Décision

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Décision

Jerome-Bérubé c. Fiducie Sarie & Fiducie NB

2019 QCRDL 2360

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

418693 31 20180917 G

No demande :

2587062

 

 

Date :

24 janvier 2019

Régisseure :

Marie-Ève Marcil, juge administrative

 

Kathleen Jerome-Bérubé

[…]

 

Marc-André Martin

[…]

 

Locataires - Partie demanderesse

c.

Fiducie Sarie & Fiducie NB

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Les locataires demandent au Tribunal la résiliation du bail, des dommages pour troubles et inconvénients de 1 500 $, des dommages matériels de 2 180 $, le remboursement des loyers de juin et juillet 2018 pour 1 500 $ et une diminution de loyer de 50 % par mois à compter du mois d’août 2018, l’exécution provisoire malgré appel ainsi que les frais.

La preuve

[2]      Les parties sont liées par un bail du 1er juin 2018 au 30 juin 2019 à un loyer mensuel de 750 $. Le logement est situé dans un immeuble de 8 logements.

[3]      Les locataires indiquent avoir signé le bail le 22 mars 2018 pour une occupation débutant le 1er juin 2018. Le 4 juin 2018, ils débutent le déménagement de leurs effets personnels. Ils commencent à occuper le logement à la fin de juin 2018. Le 2 juillet 2018, ils constatent des piqûres sur leurs corps et avisent le concierge à cet effet. Le 7 juillet 2018, ils trouvent une punaise dans leur lit et le 10 juillet l’exterminateur vient sur place. Une punaise est alors trouvée sur le divan. Les locataires préparent leur logement aux traitements tel que requis et entreposent une partie de leurs biens. Des traitements débutent en juillet 2018 et se poursuivent en date de l’audience. 

[4]      Le 12 juillet 2018, les locataires font parvenir une mise en demeure au locateur. Le 20 juillet, le locateur répond à leur demeure.

[5]      Les locataires soutiennent n’avoir jamais été avisés de la présence de punaises dans l’immeuble avant leur déménagement, et ce, malgré la connaissance de la problématique par le locateur lors de la signature du bail. Ils indiquent que le locateur devait leur dénoncer cette problématique connue à la signature du bail et lors de leur arrivée afin qu’ils prennent des mesures adéquates, soit notamment, limiter le déballage de leurs effets personnels. Ils ajoutent que les rapports des exterminateurs font la preuve d’une infestation de punaises continue dans le logement adjacent au leur, soit de mars 2018 au mois de l’audience en novembre 2018.


[6]      Ils affirment être très incommodés par les piqûres d'insectes, particulièrement durant la nuit, ne peuvent utiliser tous leurs biens étant donné les mesures de préparations aux traitements et qu’ils doivent demeurer toujours très vigilants, le tout affectant beaucoup leur qualité de vie.

[7]      Ils demandent la résiliation du bail, 1 500 $ pour troubles et inconvénients, des dommages matériels pour 2 180 $, soit une soumission de déménagement de 1 500 $, 350 $ pour des protège-matelas, 330 $ pour les frais d’entreposage, ainsi que le remboursement complet des loyers de juin et juillet 2018 et une diminution de loyer de 375 $ par mois, soit 50 % du loyer, à compter d’août 2018.

[8]      En défense, le mandataire du locateur indique que lors de la signature du bail, le logement concerné n’était pas infesté. Il admet qu’un des logements de l’immeuble était infesté en mars 2018, et que cette infestation s’est poursuivie, mais que tous les traitements adéquats ont eu lieu et se poursuivent afin de régler la problématique. Aussi, il souligne que pour le logement concerné, des professionnels ont été contactés dès la dénonciation par les locataires. Il ajoute qu’après le 10 juillet 2018, aucune punaise n’a été constatée dans le logement concerné par l’exterminateur.

[9]      L’exterminateur confirme qu’aucune punaise a été détectée dans le logement concerné avant juin 2018, mais comme le logement était vacant depuis plusieurs mois, les punaises s’y retrouvent plus rarement, n’ayant pas de nourriture. Aussi, malgré qu’aucune punaise n’a été détectée dans le logement concerné après le 10 juillet 2018, leur présence est possible, ces bestioles étant difficiles à détecter surtout lorsque peu nombreuses. Or, étant donné les constats de piqûres par les locataires, des traitements se poursuivent au jour de l’audience. Les rapports de l’exterminateur sont déposés.

[10]   Le concierge témoigne à l’effet que les locataires n’ont jamais posé de questions spécifiques aux punaises lors de la signature ou lors de leur aménagement en juin 2018. Par contre, il indique que sitôt informé de la présence de punaises de lit au logement, un exterminateur professionnel a été dépêché immédiatement sur les lieux.

Analyse et décision

[11]   Les articles 1854, 1863, 1864, 1910 et 1912 du Code civil du Québec prévoient :

« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail ».

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le Tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir ».

« 1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure ».

« 1910 : Le locateur est tenu de délivrer un logement en bon état d'habitabilité; il est aussi tenu de le maintenir ainsi pendant toute la durée du bail.

La stipulation par laquelle le locataire reconnaît que le logement est en bon état d'habitabilité est sans effet ».

« 1912 : Donnent lieu aux mêmes recours qu'un manquement à une obligation du bail:

 1° Tout manquement du locateur ou du locataire à une obligation imposée par la loi relativement à la sécurité ou à la salubrité d'un logement;

 2° Tout manquement du locateur aux exigences minimales fixées par la loi, relativement à l'entretien, à l'habitabilité, à la sécurité et à la salubrité d'un immeuble comportant un logement ».

[12]   D'autre part, l'article 2803 C.c.Q. prévoit :

« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée ».


[13]   D'entrée de jeu, le Tribunal rappelle l'obligation du locateur de fournir en tout temps au locataire un logement en bon état d'habitabilité est une obligation de résultat. Ainsi, les moyens de défense du locateur sont limités et il ne peut simplement invoquer sa diligence raisonnable à vouloir régler le trouble dénoncé et être ainsi dégagé de son obligation.

[14]   Un locateur poursuivi en dommages ne peut donc pas se décharger de sa responsabilité en démontrant que la présence de punaises de lit ne peut lui être imputable, car elle relève de la faute d'un tiers. Il ne peut donc pas se contenter de démontrer qu'il a fait diligence. En effet, la jurisprudence considère qu'il s'agit d'obligation de résultat[1].

[15]   Par ailleurs, la jurisprudence du présent tribunal, notamment depuis la décision rendue dans l'affaire Marcotte c. Garita[2], reconnaît le principe voulant que le responsable de la présence de punaises dans un logement est souvent difficile voire même impossible à établir avec pour conséquence que la responsabilité doit être imputée à un tiers inconnu.

[16]   Aussi, il est établi d'appliquer en matière de vermine et d’insectes dans un logement, le régime de responsabilité du trouble de fait d'un tiers[3]. Dans ces cas, le locateur se verra exonérer du paiement de dommages au locataire si aucune faute ne peut lui être imputée. Dans la mesure où le locateur a fait preuve de diligence à traiter le problème, il ne devrait pas en être tenu de payer des dommages au locataire.

[17]   Par contre, dans les cas de comportements fautifs ou négligents après l'apparition des punaises, une responsabilité peut lui être imputée. Notamment, dans les cas d'inaction ou du défaut de recourir à des services d'extermination reconnus, de lacunes dans les traitements, dans les cas de défaut de dénonciation et de manque de collaboration à l'extermination.  Dans ces cas, la cause du dommage ne pourrait plus être assimilée au fait d'un tiers et les autres régimes de responsabilité trouveront application.

[18]   En l’espèce, la preuve prépondérante a démontré la présence de punaises dans certains logements de l'immeuble lors de la signature du bail en mars 2018 et que la problématique de punaises de lit existait encore lors de l’arrivée des locataires en juin 2018, particulièrement l’infestation dans le logement no 6, adjacent au logement concerné.

[19]   Aussi, il appert que bien que l’exterminateur n’ait pas constaté de punaises dans le logement concerné après le 10 juillet 2018, le Tribunal considère que la preuve présentée par les locataires est suffisante pour démontrer de façon prépondérante la présence de quelques punaises dans leur logement.

[20]   Or, bien que le locateur ait fait preuve de diligence dans les traitements, le Tribunal considère qu’étant donné les circonstances, le locateur aurait dû mentionner aux nouveaux locataires l’infestation non résolue du logement adjacent au moment de leur aménagement.

[21]   En effet, les locataires à proximité d’une infestation de punaises qui n’est pas réglée doivent en être informés afin de leur permettre une plus grande vigilance et de prendre des mesures appropriées. Or, malgré une infestation de punaises non résolue depuis des mois dans le logement adjacent au leur, rien ne leur a été mentionné à leur arrivée.

[22]   Ce faisant, le Tribunal retient la responsabilité du locateur relativement aux dommages-réclamés par les locataires.

[23]   Concernant ces dommages, le Tribunal retient les dommages prouvés, soit l’entreposage de certains biens des locataires, nécessaires afin d’effectuer les traitements, pour la somme correspondante aux factures soumises soit 321,72 $ et le remboursement des protège-matelas et autres produits vendus par la compagnie d’extermination, pour la somme de 231,66 $. Le Tribunal rejette la réclamation de frais de déménagement n’étant pas un dommage prouvé et rejette le remboursement des loyers payés de juin et juillet 2018, lesquels seront traités en diminution de loyer.


[24]   Concernant la diminution de loyer demandée, la preuve soumise démontre que les locataires n'ont pas eu la pleine jouissance des lieux loués. En effet, la preuve démontre la présence de ces bestioles, mais peu nombreuses. Ainsi malgré leur nombre peu élevé, il ne fait pas de doute que les locataires ont subi une perte de jouissance des lieux alors qu'ils ont payé leur plein loyer. Afin de compenser cette perte de la valeur locative du logement, le Tribunal accorde une diminution de 20 % du loyer mensuel, soit 150 $ par mois. La diminution de loyer vaut à compter du mois de juin 2018, et ce, jusqu'à disparition complète des punaises de lit. 

[25]   Quant aux dommages moraux réclamés, soit les dommages pour troubles et inconvénients, ce type de dommages vise à compenser le stress, les inquiétudes, la fatigue et les troubles et inconvénients de toutes sortes qu'a pu éprouver la partie lésée. Le Tribunal a été convaincu, dans une certaine mesure, des troubles et inconvénients réellement subis par les locataires. Ainsi, compte tenu des circonstances, le Tribunal accorde la somme de 600 $.  

[26]   En ce qui a trait à la demande de résiliation de bail, pour en faire droit, la preuve de préjudice sérieux doit être établie. Or, bien que le Tribunal soit d'avis que beaucoup de désagréments surviennent avec la présence de punaises de lit dans un logement, la preuve démontre un problème de punaises contrôlé et limité au jour de l’audience, bien que des punaises sont encore présentes dans le logement. Ainsi, la preuve n’a pas permis d’établir que le logement constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité de ses occupants ou ne permet pas d’établir un préjudice sérieux aux locataires. La demande en résiliation est en conséquence rejetée.  

[27]    Le préjudice causé aux locataires ne justifie pas l'exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l'article 82.1 de la Loi sur la Régie du logement.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[28]   ACCUEILLE en partie la demande des locataires;

[29]   DIMINUE le loyer mensuel de 150 $ par mois pour les mois situés entre juin et novembre 2018 inclusivement et CONDAMNE le locateur à payer aux locataires le montant de 750 $ de la diminution ainsi accordée;

[30]   DIMINUE le loyer mensuel de 150 $ à partir de décembre 2018, le tout effectif tant que la présence de punaises ne sera pas complètement éradiquée tant au logement concerné qu'au logement no 6, source de cette infestation;

[31]   CONDAMNE le locateur à payer aux locataires la somme de 1 153,38 $, avec intérêt légal et l'indemnité additionnelle à compter du 17 septembre 2018, plus les frais judiciaires admissibles de 84 $;

[32]   REJETTE la demande des locataires quant au surplus et autres conclusions.

 

 

 

 

 

 

 

 

Marie-Ève Marcil

 

Présence(s) :

les locataires

Me Felicia Marino, avocate du locateur

Date de l’audience :  

30 novembre 2018

 

 

 


 



[1] Baudouin J.-L. et P.-G. Jobin, Motifs d'exonération dans Les obligations, 6e édition par P.-G. Jobin avec la collaboration de N. Vézina, 2005, EYB2005OBL32, approx. 22 pages.

[2] - Marcotte c. Garita Entreprises inc., R. du L., Montréal, #31-120817-056G, le 18 juin 2013, j. adm. J. Gravel.

[3] SOQUIJ AZ-50980162; Chenaoui c. Martel (R.D.L., 2013-11-05), 2013 QCRDL 35783, SOQUIJ AZ-51017799, 2014EXP-290, requête pour permission d'appel rejetée; Chenaoui c. Martel (C.Q., 2014-06-25), 2014 QCCQ 5268, SOQUIJ AZ-51087246; Lewandowska c. Office municipal d'habitation de Montréal (R.D.L., 2017-04-05), 2017 QCRDL 10973, SOQUIJ AZ-51381723. Le Tribunal est saisi de deux dossiers.

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