Décision

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Décision

Mathur-Chandra c. Montréal (Office municipal d'habitation de)

2013 QCRDL 17473

31-110921-027G; 31-110921-027G; 31-120131-020G

MAULY MATHUR-CHANDRA c. OFFICE MUNICIPAL D’HABITATION DE MONTRÉAL

25 mars 2013, date de l'audience

14 mai 2013, date de la signature

Jodoin, Francine (Me)

 

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No :

31 110921 027 G

31 120131 020 G

 

 

Date :

14 mai 2013

Régisseure :

Francine Jodoin, juge administratif

 

Mauly Mathur-Chandra

 

Locataire - Partie demanderesse

(31 110921 027 G)

Partie défenderesse

(31 120131 020 G)

c.

OFFICE MUNICIPAL D’HABITATION De Montréal

 

Locateur - Partie défenderesse

(31 110921 027 G)

Partie demanderesse

(31 120131 020 G)

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      La locataire a produit une demande visant l’exécution en nature des obligations du locateur et une réclamation en dommages punitifs pour harcèlement (69 000 $).

[2]      L’enquête et audition de la présente demande a été commune avec une demande en résiliation de bail produite par le locateur[1].

[3]      Les parties sont liées par un bail du 1er novembre 2011 au 31 octobre 2012, à un loyer mensuel de 242 $, lequel fut reconduit jusqu’au 31 octobre 2013, au loyer mensuel de 279 $.

LA DEMANDE DU LOCATEUR

Les faits

[4]      Le locateur requiert la résiliation du bail de la locataire au motif que la locataire trouble la jouissance paisible des autres locataires de l’immeuble.

[5]      Celle-ci occupe un logement de 4 ½ pièces dans un immeuble voué aux familles depuis novembre 2010.

[6]      Monsieur Hosee Jeudi est préposé aux relations avec les locataires. Il relate avoir reçu, en avril 2011, une pétition des locataires de l’immeuble, qui se plaignent du bruit émanant du logement.

[7]      En novembre 2011, des lettres lui sont transmises pour dénoncer cette situation et pour requérir une rencontre avec la locataire qui n’a pu se faire avant le 26 janvier 2012. À cette date, monsieur Jeudi constate que l’enfant de la locataire court sans arrêt dans le corridor du logement. Il lui recommande de mettre un tapis ou d’aller au parc. La locataire refusait d’admettre que cela causait du bruit mais insistait plutôt qu’il s’agissait de bruits normaux. Il constate que l’aire de jeu de l’enfant est située dans le corridor ainsi que dans une autre chambre du logement. La locataire refuse toute collaboration, selon lui.

[8]      En janvier 2013, il a dû faire une nouvelle intervention.

[9]      Monsieur Martin Laganière est patrouilleur de sécurité pour l’Office municipal d’habitation. Il doit intervenir lorsqu’il y a des conflits entre les locataires. Le 15 septembre 2012, il s’est présenté à l’immeuble suite à la réception d’une plainte. Il était allé auparavant sans constater de bruits particuliers. Cette autre journée, il n’a pas entendu de bruits excessifs mais dérangeants. La locataire n’a pas répondu à la porte.

[10]   Le 20 octobre 2012, en après-midi, il se présente, à nouveau, à l’immeuble pour constater, dès le vestibule, une musique excessivement élevée. Plus il se rapproche du logement de la locataire et plus le son de la musique augmente. Il a cogné à la porte sans obtenir de réponse mais en observant que quelqu’un marchait à l’intérieur[2].

[11]   Monsieur Mochingco Chery est, aussi, agent de sécurité. Il est allé au logement le 20 septembre 2012 pour des plaintes de bruits. Il a fait une ronde autour du logement de la locataire et a entendu un enfant danser et crier au son de la musique. Il a cogné à la porte mais la locataire a refusé d’ouvrir. Les bruits étaient excessifs, selon lui.

[12]   Le 23 janvier 2013, il est monté au logement pour constater de la musique très forte et les pleurnichages d’un enfant. Celui-ci criait et dansait au son de la musique. La locataire a refusé d’ouvrir. Il y avait de la musique forte. Deux rapports d’intervention sont produits datant du 20 septembre 2012 et du 23 janvier 2013 (P-10).

[13]   Monsieur Jean-Guy Hébert et Madame Alana Ronald sont tous deux signataires de la pétition du 17 avril 2011 et 1er mai 2012. Entre ces deux dates, il y a des échanges courriels entre madame Ronald et monsieur Jeudi au sujet des bruits constants dans le logement de la locataire.

[14]   Monsieur Jean-Guy Hébert habite l’immeuble depuis 2 ½ ans. Il souligne que le contact avec la locataire est devenu négatif très rapidement. Elle ignore les plaintes au sujet des cris et bruits extrêmes perçus de son logement. Il y a de la musique forte, des chants et des courses dans le logement. Il a perçu, de chez sa voisine madame Ronald, des bruits rythmés sur le plancher. Il a pu constater ces faits entre 2 et 5 fois depuis deux ans. Une seule fois, il a entendu des bruits à 4h30 du matin.

[15]   Madame Alana Harris-Ronald habite sous la locataire. Elle entend des cris, des hurlements, des coups (« banging »), des courses, des objets lancés au sol et de la musique forte, à toutes heures du jour et de la nuit. Cela peut se produire de 4h30 à 7h00 jusqu’à après 11h00. Elle a dû déplacer sa chambre dans le salon. Elle s’est plaint plusieurs fois au locateur, a fait signer une pétition, appelé les policiers et cogné au plafond de la locataire. Celle-ci ignore tous reproches. Elle chante à tue-tête dans le corridor, photographie ses animaux ou lui répond avec arrogance.

[16]   En réponse aux questions de la locataire, elle répond qu’elle ne suit pas de thérapie mentale mais est sujette à des migraines que les bruits excessifs exacerbent. Elle reconnaît, également, que l’insonorisation de l’immeuble est pauvre. Elle a tenté des approches auprès de la locataire qui a refusé toutes tentatives de discussions à l’amiable.

[17]   La locataire réplique qu’elle a un enfant avec des « besoins particuliers ». Elle est atteinte d’un trouble du spectre de l’autisme (« autism spectrum disorder »). Cela provoque des excès de colère intenses, une inhabilité à comprendre les règles ou instructions. Elle a un psychoéducateur et un travailleur social avec le CLSC. Elle ne croyait pas avoir besoin d’autres intervenants lorsque le mandataire du locateur l’a approché. Sa fille fréquente une classe de stimulations le vendredi (10h à 12h) et une garderie familiale cinq jours/semaine (9h30 à 17h). Elle doit, dans une démarche thérapeutique, amplifier ses réactions aux actions de sa fille ou faire des exercices à la maison. La musique fait, également, partie de la thérapie.

[18]   Elle admet que sa fille a des effondrements ou crie mais maintenant son état est beaucoup mieux, dit-elle. Elle est au lit à 20h00 depuis deux mois. La nuit, elle se réveille seulement si les voisins du haut font du bruit.

[19]   La locataire plaide la discrimination fondée sur le handicap de son enfant. Elle ajoute que sa voisine, madame Ronald, a fait preuve d’intolérance et d’agressivité à son égard.

[20]   Monsieur Singh est un ami de la locataire. Il a visité la locataire entre 2 et 5 fois. Il a constaté que l’enfant est difficile à contrôler. Elle court partout, elle crie. La locataire doit parler fort pour se faire comprendre. Elle a mis des caoutchoucs et des tapis au plancher pour amortir les sons. Il affirme que le comportement de l’enfant s’est amélioré. Maintenant, « she’s obeying ». Il soutient que les troubles découlent du manque d’insonorisation de l’immeuble.

Analyse

[21]   L’article 1860 du Code civil du Québec énonce ce qui suit :

« 1860.     Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.

                 Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obliga­tion, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.

                 Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »

[22]   Le Tribunal répondra, d’abord, à l’argument avancé par la locataire à l’effet qu'il serait discriminatoire de résilier son bail car les bruits résultent de l’handicap de sa fille. Dans l’affaire Khorochevskaia c. Pitt[3], la juge administratif, Suzie Ducheine, a eu à trancher une question semblable et rejette les prétentions du locataire. Elle écrit :

« (…) Par conséquent, toute exclusion, préférence ou distinction basée sur l'autisme qui aurait pour effet de compromettre ou de détruire le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance d'un droit ou d'une liberté reconnu par la Charte est discriminatoire et donc proscrite. Par exemple, un locateur qui refuse de conclure un bail avec une personne en raison du fait qu'elle est autiste ou parce qu'elle utilise un moyen pour pallier à un handicap contreviendrait aux dispositions de l'article 10 précité et de l'article 12 de la Charte qui édicte :

« 12. Nul ne peut, par discrimination, refuser de conclure un acte juridique ayant pour objet des biens ou des services ordinairement offerts au public. »

Dans le cas présent, un bail a été valablement conclu pour le logement concerné. La locataire a librement consenti aux obligations prévues au bail et par la loi. Elle demeure assujettie aux obligations qui découlent du bail et ce, même si elle permet l'accès du logement à une personne handicapée. Elle ne peut se dégager de ses obligations du seul fait qu'un de ses enfants est autiste.

(…)

Lorsque les bruits sont excessifs, que d'autres locataires s'en plaignent et s'il subit un préjudice sérieux, le locateur peut demander la résiliation du bail. Le locateur ne fait qu'exercer ses droits et respecter son obligation de procurer la jouissance paisible des lieux aux locataires voisins. Il s'expose à des poursuites judiciaires en résiliation du bail, diminution de loyer, dommages-intérêts, s'il ne réagit pas avec célérité.

D'ailleurs, les droits et libertés reconnus par la Charte ne s'exercent pas de manière absolue dans une société libre et démocratique. À ce sujet, l'article 9.1 de la Charte prévoit que :

« 9.1 Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l'exercice. »

[23]   Le Tribunal adhère entièrement à cette analyse et ne retient pas cet argument de la locataire.

[24]   Quant aux bruits émanant du logement concerné ou de l'occupation des lieux, la preuve prépondérante démontre que les autres locataires de l'immeuble sont troublés sérieusement dans la jouissance paisible des lieux.

[25]   En cette matière, le tribunal ne peut fonder son appréciation sur des considérations subjectives et doit chercher à déterminer si les locataires plaignants vivent une situation qui, par sa répétition, insistance et ampleur, constitue une atteinte grave, excessive ou déraisonnable, justifiant la résiliation du bail. Cette analyse doit se fonder sur des critères objectifs et probants. Ce qui est incommodant pour certains peut ne pas l'être pour d'autres et ainsi, le tribunal est appelé à se prononcer uniquement sur une situation extraordinaire et inhabituelle.

[26]   Bien que la locataire ne soit pas personnellement visée par les reproches adressés (sauf pour un évènement impliquant un chant dans les corridors), elle est tenue responsable des actes commis par les gens qu'elle héberge, selon la loi.

[27]   Les témoignages entendus pour le locateur sont cohérents, probants et crédibles. À cet égard, le tribunal n'a réellement aucun motif de mettre en doute les déclarations des locataires plaignants qui sont toutes concordantes et qui démontrent l'existence de troubles importants causés par les bruits émanant de son logement. Le témoignage des agents patrouilleurs du locateur corrobore aussi les faits.

 « En ce qui concerne le bruit, la preuve fait ressortir que les appelants n'ont causé aucun bruit excessif, tels que cris, chicanes, enfants turbulents, musique trop forte ou volume de télévision ou de radio trop élevé. Au contraire, les intimés reprochent des bruits de portes d'armoires, de chaises déplacées, etc. Or, lorsque l'on accepte de partager sa maison avec des locataires moyennant rémunération, on ne peut s'attendre à vivre de la même façon que dans une maison unifamiliale. »[4]

[28]   Toutefois, lorsque les bruits émanant du logement constituent une source de tracasserie importante pour les autres locataires de l'immeuble et que cela crée pour le locateur un préjudice sérieux, cela peut provoquer la résiliation du bail.

[29]   Madame Ronald a, d’ailleurs, entamé une procédure contre le locateur[5] pour obtenir des dommages pour les troubles subis et qui émanent du logement concerné.

[30]   Il est indéniable que la locataire a beaucoup de difficultés à contrôler son enfant atteint d’un trouble envahissant du développement. Il est vrai qu’elle a accès à tout un réseau sociocommunautaire qui peut lui venir en aide mais qui ne peut empêcher les difficultés comportementales de l’enfant à l’intérieur du logement. Il ne s'agit pas là de bruits normaux. Ils sont excessifs et causent préjudice à d’autres locataires de l’immeuble. Évidemment, l’attitude réservée de la locataire et son refus de s’ouvrir aux autres pour exposer les difficultés qu’elle vit n’a, certes, pas contribué à aplanir les ressentiments ou impatience de ses voisins.

[31]   Dans la décision Lacasse c. Picard[6], il fut décidé :

« Pour réussir en la présente cause, les locateurs doivent établir que les locataires ou une personne dont ils sont responsables ou à qui ils permettent l'accès au logement a eu, au cours d'une certaine période, des comportements et des attitudes qui par leurs répétitions et insistances agacent, excèdent ou importunent gravement les autres locataires du même immeuble, troublant ainsi la jouissance normale des lieux à laquelle ils ont droit. »

[32]   La locataire a fait des efforts réels pour tenter d'amoindrir les bruits et démontre un souci des droits d’autrui. Toutefois, les solutions adoptées sont insuffisantes. Elle a quelques pièces en caoutchouc ou de minces tapis sur les planchers de bois.

[33]   Le tribunal est d'avis qu'il y a lieu de permettre à la locataire de corriger les troubles dans l'avenir puisqu'il appert que depuis quelque temps, une certaine amélioration a été notée. L'article 1973 du Code civil du Québec prévoit :

« 1973.    Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paie­ment du loyer.

                            Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail. »

[34]   Dans les circonstances actuelles du présent dossier, il apparaît opportun, à ce stade-ci, de limiter l'intervention du tribunal à l'émission d'une telle ordonnance. La locataire doit prendre conscience qu'on ne peut agir dans un immeuble à logements multiples qui, de surcroit, n’a pas une insonorisation à toute épreuve, de la même façon qu'on le ferait dans un immeuble unifamilial.

[35]   Le tribunal est d'avis qu'avec un peu d'effort, la locataire peut trouver des solutions utiles et pratiques pour limiter considérablement les dérangements provenant du comportement de son enfant et limiter ainsi les inconvénients subis par les autres locataires.

[36]   La preuve est insuffisante pour établir que tous les dérangements passés sont révolus.

[37]   Il y a, donc, toujours lieu d’émettre une ordonnance pour s’assurer que les voisins ne seront plus troublés déraisonnablement.

[38]   À cet égard, une contravention à une telle ordonnance ne sera considérée que s’il appert que la locataire déroge toujours à son obligation de ne pas troubler la jouissance paisible de ses voisins.

[39]   Elle ne pourra plus faire des exercices de chants à haut volume ou de danse avec sa fille dans le logement ou toute autre forme d’exercices thérapeutiques qui puissent nuire à la quiétude des autres locataires.

[40]   L'auteur Me Pierre-Gabriel Jobin mentionne ce qui suit[7] :

« En matière de louage résidentiel, d'une part, une disposition expresse confère au tribunal le pouvoir discrétionnaire de refuser la résiliation demandée et d'ordonner plutôt l'exécution en nature de l'obligation violée; si, toutefois, le locataire, ensuite, persiste dans son défaut et que le locateur formule une seconde demande de résiliation, elle sera alors accordée automatiquement. Il s'agit d'une sorte d'ultimatum lancé au locataire. »

[41]   On constate, par ailleurs, un certain flottement jurisprudentiel quant à la durée que doit comporter l'ordonnance émise. On peut, cependant, comprendre que celle-ci ne doit pas être illimitée dans le temps, ni imprécise[8].

[42]   Le tribunal considère qu'il y a lieu de rendre une ordonnance d'une durée de 36 mois.

[43]   La preuve soumise justifie l'exécution provisoire de la décision, tel que prévu à l'article 82.1 de la Loi sur la Régie du logement précitée.

LA DEMANDE DE LA LOCATAIRE

Les faits

[44]   En juillet et septembre 2011, la locataire se plaint de sa voisine de l’appartement 2 qui lui fait du harcèlement. Elle lui reproche, de plus, de ne pas tenir ses chats et chiens en laisse dans les espaces communs, ce qui contrevient aux règlements de l’immeuble. Elle se plaint, également, de ne pas avoir de tolérance pour sa fille (alors âgée de deux ans) et de faire intervenir la sécurité et la police constamment.

[45]   Elle ajoute que les animaux peuvent colporter des maladies sérieuses.

[46]   Elle a procédé à des enregistrements sonores des sons émanant de ses voisins du haut.

[47]   Elle ajoute qu’une lumière installée sur le mur extérieur de l’immeuble irradie excessivement dans sa chambre et cela l’empêche de dormir.

[48]   La locataire dit renoncer à sa réclamation monétaire pour harcèlement (69 000 $) mais demande plutôt des ordonnances pour forcer madame Ronald à cesser son harcèlement envers elle (injures, appels aux policiers abusifs, flânage et animaux). Elle souhaite, également, que le locateur réponde à ses demandes personnelles au sujet de madame Ronald et que la lumière extérieure soit enlevée.

[49]   Madame Ronald répond que ses chats sont dégriffés et que les appréhensions de la locataire au sujet des maladies sont sans fondement.

[50]   Monsieur Jeudi affirme qu’au début de l’année 2012, il a reçu les plaintes de la locataire au sujet des animaux sans laisse. Il a fait des interventions auprès de madame Ronald et depuis, la situation est rétablie. D’ailleurs, précise-t-il, les photos de la locataire pour appuyer ce reproche ne montrent pas les animaux dans l’immeuble ou sur le terrain de l’immeuble mais sur la voie publique. Il a écouté tous les enregistrements de la locataire au sujet de ses voisins du haut, mais n’y a pas constaté de bruits excessifs.

[51]   Monsieur Ludovic Scholl est le directeur de l’entretien et des réparations. Il est intervenu suite à la plainte de la locataire au sujet de la lumière éblouissante dont elle se plaint. Il a fait déplacer l’angle d’orientation de celle-ci, de sorte qu’elle n’éclaire pas directement dans la fenêtre de la locataire. La locataire lui a refusé l’accès le 19 août 2012 lorsqu’il a voulu vérifier l’intensité de l’éblouissement à l’intérieur. D’ailleurs, de l’extérieur, il a vu qu’elle avait un rideau à la fenêtre. Comme il s’agit d’une obligation de sécurité, il ne peut déplacer cette lumière, ni la fermer. Elle permet l’éclairage de l’escalier arrière.

Analyse

[52]   Pour obtenir une ordonnance d’exécution en nature, la locataire doit, d’abord, prouver que le locateur contrevient à ses obligations légales ou contractuelles. Quant aux troubles subis en raison des actions des autres locataires de l’immeuble, la preuve doit révéler une série de faits établissant des inconvénients anormaux ou excessifs qui présentent un caractère de persistance ou de répétition; les locataires auteurs du trouble doivent avoir agi de façon illégitime ou fautive; il faut aussi prouver la dénonciation du trouble au locateur et sa persistance par la suite.

[53]   Tel que mentionné précédemment, en cette matière, le tribunal ne peut fonder son appréciation sur des considérations subjectives et doit chercher à déterminer si la locataire plaignante vit une situation qui, par sa répétition, insistance et ampleur, constitue une atteinte justifiant une intervention du tribunal.

[54]   Le Tribunal a demandé à la locataire d’extraire de ses enregistrements les éléments les plus marquants pour une écoute en cours d’audience.

[55]   Cela n’a pas révélé de bruits significatifs ou particuliers. Il y a, à l’occasion, un bruit soudain et spontané d’un objet échappé au sol ou des chaises qui se déplacent, mais sur plusieurs minutes d’écoute, il y a surtout des silences ou des bruits sourds, à peine audibles.

[56]   L’ensemble de la preuve soumise par la locataire au sujet des bruits n’établit aucunement des troubles excessifs ou anormaux.

[57]   Quant aux harcèlements dont elle se plaint, le tribunal ne voit pas davantage, dans la preuve offerte, de signes de conduite stratégique ou planifiée du locateur pour obtenir son départ ou de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux.

[58]   L’article 1902 du Code civil du Québec stipule ce qui suit :

« 1902.    Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouis­sance paisible des lieux ou à obtenir qu'il quitte le logement.

                Le locataire, s'il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs. »

[59]   Dans son article intitulé, « Le harcèlement envers les locataires et l'article 1902 du Code civil du Québec », l'auteur Pierre Pratte définit le harcèlement comme suit :

« De façon générale, le harcèlement suppose une conduite qui, en raison de l'effet dérangeant qu'elle produit avec une certaine continuité dans le temps, est susceptible de créer éventuellement, chez la victime, une pression psychologique suffisante de manière à obtenir le résultat ultimement recherché par l'auteur de cette conduite. Plus spécifiquement, le harcèlement interdit aux termes de l'article 1902 pourrait, à notre avis, être décrit comme suit :

« Une conduite se manifestant par des paroles ou des actes et ayant comme conséquence de restreindre, de façon continue, le droit d'un locataire à la jouissance paisible des lieux ou d'obtenir qu'il quitte le logement. »[9]

[60]   Il ajoute ce qui suit :

« Toute conduite ayant une conséquence de restreindre la jouissance du locataire ne constitue pas nécessairement du harcèlement ; elle doit être une tactique choisie dans la mise en œuvre d'une stratégie plus ou moins planifiée en vue d'atteindre un objectif recherché et son effet immédiat (l'effet dérangeant) doit apparaître comme un objectif intermédiaire ou secondaire. »[10]

(Notre soulignement)

[61]   À cet égard, il fut reconnu que le harcèlement ne peut être apprécié de façon subjective puisque cela reviendrait à qualifier la situation à partir de la perception personnelle de la locataire[11].

[62]   Le tribunal ne croit pas que le locateur ou son mandataire ont fait preuve de harcèlement envers la locataire. La locataire leur reproche de ne pas intervenir auprès des autres locataires lorsqu’elle s’en plaint, mais la preuve révèle plutôt qu’ils sont intervenus lorsque nécessaire. Ils ont, de l’avis de la locataire, été maladroits à quelques reprises dans leurs interventions auprès de celle-ci, mais de telles situations, bien qu'elles puissent être déplorables, ne démontrent pas pour autant une situation de harcèlement, une intention malicieuse ou un abus de pouvoir.

[63]   Cette demande de la locataire est sans fondement légal. Il faut éviter de conclure hâtivement que tous les troubles de jouissance ou conflits pouvant exister entre un locateur et ses locataires ou entre locataires constituent, du seul fait qu'ils existent, une forme de harcèlement. La plupart du temps, ils découlent d'incompréhensions réciproques ou de conflits de personnalité. Les parties sont emmurées dans leur perception personnelle et n'ont pas la distance nécessaire pour apprécier objectivement les faits.

[64]   De même, la preuve soumise est insuffisante pour appuyer les autres reproches formulés par la locataire.

[65]   Le Tribunal ne peut faire droit à la demande de la locataire.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[66]   ORDONNE à la locataire de ne plus faire d’exercices de chant à haut volume ou de danse avec sa fille dans le logement ou tout autre forme d’exercices thérapeutiques qui puissent nuire à la quiétude des autres locataires de l’immeuble;

[67]   ORDONNE l’exécution provisoire de la présente décision;

[68]   CONDAMNE la locataire à payer au locateur les frais judiciaires de 76 $;

[69]   REJETTE la demande du locateur quant au surplus;

[70]   REJETTE la demande de la locataire.

 

 

 

 

 

Francine Jodoin

 

Présence(s) :

la locataire

Me Caroline Chalut, avocate de la locataire

le mandataire du locateur

Me Éric Martineau, avocat du locateur

Date de l’audience :

6 novembre 2012

Présence(s) :

la locataire

le mandataire du locateur

Me Éric Martineau, avocat du locateur

Date de l’audience :  

25 mars 2013

 



[1] Conformément à l’article 57 de la Loi sur la Régie du logement, L.R.Q. c. R-8.1.

[2] Rapport d’intervention, pièce P-8.

[3] R.L. 31-060329-106G, 22 novembre 2006.

[4] Langlais et Gaudreau c. Coulombe et Coulombe, Cour du Québec, District de Gaspé, no. 110-02-000631-831, 14 mars 1984. Voir aussi, Tremblay c. Roy et Bourque, 11-930115-001G, Régie du logement, Me Michel Dubé, 25 août 1993 (JUR 08957).

[5] R.L. 31-0110225-176A.

[6] R.L. Québec, 18-890911-014 G, r. Me Gérald Bernard.

[7] Pierre-Gabriel Jobin, Le louage, 2e édition, Les éditions Yvon Blais inc., Cowansville, 1997, p. 299.

[8] Marcellus c. Rosito, [2010] QCCQ 7901 , (C.Q. 2010-09-16), St-Jérôme (Office municipal d'habitation) c. Charbonneau, [2010] QCCQ 9079 (C.Q. 2010-10-22).

[10] Op.cit. p.3.

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