Dorego c. Gravel |
2019 QCRDL 33456 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Gatineau |
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Nos dossiers : |
355129 22 20170911 G 358624 22 20170929 G |
Nos demandes : |
2326517 2339875 |
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Date : |
18 octobre 2019 |
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Régisseure : |
Anne A. Laverdure, juge administrative |
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Ghislain Dorego |
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Locateur - Partie demanderesse (355129 22 20170911 G) Partie défenderesse (358624 22 20170929 G |
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c. |
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Melissa Gravel
Stephane Chauret |
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Locataires - Partie défenderesse (355129 22 20170911 G) Partie demanderesse (358624 22 20170929 G |
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D É C I S I O N
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CONTEXTE
[1] Il s'agit d'un bail reconduit du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018 au loyer mensuel de 845 $, payable le premier jour de chaque mois.
[2] À ce montant, se sont ajoutés 27 $ pour les frais reliés à la consommation d’eau chaude que les locataires ont accepté de payer au locateur lorsque ce dernier est venu habiter le logement au-dessus du leur.
[3] Le locateur demande la résiliation du bail et l'expulsion des locataires, le recouvrement du loyer (27 $) ainsi que le loyer dû au moment de l'audience, plus l'exécution provisoire de la décision malgré l'appel et les frais judiciaires.
[4] Conformément à l’engagement pris par les locataires à la première audience, ceux-ci ont payé la somme de 27 $.
[5] Les locataires, ayant payé le 27 $ avant la fin de l'audience, le locateur ne réclame que le remboursement des frais judiciaires.
[6] De leur côté, les locataires demandent une diminution de loyer de 100 $ par mois à compter du 1er juin 2017. Ils requièrent également une ordonnance afin que le locateur procède à la vérification du panneau électrique.
[7] La diminution de loyer repose sur les éléments suivants :
- « Paiement des frais d’électricité dont ils ne bénéficient pas puisque la fournaise et le chauffe-eau du logement du locateur est branché sur leur compteur;
- Le dérangement causé par le mal fonctionnement du système de climatisation qui laisse couler de l’eau à l’intérieur,
- Le fait que le mauvais fonctionnement de la fournaise obligeait la conjointe du locateur a demandé très souvent à la locataire de redémarrer la fournaise;
- Le bruit excessif provenant du logement du locateur;
- Le mauvais état de réparation du logement. » (sic)
[8] Les locataires réclament également des dommages :
- 1 080 $ pour les frais d’énergie;
- 206,95 $ pour les frais de l’électricien;
- 958 $ pour les frais de déplacement lors de demande de remise du locateur;
- 1 000 $ pour les troubles et inconvénients;
- 1 000 $ pour le harcèlement (dommages punitifs et dommages moraux).
[9] Les locataires quittent le logement avant la fin des audiences, soit le 1er juillet 2018.
QUESTIONS EN LITIGE
[10] La jouissance paisible des locataires a-t-elle été troublée et, si oui, les locataires ont-ils droit à une diminution de loyer et à des dommages ?
[11] Les locataires ont-ils été victimes de harcèlement de la part du locateur ?
[12] Le locateur a-t-il droit aux frais judiciaires ?
ANALYSE ET DÉCISION
La jouissance paisible des locataires a-t-elle été troublée et, si oui, les locataires ont-ils droit à une diminution de loyer et à des dommages ?
[13] Rappelons d’abord que
le locateur est tenu, pendant la durée du bail, de procurer la jouissance
paisible du bien loué et l'entretenir afin qu'il serve à l'usage pour lequel il
a été loué. C'est la teneur des articles
« 1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l’exception des menues réparations d’entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu’elles ne résultent de la vétusté du bien ou d’une force majeure. »
« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »
[14] Les obligations
découlant de l’article 1864 et du premier alinéa de l’article
[15] Le second alinéa de
l’article
[16] Ces qualifications entraînent des conséquences sur les moyens de preuve des locateurs.
[17] Pour les obligations de « résultat », les moyens de défense du locateur sont limités, comme l'expliquent l'honorable juge Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin[1] :
« (...) dans le cas d'une obligation de résultat, la simple constatation de l'absence du résultat ou du préjudice subi suffit à faire présumer la faute du débiteur, une fois le fait même de l'inexécution ou la survenance du dommage démontré par le créancier. Dès lors, le débiteur, pour dégager sa responsabilité, doit aller au-delà d'une preuve de simple absence de faute, c'est-à-dire démontrer que l'inexécution ou le préjudice subi provient d'une force majeure. Il ne saurait être admis à dégager sa responsabilité en rapportant seulement une preuve d'absence de faute. »
[18] Quant à l’obligation de « garantie », ces auteurs expliquent que cela implique une responsabilité plus étendue encore de la part des locateurs :
« En présence enfin d'une obligation de garantie, le débiteur est présumé responsable. La seule façon pour lui d'échapper à sa responsabilité est de démontrer que c'est par le fait même du créancier qu'il a été empêché d'exécuter son obligation, ou encore que l'inexécution alléguée se situe complètement en dehors du champ de l'obligation assumée. »
[19] Même une défense de diligence présentée par le locateur ne peut donc pas suffire à écarter sa responsabilité.
[20] Prenons les éléments dénoncés par les locataires séparément.
Paiement des frais d’électricité dont ils ne bénéficient pas puisque la fournaise et le chauffe-eau du logement supérieur sont branchés sur leur compteur
[21] Les locataires découvrent, le 16 juin 2017, que la fournaise et le chauffe-eau qui alimentent le logement où habite le locateur sont branchés sur leur compteur d’électricité.
[22] Ils envoient plusieurs messages-textes[2] au locateur afin que des vérifications soient faites en ce sens avec un électricien.
[23] Le locateur refuse. Ils écrivent alors une mise en demeure le 14 août 2017[3] qui est envoyée par courriel et ensuite, par courrier.
[24] Devant l’inaction du locateur, ils écrivent une nouvelle lettre[4] qu’ils envoient par courrier recommandé le 25 septembre 2017 et déposent une demande à la Régie du logement.
[25] À l’audience, ils déposent une facture et un rapport[5] d’un maître-électricien qui vient confirmer que la fournaise et le chauffe-eau sont branchés sur leur compteur.
[26] Le locateur commence par nier les faits en présentant une facture[6] de Gazifère qui montre qu’il paie pour la location du chauffe-eau et les coûts de gaz de la fournaise.
[27] Le Tribunal soupçonne que le mécanisme d’allumage de la fournaise et le chauffage de l’eau du chauffe-eau sont en cause. Il est demandé au locateur de faire des vérifications à l’ajournement.
[28] À la seconde audience, le représentant du locateur indique que ce dernier est finalement satisfait du rapport de l’électricien soumis par les locataires et il est confirmé que la fournaise et le chauffe-eau du logement supérieur sont branchés sur le compteur des locataires.
[29] Comme les locataires ont fermé l’interrupteur de la fournaise du 16 juin au 28 septembre 2017, le locateur demande que le Tribunal en tienne compte s’il convient d’accorder une diminution de loyer.
[30] Même en tenant compte de cette interruption le Tribunal calcule que la somme demandée, soit 1 080 $, est plus que raisonnable.
[31] Le Tribunal accorde cette somme ainsi que les frais d’expertise de l’électricien de 206,95 $[7].
Le dérangement causé par le mauvais fonctionnement du système de climatisation qui laisse couler de l’eau à l’intérieur du logement
[32] Les locataires se plaignent aussi que, lorsque la fournaise climatise la maison, il y a de l’eau qui coule du système et se répand sur le sol. Les tuyaux extérieurs givrent, malgré la chaleur.
[33] Un message-texte[8] daté du 5 juin 2017 est déposé en ce sens.
[34] Comme l’alimentation électrique de la fournaise a été coupée le 16 juin 2017 jusqu’en septembre 2017, les locataires n’ont pas eu à subir les écoulements d’eau pour cette période.
[35] Ils ont donc peu souffert de cette situation pour la période concernée par la demande de diminution de loyer.
Le fait que le mauvais fonctionnement de la fournaise obligeait la conjointe du locateur à demander très souvent à la locataire de redémarrer la fournaise
[36] Le locateur allègue que la fournaise fonctionnait correctement avant que les locataires ferment l’interrupteur, mais avoue ne pas pouvoir faire la preuve que le mauvais fonctionnement de celle-ci dans les derniers mois découle de cette fermeture.
[37] Les parties s’entendent tout de même pour dire que la fournaise était défectueuse puisque le locateur l’a fait réparer.
[38] Or, pendant le temps où elle fonctionnait mal, la locataire explique que la conjointe du locateur l’appelait régulièrement, que ce soit à la maison ou au travail, pour que la fournaise soit redémarrée.
[39] Cela est un inconvénient certain qui amène une perte de jouissance des lieux.
Le bruit excessif provenant du logement du locateur
[40] Les locataires témoignent des bruits excessifs qu’ils doivent subir. Les locataires déposent d’ailleurs plusieurs messages-textes[9] envoyés en soirée. Ils envoient une mise en demeure en septembre 2017,[10] mais en vain.
[41] Ce sujet est abordé à la seconde audience à laquelle le locateur est représenté. Son représentant ne peut témoigner de la situation à la place du locateur.
[42] La preuve est donc faite que les bruits sont constants et excessifs et qu’ils diminuent la jouissance paisible des lieux des locataires.
Le mauvais état de réparation du logement
[43] Le rapport de la Ville[11] et les photos[12] sont éloquents sur l’état du logement. Les locataires font parvenir des messages-textes dès novembre 2017[13]. Il y avait eu des avis verbaux avant ces écrits.
[44] Parmi les problèmes, citons l’état de la salle de bain où l’eau émerge du plancher lorsque l’on utilise le bain.
[45] Or, aucune réparation majeure n’aura lieu pendant l’occupation des locataires, tel qu’en fait foi le rapport de la Ville, notamment.
[46] De l’avis du Tribunal, les locataires sont justifiés de demander une diminution de loyer. Le Tribunal octroie pour tous ces éléments réunis un montant forfaitaire de 1 300 $ pour la période entre le 1er juin 2017 et 1er juillet 2018.
[47] Rappelons-nous que la diminution de loyer vise strictement la diminution de jouissance et a pour but de rétablir l'équilibre entre les prestations respectives des parties. En effet, il faut considérer le loyer payé par les locataires comme étant la contrepartie monétaire de l'usage du logement, de ses services et accessoires. Dans le cas présent, la contrepartie n’était pas au rendez-vous durant la période mentionnée.
[48] Les locataires demandent également des dommages. Ceux-ci ne sont accordés que s’il y a faute du locateur.
[49] Le Tribunal considère que le locateur a été négligent dans le traitement de ce dossier.
[50] Pour l’ensemble des troubles et inconvénients, incluant les déplacements inutiles au Tribunal, le Tribunal accorde 1 000 $.
[51] Les frais judiciaires applicables sont adjugés contre le locateur selon le Tarif des frais exigibles par la Régie du logement[14].
Les locataires ont-ils été victimes de harcèlement ?
[52] C'est l'article
« 1902. Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu'il quitte le logement.
Le locataire, s'il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs. »
[53] Le présent Tribunal n’a le pouvoir de punir le harcèlement que s'il a pour but de restreindre la jouissance des lieux ou d'obtenir que les locataires partent.
[54] Voici ce qu'écrivait notre collègue, la juge administrative Francine Jodoin, dans l'affaire Sarault c. Ohana[15] :
« (78) Dans son article intitulé « Le harcèlement envers
les locataires et l'article
« De façon générale, le harcèlement suppose une conduite qui, en raison de l'effet dérangeant qu'elle produit avec une certaine continuité dans le temps, est susceptible de créer éventuellement, chez la victime, une pression psychologique suffisante de manière à obtenir le résultat ultimement recherché par l'auteur de cette conduite. Plus spécifiquement, le harcèlement interdit aux termes de l'article 1902 pourrait, à notre avis, être décrit comme suit :
« Une conduite se manifestant par des paroles ou des actes et ayant comme conséquence de restreindre, de façon continue, le droit d'un locataire à la jouissance paisible des lieux ou d'obtenir qu'il quitte le logement » (7).
Il ajoute ce qui suit :
« Toute conduite ayant une conséquence de restreindre la jouissance du locataire ne constitue pas nécessairement du harcèlement ; elle doit être une tactique choisie dans la mise en œuvre d'une stratégie plus ou moins planifiée en vue d'atteindre un objectif recherché et son effet immédiat (l'effet dérangeant) doit apparaître comme un objectif intermédiaire ou secondaire » (8)
[Notre soulignement]
À cet égard, il fut reconnu que le harcèlement ne peut être apprécié de façon subjective puisque cela reviendrait à qualifier la situation à partir de la perception personnelle du locataire (9). »
[55] Nous devons donc examiner les faits dans une perspective objective en y cherchant la mise en œuvre d’une stratégie.
[56] Une vidéo est présentée où, visiblement, les parties se querellent. Et puis, il y a divers incidents au sujet des poubelles.
[57] Le Tribunal constate que la relation entre les parties s’est rapidement détériorée après l’aménagement du locateur dans l’immeuble. Cependant, le Tribunal n’y voit pas la mise en œuvre d’une stratégie.
[58] Le Tribunal ne retient donc pas ce chef de réclamation.
Le locateur a-t-il droit aux frais judiciaires ?
[59] La demande de résiliation de bail pour 27 $, somme qui n’apparaît pas au bail, était abusive, dans les circonstances.
[60] Le Tribunal ne donnera pas droit aux frais, en conséquence.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[61] CONDAMNE le
locateur à payer aux locataires la somme de 3 586,95 $, avec les
intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article
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Anne A. Laverdure |
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Présence(s) : |
la mandataire du locateur les locataires |
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Dates des audiences : |
11 février 2019 1er octobre 2019 |
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[1] BAUDOUIN J.-L. et P.-G. JOBIN, Motifs d'exonération dans Les obligations, 6e édition par P.-G. Jobin avec la collaboration de N. Vézina, 2005, EYB 2005 OBL 32.
[2] Pièce L-2.
[3] Pièce L-3.
[4] Pièce L-4.
[5] Pièce L-1.
[6] Pièce P-1.
[7] Pièce L-1.
[8] Pièce L-2.
[9] Pièce L-2.
[10] Pièce L-4.
[11] Pièce L-6.
[12] Pièces L-3 et L-7.
[13] Pièce L-2.
[14] En vertu de
l'article
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.