Décision

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Naami c. Kiyingi

2022 QCTAL 10863

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

595182 31 20211027 T

No demande :

3489560

 

 

Date :

08 avril 2022

Devant la juge administrative :

Lucie Béliveau

 

Nadia Naami

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

David Kiyingi

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         La locataire requiert la rétractation de la décision rendue le 3 mars 2022, suite à une audience tenue le 9 février 2022, à laquelle il était absente.

APERÇU

[2]         La locataire soutient qu’elle a pris connaissance de cette décision le 12 mars 2022 et elle a déposé sa demande auprès du Tribunal administratif du logement le 15 mars 2022, tel qu’en fait foi le dépôt de sa demande.

[3]         Elle explique ne pas avoir reçu l’avis d’audition et qu’elle a été empêchée de se présenter devant le Tribunal car en raison de son emploi d’infirmière dans une agence, elle a été affectée en renfort à Rimouski et elle n’a pu avoir accès à son courrier.

[4]         Elle affirme s’être informée auprès du locateur le 7 février 2022 et que c’est à ce moment qu’elle a su que l’audience se tenait deux jours plus tard.

[5]         Elle a alors demandé une remise de l’audience au locateur car il était absolument impossible pour elle de s’absenter car elle-même remplaçait trois infirmières. Il s’agissait d’une situation d’urgence exceptionnelle en raison de la pénurie de personnel et de la crise pandémique.

[6]         Comme moyens sommaires de défense à la demande originaire, la locataire déclare et explique qu’elle a la preuve irréfutable qu’avant le rejet de la demande qu’a exercé le locateur, elle payait par virements Interac sans problème mais qu’ensuite, ce dernier, de mauvaise foi, a bloqué les virements pour tenter de l’expulser.

[7]         De plus, durant la période où il bloquait les transferts, elle lui a envoyé des chèques que le locateur aurait perdus et ce, dans le but de l’expulser.


[8]         Le locateur soutient que la locataire n’était pas présente à l’audience en raison de sa propre turpitude et que ses motifs ne sont pas suffisants pour accorder une rétractation.

[9]         Il ajoute qu’il en était de la responsabilité de la locataire de vérifier sur Internet la date d’audience si elle était absente pour une longue période.

QUESTIONS EN LITIGE

      La locataire a-t-elle établi des motifs justifiant la rétractation et présente-t-elle des moyens de défense sommaires à la demande originaire ?

ANALYSE ET DÉCISION

Preuve

[10]     D'entrée de jeu, il est pertinent de rappeler que celui qui veut faire valoir un droit doit faire la preuve des faits au soutien de sa prétention, et ce, de façon prépondérante, la force probante du témoignage et des éléments de preuve étant laissée à l'appréciation du Tribunal[1].

Le principe sur lequel se fonde une demande de rétractation

[11]     Afin de rendre sa décision, le Tribunal doit tenir compte de la jurisprudence. À maintes reprises, les tribunaux ont déterminé que la rétractation est un moyen procédural exceptionnel, car le principe de l'irrévocabilité des jugements est important. Ce principe a été réitéré par la Cour d'appel du Québec :

« Le principe de l'irrévocabilité constitue un élément important de notre système juridique. En effet, une jurisprudence constante affirme que la stabilité des décisions judiciaires est essentielle à une saine administration de la justice. Ce principe se comprend facilement car il est évident que le justiciable, qui est partie à une action, s'attend à ce que le jugement en résultant mette fin au litige de façon définitive, sous réserve, bien sûr, de porter le jugement en appel. ... »[2]

Motifs

[12]     Dans le cas qui nous concerne, la demande de rétractation, pour réussir, doit établir que la partie a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante[3]. De plus, la locataire doit fournir au Tribunal les moyens sommaires de défense qu’elle entend faire valoir à l’encontre du recours[4].

[13]     Pour qu’un motif soit retenu par le Tribunal, il faut que la locataire n'ait pas été négligente dans l'exercice de ses droits. Le Tribunal s’exprime ainsi dans un jugement de la Cour supérieure :

« Par ailleurs, en ce qui a trait à la partie elle-même, il n'y a pas d'ambiguïté. Elle ne doit pas adopter un comportement négligent dans la défense de ses droits, sans quoi le principe de l'irrévocabilité des jugements pourra lui être opposé. Cela n'est que logique et conséquent. Une partie ne peut laisser cheminer une affaire judiciaire qui la concerne directement sans s'en préoccuper. Elle doit être empressée de faire valoir sa prétention et de préserver ses droits. Les règles de procédure ne peuvent être modulées pour tenir compte du laxisme d'une partie. »[5]

[14]     De la preuve et des témoignages entendus, le Tribunal retient que la locataire a été empêchée de se présenter à l'audition en raison d’une certaine négligence mais cette faute ne lui sera pas fatale pour les motifs exposés ci-dessous.

[15]     En effet, ce principe peut faire l'objet d'une modulation en certaines circonstances, comme l'indique la Cour d'appel :

« En matières de rétractation de jugement pour cause de « surprise ou autre cause jugée suffisante » (C.p.c., art 482), le rescindant (les « motifs qui justifient la rétractation ») et le rescisoire (« les moyens de défense à l'action »), sont des vases communicants. Plus les moyens de défense sont sérieux, plus sont vraisemblables et recevables les motifs du défendeur pour expliquer que son défaut est dû à la surprise, à l'oubli, à l'inadvertance, à la méprise, à une erreur, peut-être même stupide, mais sincère. »[6]


[16]     D'autre part, dans un jugement de la Cour du Québec, le Tribunal exprime ce principe comme suit : 

« Le tribunal constate que deux principes s'affrontent dans ce dossier, soit celui de l'irrévocabilité des jugements et celui du droit de se faire entendre. La jurisprudence enseigne qu'en l'absence de négligence grossière ou flagrante du requérant, le principe du droit de se faire entendre à préséance sur celui de l'irrévocabilité des jugements. »[7]

Moyens sommaires de défense

[17]     La locataire a démontré qu’elle avait des moyens sommaires de défense ayant des chances de succès.

[18]     Ainsi, la demande de rétractation doit être accordée.

[19]     Or, comme la locataire a démontré qu’elle avait des moyens sommaires de défense ayant des chances de succès et tel que relaté précédemment, même si sa négligence est en cause quant à la raison de son absence à l’audience, celle-ci doit céder le pas à son droit de faire valoir sa défense au procès car elle a tout de même présenté des moyens sommaires de défense qui méritent d’être examinés, pour une saine administration de la justice.

[20]     Dans le présent cas, le principe de la stabilité des décisions doit être modulé et doit céder le pas au droit du demandeur d'être entendu.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[21]     ACCUEILLE la demande en rétractation de la locataire qui en assume les frais;

[22]     RÉFÈRE le dossier à la mise au rôle pour la convocation des parties sur la demande originaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

Lucie Béliveau

 

Présence(s) :

la locataire

Me Abdou Gaye, avocat de la locataire

le locateur

Me Antoine St-Germain Martel, avocat du locateur

Date de l’audience : 

4 avril 2022

 

 

 


 


[1]  Articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec, CCQ-1991.

[2]  Lavallée c. Banque Nationale du Canada, C.A., 1998-08-28, SOQUIJ AZ-98011689, J.E. 98-1823, [1998] R.J.Q. 2289.

[3]  Article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.

[4]  Article 44 du Règlement sur la procédure devant le tribunal administratif du logement.

[5]  Mondex Import Inc. c. Victorian Bottle Inc., C.S., 1999-04-22, SOQUIJ AZ-99026305, B.E. 99BE-640.

[6]  Groupe JSV Inc. c. Goal Capital Inc., C.A., 2014-02-28, 2014 QCCA 398, SOQUIJ AZ-51050462.

[7]  Girard c. Primeforce (C.Q., 2007-01-15), 2007 QCCQ 1557, SOQUIJ AZ-50420505, J.E. 2007-877, [2007] R.J.Q. 1053.

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