Investissement Querbes-Lajoie inc. c. Vachon |
2017 QCRDL 38848 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier: |
274300 31 20160426 F |
No demande: |
1987196 |
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RN :
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2156620
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Date : |
29 novembre 2017 |
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Greffière spéciale : |
Me Nathalie Bousquet |
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Investissement Querbes-Lajoie Inc. |
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Locatrice - Partie demanderesse |
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c. |
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Yvon Vachon |
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Locataire - Partie défenderesse |
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DÉCISION
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[1] La
locatrice a présenté une demande en vertu de l’article
[2] En vertu de l’article 57 de la Loi sur la Régie du logement[1], les dossiers concernant les locataires de cet immeuble sont réunis pour l’audition.
[3] Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2015 au 30 juin 2016, à un loyer mensuel de 749,00 $.
Les faits
[4] Feue Marguerite de Chavigny de la Chèvrotière est décédée le 16 janvier 2015.
[5] Au terme de son dernier testament, elle instituait ses enfants légataires à titre particulier et désignait sa fille Monelle Gélinas liquidatrice de ses biens.
[6] Le 17 mars 2015, Monelle Gélinas envoyait aux locataires un avis de renouvellement du bail pour la période 2015-2016, qu’elle signait à titre de liquidatrice de la succession de feue Marguerite de Chavigny de la Chevrotière. Cet avis demandait une augmentation de 1,65 % du loyer payé.
[7] Le 12 novembre 2015 était publiée la déclaration de transmission, par laquelle Monelle Gélinas, toujours à titre de liquidatrice de la succession de feue Marguerite de Chavigny de la Chevrotière, abandonnait la saisine de l’immeuble au profit des légataires.
[8] Le même jour, 12 novembre 2015, les légataires vendaient l’immeuble à Investissements Querbes-Lajoie Inc.
[9] Le 24 mars 2016, Patrice Hébert, pour Investissements Querbes-Lajoie Inc., signait les avis de renouvellement du bail, délivrés aux locataires les 30 et 31 mars 2016, pour le renouvellement du bail de la période 2016-2017, soit celle en cause.
[10] Les augmentations de loyer demandées aux locataires pour le renouvellement de leur bail de la période de 2016-2017 varient de 135,00 $ à 379,00 $ d’augmentation, pour obtenir des loyers variant de 875,00 $ à 1 015,00 $ par mois.
[11] Il est demandé à la Régie du logement de fixer le loyer selon la valeur des logements comparables. Il est allégué que les loyers actuels des logements sont des loyers de faveur en raison de la mauvaise gestion effectuée par feue l’ancienne locatrice Marguerite de Chavigny de la Chèvrotière et que certains locataires ont des liens familiaux avec celle-ci ce qui expliquerait leur loyer actuel.
Le loyer de faveur
[12] La Régie, lorsque
saisie d’une demande en vertu de l’article
[13] Selon ce règlement, le loyer est déterminé selon la méthode générale qui prévoit que l’ajustement du loyer, calculé à partir du loyer payé au terme du bail, tient compte de certaines dépenses encourues par un locateur durant l’année de référence, en tenant compte de la part attribuable du logement.
[14] Exceptionnellement, le Tribunal peut déterminer l’ajustement d’un loyer selon la preuve de la valeur de logements comparables si la prépondérance de la preuve permet de conclure que le loyer payé au terme du bail répond à l’une des situations prévues au règlement pour faire déterminer le loyer selon ces règles.
[15] S’il s’agit d’un loyer de faveur au sens prévu par ledit règlement, le Tribunal détermine ensuite le loyer exigible en considérant le loyer habituellement payé pour des logements comparables[3].
[16] Les articles 1 par. 2, 2 et 3, 1er alinéa du Règlement sur les critères de fixation de loyer[4] mentionnent :
1. (…)
loyer de faveur : le loyer d’un logement qui est inférieur au loyer habituellement payé pour celui de logements comparables, dans l’une des situations suivantes :
1° le locataire est un parent, allié ou employé du locateur;
2° le locateur est ou était le principal soutien du locataire;
3° le logement est situé dans un immeuble transmis par succession et le loyer découle de la gestion inadéquate de la personne décédée;
4° le locateur est un ministère ou un organisme du Gouvernement du Québec ».
2. Le présent règlement s’applique à un logement visé par l’article
3. Le tribunal saisi d’une demande de fixation ou de réajustement de loyer modifie le loyer au terme du bail en tenant compte, le cas échéant, selon la part attribuable au logement, des critères suivants:
1° la variation entre les taxes foncières municipales et de services exigibles au cours de la période de référence et celles exigibles durant l’année suivante et, la variation entre les taxes foncières scolaires exigibles au cours de l’année précédant la période de référence et celles exigibles durant cette période;
2° la variation entre les primes des assurances, comprises dans les dépenses d’exploitation, pour une période maximale de 12 mois, exigibles au cours de l’année précédant la période de référence et celles exigibles au cours de cette période;
3° le pourcentage applicable pour la période de référence aux frais d’électricité et de combustible. Toutefois, si ce pourcentage n’est pas représentatif pour l’immeuble concerné, le tribunal, s’il dispose des renseignements nécessaires, applique à ces frais, la variation en pourcentage du coût unitaire entre la période de référence et la période précédente;
4° le pourcentage applicable pour la période de référence aux frais d’entretien;
5° le pourcentage applicable pour la période de référence aux frais de services;
6° le pourcentage applicable pour la période de référence aux frais de gestion, établis à 5% des revenus sans pièce justificative, lesquels peuvent aller jusqu’à 10% sur justification de ces frais;
7° les dépenses d’exploitation découlant de la mise en place d’un service ou de l’ajout d’un accessoire ou d’une dépendance pendant la période de référence, estimées pour une année complète;
8° le pourcentage applicable pour la période de référence au revenu net;
9° le pourcentage applicable pour la période de référence aux dépenses d’immobilisation. Toutefois, si une dépense d’immobilisation est l’objet d’une subvention sous forme d’un prêt à intérêt réduit, l’augmentation du loyer sur une base annuelle, correspondant à la partie de la dépense financée par ce prêt ne peut excéder le montant du remboursement annuel en capital et intérêts.
(…)
[17]
Selon l’article
[18] Selon les enseignements de Me Paul-André Côté dans son Traité sur l’interprétation des lois[5], des dispositions réglementaires doivent être interprétées restrictivement.
[19] Ainsi, faut-il tout d’abord que la locatrice établisse selon la preuve prépondérante que le loyer payé au terme du bail rencontre l’un ou l’autre des cas d’ouvertures prévus à l’article 1 par.2 dudit règlement.
[20] En l’instance, le loyer payé au terme du bail à renouveler est celui payable durant la période du bail de 2015-2016.
[21] Hors feue Marguerite de Chavigny de la Chevrotière est décédée le 16 janvier 2015.
[22] Tous les baux concernés en l’instance se terminaient au 30 juin 2015.
[23]
Selon l’article
[24] Tous les locataires ont reçu un avis de modification des conditions du bail pour le renouvellement de leur bail du 1er juillet 2015 au 30 juin 2016 qui leur a été adressé par la liquidatrice de la succession de feue Marguerite de Chavigny de la Chevrotière. Les locataires ont payé cette augmentation de 1,65 % à compter du 1er juillet 2015.
Litige
[25] La question se pose donc de déterminer si le loyer payé au terme du bail se terminant au 30 juin 2016 résulte de la mauvaise gestion de feue Marguerite de Chavigny de la Chevrotière.
[26] La locatrice soumet que la saisine de l’immeuble a été transférée au jour même de l’achat de l’immeuble par la locatrice, soit le 12 novembre 2015, et qu’ainsi au renouvellement du bail de 2016-2017, il s’agit de la première opportunité pour faire rétablir le loyer selon la preuve des logements comparables.
[27] Les locataires s’y opposent, alléguant plutôt que conformément à la jurisprudence[6], la première occasion pour demander l’ajustement du loyer selon la valeur de logements comparables était au renouvellement de leur bail de 2015-2016.
Règle de la première opportunité
[28] Cette règle résulte de l’application même du Règlement sur les critères sur la fixation du loyer[7] et de l’interprétation littérale de ses dispositions eu égard aux autres dispositions légales pertinentes.
[29]
Puisque l’article
[30]
L’article
777. Le liquidateur exerce, à compter de l’ouverture de la succession et pendant le temps nécessaire à la liquidation, la saisine des héritiers et des légataires particuliers.
Il peut même revendiquer les biens contre ces héritiers et légataires.
La désignation ou le remplacement du liquidateur de la succession est publié au registre des droits personnels et réels mobiliers ainsi qu’au registre foncier, le cas échéant. L’inscription de la désignation ou du remplacement s’obtient par la présentation d’un avis qui fait référence à l’acte de désignation ou de remplacement, identifie le défunt et le liquidateur et contient, le cas échéant, la désignation de tout immeuble auquel il se rapporte.
[31] Le liquidateur d’une succession est également soumis aux dispositions légales particulières d’un administrateur aux biens d’autrui, notamment celles prévues aux articles 1301 et suivants concernant l’administration du bien d’autrui.
[32] Le Tribunal abonde avec l’analyse de Me Claude Couture, dans la décision Valérie Walsh c. Liliane Plasse[8], dans un cas ou tant la gestion du décédé que celle de sa succession furent qualifiée de mauvaise gestion :
Vu la nature de la gestion faite par la locatrice défunte et le constat de l’évaluateur, le tribunal aurait été disposé à accepter le rétablissement du loyer à la valeur locative sur la base de l’évaluation réalisée par l’expert précité, mais il y a eu une défaillance dans la démarche du liquidateur successoral au cours de son administration entre juin 2001 et janvier 2003, qui empêche le tribunal de faire droit à la demande des locateurs. Comme il a été dit, il est vrai que l’administration de la défunte locatrice a été déficiente, mais celle de son conjoint liquidateur l’a été tout autant, ce que ne permet pas la loi.
Les dispositions sur le loyer de faveur constituent une exception à la règle générale qui autorise un ajustement raisonnable du loyer en fonction des dépenses engagées par le locateur au cours de la période de référence, soit l’année civile précédant le terme du bail(2). Ces dispositions d’exception doivent recevoir une interprétation restrictive. Le règlement parle bien de gestion inadéquate du défunt, pas ceux qui lui succèdent. De plus, l’état de la jurisprudence (3) révèle que la demande de rétablissement du loyer à la valeur locative dans le cadre d’un loyer de faveur doit être faite à la première opportunité. Or le liquidateur William Major a manqué à son devoir de bon gestionnaire en omettant d’envoyer à la locataire en 2002 un avis d’augmentation de loyer; on ne peut invoquer les divers problèmes qu’il a eus puisqu’il avait amplement le temps de réagir entre la date du décès en juin 2001 et le moment de l’envoi de l’avis d’augmentation qui s’étendait jusqu’au 31 mars 2002, soit trois mois avant la fin du bail. C’est uniquement à ce moment que la notion de loyer de faveur aurait pu être invoquée. Aujourd’hui en 2003, il est trop tard. Le tribunal ajoute que c’est justement la tâche d’un liquidateur successoral d’assurer une saine gestion du patrimoine du défunt dans le meilleur intérêt des héritiers, conformément aux devoirs que la loi lui impose (4). Le tribunal ne peut donc accorder sa bénédiction envers de pareilles défaillances d’un liquidateur.
(les soulignés sont ajoutés par la soussignée)
[33] La Cour Supérieure, sous la plume de l’honorable Me André Roy, J.C.S., alors saisi d’une demande de révision judiciaire concernant notamment l’application de cette règle, dans le jugement Blanchard c. Régie du logement[9], confirmait la décision du tribunal de la Régie du logement qui considérait que la première opportunité appartenait au liquidateur de la succession.
[34] Au sujet de la règle jurisprudentielle de la première opportunité, la Cour du Québec, au jugement dans la cause Burlone c. Remise[10] mentionne :
Ce principe de jurisprudence relatif à la première opportunité est tout à fait logique : comme c’est la gestion inadéquate du défunt qui est en cause, celle-ci doit être soulevée par celui qui reprend la gestion suite au décès. Cette interprétation est logique d’autant plus qu’il faut voir dans le liquidateur de la succession une personnalité autre que celle du défunt. C’est donc au liquidateur de voir à remédier à une gestion antérieure qu’il peut considérer inadéquate.
(le souligné étant ajouté par la soussignée)
[35] Considérant les dispositions légales mentionnées précédemment, le Tribunal estime que la prépondérance de la preuve est à l’effet que les loyers des baux se terminant au 31 juin 2016 ne résultent pas de la mauvaise gestion de feue Marguerite de Chavigny de la Chevrotière et le Tribunal ne peut fixer le loyer selon la valeur de logements comparables.
[36] Il n’y a donc pas lieu d’étudier la question sur le lien familial ni la prépondérance de la preuve quant à la valeur de la valeur des logements comparables.
[37] En conséquence, le loyer sera donc fixé selon les dépenses admissibles en vertu dudit Règlement sur les critères de fixation de loyer[11].
[38] Après calcul, l’ajustement du loyer permis en vertu du Règlement sur les critères de fixation de loyer[12] est de 33,46 $ par mois, s’établissant comme suit :
Taxes municipales et scolaires |
1,44 $ |
Assurances |
26,71 $ |
Gaz |
(0,66 $) |
Électricité |
3,69 $ |
Mazout |
0,00 $ |
Frais d’entretien |
0,00 $ |
Frais de services |
0,00 $ |
Frais de gestion |
0,37 $ |
Réparations majeures, améliorations majeures, mise en place d’un nouveau service |
0,00 $ |
Ajustement du revenu net |
1,91 $
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TOTAL |
33,46 $ |
[39] CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;
[40] CONSIDÉRANT que le loyer au terme du bail ne résulte pas de la mauvaise gestion de feue Marguerite de Chavigny de la Chevrotière;
[41] CONSIDÉRANT que le loyer ne peut donc pas être déterminé en fonction de la valeur de logements comparables;
[42] CONSIDÉRANT qu’il y a lieu de fixer le loyer selon la preuve des dépenses admissibles selon le Règlement sur les critères sur la fixation du loyer[13];
[43] CONSIDÉRANT la preuve prépondérante des dépenses;
[44] CONSIDÉRANT l’absence de preuve justifiant une condamnation du locataire aux frais introductifs de la demande;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[45] FIXE le loyer, après arrondissement au dollar le plus près, à 782,00 $ par mois du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017.
[46] Les autres conditions du bail demeurent inchangées.
[47] La locatrice supporte les frais de la demande.
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Me Nathalie Bousquet, greffière spéciale |
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Présence(s) : |
Me Serge Laflamme, avocat de la locatrice le locataire Me Geeta Narang, avocat du locataire |
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Dates des audiences : |
8 mai 2017 et 19 octobre 2017 |
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[1] RLRQ. Chapitre R-8.1.
[2] RLRQ. Chapitre R-8.1, r.2.
[3] Si le loyer au terme du bail est un loyer de faveur, le tribunal détermine le loyer exigible en considérant celui habituellement payé pour des logements comparables.
[4] Idem.
[5] Me Paul-André Côté, Interprétation des lois, 2e édition, p.475.
[6] Bouchard c Lemay.
[7] Voir note 2.
[8] Valérie Walsh c. Liliane Plasse, R.L. Bureau Laval, 36-030304-009 F, le 30 septembre 2003.
[9] Blanchard c. Régie du logement,
[10] Burlone c. Remise,
[11] Voir note 1.
[12] Idem.
[13] Voir note 2.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
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du plumitif s'avère une précaution utile.