Décision

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Décision

9226-7772 Québec inc. c. Boyer

2017 QCRDL 39762

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

363732 31 20171030 G

No demande :

2361154

 

 

Date :

05 décembre 2017

Régisseure :

Chantale Bouchard, juge administrative

 

9226-7772 QUÉBEC INC.

9335-4413 QUÉBEC INC.

 

Locatrices - Partie demanderesse

c.

Christian Boyer

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

DEMANDE

[1]      Par un recours introduit le 30 octobre 2017, les locatrices demandent la résiliation du bail et l'expulsion du locataire, l’exécution provisoire de la décision, malgré l’appel, et les frais judiciaires.

[2]      Les motifs y sont principalement inscrits comme suit :

« Le locataire cause un problème grave d’infestation de punaises extrême et ne collabore pas avec l’exterminateur ou ces procédures à suivre et cela à trois reprises. La situation cause un très sérieux préjudice aux autres locataires et au locateur qui craignent pour leurs santé et propreté. Il ne profit pas de la jouissance de l'immeuble […] INFESTATION DE PUNAISES !!! » (Sic)

[3]      La procédure a été signifiée par huissier, tel qu’admis.

[4]      Les locatrices sont représentées à l’instance par leur président respectif, monsieur Branko Latin et madame Josie Farinacci. Ceux-ci font entendre principalement leur gestionnaire, monsieur Giuseppe Vitale.

[5]      Il s’agit d’un immeuble comportant six appartements répartis sur trois niveaux. Celui concerné est situé à l’étage supérieur.

[6]      Les parties sont liées par le bail du logement de 4 ½ pièces depuis le 1er avril 2016 (P-1), reconduit pour la période du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018 (P-2).

[7]      Le gestionnaire réitère chacun des allégués de la procédure.

[8]      Il relate avoir été alerté de la présence de punaises à l'immeuble par la locataire de l’appartement 4 du second plancher. C’était le 17 octobre. Une inspection de tout l'immeuble par un exterminateur avait lieu le 21 octobre en sa présence (P-7A). Ce n’est qu’arrivés au logement, qu’ils y constataient une infestation majeure. Le locataire était avisé qu’il devait préparer son logement en vue d’un traitement.

[9]      Le 23 octobre, le gestionnaire faisait appel à un inspecteur de la Ville pour effectuer une visite au logement. L’infestation et le défaut de préparation pour procéder à un traitement étaient notés. Il en sera de même le 30 octobre suivant.

[10]   Le 24 octobre, le locataire était constitué en demeure de suivre les recommandations jointes de l’exterminateur, afin de contrer l’infestation de punaises sévissant au logement (P-6).

[11]   Le 28 octobre, l'immeuble était traité en entier contre les punaises de lit, à l’exception de l’appartement 6 (P-7B) dont l’accès était refusé, sans compter qu’il n’était pas préparé.

[12]   Le rapport suivant d'un inspecteur municipal a été communiqué pour valoir témoignage à l’instance (P-3)[1]  :

« 2017-10-23

inspection réalisée (photos)[2] Le logement #6 le logement n’est pas préparé adéquatement. peu de meuble mais le logement est malpropre. je lui remet un avis et une nouvelle inspection est programmée à vendredi 27 octobre 13hrs.

 2017-10-30

inspection réalisée (photos) Le logement #6. le logement n’est pas préparé adéquatement. les meubles dont le locataire devait se départir (matelas et canapé) sont toujours sur place. il ne semble pas y avoir eu de préparation de fait pour l’extermination. […] une nouvelle inspection devra être réalisée. » (Sic)   

[13]   Le 10 novembre, avis était donné à tous les occupants de l'immeuble qu’un traitement antiparasitaire aurait lieu le 13 novembre suivant. Encore une fois, seuls cinq appartements étaient traités, à défaut par le locataire d’avoir préparé adéquatement le sien.

[14]   Pour sa part, le locataire reconnaît les faits exposés. Il invoque n’avoir pu donner suite aux demandes de préparations jusqu'à maintenant. Il dit avoir besoin d’aide à cet égard, notamment pour jeter les meubles contaminés.

[15]   Toutefois, le jour de l’audience, il a reçu l’assurance d’une telle aide dans le cadre du « Projet pilote pour la préparation de logements lors d’infestation par les punaises de lit » de la Ville de Montréal (L-1) :

« jeu. 2017-11-30 11 :05 […]

Voici la confirmation de votre participation […]. Un rendez-vous est prévu pour la semaine du 4 décembre avec Mme[…] et son équipe afin de nettoyer et de préparer votre logement. C’est Mme[…] de l’Office municipal d’habitation de Montréal qui agira comme personne ressource pour le projet pilote ».

[16]   Le locataire prend désormais l’engagement de satisfaire aux demandes d’accès et de préparation de son logement pour toute intervention antiparasitaire, avec ou même sans l’aide souhaitée.

[17]   Somme toute, le locataire demande un sursis afin de pouvoir s’acquitter de ses obligations et ainsi conserver son logement.

DROIT ET ANALYSE

[18]   De façon générale, le contrat oblige ceux qui l’ont conclu pour ce qu'ils y ont exprimé, ainsi que pour tout ce qui en découle d'après sa nature et suivant les usages, l'équité ou la loi.[3] Ainsi, toute personne a le devoir d’honorer ses obligations, sous peine d’engager sa responsabilité quant au préjudice subi par son cocontractant face à un manquement en ce sens.[4]

[19]   En outre du paiement du loyer, le locataire a l’obligation générale d’user du bien loué avec prudence et diligence[5].


[20]   Ainsi, on peut affirmer que l’obligation générale du locataire comporte celle de coopérer et de ne pas nuire au locateur dans l’accomplissement de ses propres devoirs. En ce sens, il ne devra excéder ses droits, en user de façon déraisonnable ou excessive allant à l’encontre des règles élémentaires de la bonne foi. Bien que celle-ci se présume[6], elle doit gouverner la conduite des parties de la naissance à l'extinction des obligations les liant.[7].

[21]   Plus spécifiquement, ce dernier sera tenu de maintenir son logis en bon état de propreté[8], de ne pas contrevenir aux obligations légales prescrites eu égard à sa sécurité ou salubrité[9], d’en donner accès dans certaines circonstances[10], de ne pas agir de façon à détériorer le bien loué dont il a la garde[11], ni mettre en péril sa conservation ou son intégrité, de même que l’immeuble l’abritant[12], et d’aviser le locateur dans un délai raisonnable lorsqu’il aura connaissance d’une défectuosité ou d’une détérioration substantielle des lieux loués[13].

[22]   Notamment, les articles 10 et 25 du Règlement sur la salubrité, l’entretien et la sécurité des logements [R.V.M. 03-096] de la Ville de Montréal prévoient ce qui suit eu égard à la présence de vermine ou de punaises de lit, ainsi que les dispositions pénales (articles 65 et 66) y attachées :

« 10. Les occupants d'un logement visé par une intervention d'extermination de la vermine, faite en vertu du présent règlement, ne peuvent refuser l'accès aux lieux à l'autorité compétente ou au gestionnaire de parasites.

Au besoin, ils doivent nettoyer et préparer les lieux en vue de l'intervention. »

« 25. Un bâtiment ou un logement ne doit pas porter atteinte à la santé ou à la sécurité des résidants ou du public en raison de l'utilisation qui en est faite ou de l'état dans lequel il se trouve.

Sont notamment prohibés et doivent être supprimés : […]

9.1° la présence de punaises de lit ainsi que les conditions qui favorisent la prolifération de celles-ci; » 

« 65. Sous réserve des articles 66 et 66.0.1, quiconque contrevient à l’une ou l’autre des dispositions du présent règlement commet une infraction et est passible :

1° s’il s’agit d’une personne physique : a) pour une première infraction, d’une amende de 200 $ à 500 $; […]

2° s’il s’agit d’une personne morale : a) pour une première infraction, d’une amende de 400 $ à 1 000 $; […]. »

« 66. Quiconque contrevient à l’un des paragraphes 8° à 9.1° de l’article 25 ou à l’un des articles 25.1, 32.1, 33, 33.1, 34.1 à 38 commet une infraction et est passible :

1° s’il s’agit d’une personne physique : a) pour une première infraction, d’une amende de 500 $ à 2 000 $; […]

2° s’il s’agit d’une personne morale : a) pour une première infraction, d’une amende de 1 000 $ à 4 000 $; […]. »

[23]   En présence d’un manquement du locataire à ses obligations, le locateur pourra notamment obtenir la résiliation du bail, dans la mesure où il est établi que l’inexécution cause au demandeur ou aux autres occupants de l’immeuble, un préjudice sérieux[14].


[24]   Dans une autre affaire, le Tribunal se prononçait concernant la nuisance des punaises de lit et le défaut de collaboration impliqué[15] :

« [43] Le Tribunal retient l'argumentaire en demande. Le défaut de préparation adéquate pour se soumettre aux opérations d'extermination nécessitées constitue un important manque de collaboration du locataire causant certes un risque accru de prolifération de la vermine et interférant notablement sur l'état des lieux.

[44] En effet, la présence de punaises de lit dans un immeuble à logements multiples ne peut être prise à la légère. Le défaut d'y voir avec promptitude et efficience peut vite faire dégénérer la situation, sinon la faire perdurer, avec incidence d'un préjudice certain.

[45] Vu la migration possible de ces insectes d'un appartement à l'autre, il va sans dire que le succès des opérations antiparasitaires nécessite la collaboration des locataires par leur dénonciation de l'occurrence de tels insectes et la préparation adéquate de leur logis, le cas échéant.

[46] De par les manquements retenus et la preuve à cette enseigne, le Tribunal juge que le locateur subit un préjudice sérieux. Partant, le locateur peut se voir empêché de procurer la jouissance paisible des lieux loués à chacun de ses locataires et de rencontrer ses propres obligations tenant à la conservation de l'immeuble et à son bon état d'habitabilité. »

(Soulignements ajoutés)

[25]   En l’instance, il est sans équivoque que le locataire contrevient à ses obligations, particulièrement en ce qu’il ne prépare pas adéquatement le logement pour les interventions planifiées en gestion parasitaire.

[26]   Ce faisant, le locataire entrave son devoir d’agir avec prudence et diligence, avec répercussions néfastes sur les efforts fournis par les locatrices pour éradiquer les punaises de lit dans son immeuble.

[27]   Le préjudice est sérieux, et pour les locatrices, et pour les autres occupants de l'immeuble.

[28]   Considérant la nature des manquements et la preuve administrée à cet égard, les locatrices ont satisfait à leur fardeau. La résiliation est justifiée.

[29]   Toutefois, vu la confirmation de participation du locataire au « Projet pilote pour la préparation de logements lors d’infestation par les punaises de lit » ainsi que son engagement à satisfaire aux demandes d’accès et de préparation de son logement, l’octroi d’un sursis est opportun dans la présente affaire. Il est apparu que le locataire puisse vraisemblablement s’amender des reproches qui lui sont adressés dans un avenir rapproché.

[30]   Ainsi, usant de sa discrétion judiciaire, le Tribunal estime qu'il y a lieu de surseoir à la résiliation immédiate du bail et d'y substituer une ordonnance selon l'article 1973 du Code civil du Québec :

« 1973. Lorsque l’une ou l’autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l’accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d’exécuter ses obligations dans le délai qu’il détermine, à moins qu’il ne s’agisse d’un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.

Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail. »  

[31]   Il sera donc ordonné au locataire de donner accès au logement et de le préparer adéquatement pour toute inspection, traitement ou opération d'extermination de punaises de lit dans l'immeuble, moyennant la réception d’un avis de 24 heures à l’une de ces fins.

[32]   Cette ordonnance vaudra pour la durée du bail en cours. De plus, l'ordonnance rendue entrera en vigueur le 12 décembre 2017.

[33]   Tel qu'édicté à l'article 1973 précité, le défaut par le locataire de respecter une telle ordonnance permettra aux locatrices d'obtenir la résiliation du bail en présentant une nouvelle demande en ce sens. Le locataire serait donc bien avisé de ne pas y contrevenir, d'autant que son défaut pourrait alors s'avérer irrémédiable. Il s'agit d'une dernière chance qui lui est accordée pour pouvoir s'amender à cet égard et conserver son droit au maintien dans les lieux.


[34]   Vu la preuve, il y a lieu de condamner le locataire aux frais judiciaires, incluant les frais de signification selon le Tarif[16][17], et de prononcer l’exécution provisoire de la décision, malgré l’appel, en vertu de l’article 82.1 de la Loi sur la Régie du logement[18].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[35]   SURSOIT à la résiliation du bail en application de l'article 1973 du Code civil du Québec;

[36]   ORDONNE au locataire de donner accès au logement et de le préparer adéquatement pour toute inspection, traitement ou opération d'extermination de punaises de lit dans l'immeuble, moyennant la réception d’un avis de 24 heures, et ce, dès le 12 décembre 2017, pour la durée du bail en cours;

[37]   ORDONNE l'exécution provisoire, malgré l'appel, de la présente décision;

[38]   CONDAMNE le locataire à payer aux locatrices les frais judiciaires de 89 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Chantale Bouchard

 

Présence(s) :

le mandataire de la locatrice 9226-7772 Québec inc.

la mandataire de la locatrice 9335-4413 Québec inc.

le locataire

Date de l’audience :  

30 novembre 2017

 

 

 


 



[1] Conformément à l'article 78 de la Loi sur la Régie du logement (RLRQ, c. R-8.1).

[2] Des photographies du logement sont déposées (P-4, en liasse).

[3] Tel qu'édicté à l'article 1434 du Code civil du Québec.

[4] Article 1458 du Code civil du Québec.

[5] Suivant l’article 1855 du Code civil du Québec.

[6] Selon l’article 2805 du Code civil du Québec.

[7] Aux termes des articles 6, 7 et 1375 du Code civil du Québec.

[8] Article 1911 du Code civil du Québec.

[9] Selon le paragraphe 1o de l’article 1912 du Code civil du Québec.

[10] Voir les articles 1930 et suivants du Code civil du Québec.

[11] Voir notamment l’article 1862 du Code civil du Québec.

[12] Pierre-Gabriel Jobin, Le louage, Collection Traité de droit civil, 2e édition, Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, 1996.

[13] Conformément à l’article 1866 du Code civil du Québec.

[14] Le premier alinéa de l'article 1863 du Code civil du Québec prescrit que « [l]'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail. » (Soulignements ajoutés)

[15] Office municipal d'habitation de Montréal c. André Farnham, R.L. 1908992, le 13 juillet 2016, r. Chantale Bouchard, j.a.

[16] Tarif des frais exigibles par la Régie du logement, R.R.Q., 1981, c. [R-8.1, r. 6].

[17] Article 79.1 de la Loi sur la Régie du logement, L.R.Q., c. R-8.1.

[18] RLRQ, c. R-8.1.

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