Décision

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Bédard c. Perreault

2017 QCCS 2227

COUR SUPÉRIEURE

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

joliette

 

 

 

No:

705-17-006044-158

 

 

 

DATE:

Le 25 mai 2017

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Sous la présidence de l’honorable DANIEL W. PAYETTE, J.C.S.

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Danielle Bédard

Demanderesse

c.

Manon Perreault

Défenderesse

 

 

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JUGEMENT

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1.            L’aperçu

[1]           Le 17 octobre 2011, Manon Perreault, nouvellement élue à titre de députée fédérale de la circonscription de Montcalm, embauche Danielle Bédard à titre d’adjointe pour une période d’un mois. Satisfaite de ses services, elle l’embauche à nouveau en janvier 2012, mais la congédie au bout de de cinq mois.

[2]           Le 4 avril 2014, environ 2 ans plus tard, des policiers du service de police de la Ville de Mascouche rencontrent Bédard[1] quant à un vol présumé d’objets appartenant à la Chambre des communes que celle-ci aurait commis pendant son emploi auprès de Perreault. Cette dernière formule cette plainte en janvier 2014 et indique alors qu’elle soupçonne Bédard d’en être l’auteure. Après leur rencontre avec Bédard, les policiers concluent leur enquête. Or, plutôt que de déposer des accusations de vol contre celle-ci, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) dépose des accusations de méfait public contre Perreault. Il lui reproche d’avoir fait une fausse déclaration aux policiers avec l’intention de les tromper et de les avoir amenés à entreprendre une enquête contre Bédard alors qu’elle savait que celle-ci n’avait pas commis de vol[2].

[3]           Le 20 mars 2015, le juge Bruno Leclerc, j.c.q. trouve Perreault coupable d’un des chefs d’accusations et déclare que le DPCP a prouvé les deux autres hors de tout doute raisonnable[3].

[4]           Le 3 juillet 2015, il la condamne à une amende de 1000 $, en sus des frais et de la suramende compensatoire, associé à une probation d’une année et de diverses conditions facultatives[4]. Le 25 avril 2017, le juge Stober, de cette cour, rejette l’appel de Perreault sur la culpabilité, mais modifie la peine[5].

[5]           Bédard poursuit Perreault pour atteinte à sa réputation en raison :

1.    de la fausse accusation de vol;

2.    de son maintien de ces accusations à l’occasion de procédures judiciaires, à savoir les procédures criminelles en marge de l’accusation de méfait public portée contre elle et les présentes procédures;

3.    de la médiatisation de cette accusation à laquelle elle se serait livrée, personnellement ou par le biais de personnes de son entourage;

4.    de la médiatisation d’une rumeur selon laquelle Bédard était à la source des accusations contre Perreault.

[6]           Perreault répond qu’elle ignorait que son intervention auprès des policiers entrainerait une enquête contre Bédard. Au contraire, ajoute-t-elle, elle n’en voulait pas.

[7]           Elle nie avoir diffamé Bédard et, plus particulièrement, avoir laissé entendre qu’elle était à la source des accusations de méfaits portées contre elle.

[8]           De plus, elle nie que Bédard ait subi quelque dommage et se pose en victime de toute cette situation. Elle soutient que la procédure contre elle s’avère abusive et réclame le remboursement de ses honoraires extrajudiciaires. Cela dit, au troisième jour de l’audience, elle annonce ne pas avoir de preuve à offrir sur le montant de ces honoraires, sans toutefois se désister de sa demande reconventionnelle.

[9]           Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que Perreault porte intentionnellement atteinte à la réputation de Bédard lorsqu’elle l’accuse de vol, ce qui déclenche une enquête policière, ainsi que lorsqu’elle maintient cette accusation au cours des procédures judiciaires. Par contre, elle n’assume pas la responsabilité de la médiatisation particulière de cette accusation. Comme la preuve qu’offre Bédard de ses dommages s’avère fort limitée, le Tribunal lui accorde la somme de 7 500 $ à titre de dommages moraux et condamne Perreault à des dommages-intérêts punitifs au montant de 10 000 $.

2.            L’analyse : les fautes

[10]        Comme l’indiquent les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore, toute atteinte à la réputation, quelle qu’en soit la forme, constitue une faute qui, si elle entraine un dommage, doit être sanctionnée[6]. La faute s’apprécie à l’aulne de la personne raisonnable[7]. Le Tribunal doit alors d’examiner la conduite de la défenderesse en se plaçant dans la situation d’une personne avisée, diligente, attentive aux droits d’autrui et se demander si cette personne raisonnable aurait agi de la même façon[8].

[11]        En l’espèce, il convient de traiter successivement des fautes que Bédard reproche à Perreault puis, si elles s’avèrent, en tout ou en partie, de déterminer si Bédard démontre qu’elles lui ont causé quelque dommage.

2.1  L’accusation de vol

[12]        Bédard soutient que lorsque Perreault laisse entendre aux policiers qu’elle soupçonne Bédard d’avoir volé les objets manquants à son inventaire, elle le fait de mauvaise foi et dans l’intention de nuire à sa réputation parce que Perreault sait qu’elle ne les a pas volés.

[13]        En plaidoirie, son avocat n’en traite pas. Tout au plus soumet-il quelques commentaires écrits où il reprend la position de sa cliente affirmant qu’elle ne désirait pas d’enquête.

2.1.1        Les faits

[14]        Après l’avoir avisée de son congédiement de vive voix, Perreault le confirme à Bédard par écrit[9]. Dans cette lettre du 14 mai 2012, elle lui demande, notamment, de lui retourner tout bien et tout document du bureau en sa possession ou qu’elle aurait emprunté.

[15]        Bédard lui répond d’abord par une lettre datée du 3 juin. Elle y accuse réception de celle de Perreault puis procède à une narration de la rencontre du 14 mai, vue de sa propre perspective. Elle exprime certaines doléances à l’endroit de Perreault et l’avise qu’elle entreprendra des recours contre elle, dont un grief. Elle conclut en demandant une rencontre pour finaliser quelques questions financières, lui demander de signer un formulaire de remboursement de dépenses et pour lui remettre les objets encore en sa possession. Perreault n’y répond pas.

[16]        Le 4 juin, Bédard la relance par courriel[10]. Elle l’informe avoir communiqué avec l’adjointe de Perreault, Sylvie Daigle, pour fixer une rencontre avec Perreault, mais que la première préfère ne pas se mêler de la situation. Bédard reproche à Perreault de lui formuler des demandes sans se rendre disponible pour qu’elle puisse y répondre. Elle demande à Perreault de lui indiquer ce qu’elle veut et comment elle désire procéder. Perreault ne répond toujours pas.

[17]        De façon contemporaine, Daigle se présente chez Bédard en compagnie de son conjoint. Elle lui ramène certains effets personnels laissés au bureau de comté. Perreault l’a aussi chargé de récupérer des biens en possession de Bédard. Selon Perreault, il s’agirait d’un téléphone BlackBerry et de matériel promotionnel, selon Daigle, il y a aussi une caméra. Daigle témoigne que Bédard l’informe qu’elle verra à retourner les biens à Perreault en bonne et due forme, par le biais de son syndicat. Daigle, qui a déjà dit à Perreault qu’elle se sent inconfortable dans ce rôle et ne veut pas se retrouver entre celle-ci et Bédard[11], n’insiste pas. Elle en informe Perreault à son retour.

[18]        Le 22 août, Bédard écrit une nouvelle lettre à Perreault. Elle y note son silence et l’absence de résolution de ses propres demandes de remboursement. Elle y reproche à Perreault des déclarations fausses et mensongères à son endroit, à savoir de s’être appropriée sans droit certains effets, dont des livres de messages téléphoniques. Perreault ne répond encore pas. Par contre, comme pour les correspondances précédentes, elle la transmet au responsable des ressources humaines de son parti.

[19]        Le 31 mai 2013, Pascal Dubé, agent d’inventaire corporatif à la Chambre des communes, formule une demande d’inventaire annuel des biens de la Chambre en la possession de Perreault. Elle n’y répond pas[12].

[20]        Dubé lui réécrit le 5 juillet, sans plus de succès. Le 10 septembre, il la relance.

[21]        Finalement, le 17 septembre 2013, Perreault y répond. Dans l’inventaire qu’elle fournit, elle indique que 6 biens ont disparu, soit 3 logiciels, 1 micro-ordinateur, 1 disque externe portatif et 1 graveur[13].

[22]        Dubé communique avec elle. Il lui demande des explications sur ces disparitions. Selon lui, Perreault lui fournit des informations au compte-gouttes[14].

[23]        Perreault lui indique soupçonner Bédard de les avoir en sa possession[15]. Elle ajoute être en litige avec celle-ci et refuse de la contacter malgré que Dubé le lui suggère[16]. Pourtant rien ne l’en empêche. Si elle ne désire pas entreprendre la démarche elle-même, elle peut demander à un membre de son personnel ou à l’avocat de son parti, responsable du dossier de grief déposé par Bédard, de s’en occuper. Il faut dire cependant, que Perreault ne veut pas que quelqu’un d’autre se charge de cette question[17]. Devant ce refus et au terme de plusieurs discussions, Dubé informe Perreault qu’il ne lui reste que deux choix : soit elle lui fournit le numéro d’un rapport de police en lien avec ces disparitions, soit elle rembourse la valeur des objets[18].

[24]        Il lui indique qu’étant donné que Perreault signale ces objets comme disparus, il n’a d’autre choix que de considérer le tout comme un vol. Perreault résiste à contacter les services policiers. Elle le fait néanmoins en janvier 2014.

[25]        Le 21 janvier 2014, le sergent Shedly Jetté et l’agent Anthony Gadbois rencontrent Perreault à son bureau de comté. Selon elle, la rencontre dure de 2 à 3 heures.

[26]        Elle leur explique les demandes d’inventaire de Dubé et son constat de la disparition des objets. Elle dit soupçonner Bédard de les avoir pris. Selon le sergent Jetté, Perreault leur indique qu’elle doit porter plainte pour vol[19]. Perreault soutient plutôt informer les policiers qu’elle n’a besoin que d’un numéro de rapport de police pour clore son dossier. Elle préférerait que les policiers ne tiennent pas d’enquête pour éviter qu’ils ne rencontrent ses employés qu’elle désire, dit-elle, épargner. Selon Jetté, c’est plutôt la crainte de problèmes judiciaires avec Bédard qui motive l’inquiétude de Perreault parce que ceux-ci pourraient nuire à sa carrière de députée[20].

[27]        Jetté lui explique alors qu’une enquête s’avère inévitable compte tenu de la nature de sa plainte. Il l’informe que si elle veut aller de l’avant, il doit prendre sa déclaration puis rédiger un rapport d’événement qu’il transmettra ensuite au bureau des enquêtes. Des policiers rencontreront alors les employés visés puisqu’il semble s’agir d’un vol à l’interne[21]. Perreault acquiesce.

[28]        Elle lui fait donc part de sa plainte. Jetté transforme ensuite sa narration en déclaration sous forme de questions-réponses que Perreault signe[22]. Elle y réfère à la disparition d’objets énumérés sur la liste des objets volés[23] où elle affirme que les renseignements qui s’y trouvent sont véridiques et exacts. Elle indique qu’ils seraient disparus entre le 30 mars 2012 et septembre 2013. Lorsque Jetté lui demande si elle a effectué des recherches pour les retrouver elle répond que oui, mais sans succès.

[29]        De plus, lorsque Jetté demande des explications sur le délai de quatre mois depuis la prise d’inventaire avant de rapporter le vol, elle lui répond que c’est parce que le dossier de congédiement de Bédard n’est pas résolu[24]. Devant le juge Leclerc elle témoigne plutôt craindre Bédard et vivre un enfer depuis son congédiement. Pourtant jusqu’à cette date, celle-ci s’est contentée de déposer un grief qui suit son cours normal. Les parties au grief ont d’ailleurs conclu une entente le 29 novembre 2013 confirmant la nullité de son congédiement, bien que la nature de la réparation reste à déterminer[25].

[30]        Jetté lui demande aussi si on a demandé à Bédard de retourner les objets concernés. Perreault fait état de la démarche de Daigle et de la réponse que Bédard lui aurait faite : ça suivra son cours[26].

[31]        Elle ne lui parle pas de sa correspondance de l’été 2012 avec Bédard.

[32]        À l’audience, elle témoigne qu’à ce moment, elle en avait oublié l’existence. Ce n’est qu’avec réticence qu’elle admet les avoir lues à l’époque. Pourtant elle en convient dans son interrogatoire hors cour[27]. Devant le Tribunal, elle se reprend et dit ne pas y avoir apporté une attention particulière.

[33]        La réponse étonne. Si Perreault vit l’enfer depuis le congédiement de Bédard et la craint autant qu’elle le dit, il s’avère difficile de croire qu’elle traite ses correspondances avec désinvolture.

[34]        De surcroît, lorsqu’elle se plaint de ne pas avoir pu donner sa version des faits à l’enquêteuse qui sera responsable de l’enquête sur l’accusation de méfaits, elle ajoute que si elle en avait eu la possibilité, elle lui aurait exhibé un grand cartable qu’elle consacre au dossier de Bédard, où ces lettres se trouvent. Pourquoi alors ne pas y référer Jetté et Gadbois, d’autant que ceux-ci la rencontre dans ses propres locaux et qu’une fois sa déclaration signée, ils procèdent à une visite des lieux?

[35]        Enfin, au terme de la rencontre, Perreault s’engage à transmettre les coordonnées d’employés en poste au moment du vol, dont celles de Bédard[28]. Elle s’exécute. Pourquoi ne pas alors consulter son cartable sur Bédard et leur transmettre l’échange épistolaire avec celle-ci? Pourtant, elle vient de porter les soupçons des policiers sur Bédard et porter plainte pour vol. Elle a l’occasion de vérifier les faits qu’elle leur a dévoilés. Elle ne le fait pas.

[36]        Mais il y a plus.

[37]        En effet, devant le juge Leclerc, Perreault fournit une autre explication pour justifier son défaut de divulguer sa correspondance avec Bédard au sujet des objets. Dans son esprit, dit-elle alors, les objets disparus et ceux discutés à l’été 2012 constituent deux ensembles tout à fait distincts[29]. Les correspondances ne viseraient qu’un téléphone BlackBerry et du matériel promotionnel alors que les objets disparus sont d’une autre nature. Le juge Leclerc ne retient pas sa version, pas plus que le Tribunal.

[38]        À l’audience, Perreault n’opère pas de distinction. Qui plus est, dans sa déclaration aux policiers du 21 janvier 2014, elle ne le fait pas non plus, bien au contraire puisque, quand Jetté la questionne afin de savoir si on a demandé à Bédard de retourner les logiciels que Perreault déclare être volés, elle répond que Daigle l’a fait lors de sa visite auprès de Bédard en juin 2012[30]. Elle relie donc la démarche de Daigle aux objets disparus.

[39]        Le 24 avril, d’autres policiers rencontrent Bédard. Celle-ci leur affirme que Perreault sait qu’elle a des biens du bureau de comté en sa possession et leur exhibe leur échange épistolaire[31]. Elle ajoute ne pas les avoir retournés parce qu’elle désirait recevoir un accusé de réception formel prouvant cette remise, vu qu’elle n’a pas confiance en Perreault. Or, cette dernière n’a pas donné suite à ses demandes en ce sens. Bédard remet les objets en question aux policiers séance tenante[32].

[40]        Les policiers ferment leur dossier en lien avec l’accusation de vol contre Bédard. Par contre, ils poursuivent leur enquête, cette fois pour déterminer si Perreault commet un méfait public lorsqu’elle leur laisse croire que Bédard s’est livrée à un vol[33]. Au terme de leur enquête, ils concluent par l’affirmative. Le 22 mai, ils en avisent Perreault[34]. Le 5 juin, le DPCP dépose des accusations contre elle[35].

[41]        Le procès se tient le 19 décembre. Le juge Leclerc rend sa décision le 20 mars 2015. Le 25 avril 2017, le juge Stober rejette l’appel de Perreault sur la culpabilité. Il conclut ainsi :

[51]       En l’espèce, la correspondance entre l’appelante et Me Bédard démontre clairement que Me Bédard voulait remettre les biens, mais l’appelante ne voulait ni lui parler ni la voir. Me Bédard voulait remettre les biens; toutefois, elle voulait avoir un document, un reçu, de la part de l’appelante, établissant que les items ont été remis en bonne et due forme. Me Bédard voulait éviter des plaintes non fondées en ce qui concerne la remise de ces items dans le contexte d’un conflit avec l’appelante.

[52]       De plus, le fait de ne pas mentionner aux policiers le contexte et la correspondance qu’elle a eue avec Me Bédard démontre l’intention de la part de l’appelante de tromper.[36].

[42]        Comme ces décisions constituent des faits juridiques que nul ne peut ignorer en raison de leur connexité avec l’espèce[37], il en découle une présomption simple de véracité en ce qui concerne l’existence des faits sur laquelle elles sont fondées[38].

[43]        Pour l’essentiel, le juge Leclerc énonce le même contexte que celui établi dans le présent jugement. En outre, il note que, lorsqu’elle rencontre les policiers, Perreault soupçonne déjà Bédard de détenir certains, sinon tous, les objets manquants[39]. Malgré qu’elle affirme que ces biens ont été volés[40], elle sait ou soupçonne Bédard d’en avoir possession depuis son départ et de connaitre les circonstances de leur détention[41].

2.1.2        L’analyse

[44]        Le Tribunal conclut que Perreault commet une faute lorsqu’elle amène les policiers de la Ville de Mascouche à ouvrir une enquête pour vol contre Bédard. La preuve prépondérante établit qu’elle le fait de façon intentionnelle, par négligence ou insouciance téméraire.

[45]        À cet égard, non seulement Perreault ne renverse-t-elle pas la présomption simple de véracité des faits au soutien de la décision du juge Leclerc, voire de celle du juge Stober, mais Bédard établit la faute de Perreault de façon prépondérante devant le Tribunal.

[46]        Lorsqu’après plusieurs rappels, elle complète l’inventaire que Dubé lui réclame, elle note que certains objets manquent à l’appel. Dès lors, elle soupçonne qu’il s’agit des objets que Bédard détient depuis son congédiement. Elle sait aussi alors qu’elle n’a pas donné suite aux offres de celle-ci de les lui remettre lors d’une rencontre.

[47]        Perreault semble lui faire grief de ne pas simplement les lui avoir retournés sans la rencontrer. Bédard rétorque qu’elle veut un accusé de réception en bonne et due forme. La proposition apparait à la fois vraisemblable et raisonnable. Elles sont impliquées dans un litige portant sur le congédiement de Bédard et ont perdu toute confiance l’une envers l’autre. Par ailleurs, lors du départ récent d’une autre employée, Perreault a complété un tel accusé de réception[42].

[48]        Quoi qu’il en soit, elle inscrit à son inventaire que ces objets ont disparu. Cette information ne satisfait pas Dubé, à raison puisqu’il doit savoir ce qu’il en est advenu.

[49]        Perreault plaide que c’est sur l’insistance de Dubé qu’elle se résout à contacter les services policiers. La réponse s’avère courte.

[50]        Lorsqu’elle informe Dubé qu’elle se doute que Bédard détient les objets manquants, Perreault ne lui en explique pas le contexte. Lorsque Dubé lui demande de contacter Bédard, elle s’y refuse sans motif valable. Devant cette impasse, Dubé lui indique qu’il ne lui reste que deux choix : soit elle les paie, soit elle contacte les services policiers pour pouvoir ensuite lui transmettre un numéro de rapport de police, ce qui lui permettra de clore son propre dossier. Plutôt que de mandater quelqu’un de son bureau ou l’avocat de son parti afin de récupérer les biens de Bédard ou encore d’en acquitter le coût, Perreault choisit de contacter les services policiers. Cependant, elle attend quatre mois avant de le faire. Pourquoi ce délai?

[51]        Une première tentative de réponse réside dans la chronologie des événements. Puisque Perreault sait que Bédard détient les objets manquants en raison de sa propre inaction, l’idée de communiquer avec les services policiers pour accuser celle-ci de vol ne semble pas une issue acceptable. Prise dans le grief qui l’oppose à Bédard, à titre de représentante de son parti, l’idée d’admettre ses torts n’apparait pas comme une meilleure solution. D’ailleurs elle ne s’en ouvre pas à Dubé et n’en parlera pas aux policiers.

[52]        À la fin de novembre, son parti et le syndicat qui représente Bédard concluent à la nullité du congédiement de cette dernière. La conséquence probable d’un tel constat consiste en la réintégration de l’employée dans ses fonctions. Or, le témoignage de Perreault ne laisse planer aucune ambiguïté : elle ne veut en aucun cas renouer contact avec Bédard. Moins de deux mois plus tard, elle contacte les services policiers.

[53]        Un second élément de réponse réside dans l’affirmation de Perreault elle-même qui dit résister à l’idée de contacter les services policiers par crainte de la réaction de Bédard. Pourtant, elle maintient qu’elle ne désire qu’obtenir un numéro de dossier. Pourquoi alors craindre une réaction de Bédard si sa démarche ne se veut qu’administrative? La réponse s’impose : Perreault sait fort bien qu’en imputant à Bédard le vol des objets manquants, les policiers amorceront une enquête qui les amènera, nécessairement, à en informer, voire à rencontrer, Bédard.

[54]        L’atermoiement de Perreault s’explique logiquement par le fait qu’elle se sait prise entre deux feux : soit retirer ses propos à l’égard de Bédard et perdre la face, soit persister et commettre une faute à l’égard de cette dernière.

[55]        Quoi qu’il en soit, elle choisit de communiquer avec le service de police de la Ville de Mascouche en janvier 2014. Il est vrai que lors de sa rencontre du 21 janvier, Perreault exprime des réticences à l’idée qu’on entreprenne une enquête sur ses accusations. Cependant, informée que les policiers devront en tenir une si elle maintient ses allégations, elle poursuit sa démarche.

[56]        Or, à ce moment, elle sait que :

§  sa déclaration mènera à une enquête pour vol contre Bédard; et

§  celle-ci n’a pas volé les objets manquants.

[57]        Sachant cela, Perreault peut décider de laisser tomber sa démarche auprès des policiers. En fait, elle le doit. Pourtant, elle choisit de persister. Elle commet alors sciemment une faute.

[58]        Non seulement pose-t-elle, en toute connaissance de cause, un geste diffamatoire, mais elle fait preuve de réticences en omettant d’expliquer les raisons pour lesquelles Bédard détient toujours les objets manquants. Ce faisant elle ne peut ignorer les conséquences logiques qui découleront de ses gestes. Qui plus est, malgré qu’elle en ait encore le temps et l’opportunité, elle ne corrige pas sa version lorsqu’elle transmet, notamment, les coordonnées de Bédard aux policiers[43]. Ainsi, elle commet intentionnellement des fautes qui engagent sa responsabilité.

2.2  Le maintien de l’accusation de vol contre Bédard lors des procédures judiciaires

2.2.1        Les faits

[59]        Parmi les moyens de défense qu’elle fait valoir devant le juge Leclerc, Perreault soutient que, même en tenant compte de la véritable trame factuelle, Bédard commet un vol des objets concernés parce qu’elle refuse ou omet de les lui remettre. Elle se fonde alors sur un article peu ou pas utilisé (du Code criminel) depuis son adoption[44], en l’occurrence, l’article 337. Le juge Leclerc conclut qu’aucune preuve n’a établi que madame Perreault connaissait cet article si peu usité[45]. Le juge poursuit son analyse et en arrive à la conclusion que Perreault a fait défaut de donner suite aux demandes de rencontre de Bédard pour lui remettre les objets en sa possession de façon ordonnée[46]. Ainsi, Bédard n’a ni omis ni refusé de remettre ces objets[47].

[60]        Le 17 avril 2015, Perreault inscrit le jugement du juge Leclerc en appel[48] et maintient toujours que Bédard a volé les objets en question[49].

[61]        À l’audience elle se veut plus nuancée, même si elle blâme Bédard pour toutes les conséquences de ses propres gestes. Elle soutient que celle-ci n’a de cesse de lui nuire par méchanceté. Ainsi, elle lui reproche son grief, où Bédard a gain de cause, et de l’avoir obligé à déclarer les biens disparus parce qu’elle ne les lui avait pas remis[50]. Cela l’a contraint de s’adresser aux services policiers. Cela dit, elle ne va pas plus loin.

[62]        La preuve mène le Tribunal à la même conclusion que le juge Leclerc. À cet égard, Perreault ne peut se retrancher derrière le fait que Bédard insistait pour avoir un reçu pour le retour des objets, exprimé à l’audience devant le juge Leclerc puis devant le Tribunal, pour soutenir qu’elle lui imposait donc une condition. En effet, Perreault ignorait tout de cette demande. Tout ce que lui exprime alors Bédard est son désir de la rencontrer pour les lui remettre de façon ordonnée. Perreault ne pouvait conclure de cette seule demande, au demeurant légitime, que Bédard refusait de lui rendre les objets, d’autant qu’elle aurait pu, elle-même, demander que cette question soit réglée à l’occasion du grief formulé par Bédard. Le problème de la remise des objets s’inscrivait dans le cadre de relations de travail, pas dans celui d’un vol.

2.2.2        La conclusion

[63]        Comme elle sait que Bédard n’a pas volé les objets concernés, le maintien de son accusation dans le cadre des procédures judiciaires publiques constitue une faute.

2.3  La médiatisation de l’accusation de vol

[64]        En soi, l’accusation de vol formulée par Perreault à l’endroit de Bédard ne fait pas l’objet d’une médiatisation autonome. Seuls les policiers, les parties et leur famille ainsi que Daigle en ont connaissance. Par contre, les accusations de méfait contre Perreault par la suite le sont, d’abord dans les médias traditionnels, puis sur Facebook.

2.3.1        Les médias traditionnels

[65]        Les parties soumettent peu de preuve quant à la médiatisation des faits en litige dans les médias traditionnels[51]. Bédard et Perreault témoignent de l’existence de reportages télévisés, mais la preuve n’en établit pas la teneur.

[66]        Par ailleurs, Perreault ne peut être tenue responsable de cette couverture médiatique. En fait, la plupart des articles produits font état des accusations contre elle, ce qui ne l’avantage pas[52]. Certes, des journalistes mentionnent aussi l’accusation de vol en toile de fond, mais leur facture amène le lecteur à percevoir Bédard dans le rôle de la victime. Aussi, certains reportages résultent d’interventions de Bédard elle-même[53]. Elle ne peut donc les imputer à une faute de la part de Perreault.

[67]        D’autres articles sont défavorables à l’endroit de Bédard. Ils proviennent de la même personne, Gilles Dubé, journaliste indépendant, qui publie sur son propre médium, la Plume Libre Montcalm.

[68]        Gilles Dubé est un adversaire politique de Bédard. Les deux ne s’apprécient guère. Ils ne s’en cachent pas devant la Cour. Le moins que l’on puisse dire est que Dubé n’est absolument pas objectif quand vient le temps de parler ou d’écrire sur Bédard. Ainsi, ses articles traitant des procédures judiciaires contre Perreault contiennent de nombreux propos désobligeants à l’endroit de celle-là. Cependant, rien ne permet de les attribuer à Perreault, malgré l’amitié qui les lie.


[69]        Par contre, dans un de ces articles, Perreault commente ses difficultés judiciaires et dit : Malheureusement, il est dommage qu’une intention malveillante ou une simple rumeur puisse nuire considérablement à la réputation des gens[54]. Le citoyen ordinaire au courant des faits ne peut qu’en conclure qu’elle réfère à Bédard.

[70]        Par ailleurs, certains articles traitent de la position adoptée par Perreault devant le juge Leclerc voulant que Bédard se soit effectivement livrée à un vol, augmentant la publicité accordée à cette prétention[55]. Cela dit, ils apparaissent dans la Plume Libre Montcalm et dans l’Express Montcalm, deux médias locaux dont la preuve ne révèle ni le lectorat, ni l’ampleur de leur diffusion.

[71]        Au final, le Tribunal conclut que l’accusation de vol contre Bédard a fait l’objet de peu de diffusion, que celle-ci porte peu atteinte à sa réputation et que Perreault n’en assume qu’une faible responsabilité qui découle en bonne partie du fait qu’elle maintienne sa position qu’elle sait, ou devrait savoir, être fausse.

2.3.2        Facebook

[72]        Il ne s’avère pas utile d’épiloguer longuement sur cet aspect du litige.

[73]        Valérie Perreault est la nièce de Perreault. Elle considère celle-ci comme sa deuxième mère.

[74]        Le 7 juin 2014, elle décide de créer une page Facebook en soutien à sa tante qu’elle intitule : Nous avons confiance en toi - Manon Perreault[56]. Valérie[57] en est alors la seule administratrice. Elle n’en avise pas sa tante d’emblée, désirant lui réserver la surprise de messages positifs.

[75]        Rapidement toutefois, Valérie y reçoit des messages qu’elle qualifie de haineux, principalement à l’endroit de sa tante. Elle l’en avise. Elle retire aussi certains messages et bloque certaines adresses.

[76]        Le 25 juin, Valérie reçoit une mise en demeure de l’avocate de Bédard. Celle-ci lui reproche d’avoir accepté de publier des messages diffamatoires à son endroit sur cette page Facebook[58]. Elle s’en ouvre à sa tante et, selon toute vraisemblance, lui accorde alors des pouvoirs d’administratrice sur cette page. De plus, elle retire sans délai les messages visés par la mise en demeure et, quelques jours plus tard, ferme la page Facebook.

[77]        La preuve ne permet pas d’attribuer quelque responsabilité à Perreault en raison de commentaires publiés sur la page Facebook créée par sa nièce. D’ailleurs, force est de constater que, de façon contemporaine, Bédard ne lui en impute pas puisqu’elle n’interpelle que Valérie à ce sujet.

2.4  La médiatisation de la source de la plainte de méfait

[78]        La preuve ne permet pas d’attribuer quelque responsabilité que ce soit à Perreault pour le fait que certains médias laissent entendre que la plainte de méfait contre elle provenait de Bédard[59]. D’ailleurs, au moment de cette diffusion, Bédard elle-même attribue cette affirmation à Gilles Dubé[60].

3.            L’analyse : les dommages

3.1  Les dommages moraux

3.1.1        Le droit

[79]        Dans une décision récente, Bonneau c. RNC Média inc.[61], la Cour d’appel rappelle les principes applicables à l’attribution de dommages moraux dans le cadre d’une action pour atteinte à la réputation. Elle souligne que l’existence du préjudice s’établit en fonction du critère du citoyen ordinaire[62]. Elle ajoute que l’évaluation des dommages moraux ne constitue pas une tâche aisée et confirme que les tribunaux peuvent s’inspirer de précédents en semblable matière bien que chaque cas constitue un cas d’espèce[63].

[80]        Elle cite la récente décision FTQ-Construction c. Lepage qui indique que l’attribution de dommages moraux doit refléter la gravité de l’atteinte objective, qui dépend en partie de celle de la faute, mais aussi des conséquences concrètes qui en découlent et dépendent de leur côté d’une variété de facteurs propres à la victime.[64].

[81]        Elle réfère ensuite aux auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore qui établissent une liste des éléments que le Tribunal peut considérer pour en faire l’évaluation[65]. Il s’agit des critères qui suivent :


§  la gravité de l’acte;

§  l’intention de son auteur;

§  l’ampleur de la diffusion de la diffamation;

§  l’ampleur des dommages en fonction du milieu où la diffusion se produit;

§  la condition des parties;

§  la portée de l’acte sur la victime et son entourage;

§  la répétition de propos diffamatoires par leur auteur;

§  la récidive;

§  la durée de l’atteinte;

§  la permanence ou le caractère éphémère des effets;

§  les facteurs liés à la personne de la victime, dont :

-  la fonction qu’elle occupe;

-  l’importance de l’intégrité professionnelle dans cette fonction;

-  sa réputation préalable;

-  sa condition;

§  la présence ou l’absence d’excuses ou de rétraction.

3.1.2        La discussion

[82]        Bédard réclame 50 000 $ à titre de dommages moraux, en raison de l’atteinte à sa réputation découlant de l’accusation de vol formulée par Perreault. Sa réclamation repose sur son seul témoignage. En effet, malgré qu’ils aient été présents lors de l’audience, les membres de sa famille n’en témoignent pas. Elle ne soumet aucune preuve pour établir dans quelle mesure sa réputation s’en trouve entachée.

[83]        Elle soutient souffrir d’un syndrome de stress post-traumatique depuis plusieurs années, que ces événements auraient aggravés. Elle témoigne d’insomnies, d’anxiété et de sautes d’humeur. Son diabète en serait aggravé. Cependant, elle ne dépose aucune preuve d’ordre médicale pour étayer ses affirmations.

[84]        Cela ne signifie pas pour autant qu’elle ne démontre pas avoir subi des dommages moraux.

[85]        L’acte de Perreault revêt une gravité certaine. Lorsqu’elle formule sa plainte, elle occupe la fonction de députée à la Chambre des communes. Il s’agit d’un poste d’une importance capitale en démocratie, qui entraîne pour ceux et celles qui l’occupent une responsabilité accrue et une conduite empreinte d’une grande probité. L’accusation qu’une députée porte contre un citoyen ou une citoyenne possède une portée plus importante qu’une même plainte formulée par un citoyen qui ne possède pas de fonctions de représentations particulières.

[86]        De plus, Bédard est avocate. Ce titre, obtenu après un retour aux études, lui importe même si elle ne reçoit plus de mandat contre rémunération depuis plusieurs années. Sa réputation à titre d’avocate constitue un atout important pour elle, comme pour tout avocat[66]. Se savoir l’objet d’une accusation de vol l’ébranle clairement.

[87]        Cela dit, le Tribunal ne retient pas son témoignage à savoir qu’elle ne l’apprend que lorsque les policiers la rencontrent le 21 avril 2014. En effet, ceux-ci rencontrent Daigle le 19 mars précédent. Cette dernière témoigne qu’il n’est pas encore évident que Bédard soit accusée du vol. C’est peut-être le cas, mais Daigle comprend que Bédard y est au moins associée. En effet, elle informe d’emblée les policiers qui la rencontrent du conflit de travail qui les oppose à Perreault et se porte à la défense de Bédard[67]. Le soir même, elle se rend chez celle-ci, à qui elle s’est alliée dans leurs démarches de contestation de leur congédiement respectif, Daigle ayant été congédiée quelque temps après Bédard. Tenant compte de son attitude à l’audience, le Tribunal se refuse d’accepter que Daigle n’informe pas alors Bédard de la teneur de sa rencontre avec les policiers.

[88]        Daigle les rencontre à nouveau le 25 mars. Encore une fois, elle parle du conflit les opposant à Perreault et prend la défense de Bédard. Le Tribunal n’éprouve aucune hésitation à conclure qu’elle en avise Bédard peu après.

[89]        Ainsi, lorsqu’elle rencontre les policiers le 4 avril, Bédard connait déjà l’objet de leur visite et a pu s’y préparer.

[90]        Il ne faut pas déduire de ce qui précède, comme le laisse entendre Perreault, que l’accusation de vol laisse Bédard indifférente. Cependant, cela atténue l’effet de surprise dont elle témoigne.

[91]        Par ailleurs, il convient de tenir compte de la personnalité de Bédard, non pas pour lui attribuer quelque part de blâme, mais pour évaluer les dommages moraux qu’elle a subis.

[92]        Or, la preuve ne permet pas de conclure que Bédard est une personne fragile, placide et impassible comme elle le laisse entendre. Au contraire, le Tribunal retient que Bédard se révèle une personne combative, voire pugnace. Elle ne craint pas le débat public. Non seulement se présente-t-elle à deux reprises à l’élection pour la mairie de son village, mais elle participe régulièrement aux réunions de son conseil municipal pour y poser des questions d’ordre politique. Elle n’hésite pas à faire valoir ses droits en justice quand elle le croit nécessaire, comme en témoigne sa réaction à son congédiement ainsi que d’autres litiges qu’elle entreprend, souvent avec succès[68]. Certes, l’accusation de Perreault l’affecte, mais elle s’avère en mesure d’y réagir rapidement et froidement. Les commentaires qu’elle publie sur sa propre page Facebook le confirment[69].

[93]        Par ailleurs, l’accusation à son endroit fait l’objet de peu de diffusion en elle-même. Ce n’est qu’à l’occasion de la médiatisation des accusations contre Perreault qu’elle fait l’objet d’une plus large diffusion qu’aux seuls initiés à la situation. Cependant, Bédard se voit dépeinte comme la victime de Perreault. Sa réputation ne s’en trouve pas affectée outre mesure.

[94]        Par contre, cette atteinte perdure en raison de la position adoptée par Perreault devant les tribunaux. Encore une fois, la diffusion de sa position demeure limitée, mais elle existe néanmoins.

[95]        Enfin, Perreault n’offre ni excuses, ni rétractation. Au contraire, elle persiste et se pose en unique victime de la situation.

[96]        Ainsi, considérant la preuve lacunaire présentée et pondérant l’ensemble des facteurs, le Tribunal évalue les dommages moraux de Bédard à la somme de 7 500 $.

3.2  Les dommages-intérêts punitifs

3.2.1        Le droit

[97]        L’article 1621 C.c.Q., stipule que lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive. Il poursuit en énumérant divers facteurs dont le Tribunal peut tenir compte, notamment :

§  la gravité de la faute;

§  la situation patrimoniale du débiteur;

§  l’étendue de la réparation à laquelle il est tenu.

[98]        En l’espèce, les articles 4 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne trouvent application[70]. Le premier édicte le droit de toute personne à la sauvegarde de sa réputation alors que le second prévoit qu’en cas d’atteinte illicite et intentionnelle à ce droit, notamment, le tribunal peut condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

3.2.2        La discussion

[99]        Le Tribunal conclut à l’atteinte intentionnelle à la réputation de Bédard par Perreault.

[100]     Celle-ci plaide avoir beaucoup souffert de cette faute. Elle a été exclue du caucus de son parti, n’a pas été réélue, ne travaille pas et a vu sa réputation entachée. Elle a été déclarée coupable de méfait public et reçut sa peine, une absolution inconditionnelle. Il convient d’en tenir compte.

[101]     Cela dit, il n’appert pas que ces conséquences aient eu un réel effet dissuasif sur elle. Elle a continué à soutenir que Bédard a véritablement commis un vol. Elle ne lui reconnait aucun préjudice de son accusation mensongère. Elle n’éprouve ni n’exprime aucun remords.

[102]     Par contre, les dommages subis par Bédard sont limités. Aussi, Perreault ne possède pas un patrimoine significatif. Elle subit encore les conséquences de ses pertes.

[103]     En l’espèce, le Tribunal conclut que des dommages-intérêts punitifs de 10 000 $ s’avèrent raisonnables pour atteindre leur objectif de dénonciation et de dissuasion.

4.            La demande reconventionnelle

[104]     La demande reconventionnelle de Perreault s’avère infondée. Non seulement ne présente-t-elle aucune preuve de ses dommages, mais l’action de Bédard contre elle ne s’avère ni frivole, ni téméraire.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[105]     ACCUEILLE la demande, en partie;

[106]     CONDAMNE Manon Perreault à verser la somme de 7 500 $ à Danielle Bédard à titre de dommages moraux;

[107]     CONDAMNE Manon Perreault à verser la somme de 10 000 $ à Danielle Bédard à titre de dommages-intérêts punitifs;

[108]     LE TOUT avec intérêts et indemnité additionnelle calculés depuis l’assignation pour les dommages moraux et depuis le jugement pour les dommages punitifs;

[109]     AVEC les frais de justice;

[110]     REJETTE la demande reconventionnelle;

[111]     AVEC les frais de justice.

 

 

 

__________________________________

DANIEL W. PAYETTE, J.C.S.

 

Me Natale Screnci

Hamon Screnci

Avocat de la demanderesse

 

Me Jean-François Demers

Joli-Cœur Lacasse

Avocat de la défendresse

 

Date d'audience :

16, 17 et 18 janvier 2017

 



[1]     L’utilisation des seuls noms de famille dans le présent jugement a pour but d’alléger le texte et l’on voudra bien n’y voir aucune discourtoisie à l’égard des personnes concernées.

[2]     C.cr., art. 140(1) c) (2) b); 140(1) b) (2) b); 140(1) a) (2) b; voir pièce D-4.

[3]     Pièce P-1.

[4]     Pièce P-5.

[5]     Le 26 avril 2017, Bédard demande la réouverture des débats aux seules fins de déposer le jugement du juge Stober rendu dans le dossier 705-36-000666-154 comme pièce P-15. Le 19 mai, Perreault informe le Tribunal qu’elle ne conteste pas cette demande. Le Tribunal l’accueille donc.

[6]     Jean-Louis BAUDOIN, Patrice DESLAURIERS, Benoît MOORE, « La faute et certains droits fondamentaux - Droit à la réputation » dans La responsabilité civile - Principes généraux, vol. 1, 8e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, no 1-295.

[7]     Id., no 1-301.

[8]     Id.

[9]     Pièce D-1.

[10]    Pièce D-7.

[11]    Pièce P-12.

[12]    Pièce P-6 : Témoignage de Pascal Dubé lors de l’audience du 19 décembre 2014 devant Leclerc, j.c.q., p. 179-181.

[13]    Id., p. 182-185.

[14]    Admissions quant à la teneur du témoignage de Pascal Dubé.

[15]    Pièce P-6 : Témoignage de Pascal Dubé lors de l’audience du 19 décembre 2014 devant Leclerc, j.c.q., p. 185-186.

[16]    Id., p. 187; voir aussi les admissions quant à la teneur du témoignage de Pascal Dubé, courriel de Dubé du 4 juin 2014, p. 10.

[17]    Admissions quant à la teneur du témoignage de Pascal Dubé.

[18]    Pièce P-6 : Témoignage de Pascal Dubé lors de l’audience du 19 décembre 2014 devant Leclerc, j.c.q., p. 188.

[19]    Voir pièce P-10 : déclaration du 8 mai 2014 du sergent Jetté, p. 201.

[20]    Pièce P-10 : déclaration du 8 mai 2014 du sergent Jetté, p. 202-203, 216-219.

[21]    Id., p. 202-203.

[22]    Pièce P-11.

[23]    Pièce P-6.

[24]    Voir aussi pièce P-10 : narration de l’agent Gadbois du 21-01-2014.

[25]    Pièce D-15, p. 2.

[26]    Id.; pièce P-10 : déclaration du 8 mai 2014 du sergent Jetté, p. 208, 214.

[27]    Interrogatoire de Manon Perreault, p. 22.

[28]    Pièce P-10 : narration de l’agent Gadbois du 21-01-2014.

[29]    Pièce P-1, par. 100-109.

[30]    Pièce P-11, p. 3.

[31]    Pièce D-13.

[32]    Pièce P-10, p. 12.

[33]    Id., p. 8-9.

[34]    Id., p. 9.

[35]    Id., p. 2.

[36]    Pièce P-15.

[37]    Val Bélair (Ville de) c. Jean (C.A., 2002-12-02), J.E. 2003-111, par. 50-51.

[38]    Léo Ducharme, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Éditions Wilson et Lafleur, 2005, par. 584.

[39]    Pièce P-1, par. 17, 46.

[40]    Pièce P-6.

[41]    Pièce P-1, par. 47-48.

[42]    Pièce P-13.

[43]    Pièce P-10, p. 11.

[44]    Jugement du juge Leclerc, j.c.q., pièce P-1, par. 78.

[45]    Id.

[46]    Id., par. 81.

[47]    Id., par. 82-94.

[48]    Pièce D-4.

[49]    Id., par. 5.1 c), 5.2 a) c) d).

[50]    Voir aussi interrogatoire de Manon Perreault, p. 96-97.

[51]    Pièces P-3, P-4, D-2.

[52]    Voir pièce D-2, articles 2, 3 et 4.

[53]    Id., article 9; article 8, article 7, article 10, articles 1 et 2.

[54]    Pièce P-3, p. 5, notre soulignement.

[55]    Pièce P-3, p. 78 et p. 10-11; pièce D-2, article 5.

[56]    Pièce P-2.

[57]    L’utilisation des seuls prénoms dans le présent jugement a pour but d’alléger le texte et l’on voudra bien n’y voir aucune discourtoisie à l’égard des personnes concernées.

[58]    Pièce D-11.

[59]    Pièce P-4, p. 1.

[60]    Pièce D-11.

[61]    2017 QCCA 11.

[62]    Id., par. 68.

[63]    Id. par. 69-70.

[64]    2016 QCCA 1375, par. 103-104, demande de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 20-04-2017.

[65]    Jean-Louis BAUDOIN, Patrice DESLAURIERS, Benoît MOORE, « La faute et certains droits fondamentaux - Droit à la réputation » dans La responsabilité civile - Principes généraux, vol. 1, 8e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 600-609, par. 1-611.

[66]    Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 118.

[67]    Pièce P-10, p. 11.

[68]    Pièces D-18, P-13.

[69]    Pièce D-3; voir aussi pièce D-9.

[70]    RLRQ, c. C-12.

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