Artunduaga c. Raymond | 2024 QCTAL 9642 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Laval | ||||||
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No dossier : | 745771 36 20231114 T | No demande : | 4188906 | |||
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Date : | 15 mars 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Sylvie Lambert | |||||
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Yaneth Artunduaga |
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Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Modeline Raymond |
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Locateur - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le 5 février 2024, la locataire demande la rétractation de la décision rendue le 17 janvier 2024 qui constate la résiliation du bail et lui ordonne de payer au locateur la somme de 4 652 $ en loyers impayés, plus les frais (décision visée).
[2] Au soutien de sa demande de rétractation, la locataire allègue qu'elle a été empêchée de se présenter à l'audience, n’ayant jamais reçu l’avis d’audition, sans qu’il y ait faute de sa part.
[3] Questionnée par le Tribunal, elle explique qu’elle ne va pas chercher son courrier recommandé ni le courrier transmis par la poste ordinaire pendant la période hivernale parce que, dit-elle, c’est dangereux. Il n’y a pas de trottoir et l’espace pour circuler est réduit en raison de la neige.
[4] Elle ajoute qu’elle n’a jamais reçu la demande en recouvrement de loyers du locateur.
[5] Sur ce point, le locateur soumet que la locataire était informée du recours puisqu’il lui a transmis la procédure par courriel et message-texte après avoir constaté que la locataire n’allait pas chercher son courrier recommandé. Il a même tenté de l’appeler à plusieurs reprises, mais lorsque la locataire constate que c’est lui, elle raccroche la ligne.
[6] Quant aux moyens sommaires de défense, la locataire n’en allègue aucun à sa procédure.
[7] À l’audience, la locataire explique qu’elle n’a pas payé son loyer parce que le sous-sol de son logement (situé principalement au rez-de-chaussée) est endommagé par des infiltrations d’eau et qu’elle ne peut y installer son entreprise de pose de cils. Elle n’a donc pas, dit-elle, de revenus pour payer le loyer.
[8] Le 1er mars dernier, après l’introduction de sa demande en rétractation, elle a transmis une mise en demeure au locateur l’enjoignant d’effectuer les réparations.
[9] À l'audience, le locateur demande au Tribunal de rejeter la demande de rétractation de la locataire. Il soumet que cette demande est purement dilatoire et demande au Tribunal de prononcer une limitation procédurale à l'encontre de la locataire.
ANALYSE ET CONCLUSION
[10] La demande de la locataire est fondée sur l'article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement (LTAL) qui prévoit :
« 89. Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.
Une partie peut également demander la rétractation d'une décision lorsque le Tribunal a omis de statuer sur une partie de la demande ou s'est prononcé au-delà de la demande.
La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l'empêchement.
La demande de rétractation suspend l'exécution de la décision et interrompt le délai d'appel ou de révision jusqu'à ce que les parties aient été avisées de la décision.
(...). »
[11] À maintes reprises, les tribunaux ont déterminé que la rétractation est un moyen procédural exceptionnel, car le principe de l'irrévocabilité des jugements est important. Ce principe a été réitéré par la Cour d'appel du Québec :
« Le principe de l'irrévocabilité des jugements est nécessaire à une saine administration de la justice, d'où le sérieux que doivent avoir les motifs de rétractation. La procédure doit contribuer à la protection des droits des deux parties et la remise en question des décisions doit demeurer l'exception et ne pas devenir la règle. »[1]
[12] L'absence d'une partie ne donne pas ouverture systématiquement à la rétractation de jugement, tel que le mentionnent les auteurs Rousseau-Houle et De Billy[2]:
« Le seul fait qu'une partie soit absente à l'audience ne lui donnera pas automatiquement droit à une demande en rétractation. En vertu de l'article 89, la partie doit motiver son absence par une cause jugée suffisante. »
[13] Pour obtenir une rétractation, il faut, de plus, que le demandeur n'ait pas été négligent dans l'exercice de ses droits. Le Tribunal fait siens les propos de l'honorable Juge Louis Rochette de la Cour supérieure, dans l'affaire Mondex Import Inc. c. Victorian Bottle Inc. :
« Par ailleurs, en ce qui a trait à la partie elle-même, il n'y a pas d'ambiguïté, elle ne doit pas adopter un comportement négligent dans la défense de ses droits, sans quoi le principe de l'irrévocabilité des jugements pourra lui être opposé. Cela n'est que logique et en conséquence, une partie ne peut laisser cheminer une affaire judiciaire qui la concerne directement sans s'en préoccuper. Elle doit être empressée de faire valoir sa prétention et de préserver ses droits. Les règles de procédure ne peuvent être modulées pour tenir compte du laxisme d'une partie. »[3]
[14] En l’espèce, le Tribunal conclut que la locataire était informée que le locateur avait introduit un recours en non-paiement de loyer. Elle a décidé d’ignorer les messages et les envois du locateur. Elle a également décidé de laisser cette affaire suivre son cours sans s’en préoccuper.
[15] Il est par ailleurs curieux que la locataire ait reçu la décision du Tribunal dont elle demande la rétractation, mais qu’elle n’ait pas reçu l’avis de convocation à l’audience sur la demande originaire du locateur.
[16] Mais il y a plus.
[17] Dans l'affaire Charbonneau c. St-Laurent[4], la juge administrative Jocelyne Gravel mentionnait ce qui suit :
« On constate qu'un défendeur doit également prouver avoir un moyen de défense valable à faire valoir à l'encontre de la demande originaire. Dans l'éventualité où les moyens de défense invoqués sont voués à l'échec, il serait dès lors inutile de permettre la rétractation.
Tel qu'exprimé par la Cour d'appel du Québec, les motifs d'une demande de rétractation doivent être sérieux puisqu'elles ont pour effet de déroger au principe de l'irrévocabilité des jugements. »
[18] En l’espèce, la locataire reconnaît qu’elle n’a pas payé les loyers auxquels elle fut condamnée, ni les loyers de février et mars.
[19] Les moyens de défense soulevés par la locataire ne sont pas valables à l’encontre d’une demande de la nature de celle dont le Tribunal était saisi.
[20] Tel qu’expliqué à l’audience, la locataire ne peut se faire justice elle-même et décider de retenir le montant total du loyer de façon unilatérale. Elle doit plutôt exercer ses recours devant le Tribunal.
[21] Il ressort de la preuve que la locataire n'a pas de défense sérieuse à faire valoir et qu’il serait inutile de permettre la rétractation.
[22] Même si elle avait été présente à l’audience ayant mené à la décision visée, celle-ci aurait été la même.
[23] Quant à la demande de limitation procédurale du locateur, elle est fondée sur le deuxième alinéa de l'article 63.2 LTAL qui prévoit :
« 63.2. (...)
Lorsque le Tribunal constate qu'une partie utilise de façon abusive un recours dans le but d'empêcher l'exécution d'une de ses décisions, il peut en outre interdire à cette partie d'introduire une demande devant lui à moins d'obtenir l'autorisation du président ou de toute autre personne qu'il désigne et de respecter les conditions que celui-ci ou toute autre personne qu'il désigne détermine.
(...) ».
[24] En l’instance, la preuve révèle que la locataire habite le logement et qu’elle n’a payé aucun loyer depuis novembre 2023[5].
[25] Il ressort de la preuve soumise que le recours en rétractation constitue pour la locataire un moyen efficace pour éviter de faire face à ses obligations et pour retarder le processus judiciaire.
[26] Dans les circonstances, le Tribunal est d'avis qu'il y a lieu d'interdire à la locataire d'introduire toute nouvelle demande dans le présent dossier, sauf sur autorisation.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[27] REJETTE la demande de rétractation de la locataire qui en assume les frais;
[28] MAINTIENT la décision du 17 janvier 2024;
[29] INTERDIT à la locataire d'introduire toute autre demande ou tout autre recours dans le présent dossier, à moins d'obtenir l'autorisation du Président du Tribunal, ou de toute autre personne qu'il désigne.
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Sylvie Lambert | ||
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Présence(s) : | la locataire le locateur | ||
Date de l’audience : | 13 mars 2024 | ||
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[1] Entreprises Roger Pilon Inc. et al. c. Atlantis Real Estate Co.,
[2] Le bail de logement: analyse de la jurisprudence, Wilson & Lafleur Ltée (1989) Montréal, p. 307.
[3] Cour supérieure 200-17-001038-983,
[4] Charbonneau c. St-Laurent, R.L., Montréal, 31-0505508-055T-060905,26 septembre 2006.
[5] Il demeure un solde de 128 $ à payer pour octobre 2023.
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