit à sa requête.

[33]        La juge met l’affaire en délibéré tout en indiquant à l’avocat qu’elle ne croit pas que la présence de la mère porteuse sera requise pour la suite des choses, comme le révèlent les extraits suivants de leurs échanges, mais en précisant qu’elle communiquera avec lui, au besoin, autrement :

Me Christian Lajoie :

Est-ce que vous voulez que … bien, enfin, je pense qu’elle va y être, mais que la mère porteuse soit là aussi, là, lorsqu’on va présenter la requête en adoption ou… sentez-vous le… voulez-vous…

[…]

LA COUR :

… elle n’est pas… elle n’est pas partie aux procédures, elle n’est pas… juridiquement, elle n’est pas dans le décor.

Me Christian Lajoie :

Non, elle n’est pas là du tout.

LA COUR :

Si jamais je penserais en avoir besoin, je vais vous le dire.

Me Christian Lajoie :

Parfait.

[…]

LA COUR :

Mais pour le moment, je ne vois pas… je ne vois pas de problème.

[…]

LA COUR :

Alors, si vous n’avez pas de nouvelles, c’est parce que tout est beau…

Me Christian Lajoie :

Pardon?

LA COUR :

… et que je n’ai pas besoin de la mère porteuse.

Me Christian Lajoie :

Parfait.

LA COUR :

C’est dans le cas où j’en aurais besoin qu’on va communiquer avec vous.

[34]        Le 11 décembre 2014, à la suite de son examen du dossier, la juge rend l’ordonnance que voici :

[1]        A présente une requête en placement pour adoption de l’enfant X né le [...] 2014.

[2]        La filiation maternelle de l’enfant n’est pas reconnue.

[3]        Le père, B, consent à l’adoption de l’enfant par son conjoint.

[4]        Le Tribunal a pris la requête en délibéré. La lecture de la doctrine et de la jurisprudence sur le sujet soulève des questionnements quant à la légalité du processus utilisé par le requérant pour concrétiser ce projet d’adoption.

[5]        Il y a lieu d’ordonner une réouverture d’enquête afin que soit entendue la mère biologique de l’enfant et que le procureur du requérant puisse apporter des arguments additionnels et qu’un avocat soit nommé à cet enfant pour préserver ses droits dans ce contexte particulier où sa filiation maternelle n’est pas reconnue.

[6]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[7]        ORDONNE une réouverture d’enquête le 14 janvier 2015 à 14h00;

[8]        NOMME Me Pascale F. Tremblay procureure à l’enfant.

[35]        Le 14 janvier 2015, l’enquête est rouverte en présence de l’avocat de l’appelant et de l’avocate nommée à l’enfant.

[36]        D’entrée de jeu, la juge indique que le dossier dont elle est saisie lui paraît différer de celui ayant donné lieu à l’arrêt Adoption - 1445 en raison, dans cette affaire, de la filiation maternelle reconnue et de la présence d’un consentement spécial à l’adoption par la mère porteuse.

[37]        Tout en reconnaissant ces différences, l’avocat de l’appelant et l’avocate de l’enfant plaident que l’arrêt Adoption - 1445 demeure pertinent et qu’il y a lieu d’accueillir la requête présentée qui satisfait aux conditions énoncées à la loi et qui est présentée dans le meilleur intérêt de l’enfant.

[38]        La mère porteuse, elle-même mère de famille, témoigne. Elle explique avoir voulu racheter un avortement subi plus tôt dans sa vie en participant à la réalisation de ce projet parental d’amis, mais sans se déclarer à titre de mère de l’enfant auprès du Directeur de l’état civil. Elle atteste n’avoir reçu aucune rémunération pour agir comme mère porteuse et précise que seules ses dépenses de déplacements à Ville A et d’achat de vêtements de maternité lui ont été remboursées.

[39]        Dans ce contexte, la juge est aussi informée du fait que l’intimé et l’appelant se seraient adressés au bureau du Directeur de l’état civil afin de s’enquérir des démarches relatives à la reconnaissance de leur statut de parents de l’enfant et qu’un superviseur y œuvrant leur aurait indiqué qu’il était préférable, de toute manière, que la mère ne soit pas déclarée sur l’acte de naissance de l’enfant à naître.

[40]        Bref, la bonne foi animait chacune des personnes concernées en cours de route et rien ne laisse entrevoir une machination de leur part.

Le jugement dont appel

[41]        D’entrée de jeu, la juge décrit ainsi la demande dont elle est saisie et la question en litige qu’elle soulève :

Ø  Demande : une requête de l’appelant « en placement en vue de l’adoption de l’enfant de son conjoint né le [...] 2014 et dont seule la filiation paternelle est reconnue à l’acte de naissance. »

Ø  Question en litige : « [l’] intérêt d’un enfant né d’un contrat de gestation doit-il avoir préséance sur les conditions en matière d’adoption? »

[42]        Après avoir brièvement résumé l’historique du projet parental en cause et constaté que le certificat de naissance de l’enfant ne mentionne pas le nom de la mère, elle résume les positions de l’appelant et du procureur de l’enfant :

[9]        Le procureur du requérant demande au Tribunal de faire preuve de créativité et d’accueillir la requête en placement. Il distingue la situation de ses clients de celle étudiée par le juge Dubois dans l’affaire Adoption - 091 en plaidant, plus particulièrement, la bonne foi du couple. Il ajoute que l’intérêt de l’enfant justifie à lui seul que sa requête soit accueillie.

[10]      Le procureur de l’enfant est du même avis. La filiation maternelle n’étant pas reconnue, le consentement de la mère n’est pas nécessaire. Celui du père est suffisant pour respecter les termes de l’article 555 du Code civil du Québec.

[Référence omise]

[43]        Notant les enseignements de cette Cour au sujet de l’article 541 du C.c.Q. dans l’arrêt  Adoption - 1445[2], la juge précise que la situation factuelle dont elle est saisie diffère toutefois de celle qui prévalait dans cet arrêt : dans ce cas, le nom de la mère porteuse était inscrit à l’acte de naissance et celle-ci avait formellement donné son consentement à l’adoption.

[44]        La juge enchaîne en affirmant, au paragraphe 19 de son jugement, qu’ « [i]l convient de rappeler qu’au Québec le droit attribue la maternité à la femme qui accouche », que « [l]a mère porteuse a l’obligation de déclarer sa maternité à l’égard de l’enfant » et que de « [n]e pas déclarer sa maternité équivaut à frauder la Loi ».

[45]        Cela dit, elle exprime l’avis voulant que « [l]e certificat de naissance de l’enfant tel que rédigé et qui permet de présenter une demande d’adoption est le résultat d’une démarche illégale et contraire à l’ordre public », bien que les conditions énoncées aux articles 551 et 555 C.c.Q. soient remplies :

[29]      Pour le Tribunal il est clair que le requérant, son conjoint et la mère porteuse ont élaboré un montage pour créer une situation de fait qui permet de rencontrer les termes de l’article 555 du Code civil du Québec. En n’inscrivant pas le nom de la mère sur le certificat de naissance, le consentement de cette dernière n’était pas nécessaire, celui du père suffisait selon les dispositions des articles 551 et 555 du Code civil du Québec.

[46]        Elle rejette donc la requête après avoir conclu son analyse en ces termes :

[36]      Le fait que la mère de l’enfant témoigne et réaffirme son consentement au projet ayant conduit à la naissance de l’enfant ne la dispense pas de la formalité du consentement prévu à l’article 555 du Code civil du Québec.

[37]      Le Tribunal ne peut être en désaccord avec la décision de la Cour d’appel à l’effet que c’est l’intérêt de l’enfant qui doit avoir préséance sur les circonstances de sa naissance. Cela dit, les règles de filiation ne doivent pas être mises de côté pour autant lors de l’application des règles et conditions de l’adoption. L’adoption ne peut être considérée de façon autonome.

[38]      Cet enfant a une mère, la mère porteuse, et il faut que celle-ci puisse consentir librement à l’adoption après la naissance de l’enfant.

[39]      Le projet d’adoption du couple ne rencontre pas les conditions d’adoption.

[40]      Le Tribunal conclut que le fait que la mère de l’enfant, qu’elle soit biologique ou gestatrice, n’ait pas consenti à l’adoption représente un écueil empêchant le Tribunal d’accueillir la requête.

L’analyse

Les critères et conditions applicables à l’examen d’une demande d’ordonnance de placement en vue d’une adoption

[47]        La demande d’ordonnance de placement en vue d’une adoption d’un enfant est régit par les articles 566 et s. C.c.Q.

[48]        Dans le cas d’un enfant de l’âge de celui ici concerné, et comme le prévoit l’article 568 C.c.Q., le tribunal doit s’assurer que les conditions de l’adoption ont été remplies et, notamment, que les consentements requis ont été valablement donnés. En l’espèce, ces conditions sont énoncées aux articles 543, 544, 547, 548, 551 et 555 C.c.Q., ainsi rédigés :

543. L'adoption ne peut avoir lieu que dans l'intérêt de l'enfant et aux conditions prévues par la loi.

Elle ne peut avoir lieu pour confirmer une filiation déjà établie par le sang.

 

543. No adoption may take place except in the interest of the child and on the conditions prescribed by law.

No adoption may take place for the purpose of confirming filiation already established by blood.

 

544. L'enfant mineur ne peut être adopté que si ses père et mère ou tuteur ont consenti à l'adoption ou s'il a été déclaré judiciairement admissible à l'adoption.

 

544. No minor child may be adopted unless his father and mother or his tutor have consented to the adoption or unless he has been judicially declared eligible for adoption.

547. L'adoptant doit avoir au moins 18 ans de plus que l'adopté, sauf si ce dernier est l'enfant de son conjoint.

 

 

 

Toutefois, le tribunal peut, dans l'intérêt de l'adopté, passer outre à cette exigence.

547. A person may not be an adopter unless he is at least 18 years older than the person adopted, except where the person adopted is the child of the spouse of the adopter.

 

The court may, however, dispense with this requirement in the interest of the person to be adopted.

 

548. Les consentements prévus au présent chapitre doivent être donnés par écrit devant deux témoins.

 

Il en est de même de leur rétractation.

548. Consent provided for in this chapter shall be given in writing and before two witnesses.

 

The same rule applies to the withdrawal of consent.

 

551. Lorsque l'adoption a lieu du consentement des parents, les deux doivent y consentir si la filiation de l'enfant est établie à l'égard de l'un et de l'autre.

 

 

Si la filiation de l'enfant n'est établie qu'à l'égard de l'un d'eux, le consentement de ce dernier suffit.

551. When adoption takes place with the consent of the parents, the consent of both parents to the adoption is necessary if the filiation of the child is established with regard to both of them.

 

If the filiation of the child is established with regard to only one parent, the consent of that parent is sufficient.

 

555Le consentement à l'adoption peut être général ou spécial. Le consentement spécial ne peut être donné qu'en faveur d'un ascendant de l'enfant, d'un parent en ligne collatérale jusqu'au troisième degré ou du conjoint de cet ascendant ou parent; il peut également être donné en faveur du conjoint du père ou de la mère. Cependant, lorsqu'il s'agit de conjoints de fait, ces derniers doivent cohabiter depuis au moins trois ans.

555. Consent to adoption may be general or special; special consent may be given only in favour of an ascendant of the child, a relative in the collateral line to the third degree or the spouse of that ascendant or relative; it may also be given in favour of the spouse of the father or mother. However, in the case of de facto spouses, they must have been cohabiting for at least three years.

 

[49]        Lors de la présentation de la requête en ordonnance de placement pour adoption, la filiation de l’enfant n’a été établie qu’à l’égard du père (l’intimé), de sorte que seul le consentement de ce dernier est nécessaire selon l’article 555 C.c.Q. Au paragraphe 29 de son jugement (reproduit au paragraphe [45] des présents motifs), la juge l’énonce d’ailleurs spécifiquement.

[50]        Dans ce contexte, écartant pour l’instant la proposition voulant que la filiation maternelle soit établie ou qu’elle doive l’être, je note que toutes les conditions d’adoption sont remplies :

Ø  L’adoption paraît être dans l’intérêt de l’enfant (art. 543 C.c.Q.).

Ø  Le consentement de la mère n’est pas requis (art. 551 C.c.Q.).

Ø  Le père (l’intimé) a consenti (art. 544, 548 et 551 C.c.Q.).

Ø  L’adoptant (l’appelant) est le conjoint du père (art. 555 C.c.Q.).

Ø  L’adoptant (l’appelant) a au moins 18 ans de plus que l’enfant (art. 547 C.c.Q.).

[51]        Si la juge refuse la demande d’ordonnance de placement ce n’est pas parce que l’adoption n’est pas dans l’intérêt de l’enfant ni en raison du non-respect de l’une ou l’autre des conditions précitées, mais uniquement du fait de sa conviction voulant que la loi impose à la mère de tout enfant l’obligation de déclarer sa filiation maternelle, de sorte qu’un consentement formel à l’adoption de sa part (conforme aux prescriptions de l’article 548 C.c.Q.) est incontournable.

[52]        En effet, elle écrit « qu’au Québec […] [l]a mère porteuse a l’obligation de déclarer sa maternité à l’égard de l’enfant », que « l’enfant a comme mère la femme qui lui a donné naissance et dont le nom devrait avoir été déclaré au directeur de l’état civil » et qu’un juge saisi d’une demande de placement pour adoption « ne peut occulter le fait que la mère de l’enfant est celle qui a accouché et qu’elle n’a pas donné son consentement à l’adoption ».

[53]        Ici, ce qui donne lieu à débat ne relève donc pas, en tant que tel, du contenu de l’article 541 C.c.Q., mais plutôt de l’obligation que la loi impose, selon la juge, à la mère porteuse qui accouche de déclarer (voire de reconnaître) sa filiation maternelle à l’enfant et des conséquences de l’absence d’une telle déclaration sur les droits du père déclaré et de l’enfant, le cas échéant.

Une erreur qui justifie l’intervention

[54]        Retenir que la loi imposait à la mère porteuse l’obligation de déclarer sa filiation maternelle au Directeur de l’état civil et que sa décision de ne pas le faire constituait une « fraude à la loi » permettant une « démarche illégale et contraire à l’ordre public » du père (l’intimé) et de son conjoint (l’appelant) constitue, à mon avis, une erreur.

[55]        En l’espèce, cette erreur justifie l’intervention de la Cour.

[56]        Il ne m’appartient pas d’examiner ou de commenter l’aspect moral de l’absence de déclaration de filiation. Ainsi, elle n’est pas l’objet de mon propos. Mon analyse ne porte que sur sa légalité et sur les conséquences juridiques qu’emporte cet état de fait, dans les circonstances de l’espèce, sur les droits du père (l’intimé), de son conjoint (l’appelant) et de l’enfant.

[57]        La femme qui accouche est identifiée par l’accoucheur à qui la loi confie la tâche de préparer et de signer un constat de l’accoucheur, mais il ne faut pas confondre constat de l’accoucheur, déclaration de naissance et acte de naissance. J’y reviens d’ailleurs sous peu.

[58]        Parce que la femme qui accouche peut être identifiée par l’accoucheur, mais non le père, la femme viole-t-elle la loi si elle ne déclare pas sa filiation maternelle auprès du Directeur de l’état civil alors qu’il en va autrement de l’homme qui ne déclare pas sa filiation paternelle?

[59]        Alors que personne ne s’étonne d’une mention « père non déclaré » à un acte de naissance d’un enfant, pourquoi en serait-il autrement à la vue d’une mention similaire au sujet de la mère, comme c’est ici le cas?

[60]        Au moment ou à la suite de la naissance d’un enfant, le Code civil prévoit la confection de trois actes distincts l’un de l’autre (articles 107 à 131 C.c.Q.) et dont il ne faut confondre ni l’objet ni l’effet :

Ø  Le constat de naissance (articles 111 et 112 C.c.Q.).

Ø  La déclaration de naissance (articles 113 à 117 C.c.Q).

Ø  L’acte de naissance (articles 107 à 110 C.c.Q.).

[61]        Le constat de naissance est rédigé par l’accoucheur. Il s’agit d’un outil à l’usage de ceux qui déclareront la filiation (une preuve corroborative) et du Directeur de l’état civil auprès de qui de telles déclarations seront faites. D’ailleurs, c’est à eux que la loi demande à l’accoucheur d’en remettre un exemplaire (art. 112 C.c.Q.).

[62]        Comme l’énonce les auteurs Édith Deleury et Dominique Goubau :

Dressé en double exemplaire dont l’un est remis, sans délai, au Directeur de l’état civil, l’autre à ceux qui doivent déclarer la naissance, le constat ne fait « qu’attester qu’un enfant de tel sexe est né de telle femme, à tel moment, à tel endroit ».  Il s’agit donc d’un témoignage partiel qui s’ajoute à la déclaration de naissance que doivent faire les parents.[3]

[Références omises]

[63]        Un tel constat n’est donc pas, en lui-même, un mode d’établissement de filiation et il ne constitue pas une déclaration de filiation.

[64]        Au mieux, il facilite les démarches de déclaration de naissance et de filiation auprès du Directeur de l’état civil et oblige ce dernier à entreprendre des démarches additionnelles, au moment de dresser l’acte de l’état civil (art. 131 C.c.Q.), s’il se trouve en présence de mentions contradictoires, par ailleurs essentielles pour permettre d’établir l’état d’une personne, entre ce constat et une déclaration qu’il reçoit.

[65]        Je note d’ailleurs que, dans l’affaire Adoption - 091, le Directeur de l’état civil n’avait pas inclus le nom de la mère à l’acte de naissance, malgré le constat de naissance comportant son identité, alors qu’aucune déclaration de filiation maternelle ne lui avait été soumise[4].

[66]        Sous réserve du cas d’exception prévu à l’article 116 C.c.Q., l’article 113 C.c.Q. prévoit que la déclaration de naissance est faite dans les trente jours de celle-ci par les père et mère ou par l’un d’eux. Le code ne prévoit pas de sanction en cas de défaut[5], mais une mesure incitative découle d’un règlement (le Tarif des droits relatifs aux actes de l’état civil, au changement de nom ou de la mention du sexe[6]) aux termes duquel les parents s’exposent au paiement de droits en cas de déclaration tardive ou d’enquête sommaire par le Directeur de l’état civil pour la confection de l’acte de naissance.

[67]        Cela dit, l’article 114 C.c.Q. énonce que « [s]euls le père ou la mère peuvent déclarer la filiation de l’enfant à leur égard / [o]nly the father or mother may declare the filiation of a child with regard to themselves » et qu’ « [a]ucune autre personne ne peut déclarer la filiation à l’égard d’un parent sans l’autorisation de ce dernier / [n]o other person may declare the filiation with regard to one of the parents, except with the authorization of that parent. »

[68]        Ainsi, en présence d’une mère et d’un père qui ne sont ni mariés ni unis civilement, et à moins d’une autorisation expresse obtenue de l’autre, la mère ne peut déclarer que la filiation maternelle et le père que la filiation paternelle.

[69]        Enfin, l’acte de naissance (soit le document qui sert de titre - qui établit la filiation aux termes de l’article 523 C.c.Q.) est dressé par le Directeur de l’état civil, en signant la déclaration qu’il reçoit ou, à défaut, en l’établissant lui-même conformément au jugement ou à un autre acte qu’il reçoit (art. 109 C.c.Q.).

[70]        La mère ou le père n’interviennent qu’à l’égard de la déclaration de naissance. Ni l’un ni l’autre ne contrôle la confection ou le contenu du constat de l’accoucheur ou de l’acte de naissance.

[71]        La responsabilité de la confection et du contenu du constat de naissance relève de l’accoucheur ou, en cas de manquement de ce dernier, d’un suivi effectué à l’initiative du Directeur de l’état civil.

[72]        Quant à l’acte de naissance, il revient au Directeur de l’état civil de le dresser en procédant le cas échéant, s’il le croit nécessaire, à une enquête sommaire selon l’article 130 C.c.Q.

[73]        Si le père et la mère ne sont ni mariés ni unis civilement, le Directeur ne peut inscrire le nom des père et mère que si chacun déclare sa filiation puisque l’un ne peut le faire pour l’autre à moins d’une autorisation expresse de ce dernier. À titre d’exemples, voici un arrêt et quelques jugements qui font état de cette réalité :

Ø  Droit de la famille - 526, J.E. 88-935, (1988) R.J.Q. 1766 (C.A.).

Ø  L.-J.K. (Dans la situation de), J.E. 2001-2169, [2001] R.D.F. 909 (C.S.) :

[5]        Lors de la naissance de l’enfant, la requérante affirme que tout le monde savait qui était le père et qu’elle l’a déclaré à la personne habilitée à recevoir la déclaration de naissance pour le Directeur de l’état civil.

[6]        Effectivement, on le voit de la déclaration transmise au Directeur de l’état civil, l’identification de l’enfant est au titre nom de famille, A… et au titre prénom(s), L…- J…, E…, N…, L…. Le père est mentionné à l’identification des déclarants, mais évidemment, étant donné son décès, il n’y jamais eu de signature.

[7]        Manifestement, telle que dressée la déclaration de naissance ne pouvait être acceptée sans redressement. À bon droit, le Directeur de l’état civil ne pouvait faire suite à la demande de la mère, de donner le nom d’A… à l’enfant, étant donné que seul le père, s’il avait été vivant, aurait pu personnellement dénoncer sa paternité.

[8]        En effet, l’article 114 C.c.Q. prévoit que seul le père ou la mère peuvent déclarer la filiation de leur enfant à leur égard à moins que l’enfant n’ait été conçu pendant le mariage :

« Seuls le père ou la mère peuvent déclarer la filiation de l’enfant à leur égard. Cependant, lorsque la conception ou la naissance survient pendant le mariage, l’un d’eux peut déclarer la filiation de l’enfant à l’égard de l’autre.

Aucune autre personne ne peut déclarer la filiation à l’égard d’un parent sans l’autorisation de ce dernier. »

[9]        La façon d’inscrire l’enfant, selon les articles 51 et 53 C.c.Q., est en application de ce principe.

[10]      Tel qu’il est, l’acte de l’état civil est régulièrement dressé.

[Caractère gras et soulignement dans l’original]

Ø  M- C.L. c. P.C. (succession de), J.E. 2004-338 (C.S.) :

[1]        La demanderesse M...-C... L... a fait vie commune avec P... C... de janvier 1998 à novembre 2001, et de mai à décembre 2002.

[2]        Ils ont eu trois enfants, M... né en [...] 1998, W... né en [...] 2000 et J... le [...] 2003.

[3]        Le 15 décembre 2002, donc avant la naissance de J..., le père, P... C... décédait «ab intestat».

[4]        À la déclaration de naissance qu'elle a signée, la mère a inscrit P... C... comme étant le père de l'enfant et a précisé qu'il était décédé.

[5]        Par la suite la mère s'est adressée au Directeur de l'état civil pour demander l'inscription du nom du père à l'acte de naissance de J.... Invoquant, les termes de l'article 114 du Code civil, ce dernier a refusé lui suggérant de s'adresser à la Cour.

[6]        La mère demande donc au Tribunal de déclarer P... C... père de J... et d'ordonner que les registres de l'état civil soient rectifiés en conséquence.

[Références omises]

Ø  Guindon c. Directeur de l’état civil, 2008 QCCS 2777, B.E. 2008BE-799 (C.S.) :

[1]        La requérante est la mère de l'enfant mineur, Mike Guindon, né le […] 2006.

[2]        La requérante faisait vie commune avec monsieur Gérard Corbeil jusqu'au décès accidentel de ce dernier survenu le […] 2006.

[3]        Le couple avait déjà eu une enfant, Ashanty, née le […] 2005. Cet enfant porte le nom de Ashanty Corbeil et le père déclaré au certificat de naissance est monsieur Gérard Corbeil.

[4]        La requérante désire que le nom du père de Mike apparaisse comme étant Gérard Corbeil, malgré que ce dernier soit décédé avant la naissance de l'enfant.

[5]        Elle demande aussi que son nom de famille soit modifié, afin qu'il porte le même nom de famille que sa sœur.

[6]        Le Directeur de l'état civil a refusé la demande de madame, n'ayant pas la compétence pour ce faire.

[7]        En effet, l'article 114 du Code civil du Québec prévoit que seuls le père ou la mère peuvent déclarer la filiation de l'enfant à leur égard.

[74]        Or, qu’en est-il en l’espèce?

[75]        La mère porteuse a librement choisi de ne pas déclarer la filiation maternelle. Le contenu de son témoignage ne laisse place à aucun doute.

[76]        L’intimé ne pouvait pas déclarer cette filiation maternelle, ni personne d’autre que la mère porteuse d’ailleurs.

[77]        Le constat de l’accoucheur n’est pas produit, mais on trouve au dossier des informations voulant qu’il ait pu se révéler incomplet. Tenant cela pour acquis, je retiens qu’un constat d’accoucheur ne constitue pas une déclaration de filiation maternelle et que le Directeur de l’état civil n’a pas pris ombrage de son contenu ni jugé utile ou nécessaire de procéder à une enquête sommaire après en avoir pris connaissance, malgré le pouvoir que lui accorde l’article 130 C.c.Q. et les responsabilités qu’il doit assumer.

[78]        Je rappelle que toutes les procédures au dossier ont été signifiées au Directeur de l’état civil qui n’a pas cru utile ou nécessaire d’y comparaître, que la DPJ s’en est remise à la justice et que la procureure générale du Québec a choisi de ne pas intervenir malgré l’invitation qui lui a été communiquée.

[79]        Or, ni la mère ni le père (l’intimé) ne peuvent être tenus responsables d’une omission de l’accoucheur, le cas échéant, ou de la décision du Directeur de l’état civil de ne pas faire d’enquête en de telles circonstances.

[80]        Seule la mère pouvait déclarer la filiation de l’enfant à son égard (art. 114 C.c.Q.). Aucune autre personne (ni l’accoucheur, ni le Directeur de l’état civil, ni l’intimé, ni quiconque d’autre) ne pouvait le faire à sa place sans son autorisation expresse (art. 114, al. 2 C.c.Q.). Depuis le jour un de sa participation au projet parental, elle avait communiqué sa volonté de ne pas le faire, ce qu’elle a réitéré de façon libre et éclairée à la suite de l’accouchement et sous serment lors de sa comparution devant la juge de première instance.

[81]        Quant au père (l’intimé), il a déclaré la naissance de l’enfant et reconnu sa filiation paternelle, mais il ne pouvait pas agir pour et au nom de la mère. Sans le consentement de celle-ci, il ne pouvait pallier l’absence de déclaration de filiation maternelle (art. 114 C.c.Q.).

[82]        Le Directeur de l’état civil a dressé l’acte de naissance en signant la déclaration reçue du père qui ne comportait aucune mention contradictoire par rapport au constat de la naissance reçu de l’accoucheur. À la rubrique mère, il n’a pas inscrit « inconnue », mais « non déclaré », ce qui correspond tout à fait à la réalité.

[83]        Ainsi, l’acte de naissance de l’enfant qui comporte la mention « mère non déclarée » a été régulièrement dressé par le Directeur de l’état civil. Dans ces circonstances et en l’espèce, on ne saurait conclure à une « fraude à la loi ».

[84]        Je recense des cas où le consentement du père connu, mais qui n’avait pas déclaré sa filiation paternelle n’a pas été exigé lors de la présentation d’une demande d’adoption[7] et je note que le professeur Alain Roy affirme que « [l]a jurisprudence n’exige pas le consentement de celui qu’on sait être le père de l’enfant, mais dont la "paternité" n’a pas été établie[8] […] ».

[85]        En l’espèce, alors qu’elle a décrit sous serment le rôle qu’elle a joué et réitéré le vœu d’un aboutissement heureux du projet parental de l’appelant et de l’intimé, j’estime qu’il n’y avait pas lieu de conclure, comme l’a fait la juge de première instance, que la demande d’ordonnance de placement pour adoption sur la base du seul consentement de l’intimé était le résultat d’une « démarche illégale et contraire à l’ordre public ».

[86]        Enfin, dans l’hypothèse où il faudrait retenir que le consentement de la mère porteuse serait devenu nécessaire puisqu’elle a déclaré sa filiation maternelle lors de son témoignage sous serment devant la juge[9], je conclus qu’un tel consentement se trouve au dossier en raison des propos de celle-ci devant témoins (juge et avocats), avec enregistrement numérique et transcription de notes sténographiques, qui satisfont au formalisme que requiert le texte de l’article 548 C.c.Q.

L’arrêt Adoption - 1445

[87]        Il est vrai que les faits du présent dossier diffèrent de ceux de l’arrêt de la Cour dans Adoption - 1445, alors qu’ici le nom de la mère porteuse n’apparaît pas à l’acte de naissance (aux registres de l’état civil) et que son consentement ne revêt pas la forme usuelle.

[88]        Cela dit, en raison de la bonne foi de tous, de l’absence de machination et malgré ces différences, l’arrêt Adoption - 1445 demeure éminemment pertinent au sort de l’appel, notamment en raison de ce qui suit.

[89]        Premièrement, cet arrêt met fin à la controverse jurisprudentielle concernant l’adoption d’enfants issus de projets parentaux impliquant des mères porteuses. En de telles circonstances, mon collègue le juge Morissette qualifie le prononcé d’une ordonnance de placement en vue de l’adoption de « solution la moins insatisfaisante […] très certainement celle qui, conformément aux articles 33 et 543 C.c.Q., sert le mieux l’intérêt de l’enfant. »[10].

[90]        Deuxièmement, il énonce qu’une telle solution est celle qui respecte « le mieux le principe fondamental énoncé à l’article 522 C.c.Q., qui veut que tous les enfants dont la filiation est établie aient les mêmes droits et les mêmes obligations, quelles que soient les circonstances de leur naissance. »[11].

[91]        Troisièmement, il comporte le constat voulant que si le contrat de gestation pour autrui n’est pas susceptible d’exécution forcée, il ne constitue pas pour autant un empêchement dirimant à l’établissement d’un lien filial entre l’enfant et ceux qui ont eu recours à cette forme de procréation.  À ce propos, je reprends ce qu’écrivait le juge Tremblay de la Cour du Québec dans Adoption - 09185, et que l’arrêt Adoption - 1445  avalise :

Il s’agit donc de rendre une décision du point de vue de l’enfant et non du point de vue des personnes qui ont fait, répétons-le, en toute bonne foi et par pur altruisme en ce qui concerne la mise-en-cause, une entente de procréation assistée.[12]

[92]        Quatrièmement, les propos qui suivent, extraits des motifs du juge Morissette, jettent l’éclairage sous lequel évaluer la situation de l’enfant ici concerné :

[70]      […] Ce qui est certain, cependant, c’est que le droit positif n’a pas réponse à tout et qu’il lui faut sans cesse s’ajuster en tablant sur les transformations de la société et les avancées du savoir scientifique. Au moyen de la procréation assistée et de la maternité de substitution, la volonté naturelle, bien humaine et largement partagée par des gens de conditions médicales ou d’orientations sexuelles diverses, de procréer ou de devenir le parent d’un enfant, peut aujourd’hui s’accomplir là où autrefois elle faisait face à des obstacles de droit ou de fait insurmontables. La notion d’ordre public a certes un champ d’application nécessaire dans ce domaine : ainsi, la marchandisation ou chosification de la personne humaine est une tendance à laquelle le droit doit résister. Mais invoquer cette notion d’ordre public venue du droit des obligations dans le contexte précis d’un dossier comme celui-ci lui prête une portée qu’elle n’a pas - elle n’a pas ce caractère souverain et péremptoire. […]

[Références omises, soulignement ajouté]

[93]        En l’espèce, l’intérêt de l’enfant milite en faveur de l’ordonnance de placement recherchée. C’est d’ailleurs l’opinion de la juge de première instance, qui le mentionne en cours d’audience, mais dont le jugement rendu après délibéré se veut le reflet d’un souci de ne pas avaliser ce qui a été perçu comme une illégalité, bien qu’erronément.

[94]        Conséquemment, accueillir l’appel et autoriser le placement en vue d’une adoption s’impose, de sorte que puisse se réaliser l’officialisation du lien qui unit l’enfant à l’appelant et à l’intimé, depuis sa naissance.

 

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 



[1]     J.E. 2014-1113 (C.A.), 2014 QCCA 1162.

[2]     J.E. 2014-1113 (C.A.), 2014 QCCA 1162.

[3]     Édith Deleury et Dominique Goubau, Le droit des personnes physiques, 4e édition. Éditions Yvon Blais, 2008, p. 332.

[4]     J.E. 2009-310 (C.Q.), [2009] R.J.Q. 445, 2009 QCCQ 628, paragr. 2, 4, 23 à 34.

[5]     L’article 130 C.c.Q. prévoit même la situation de déclaration tardive.

[6]     D 1593-93, (1993) 125 G.O. II, 8057, art. 5.

[7]     À titre d’illustration, voir notamment : Adoption - 13253, [2013] J.Q. n16933, 2013 QCCQ 14839 et Enfant (Dans la situation de l'), J.E. 2001-1610 (C.Q.), AZ-50098982.

[8]     Alain Roy, Droit de l’adoption, Adoption interne et internationale, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, n° 30, p. 52.

[9]     Article 526 et 528 C.c.Q. : le témoignage livré constituant une reconnaissance volontaire qui ne lie, cependant, que son auteur.

[10]    Adoption - 1445, J.E. 2014-1113 (C.A.), 2014 QCCA 1162, paragr. 66.

[11]    Adoption - 1445, J.E. 2014-1113 (C.A.), 2014 QCCA 1162, paragr. 68.

[12]    Adoption - 1445, J.E. 2014-1113 (C.A.), 2014 QCCA 1162, paragr. 61 citant un extrait du jugement Adoption - 09185, 2009 QCCQ 8703, AZ-50571870, paragr. 22.

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