Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Gabarit EDJ

D'Amico c. Québec (Procureure générale)

2015 QCCS 5556

JP 1736

 
 COUR SUPÉRIEURE

division de pratique

CANADA

PROVINCE DE QUEBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

No:

500-17-082567-143

 

 

 

DATE:

1er décembre 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MICHEL A. PINSONNAULT, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

MADAME LISA D’AMICO

et

DOCTEUR PAUL J. SABA

Demandeurs

c.

 

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

Défenderesse

et

 

PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

et

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Mis en cause

et

ALLIANCE DES CHRÉTIENS EN DROIT

et

EUTHANASIA PREVENTION COALITION

Intervenantes

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT RECTIFIÉ SUR REQUÊTE EN INJONCTION PROVISOIRE

______________________________________________________________________

 

[1]           Le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois a prĂ©vu que la Loi concernant les soins de fin de vie[1] (la « Loi Â»), sanctionnĂ©e le 10 juin 2014, entre en vigueur le 10 dĂ©cembre 2015[2].

[2]           MalgrĂ© le consensus manifestĂ© par les membres de l’AssemblĂ©e nationale lors de l’adoption de la Loi, le 5 juin 2015, la notion de l’euthanasie d’un ĂȘtre humain, maintenant plus connue au QuĂ©bec sous l’euphĂ©misme d’Aide mĂ©dicale Ă  mourir,  a suscitĂ© un important dĂ©bat de sociĂ©tĂ© avant son adoption et force est de constater qu’elle suscite toujours un certain dĂ©bat Ă  l’approche de l’entrĂ©e en vigueur de la Loi.

[3]           Le Tribunal note que la Loi a Ă©tĂ© adoptĂ©e Ă  la suite d’un processus de consultation initiĂ© par les membres de l’AssemblĂ©e nationale qui, le 4 dĂ©cembre 2009, ont votĂ© unanimement en faveur de la crĂ©ation d’une Commission spĂ©ciale dont le mandat Ă©tait d’étudier la question de mourir dans la dignitĂ©. AprĂšs une vaste consultation publique, le ComitĂ© spĂ©cial sur la question de mourir dans la dignitĂ© a produit son rapport en mars 2012 (P-5).

[4]           À l’approche de son entrĂ©e en vigueur, cette Loi, controversĂ©e dans l’esprit de plusieurs citoyens, continue de susciter des interrogations sur la validitĂ© et la lĂ©galitĂ© de ses articles 26 Ă  32, lesquels donnent ouverture Ă  l’établissement de l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir au QuĂ©bec Ă  compter du 10 dĂ©cembre 2015.

[5]           Les demandeurs, Madame Lisa D’Amico (« D’Amico[3] Â») et Docteur Paul J. Saba (« Saba Â»), ont dĂ©posĂ© une RequĂȘte introductive d’instance en jugement dĂ©claratoire, en demande de nullitĂ© et en injonction provisoire, interlocutoire et permanente (la « RequĂȘte en jugement dĂ©claratoire Â»). contre la Procureure gĂ©nĂ©rale du QuĂ©bec (la « PGQ Â»), tout en ayant mis en cause la Procureure gĂ©nĂ©rale du Canada (la « PGC Â»).

[6]           Sont intervenues aux prĂ©sentes procĂ©dures l’Alliance des chrĂ©tiens en droit (l’« Alliance Â») et Euthanasia Prevention Coalition (la « Coalition Â»).

[7]           Aux termes de la RequĂȘte en jugement dĂ©claratoire, les demandeurs demandent essentiellement que le Tribunal dĂ©clare :

-             que l’euthanasie humaine, autrement appelĂ©e Aide mĂ©dicale Ă  mourir, ne constitue pas un soin mĂ©dical, ni un soin de santĂ©;

-             que la lĂ©galisation de l’euthanasie humaine, autrement appelĂ©e Aide mĂ©dicale Ă  mourir, est contraire au droit quĂ©bĂ©cois et contraire Ă  la dĂ©ontologie mĂ©dicale;

-             qu’elle est contraire Ă  la Loi sur la santĂ© (Canada);

-             que les dispositions de la Loi visant Ă  lĂ©galiser l’euthanasie humaine, sous le vocable de l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir, sont fonciĂšrement contraires aux droits fondamentaux garantis de la personne, protĂ©gĂ©s par la Charte quĂ©bĂ©coise des droits et libertĂ©s de la personne, ainsi que par toutes les Lois canadiennes et quĂ©bĂ©coises pertinentes et, par consĂ©quent, elles devraient ĂȘtre dĂ©clarĂ©es invalides et inconstitutionnelles;

-             qu’il est impossible de dĂ©terminer en droit ce qu’est la « fin de vie Â», telle que dĂ©signĂ©e dans la Loi; et

-             qu’il est impossible et sera impossible de constater au QuĂ©bec :

·     un consentement libre et Ă©clairĂ© des patients, qu’ils soient vulnĂ©rables, handicapĂ©s ou en fin de vie, concernĂ©s par l’euthanasie, et ce :

§  tant et aussi longtemps que les soins appropriĂ©s et nĂ©cessaires Ă  leur Ă©tat de santĂ©, y compris un accĂšs large aux soins palliatifs, ne seront pas accessibles Ă  toute personne qui en a besoin, notamment pour apaiser les souffrances, en respectant ainsi les principes canadiens d’accessibilitĂ© universelle du systĂšme de santĂ©;

§  que les patients privĂ©s des soins appropriĂ©s et nĂ©cessaires, y compris des soins palliatifs Ă©ventuellement indiquĂ©s, ne peuvent pas donner un consentement libre et Ă©clairĂ© Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir; et

§  qu’il est impossible de confier la vĂ©rification des conditions de l’euthanasie et le geste lĂ©tal aux seuls mĂ©decins, en violation de leur serment, alors que leurs principes dĂ©ontologiques et Ă©thiques fondamentaux sont de protĂ©ger la santĂ© et de respecter la vie.

[8]           Au stade de l’injonction provisoire, les demandeurs demandent au Tribunal d’émettre l’ordonnance en injonction provisoire suivante :

« ORDONNER, de façon interlocutoire provisoire pour une durĂ©e renouvelable de dix (10) jours Ă  compter de l’ordonnance, que les articles 26 Ă  32 inclusivement de la Loi sur les soins de fin de vie (la « Loi Â») ayant trait Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir ainsi que l’article 4 de ladite Loi, dans la mesure oĂč les dispositions de celui-ci s’appliquent Ă  ou visent l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir, soient suspendus et ne reçoivent pas application au moment de l’entrĂ©e en vigueur de la Loi, le 10 dĂ©cembre 2015. Â»

[9]             Sans pour autant endosser tous les motifs invoquĂ©s par les demandeurs au soutien de leur requĂȘte et tous les remĂšdes qu’ils recherchent, la Procureure gĂ©nĂ©rale du Canada, appelĂ©e dans ce dĂ©bat Ă  titre de mise en cause, a joint sa voix Ă  celles des demandeurs pour appuyer leur demande pour l’émission d’une ordonnance en injonction provisoire.

[10]        L’Alliance et la Coalition sont Ă©galement intervenues afin de rĂ©clamer la suspension de la mise en Ɠuvre des dispositions de la Loi ayant trait Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir Ă  leur entrĂ©e en vigueur prĂ©vue pour le 10 dĂ©cembre 2015.

[11]        Force est de constater que sur le fond, les objectifs visĂ©s par chacune des parties aux prĂ©sentes, incluant les intervenants, ne sont pas nĂ©cessairement communs.

[12]        D’emblĂ©e, il est utile de rappeler qu’au stade actuel des prĂ©sentes procĂ©dures, le Tribunal n’est pas appelĂ© Ă  rendre une dĂ©cision sur le fond du dossier. Ce qui est en question, c’est l’apparence de droit et non le droit qui fait l’objet du litige principal.

[13]        En matiĂšre d’injonction provisoire, les critĂšres Ă  considĂ©rer sont essentiellement ceux applicables Ă  l’injonction interlocutoire, Ă  savoir :

-         l’apparence de droit;

-         le prĂ©judice sĂ©rieux ou irrĂ©parable;

-         la prĂ©pondĂ©rance des inconvĂ©nients (Ă©galement appelĂ©e la balance des inconvĂ©nients).

[14]        Par ailleurs, dans le contexte d’une injonction provisoire, un autre critĂšre doit ĂȘtre appliquĂ©, soit celui de l’urgence.

[15]        À ce sujet, les auteurs Ferland et Cliche ont dĂ©crit ainsi le test que doit appliquer le juge en pareilles circonstances :

« Si le prĂ©judice que subira le requĂ©rant, advenant que l'injonction provisoire soit refusĂ©e le jour de sa demande et accordĂ©e quelques jours plus tard, sera plus grand que le prĂ©judice subi par l'intimĂ© advenant que l'injonction provisoire soit accordĂ©e le jour de sa prĂ©sentation, mais refusĂ©e, quelques jours plus tard. Â»[4]

[16]        L’intervention de la PGC, appuyĂ©e en particulier par la Coalition et l’Alliance, invite le Tribunal Ă  tenir compte de la problĂ©matique ponctuelle et rĂ©elle suivante en matiĂšre de conflit de lois.

[17]        La PGC affirme que les dispositions des articles 26 Ă  32 de la Loi autorisant les mĂ©decins Ă  offrir l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir ont pour effet d’autoriser ces derniers, Ă  toutes fins pratiques, Ă  aider une personne Ă  se suicider par l’entremise de ceux-ci. La PGC ajoute que dans le contexte actuel, il s’agit d’un geste prohibĂ© par l’article 241b) du Code criminel qui en fait un acte criminel.

[18]        De plus, selon l’article 14 du Code criminel, le consentement de la personne ayant demandĂ© l’aide ne peut servir de dĂ©fense Ă  celle qui l’a aidĂ©e.

[19]        Selon la PGC, il y a, en l’espĂšce, un empiĂštement direct par le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois sur une matiĂšre criminelle qui relĂšve de la compĂ©tence exclusive du parlement fĂ©dĂ©ral.

[20]        Selon l’avocate de la PGC, en pareilles circonstances, tant et aussi longtemps que l’aide au suicide constituera une infraction criminelle en vertu des articles 241 b) et 14 du Code criminel, le principe de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale milite en faveur de l’émission de l’ordonnance en injonction provisoire recherchĂ©e.

[21]        Le Tribunal se penchera plus amplement sur cette question particuliĂšre plus loin.

[22]        Avant de procĂ©der Ă  l’analyse des questions soulevĂ©es aux prĂ©sentes, il est opportun d’examiner les positions avancĂ©es par chacun des demandeurs, lesquelles offrent une perspective diffĂ©rente l’une de l’autre.

-       LA POSITION DE LA DEMANDERESSE MADAME LISA D’AMICO

[23]        D’Amico est une rĂ©sidente du QuĂ©bec gravement handicapĂ©e depuis sa naissance. Sa maladie est potentiellement dĂ©gĂ©nĂ©rative.

[24]        Elle dĂ©clare dĂ©pendre Ă  tous Ă©gards du rĂ©gime public, y compris les soins de santĂ©, n’ayant aucun revenu autre que les prestations de solidaritĂ© sociale, d’autant plus qu’elle est considĂ©rĂ©e comme ayant des contraintes sĂ©vĂšres Ă  l’emploi.

[25]        Elle se dit directement concernĂ©e par la Loi, plus particuliĂšrement par les dispositions ayant trait Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir.

[26]        Elle craint qu’en raison de l’évolution probable de sa maladie, qui est rĂ©putĂ©e engendrer des douleurs importantes et une perte d’autonomie, elle devra un jour ĂȘtre hĂ©bergĂ©e contre son grĂ© dans un centre hospitalier de soins de longue durĂ©e oĂč elle craint perdre le contrĂŽle des dĂ©cisions concernant les traitements qui lui seront nĂ©cessaires.

[27]        D’Amico soulĂšve craindre Ă©galement que la carence et l’insuffisance au QuĂ©bec des moyens en soins appropriĂ©s et en soins palliatifs, ainsi qu’en services sociaux, ne la placent en situation de grande vulnĂ©rabilitĂ© et ne l’incitent Ă  accepter l’euthanasie (l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir).

[28]        En pareilles circonstances, D’Amico croit qu’une personne qui souffre et qui a perdu l’espoir par manque de vĂ©ritables choix au niveau des soins qu’elle requiert, pourra ĂȘtre incitĂ©e Ă  choisir l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir pour en finir avec ses souffrances. Elle doute cependant qu’un tel consentement soit rĂ©ellement libre et Ă©clairĂ©, comme l’exige la Loi.

[29]        En d’autres mots, la demanderesse craint qu’en raison du manque de soins offerts par l’État quĂ©bĂ©cois, en particulier les personnes vulnĂ©rables, Ă  court d’options de soins de santĂ© disponibles, soient contraintes de choisir l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir pour mettre fin Ă  leurs souffrances, d’autant plus que le manque de soins aura vraisemblablement l’effet d’accĂ©lĂ©rer la dĂ©gradation de leur Ă©tat de santĂ©.

[30]        L’euthanasie (l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir) serait alors l’issue la plus probable « en raison de la logique du systĂšme choisi par le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois. Â»[5]

[31]        L’absence de choix au niveau des soins mĂ©dicaux offerts, y compris les soins palliatifs[6] qui ne sont prĂ©sentement pas offerts uniformĂ©ment Ă  l’ensemble de la population du QuĂ©bec, ferait aussi en sorte qu’un mĂ©decin ne pourrait prĂ©senter Ă  son patient d’alternative acceptable pour limiter ses douleurs en l’absence de soins palliatifs accessibles, rendant alors le choix de l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir la seule option rĂ©aliste possible.

[32]        D’Amico se questionne si en pareilles circonstances, on pourra rĂ©ellement parler d’un consentement libre et Ă©clairĂ©, une des conditions impĂ©ratives stipulĂ©es par la Loi pour ĂȘtre Ă©ligible Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir.

[33]        Avec grands Ă©gards, la situation personnelle que vit malheureusement D’Amico, ainsi que ses craintes, apprĂ©hensions et interrogations sur l’application des dispositions de la Loi ayant trait Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir, une fois celles-ci entrĂ©es en vigueur, quoiqu’elles soulĂšvent des questions fort sĂ©rieuses dans le contexte de la RequĂȘte en jugement dĂ©claratoire, ne donnent pas ouverture Ă  l’ordonnance en injonction provisoire prĂ©sentement demandĂ©e.

[34]        Il n’y a aucune allĂ©gation, ni preuve Ă©tablissant ou laissant croire qu’au 10 dĂ©cembre 2015, date d’entrĂ©e en vigueur de la Loi, l’état de santĂ© de D’Amico sera tel que les dispositions de la Loi ayant trait Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir s’appliqueraient dĂšs lors Ă  elle et qu’elle pourrait dĂšs lors « ĂȘtre contrainte Â» Ă  s’en prĂ©valoir.

[35]        Le Tribunal ne peut s’empĂȘcher de noter que la situation dĂ©crite par D’Amico, telle qu’elle apparait Ă  la RequĂȘte en jugement dĂ©claratoire et Ă  son affidavit, ne suscite aucun Ă©lĂ©ment d’urgence qui pourrait justifier Ă  lui seul d’émettre l’ordonnance en injonction provisoire qu’elle demande.

[36]        Prima facie, l’état de santĂ© actuel de la demanderesse ne satisfait pas aux conditions requises par l’article 26 de la Loi pour qu’elle puisse demander et obtenir l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir dĂšs l’entrĂ©e en vigueur de la Loi, le 10 dĂ©cembre 2015. Les craintes qu’elle exprime quant Ă  son Ă©tat de santĂ© Ă©ventuel sont prĂ©sentement thĂ©oriques et hypothĂ©tiques. Il faut une plus grande certitude en matiĂšre d’urgence, d’autant plus qu’en pareilles circonstances, le prĂ©judice sĂ©rieux et irrĂ©parable pour justifier l’émission d’une injonction provisoire n’a pas Ă©tĂ© Ă©tabli par la demanderesse.

[37]        En effet, la demanderesse n’a pas Ă©tabli qu’elle subira un prĂ©judice sĂ©rieux et irrĂ©parable en l’espĂšce dĂšs l’entrĂ©e en vigueur de la Loi, le 10 dĂ©cembre 2015, d’oĂč l’urgence d’en suspendre l’application quant Ă  elle.

[38]        Les questions qu’elle soulĂšve pourront tout aussi bien ĂȘtre dĂ©battues Ă  un stade ultĂ©rieur sans que la demanderesse subisse un prĂ©judice sĂ©rieux et irrĂ©parable si la prĂ©sente ordonnance requise au niveau provisoire ne lui est pas accordĂ©e.

[39]        Par ailleurs, certaines des questions soulevĂ©es par le demandeur Saba, jettent un Ă©clairage diffĂ©rent, entre autres, au niveau des critĂšres d’urgence et du prĂ©judice sĂ©rieux et irrĂ©parable requis en matiĂšre d’injonction provisoire.

-       LA POSITION DU DEMANDEUR DOCTEUR PAUL J. SABA

[40]        D’entrĂ©e de jeu, Ă  l’instar de D’Amico, Saba soulĂšve aussi dans son affidavit la question du consentement libre et Ă©clairĂ© du patient dans le contexte de carence de l’offre de soins disponibles au QuĂ©bec. Il considĂšre que le consentement libre et Ă©clairĂ©, requis Ă  l’article 26 de la Loi, constitue un grand dĂ©fi dans le contexte quĂ©bĂ©cois qui se caractĂ©rise par un accĂšs difficile et inĂ©gal aux soins de santĂ© appropriĂ©s. En d’autres mots, les graves lacunes dans le systĂšme de soins de santĂ© n’offrent pas un choix vĂ©ritable au patient Ă©ligible Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir.

[41]        De plus, le mĂ©decin insiste sur le fait que l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un soin mĂ©dical de santĂ©.

[42]        Pour Saba, l’euthanasie d’un ĂȘtre humain et l’aide au suicide sont des notions distinctes de celles concernant les soins palliatifs et la sĂ©dation palliative continue visĂ©es par la Loi. Puisque l’euthanasie d’un ĂȘtre humain et l’aide au suicide provoquent la mort immĂ©diate avec l’intention de la donner, il n’est pas possible de les considĂ©rer comme un soin de santĂ©. [Soulignement ajoutĂ©]

[43]        Il est donc nĂ©cessaire de dĂ©clarer la Loi qui lĂ©galise l’euthanasie d’un ĂȘtre humain et l’aide au suicide invalide, inapplicable ou inconstitutionnelle, d’autant plus qu’elle crĂ©e une confusion entre les soins palliatifs et l’euthanasie en utilisant l’euphĂ©misme de l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir.

[44]        Le Tribunal retient donc que les demandeurs sont d’avis que les carences importantes actuelles du systĂšme de santĂ© quĂ©bĂ©cois sont si significatives et si inĂ©gales en matiĂšre d’accĂšs aux soins de santĂ© en gĂ©nĂ©ral et, surtout au niveau des soins palliatifs, que des personnes rĂ©pondant aux conditions d’application de l’article 26 de la Loi risquent de se « rĂ©soudre Ă  accepter Â» l’ Aide mĂ©dicale Ă  mourir faute d’une alternative rĂ©elle en soins palliatifs auxquels ils devraient normalement avoir droit et accĂšs. Ceci expliquerait leur questionnement sur le consentement libre et Ă©clairĂ© de la personne qui satisferait par ailleurs aux conditions de l’article 26 de la Loi.

[45]        Saba illustre ses propos en rĂ©fĂ©rant au plan de dĂ©veloppement 2015-2016, publiĂ© le 16 novembre 2015 par le ministre de la SantĂ©, lequel fait Ă©tat de carences Ă  corriger en matiĂšre de soins palliatifs et de leur accessibilitĂ©. On estime que ce nouveau plan de mise en Ɠuvre des soins palliatifs au QuĂ©bec va requĂ©rir cinq annĂ©es pour ĂȘtre implantĂ© adĂ©quatement Ă  travers le territoire quĂ©bĂ©cois. À son avis, on ne pourrait avoir un aveu plus Ă©loquent que l’État quĂ©bĂ©cois n’est prĂ©sentement pas en mesure d’offrir Ă  tous ses citoyens les soins palliatifs en contrepoids ou Ă  titre d’alternative Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir.

[46]        Le fait d’offrir l’option de l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir quand l’autre option de traitements (incluant les soins palliatifs) n’est pas offerte ou disponible de façon gĂ©nĂ©ralisĂ©e et uniforme, constituerait, selon le mĂ©decin, un abandon par le gouvernement du QuĂ©bec de son devoir de protection de la population et ferait en sorte qu’il excĂšde par le fait mĂȘme ses compĂ©tences en matiĂšre de santĂ©.

[47]        Enfin, rappelons que Saba et D’Amico soulĂšvent que la Loi constitue une atteinte grave aux droits fondamentaux et garantis de la personne protĂ©gĂ©e par la Charte quĂ©bĂ©coise des droits et libertĂ©s de la personne, ainsi que par toutes les lois canadiennes et quĂ©bĂ©coises pertinentes.

La problĂ©matique liĂ©e par les articles 14 et 241 b) du Code criminel et l’arrĂȘt Carter

[48]        Saba ajoute que selon la Loi, Ă  compter du 10 dĂ©cembre 2015, une demande d’Aide mĂ©dicale Ă  mourir faite par un patient Ă  un mĂ©decin obligera ce dernier (ou tout autre mĂ©decin) Ă  poser le geste euthanasique dĂšs qu’il se sera satisfait que tous les critĂšres Ă©noncĂ©s Ă  l’article 26 de la Loi soient rencontrĂ©s et qu’un second mĂ©decin indĂ©pendant ait corroborĂ© ce constat.

[49]        Pour sa part, il dĂ©clare qu’il s’objecte personnellement Ă  fournir l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir Ă  un de ses patients qui lui en ferait la demande. Il refuserait d’accĂ©der Ă  une telle demande.

[50]        Or, Saba affirme que la Loi, telle que libellĂ©e, oblige tout mĂ©decin qui refuserait de mettre en Ɠuvre une demande d’Aide mĂ©dicale Ă  mourir qui lui serait adressĂ©e, de poser d’autres gestes afin que cette demande soit traitĂ©e par un autre mĂ©decin qui acceptera de rĂ©pondre favorablement Ă  la demande du patient (Article 31 de la Loi).

[51]        Ainsi, le mĂ©decin qui, par objection de conscience, refusera de poser les gestes requis par la Loi en rĂ©fĂ©rant la demande d’Aide mĂ©dicale Ă  mourir de son patient au directeur du centre de soins dans lequel il travaille, comme l’exige l’article 31 de la Loi, s’exposera en toutes probabilitĂ©s Ă  une sanction pour manquement Ă  respecter la Loi. Il craint qu’il puisse ainsi mettre en pĂ©ril son droit de pratique s’il refuse de participer Ă  l’effort ou aux dĂ©marches de son patient pour l’aider Ă  lui trouver un autre mĂ©decin. Saba considĂšre que s’il s’exĂ©cute pour Ă©viter une sanction personnelle ou professionnelle, le mĂ©decin deviendra nĂ©anmoins alors complice, en quelque sorte, du processus visant Ă  aider un patient Ă  se suicider.

[52]        Saba ajoute que sa crainte de faire l’objet de sanctions est d’autant plus rĂ©elle que le ministre de la SantĂ© a lui-mĂȘme dĂ©clarĂ© qu’un Ă©tablissement refusant d’offrir ce  soin de santĂ©  pourrait faire l’objet d’une rĂ©vocation de son permis d’opĂ©rer.

[53]        Dans cette mĂȘme veine, Saba soutient qu’il est nĂ©cessaire que la Cour supĂ©rieure dĂ©termine, entre autres, si l’euthanasie d’un ĂȘtre humain et l’aide au suicide (l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir) peuvent rĂ©ellement ĂȘtre considĂ©rĂ©es au QuĂ©bec comme constituant un soin de santĂ© selon les critĂšres reconnus mondialement en matiĂšre de pratique mĂ©dicale, d’autant plus qu’il est envisagĂ© de modifier le code de dĂ©ontologie de l’Ordre des infirmiĂšres et infirmiers du QuĂ©bec et celui des mĂ©decins afin de permettre la reconnaissance de l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir comme soin de santĂ©.

[54]        À son avis, les rĂ©percussions sur les mĂ©decins de la mise en Ɠuvre de la Loi en matiĂšre de l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir seront ainsi Ă©normes, et ce, dĂšs le 10 dĂ©cembre 2015.

[55]        Enfin, Saba souligne que tant et aussi longtemps que l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir sera considĂ©rĂ©e comme un acte criminel au sens de l’article 241b) du Code criminel et que le consentement du patient Ă  mourir ne pourra constituer une dĂ©fense valable, selon l’article 14 du Code criminel, il est illĂ©gal pour le gouvernement du QuĂ©bec de demander aux mĂ©decins de poser un tel geste de nature clairement criminelle, d’autant plus que la Loi ne leur offre aucune immunitĂ© Ă  cet Ă©gard.

[56]        Quoique la prĂ©sente RequĂȘte en jugement dĂ©claratoire dĂ©passe largement l’aspect criminel liĂ© Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir Ă  l’heure actuelle, le Tribunal comprend de la position du demandeur qu’à tout le moins, la prohibition recherchĂ©e de mettre en Ɠuvre les dispositions de la Loi ayant trait Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir doit nĂ©cessairement couvrir la pĂ©riode de suspension de l’application de la dĂ©claration d’invaliditĂ© constitutionnelle des articles 14 et 241b) du Code criminel prononcĂ©e par la Cour suprĂȘme du Canada (la « Cour suprĂȘme Â»), le 6 fĂ©vrier 2015, dans l’arrĂȘt Carter[7]. En effet, dans cet arrĂȘt, la Cour suprĂȘme a spĂ©cifiquement suspendu pour une pĂ©riode de douze mois venant Ă  Ă©chĂ©ance le 6 fĂ©vrier 2016, la dĂ©claration d’invaliditĂ© desdits articles. Ceux-ci demeurent donc pleinement valides et en vigueur jusqu’à cette date ou Ă  toute date antĂ©rieure si le parlement fĂ©dĂ©ral lĂ©gifĂ©rait relativement Ă  ces deux articles en fonction des paramĂštres constitutionnels Ă©tablis par la Cour suprĂȘme sur les aspects criminels de l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir, le cas Ă©chĂ©ant.

[57]        Avant cette Ă©chĂ©ance, la mise en Ɠuvre de l’acte mĂ©dical lĂ©tal de l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir qui constitue l’euthanasie de l’ĂȘtre humain sera impossible sans risque de poursuite criminelle contre le mĂ©decin qui, en ce faisant, aura commis un acte criminel en fonction du libellĂ© actuel des articles 14 et 241b) du Code criminel.

[58]        Selon le demandeur, il s’agit d’une difficultĂ© rĂ©elle et immĂ©diate dont les consĂ©quences sont sĂ©rieuses et irrĂ©parables, particuliĂšrement pour les mĂ©decins visĂ©s par ces dispositions de la Loi. Cette situation nĂ©cessite d’ordonner la suspension sur une base urgente de la mise en application des articles 26 Ă  32 de la Loi ayant trait Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir et ce, dĂšs l’entrĂ©e en vigueur de la Loi le 10 dĂ©cembre 2015.

-       LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[59]        Le Code de procĂ©dure civile :

« 751. L'injonction est une ordonnance de la Cour supĂ©rieure ou de l'un de ses juges, enjoignant Ă  une personne, Ă  ses dirigeants, reprĂ©sentants ou employĂ©s, de ne pas faire ou de cesser de faire, ou, dans les cas qui le permettent, d'accomplir un acte ou une opĂ©ration dĂ©terminĂ©s, sous les peines que de droit.

752. Outre l'injonction qu'elle peut demander par requĂȘte introductive d'instance, avec ou sans autres conclusions, une partie peut, au dĂ©but ou au cours d'une instance, obtenir une injonction interlocutoire.

L'injonction interlocutoire peut ĂȘtre accordĂ©e lorsque celui qui la demande paraĂźt y avoir droit et qu'elle est jugĂ©e nĂ©cessaire pour empĂȘcher que ne lui soit causĂ© un prĂ©judice sĂ©rieux ou irrĂ©parable, ou que ne soit créé un Ă©tat de fait ou de droit de nature Ă  rendre le jugement final inefficace.

753. La demande d'injonction interlocutoire est faite au tribunal par requĂȘte Ă©crite appuyĂ©e d'un affidavit attestant la vĂ©ritĂ© des faits allĂ©guĂ©s et signifiĂ©s Ă  la partie adverse, avec un avis du jour oĂč elle sera prĂ©sentĂ©e. Dans les cas d'urgence, un juge peut toutefois y faire droit provisoirement, mĂȘme avant qu'elle n'ait Ă©tĂ© signifiĂ©e. Toutefois, une injonction provisoire ne peut en aucun cas, sauf du consentement des parties, excĂ©der 10 jours. Â»

[60]        La Loi concernant les soins de fin de vie :

« 3. Aux fins de l’application de la prĂ©sente loi, on entend par :

[
]

3° « soins de fin de vie » les soins palliatifs offerts aux personnes en fin de vie et l’aide mĂ©dicale Ă  mourir;

4° « soins palliatifs » les soins actifs et globaux dispensĂ©s par une Ă©quipe interdisciplinaire aux personnes atteintes d’une maladie avec pronostic rĂ©servĂ©, dans le but de soulager leurs souffrances, sans hĂąter ni retarder la mort, de les aider Ă  conserver la meilleure qualitĂ© de vie possible et d’offrir Ă  ces personnes et Ă  leurs proches le soutien nĂ©cessaire;

5° « sĂ©dation palliative continue » un soin offert dans le cadre des soins palliatifs consistant en l’administration de mĂ©dicaments ou de substances Ă  une personne en fin de vie dans le but de soulager ses souffrances en la rendant inconsciente, de façon continue, jusqu’à son dĂ©cĂšs;

6° « aide mĂ©dicale Ă  mourir » un soin consistant en l’administration de mĂ©dicaments ou de substances par un mĂ©decin Ă  une personne en fin de vie, Ă  la demande de celle-ci, dans le but de soulager ses souffrances en entraĂźnant son dĂ©cĂšs.

4. Toute personne, dont l’état le requiert, a le droit de recevoir des soins de fin de vie, sous rĂ©serve des exigences particuliĂšres prĂ©vues par la prĂ©sente loi.

Ces soins lui sont offerts dans une installation maintenue par un Ă©tablissement, dans les locaux d’une maison de soins palliatifs ou Ă  domicile.

Les dispositions du prĂ©sent article s’appliquent en tenant compte des dispositions lĂ©gislatives et rĂ©glementaires relatives Ă  l’organisation et au fonctionnement des Ă©tablissements, des orientations, des politiques et des approches des maisons de soins palliatifs ainsi que des ressources humaines, matĂ©rielles et financiĂšres dont ils disposent. Elles complĂštent celles de la Loi sur les services de santĂ© et les services sociaux et celles de la Loi sur les services de santĂ© et les services sociaux pour les autochtones cris portant sur les droits des usagers et des bĂ©nĂ©ficiaires.

[
]

SECTION II

AIDE MÉDICALE À MOURIR

26. Seule une personne qui satisfait Ă  toutes les conditions suivantes peut obtenir l'aide mĂ©dicale Ă  mourir:

1° elle est une personne assurĂ©e au sens de la Loi sur l'assurance maladie (chapitre A-29);

2° elle est majeure et apte Ă  consentir aux soins;

3° elle est en fin de vie;

4° elle est atteinte d'une maladie grave et incurable;

5° sa situation mĂ©dicale se caractĂ©rise par un dĂ©clin avancĂ© et irrĂ©versible de ses capacitĂ©s;

6° elle Ă©prouve des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent ĂȘtre apaisĂ©es dans des conditions qu'elle juge tolĂ©rables.

La personne doit, de maniĂšre libre et Ă©clairĂ©e, formuler pour elle-mĂȘme la demande d'aide mĂ©dicale Ă  mourir au moyen du formulaire prescrit par le ministre. Ce formulaire doit ĂȘtre datĂ© et signĂ© par cette personne.

Le formulaire est signé en présence d'un professionnel de la santé ou des services sociaux qui le contresigne et qui, s'il n'est pas le médecin traitant de la personne, le remet à celui-ci.

27. Lorsque la personne qui demande l'aide mĂ©dicale Ă  mourir ne peut dater et signer le formulaire visĂ© Ă  l'article 26 parce qu'elle ne sait pas Ă©crire ou qu'elle en est incapable physiquement, un tiers peut le faire en prĂ©sence de cette personne. Le tiers ne peut faire partie de l'Ă©quipe de soins responsable de la personne et ne peut ĂȘtre un mineur ou un majeur inapte.

28. Une personne peut, en tout temps et par tout moyen, retirer sa demande d'aide mĂ©dicale Ă  mourir.

Elle peut également, en tout temps et par tout moyen, demander à reporter l'administration de l'aide médicale à mourir.

29. Avant d'administrer l'aide mĂ©dicale Ă  mourir, le mĂ©decin doit:

1° ĂȘtre d'avis que la personne satisfait Ă  toutes les conditions prĂ©vues Ă  l'article 26, notamment:

a)  en s'assurant auprĂšs d'elle du caractĂšre libre de sa demande, en vĂ©rifiant entre autres qu'elle ne rĂ©sulte pas de pressions extĂ©rieures;

b)  en s'assurant auprĂšs d'elle du caractĂšre Ă©clairĂ© de sa demande, notamment en l'informant du pronostic relatif Ă  la maladie, des possibilitĂ©s thĂ©rapeutiques envisageables et de leurs consĂ©quences;

c)  en s'assurant de la persistance de ses souffrances et de sa volontĂ© rĂ©itĂ©rĂ©e d'obtenir l'aide mĂ©dicale Ă  mourir, en menant avec elle des entretiens Ă  des moments diffĂ©rents, espacĂ©s par un dĂ©lai raisonnable compte tenu de l'Ă©volution de son Ă©tat;

d)  en s'entretenant de sa demande avec des membres de l'Ă©quipe de soins en contact rĂ©gulier avec elle, le cas Ă©chĂ©ant;

e)  en s'entretenant de sa demande avec ses proches, si elle le souhaite;

2° s'assurer que la personne a eu l'occasion de s'entretenir de sa demande avec les personnes qu'elle souhaitait contacter;

3° obtenir l'avis d'un second mĂ©decin confirmant le respect des conditions prĂ©vues Ă  l'article 26.

Le mĂ©decin consultĂ© doit ĂȘtre indĂ©pendant, tant Ă  l'Ă©gard de la personne qui demande l'aide mĂ©dicale Ă  mourir qu'Ă  l'Ă©gard du mĂ©decin qui demande l'avis. Il doit prendre connaissance du dossier de la personne et examiner celle-ci. Il doit rendre son avis par Ă©crit.

30. Si le mĂ©decin conclut, Ă  la suite de l'application de l'article 29, qu'il peut administrer l'aide mĂ©dicale Ă  mourir Ă  la personne qui la demande, il doit la lui administrer lui-mĂȘme, l'accompagner et demeurer auprĂšs d'elle jusqu'Ă  son dĂ©cĂšs.

Si le médecin conclut toutefois qu'il ne peut administrer l'aide médicale à mourir, il doit informer la personne qui la demande des motifs de sa décision.

31. Tout mĂ©decin qui exerce sa profession dans un centre exploitĂ© par un Ă©tablissement et qui refuse une demande d'aide mĂ©dicale Ă  mourir pour un motif non fondĂ© sur l'article 29 doit, le plus tĂŽt possible, en aviser le directeur gĂ©nĂ©ral de l'Ă©tablissement ou toute autre personne qu'il dĂ©signe et, le cas Ă©chĂ©ant, lui transmettre le formulaire de demande d'aide mĂ©dicale Ă  mourir qui lui a Ă©tĂ© remis. Le directeur gĂ©nĂ©ral de l'Ă©tablissement, ou la personne qu'il a dĂ©signĂ©e, doit alors faire les dĂ©marches nĂ©cessaires pour trouver, le plus tĂŽt possible, un mĂ©decin qui accepte de traiter la demande conformĂ©ment Ă  l'article 29.

Si le mĂ©decin Ă  qui la demande est formulĂ©e exerce sa profession dans un cabinet privĂ© de professionnel et qu'il ne fournit pas l'aide mĂ©dicale Ă  mourir, il doit, le plus tĂŽt possible, en aviser le directeur gĂ©nĂ©ral de l'instance locale visĂ©e Ă  l'article 99.4 de la Loi sur les services de santĂ© et les services sociaux (chapitre S-4.2) qui dessert le territoire oĂč est situĂ©e la rĂ©sidence de la personne qui a formulĂ© la demande, ou en aviser la personne qu'il a dĂ©signĂ©e. Le mĂ©decin lui transmet, le cas Ă©chĂ©ant, le formulaire qui lui a Ă©tĂ© remis et les dĂ©marches visĂ©es au premier alinĂ©a sont alors entreprises.

Dans le cas oĂč aucune instance locale ne dessert le territoire oĂč est situĂ©e la rĂ©sidence de la personne, l'avis mentionnĂ© au deuxiĂšme alinĂ©a est transmis au directeur gĂ©nĂ©ral de l'Ă©tablissement exploitant un centre local de services communautaires sur ce territoire ou Ă  la personne qu'il a dĂ©signĂ©e.

32. Doit ĂȘtre inscrit ou versĂ© dans le dossier de la personne tout renseignement ou document en lien avec la demande d'aide mĂ©dicale Ă  mourir, que le mĂ©decin l'administre ou non, dont le formulaire de demande d'aide mĂ©dicale Ă  mourir, les motifs de la dĂ©cision du mĂ©decin et, le cas Ă©chĂ©ant, l'avis du mĂ©decin consultĂ©.

Doit Ă©galement ĂȘtre inscrite au dossier de la personne sa dĂ©cision de retirer sa demande d'aide mĂ©dicale Ă  mourir ou de reporter son administration. Â»

[61]        Le Code criminel[8] :

« 14.     Nul n’a le droit de consentir Ă  ce que la mort lui soit infligĂ©e, et un tel consentement n’atteint pas la responsabilitĂ© pĂ©nale d’une personne par qui la mort peut ĂȘtre infligĂ©e Ă  celui qui a donnĂ© ce consentement.

21. (1) Participent Ă  une infraction :

[...]

b)         quiconque accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à la commettre;

[...]

(2) Quand deux ou plusieurs personnes forment ensemble le projet de poursuivre une fin illĂ©gale et de s’y entraider et que l’une d’entre elles commet une infraction en rĂ©alisant cette fin commune, chacune d’elles qui savait ou devait savoir que la rĂ©alisation de l’intention commune aurait pour consĂ©quence probable la perpĂ©tration de l’infraction, participe Ă  cette infraction.

22. (1) Lorsqu’une personne conseille Ă  une autre personne de participer Ă  une infraction et que cette derniĂšre y participe subsĂ©quemment, la personne qui a conseillĂ© participe Ă  cette infraction, mĂȘme si l’infraction a Ă©tĂ© commise d’une maniĂšre diffĂ©rente de celle qui avait Ă©tĂ© conseillĂ©e.

(2)  Quiconque conseille Ă  une autre personne de participer Ă  une infraction participe Ă  chaque infraction que l’autre commet en consĂ©quence du conseil et qui, d’aprĂšs ce que savait ou aurait dĂ» savoir celui qui a conseillĂ©, Ă©tait susceptible d’ĂȘtre commise en consĂ©quence du conseil.

(3) Pour l’application de la prĂ©sente loi, « conseiller Â» s’entend d’amener et d’inciter, et « conseil Â» s’entend de l’encouragement visant Ă  amener ou Ă  inciter.

222. (1) Commet un homicide quiconque, directement ou indirectement, par quelque moyen, cause la mort d’un ĂȘtre humain.

(2) L’homicide est coupable ou non coupable.

(3) L’homicide non coupable ne constitue pas une infraction.

(4) L’homicide coupable est le meurtre, l’homicide involontaire coupable ou l’infanticide.

(5) Une personne commet un homicide coupable lorsqu’elle cause la mort d’un ĂȘtre humain :

a) soit au moyen d’un acte illĂ©gal;

[
]

241.      Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque, selon le cas :

a) conseille Ă  une personne de se donner la mort;

b) aide ou encourage quelqu’un Ă  se donner la mort, que le suicide s’ensuive ou non. Â»

[Soulignements ajoutés]

-       ANALYSE

[62]        Il importe de rappeler qu’au stade d’une demande d’injonction provisoire, il n’appartient pas au Tribunal de trancher ou de se prononcer sur les multiples questions soulevĂ©es par les demandeurs dans leur quĂȘte d’un jugement dĂ©claratoire.

[63]        Le Tribunal doit plutĂŽt dĂ©cider si, Ă  la lumiĂšre des allĂ©gations de la RequĂȘte en jugement dĂ©claratoire, des affidavits souscrits et des piĂšces dĂ©posĂ©es Ă  son soutien, les articles 26 Ă  32 de la Loi ayant trait Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir et l’article 4, dans la mesure oĂč ses dispositions visent ou touchent l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir, doivent voir leur mise en application suspendue dĂšs l’entrĂ©e en vigueur de la Loi le 10 dĂ©cembre 2015, en raison de l’urgence de la situation et du prĂ©judice sĂ©rieux et irrĂ©parable qu’entraĂźnerait un refus d’émettre l’injonction provisoire demandĂ©e.

-       L’apparence de droit

[64]        Au niveau de l’apparence de droit et sans pour autant minimiser de quelque façon que ce soit les questions fort lĂ©gitimes et sĂ©rieuses soumises par la demanderesse dans la prĂ©sente instance, il ne fait aucun doute, dans l’esprit du Tribunal, que dans le contexte fort particulier de la prĂ©sente demande en injonction provisoire, le demandeur Saba, Ă  titre de mĂ©decin visĂ© par les dispositions contestĂ©es de la Loi, a dĂ©montrĂ© une apparence de droit sĂ©rieuse compte tenu des devoirs et obligations que la Loi lui imposera, dĂšs le 10 dĂ©cembre 2015, au niveau de l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir ainsi qu’à tous les mĂ©decins pratiquant au QuĂ©bec, et ce, dans le contexte lĂ©gal actuel Ă  la lumiĂšre de l’arrĂȘt Carter prononcĂ© le 6 fĂ©vrier 2015 par la Cour suprĂȘme. [Soulignement ajoutĂ©]

[65]        Il ne fait aucun doute non plus dans l’esprit du Tribunal que dĂšs l’entrĂ©e en vigueur de la Loi, le 10 dĂ©cembre 2015, tous les mĂ©decins habilitĂ©s Ă  pratiquer la mĂ©decine au QuĂ©bec et, par consĂ©quent administrer l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir, seront directement affectĂ©s par la question soulevĂ©e par Saba quant au conflit entre la Loi et le Code criminel.

[66]        Il importe Ă  ce stade-ci d’examiner l’arrĂȘt Carter qui a un impact direct sur la prĂ©sente requĂȘte.

[67]        Qu’en est-il de l’arrĂȘt Carter?

-       La Loi, le Code Criminel et l’incidence de l’arrĂȘt Carter

[68]        La Loi a Ă©tĂ© adoptĂ©e par l’AssemblĂ©e nationale le 5 juin 2014 et sanctionnĂ©e le 10 juin 2014, en prĂ©cisant Ă  son article 78 que l’entrĂ©e en vigueur de la Loi Ă©tait fixĂ©e au 10 dĂ©cembre 2015.

[69]        Quatre mois plus tard, le 14 octobre 2014, la Cour suprĂȘme entendait l’affaire Lee Carter[9].

[70]        Dans cette affaire, madame Gloria Taylor (« Gloria Taylor Â»), ayant appris qu’elle souffrait d’une maladie neurodĂ©gĂ©nĂ©rative fatale, a intentĂ© devant la Cour suprĂȘme de la Colombie-Britannique (1re instance) une action contestant la constitutionnalitĂ© des dispositions du Code criminel qui prohibent l’aide Ă  mourir, soit les articles 14, 21, 22, 222 et 241. Se sont joints Ă  sa demande mesdames Lee Carter (« Lee Carter Â») et Hollis Johnson (« Hollis Johnson Â») qui avaient aidĂ© la mĂšre de Lee Carter, Kathleen (« Kay Â») Carter (« Kay Carter Â»), Ă  rĂ©aliser son souhait de mourir dans la dignitĂ© en l’emmenant en Suisse pour qu’elle puisse mettre fin Ă  ses jours dans une clinique d’aide au suicide. Ayant aidĂ© Kay Carter Ă  se suicider, Lee Carter et Hollis Johnson se sentaient particuliĂšrement visĂ©es par ces articles du Code criminel ayant trait Ă  l’aide au suicide.

[71]        Contrairement Ă  Kay Carter, Gloria Taylor n’avait pas les ressources financiĂšres pour se rendre en Suisse. Elle avait nĂ©anmoins trouvĂ© un mĂ©decin de la Colombie-Britannique qui s’était dĂ©clarĂ© disponible et volontaire pour l’aider Ă  mourir dignement. Mais, compte tenu des prohibitions du Code criminel, il s’était dĂ©clarĂ© incapable d’aider Gloria Taylor, d’oĂč le recours judiciaire afin de faire lever cet obstacle qui enfreignait les droits fondamentaux de cette derniĂšre en vertu de la Charte canadienne des droits et libertĂ©s (la « Charte canadienne Â»).

[72]        Lee Carter et Hollis Johnson, qui avaient aidĂ© Kay Carter Ă  mettre fin Ă  ses jours en Suisse en contravention des mĂȘmes dispositions du Code criminel, avaient Ă©galement un intĂ©rĂȘt Ă  intervenir afin d’appuyer la demande de Gloria Taylor.

[73]        En premiĂšre instance[10], Gloria Taylor a eu gain de cause et la juge a dĂ©clarĂ© l’inconstitutionnalitĂ© les dispositions du Code criminel prohibant l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir en suspendant toutefois l’application de sa dĂ©claration d’invaliditĂ© pour une pĂ©riode de douze mois. Par contre, la juge a accordĂ© une exemption spĂ©cifique Ă  Gloria Taylor afin qu’elle puisse recevoir l’aide requise pour mourir.

[74]        Le 10 octobre 2013, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[11], s’appuyant sur l’arrĂȘt Rodriguez[12] rendu par la Cour suprĂȘme quelque vingt annĂ©es plus tĂŽt, a infirmĂ© le jugement de premiĂšre instance, d’oĂč le pourvoi Ă  la Cour suprĂȘme qui a Ă©tĂ© entendu le 15 octobre 2014.

[75]        Malheureusement, Gloria Taylor est dĂ©cĂ©dĂ©e subitement en octobre 2012 sans pouvoir avoir recours Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir.

[76]        Au Canada, quiconque aide ou encourage une personne Ă  se donner la mort commet un acte criminel aux termes de l’article 241b) du Code criminel. Ainsi, une personne ne peut demander Ă  une autre personne de lui fournir l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir. De plus, le consentement donnĂ© par la personne qui a requis l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir, ne peut servir de moyen de dĂ©fense Ă  la commission d’un tel acte criminel, et ce, en vertu de l’article 14 du Code criminel.

[77]        AprĂšs avoir dĂ©clinĂ© les divers articles[13] du Code criminel identifiĂ©s par les appelants comme Ă©tant problĂ©matiques dans le contexte de l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir, la Cour suprĂȘme s’est prononcĂ©e ainsi :

« [20] À notre avis, deux de ces dispositions sont au cƓur de la prĂ©sente contestation constitutionnelle : l’al. 241b), aux termes duquel quiconque aide ou encourage quelqu’un Ă  se donner la mort est coupable d’un acte criminel, et l’art. 14, qui prĂ©cise que nul ne peut consentir Ă  ce que la mort lui soit infligĂ©e. Ce sont ces deux dispositions qui prohibent le fait d’aider une personne Ă  mourir. Les articles 21, 22 et 222 s’appliquent uniquement si le fait d’aider quelqu’un Ă  se donner la mort constitue en soi un « acte illĂ©gal Â» ou une infraction. L’alinĂ©a 241a) ne contribue en rien Ă  la prohibition du suicide assistĂ©. Â»

[78]        Ainsi, aux termes de l’arrĂȘt Carter, la Cour suprĂȘme a dĂ©clarĂ© que les dispositions prohibant l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir aux articles 241b) et 14 du Code criminel portaient atteinte aux droits Ă  la vie, Ă  la libertĂ© et Ă  la sĂ©curitĂ© de la personne que l’article 7[14] de la Charte canadienne  garantit Ă  la personne, et ce, d’une maniĂšre non conforme aux principes de justice fondamentale et que cette atteinte n’était pas justifiĂ©e au regard de l’article premier[15] de la Charte canadienne :

« [127]  La rĂ©paration appropriĂ©e consiste donc en un jugement dĂ©clarant que l’al. 241b) et l’art. 14 du Code criminel sont nuls dans la mesure oĂč ils prohibent l’aide d’un mĂ©decin pour mourir Ă  une personne adulte capable qui (1) consent clairement Ă  mettre fin Ă  sa vie; et qui (2) est affectĂ©e de problĂšmes de santĂ© graves et irrĂ©mĂ©diables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolĂ©rables au regard de sa condition. Il convient d’ajouter que le terme « irrĂ©mĂ©diable Â» ne signifie pas que le patient doive subir des traitements qu’il juge inacceptables. Cette dĂ©claration est censĂ©e s’appliquer aux situations de fait que prĂ©sente l’espĂšce. Nous ne nous prononçons pas sur d’autres situations oĂč l’aide mĂ©dicale Ă  mourir peut ĂȘtre demandĂ©e.

[147] Le pourvoi est accueilli. Nous sommes d’avis de prononcer le jugement dĂ©claratoire suivant, dont la prise d’effet est suspendue pendant 12 mois :

L’alinĂ©a 241b) et l’art. 14 du Code criminel portent atteinte de maniĂšre injustifiĂ©e Ă  l’art. 7 de la Charte et sont inopĂ©rants dans la mesure oĂč ils prohibent l’aide d’un mĂ©decin pour mourir Ă  une personne adulte capable qui (1) consent clairement Ă  mettre fin Ă  sa vie; et qui (2) est affectĂ©e de problĂšmes de santĂ© graves et irrĂ©mĂ©diables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolĂ©rables au regard de sa condition. »  [la « DĂ©claration d’invaliditĂ© Â»] 

[Soulignements ajoutés]

[79]        Il importe de souligner que la Cour suprĂȘme a nĂ©anmoins jugĂ© opportun de suspendre les effets de la DĂ©claration d’invaliditĂ© pour une pĂ©riode de douze mois Ă  compter du 6 fĂ©vrier 2015 de la façon suivante :

« [128]  Nous sommes d’avis de suspendre la prise d’effet de la dĂ©claration d’invaliditĂ© pendant 12 mois.

[129]     Nous refusons d’accĂ©der Ă  la demande des appelants de crĂ©er une procĂ©dure d’exemption pendant la pĂ©riode au cours de laquelle la prise d’effet de la dĂ©claration d’invaliditĂ© est suspendue. Puisque Mme Taylor est maintenant dĂ©cĂ©dĂ©e et qu’aucune des autres parties au litige ne demande une exemption personnelle, il ne s’agit pas d’un cas oĂč il convient de crĂ©er un tel mĂ©canisme d’exemption. Â»

[la « PĂ©riode de suspension Â»]

[80]        À la lumiĂšre de ce qui prĂ©cĂšde, il ne fait aucun doute que la Cour suprĂȘme a voulu suspendre la DĂ©claration d’invaliditĂ© prononcĂ©e dans cet arrĂȘt jusqu’au 6 fĂ©vrier 2016 ou Ă  toute date antĂ©rieure si le parlement fĂ©dĂ©ral lĂ©gifĂšre avant cette Ă©chĂ©ance en matiĂšre criminelle relativement Ă  l’euthanasie d’un ĂȘtre humain et de suicide assistĂ© dans le contexte de l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir. 

[81]        Le gouvernement fĂ©dĂ©ral a dĂ©jĂ  mis sur pied un comitĂ© consultatif qui doit remettre son rapport d’ici le 15 dĂ©cembre 2015 et la PGC demande Ă  la PGQ de suspendre temporairement l’entrĂ©e en vigueur des dispositions de la Loi ayant trait Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir pour permettre au parlement fĂ©dĂ©ral de donner suite Ă  l’arrĂȘt Carter.

[82]        Or, le gouvernement du QuĂ©bec refuse et compte toujours mettre en application la Loi et ainsi offrir l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir dans les Ă©tablissements hospitaliers et les maisons de soins palliatifs dĂšs le 10 dĂ©cembre 2015, et ce, malgrĂ© que le gouvernement fĂ©dĂ©ral n’ait pas encore lĂ©gifĂ©rĂ© afin de donner suite Ă  l’arrĂȘt Carter, ce qui implique en toute vraisemblance, un amendement aux articles 14 et 241b) du Code criminel en fonction des paramĂštres constitutionnels Ă©tablis par la Cour suprĂȘme.

[83]        À la lumiĂšre de l’arrĂȘt Carter, force est de constater qu’à compter du 10 dĂ©cembre 2015, et ce, jusqu’à la date de prise d’effet de la DĂ©claration d’invaliditĂ© de la Cour suprĂȘme, toute Aide mĂ©dicale Ă  mourir assurĂ©e par un mĂ©decin du QuĂ©bec en vertu de la Loi, continuera de constituer un acte criminel selon les dispositions toujours valides et en vigueur de l’article 241 b) du Code criminel  et le consentement de la personne qui a requis l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir sera de nul effet comme moyen de dĂ©fense du mĂ©decin Ă  la commission de cet acte criminel, tel que le prĂ©voit l’article 14 du Code criminel dans son libellĂ© actuel.

[84]        En mettant en Ɠuvre la Loi dans le contexte et l’état du droit actuels, les mĂ©decins qui consentiront Ă  administrer l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir s’exposeront Ă  contrevenir aux dispositions du Code criminel ayant trait Ă  l’aide au suicide, sans que la Loi ne leur offre quelque immunitĂ© que ce soit Ă  cet Ă©gard. Cette absence d’immunitĂ© s’explique bien, car le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois n’a pas le pouvoir d’offrir une telle immunitĂ© face Ă  des dispositions contradictoires ou incompatibles du Code criminel qui, rappelons-le, sont toujours valides et en vigueur.

[85]        Au moment d’adopter la Loi en juin 2014, le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois ne pouvait ignorer que les dispositions de la Loi ayant trait Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir allaient entrer directement en conflit avec les dispositions des articles 14 et 241b) du Code criminel.

[86]        En effet, lorsque l’AssemblĂ©e nationale a adoptĂ© la Loi en juin 2014, la Cour suprĂȘme n’avait pas encore entendu l’affaire Carter et, forcĂ©ment, n’avait pas encore rendu de dĂ©cision dans cette cause. Qui plus est, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique avait infirmĂ© en 2013 dans ce mĂȘme dossier la dĂ©cision de premiĂšre instance et, par consĂ©quent, avait rĂ©affirmĂ© la validitĂ© des dispositions en question du Code criminel Ă  cet Ă©gard.

[87]        Au moment du vote des membres de l’AssemblĂ©e nationale en juin 2015, ces dispositions du Code criminel Ă©taient toujours valides et en vigueur. 

-       La position de la Procureure gĂ©nĂ©rale du Canada

[88]        Tel que mentionnĂ© prĂ©cĂ©demment, l’avocate reprĂ©sentant la mise en cause, la Procureure gĂ©nĂ©rale du Canada (PGC), est intervenue au cours de l’audience pour appuyer la demande d’émission d’une ordonnance en injonction provisoire relativement Ă  la suspension temporaire des articles de la Loi ayant trait Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir.

[89]        Plus prĂ©cisĂ©ment, l’avocate a informĂ© le Tribunal que la PGC considĂ©rait que la mise en application des dispositions de la Loi ayant trait Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir devait ĂȘtre suspendue jusqu’à ce que le parlement fĂ©dĂ©ral ait pu donner suite Ă  l’arrĂȘt Carter en tenant Ă©videmment compte du dĂ©lai imparti par la Cour suprĂȘme.

[90]        L’avocate de la PGC a communiquĂ© au Tribunal la lettre du mandat que lui a confiĂ© le premier ministre du Canada, le trĂšs honorable Justin Trudeau, dans laquelle la toute premiĂšre prioritĂ© identifiĂ©e dans le mandat de la ministre de la Justice et de la Procureure gĂ©nĂ©rale du Canada est de :

« Diriger un processus, de concert avec la ministre de la SantĂ©, visant Ă  collaborer avec les provinces et les territoires dans le but de donner suite Ă  la dĂ©cision de la Cour suprĂȘme du Canada au sujet de l’aide mĂ©dicale Ă  mourir. »

[91]        Le Tribunal a Ă©tĂ© informĂ© Ă©galement que le gouvernement fĂ©dĂ©ral a dĂ©jĂ  mis sur pied un comitĂ© consultatif sur ce sujet prĂ©cis qui doit remettre son rapport d’ici le 15 dĂ©cembre 2015.

[92]        L’avocate de la PGC a aussi portĂ© Ă  l’attention du Tribunal la dĂ©finition de l’« Aide mĂ©dicale Ă  mourir Â» apparaissant Ă  l’article 3(6o) de la Loi, lequel se lit ainsi :

« Un soin consistant en l’administration de mĂ©dicaments et de substances par un mĂ©decin Ă  une personne en fin de vie, Ă  la demande de celle-ci, dans le but de soulager ses souffrances en entraĂźnant son dĂ©cĂšs. Â»

[93]        Selon cette derniĂšre, une telle rĂ©fĂ©rence Ă  un  soin  Ă©tonne lorsqu’on rĂ©fĂšre [sans le dire] Ă  des gestes ou des actes qui rĂ©pondent Ă  l’aide au suicide, au suicide assistĂ© ou Ă  l’euthanasie d’un ĂȘtre humain clairement couverts et visĂ©s par le Code criminel.

[94]        Dans cette mĂȘme veine, l’article 4 de la Loi confirme le droit de toute personne de recevoir des Â« soins de fin de vie Â».

[95]        Or, Ă  l’article 3(3o), l’expression Â« soins de fin de vie Â» englobe les soins palliatifs offerts aux personnes en fin de vie et l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir. [Soulignement ajoutĂ©]

[96]        Pour la PGC, Ă  la lumiĂšre de ces dĂ©finitions, il ne fait aucun doute que sous le couvert de l’expression  Â« soins de fins de vie Â», le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois a visĂ© et manifestement tentĂ© d’englober comme forme de soin de santĂ©, l’euthanasie d’un ĂȘtre humain, un acte qui relĂšve toujours de la compĂ©tence exclusive du parlement fĂ©dĂ©ral de lĂ©gifĂ©rer en matiĂšre criminelle. D’affubler le qualificatif de soin Ă  l’euthanasie d’un ĂȘtre humain ne convertit pas celle-ci d’un acte criminel en un soin de santĂ©.

[97]        L’avocate de la PGC a Ă©galement manifestĂ© son inquiĂ©tude face aux dispositions de l’article 31 de la Loi qui imposent aux mĂ©decins qui ne voudraient pas accĂ©der Ă  une demande d’Aide mĂ©dicale Ă  mourir de participer, malgrĂ© leur objection, au processus visant Ă  trouver un autre mĂ©decin volontaire et consentant. Elle y voit par le fait mĂȘme une indication que mĂȘme un mĂ©decin, objecteur de conscience, sera forcĂ©ment impliquĂ© dans un processus allant mener Ă  la commission d’un acte criminel dans l’état du droit actuel. 

[98]        En d’autres mots, la PGC voit un prĂ©judice sĂ©rieux et irrĂ©parable en ce que des mĂ©decins autorisĂ©s en vertu d’une loi provinciale Ă  offrir l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir en vertu de la Loi vont s’exposer, dĂšs le 10 dĂ©cembre 2015, Ă  commettre des actes qui sont toujours criminels en vertu d’une loi fĂ©dĂ©rale, Ă  savoir le Code criminel.

[99]        Selon la PGC, il existe Ă  l’heure actuelle un conflit entre certaines dispositions de la Loi [quĂ©bĂ©coise] qui sont incompatibles avec celles du Code criminel [fĂ©dĂ©ral].

[100]     L’avocate de la PGC est d’avis que cet ensemble de circonstances et que ce conflit patent de dispositions contradictoires, en considĂ©rant les objectifs visĂ©s par leurs lois respectives, constituent en soi une raison suffisante qui justifie l’émission de l’ordonnance en injonction provisoire demandĂ©e.

[101]     Elle est d’avis qu’il s’agit d’une question sĂ©rieuse, Ă  savoir la prĂ©pondĂ©rance de la lĂ©gislation fĂ©dĂ©rale en cas d’un tel conflit juridictionnel.

[102]     Selon celle-ci, la balance des inconvĂ©nients milite, d’une part en faveur des mĂ©decins exposĂ©s en obĂ©issant Ă  la Loi [quĂ©bĂ©coise] de devoir poser des actes toujours considĂ©rĂ©s comme Ă©tant criminels en vertu du Code criminel et, d’autre part, en faveur du gouvernement fĂ©dĂ©ral qui est toujours Ă  l’intĂ©rieur du dĂ©lai imparti par la Cour suprĂȘme pour donner suite Ă  l’arrĂȘt Carter et ainsi lĂ©gifĂ©rer en matiĂšre de l’euthanasie d’un ĂȘtre humain et du suicide assistĂ©, lesquels relĂšvent tous deux de sa juridiction exclusive en matiĂšre criminelle.

-       La position de la Procureure gĂ©nĂ©rale du QuĂ©bec

[103]      Les observations de l’avocate de la PGQ ont essentiellement portĂ© sur une rĂ©vision mĂ©ticuleuse des articles de la Loi Ă  la lumiĂšre des paramĂštres constitutionnels tracĂ©s par la Cour suprĂȘme dans l’arrĂȘt Carter.

[104]     Selon la PGQ, les demandeurs ne peuvent, au moyen de leur RequĂȘte en jugement dĂ©claratoire, remettre en cause l’arrĂȘt Carter qui se distingue complĂštement de la position adoptĂ©e par la Cour suprĂȘme vingt annĂ©es auparavant dans l’affaire Rodriguez oĂč la primautĂ© du droit Ă  la vie avait Ă©tĂ© consacrĂ©e par cette mĂȘme Cour.

[105]     Il ne revient pas non plus au Tribunal de juger de l’opportunitĂ© ou de la sagesse de la Loi, un concept avec lequel le Tribunal est tout Ă  fait en accord.

[106]     L’avocate a Ă©galement retracĂ© les diverses Ă©tapes franchies par le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois pour aboutir en juin 2014 Ă  l’adoption de la Loi par les membres de l’AssemblĂ©e nationale dans le cadre d’un vote libre, prĂ©cise-t-elle.

[107]     Cette Loi est le reflet d’un consensus social atteint ou plutĂŽt constatĂ© aprĂšs quatre annĂ©es de consultations populaires par les reprĂ©sentants du lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois.

[108]     L’avocate ajoute que dans l’arrĂȘt Carter, la Cour suprĂȘme a ouvert la porte aux lĂ©gislatures provinciales de lĂ©gifĂ©rer en adoptant une loi compatible avec les paramĂštres constitutionnels y Ă©noncĂ©s. La PGQ aurait donc rĂ©pondu Ă  cette invitation de la Cour suprĂȘme en adoptant la Loi.

[109]     Or, les demandeurs et les intervenants ont rapidement fait remarquer au Tribunal qu’en juin 2014, les membres de l’AssemblĂ©e nationale pouvaient difficilement « rĂ©pondre Ă  une invitation de la Cour suprĂȘme Â» en adoptant la Loi. On Ă©tait alors quelque huit mois avant que ladite « invitation Â» ne soit faite par la Cour suprĂȘme. 

[110]     Quoi qu’il en soit, selon la PGQ, la Loi Ă©tablit que l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir s’inscrit dans le continuum des soins de santĂ© offerts aux citoyens du QuĂ©bec. Comme l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir est un  soin administrĂ© par un mĂ©decin et, par consĂ©quent, un soin de santĂ© comme en font foi les dĂ©finitions retrouvĂ©es Ă  l’article 3 de la Loi ayant trait aux soins de fin de vie et Ă  l’aide mĂ©dicale Ă  mourir, la PGQ insiste que la Loi relĂšve de la compĂ©tence exclusive du QuĂ©bec en matiĂšre de santĂ©. 

[111]     La PGQ n’y voit donc aucune possibilitĂ© de conflit juridictionnel en l’espĂšce.

[112]     Bref, outre le fait qu’en adoptant la Loi, QuĂ©bec aurait agi Ă  l’intĂ©rieur de sa propre compĂ©tence en matiĂšre de santĂ©, l’avocate de la PGQ soutient que les demandeurs n’ont dĂ©montrĂ© aucune apparence de droit et n’ont prouvĂ© aucun prĂ©judice sĂ©rieux et irrĂ©parable Ă  leur Ă©gard si la prĂ©sente ordonnance en injonction provisoire n’était pas accordĂ©e. Il n’y a Ă©videmment aucune situation d’urgence en l’espĂšce.

[113]     Le Tribunal partage l’avis de l’avocate en ce qui a trait Ă  la demanderesse, mais la situation du demandeur, le mĂ©decin Saba, diffĂšre en raison du fait que les articles 14 et 241b) du Code criminel sont toujours valides et en vigueur, malgrĂ© qu’ils soient toutefois frappĂ©s d’une dĂ©claration d’invaliditĂ© constitutionnelle suspendue en matiĂšre d’aide au suicide dans le contexte de l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir.

[114]     Selon l’avocate de la PGQ, il s’agit d’un faux problĂšme ou d’une fausse crainte Ă©voquĂ©e par le mĂ©decin Saba, car celui-ci devrait n’avoir rien Ă  craindre d’une contravention possible Ă  l’article 241b) du Code criminel, car cet article ainsi que l’article 14 sont prĂ©sentement sous le « respirateur artificiel Â» et, que de toute façon au QuĂ©bec, aucune plainte criminelle du genre fondĂ©e sur cet article du Code criminel ne va ĂȘtre portĂ©e contre les mĂ©decins qui auront pratiquĂ© l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir en vertu de la Loi. 

[115]     Cette derniĂšre affirmation provenant de l’avocate de la PGQ Ă©tonne le Tribunal, d’autant plus que le Directeur des poursuites criminelles et pĂ©nales est celui qui normalement porte de telles accusations et qu’il n’était pas prĂ©sent Ă  l’audience, n’ayant pas dĂ©posĂ© de comparution malgrĂ© qu’il ait Ă©tĂ© appelĂ© Ă  titre de mis en cause par les demandeurs.

[116]     Quelles assurances rĂ©elles la PGQ peut-elle vraiment donner Ă  cet Ă©gard au mĂ©decin Saba et autres mĂ©decins du QuĂ©bec qui accepteront de poser les gestes reliĂ©s Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir Ă  partir du 10 dĂ©cembre 2015? Le Directeur des poursuites criminelles et pĂ©nales n’est-il pas indĂ©pendant de la PGQ et du gouvernement du QuĂ©bec dans la prise de dĂ©cision des accusations Ă  porter ou non?

[117]     Qu’arriverait-il si une plainte privĂ©e Ă©tait portĂ©e?

[118]     Qu’arriverait-il si le Parlement fĂ©dĂ©ral dĂ©cidait de se servir des dispositions de l’article 33 de la Charte canadienne en matiĂšre de dĂ©rogation par dĂ©claration expresse pour suspendre ou Ă©viter la DĂ©claration d’invaliditĂ©?

[119]     Avec grand respect, face Ă  une disposition du Code criminel dont le libellĂ© est non Ă©quivoque dans le contexte actuel, l’assurance du ou de la ministre de la Justice et du ou de la procureur(e) gĂ©nĂ©ral(e) d’une province de ne pas faire porter d’accusation Ă  l’endroit d’un citoyen qui aurait contrevenu Ă  une telle disposition du Code criminel ne peut avoir pour effet d’éliminer le caractĂšre sĂ©rieux et irrĂ©parable auquel tout citoyen s’expose s’il accepte de poser un geste ou un acte spĂ©cifiquement prohibĂ© par le Code criminel actuel en vertu de dispositions valides et en vigueur.

[120]     Le Tribunal se permet de rappeler avec grands Ă©gards qu’en l’espĂšce, au moment de l’adoption de la Loi, le 5 juin 2014, les articles 14 et 241b) du Code criminel n’étaient frappĂ©s d’aucune dĂ©claration d’invaliditĂ© inconstitutionnelle en matiĂšre d’Aide mĂ©dicale Ă  mourir.

[121]     Les membres de l’AssemblĂ©e nationale du QuĂ©bec pouvaient difficilement ignorer l’existence d’une incompatibilitĂ© lĂ©gislative avec le Code criminel au moment de voter la Loi.

[122]     Avec grand respect pour l’opinion contraire, le 5 juin 2014, le fait d’affubler l’aide au suicide et l’euthanasie d’un ĂȘtre humain d’un autre qualificatif, voire mĂȘme d’un euphĂ©misme, Ă  savoir l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir, ne pouvait avoir pour effet de soustraire automatiquement de l’application d’une loi fĂ©dĂ©rale un geste ou un acte spĂ©cifiquement prohibĂ© par les articles 14 et 214b) du Code criminel et de confĂ©rer aussitĂŽt une compĂ©tence au QuĂ©bec en matiĂšre d’Aide mĂ©dicale Ă  mourir sous le prĂ©texte qu’il s’agissait dĂšs lors d’un soin de santĂ© qui allait s’inscrire dans le continuum des autres soins de santĂ© prodiguĂ©s jusqu’alors au patient.

[123]     Dans un autre ordre d’idĂ©es, l’avocate de la PGQ a affirmĂ© que la Loi ayant Ă©tĂ© adoptĂ©e validement par l’AssemblĂ©e nationale, celle-ci conservait toute sa force et qu’elle bĂ©nĂ©ficiait de la prĂ©somption d’avoir Ă©tĂ© passĂ©e Ă  l’avantage et dans l’intĂ©rĂȘt du public quĂ©bĂ©cois. ConsĂ©quemment, le Tribunal devrait conserver Ă  l’esprit cet Ă©tat de fait en considĂ©rant la balance des inconvĂ©nients entre les consĂ©quences d’accorder ou non l’injonction provisoire demandĂ©e.

[124]     Le Tribunal en convient, mais il ne s’agit pas pour autant d’une prĂ©somption irrĂ©fragable. Le Tribunal doit nĂ©cessairement Ă©valuer la situation Ă  la lumiĂšre de l’ensemble des faits propres Ă  celle-ci.

[125]     L’avocate de la PGQ a particuliĂšrement insistĂ© auprĂšs du Tribunal de conserver Ă  l’esprit que la Cour suprĂȘme ayant maintenant tracĂ© des balises constitutionnelles en matiĂšre d’Aide mĂ©dicale Ă  mourir, une personne rĂ©unissant dĂšs lors ces balises devrait, par le fait mĂȘme, avoir le droit de mourir avec l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir. Le Tribunal ne devrait donc pas suspendre l’application des dispositions de la Loi ayant trait Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir alors que celle-ci respecterait ces balises et que la Loi rĂ©pondrait Ă  la situation dĂ©criĂ©e par la Cour suprĂȘme dans l’arrĂȘt Carter. 

[126]     Une mise au point s’impose.

[127]     Il faut conserver Ă  l’esprit que l’arrĂȘt Carter n’a pas eu pour effet de dĂ©criminaliser de façon absolue l’aide au suicide et de permettre Ă  toutes personnes respectant les paramĂštres Ă©tablis d’obtenir l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir, et ce, sans autres dĂ©lais.

[128]     Au contraire, la Cour suprĂȘme n’a fait que crĂ©er une exception Ă  la prohibition criminelle de suicide assistĂ©, en ce sens que l’aide Ă  mourir ne peut ĂȘtre privĂ©e aux adultes (i) capables de consentir clairement Ă  mettre fin Ă  leurs jours et (ii) qui sont affectĂ©s de problĂšmes de santĂ© graves et irrĂ©mĂ©diables leur causant des souffrances persistantes et intolĂ©rables au regard de leur condition. [Soulignement ajoutĂ©]

[129]     Qui plus est, la Cour suprĂȘme n’a pas indiquĂ© que l’aide au suicide constituait dans certains cas un soin mĂ©dical et que, consĂ©quemment, les parlements provinciaux avaient compĂ©tence exclusive pour lĂ©gifĂ©rer sur cette matiĂšre particuliĂšre. Par contre, il faut reconnaĂźtre que la Cour suprĂȘme n’a pas affirmĂ© non plus que l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir n’est pas un soin mĂ©dical. Le dĂ©bat reste ouvert jusqu’à ce que le parlement fĂ©dĂ©ral redĂ©finisse l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir dans le contexte du Code criminel et de l’arrĂȘt Carter.

[130]     Une chose est certaine, il n’appartient pas au Tribunal de trancher, dans le prĂ©sent jugement, la question des soins de santĂ© dans le contexte de l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir et de l’aide au suicide au sens du Code criminel.

[131]     En fait, les passages suivants attestent de la difficultĂ© Ă  trancher Ă  quel moment ou Ă  quel point la compĂ©tence d’une province en matiĂšre de santĂ© et celle du parlement fĂ©dĂ©ral peuvent empiĂ©ter l’une sur l’autre en matiĂšre de santĂ© :

 

« VII. La prohibition porte-t-elle atteinte au « contenu essentiel Â» de la compĂ©tence provinciale sur la santĂ©?

[49] Les appelants reconnaissent que la prohibition de l’aide au suicide constitue gĂ©nĂ©ralement un exercice valide de la compĂ©tence en matiĂšre de droit criminel confĂ©rĂ©e au gouvernement fĂ©dĂ©ral par le par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867. Ils affirment toutefois que, selon la doctrine de l’exclusivitĂ© des compĂ©tences, la prohibition ne peut constitutionnellement s’appliquer Ă  l’aide mĂ©dicale Ă  mourir car elle touche Ă  l’essence mĂȘme de la compĂ©tence en matiĂšre de santĂ© confĂ©rĂ©e aux provinces par les par. 92(7), (13) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867, et elle outrepasse donc la compĂ©tence lĂ©gislative du Parlement fĂ©dĂ©ral.  

[50] La doctrine de l’exclusivitĂ© des compĂ©tences repose sur la prĂ©misse que les chefs de compĂ©tence prĂ©vus aux art. 91 et 92 sont « exclusifs Â» et ont donc chacun un contenu essentiel « minimum [...] et irrĂ©ductible Â» qui Ă©chappe Ă  l’application de la lĂ©gislation Ă©dictĂ©e par l’autre ordre de gouvernement (Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3, par. 33-34). Pour que leur argument sur ce point soit retenu, les appelants doivent dĂ©montrer que la prohibition, dans la mesure oĂč elle s’applique Ă  l’aide mĂ©dicale Ă  mourir, entrave le « contenu essentiel protĂ©gĂ© Â» de la compĂ©tence provinciale en matiĂšre de santĂ© : Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, 2014 CSC 44, [2014] 2 R.C.S. 256, par. 131.

[51] Notre Cour a rejetĂ© un argument similaire dans Canada (Procureur gĂ©nĂ©ral) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134. Il s’agissait dans cette affaire de dĂ©terminer « si la prestation de soins de santĂ© fait partie du contenu essentiel protĂ©gĂ© du pouvoir confĂ©rĂ© aux provinces par les par. 92(7), (13) et (16) [...] en matiĂšre de santĂ© et si elle est de ce fait Ă  l’abri d’une ingĂ©rence fĂ©dĂ©rale Â» (par. 66). La Cour a conclu que non (la juge en chef McLachlin) :

[...] le Parlement a le pouvoir de lĂ©gifĂ©rer dans des matiĂšres de compĂ©tence fĂ©dĂ©rale, comme le droit criminel, qui touchent la santĂ©. Ainsi, il a toujours eu le pouvoir d’interdire les traitements mĂ©dicaux dangereux ou qui, selon lui, constituent une « conduite socialement rĂ©prĂ©hensible Â» : R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; Morgentaler c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 616; R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463. Compte tenu du rĂŽle dĂ©volu au fĂ©dĂ©ral dans le domaine de la santĂ©, il est impossible de dĂ©finir prĂ©cisĂ©ment les Ă©lĂ©ments que comporterait ou non le « contenu essentiel Â» provincial proposĂ©. La compĂ©tence fĂ©dĂ©rale concurrente, ainsi que l’ampleur mĂȘme et la diversitĂ© de la compĂ©tence provinciale en matiĂšre de santĂ© rendent pratiquement insurmontable la tĂąche de dĂ©limiter avec prĂ©cision un contenu essentiel provincial qui serait protĂ©gĂ© de toute incursion fĂ©dĂ©rale. [par. 68]

[52] Les appelants et la procureure gĂ©nĂ©rale du QuĂ©bec (qui est intervenue sur ce point) affirment qu’il est possible de dĂ©finir avec prĂ©cision le contenu essentiel de la compĂ©tence en matiĂšre de santĂ© et, par consĂ©quent, d’établir une distinction d’avec l’arrĂȘt PHS. Le contenu essentiel proposĂ© par les appelants est dĂ©crit comme le pouvoir d’administrer le traitement mĂ©dical nĂ©cessaire lorsqu’aucun autre traitement ne peut rĂ©pondre aux besoins du patient (m.a., par. 43). Le QuĂ©bec adopte une dĂ©marche lĂ©gĂšrement diffĂ©rente en dĂ©finissant le contenu essentiel comme le pouvoir de dĂ©cider du type de soins de santĂ© Ă  offrir aux patients et de superviser la procĂ©dure relative au consentement requis pour ces soins (m.i., par. 7).

[53] Nous ne sommes pas convaincus par les arguments selon lesquels il est possible de faire une distinction d’avec PHS, compte tenu des mots vagues employĂ©s dans les dĂ©finitions proposĂ©es du « contenu essentiel Â» de la compĂ©tence provinciale en matiĂšre de santĂ©. À notre avis, les appelants n’ont pas Ă©tabli que la prohibition de l’aide mĂ©dicale Ă  mourir empiĂšte sur le contenu essentiel de la compĂ©tence provinciale. La santĂ© est un domaine de compĂ©tence concurrente; le Parlement et les provinces peuvent validement lĂ©gifĂ©rer dans ce domaine : RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur gĂ©nĂ©ral), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 32; Schneider c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 112, p. 142. Ceci laisse croire que les deux ordres de gouvernement peuvent validement lĂ©gifĂ©rer sur des aspects de l’aide mĂ©dicale Ă  mourir, en fonction du caractĂšre et de l’objet du texte lĂ©gislatif. Le dossier qui nous a Ă©tĂ© soumis ne nous convainc pas que la compĂ©tence provinciale en matiĂšre de santĂ© exclut la compĂ©tence du Parlement fĂ©dĂ©ral de lĂ©gifĂ©rer sur l’aide mĂ©dicale Ă  mourir. Il s’ensuit que la prĂ©tention fondĂ©e sur l’exclusivitĂ© des compĂ©tences ne peut ĂȘtre retenue. Â»

[Soulignements et caractÚre gras ajoutés]

[132]     À la lecture de ce qui prĂ©cĂšde, le Tribunal retient que les deux ordres de gouvernement ont toujours le pouvoir de lĂ©gifĂ©rer en matiĂšre d’Aide mĂ©dicale Ă  mourir, mais que leur compĂ©tence respective en cette matiĂšre s’effectue « en fonction du caractĂšre et de l’objet du texte lĂ©gislatif Â». [Soulignement ajoutĂ©]

[133]     MĂȘme si les deux ordres de gouvernement disposent d’une compĂ©tence concurrente en matiĂšre de santĂ©, la Cour suprĂȘme n’a pas laissĂ© entendre que le QuĂ©bec [ou toute autre province] pouvait couvrir Ă  lui seul le champ complet en matiĂšre d’Aide mĂ©dicale Ă  mourir, comme le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois semble avoir voulu le faire en adoptant la Loi.

[134]     MalgrĂ© qu’il n’appartienne pas au Tribunal, Ă  cette Ă©tape des procĂ©dures, de se prononcer sur la question Ă  savoir si l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir est un soin de santĂ© qui Ă©chapperait au Code criminel,  il faut conclure Ă  ce stade-ci que l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir, dans le contexte actuel, correspond prima facie Ă  l’euthanasie d’un ĂȘtre humain Ă  la demande expresse de ce dernier ou en d’autres termes, Ă  l’aide au suicide par forcĂ©ment l’entremise d’une autre personne. Ces gestes que certains veulent qualifier d’Aide mĂ©dicale Ă  mourir n’en demeurent pas moins Ă  prime abord des gestes qui prĂ©sentement sont incompatibles avec la prohibition du Code criminel. 

[135]     La Cour suprĂȘme a indiquĂ© qu’il revenait au parlement fĂ©dĂ©ral d’adopter, dans un dĂ©lai de douze mois, la lĂ©gislation appropriĂ©e en matiĂšre criminelle qui tiendra compte de l’exception qu’elle a Ă©laborĂ©e dans l’arrĂȘt Carter quant au suicide assistĂ© dans un contexte d’Aide mĂ©dicale Ă  mourir.

[136]     Ceci expliquerait sans doute la PĂ©riode de suspension de douze mois accordĂ©e relativement la prise d’effet de la DĂ©claration d’invaliditĂ©.

[137]     Le Tribunal est d’opinion que la Cour suprĂȘme a reconnu qu’il revenait au parlement fĂ©dĂ©ral de dĂ©terminer ce qui constitue un acte criminel ou non en matiĂšre d’aide au suicide et, en particulier, en matiĂšre impliquant des adultes (i) capables de consentir clairement Ă  mettre fin Ă  leurs jours et (ii) qui sont affectĂ©s de problĂšmes de santĂ© graves et irrĂ©mĂ©diables leur causant des souffrances persistantes et intolĂ©rables au regard de leur condition. [Soulignement ajoutĂ©]

[138]      Dans un tel contexte, le Tribunal retient Ă©galement que les provinces ont et continueront de jouer un rĂŽle important en matiĂšre de santĂ©, mais ce rĂŽle, si important puisse-t-il ĂȘtre, sera nĂ©anmoins complĂ©mentaire comme il l’a toujours Ă©tĂ© Ă  la compĂ©tence exercĂ©e par le parlement fĂ©dĂ©ral en matiĂšre criminelle, compĂ©tence qui peut parfois toucher la santĂ©. Les provinces pourront donc lĂ©gifĂ©rer sur la mĂ©thode appropriĂ©e de dispenser l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir dans les cas qu’aura permis le parlement fĂ©dĂ©ral dans l’exercice de sa compĂ©tence en matiĂšre criminelle.

[139]       En adoptant la Loi permettant aux mĂ©decins d’offrir l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir aux patients qui le demanderont Ă  compter du 10 dĂ©cembre 2015, le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois a certes exercĂ© son pouvoir de lĂ©gifĂ©rer en matiĂšre de santĂ©. Par ailleurs, en ce faisant, il a pris un certain risque en Ă©dictant des dispositions lĂ©gislatives qui touchent Ă  l’aide Ă  mourir et qui sont couvertes par les articles 14 et 241b) du Code criminel. Encore une fois, et ceci Ă©tant dit avec le plus grand respect, d’ajouter le mot  mĂ©dicale Ă  l’expression aide Ă  mourir ne peut Ă  lui seul avoir pour effet de mettre Ă  l'abri des dispositions lĂ©gislatives provinciales incompatibles avec la lĂ©gislation fĂ©dĂ©rale en matiĂšre criminelle, compĂ©tence confĂ©rĂ©e exclusivement au parlement fĂ©dĂ©ral par la Constitution.

[140]     Force est de constater que dans le contexte actuel fort particulier, Ă  son entrĂ©e en vigueur, les dispositions de la Loi au niveau de l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir, vont contrevenir directement aux articles 14 et 241b) du Code criminel en permettant aux mĂ©decins d’aider au suicide de patients qui seront alors Ă©ligibles en vertu de la Loi et qui l’auront demander, Ă  tout le moins pour la pĂ©riode allant du 10 dĂ©cembre 2015 au 6 fĂ©vrier 2016, date de prise en effet de la DĂ©claration d’invaliditĂ© dans l’arrĂȘt Carter.

[141]     MalgrĂ© ce qui prĂ©cĂšde, la PGQ insiste sur le principe de la prĂ©somption de validitĂ© des lois dont la Loi doit bĂ©nĂ©ficier.

[142]     Certes, Ă  ce stade des procĂ©dures, « le juge saisi de la requĂȘte doit tenir pour acquis que la mesure lĂ©gislative a Ă©tĂ© adoptĂ©e pour le bien du public Â»[16], et ce, dans notre sociĂ©tĂ© oĂč la notion de «« [l]'intĂ©rĂȘt public Â» comprend Ă  la fois les intĂ©rĂȘts de l'ensemble de la sociĂ©tĂ© et les intĂ©rĂȘts particuliers de groupes identifiables Â»[17].

[143]     NĂ©anmoins, comme l’ont suggĂ©rĂ© les avocats reprĂ©sentant la PGC et la Coalition, le Tribunal doit constater l’existence d’une situation de conflit lĂ©gislatif manifeste qui entraĂźne nĂ©cessairement l’application de la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale, tant (i) au niveau de l’incompatibilitĂ© des dispositions de la Loi ayant trait Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir par rapport au texte actuel des articles 241 b) et 14 du Code criminel toujours valides et en vigueur (ii) qu’au niveau de l’incompatibilitĂ© de ces mĂȘmes dispositions de la Loi avec l’objectif et l’intention desdits articles du Code criminel.

[144]     Nous sommes en prĂ©sence de dispositions provinciales prĂ©sumĂ©es valides qui entrent en conflit avec des dispositions fĂ©dĂ©rales, toujours valides et en vigueur, et ce, jusqu’à la prise d’effet de la DĂ©claration d’invaliditĂ© prononcĂ©e par la Cour suprĂȘme dans l’arrĂȘt Carter.

[145]     Les dispositions lĂ©gislatives Ă  l’étude sont en contradiction expresse et elles ne peuvent s’appliquer ensemble au point de vue pratique et opĂ©rationnel :

« [I]l y a un conflit vĂ©ritable, comme lorsqu’une loi dit «oui» et que l’autre dit «non»; «on demande aux mĂȘmes citoyens d’accomplir des actes incompatibles»; l’observance de l’une entraĂźne l’inobservance de l’autre.[18] Â»

[146]     Ainsi, dans le contexte actuel, de la perspective du patient, le majeur apte Ă  consentir aux soins, ne peut formuler la demande d’Aide mĂ©dicale Ă  mourir (article 26 de la Loi) sans violer l’article 14 du Code criminel.

[147]     Du point de vue du mĂ©decin qui administre l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir (article 30 de la Loi), il peut ĂȘtre dĂ©clarĂ© coupable d’un acte criminel au sens de l’article 241b) du Code criminel.

[148]     Les assurances offertes par la PGQ en l’absence du Directeur des poursuites criminelles et pĂ©nales quant Ă  l’absence de poursuites criminelles contre les mĂ©decins en vertu de l’article 241b) C.cr. peuvent ĂȘtre attirantes, mais elles ne constituent pas une solution acceptable au conflit entre les lois fĂ©dĂ©rales et les lois provinciales.

[149]     La PGQ invoque l’article 50 de la Loi qui permet au mĂ©decin de refuser d’administrer l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir. Implicitement, d’aucuns pourraient affirmer qu’il est possible pour le mĂ©decin de respecter les deux lois en s’abstenant d’administrer l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir, c’est-Ă -dire que « l’observance de la loi la plus stricte entraĂźne nĂ©cessairement le respect de l’autre Â»[19].

[150]     Avec Ă©gard, un tel raisonnement apparaĂźt superficiel, car l’on ne tient pas compte du sens Ă©tendu de la notion de « contradiction expresse Â» qui comprend le conflit rĂ©el d’application des lois, Ă  savoir les situations oĂč « l’application de la loi provinciale a pour effet de dĂ©jouer l’intention du Parlement Â»[20].

[151]     Or, jusqu’à la prise d’effet de la DĂ©claration d’invaliditĂ© de l’arrĂȘt Carter, l’intention du lĂ©gislateur fĂ©dĂ©ral de criminaliser l’aide Ă  mourir, y compris celle dans un contexte mĂ©dical, demeure.

[152]     Par ailleurs, le simple refus du mĂ©decin d’offrir l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir est insuffisant au sens de l’article 50 de la Loi, car celui-ci doit respecter la procĂ©dure prĂ©vue Ă  l’article 31 de la Loi qui lui impose l’obligation de transfĂ©rer la demande d’Aide mĂ©dicale Ă  mourir en vue d’assurer son suivi et sa rĂ©alisation.

[153]     En matiĂšre de la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale, le Tribunal retient les enseignements suivants de la Cour suprĂȘme dans l’arrĂȘt QuĂ©bec (Procureur gĂ©nĂ©ral) c. Canadian Owners and Pilots Association[21] :

« C.      La prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale

[62] Contrairement Ă  la doctrine de l’exclusivitĂ© des compĂ©tences, laquelle se rapporte Ă  la portĂ©e de la compĂ©tence fĂ©dĂ©rale, celle de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale se rapporte Ă  la façon dont la compĂ©tence est exercĂ©e.  La doctrine de la prĂ©pondĂ©rance est pertinente lorsqu’un conflit oppose une loi fĂ©dĂ©rale Ă  une loi provinciale.  Comme le juge Major l’a expliquĂ© dans Rothmans, au par. 11, « [s]elon la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance des lois fĂ©dĂ©rales, en cas de conflit entre une loi fĂ©dĂ©rale et une loi provinciale qui sont validement adoptĂ©es, mais qui se chevauchent, la loi provinciale devient inopĂ©rante dans la mesure de l’incompatibilitĂ©. Â»

[63] La doctrine de l’exclusivitĂ© des compĂ©tences a pour effet d’annuler l’éventuelle incompatibilitĂ© entre une loi fĂ©dĂ©rale et une loi provinciale en rendant la loi provinciale inapplicable dans la mesure oĂč elle entrave l’exercice d’une activitĂ© relevant du cƓur d’un pouvoir fĂ©dĂ©ral.  Comme j’ai conclu que la doctrine de l’exclusivitĂ© des compĂ©tences permet de trancher le prĂ©sent litige, il n’est pas nĂ©cessaire de tenir compte de celle de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale.  Toutefois, compte tenu des arguments prĂ©sentĂ©s par les parties, il peut ĂȘtre utile d’examiner l’applicabilitĂ© de cette doctrine.

[64] Deux formes de conflit diffĂ©rentes permettent d’invoquer la prĂ©pondĂ©rance.  La premiĂšre est le conflit d’application entre une loi fĂ©dĂ©rale et une loi provinciale, oĂč une loi dit « oui Â» et l’autre dit « non Â», de sorte que « l’observance de l’une entraĂźne l’inobservance de l’autre Â» : Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161, p. 191, le juge Dickson.  Dans Banque de MontrĂ©al c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121,  p. 155, le juge La Forest a relevĂ©, pour le critĂšre de la prĂ©pondĂ©rance, un deuxiĂšme volet selon lequel il est possible de se conformer aux deux textes mĂȘme si la loi provinciale est incompatible avec l’objet de la loi fĂ©dĂ©rale : voir aussi Law Society of British Columbia c. Mangat, 2001 CSC 67, [2001] 3 R.C.S. 113, par. 72; Lafarge Canada, par. 84.  La rĂšgle de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale peut donc s’appliquer s’il est impossible de se conformer aux deux textes ou si la rĂ©alisation de l’objet d’une loi fĂ©dĂ©rale est entravĂ©e : Rothmans, par. 14.

[65] Il n’est pas question en l’espĂšce d’un conflit d’application; selon la loi fĂ©dĂ©rale, « oui, vous pouvez construire un aĂ©rodrome Â» mais selon la loi provinciale, « non, vous ne le pouvez pas Â».  Toutefois, la loi fĂ©dĂ©rale n’exige pas la construction d’un aĂ©rodrome.  Par consĂ©quent, pour reprendre les termes employĂ©s par le juge Dickson dans McCutcheon, l’observance de l’une n’entraĂźne pas l’inobservance de l’autre.  En l’espĂšce, il est possible de se conformer tant Ă  la loi provinciale qu’à la loi fĂ©dĂ©rale en dĂ©molissant l’aĂ©roport.

[66] La question est donc de savoir si la loi provinciale est incompatible avec l’objet de la loi fĂ©dĂ©rale.  Pour dĂ©terminer si la loi contestĂ©e entrave la rĂ©alisation d’un objectif fĂ©dĂ©ral, il faut examiner le cadre rĂ©glementaire qui rĂ©git la dĂ©cision de construire un aĂ©rodrome.  Le fardeau de la preuve incombe Ă  la personne qui invoque la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale : Lafarge Canada, par. 77.  Cette personne doit prouver que la loi contestĂ©e va Ă  l’encontre de l’objet d’une loi fĂ©dĂ©rale.  Pour ce faire, elle doit d’abord Ă©tablir l’objet de la loi fĂ©dĂ©rale pertinente et ensuite prouver que la loi provinciale est incompatible avec cet objet.  La norme d’invalidation d’une loi provinciale au motif qu’elle entrave la rĂ©alisation de l’objet fĂ©dĂ©ral est Ă©levĂ©e; une loi fĂ©dĂ©rale permissive, sans plus, ne permettra pas d’établir l’entrave de son objet par une loi provinciale qui restreint la portĂ©e de la permissivitĂ© de la loi fĂ©dĂ©rale : voir 114957 Canada LtĂ©e (Spraytech, SociĂ©tĂ© d’arrosage) c. Hudson (Ville), 2001 CSC 40, [2001] 2 R.C.S. 241. Â»

[Soulignements et caractÚre gras ajoutés]

[154]     En l’espĂšce, il ne fait aucun doute dans l’esprit du Tribunal que nous faisons face Ă  un conflit opĂ©rationnel puisque l’observance de la Loi en matiĂšre de l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir va entraĂźner l’inobservance du Code criminel au niveau de ses articles 14 et 241b).

[155]     Selon l’avocate de la PGC, le refus par la PGQ de suspendre l’application des articles de la Loi ayant trait Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir lors de l’entrĂ©e en vigueur de la Loi, le 10 dĂ©cembre 2015, entrainera dĂšs lors un prĂ©judice sĂ©rieux et irrĂ©parable en ce que les mĂ©decins faisant l’objet d’une demande d’Aide mĂ©dicale Ă  mourir seront confrontĂ©s Ă  accĂ©der Ă  une telle demande de leurs patients en observance de la Loi et commettre par le fait mĂȘme un acte qui est toujours criminel en vertu du Code criminel.

[156]     Force est de constater une incompatibilitĂ© directe et flagrante entre les dispositions en question de la Loi et celles du Code criminel Ă  ce sujet.

[157]     Les dispositions de la Loi ayant trait Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir sont, Ă  l’heure actuelle, incompatibles avec l'objet recherchĂ© par le parlement fĂ©dĂ©ral dans les dispositions actuelles des articles 14 et 241b) du Code criminel.

[158]     Il va donc de soi que l’application immĂ©diate des articles de la Loi ayant trait Ă  l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir dĂšs son entrĂ©e en vigueur va aussitĂŽt entraver la rĂ©alisation de l’objet de dispositions pertinentes du Code criminel, et ce, Ă  tout le moins pour la pĂ©riode allant du 10 dĂ©cembre 2015 jusqu’à la prise en effet de la DĂ©claration d’invaliditĂ© de l’arrĂȘt Carter.

[159]     Le Tribunal conclut donc qu’en l’espĂšce, il y a lieu de donner prĂ©sĂ©ance aux dispositions du Code criminel qui nous intĂ©ressent, lesquelles, faut-il le rappeler, sont toujours valides et en vigueur en date des prĂ©sentes.

[160]     La doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale (the doctrine of paramountcy) doit trouver application en l’espĂšce.

[161]     Pour mieux apprĂ©cier les effets d’une telle doctrine, il est utile de citer les propos suivants de l’auteur Peter W. Hogg :

« The most usual and most accurate way of describing the effect [of inconsistency] on the provincial law is to say that it is rendered inoperative to the extent of the inconsistency. [
] There is also a temporal limitation on the paramountcy doctrine. It will affect the operation of the provincial law only so long as the inconsistent federal law is in force. If the federal law is repealed, the provincial law will automatically “revive” (come back into operation) without any re-enactment by the provincial Legislature.

It is not accurate to describe the effect of the paramountcy doctrine as the “repeal” of the provincial law. The federal Parliament cannot repeal a provincial law. Moreover, a repealed law does not revive on the repeal of the repealing law. Nor is it accurate to describe the effect of the paramountcy doctrine as rendering the provincial law ultra vires, invalid or unconstitutional. Such a description confuses validity with consistency. The federal Parliament cannot unilaterally take away from a provincial Legislature any power that the Constitution confers upon the Legislature. The provincial power to enact the law is not lost; it continues to exist (so does the provincial law), although it remains in abeyance until such time as the federal Parliament repeals the inconsistent federal law. This is why the only satisfactory description of the effect of the paramountcy doctrine is that it renders inoperative the inconsistent provincial law.[22]»

[Soulignement ajouté]

[162]     Ainsi, dĂšs que le constat est fait que les articles de la Loi concernant l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir entrent en conflit avec les articles 14 et 241b) du Code criminel, que les dispositions de ces articles sont incompatibles avec la loi fĂ©dĂ©rale et que la rĂ©alisation de l’objet de cette loi fĂ©dĂ©rale est entravĂ©e par ces dispositions incompatibles, la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale s’applique, et ce, jusqu’à ce que l’incompatibilitĂ© disparaisse.

[163]     Par consĂ©quent, jusqu’à la prise d’effet de la DĂ©claration d’invaliditĂ© prononcĂ©e par la Cour suprĂȘme dans l’arrĂȘt Carter, les articles 14 et 241b) du Code criminel rendent inopĂ©rants les articles 26 Ă  32 inclusivement de la Section II de la Loi intitulĂ©e « Aide mĂ©dicale Ă  mourir Â», ainsi que l’article 4 de ladite Loi, dans la mesure oĂč les dispositions de cet article visent ou touchent l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir.

[164]     À la lumiĂšre des propos de l’auteur Hogg, le Tribunal retient Ă©galement que :

-           l’application de la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale n’a pas pour effet d’invalider ou d’abroger la Loi ou de rendre celle-ci ultra vires, invalide ou inconstitutionnelle;

-           il ne faut pas confondre la notion de validitĂ© avec celle de l’incompatibilitĂ©;

-           dans un contexte oĂč la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale prĂ©vaut, le parlement fĂ©dĂ©ral n’a pas le pouvoir non plus d’abroger une loi adoptĂ©e validement par la lĂ©gislature quĂ©bĂ©coise, qui ne perd pas pour autant son pouvoir de lĂ©gifĂ©rer en la matiĂšre; et

-           les dispositions de la loi provinciale incompatibles avec la loi fĂ©dĂ©rale demeureront inopĂ©rantes jusqu’à ce que le parlement fĂ©dĂ©ral Ă©limine cette incompatibilitĂ© Ă  son niveau.

[165]     Dans la prĂ©sente affaire, on ne pourrait avoir une illustration plus Ă©loquente de l’incompatibilitĂ© entre les dispositions de deux lois et une entrave au but recherchĂ© par la loi fĂ©dĂ©rale.

[166]     Les avocats de la PGC, de la Coalition et du mĂ©decin Saba, entre autres, ont bien mis en lumiĂšre ces incompatibilitĂ©s qui ne sont nullement limitĂ©es Ă  la situation du demandeur, mais qui affectent Ă©galement tous les mĂ©decins et autres intervenants du systĂšme de santĂ© quĂ©bĂ©cois, lesquels, dĂšs le 10 dĂ©cembre 2015, seront directement impliquĂ©s dans la mise en Ɠuvre des demandes d’Aide mĂ©dicale Ă  mourir de citoyens alors Ă©ligibles.

[167]     Nier cette incompatibilitĂ© flagrante, c’est nier l’évidence mĂȘme.

[168]     L’avocate de la PGQ propose qu’il s’agit d’un faux dĂ©bat, car les articles 14 et 241b) du Code criminel sont sur le « respirateur artificiel Â» en raison de la DĂ©claration d’invaliditĂ© de l’arrĂȘt Carter.

[169]     Avec respect, le Tribunal ne partage pas cette optique qui fait abstraction de constats incontournables Ă  la lecture de l’arrĂȘt Carter.

[170]     À cet Ă©gard, le Tribunal a notĂ© et doit retenir les constats suivants qui doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©s dans la prĂ©sente dĂ©cision :

-           la PGQ Ă©tait reprĂ©sentĂ©e et a participĂ© Ă  l’audience de la Cour suprĂȘme dans l’affaire Carter en octobre 2014;

-           la Cour suprĂȘme Ă©tait au courant que l’AssemblĂ©e nationale du QuĂ©bec avait adoptĂ© la Loi en juin 2014 et que cette Loi allait entrer en vigueur le 10 dĂ©cembre 2015, tel qu’en fait foi son article 78;

-           Ă  l’audience, la Cour suprĂȘme a Ă©tĂ© sensibilisĂ©e Ă  l’approche du gouvernement du QuĂ©bec en matiĂšre d’Aide mĂ©dicale Ă  mourir que la Cour suprĂȘme qualifie d’approche lĂ©gĂšrement diffĂ©rente par rapport Ă  la situation qui avait l’objet de l’arrĂȘt PHS Community Services Society[23] [24]en 2011 :

« [52] Les appelants et la procureure gĂ©nĂ©rale du QuĂ©bec (qui est intervenue sur ce point) affirment qu’il est possible de dĂ©finir avec prĂ©cision le contenu essentiel de la compĂ©tence en matiĂšre de santĂ© et, par consĂ©quent, d’établir une distinction d’avec l’arrĂȘt PHS. Le contenu essentiel proposĂ© par les appelants est dĂ©crit comme le pouvoir d’administrer le traitement mĂ©dical nĂ©cessaire lorsqu’aucun autre traitement ne peut rĂ©pondre aux besoins du patient (m.a., par. 43). Le QuĂ©bec adopte une dĂ©marche lĂ©gĂšrement diffĂ©rente en dĂ©finissant le contenu essentiel comme le pouvoir de dĂ©cider du type de soins de santĂ© Ă  offrir aux patients et de superviser la procĂ©dure relative au consentement requis pour ces soins (m.i., par. 7). Â»

[Soulignements et caractÚre gras ajoutés]

-           la Cour suprĂȘme n’a pas retenu la position de la PGQ :

« [53] Nous ne sommes pas convaincus par les arguments selon lesquels il est possible de faire une distinction d’avec PHS, compte tenu des mots vagues employĂ©s dans les dĂ©finitions proposĂ©es du « contenu essentiel Â» de la compĂ©tence provinciale en matiĂšre de santĂ©. À notre avis, les appelants n’ont pas Ă©tabli que la prohibition de l’aide mĂ©dicale Ă  mourir empiĂšte sur le contenu essentiel de la compĂ©tence provinciale. La santĂ© est un domaine de compĂ©tence concurrente; le Parlement et les provinces peuvent validement lĂ©gifĂ©rer dans ce domaine : RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur gĂ©nĂ©ral), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 32; Schneider c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 112, p. 142. Ceci laisse croire que les deux ordres de gouvernement peuvent validement lĂ©gifĂ©rer sur des aspects de l’aide mĂ©dicale Ă  mourir, en fonction du caractĂšre et de l’objet du texte lĂ©gislatif. Le dossier qui nous a Ă©tĂ© soumis ne nous convainc pas que la compĂ©tence provinciale en matiĂšre de santĂ© exclut la compĂ©tence du Parlement fĂ©dĂ©ral de lĂ©gifĂ©rer sur l’aide mĂ©dicale Ă  mourir. Il s’ensuit que la prĂ©tention fondĂ©e sur l’exclusivitĂ© des compĂ©tences ne peut ĂȘtre retenue. Â»

[Soulignements ajoutés]

-           aprĂšs avoir dĂ©claré  que « l’alinĂ©a 241b) et l’art. 14 du Code criminel portent atteinte de maniĂšre injustifiĂ©e Ă  l’art. 7 de la Charte et sont inopĂ©rants dans la mesure oĂč ils prohibent l’aide d’un mĂ©decin pour mourir Ă  une personne adulte capable qui (1) consent clairement Ă  mettre fin Ă  sa vie; et qui (2) est affectĂ©e de problĂšmes de santĂ© graves et irrĂ©mĂ©diables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolĂ©rables au regard de sa condition. Â», la Cour suprĂȘme a dĂ©cidĂ© de suspendre la prise d’effet de sa DĂ©claration d’invaliditĂ© pendant une pĂ©riode de 12 mois Ă  compter du 6 fĂ©vrier 2015;

-           en se prononçant comme suit au paragraphe 126 de l’arrĂȘt Carter, la Cour suprĂȘme ne laisse pas le champ complĂštement ouvert au QuĂ©bec en matiĂšre de l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir; l’implication du parlement fĂ©dĂ©ral en matiĂšre criminelle qui touche la santĂ© demeure toujours pertinente :

« [126] 
Dans la mesure oĂč les dispositions lĂ©gislatives contestĂ©es nient les droits que l’art. 7 reconnaĂźt aux personnes comme Mme Taylor, elles sont nulles par application de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il appartient au Parlement et aux lĂ©gislatures provinciales de rĂ©pondre, si elles choisissent de le faire, en adoptant une loi compatible avec les paramĂštres constitutionnels Ă©noncĂ©s dans les prĂ©sents motifs. Â»

[Soulignements et caractÚre gras ajoutés]

-            au paragraphe 127, la Cour suprĂȘme prend la peine de prĂ©ciser ce qui suit :

« [127] 
Cette dĂ©claration [d’invaliditĂ©] est censĂ©e s’appliquer aux situations de fait que prĂ©sente l’espĂšce. Nous ne nous prononçons pas sur d’autres situations oĂč l’aide mĂ©dicale Ă  mourir peut ĂȘtre demandĂ©e. Â»

-           au paragraphe 128, la Cour suprĂȘme se dit d’avis de suspendre la prise d’effet de la DĂ©claration d’invaliditĂ© pendant douze mois jusqu’au 6 fĂ©vrier 2016, c'est-Ă -dire, la PĂ©riode de suspension;

-           puis, au paragraphe 129, la Cour suprĂȘme refuse de permettre la mise en place d’une procĂ©dure ou d’un mĂ©canisme d’exemption pendant ladite pĂ©riode de 12 mois au cours de laquelle la prise d’effet de la DĂ©claration d’invaliditĂ© allait ĂȘtre suspendue :

« [129] Nous refusons d’accĂ©der Ă  la demande des appelants de crĂ©er une procĂ©dure d’exemption pendant la pĂ©riode au cours de laquelle la prise d’effet de la dĂ©claration d’invaliditĂ© est suspendue. Puisque Mme Taylor est maintenant dĂ©cĂ©dĂ©e et qu’aucune des autres parties au litige ne demande une exemption personnelle, il ne s’agit pas d’un cas oĂč il convient de crĂ©er un tel mĂ©canisme d’exemption. Â»

[171]     À la lumiĂšre de l’ensemble de ces dĂ©clarations faites et dĂ©cisions prises par la Cour suprĂȘme dans le cadre de l’affaire Carter et considĂ©rant que la PGQ y Ă©tait reprĂ©sentĂ©e et participait Ă  l’audience et que la Cour suprĂȘme Ă©tait au courant de l’existence de la Loi et de la date de son entrĂ©e en vigueur, le Tribunal ne peut y dĂ©celer un seul indice permettant de conclure que le QuĂ©bec n’était pas visĂ© par la PĂ©riode de suspension et par le refus de permettre la mise en place d’un mĂ©canisme d’exemption pour ceux et celles voulant se prĂ©valoir de la DĂ©claration d’invaliditĂ© durant ladite PĂ©riode de suspension en autant qu’ils ou elles respectent les paramĂštres constitutionnels alors tracĂ©s.

[172]     La Cour suprĂȘme ne pouvait ignorer que la Loi allait entrer en vigueur en dĂ©cembre 2015 en pleine PĂ©riode de suspension et pourtant, elle a refusĂ© de permettre tout mĂ©canisme d’exemption pendant cette suspension.

[173]     MalgrĂ© que la Loi adoptĂ©e avant l’arrĂȘt Carter puisse paraĂźtre comme Ă©tant l’équivalent d’un mĂ©canisme d’exemption bien Ă©laborĂ© et bien dĂ©fini par le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois, force est de constater que la Cour suprĂȘme n’a pas jugĂ© opportun de l’exempter de la PĂ©riode de suspension.

[174]     Outre le fait que la Loi est valide et reprĂ©sente la volontĂ© lĂ©gitime du lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois, l’avocate de la PGQ n’a offert aucune explication pouvant justifier que le QuĂ©bec ignore et simplement passe outre Ă  l’arrĂȘt Carter et la PĂ©riode de suspension.

[175]     Avec tous les Ă©lĂ©ments et faits qui avaient Ă©tĂ© portĂ©s Ă  la connaissance de la Cour suprĂȘme qui a eu l’opportunitĂ© de prendre connaissance de la Loi, celle-ci, face Ă  une demande de permettre la mise en place d’un mĂ©canisme d’exemption pendant la PĂ©riode de suspension, aurait facilement pu permettre pendant cette pĂ©riode la mise en Ɠuvre du mĂ©canisme retenu par le QuĂ©bec en matiĂšre d’Aide mĂ©dicale Ă  mourir.

[176]     La Cour suprĂȘme ne l’a pas fait.

[177]     Le Tribunal n’y voit pas pour autant un signe de dĂ©sapprobation de la Loi de la part de la Cour suprĂȘme, mais plutĂŽt un signe de respect de nos institutions lĂ©gislatives et des deux paliers de gouvernement qui continuent de se partager le domaine de la santĂ© dans un contexte oĂč l’aspect criminel ne peut ĂȘtre ignorĂ©, sans doute dans l’espoir que les deux ordres de gouvernements trouvent ensemble une solution harmonieuse dans le respect de la population et de ses attentes ponctuelles.

[178]     Dans un tel contexte, il est fortement souhaitable de voir quelle sera la solution lĂ©gislative qu’entendra apporter le parlement fĂ©dĂ©ral en matiĂšre criminelle Ă  la question de l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir,  une problĂ©matique fort prĂ©occupante qui ne peut plus ĂȘtre ignorĂ©e compte tenu des constats faits et des conclusions tirĂ©es par la Cour suprĂȘme dans l’arrĂȘt Carter. 

[179]     AprĂšs tout, en relisant Ă  nouveau les propos suivants de la Cour suprĂȘme dans l’arrĂȘt Carter, on peut aisĂ©ment comprendre pourquoi celle-ci a jugĂ© opportun d’accorder un dĂ©lai de suspension de douze mois de sa dĂ©claration d’invaliditĂ©. La Cour suprĂȘme s’attendait Ă  ce que le parlement fĂ©dĂ©ral lĂ©gifĂšre pendant cette pĂ©riode de temps :

« [126] 
Il appartient au Parlement et aux lĂ©gislatures provinciales de rĂ©pondre, si elles choisissent de le faire, en adoptant une loi compatible avec les paramĂštres constitutionnels Ă©noncĂ©s dans les prĂ©sents motifs.

[53] 
À notre avis, les appelants n’ont pas Ă©tabli que la prohibition de l’aide mĂ©dicale Ă  mourir [du Code criminel] empiĂšte sur le contenu essentiel de la compĂ©tence provinciale. La santĂ© est un domaine de compĂ©tence concurrente; le Parlement et les provinces peuvent validement lĂ©gifĂ©rer dans ce domaine. [
] Ceci laisse croire que les deux ordres de gouvernement peuvent validement lĂ©gifĂ©rer sur des aspects de l’aide mĂ©dicale Ă  mourir, en fonction du caractĂšre et de l’objet du texte lĂ©gislatif. Le dossier qui nous a Ă©tĂ© soumis ne nous convainc pas que la compĂ©tence provinciale en matiĂšre de santĂ© exclut la compĂ©tence du Parlement fĂ©dĂ©ral de lĂ©gifĂ©rer sur l’aide mĂ©dicale Ă  mourir. Il s’ensuit que la prĂ©tention fondĂ©e sur l’exclusivitĂ© des compĂ©tences ne peut ĂȘtre retenue. Â»

[180]     En conclusion, Ă  la lumiĂšre de la preuve soumise et des observations des diverses parties et intervenants, le Tribunal constate qu’à leur entrĂ©e en vigueur le 10 dĂ©cembre 2015, les articles de la Loi concernant l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir seront en conflit avec les articles 14 et 241b) du Code criminel, que les dispositions de ces articles sont incompatibles avec cette loi fĂ©dĂ©rale et que la rĂ©alisation de l’objet de cette loi fĂ©dĂ©rale sera dĂšs lors entravĂ©e par ces dispositions lĂ©gislatives incompatibles.

[181]     Face Ă  un tel constat, il y a donc lieu que le Tribunal applique la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale, laquelle continuera de s’appliquer jusqu’à ce que l’incompatibilitĂ© avec les articles 14 et 241b) du Code criminel disparaisse lors de la prise d’effet de la DĂ©claration d’invaliditĂ© desdits articles 14 et 241b) du Code criminel prononcĂ©e par la Cour suprĂȘme du Canada dans l’arrĂȘt Carter.

[182]     Par consĂ©quent, il y a Ă©galement lieu pour le Tribunal de dĂ©clarer que jusqu’à la prise d’effet de la DĂ©claration d’invaliditĂ© des articles 14 et 241b) du Code criminel prononcĂ©e par la Cour suprĂȘme dans l’arrĂȘt Carter, lesdits articles 14 et 241b) du Code criminel rendent inopĂ©rants les articles 26 Ă  32 inclusivement de la Loi (Section II intitulĂ©e « Aide mĂ©dicale Ă  mourir Â») ainsi que l’article 4 de la Loi, dans la mesure oĂč les dispositions de cet article visent ou touchent l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir.

[183]     Dans un tel contexte, vu l’application de la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale en l’espĂšce et la suspension de facto de la mise en application des articles susmentionnĂ©s de la Loi en dĂ©coulant en raison de la dĂ©claration de leur caractĂšre inopĂ©rant actuel, le Tribunal constate Ă©galement que le prĂ©judice sĂ©rieux et irrĂ©parable invoquĂ© au soutien de la demande d’injonction provisoire n’est plus prĂ©sent, tout comme l’élĂ©ment d’urgence d’émettre une telle ordonnance d’injonction provisoire.

[184]     L’injonction provisoire demandĂ©e afin de suspendre temporairement la mise en application desdits articles Ă  l’entrĂ©e en vigueur de la Loi, le 10 dĂ©cembre 2015, devient sans objet en raison de l’incompatibilitĂ© de ces dispositions avec les articles 14 et 241b) du Code criminel et de l'application de la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale aux prĂ©sentes, ces articles Ă©tant inopĂ©rants dĂšs l’entrĂ©e en vigueur de la Loi, et ce, jusqu’à ce que cette incompatibilitĂ© disparaisse avec la prise d’effet de la DĂ©claration d’invaliditĂ© des articles 14 et 241b) du Code criminel prononcĂ©e par la Cour suprĂȘme dans l’arrĂȘt Carter.

[185]     Enfin, l’intervenante Coalition a soulignĂ© qu’« il y a lieu de donner prĂ©sĂ©ance aux dispositions du Code criminel [
] et de faire droit aux conclusions recherchĂ©es par les requĂ©rants Â»[25]. La position de l’avocate de la PGC Ă©tait au mĂȘme effet. Or, la doctrine de prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale ne constitue pas un des critĂšres pour accueillir la demande d’injonction interlocutoire provisoire des demandeurs.

[186]     Dans les circonstances actuelles, il y a lieu de rejeter sans frais la requĂȘte des demandeurs pour l’émission d’une injonction provisoire.

 

 

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[187]     REJETTE la requĂȘte des demandeurs pour l’obtention d’une injonction provisoire dans la prĂ©sente instance;

[188]     RÉFÈRE les parties au MaĂźtre des rĂŽles de la Cour supĂ©rieure du district judiciaire de MontrĂ©al afin de fixer une date pour l’audition de la requĂȘte en injonction interlocutoire;

[189]     CONSTATE qu’à l’entrĂ©e en vigueur de la Loi concernant les soins de fin de vie[26] (la « Loi Â»), le 10 dĂ©cembre 2015, les articles de cette Loi concernant l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir seront en conflit avec les articles 14 et 241b) du Code criminel, que ces articles sont incompatibles avec cette loi fĂ©dĂ©rale et que la rĂ©alisation de l’objet de cette loi fĂ©dĂ©rale sera dĂšs lors entravĂ©e par ces dispositions lĂ©gislatives incompatibles;

[190]     DÉCLARE qu’en raison dudit constat, la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale s’applique en l’espĂšce et qu’elle continuera Ă  s’appliquer jusqu’à ce que l’incompatibilitĂ© avec les articles 14 et 241b) du Code criminel disparaisse lors de la prise d’effet de la DĂ©claration d’invaliditĂ©, ci-aprĂšs dĂ©crite, prononcĂ©e par la Cour suprĂȘme du Canada dans l’arrĂȘt Carter [2015 CSC 5] :

« [147] 
L’alinĂ©a 241b) et l’art. 14 du Code criminel portent atteinte de maniĂšre injustifiĂ©e Ă  l’art. 7 de la Charte et sont inopĂ©rants dans la mesure oĂč ils prohibent l’aide d’un mĂ©decin pour mourir Ă  une personne adulte capable qui (1) consent clairement Ă  mettre fin Ă  sa vie; et qui (2) est affectĂ©e de problĂšmes de santĂ© graves et irrĂ©mĂ©diables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolĂ©rables au regard de sa condition. Â»Â  [la « DĂ©claration d’invaliditĂ© Â»]

[191]     DÉCLARE que jusqu’à la prise d’effet de la DĂ©claration d’invaliditĂ© des articles 14 et 241b) du Code criminel prononcĂ©e par la Cour suprĂȘme du Canada dans l’arrĂȘt Carter, lesdits articles 14 et 241b) du Code criminel rendent inopĂ©rants les articles 26 Ă  32 inclusivement de la Loi (Section II intitulĂ©e « Aide mĂ©dicale Ă  mourir Â») ainsi que l’article 4 de la Loi, dans la mesure oĂč les dispositions de cet article visent ou touchent l’Aide mĂ©dicale Ă  mourir ;


 

[192]     LE TOUT, sans frais.

 

 

__________________________________

MICHEL A. PINSONNAULT, J.C.S.

 

Me Gérard Samet

Colas Moreira Kazandjian Zikovsky et

Me Dominique Talarico

Procureurs des demandeurs

 

Me Manon Des Ormeaux

Me MarilĂšne Boisvert

Me Jean-Yves Bernard

Direction générale des affaires juridiques et législatives

Procureur de la défenderesse  

 

Me Nadine Dupuis

MinistĂšre de la Justice Canada

Procureur de la mise en cause Procureur général du Canada

 

Me Robert E. Reynolds

Procureur de l’intervenante Alliance des chrĂ©tiens en droit

 

Me Pierre Y. Lefebvre

Fasken Martineau DuMoulin

Procureur de l’intervenante Euthanasia Prevention Coalition

 

 

Date d’audience:

24 novembre 2015

 



[1] RLRQ, c. S-32.0001.

[2] L.Q. 2014, c.2, art. 78.

[3] L'utilisation des noms de famille dans le prĂ©sent jugement n’a que pour but d’allĂ©ger le texte. Le lecteur ne devrait pas y voir une marque de manque de respect envers les personnes mentionnĂ©es.

[4] Denis FERLAND et Bernard CLICHE, «L’injonction», dans Denis FERLAND et BenoĂźt CLICHE (dir.), PrĂ©cis de procĂ©dure civile, 4e Ă©d., vol. 2, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p.461.

[5] Affidavit de Madame Lisa D’Amico, paragraphe 9.

[6] Selon les demandeurs, les soins palliatifs ne sont disponibles qu’à 20%-60% de la population tout dĂ©pendant des rĂ©gions du QuĂ©bec. L’offre de soins n’est pas uniforme sur l’ensemble du territoire quĂ©bĂ©cois.

[7] Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331.

[8] L.R.C. 1985, c. C-46.

[9] Carter c. Canada (Procureur gĂ©nĂ©ral), 2015 CSC 5 (l’« arrĂȘt Carter Â»).

[10] Carter v. Canada (Attorney General), 2012 BCSC 886.

[11] Carter v. Canada (Attorney General), 2013 BCCA 435.

[12] [1993] 3 R.C.S. 519.

[13] Les articles 14, 21, 22, 222 et 241.

[14]  Chacun a droit Ă  la vie, Ă  la libertĂ© et Ă  la sĂ©curitĂ© de sa personne; il ne peut ĂȘtre portĂ© atteinte Ă  ce droit qu’en conformitĂ© avec les principes de justice fondamentale.

[15] 1. La Charte canadienne des droits et libertĂ©s garantit les droits et libertĂ©s qui y sont Ă©noncĂ©s. Ils ne peuvent ĂȘtre restreints que par une rĂšgle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se dĂ©montrer dans le cadre d’une sociĂ©tĂ© libre et dĂ©mocratique.

[16] Harper c. Canada (Procureur général), 2000 CSC 57, par. 9.

[17] RJR - Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311.

[18] Multiple Access Ltd c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161, 191, repris dans Law Society of British Columbia c. Mangat, 2001 CSC 67, par. 69; Voir aussi Smith c. La Reine, [1960] R.C.S. 776, 800 : « l’obĂ©issance Ă  une loi implique la dĂ©sobĂ©issance Ă  l’autre Â».

[19] Law Society of British Columbia c. Mangat, 2001 CSC 67, par. 72.

[20] Law Society of British Columbia c. Mangat, 2001 CSC 67, par. 69, cité par Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39, par. 64 et Colombie-Britanique (Procureur général) c. Lafarge Canada Inc., 2007 CSC 23, par. 84. Voir aussi Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan, 2005 CSC 13, par. 11-14.

[21] 2010 CSC 39, [2010] 2 R.C.S. 536.

[22] Peter W. HOGG, Constitutional Law of Canada, 5e éd., vol. 1, Toronto, Carswell, 2007, feuilles mobiles, à jour en 2007, par. 16.6.

[23] 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134.

[24] Voir la citation au paragraphe 123 ci-devant concernant l’arrĂȘt la position de la Cour suprĂȘme du Canada dans l’arrĂȘt PHS.

[25] Plan d’argumentation de l’intervenante Euthanasia Prevention Coalition, par. 18.

[26] RLRQ, c. S-32.0001.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.