Bellemare c. Salons funéraires T. Sansregret ltée |
2018 QCRDL 21979 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
385693 31 20180309 G |
No demande : |
2453185 |
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Date : |
28 juin 2018 |
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Régisseure : |
Francine Jodoin, juge administrative |
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Louis Bellemare |
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Locataire - Partie demanderesse |
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c. |
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Salons funéraires T. Sansregret Ltée |
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Locateur - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le locataire s’oppose à un avis de changement d’affectation transmis par le locateur.
[2] Le locateur a-t-il établi qu'il entend réellement changer l’affectation du logement et que la loi le permet?
LES FAITS
[3] Il s’agit d’un bail reconduit du 1er décembre 2017 au 30 novembre 2018 au loyer mensuel de 400 $.
[4] Le logement concerné est situé dans un immeuble comportant une résidence funéraire opérée par le locateur, situé au rez-de-chaussée et 12 logements aux étages supérieurs.
[5] Le 10 mars 2018, le locataire reçoit un avis de changement d’affectation, lequel indique que le logement servira de « bureaux commerciaux » pour le locateur.
[6] Le locateur opère une résidence funéraire et le logement servait, il y a plusieurs années, d’appartement de fonction pour les employés du commerce. Celui-ci contenait un service téléphonique et une sonnette qui permettait de répondre aux gens qui se présentaient à la résidence funéraire en dehors des heures d’ouverture. Il y a, dans un des bureaux de la résidence funéraire, une porte qui mène directement au logement.
[7] Le locataire occupe les lieux depuis plusieurs années. Il a fait des rénovations avec le consentement de l’ancien gestionnaire de l’immeuble et il a, dit-il, éliminé le service téléphonique ainsi que la sonnette qui reliait son domicile à la porte de la résidence funéraire.
[8] Il met en doute les intentions du locateur qui n’aurait pour but, dit-il, que de permettre à la conjointe du nouveau gestionnaire, Stéphane Paquin, d’obtenir un logement à moindre coût.
[9] Cela est nié par ce dernier qui précise que les opérations de la résidence sont déficitaires et il croit que cela est, en partie, relié au fait que les clients qui se présentent à la porte, en dehors des heures de service, ne sont pas répondus.
[10] Il ajoute que l’employée visée aura l’obligation de répondre aux clients qui se présenteront à la porte de la résidence en dehors des heures d’ouverture.
[11] La personne à qui on destine le logement n’est pas présente à l’audience et le Tribunal ne peut ainsi confirmer ses intentions quant à l’occupation du logement concerné. Celle-ci agit présentement comme conseillère aux familles endeuillées. Il ne s’agit pas de sa conjointe, ajoute monsieur Paquin.
[12] Il déclare qu’au départ, trois employés ont été pressentis pour occuper le logement. Malheureusement, l’écoulement du temps a fait en sorte qu’il ne reste plus que madame Trudel en liste.
[13] Auparavant, l’ancienne administration avait abandonné le logement au profit d’une location résidentielle, car le salaire de l’employé qui y habitait était trop élevé.
[14] Monsieur Paquin n’a pas vérifié les installations existantes au logement du locataire, ni la faisabilité de son projet auprès de son arrondissement.
[15] Le locataire ajoute que d’autres logements se sont libérés dans l’immeuble au cours des derniers mois et que chacun d’eux auraient pu répondre aux besoins exprimés. Il ajoute qu’un service téléphonique automatisé assure les opérations en dehors des heures d’ouverture. Il ajoute qu’on veut le voir partir, car son loyer est peu élevé.
[16] Monsieur Paquin répond que bien qu’il ait reçu un avis de non-reconduction par une locataire qui s’était trouvée un emploi à Trois-Rivières, celle-ci a récemment annulé son départ n’ayant pas obtenu l’emploi convoité.
ANALYSE
[17] La loi permet
l’éviction d’un locataire dans le but de changer l’affectation du logement
(article
[18] L’article
1966. Le locataire peut, dans le mois de la réception de l'avis d'éviction, s'adresser au tribunal pour s'opposer à la subdivision, à l'agrandissement ou au changement d'affectation du logement; s'il omet de le faire, il est réputé avoir consenti à quitter les lieux.
S'il y a opposition, il revient au locateur de démontrer qu'il entend réellement subdiviser le logement, l'agrandir ou en changer l'affectation et que la loi le permet. [Notre soulignement]
[19] Comme il s’agit d’une exception au droit au maintien dans les lieux pour le locataire, la jurisprudence s’est faite sévère sur le respect des critères imposés par la loi.
[20] Qu’est-ce donc qu’un changement d’affectation?
[21] Dans l’affaire Bercy c. Deschênes[1], le Tribunal de la Régie du logement énonce :
« Cependant, les dispositions concernant le changement d'affectation doivent être interprétées restrictivement puisqu'il s'agit d'une exception au principe général du droit au maintien dans les lieux du locataire.
Dans l'affaire Louise Anctil et al c. Raman Investments Company (2), la locatrice voulait changer la vocation de l'immeuble et utiliser les logements comme bureau ou appartement-hôtel. Me Pierre Thérien statuait comme suit :
« Un changement d'affectation d'un logement demeure donc possible et ce même si la vocation résidentielle du logement n'est aucunement modifiée. »
Et plus loin à la page 35 :
« ... Toutefois, l'interprétation restrictive de rigueur impose des limites à ce qu'il est possible de considérer comme étant un changement d'affectation. Si le cas de l'immeuble locatif modifié en foyer pour personnes âgées ne pose pas de problème puisqu'un tel changement exige l'obtention d'un permis et demeure soumis à des lois particulières, le présent cas est loin d'être aussi évident, car il n'y a guère de différence entre un logement et un appartement-hôtel si le bail est à long terme et prolongé à son échéance, outre le prix du loyer évidemment.
En conclusion, ce concept d'appartements-hôtel, tel que démontré, ne constitue pas un changement d'affectation des logements au sens de l'article 1660 précité, mais plutôt dans les faits, un moyen original de tenter d'échapper à toutes juridictions et d'accroître les revenus de l'immeuble.
La Régie considère que lorsque la vocation résidentielle subsiste, il ne peut y avoir de changement d'affectation à moins que le logement ne soit plus offert en location ou à moins qu'il ne tombe sous la juridiction d'une loi ou d'une réglementation particulière et que les permis requis ont été obtenus. » [Références omises] [Notre soulignement]
[22] Lorsque l’usage projeté n’est pas de modifier le type de contrat, mais plutôt le type de locataire, il ne saurait y avoir de changement d’affectation. Ce serait le cas, par exemple, d’un locateur qui veut louer dorénavant uniquement à des retraités[2] ou au concierge[3].
[23] Comme il s’agit ici, de maintenir une occupation résidentielle et qu’à tous égards, il appert que la personne à qui le logement est destiné continuera de l’occuper comme locataire, il n’y a pas véritablement de changement d’affectation.
[24] Le mandataire du locateur reconnaît lui-même que la faisabilité n’a pas été vérifiée, car il s’agit d’utiliser le logement à des fins résidentielles.
[25] Ainsi, la preuve a révélé que l’intention quant à l’usage du logement est différente de l’intention annoncée dans l’avis d’éviction transmis au locataire. En effet, il ne s’agit pas de faire des bureaux commerciaux avec le logement du locataire, mais plutôt de permettre à une employée de l’occuper en tant que locataire et ce, même si elle aura des fonctions reliées à son travail.
[26] Dans ce contexte, comme motif additionnel pour retenir l’opposition du locataire, il faut conclure que l’avis est invalide puisqu’il crée une certaine ambiguïté[4] ou imprécision[5] sur la nature du projet du locateur.
[27] Il n’y a pas lieu de prononcer l’exécution provisoire de la présente décision.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[28] DÉCLARE VALIDE l’opposition du locataire;
[29] CONDAMNE le locateur à payer au locataire les frais judiciaires de 84 $.
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Francine Jodoin |
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Présence(s) : |
le locataire le mandataire du locateur |
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Date de l’audience : |
18 juin 2018 |
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[1]
Bercy c. Deschesnes,
[2] Op.cit.
[3]
Trempe c. J. & G. Liberman,
[4]
Bebronne c. Sztorc
[5]
Pierre c. Boulet
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
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