D'Amico c. Québec (Procureure générale) |
2015 QCCS 5556 |
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JP 1736 |
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division de pratique |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUEBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRĂAL |
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No: |
500-17-082567-143 |
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DATE: |
1er décembre 2015 |
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SOUS LA PRĂSIDENCE DE LâHONORABLE MICHEL A. PINSONNAULT, J.C.S. |
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MADAME LISA DâAMICO |
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DOCTEUR PAUL J. SABA |
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Demandeurs |
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c. |
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PROCUREURE GĂNĂRALE DU QUĂBEC |
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Défenderesse |
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PROCUREURE GĂNĂRALE DU CANADA |
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DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PĂNALES |
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Mis en cause |
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ALLIANCE DES CHRĂTIENS EN DROIT |
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EUTHANASIA PREVENTION COALITION |
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Intervenantes |
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JUGEMENT RECTIFIĂ SUR REQUĂTE EN INJONCTION PROVISOIRE |
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[1] Le législateur québécois a prévu que la Loi concernant les soins de fin de vie[1] (la « Loi »), sanctionnée le 10 juin 2014, entre en vigueur le 10 décembre 2015[2].
[2] MalgrĂ© le consensus manifestĂ© par les membres de lâAssemblĂ©e nationale lors de lâadoption de la Loi, le 5 juin 2015, la notion de lâeuthanasie dâun ĂȘtre humain, maintenant plus connue au QuĂ©bec sous lâeuphĂ©misme dâAide mĂ©dicale Ă mourir,  a suscitĂ© un important dĂ©bat de sociĂ©tĂ© avant son adoption et force est de constater quâelle suscite toujours un certain dĂ©bat Ă lâapproche de lâentrĂ©e en vigueur de la Loi.
[3] Le Tribunal note que la Loi a Ă©tĂ© adoptĂ©e Ă la suite dâun processus de consultation initiĂ© par les membres de lâAssemblĂ©e nationale qui, le 4 dĂ©cembre 2009, ont votĂ© unanimement en faveur de la crĂ©ation dâune Commission spĂ©ciale dont le mandat Ă©tait dâĂ©tudier la question de mourir dans la dignitĂ©. AprĂšs une vaste consultation publique, le ComitĂ© spĂ©cial sur la question de mourir dans la dignitĂ© a produit son rapport en mars 2012 (P-5).
[4] Ă lâapproche de son entrĂ©e en vigueur, cette Loi, controversĂ©e dans lâesprit de plusieurs citoyens, continue de susciter des interrogations sur la validitĂ© et la lĂ©galitĂ© de ses articles 26 Ă 32, lesquels donnent ouverture Ă lâĂ©tablissement de lâAide mĂ©dicale Ă mourir au QuĂ©bec Ă compter du 10 dĂ©cembre 2015.
[5] Les demandeurs, Madame Lisa DâAmico (« DâAmico[3] ») et Docteur Paul J. Saba (« Saba »), ont dĂ©posĂ© une RequĂȘte introductive dâinstance en jugement dĂ©claratoire, en demande de nullitĂ© et en injonction provisoire, interlocutoire et permanente (la « RequĂȘte en jugement dĂ©claratoire »). contre la Procureure gĂ©nĂ©rale du QuĂ©bec (la « PGQ »), tout en ayant mis en cause la Procureure gĂ©nĂ©rale du Canada (la « PGC »).
[6] Sont intervenues aux prĂ©sentes procĂ©dures lâAlliance des chrĂ©tiens en droit (lâ« Alliance ») et Euthanasia Prevention Coalition (la « Coalition »).
[7] Aux termes de la RequĂȘte en jugement dĂ©claratoire, les demandeurs demandent essentiellement que le Tribunal dĂ©clare :
- que lâeuthanasie humaine, autrement appelĂ©e Aide mĂ©dicale Ă mourir, ne constitue pas un soin mĂ©dical, ni un soin de santĂ©;
- que la lĂ©galisation de lâeuthanasie humaine, autrement appelĂ©e Aide mĂ©dicale Ă mourir, est contraire au droit quĂ©bĂ©cois et contraire Ă la dĂ©ontologie mĂ©dicale;
- quâelle est contraire Ă la Loi sur la santĂ© (Canada);
- que les dispositions de la Loi visant Ă lĂ©galiser lâeuthanasie humaine, sous le vocable de lâAide mĂ©dicale Ă mourir, sont fonciĂšrement contraires aux droits fondamentaux garantis de la personne, protĂ©gĂ©s par la Charte quĂ©bĂ©coise des droits et libertĂ©s de la personne, ainsi que par toutes les Lois canadiennes et quĂ©bĂ©coises pertinentes et, par consĂ©quent, elles devraient ĂȘtre dĂ©clarĂ©es invalides et inconstitutionnelles;
- quâil est impossible de dĂ©terminer en droit ce quâest la « fin de vie », telle que dĂ©signĂ©e dans la Loi; et
- quâil est impossible et sera impossible de constater au QuĂ©bec :
· un consentement libre et Ă©clairĂ© des patients, quâils soient vulnĂ©rables, handicapĂ©s ou en fin de vie, concernĂ©s par lâeuthanasie, et ce :
§ tant et aussi longtemps que les soins appropriĂ©s et nĂ©cessaires Ă leur Ă©tat de santĂ©, y compris un accĂšs large aux soins palliatifs, ne seront pas accessibles Ă toute personne qui en a besoin, notamment pour apaiser les souffrances, en respectant ainsi les principes canadiens dâaccessibilitĂ© universelle du systĂšme de santĂ©;
§ que les patients privĂ©s des soins appropriĂ©s et nĂ©cessaires, y compris des soins palliatifs Ă©ventuellement indiquĂ©s, ne peuvent pas donner un consentement libre et Ă©clairĂ© Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir; et
§ quâil est impossible de confier la vĂ©rification des conditions de lâeuthanasie et le geste lĂ©tal aux seuls mĂ©decins, en violation de leur serment, alors que leurs principes dĂ©ontologiques et Ă©thiques fondamentaux sont de protĂ©ger la santĂ© et de respecter la vie.
[8] Au stade de lâinjonction provisoire, les demandeurs demandent au Tribunal dâĂ©mettre lâordonnance en injonction provisoire suivante :
« ORDONNER, de façon interlocutoire provisoire pour une durĂ©e renouvelable de dix (10) jours Ă compter de lâordonnance, que les articles 26 Ă 32 inclusivement de la Loi sur les soins de fin de vie (la « Loi ») ayant trait Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir ainsi que lâarticle 4 de ladite Loi, dans la mesure oĂč les dispositions de celui-ci sâappliquent Ă ou visent lâAide mĂ©dicale Ă mourir, soient suspendus et ne reçoivent pas application au moment de lâentrĂ©e en vigueur de la Loi, le 10 dĂ©cembre 2015. »
[9]   Sans pour autant endosser tous les motifs invoquĂ©s par les demandeurs au soutien de leur requĂȘte et tous les remĂšdes quâils recherchent, la Procureure gĂ©nĂ©rale du Canada, appelĂ©e dans ce dĂ©bat Ă titre de mise en cause, a joint sa voix Ă celles des demandeurs pour appuyer leur demande pour lâĂ©mission dâune ordonnance en injonction provisoire.
[10] LâAlliance et la Coalition sont Ă©galement intervenues afin de rĂ©clamer la suspension de la mise en Ćuvre des dispositions de la Loi ayant trait Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir Ă leur entrĂ©e en vigueur prĂ©vue pour le 10 dĂ©cembre 2015.
[11] Force est de constater que sur le fond, les objectifs visés par chacune des parties aux présentes, incluant les intervenants, ne sont pas nécessairement communs.
[12] DâemblĂ©e, il est utile de rappeler quâau stade actuel des prĂ©sentes procĂ©dures, le Tribunal nâest pas appelĂ© Ă rendre une dĂ©cision sur le fond du dossier. Ce qui est en question, câest lâapparence de droit et non le droit qui fait lâobjet du litige principal.
[13] En matiĂšre dâinjonction provisoire, les critĂšres Ă considĂ©rer sont essentiellement ceux applicables Ă lâinjonction interlocutoire, Ă savoir :
- lâapparence de droit;
- le préjudice sérieux ou irréparable;
- la prépondérance des inconvénients (également appelée la balance des inconvénients).
[14] Par ailleurs, dans le contexte dâune injonction provisoire, un autre critĂšre doit ĂȘtre appliquĂ©, soit celui de lâurgence.
[15] à ce sujet, les auteurs Ferland et Cliche ont décrit ainsi le test que doit appliquer le juge en pareilles circonstances :
« Si le préjudice que subira le requérant, advenant que l'injonction provisoire soit refusée le jour de sa demande et accordée quelques jours plus tard, sera plus grand que le préjudice subi par l'intimé advenant que l'injonction provisoire soit accordée le jour de sa présentation, mais refusée, quelques jours plus tard. »[4]
[16] Lâintervention de la PGC, appuyĂ©e en particulier par la Coalition et lâAlliance, invite le Tribunal Ă tenir compte de la problĂ©matique ponctuelle et rĂ©elle suivante en matiĂšre de conflit de lois.
[17]
La PGC affirme que les dispositions des articles 26 Ă 32 de la Loi
autorisant les mĂ©decins Ă offrir lâAide mĂ©dicale Ă mourir ont pour effet
dâautoriser ces derniers, Ă toutes fins pratiques, Ă aider une personne Ă se
suicider par lâentremise de ceux-ci. La PGC ajoute que dans le contexte actuel,
il sâagit dâun geste prohibĂ© par lâarticle
[18]
De plus, selon lâarticle
[19] Selon la PGC, il y a, en lâespĂšce, un empiĂštement direct par le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois sur une matiĂšre criminelle qui relĂšve de la compĂ©tence exclusive du parlement fĂ©dĂ©ral.
[20]
Selon lâavocate de la PGC, en pareilles circonstances, tant et aussi
longtemps que lâaide au suicide constituera une infraction criminelle en vertu
des articles
[21] Le Tribunal se penchera plus amplement sur cette question particuliĂšre plus loin.
[22] Avant de procĂ©der Ă lâanalyse des questions soulevĂ©es aux prĂ©sentes, il est opportun dâexaminer les positions avancĂ©es par chacun des demandeurs, lesquelles offrent une perspective diffĂ©rente lâune de lâautre.
- LA POSITION DE LA DEMANDERESSE MADAME LISA DâAMICO
[23] DâAmico est une rĂ©sidente du QuĂ©bec gravement handicapĂ©e depuis sa naissance. Sa maladie est potentiellement dĂ©gĂ©nĂ©rative.
[24] Elle dĂ©clare dĂ©pendre Ă tous Ă©gards du rĂ©gime public, y compris les soins de santĂ©, nâayant aucun revenu autre que les prestations de solidaritĂ© sociale, dâautant plus quâelle est considĂ©rĂ©e comme ayant des contraintes sĂ©vĂšres Ă lâemploi.
[25] Elle se dit directement concernĂ©e par la Loi, plus particuliĂšrement par les dispositions ayant trait Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir.
[26] Elle craint quâen raison de lâĂ©volution probable de sa maladie, qui est rĂ©putĂ©e engendrer des douleurs importantes et une perte dâautonomie, elle devra un jour ĂȘtre hĂ©bergĂ©e contre son grĂ© dans un centre hospitalier de soins de longue durĂ©e oĂč elle craint perdre le contrĂŽle des dĂ©cisions concernant les traitements qui lui seront nĂ©cessaires.
[27] DâAmico soulĂšve craindre Ă©galement que la carence et lâinsuffisance au QuĂ©bec des moyens en soins appropriĂ©s et en soins palliatifs, ainsi quâen services sociaux, ne la placent en situation de grande vulnĂ©rabilitĂ© et ne lâincitent Ă accepter lâeuthanasie (lâAide mĂ©dicale Ă mourir).
[28] En pareilles circonstances, DâAmico croit quâune personne qui souffre et qui a perdu lâespoir par manque de vĂ©ritables choix au niveau des soins quâelle requiert, pourra ĂȘtre incitĂ©e Ă choisir lâAide mĂ©dicale Ă mourir pour en finir avec ses souffrances. Elle doute cependant quâun tel consentement soit rĂ©ellement libre et Ă©clairĂ©, comme lâexige la Loi.
[29] En dâautres mots, la demanderesse craint quâen raison du manque de soins offerts par lâĂtat quĂ©bĂ©cois, en particulier les personnes vulnĂ©rables, Ă court dâoptions de soins de santĂ© disponibles, soient contraintes de choisir lâAide mĂ©dicale Ă mourir pour mettre fin Ă leurs souffrances, dâautant plus que le manque de soins aura vraisemblablement lâeffet dâaccĂ©lĂ©rer la dĂ©gradation de leur Ă©tat de santĂ©.
[30] Lâeuthanasie (lâAide mĂ©dicale Ă mourir) serait alors lâissue la plus probable « en raison de la logique du systĂšme choisi par le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois. »[5]
[31] Lâabsence de choix au niveau des soins mĂ©dicaux offerts, y compris les soins palliatifs[6] qui ne sont prĂ©sentement pas offerts uniformĂ©ment Ă lâensemble de la population du QuĂ©bec, ferait aussi en sorte quâun mĂ©decin ne pourrait prĂ©senter Ă son patient dâalternative acceptable pour limiter ses douleurs en lâabsence de soins palliatifs accessibles, rendant alors le choix de lâAide mĂ©dicale Ă mourir la seule option rĂ©aliste possible.
[32] DâAmico se questionne si en pareilles circonstances, on pourra rĂ©ellement parler dâun consentement libre et Ă©clairĂ©, une des conditions impĂ©ratives stipulĂ©es par la Loi pour ĂȘtre Ă©ligible Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir.
[33] Avec grands Ă©gards, la situation personnelle que vit malheureusement DâAmico, ainsi que ses craintes, apprĂ©hensions et interrogations sur lâapplication des dispositions de la Loi ayant trait Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir, une fois celles-ci entrĂ©es en vigueur, quoiquâelles soulĂšvent des questions fort sĂ©rieuses dans le contexte de la RequĂȘte en jugement dĂ©claratoire, ne donnent pas ouverture Ă lâordonnance en injonction provisoire prĂ©sentement demandĂ©e.
[34] Il nây a aucune allĂ©gation, ni preuve Ă©tablissant ou laissant croire quâau 10 dĂ©cembre 2015, date dâentrĂ©e en vigueur de la Loi, lâĂ©tat de santĂ© de DâAmico sera tel que les dispositions de la Loi ayant trait Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir sâappliqueraient dĂšs lors Ă elle et quâelle pourrait dĂšs lors « ĂȘtre contrainte » Ă sâen prĂ©valoir.
[35] Le Tribunal ne peut sâempĂȘcher de noter que la situation dĂ©crite par DâAmico, telle quâelle apparait Ă la RequĂȘte en jugement dĂ©claratoire et Ă son affidavit, ne suscite aucun Ă©lĂ©ment dâurgence qui pourrait justifier Ă lui seul dâĂ©mettre lâordonnance en injonction provisoire quâelle demande.
[36] Prima facie, lâĂ©tat de santĂ© actuel de la demanderesse ne satisfait pas aux conditions requises par lâarticle 26 de la Loi pour quâelle puisse demander et obtenir lâAide mĂ©dicale Ă mourir dĂšs lâentrĂ©e en vigueur de la Loi, le 10 dĂ©cembre 2015. Les craintes quâelle exprime quant Ă son Ă©tat de santĂ© Ă©ventuel sont prĂ©sentement thĂ©oriques et hypothĂ©tiques. Il faut une plus grande certitude en matiĂšre dâurgence, dâautant plus quâen pareilles circonstances, le prĂ©judice sĂ©rieux et irrĂ©parable pour justifier lâĂ©mission dâune injonction provisoire nâa pas Ă©tĂ© Ă©tabli par la demanderesse.
[37] En effet, la demanderesse nâa pas Ă©tabli quâelle subira un prĂ©judice sĂ©rieux et irrĂ©parable en lâespĂšce dĂšs lâentrĂ©e en vigueur de la Loi, le 10 dĂ©cembre 2015, dâoĂč lâurgence dâen suspendre lâapplication quant Ă elle.
[38] Les questions quâelle soulĂšve pourront tout aussi bien ĂȘtre dĂ©battues Ă un stade ultĂ©rieur sans que la demanderesse subisse un prĂ©judice sĂ©rieux et irrĂ©parable si la prĂ©sente ordonnance requise au niveau provisoire ne lui est pas accordĂ©e.
[39] Par ailleurs, certaines des questions soulevĂ©es par le demandeur Saba, jettent un Ă©clairage diffĂ©rent, entre autres, au niveau des critĂšres dâurgence et du prĂ©judice sĂ©rieux et irrĂ©parable requis en matiĂšre dâinjonction provisoire.
- LA POSITION DU DEMANDEUR DOCTEUR PAUL J. SABA
[40] DâentrĂ©e de jeu, Ă lâinstar de DâAmico, Saba soulĂšve aussi dans son affidavit la question du consentement libre et Ă©clairĂ© du patient dans le contexte de carence de lâoffre de soins disponibles au QuĂ©bec. Il considĂšre que le consentement libre et Ă©clairĂ©, requis Ă lâarticle 26 de la Loi, constitue un grand dĂ©fi dans le contexte quĂ©bĂ©cois qui se caractĂ©rise par un accĂšs difficile et inĂ©gal aux soins de santĂ© appropriĂ©s. En dâautres mots, les graves lacunes dans le systĂšme de soins de santĂ© nâoffrent pas un choix vĂ©ritable au patient Ă©ligible Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir.
[41] De plus, le mĂ©decin insiste sur le fait que lâAide mĂ©dicale Ă mourir ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un soin mĂ©dical de santĂ©.
[42] Pour Saba, lâeuthanasie dâun ĂȘtre humain et lâaide au suicide sont des notions distinctes de celles concernant les soins palliatifs et la sĂ©dation palliative continue visĂ©es par la Loi. Puisque lâeuthanasie dâun ĂȘtre humain et lâaide au suicide provoquent la mort immĂ©diate avec lâintention de la donner, il nâest pas possible de les considĂ©rer comme un soin de santĂ©. [Soulignement ajoutĂ©]
[43] Il est donc nĂ©cessaire de dĂ©clarer la Loi qui lĂ©galise lâeuthanasie dâun ĂȘtre humain et lâaide au suicide invalide, inapplicable ou inconstitutionnelle, dâautant plus quâelle crĂ©e une confusion entre les soins palliatifs et lâeuthanasie en utilisant lâeuphĂ©misme de lâAide mĂ©dicale Ă mourir.
[44] Le Tribunal retient donc que les demandeurs sont dâavis que les carences importantes actuelles du systĂšme de santĂ© quĂ©bĂ©cois sont si significatives et si inĂ©gales en matiĂšre dâaccĂšs aux soins de santĂ© en gĂ©nĂ©ral et, surtout au niveau des soins palliatifs, que des personnes rĂ©pondant aux conditions dâapplication de lâarticle 26 de la Loi risquent de se « rĂ©soudre Ă accepter » lâ Aide mĂ©dicale Ă mourir faute dâune alternative rĂ©elle en soins palliatifs auxquels ils devraient normalement avoir droit et accĂšs. Ceci expliquerait leur questionnement sur le consentement libre et Ă©clairĂ© de la personne qui satisferait par ailleurs aux conditions de lâarticle 26 de la Loi.
[45] Saba illustre ses propos en rĂ©fĂ©rant au plan de dĂ©veloppement 2015-2016, publiĂ© le 16 novembre 2015 par le ministre de la SantĂ©, lequel fait Ă©tat de carences Ă corriger en matiĂšre de soins palliatifs et de leur accessibilitĂ©. On estime que ce nouveau plan de mise en Ćuvre des soins palliatifs au QuĂ©bec va requĂ©rir cinq annĂ©es pour ĂȘtre implantĂ© adĂ©quatement Ă travers le territoire quĂ©bĂ©cois. Ă son avis, on ne pourrait avoir un aveu plus Ă©loquent que lâĂtat quĂ©bĂ©cois nâest prĂ©sentement pas en mesure dâoffrir Ă tous ses citoyens les soins palliatifs en contrepoids ou Ă titre dâalternative Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir.
[46] Le fait dâoffrir lâoption de lâAide mĂ©dicale Ă mourir quand lâautre option de traitements (incluant les soins palliatifs) nâest pas offerte ou disponible de façon gĂ©nĂ©ralisĂ©e et uniforme, constituerait, selon le mĂ©decin, un abandon par le gouvernement du QuĂ©bec de son devoir de protection de la population et ferait en sorte quâil excĂšde par le fait mĂȘme ses compĂ©tences en matiĂšre de santĂ©.
[47] Enfin, rappelons que Saba et DâAmico soulĂšvent que la Loi constitue une atteinte grave aux droits fondamentaux et garantis de la personne protĂ©gĂ©e par la Charte quĂ©bĂ©coise des droits et libertĂ©s de la personne, ainsi que par toutes les lois canadiennes et quĂ©bĂ©coises pertinentes.
La
problématique liée par les articles
[48] Saba ajoute que selon la Loi, Ă compter du 10 dĂ©cembre 2015, une demande dâAide mĂ©dicale Ă mourir faite par un patient Ă un mĂ©decin obligera ce dernier (ou tout autre mĂ©decin) Ă poser le geste euthanasique dĂšs quâil se sera satisfait que tous les critĂšres Ă©noncĂ©s Ă lâarticle 26 de la Loi soient rencontrĂ©s et quâun second mĂ©decin indĂ©pendant ait corroborĂ© ce constat.
[49] Pour sa part, il dĂ©clare quâil sâobjecte personnellement Ă fournir lâAide mĂ©dicale Ă mourir Ă un de ses patients qui lui en ferait la demande. Il refuserait dâaccĂ©der Ă une telle demande.
[50] Or, Saba affirme que la Loi, telle que libellĂ©e, oblige tout mĂ©decin qui refuserait de mettre en Ćuvre une demande dâAide mĂ©dicale Ă mourir qui lui serait adressĂ©e, de poser dâautres gestes afin que cette demande soit traitĂ©e par un autre mĂ©decin qui acceptera de rĂ©pondre favorablement Ă la demande du patient (Article 31 de la Loi).
[51] Ainsi, le mĂ©decin qui, par objection de conscience, refusera de poser les gestes requis par la Loi en rĂ©fĂ©rant la demande dâAide mĂ©dicale Ă mourir de son patient au directeur du centre de soins dans lequel il travaille, comme lâexige lâarticle 31 de la Loi, sâexposera en toutes probabilitĂ©s Ă une sanction pour manquement Ă respecter la Loi. Il craint quâil puisse ainsi mettre en pĂ©ril son droit de pratique sâil refuse de participer Ă lâeffort ou aux dĂ©marches de son patient pour lâaider Ă lui trouver un autre mĂ©decin. Saba considĂšre que sâil sâexĂ©cute pour Ă©viter une sanction personnelle ou professionnelle, le mĂ©decin deviendra nĂ©anmoins alors complice, en quelque sorte, du processus visant Ă aider un patient Ă se suicider.
[52] Saba ajoute que sa crainte de faire lâobjet de sanctions est dâautant plus rĂ©elle que le ministre de la SantĂ© a lui-mĂȘme dĂ©clarĂ© quâun Ă©tablissement refusant dâoffrir ce soin de santĂ©  pourrait faire lâobjet dâune rĂ©vocation de son permis dâopĂ©rer.
[53] Dans cette mĂȘme veine, Saba soutient quâil est nĂ©cessaire que la Cour supĂ©rieure dĂ©termine, entre autres, si lâeuthanasie dâun ĂȘtre humain et lâaide au suicide (lâAide mĂ©dicale Ă mourir) peuvent rĂ©ellement ĂȘtre considĂ©rĂ©es au QuĂ©bec comme constituant un soin de santĂ© selon les critĂšres reconnus mondialement en matiĂšre de pratique mĂ©dicale, dâautant plus quâil est envisagĂ© de modifier le code de dĂ©ontologie de lâOrdre des infirmiĂšres et infirmiers du QuĂ©bec et celui des mĂ©decins afin de permettre la reconnaissance de lâAide mĂ©dicale Ă mourir comme soin de santĂ©.
[54] Ă son avis, les rĂ©percussions sur les mĂ©decins de la mise en Ćuvre de la Loi en matiĂšre de lâAide mĂ©dicale Ă mourir seront ainsi Ă©normes, et ce, dĂšs le 10 dĂ©cembre 2015.
[55]
Enfin, Saba souligne que tant et aussi longtemps que lâAide mĂ©dicale
Ă mourir sera considĂ©rĂ©e comme un acte criminel au sens de lâarticle
[56] Quoique la prĂ©sente RequĂȘte en jugement dĂ©claratoire dĂ©passe largement lâaspect criminel liĂ© Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir Ă lâheure actuelle, le Tribunal comprend de la position du demandeur quâĂ tout le moins, la prohibition recherchĂ©e de mettre en Ćuvre les dispositions de la Loi ayant trait Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir doit nĂ©cessairement couvrir la pĂ©riode de suspension de lâapplication de la dĂ©claration dâinvaliditĂ© constitutionnelle des articles 14 et 241b) du Code criminel prononcĂ©e par la Cour suprĂȘme du Canada (la « Cour suprĂȘme »), le 6 fĂ©vrier 2015, dans lâarrĂȘt Carter[7]. En effet, dans cet arrĂȘt, la Cour suprĂȘme a spĂ©cifiquement suspendu pour une pĂ©riode de douze mois venant Ă Ă©chĂ©ance le 6 fĂ©vrier 2016, la dĂ©claration dâinvaliditĂ© desdits articles. Ceux-ci demeurent donc pleinement valides et en vigueur jusquâĂ cette date ou Ă toute date antĂ©rieure si le parlement fĂ©dĂ©ral lĂ©gifĂ©rait relativement Ă ces deux articles en fonction des paramĂštres constitutionnels Ă©tablis par la Cour suprĂȘme sur les aspects criminels de lâAide mĂ©dicale Ă mourir, le cas Ă©chĂ©ant.
[57] Avant cette Ă©chĂ©ance, la mise en Ćuvre de lâacte mĂ©dical lĂ©tal de lâAide mĂ©dicale Ă mourir qui constitue lâeuthanasie de lâĂȘtre humain sera impossible sans risque de poursuite criminelle contre le mĂ©decin qui, en ce faisant, aura commis un acte criminel en fonction du libellĂ© actuel des articles 14 et 241b) du Code criminel.
[58] Selon le demandeur, il sâagit dâune difficultĂ© rĂ©elle et immĂ©diate dont les consĂ©quences sont sĂ©rieuses et irrĂ©parables, particuliĂšrement pour les mĂ©decins visĂ©s par ces dispositions de la Loi. Cette situation nĂ©cessite dâordonner la suspension sur une base urgente de la mise en application des articles 26 Ă 32 de la Loi ayant trait Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir et ce, dĂšs lâentrĂ©e en vigueur de la Loi le 10 dĂ©cembre 2015.
- LES DISPOSITIONS LĂGISLATIVES APPLICABLES
[59] Le Code de procédure civile :
« 751. L'injonction est une ordonnance de la Cour supérieure ou de l'un de ses juges, enjoignant à une personne, à ses dirigeants, représentants ou employés, de ne pas faire ou de cesser de faire, ou, dans les cas qui le permettent, d'accomplir un acte ou une opération déterminés, sous les peines que de droit.
752. Outre l'injonction qu'elle peut demander par requĂȘte introductive d'instance, avec ou sans autres conclusions, une partie peut, au dĂ©but ou au cours d'une instance, obtenir une injonction interlocutoire.
L'injonction interlocutoire peut ĂȘtre accordĂ©e lorsque celui qui la demande paraĂźt y avoir droit et qu'elle est jugĂ©e nĂ©cessaire pour empĂȘcher que ne lui soit causĂ© un prĂ©judice sĂ©rieux ou irrĂ©parable, ou que ne soit créé un Ă©tat de fait ou de droit de nature Ă rendre le jugement final inefficace.
753. La demande d'injonction interlocutoire est faite au tribunal par requĂȘte Ă©crite appuyĂ©e d'un affidavit attestant la vĂ©ritĂ© des faits allĂ©guĂ©s et signifiĂ©s Ă la partie adverse, avec un avis du jour oĂč elle sera prĂ©sentĂ©e. Dans les cas d'urgence, un juge peut toutefois y faire droit provisoirement, mĂȘme avant qu'elle n'ait Ă©tĂ© signifiĂ©e. Toutefois, une injonction provisoire ne peut en aucun cas, sauf du consentement des parties, excĂ©der 10 jours. »
[60] La Loi concernant les soins de fin de vie :
« 3. Aux fins de lâapplication de la prĂ©sente loi, on entend par :
[âŠ]
3° « soins de fin de vie » les soins palliatifs offerts aux personnes en fin de vie et lâaide mĂ©dicale Ă mourir;
4° « soins palliatifs » les soins actifs et globaux dispensĂ©s par une Ă©quipe interdisciplinaire aux personnes atteintes dâune maladie avec pronostic rĂ©servĂ©, dans le but de soulager leurs souffrances, sans hĂąter ni retarder la mort, de les aider Ă conserver la meilleure qualitĂ© de vie possible et dâoffrir Ă ces personnes et Ă leurs proches le soutien nĂ©cessaire;
5° « sĂ©dation palliative continue » un soin offert dans le cadre des soins palliatifs consistant en lâadministration de mĂ©dicaments ou de substances Ă une personne en fin de vie dans le but de soulager ses souffrances en la rendant inconsciente, de façon continue, jusquâĂ son dĂ©cĂšs;
6° « aide mĂ©dicale Ă mourir » un soin consistant en lâadministration de mĂ©dicaments ou de substances par un mĂ©decin Ă une personne en fin de vie, Ă la demande de celle-ci, dans le but de soulager ses souffrances en entraĂźnant son dĂ©cĂšs.
4. Toute personne, dont lâĂ©tat le requiert, a le droit de recevoir des soins de fin de vie, sous rĂ©serve des exigences particuliĂšres prĂ©vues par la prĂ©sente loi.
Ces soins lui sont offerts dans une installation maintenue par un Ă©tablissement, dans les locaux dâune maison de soins palliatifs ou Ă domicile.
Les dispositions du prĂ©sent article sâappliquent en tenant compte des dispositions lĂ©gislatives et rĂ©glementaires relatives Ă lâorganisation et au fonctionnement des Ă©tablissements, des orientations, des politiques et des approches des maisons de soins palliatifs ainsi que des ressources humaines, matĂ©rielles et financiĂšres dont ils disposent. Elles complĂštent celles de la Loi sur les services de santĂ© et les services sociaux et celles de la Loi sur les services de santĂ© et les services sociaux pour les autochtones cris portant sur les droits des usagers et des bĂ©nĂ©ficiaires.
[âŠ]
SECTION II
AIDE MĂDICALE Ă MOURIR
26. Seule une personne qui satisfait à toutes les conditions suivantes peut obtenir l'aide médicale à mourir:
1° elle est une personne assurée au sens de la Loi sur l'assurance maladie (chapitre A-29);
2° elle est majeure et apte à consentir aux soins;
3° elle est en fin de vie;
4° elle est atteinte d'une maladie grave et incurable;
5° sa situation médicale se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités;
6° elle Ă©prouve des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent ĂȘtre apaisĂ©es dans des conditions qu'elle juge tolĂ©rables.
La personne doit, de maniĂšre libre et Ă©clairĂ©e, formuler pour elle-mĂȘme la demande d'aide mĂ©dicale Ă mourir au moyen du formulaire prescrit par le ministre. Ce formulaire doit ĂȘtre datĂ© et signĂ© par cette personne.
Le formulaire est signé en présence d'un professionnel de la santé ou des services sociaux qui le contresigne et qui, s'il n'est pas le médecin traitant de la personne, le remet à celui-ci.
27. Lorsque la personne qui demande l'aide mĂ©dicale Ă mourir ne peut dater et signer le formulaire visĂ© Ă l'article 26 parce qu'elle ne sait pas Ă©crire ou qu'elle en est incapable physiquement, un tiers peut le faire en prĂ©sence de cette personne. Le tiers ne peut faire partie de l'Ă©quipe de soins responsable de la personne et ne peut ĂȘtre un mineur ou un majeur inapte.
28. Une personne peut, en tout temps et par tout moyen, retirer sa demande d'aide médicale à mourir.
Elle peut également, en tout temps et par tout moyen, demander à reporter l'administration de l'aide médicale à mourir.
29. Avant d'administrer l'aide médicale à mourir, le médecin doit:
1° ĂȘtre d'avis que la personne satisfait Ă toutes les conditions prĂ©vues Ă l'article 26, notamment:
a) en s'assurant auprÚs d'elle du caractÚre libre de sa demande, en vérifiant entre autres qu'elle ne résulte pas de pressions extérieures;
b) en s'assurant auprÚs d'elle du caractÚre éclairé de sa demande, notamment en l'informant du pronostic relatif à la maladie, des possibilités thérapeutiques envisageables et de leurs conséquences;
c) en s'assurant de la persistance de ses souffrances et de sa volonté réitérée d'obtenir l'aide médicale à mourir, en menant avec elle des entretiens à des moments différents, espacés par un délai raisonnable compte tenu de l'évolution de son état;
d) en s'entretenant de sa demande avec des membres de l'équipe de soins en contact régulier avec elle, le cas échéant;
e) en s'entretenant de sa demande avec ses proches, si elle le souhaite;
2° s'assurer que la personne a eu l'occasion de s'entretenir de sa demande avec les personnes qu'elle souhaitait contacter;
3° obtenir l'avis d'un second médecin confirmant le respect des conditions prévues à l'article 26.
Le mĂ©decin consultĂ© doit ĂȘtre indĂ©pendant, tant Ă l'Ă©gard de la personne qui demande l'aide mĂ©dicale Ă mourir qu'Ă l'Ă©gard du mĂ©decin qui demande l'avis. Il doit prendre connaissance du dossier de la personne et examiner celle-ci. Il doit rendre son avis par Ă©crit.
30. Si le mĂ©decin conclut, Ă la suite de l'application de l'article 29, qu'il peut administrer l'aide mĂ©dicale Ă mourir Ă la personne qui la demande, il doit la lui administrer lui-mĂȘme, l'accompagner et demeurer auprĂšs d'elle jusqu'Ă son dĂ©cĂšs.
Si le médecin conclut toutefois qu'il ne peut administrer l'aide médicale à mourir, il doit informer la personne qui la demande des motifs de sa décision.
31. Tout médecin qui exerce sa profession dans un centre exploité par un établissement et qui refuse une demande d'aide médicale à mourir pour un motif non fondé sur l'article 29 doit, le plus tÎt possible, en aviser le directeur général de l'établissement ou toute autre personne qu'il désigne et, le cas échéant, lui transmettre le formulaire de demande d'aide médicale à mourir qui lui a été remis. Le directeur général de l'établissement, ou la personne qu'il a désignée, doit alors faire les démarches nécessaires pour trouver, le plus tÎt possible, un médecin qui accepte de traiter la demande conformément à l'article 29.
Si le médecin à qui la demande est formulée exerce
sa profession dans un cabinet privé de professionnel et qu'il ne fournit pas
l'aide médicale à mourir, il doit, le plus tÎt possible, en aviser le directeur
général de l'instance locale visée à l'article
Dans le cas oĂč aucune instance locale ne dessert le territoire oĂč est situĂ©e la rĂ©sidence de la personne, l'avis mentionnĂ© au deuxiĂšme alinĂ©a est transmis au directeur gĂ©nĂ©ral de l'Ă©tablissement exploitant un centre local de services communautaires sur ce territoire ou Ă la personne qu'il a dĂ©signĂ©e.
32. Doit ĂȘtre inscrit ou versĂ© dans le dossier de la personne tout renseignement ou document en lien avec la demande d'aide mĂ©dicale Ă mourir, que le mĂ©decin l'administre ou non, dont le formulaire de demande d'aide mĂ©dicale Ă mourir, les motifs de la dĂ©cision du mĂ©decin et, le cas Ă©chĂ©ant, l'avis du mĂ©decin consultĂ©.
Doit Ă©galement ĂȘtre inscrite au dossier de la personne sa dĂ©cision de retirer sa demande d'aide mĂ©dicale Ă mourir ou de reporter son administration. »
[61] Le Code criminel[8] :
« 14.    Nul nâa le droit de consentir Ă ce que la mort lui soit infligĂ©e, et un tel consentement nâatteint pas la responsabilitĂ© pĂ©nale dâune personne par qui la mort peut ĂȘtre infligĂ©e Ă celui qui a donnĂ© ce consentement.
21. (1) Participent Ă une infraction :
[...]
b)Â Â Â Â Â Â Â Â quiconque accomplit ou omet dâaccomplir quelque chose en vue dâaider quelquâun Ă la commettre;
[...]
(2) Quand deux ou plusieurs personnes forment ensemble le projet de poursuivre une fin illĂ©gale et de sây entraider et que lâune dâentre elles commet une infraction en rĂ©alisant cette fin commune, chacune dâelles qui savait ou devait savoir que la rĂ©alisation de lâintention commune aurait pour consĂ©quence probable la perpĂ©tration de lâinfraction, participe Ă cette infraction.
22. (1) Lorsquâune personne conseille Ă une autre personne de participer Ă une infraction et que cette derniĂšre y participe subsĂ©quemment, la personne qui a conseillĂ© participe Ă cette infraction, mĂȘme si lâinfraction a Ă©tĂ© commise dâune maniĂšre diffĂ©rente de celle qui avait Ă©tĂ© conseillĂ©e.
(2) Quiconque conseille Ă une autre personne de participer Ă une infraction participe Ă chaque infraction que lâautre commet en consĂ©quence du conseil et qui, dâaprĂšs ce que savait ou aurait dĂ» savoir celui qui a conseillĂ©, Ă©tait susceptible dâĂȘtre commise en consĂ©quence du conseil.
(3) Pour lâapplication de la prĂ©sente loi, « conseiller » sâentend dâamener et dâinciter, et « conseil » sâentend de lâencouragement visant Ă amener ou Ă inciter.
222. (1) Commet un homicide quiconque, directement ou indirectement, par quelque moyen, cause la mort dâun ĂȘtre humain.
(2) Lâhomicide est coupable ou non coupable.
(3) Lâhomicide non coupable ne constitue pas une infraction.
(4) Lâhomicide coupable est le meurtre, lâhomicide involontaire coupable ou lâinfanticide.
(5) Une personne commet un homicide coupable lorsquâelle cause la mort dâun ĂȘtre humain :
a) soit au moyen dâun acte illĂ©gal;
[âŠ]
241.     Est coupable dâun acte criminel et passible dâun emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque, selon le cas :
a) conseille Ă une personne de se donner la mort;
b) aide ou encourage quelquâun Ă se donner la mort, que le suicide sâensuive ou non. »
[Soulignements ajoutés]
- ANALYSE
[62] Il importe de rappeler quâau stade dâune demande dâinjonction provisoire, il nâappartient pas au Tribunal de trancher ou de se prononcer sur les multiples questions soulevĂ©es par les demandeurs dans leur quĂȘte dâun jugement dĂ©claratoire.
[63] Le Tribunal doit plutĂŽt dĂ©cider si, Ă la lumiĂšre des allĂ©gations de la RequĂȘte en jugement dĂ©claratoire, des affidavits souscrits et des piĂšces dĂ©posĂ©es Ă son soutien, les articles 26 Ă 32 de la Loi ayant trait Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir et lâarticle 4, dans la mesure oĂč ses dispositions visent ou touchent lâAide mĂ©dicale Ă mourir, doivent voir leur mise en application suspendue dĂšs lâentrĂ©e en vigueur de la Loi le 10 dĂ©cembre 2015, en raison de lâurgence de la situation et du prĂ©judice sĂ©rieux et irrĂ©parable quâentraĂźnerait un refus dâĂ©mettre lâinjonction provisoire demandĂ©e.
- Lâapparence de droit
[64] Au niveau de lâapparence de droit et sans pour autant minimiser de quelque façon que ce soit les questions fort lĂ©gitimes et sĂ©rieuses soumises par la demanderesse dans la prĂ©sente instance, il ne fait aucun doute, dans lâesprit du Tribunal, que dans le contexte fort particulier de la prĂ©sente demande en injonction provisoire, le demandeur Saba, Ă titre de mĂ©decin visĂ© par les dispositions contestĂ©es de la Loi, a dĂ©montrĂ© une apparence de droit sĂ©rieuse compte tenu des devoirs et obligations que la Loi lui imposera, dĂšs le 10 dĂ©cembre 2015, au niveau de lâAide mĂ©dicale Ă mourir ainsi quâĂ tous les mĂ©decins pratiquant au QuĂ©bec, et ce, dans le contexte lĂ©gal actuel Ă la lumiĂšre de lâarrĂȘt Carter prononcĂ© le 6 fĂ©vrier 2015 par la Cour suprĂȘme. [Soulignement ajoutĂ©]
[65] Il ne fait aucun doute non plus dans lâesprit du Tribunal que dĂšs lâentrĂ©e en vigueur de la Loi, le 10 dĂ©cembre 2015, tous les mĂ©decins habilitĂ©s Ă pratiquer la mĂ©decine au QuĂ©bec et, par consĂ©quent administrer lâAide mĂ©dicale Ă mourir, seront directement affectĂ©s par la question soulevĂ©e par Saba quant au conflit entre la Loi et le Code criminel.
[66] Il importe Ă ce stade-ci dâexaminer lâarrĂȘt Carter qui a un impact direct sur la prĂ©sente requĂȘte.
[67] Quâen est-il de lâarrĂȘt Carter?
- La Loi, le Code Criminel et lâincidence de lâarrĂȘt Carter
[68] La Loi a Ă©tĂ© adoptĂ©e par lâAssemblĂ©e nationale le 5 juin 2014 et sanctionnĂ©e le 10 juin 2014, en prĂ©cisant Ă son article 78 que lâentrĂ©e en vigueur de la Loi Ă©tait fixĂ©e au 10 dĂ©cembre 2015.
[69] Quatre mois plus tard, le 14 octobre 2014, la Cour suprĂȘme entendait lâaffaire Lee Carter[9].
[70] Dans cette affaire, madame Gloria Taylor (« Gloria Taylor »), ayant appris quâelle souffrait dâune maladie neurodĂ©gĂ©nĂ©rative fatale, a intentĂ© devant la Cour suprĂȘme de la Colombie-Britannique (1re instance) une action contestant la constitutionnalitĂ© des dispositions du Code criminel qui prohibent lâaide Ă mourir, soit les articles 14, 21, 22, 222 et 241. Se sont joints Ă sa demande mesdames Lee Carter (« Lee Carter ») et Hollis Johnson (« Hollis Johnson ») qui avaient aidĂ© la mĂšre de Lee Carter, Kathleen (« Kay ») Carter (« Kay Carter »), Ă rĂ©aliser son souhait de mourir dans la dignitĂ© en lâemmenant en Suisse pour quâelle puisse mettre fin Ă ses jours dans une clinique dâaide au suicide. Ayant aidĂ© Kay Carter Ă se suicider, Lee Carter et Hollis Johnson se sentaient particuliĂšrement visĂ©es par ces articles du Code criminel ayant trait Ă lâaide au suicide.
[71] Contrairement Ă Kay Carter, Gloria Taylor nâavait pas les ressources financiĂšres pour se rendre en Suisse. Elle avait nĂ©anmoins trouvĂ© un mĂ©decin de la Colombie-Britannique qui sâĂ©tait dĂ©clarĂ© disponible et volontaire pour lâaider Ă mourir dignement. Mais, compte tenu des prohibitions du Code criminel, il sâĂ©tait dĂ©clarĂ© incapable dâaider Gloria Taylor, dâoĂč le recours judiciaire afin de faire lever cet obstacle qui enfreignait les droits fondamentaux de cette derniĂšre en vertu de la Charte canadienne des droits et libertĂ©s (la « Charte canadienne »).
[72] Lee Carter et Hollis Johnson, qui avaient aidĂ© Kay Carter Ă mettre fin Ă ses jours en Suisse en contravention des mĂȘmes dispositions du Code criminel, avaient Ă©galement un intĂ©rĂȘt Ă intervenir afin dâappuyer la demande de Gloria Taylor.
[73] En premiĂšre instance[10], Gloria Taylor a eu gain de cause et la juge a dĂ©clarĂ© lâinconstitutionnalitĂ© les dispositions du Code criminel prohibant lâAide mĂ©dicale Ă mourir en suspendant toutefois lâapplication de sa dĂ©claration dâinvaliditĂ© pour une pĂ©riode de douze mois. Par contre, la juge a accordĂ© une exemption spĂ©cifique Ă Gloria Taylor afin quâelle puisse recevoir lâaide requise pour mourir.
[74] Le 10 octobre 2013, la Cour dâappel de la Colombie-Britannique[11], sâappuyant sur lâarrĂȘt Rodriguez[12] rendu par la Cour suprĂȘme quelque vingt annĂ©es plus tĂŽt, a infirmĂ© le jugement de premiĂšre instance, dâoĂč le pourvoi Ă la Cour suprĂȘme qui a Ă©tĂ© entendu le 15 octobre 2014.
[75] Malheureusement, Gloria Taylor est dĂ©cĂ©dĂ©e subitement en octobre 2012 sans pouvoir avoir recours Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir.
[76]
Au Canada, quiconque aide ou encourage une personne Ă se donner la mort
commet un acte criminel aux termes de lâarticle
[77] AprĂšs avoir dĂ©clinĂ© les divers articles[13] du Code criminel identifiĂ©s par les appelants comme Ă©tant problĂ©matiques dans le contexte de lâAide mĂ©dicale Ă mourir, la Cour suprĂȘme sâest prononcĂ©e ainsi :
« [20] Ă notre avis, deux de ces dispositions sont au cĆur de la prĂ©sente contestation constitutionnelle : lâal. 241b), aux termes duquel quiconque aide ou encourage quelquâun Ă se donner la mort est coupable dâun acte criminel, et lâart. 14, qui prĂ©cise que nul ne peut consentir Ă ce que la mort lui soit infligĂ©e. Ce sont ces deux dispositions qui prohibent le fait dâaider une personne Ă mourir. Les articles 21, 22 et 222 sâappliquent uniquement si le fait dâaider quelquâun Ă se donner la mort constitue en soi un « acte illĂ©gal » ou une infraction. LâalinĂ©a 241a) ne contribue en rien Ă la prohibition du suicide assistĂ©. »
[78] Ainsi, aux termes de lâarrĂȘt Carter, la Cour suprĂȘme a dĂ©clarĂ© que les dispositions prohibant lâAide mĂ©dicale Ă mourir aux articles 241b) et 14 du Code criminel portaient atteinte aux droits Ă la vie, Ă la libertĂ© et Ă la sĂ©curitĂ© de la personne que lâarticle 7[14] de la Charte canadienne garantit Ă la personne, et ce, dâune maniĂšre non conforme aux principes de justice fondamentale et que cette atteinte nâĂ©tait pas justifiĂ©e au regard de lâarticle premier[15] de la Charte canadienne :
« [127] La réparation appropriée consiste donc
en un jugement dĂ©clarant que lâal. 241b) et lâart.
[147] Le pourvoi est accueilli. Nous sommes dâavis de prononcer le jugement dĂ©claratoire suivant, dont la prise dâeffet est suspendue pendant 12 mois :
LâalinĂ©a 241b) et lâart.
[Soulignements ajoutés]
[79] Il importe de souligner que la Cour suprĂȘme a nĂ©anmoins jugĂ© opportun de suspendre les effets de la DĂ©claration dâinvaliditĂ© pour une pĂ©riode de douze mois Ă compter du 6 fĂ©vrier 2015 de la façon suivante :
« [128] Nous sommes dâavis de suspendre la prise dâeffet de la dĂ©claration dâinvaliditĂ© pendant 12 mois.
[129]    Nous refusons dâaccĂ©der Ă la demande des appelants de crĂ©er une procĂ©dure dâexemption pendant la pĂ©riode au cours de laquelle la prise dâeffet de la dĂ©claration dâinvaliditĂ© est suspendue. Puisque Mme Taylor est maintenant dĂ©cĂ©dĂ©e et quâaucune des autres parties au litige ne demande une exemption personnelle, il ne sâagit pas dâun cas oĂč il convient de crĂ©er un tel mĂ©canisme dâexemption. »
[la « Période de suspension »]
[80] Ă la lumiĂšre de ce qui prĂ©cĂšde, il ne fait aucun doute que la Cour suprĂȘme a voulu suspendre la DĂ©claration dâinvaliditĂ© prononcĂ©e dans cet arrĂȘt jusquâau 6 fĂ©vrier 2016 ou Ă toute date antĂ©rieure si le parlement fĂ©dĂ©ral lĂ©gifĂšre avant cette Ă©chĂ©ance en matiĂšre criminelle relativement Ă lâeuthanasie dâun ĂȘtre humain et de suicide assistĂ© dans le contexte de lâAide mĂ©dicale Ă mourir.
[81] Le gouvernement fĂ©dĂ©ral a dĂ©jĂ mis sur pied un comitĂ© consultatif qui doit remettre son rapport dâici le 15 dĂ©cembre 2015 et la PGC demande Ă la PGQ de suspendre temporairement lâentrĂ©e en vigueur des dispositions de la Loi ayant trait Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir pour permettre au parlement fĂ©dĂ©ral de donner suite Ă lâarrĂȘt Carter.
[82] Or, le gouvernement du QuĂ©bec refuse et compte toujours mettre en application la Loi et ainsi offrir lâAide mĂ©dicale Ă mourir dans les Ă©tablissements hospitaliers et les maisons de soins palliatifs dĂšs le 10 dĂ©cembre 2015, et ce, malgrĂ© que le gouvernement fĂ©dĂ©ral nâait pas encore lĂ©gifĂ©rĂ© afin de donner suite Ă lâarrĂȘt Carter, ce qui implique en toute vraisemblance, un amendement aux articles 14 et 241b) du Code criminel en fonction des paramĂštres constitutionnels Ă©tablis par la Cour suprĂȘme.
[83]
Ă la lumiĂšre de lâarrĂȘt Carter, force est de constater quâĂ
compter du 10 dĂ©cembre 2015, et ce, jusquâĂ la date de prise dâeffet de la DĂ©claration
dâinvaliditĂ© de la Cour suprĂȘme, toute Aide mĂ©dicale Ă mourir assurĂ©e
par un médecin du Québec en vertu de la Loi, continuera de constituer un acte
criminel selon les dispositions toujours valides et en vigueur de lâarticle
[84] En mettant en Ćuvre la Loi dans le contexte et lâĂ©tat du droit actuels, les mĂ©decins qui consentiront Ă administrer lâAide mĂ©dicale Ă mourir sâexposeront Ă contrevenir aux dispositions du Code criminel ayant trait Ă lâaide au suicide, sans que la Loi ne leur offre quelque immunitĂ© que ce soit Ă cet Ă©gard. Cette absence dâimmunitĂ© sâexplique bien, car le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois nâa pas le pouvoir dâoffrir une telle immunitĂ© face Ă des dispositions contradictoires ou incompatibles du Code criminel qui, rappelons-le, sont toujours valides et en vigueur.
[85] Au moment dâadopter la Loi en juin 2014, le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois ne pouvait ignorer que les dispositions de la Loi ayant trait Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir allaient entrer directement en conflit avec les dispositions des articles 14 et 241b) du Code criminel.
[86] En effet, lorsque lâAssemblĂ©e nationale a adoptĂ© la Loi en juin 2014, la Cour suprĂȘme nâavait pas encore entendu lâaffaire Carter et, forcĂ©ment, nâavait pas encore rendu de dĂ©cision dans cette cause. Qui plus est, la Cour dâappel de la Colombie-Britannique avait infirmĂ© en 2013 dans ce mĂȘme dossier la dĂ©cision de premiĂšre instance et, par consĂ©quent, avait rĂ©affirmĂ© la validitĂ© des dispositions en question du Code criminel Ă cet Ă©gard.
[87] Au moment du vote des membres de lâAssemblĂ©e nationale en juin 2015, ces dispositions du Code criminel Ă©taient toujours valides et en vigueur.Â
- La position de la Procureure générale du Canada
[88] Tel que mentionnĂ© prĂ©cĂ©demment, lâavocate reprĂ©sentant la mise en cause, la Procureure gĂ©nĂ©rale du Canada (PGC), est intervenue au cours de lâaudience pour appuyer la demande dâĂ©mission dâune ordonnance en injonction provisoire relativement Ă la suspension temporaire des articles de la Loi ayant trait Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir.
[89] Plus prĂ©cisĂ©ment, lâavocate a informĂ© le Tribunal que la PGC considĂ©rait que la mise en application des dispositions de la Loi ayant trait Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir devait ĂȘtre suspendue jusquâĂ ce que le parlement fĂ©dĂ©ral ait pu donner suite Ă lâarrĂȘt Carter en tenant Ă©videmment compte du dĂ©lai imparti par la Cour suprĂȘme.
[90] Lâavocate de la PGC a communiquĂ© au Tribunal la lettre du mandat que lui a confiĂ© le premier ministre du Canada, le trĂšs honorable Justin Trudeau, dans laquelle la toute premiĂšre prioritĂ© identifiĂ©e dans le mandat de la ministre de la Justice et de la Procureure gĂ©nĂ©rale du Canada est de :
« Diriger un processus, de concert avec la ministre de la SantĂ©, visant Ă collaborer avec les provinces et les territoires dans le but de donner suite Ă la dĂ©cision de la Cour suprĂȘme du Canada au sujet de lâaide mĂ©dicale Ă mourir. »
[91] Le Tribunal a Ă©tĂ© informĂ© Ă©galement que le gouvernement fĂ©dĂ©ral a dĂ©jĂ mis sur pied un comitĂ© consultatif sur ce sujet prĂ©cis qui doit remettre son rapport dâici le 15 dĂ©cembre 2015.
[92] Lâavocate de la PGC a aussi portĂ© Ă lâattention du Tribunal la dĂ©finition de lâ« Aide mĂ©dicale Ă mourir » apparaissant Ă lâarticle 3(6o) de la Loi, lequel se lit ainsi :
« Un soin consistant en lâadministration de mĂ©dicaments et de substances par un mĂ©decin Ă une personne en fin de vie, Ă la demande de celle-ci, dans le but de soulager ses souffrances en entraĂźnant son dĂ©cĂšs. »
[93] Selon cette derniĂšre, une telle rĂ©fĂ©rence Ă un soin Ă©tonne lorsquâon rĂ©fĂšre [sans le dire] Ă des gestes ou des actes qui rĂ©pondent Ă lâaide au suicide, au suicide assistĂ© ou Ă lâeuthanasie dâun ĂȘtre humain clairement couverts et visĂ©s par le Code criminel.
[94] Dans cette mĂȘme veine, lâarticle 4 de la Loi confirme le droit de toute personne de recevoir des « soins de fin de vie ».
[95] Or, Ă lâarticle 3(3o), lâexpression « soins de fin de vie » englobe les soins palliatifs offerts aux personnes en fin de vie et lâAide mĂ©dicale Ă mourir. [Soulignement ajoutĂ©]
[96] Pour la PGC, Ă la lumiĂšre de ces dĂ©finitions, il ne fait aucun doute que sous le couvert de lâexpression « soins de fins de vie », le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois a visĂ© et manifestement tentĂ© dâenglober comme forme de soin de santĂ©, lâeuthanasie dâun ĂȘtre humain, un acte qui relĂšve toujours de la compĂ©tence exclusive du parlement fĂ©dĂ©ral de lĂ©gifĂ©rer en matiĂšre criminelle. Dâaffubler le qualificatif de soin Ă lâeuthanasie dâun ĂȘtre humain ne convertit pas celle-ci dâun acte criminel en un soin de santĂ©.
[97] Lâavocate de la PGC a Ă©galement manifestĂ© son inquiĂ©tude face aux dispositions de lâarticle 31 de la Loi qui imposent aux mĂ©decins qui ne voudraient pas accĂ©der Ă une demande dâAide mĂ©dicale Ă mourir de participer, malgrĂ© leur objection, au processus visant Ă trouver un autre mĂ©decin volontaire et consentant. Elle y voit par le fait mĂȘme une indication que mĂȘme un mĂ©decin, objecteur de conscience, sera forcĂ©ment impliquĂ© dans un processus allant mener Ă la commission dâun acte criminel dans lâĂ©tat du droit actuel.Â
[98] En dâautres mots, la PGC voit un prĂ©judice sĂ©rieux et irrĂ©parable en ce que des mĂ©decins autorisĂ©s en vertu dâune loi provinciale Ă offrir lâAide mĂ©dicale Ă mourir en vertu de la Loi vont sâexposer, dĂšs le 10 dĂ©cembre 2015, Ă commettre des actes qui sont toujours criminels en vertu dâune loi fĂ©dĂ©rale, Ă savoir le Code criminel.
[99] Selon la PGC, il existe Ă lâheure actuelle un conflit entre certaines dispositions de la Loi [quĂ©bĂ©coise] qui sont incompatibles avec celles du Code criminel [fĂ©dĂ©ral].
[100] Lâavocate de la PGC est dâavis que cet ensemble de circonstances et que ce conflit patent de dispositions contradictoires, en considĂ©rant les objectifs visĂ©s par leurs lois respectives, constituent en soi une raison suffisante qui justifie lâĂ©mission de lâordonnance en injonction provisoire demandĂ©e.
[101] Elle est dâavis quâil sâagit dâune question sĂ©rieuse, Ă savoir la prĂ©pondĂ©rance de la lĂ©gislation fĂ©dĂ©rale en cas dâun tel conflit juridictionnel.
[102] Selon celle-ci, la balance des inconvĂ©nients milite, dâune part en faveur des mĂ©decins exposĂ©s en obĂ©issant Ă la Loi [quĂ©bĂ©coise] de devoir poser des actes toujours considĂ©rĂ©s comme Ă©tant criminels en vertu du Code criminel et, dâautre part, en faveur du gouvernement fĂ©dĂ©ral qui est toujours Ă lâintĂ©rieur du dĂ©lai imparti par la Cour suprĂȘme pour donner suite Ă lâarrĂȘt Carter et ainsi lĂ©gifĂ©rer en matiĂšre de lâeuthanasie dâun ĂȘtre humain et du suicide assistĂ©, lesquels relĂšvent tous deux de sa juridiction exclusive en matiĂšre criminelle.
- La position de la Procureure générale du Québec
[103]  Les observations de lâavocate de la PGQ ont essentiellement portĂ© sur une rĂ©vision mĂ©ticuleuse des articles de la Loi Ă la lumiĂšre des paramĂštres constitutionnels tracĂ©s par la Cour suprĂȘme dans lâarrĂȘt Carter.
[104] Selon la PGQ, les demandeurs ne peuvent, au moyen de leur RequĂȘte en jugement dĂ©claratoire, remettre en cause lâarrĂȘt Carter qui se distingue complĂštement de la position adoptĂ©e par la Cour suprĂȘme vingt annĂ©es auparavant dans lâaffaire Rodriguez oĂč la primautĂ© du droit Ă la vie avait Ă©tĂ© consacrĂ©e par cette mĂȘme Cour.
[105] Il ne revient pas non plus au Tribunal de juger de lâopportunitĂ© ou de la sagesse de la Loi, un concept avec lequel le Tribunal est tout Ă fait en accord.
[106] Lâavocate a Ă©galement retracĂ© les diverses Ă©tapes franchies par le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois pour aboutir en juin 2014 Ă lâadoption de la Loi par les membres de lâAssemblĂ©e nationale dans le cadre dâun vote libre, prĂ©cise-t-elle.
[107] Cette Loi est le reflet dâun consensus social atteint ou plutĂŽt constatĂ© aprĂšs quatre annĂ©es de consultations populaires par les reprĂ©sentants du lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois.
[108] Lâavocate ajoute que dans lâarrĂȘt Carter, la Cour suprĂȘme a ouvert la porte aux lĂ©gislatures provinciales de lĂ©gifĂ©rer en adoptant une loi compatible avec les paramĂštres constitutionnels y Ă©noncĂ©s. La PGQ aurait donc rĂ©pondu Ă cette invitation de la Cour suprĂȘme en adoptant la Loi.
[109] Or, les demandeurs et les intervenants ont rapidement fait remarquer au Tribunal quâen juin 2014, les membres de lâAssemblĂ©e nationale pouvaient difficilement « rĂ©pondre Ă une invitation de la Cour suprĂȘme » en adoptant la Loi. On Ă©tait alors quelque huit mois avant que ladite « invitation » ne soit faite par la Cour suprĂȘme.Â
[110] Quoi quâil en soit, selon la PGQ, la Loi Ă©tablit que lâAide mĂ©dicale Ă mourir sâinscrit dans le continuum des soins de santĂ© offerts aux citoyens du QuĂ©bec. Comme lâAide mĂ©dicale Ă mourir est un soin administrĂ© par un mĂ©decin et, par consĂ©quent, un soin de santĂ© comme en font foi les dĂ©finitions retrouvĂ©es Ă lâarticle 3 de la Loi ayant trait aux soins de fin de vie et Ă lâaide mĂ©dicale Ă mourir, la PGQ insiste que la Loi relĂšve de la compĂ©tence exclusive du QuĂ©bec en matiĂšre de santĂ©.Â
[111] La PGQ nây voit donc aucune possibilitĂ© de conflit juridictionnel en lâespĂšce.
[112] Bref, outre le fait quâen adoptant la Loi, QuĂ©bec aurait agi Ă lâintĂ©rieur de sa propre compĂ©tence en matiĂšre de santĂ©, lâavocate de la PGQ soutient que les demandeurs nâont dĂ©montrĂ© aucune apparence de droit et nâont prouvĂ© aucun prĂ©judice sĂ©rieux et irrĂ©parable Ă leur Ă©gard si la prĂ©sente ordonnance en injonction provisoire nâĂ©tait pas accordĂ©e. Il nây a Ă©videmment aucune situation dâurgence en lâespĂšce.
[113] Le Tribunal partage lâavis de lâavocate en ce qui a trait Ă la demanderesse, mais la situation du demandeur, le mĂ©decin Saba, diffĂšre en raison du fait que les articles 14 et 241b) du Code criminel sont toujours valides et en vigueur, malgrĂ© quâils soient toutefois frappĂ©s dâune dĂ©claration dâinvaliditĂ© constitutionnelle suspendue en matiĂšre dâaide au suicide dans le contexte de lâAide mĂ©dicale Ă mourir.
[114] Selon
lâavocate de la PGQ, il sâagit dâun faux problĂšme ou dâune fausse crainte
Ă©voquĂ©e par le mĂ©decin Saba, car celui-ci devrait nâavoir rien Ă craindre dâune
contravention possible Ă lâarticle
[115] Cette derniĂšre affirmation provenant de lâavocate de la PGQ Ă©tonne le Tribunal, dâautant plus que le Directeur des poursuites criminelles et pĂ©nales est celui qui normalement porte de telles accusations et quâil nâĂ©tait pas prĂ©sent Ă lâaudience, nâayant pas dĂ©posĂ© de comparution malgrĂ© quâil ait Ă©tĂ© appelĂ© Ă titre de mis en cause par les demandeurs.
[116] Quelles assurances rĂ©elles la PGQ peut-elle vraiment donner Ă cet Ă©gard au mĂ©decin Saba et autres mĂ©decins du QuĂ©bec qui accepteront de poser les gestes reliĂ©s Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir Ă partir du 10 dĂ©cembre 2015? Le Directeur des poursuites criminelles et pĂ©nales nâest-il pas indĂ©pendant de la PGQ et du gouvernement du QuĂ©bec dans la prise de dĂ©cision des accusations Ă porter ou non?
[117] Quâarriverait-il si une plainte privĂ©e Ă©tait portĂ©e?
[118] Quâarriverait-il
si le Parlement fĂ©dĂ©ral dĂ©cidait de se servir des dispositions de lâarticle
[119] Avec grand respect, face Ă une disposition du Code criminel dont le libellĂ© est non Ă©quivoque dans le contexte actuel, lâassurance du ou de la ministre de la Justice et du ou de la procureur(e) gĂ©nĂ©ral(e) dâune province de ne pas faire porter dâaccusation Ă lâendroit dâun citoyen qui aurait contrevenu Ă une telle disposition du Code criminel ne peut avoir pour effet dâĂ©liminer le caractĂšre sĂ©rieux et irrĂ©parable auquel tout citoyen sâexpose sâil accepte de poser un geste ou un acte spĂ©cifiquement prohibĂ© par le Code criminel actuel en vertu de dispositions valides et en vigueur.
[120] Le Tribunal se permet de rappeler avec grands Ă©gards quâen lâespĂšce, au moment de lâadoption de la Loi, le 5 juin 2014, les articles 14 et 241b) du Code criminel nâĂ©taient frappĂ©s dâaucune dĂ©claration dâinvaliditĂ© inconstitutionnelle en matiĂšre dâAide mĂ©dicale Ă mourir.
[121] Les membres de lâAssemblĂ©e nationale du QuĂ©bec pouvaient difficilement ignorer lâexistence dâune incompatibilitĂ© lĂ©gislative avec le Code criminel au moment de voter la Loi.
[122] Avec grand respect pour lâopinion contraire, le 5 juin 2014, le fait dâaffubler lâaide au suicide et lâeuthanasie dâun ĂȘtre humain dâun autre qualificatif, voire mĂȘme dâun euphĂ©misme, Ă savoir lâAide mĂ©dicale Ă mourir, ne pouvait avoir pour effet de soustraire automatiquement de lâapplication dâune loi fĂ©dĂ©rale un geste ou un acte spĂ©cifiquement prohibĂ© par les articles 14 et 214b) du Code criminel et de confĂ©rer aussitĂŽt une compĂ©tence au QuĂ©bec en matiĂšre dâAide mĂ©dicale Ă mourir sous le prĂ©texte quâil sâagissait dĂšs lors dâun soin de santĂ© qui allait sâinscrire dans le continuum des autres soins de santĂ© prodiguĂ©s jusquâalors au patient.
[123] Dans un autre ordre dâidĂ©es, lâavocate de la PGQ a affirmĂ© que la Loi ayant Ă©tĂ© adoptĂ©e validement par lâAssemblĂ©e nationale, celle-ci conservait toute sa force et quâelle bĂ©nĂ©ficiait de la prĂ©somption dâavoir Ă©tĂ© passĂ©e Ă lâavantage et dans lâintĂ©rĂȘt du public quĂ©bĂ©cois. ConsĂ©quemment, le Tribunal devrait conserver Ă lâesprit cet Ă©tat de fait en considĂ©rant la balance des inconvĂ©nients entre les consĂ©quences dâaccorder ou non lâinjonction provisoire demandĂ©e.
[124] Le Tribunal en convient, mais il ne sâagit pas pour autant dâune prĂ©somption irrĂ©fragable. Le Tribunal doit nĂ©cessairement Ă©valuer la situation Ă la lumiĂšre de lâensemble des faits propres Ă celle-ci.
[125] Lâavocate de la PGQ a particuliĂšrement insistĂ© auprĂšs du Tribunal de conserver Ă lâesprit que la Cour suprĂȘme ayant maintenant tracĂ© des balises constitutionnelles en matiĂšre dâAide mĂ©dicale Ă mourir, une personne rĂ©unissant dĂšs lors ces balises devrait, par le fait mĂȘme, avoir le droit de mourir avec lâAide mĂ©dicale Ă mourir. Le Tribunal ne devrait donc pas suspendre lâapplication des dispositions de la Loi ayant trait Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir alors que celle-ci respecterait ces balises et que la Loi rĂ©pondrait Ă la situation dĂ©criĂ©e par la Cour suprĂȘme dans lâarrĂȘt Carter.Â
[126] Une mise au point sâimpose.
[127] Il faut conserver Ă lâesprit que lâarrĂȘt Carter nâa pas eu pour effet de dĂ©criminaliser de façon absolue lâaide au suicide et de permettre Ă toutes personnes respectant les paramĂštres Ă©tablis dâobtenir lâAide mĂ©dicale Ă mourir, et ce, sans autres dĂ©lais.
[128] Au contraire, la Cour suprĂȘme nâa fait que crĂ©er une exception Ă la prohibition criminelle de suicide assistĂ©, en ce sens que lâaide Ă mourir ne peut ĂȘtre privĂ©e aux adultes (i) capables de consentir clairement Ă mettre fin Ă leurs jours et (ii) qui sont affectĂ©s de problĂšmes de santĂ© graves et irrĂ©mĂ©diables leur causant des souffrances persistantes et intolĂ©rables au regard de leur condition. [Soulignement ajoutĂ©]
[129] Qui plus est, la Cour suprĂȘme nâa pas indiquĂ© que lâaide au suicide constituait dans certains cas un soin mĂ©dical et que, consĂ©quemment, les parlements provinciaux avaient compĂ©tence exclusive pour lĂ©gifĂ©rer sur cette matiĂšre particuliĂšre. Par contre, il faut reconnaĂźtre que la Cour suprĂȘme nâa pas affirmĂ© non plus que lâAide mĂ©dicale Ă mourir nâest pas un soin mĂ©dical. Le dĂ©bat reste ouvert jusquâĂ ce que le parlement fĂ©dĂ©ral redĂ©finisse lâAide mĂ©dicale Ă mourir dans le contexte du Code criminel et de lâarrĂȘt Carter.
[130] Une chose est certaine, il nâappartient pas au Tribunal de trancher, dans le prĂ©sent jugement, la question des soins de santĂ© dans le contexte de lâAide mĂ©dicale Ă mourir et de lâaide au suicide au sens du Code criminel.
[131] En fait, les passages suivants attestent de la difficultĂ© Ă trancher Ă quel moment ou Ă quel point la compĂ©tence dâune province en matiĂšre de santĂ© et celle du parlement fĂ©dĂ©ral peuvent empiĂ©ter lâune sur lâautre en matiĂšre de santĂ© :
« VII. La prohibition porte-t-elle atteinte au « contenu essentiel » de la compétence provinciale sur la santé?
[49] Les appelants reconnaissent que la prohibition
de lâaide au suicide constitue gĂ©nĂ©ralement un exercice valide de la compĂ©tence
en matiÚre de droit criminel conférée au gouvernement fédéral par le par.
[50] La doctrine de lâexclusivitĂ© des compĂ©tences
repose sur la prémisse que les chefs de compétence prévus aux art. 91 et 92
sont « exclusifs » et ont donc chacun un contenu essentiel « minimum
[...] et irrĂ©ductible » qui Ă©chappe Ă lâapplication
de la lĂ©gislation Ă©dictĂ©e par lâautre ordre de gouvernement (Banque
canadienne de lâOuest c. Alberta,
[51] Notre Cour a rejeté un argument similaire dans Canada
(Procureur général) c. PHS Community Services Society,
[...] le Parlement a
le pouvoir de légiférer dans des matiÚres de compétence fédérale, comme le
droit criminel, qui touchent la santé. Ainsi, il a toujours eu le pouvoir
dâinterdire les traitements mĂ©dicaux dangereux ou qui, selon lui, constituent
une « conduite socialement répréhensible » : R. c.
Morgentaler,
[52] Les appelants et la procureure gĂ©nĂ©rale du QuĂ©bec (qui est intervenue sur ce point) affirment quâil est possible de dĂ©finir avec prĂ©cision le contenu essentiel de la compĂ©tence en matiĂšre de santĂ© et, par consĂ©quent, dâĂ©tablir une distinction dâavec lâarrĂȘt PHS. Le contenu essentiel proposĂ© par les appelants est dĂ©crit comme le pouvoir dâadministrer le traitement mĂ©dical nĂ©cessaire lorsquâaucun autre traitement ne peut rĂ©pondre aux besoins du patient (m.a., par. 43). Le QuĂ©bec adopte une dĂ©marche lĂ©gĂšrement diffĂ©rente en dĂ©finissant le contenu essentiel comme le pouvoir de dĂ©cider du type de soins de santĂ© Ă offrir aux patients et de superviser la procĂ©dure relative au consentement requis pour ces soins (m.i., par. 7).
[53] Nous ne sommes pas convaincus par les
arguments selon lesquels il est possible de faire une distinction dâavec PHS,
compte tenu des mots vagues employés dans les définitions proposées du
« contenu essentiel » de la compétence provinciale en matiÚre de
santĂ©. Ă notre avis, les appelants nâont pas Ă©tabli que la prohibition
de lâaide mĂ©dicale Ă mourir empiĂšte sur le contenu essentiel de la compĂ©tence
provinciale. La santé est un domaine de compétence concurrente; le
Parlement et les provinces peuvent validement légiférer dans ce domaine :
RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général),
[Soulignements et caractÚre gras ajoutés]
[132] Ă la lecture de ce qui prĂ©cĂšde, le Tribunal retient que les deux ordres de gouvernement ont toujours le pouvoir de lĂ©gifĂ©rer en matiĂšre dâAide mĂ©dicale Ă mourir, mais que leur compĂ©tence respective en cette matiĂšre sâeffectue « en fonction du caractĂšre et de lâobjet du texte lĂ©gislatif ». [Soulignement ajoutĂ©]
[133] MĂȘme si les deux ordres de gouvernement disposent dâune compĂ©tence concurrente en matiĂšre de santĂ©, la Cour suprĂȘme nâa pas laissĂ© entendre que le QuĂ©bec [ou toute autre province] pouvait couvrir Ă lui seul le champ complet en matiĂšre dâAide mĂ©dicale Ă mourir, comme le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois semble avoir voulu le faire en adoptant la Loi.
[134] MalgrĂ© quâil nâappartienne pas au Tribunal, Ă cette Ă©tape des procĂ©dures, de se prononcer sur la question Ă savoir si lâAide mĂ©dicale Ă mourir est un soin de santĂ© qui Ă©chapperait au Code criminel, il faut conclure Ă ce stade-ci que lâAide mĂ©dicale Ă mourir, dans le contexte actuel, correspond prima facie Ă lâeuthanasie dâun ĂȘtre humain Ă la demande expresse de ce dernier ou en dâautres termes, Ă lâaide au suicide par forcĂ©ment lâentremise dâune autre personne. Ces gestes que certains veulent qualifier dâAide mĂ©dicale Ă mourir nâen demeurent pas moins Ă prime abord des gestes qui prĂ©sentement sont incompatibles avec la prohibition du Code criminel.Â
[135] La Cour suprĂȘme a indiquĂ© quâil revenait au parlement fĂ©dĂ©ral dâadopter, dans un dĂ©lai de douze mois, la lĂ©gislation appropriĂ©e en matiĂšre criminelle qui tiendra compte de lâexception quâelle a Ă©laborĂ©e dans lâarrĂȘt Carter quant au suicide assistĂ© dans un contexte dâAide mĂ©dicale Ă mourir.
[136] Ceci expliquerait sans doute la PĂ©riode de suspension de douze mois accordĂ©e relativement la prise dâeffet de la DĂ©claration dâinvaliditĂ©.
[137] Le Tribunal est dâopinion que la Cour suprĂȘme a reconnu quâil revenait au parlement fĂ©dĂ©ral de dĂ©terminer ce qui constitue un acte criminel ou non en matiĂšre dâaide au suicide et, en particulier, en matiĂšre impliquant des adultes (i) capables de consentir clairement Ă mettre fin Ă leurs jours et (ii) qui sont affectĂ©s de problĂšmes de santĂ© graves et irrĂ©mĂ©diables leur causant des souffrances persistantes et intolĂ©rables au regard de leur condition. [Soulignement ajoutĂ©]
[138]  Dans un tel contexte, le Tribunal retient Ă©galement que les provinces ont et continueront de jouer un rĂŽle important en matiĂšre de santĂ©, mais ce rĂŽle, si important puisse-t-il ĂȘtre, sera nĂ©anmoins complĂ©mentaire comme il lâa toujours Ă©tĂ© Ă la compĂ©tence exercĂ©e par le parlement fĂ©dĂ©ral en matiĂšre criminelle, compĂ©tence qui peut parfois toucher la santĂ©. Les provinces pourront donc lĂ©gifĂ©rer sur la mĂ©thode appropriĂ©e de dispenser lâAide mĂ©dicale Ă mourir dans les cas quâaura permis le parlement fĂ©dĂ©ral dans lâexercice de sa compĂ©tence en matiĂšre criminelle.
[139] En adoptant la Loi permettant aux mĂ©decins dâoffrir lâAide mĂ©dicale Ă mourir aux patients qui le demanderont Ă compter du 10 dĂ©cembre 2015, le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois a certes exercĂ© son pouvoir de lĂ©gifĂ©rer en matiĂšre de santĂ©. Par ailleurs, en ce faisant, il a pris un certain risque en Ă©dictant des dispositions lĂ©gislatives qui touchent Ă lâaide Ă mourir et qui sont couvertes par les articles 14 et 241b) du Code criminel. Encore une fois, et ceci Ă©tant dit avec le plus grand respect, dâajouter le mot mĂ©dicale Ă lâexpression aide Ă mourir ne peut Ă lui seul avoir pour effet de mettre Ă l'abri des dispositions lĂ©gislatives provinciales incompatibles avec la lĂ©gislation fĂ©dĂ©rale en matiĂšre criminelle, compĂ©tence confĂ©rĂ©e exclusivement au parlement fĂ©dĂ©ral par la Constitution.
[140] Force est de constater que dans le contexte actuel fort particulier, Ă son entrĂ©e en vigueur, les dispositions de la Loi au niveau de lâAide mĂ©dicale Ă mourir, vont contrevenir directement aux articles 14 et 241b) du Code criminel en permettant aux mĂ©decins dâaider au suicide de patients qui seront alors Ă©ligibles en vertu de la Loi et qui lâauront demander, Ă tout le moins pour la pĂ©riode allant du 10 dĂ©cembre 2015 au 6 fĂ©vrier 2016, date de prise en effet de la DĂ©claration dâinvaliditĂ© dans lâarrĂȘt Carter.
[141] Malgré ce qui précÚde, la PGQ insiste sur le principe de la présomption de validité des lois dont la Loi doit bénéficier.
[142] Certes, Ă ce stade des procĂ©dures, « le juge saisi de la requĂȘte doit tenir pour acquis que la mesure lĂ©gislative a Ă©tĂ© adoptĂ©e pour le bien du public »[16], et ce, dans notre sociĂ©tĂ© oĂč la notion de «« [l]'intĂ©rĂȘt public » comprend Ă la fois les intĂ©rĂȘts de l'ensemble de la sociĂ©tĂ© et les intĂ©rĂȘts particuliers de groupes identifiables »[17].
[143] Néanmoins,
comme lâont suggĂ©rĂ© les avocats reprĂ©sentant la PGC et la Coalition, le
Tribunal doit constater lâexistence dâune situation de conflit lĂ©gislatif
manifeste qui entraĂźne nĂ©cessairement lâapplication de la doctrine de la
prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale, tant (i) au niveau de lâincompatibilitĂ© des
dispositions de la Loi ayant trait Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir par
rapport au texte actuel des articles
[144] Nous sommes en prĂ©sence de dispositions provinciales prĂ©sumĂ©es valides qui entrent en conflit avec des dispositions fĂ©dĂ©rales, toujours valides et en vigueur, et ce, jusquâĂ la prise dâeffet de la DĂ©claration dâinvaliditĂ© prononcĂ©e par la Cour suprĂȘme dans lâarrĂȘt Carter.
[145] Les dispositions lĂ©gislatives Ă lâĂ©tude sont en contradiction expresse et elles ne peuvent sâappliquer ensemble au point de vue pratique et opĂ©rationnel :
« [I]l y a un conflit vĂ©ritable, comme lorsquâune loi dit «oui» et que lâautre dit «non»; «on demande aux mĂȘmes citoyens dâaccomplir des actes incompatibles»; lâobservance de lâune entraĂźne lâinobservance de lâautre.[18] »
[146]
Ainsi, dans le contexte actuel, de la perspective
du patient, le majeur apte Ă consentir aux soins, ne peut formuler la demande
dâAide mĂ©dicale Ă mourir (article 26 de la Loi)
sans violer lâarticle
[147]
Du point de vue du mĂ©decin qui administre lâAide
mĂ©dicale Ă mourir (article 30 de la Loi), il peut ĂȘtre
dĂ©clarĂ© coupable dâun acte criminel au sens de lâarticle
[148]
Les assurances offertes par la PGQ en lâabsence du Directeur des poursuites
criminelles et pĂ©nales quant Ă lâabsence de poursuites criminelles contre les
mĂ©decins en vertu de lâarticle
[149] La PGQ invoque lâarticle 50 de la Loi qui permet au mĂ©decin de refuser dâadministrer lâAide mĂ©dicale Ă mourir. Implicitement, dâaucuns pourraient affirmer quâil est possible pour le mĂ©decin de respecter les deux lois en sâabstenant dâadministrer lâAide mĂ©dicale Ă mourir, câest-Ă -dire que « lâobservance de la loi la plus stricte entraĂźne nĂ©cessairement le respect de lâautre »[19].
[150] Avec Ă©gard, un tel raisonnement apparaĂźt superficiel, car lâon ne tient pas compte du sens Ă©tendu de la notion de « contradiction expresse » qui comprend le conflit rĂ©el dâapplication des lois, Ă savoir les situations oĂč « lâapplication de la loi provinciale a pour effet de dĂ©jouer lâintention du Parlement »[20].
[151] Or, jusquâĂ la prise dâeffet de la DĂ©claration dâinvaliditĂ© de lâarrĂȘt Carter, lâintention du lĂ©gislateur fĂ©dĂ©ral de criminaliser lâaide Ă mourir, y compris celle dans un contexte mĂ©dical, demeure.
[152] Par ailleurs, le simple refus du mĂ©decin dâoffrir lâAide mĂ©dicale Ă mourir est insuffisant au sens de lâarticle 50 de la Loi, car celui-ci doit respecter la procĂ©dure prĂ©vue Ă lâarticle 31 de la Loi qui lui impose lâobligation de transfĂ©rer la demande dâAide mĂ©dicale Ă mourir en vue dâassurer son suivi et sa rĂ©alisation.
[153] En matiĂšre de la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale, le Tribunal retient les enseignements suivants de la Cour suprĂȘme dans lâarrĂȘt QuĂ©bec (Procureur gĂ©nĂ©ral) c. Canadian Owners and Pilots Association[21] :
« C.     La prépondérance fédérale
[62] Contrairement Ă la doctrine de lâexclusivitĂ© des compĂ©tences, laquelle se rapporte Ă la portĂ©e de la compĂ©tence fĂ©dĂ©rale, celle de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale se rapporte Ă la façon dont la compĂ©tence est exercĂ©e. La doctrine de la prĂ©pondĂ©rance est pertinente lorsquâun conflit oppose une loi fĂ©dĂ©rale Ă une loi provinciale. Comme le juge Major lâa expliquĂ© dans Rothmans, au par. 11, « [s]elon la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance des lois fĂ©dĂ©rales, en cas de conflit entre une loi fĂ©dĂ©rale et une loi provinciale qui sont validement adoptĂ©es, mais qui se chevauchent, la loi provinciale devient inopĂ©rante dans la mesure de lâincompatibilitĂ©. »
[63] La doctrine de lâexclusivitĂ© des compĂ©tences a pour effet dâannuler lâĂ©ventuelle incompatibilitĂ© entre une loi fĂ©dĂ©rale et une loi provinciale en rendant la loi provinciale inapplicable dans la mesure oĂč elle entrave lâexercice dâune activitĂ© relevant du cĆur dâun pouvoir fĂ©dĂ©ral. Comme jâai conclu que la doctrine de lâexclusivitĂ© des compĂ©tences permet de trancher le prĂ©sent litige, il nâest pas nĂ©cessaire de tenir compte de celle de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale. Toutefois, compte tenu des arguments prĂ©sentĂ©s par les parties, il peut ĂȘtre utile dâexaminer lâapplicabilitĂ© de cette doctrine.
[64] Deux formes de conflit différentes
permettent dâinvoquer la prĂ©pondĂ©rance. La premiĂšre est le conflit
dâapplication entre une loi fĂ©dĂ©rale et une loi provinciale, oĂč une loi dit
« oui » et lâautre dit « non », de sorte que
« lâobservance de lâune entraĂźne lâinobservance de lâautre » :
Multiple Access Ltd. c. McCutcheon,
[65] Il nâest pas question en lâespĂšce dâun conflit dâapplication; selon la loi fĂ©dĂ©rale, « oui, vous pouvez construire un aĂ©rodrome » mais selon la loi provinciale, « non, vous ne le pouvez pas ». Toutefois, la loi fĂ©dĂ©rale nâexige pas la construction dâun aĂ©rodrome. Par consĂ©quent, pour reprendre les termes employĂ©s par le juge Dickson dans McCutcheon, lâobservance de lâune nâentraĂźne pas lâinobservance de lâautre. En lâespĂšce, il est possible de se conformer tant Ă la loi provinciale quâĂ la loi fĂ©dĂ©rale en dĂ©molissant lâaĂ©roport.
[66] La question est donc de savoir si la loi
provinciale est incompatible avec lâobjet de la loi fĂ©dĂ©rale. Pour dĂ©terminer
si la loi contestĂ©e entrave la rĂ©alisation dâun objectif fĂ©dĂ©ral, il faut
examiner le cadre réglementaire qui régit la décision de construire un
aérodrome. Le fardeau de la preuve incombe à la personne qui invoque la
doctrine de la prépondérance fédérale : Lafarge Canada,
par. 77. Cette personne doit prouver que la loi contestĂ©e va Ă lâencontre
de lâobjet dâune loi fĂ©dĂ©rale. Pour ce faire, elle doit dâabord Ă©tablir
lâobjet de la loi fĂ©dĂ©rale pertinente et ensuite prouver que la loi provinciale
est incompatible avec cet objet. La norme dâinvalidation dâune loi
provinciale au motif quâelle entrave la rĂ©alisation de lâobjet fĂ©dĂ©ral est
Ă©levĂ©e; une loi fĂ©dĂ©rale permissive, sans plus, ne permettra pas dâĂ©tablir
lâentrave de son objet par une loi provinciale qui restreint la portĂ©e de la
permissivité de la loi fédérale : voir 114957 Canada Ltée (Spraytech,
SociĂ©tĂ© dâarrosage) c. Hudson (Ville),
[Soulignements et caractÚre gras ajoutés]
[154] En lâespĂšce, il ne fait aucun doute dans lâesprit du Tribunal que nous faisons face Ă un conflit opĂ©rationnel puisque lâobservance de la Loi en matiĂšre de lâAide mĂ©dicale Ă mourir va entraĂźner lâinobservance du Code criminel au niveau de ses articles 14 et 241b).
[155] Selon lâavocate de la PGC, le refus par la PGQ de suspendre lâapplication des articles de la Loi ayant trait Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir lors de lâentrĂ©e en vigueur de la Loi, le 10 dĂ©cembre 2015, entrainera dĂšs lors un prĂ©judice sĂ©rieux et irrĂ©parable en ce que les mĂ©decins faisant lâobjet dâune demande dâAide mĂ©dicale Ă mourir seront confrontĂ©s Ă accĂ©der Ă une telle demande de leurs patients en observance de la Loi et commettre par le fait mĂȘme un acte qui est toujours criminel en vertu du Code criminel.
[156] Force est de constater une incompatibilité directe et flagrante entre les dispositions en question de la Loi et celles du Code criminel à ce sujet.
[157] Les dispositions de la Loi ayant trait Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir sont, Ă lâheure actuelle, incompatibles avec l'objet recherchĂ© par le parlement fĂ©dĂ©ral dans les dispositions actuelles des articles 14 et 241b) du Code criminel.
[158] Il va donc de soi que lâapplication immĂ©diate des articles de la Loi ayant trait Ă lâAide mĂ©dicale Ă mourir dĂšs son entrĂ©e en vigueur va aussitĂŽt entraver la rĂ©alisation de lâobjet de dispositions pertinentes du Code criminel, et ce, Ă tout le moins pour la pĂ©riode allant du 10 dĂ©cembre 2015 jusquâĂ la prise en effet de la DĂ©claration dâinvaliditĂ© de lâarrĂȘt Carter.
[159] Le Tribunal conclut donc quâen lâespĂšce, il y a lieu de donner prĂ©sĂ©ance aux dispositions du Code criminel qui nous intĂ©ressent, lesquelles, faut-il le rappeler, sont toujours valides et en vigueur en date des prĂ©sentes.
[160] La doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale (the doctrine of paramountcy) doit trouver application en lâespĂšce.
[161] Pour mieux apprĂ©cier les effets dâune telle doctrine, il est utile de citer les propos suivants de lâauteur Peter W. Hogg :
« The most usual and most accurate way of describing the effect [of inconsistency] on the provincial law is to say that it is rendered inoperative to the extent of the inconsistency. [âŠ] There is also a temporal limitation on the paramountcy doctrine. It will affect the operation of the provincial law only so long as the inconsistent federal law is in force. If the federal law is repealed, the provincial law will automatically âreviveâ (come back into operation) without any re-enactment by the provincial Legislature.
It is not accurate to describe the effect of the paramountcy doctrine as the ârepealâ of the provincial law. The federal Parliament cannot repeal a provincial law. Moreover, a repealed law does not revive on the repeal of the repealing law. Nor is it accurate to describe the effect of the paramountcy doctrine as rendering the provincial law ultra vires, invalid or unconstitutional. Such a description confuses validity with consistency. The federal Parliament cannot unilaterally take away from a provincial Legislature any power that the Constitution confers upon the Legislature. The provincial power to enact the law is not lost; it continues to exist (so does the provincial law), although it remains in abeyance until such time as the federal Parliament repeals the inconsistent federal law. This is why the only satisfactory description of the effect of the paramountcy doctrine is that it renders inoperative the inconsistent provincial law.[22]»
[Soulignement ajouté]
[162] Ainsi, dĂšs que le constat est fait que les articles de la Loi concernant lâAide mĂ©dicale Ă mourir entrent en conflit avec les articles 14 et 241b) du Code criminel, que les dispositions de ces articles sont incompatibles avec la loi fĂ©dĂ©rale et que la rĂ©alisation de lâobjet de cette loi fĂ©dĂ©rale est entravĂ©e par ces dispositions incompatibles, la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale sâapplique, et ce, jusquâĂ ce que lâincompatibilitĂ© disparaisse.
[163] Par consĂ©quent, jusquâĂ la prise dâeffet de la DĂ©claration dâinvaliditĂ© prononcĂ©e par la Cour suprĂȘme dans lâarrĂȘt Carter, les articles 14 et 241b) du Code criminel rendent inopĂ©rants les articles 26 Ă 32 inclusivement de la Section II de la Loi intitulĂ©e « Aide mĂ©dicale Ă mourir », ainsi que lâarticle 4 de ladite Loi, dans la mesure oĂč les dispositions de cet article visent ou touchent lâAide mĂ©dicale Ă mourir.
[164] Ă la lumiĂšre des propos de lâauteur Hogg, le Tribunal retient Ă©galement que :
- lâapplication de la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale nâa pas pour effet dâinvalider ou dâabroger la Loi ou de rendre celle-ci ultra vires, invalide ou inconstitutionnelle;
- il ne faut pas confondre la notion de validitĂ© avec celle de lâincompatibilitĂ©;
- dans un contexte oĂč la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale prĂ©vaut, le parlement fĂ©dĂ©ral nâa pas le pouvoir non plus dâabroger une loi adoptĂ©e validement par la lĂ©gislature quĂ©bĂ©coise, qui ne perd pas pour autant son pouvoir de lĂ©gifĂ©rer en la matiĂšre; et
- les dispositions de la loi provinciale incompatibles avec la loi fĂ©dĂ©rale demeureront inopĂ©rantes jusquâĂ ce que le parlement fĂ©dĂ©ral Ă©limine cette incompatibilitĂ© Ă son niveau.
[165] Dans la prĂ©sente affaire, on ne pourrait avoir une illustration plus Ă©loquente de lâincompatibilitĂ© entre les dispositions de deux lois et une entrave au but recherchĂ© par la loi fĂ©dĂ©rale.
[166] Les avocats de la PGC, de la Coalition et du mĂ©decin Saba, entre autres, ont bien mis en lumiĂšre ces incompatibilitĂ©s qui ne sont nullement limitĂ©es Ă la situation du demandeur, mais qui affectent Ă©galement tous les mĂ©decins et autres intervenants du systĂšme de santĂ© quĂ©bĂ©cois, lesquels, dĂšs le 10 dĂ©cembre 2015, seront directement impliquĂ©s dans la mise en Ćuvre des demandes dâAide mĂ©dicale Ă mourir de citoyens alors Ă©ligibles.
[167] Nier cette incompatibilitĂ© flagrante, câest nier lâĂ©vidence mĂȘme.
[168] Lâavocate de la PGQ propose quâil sâagit dâun faux dĂ©bat, car les articles 14 et 241b) du Code criminel sont sur le « respirateur artificiel » en raison de la DĂ©claration dâinvaliditĂ© de lâarrĂȘt Carter.
[169] Avec respect, le Tribunal ne partage pas cette optique qui fait abstraction de constats incontournables Ă la lecture de lâarrĂȘt Carter.
[170] Ă cet Ă©gard, le Tribunal a notĂ© et doit retenir les constats suivants qui doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©s dans la prĂ©sente dĂ©cision :
- la PGQ Ă©tait reprĂ©sentĂ©e et a participĂ© Ă lâaudience de la Cour suprĂȘme dans lâaffaire Carter en octobre 2014;
- la Cour suprĂȘme Ă©tait au courant que lâAssemblĂ©e nationale du QuĂ©bec avait adoptĂ© la Loi en juin 2014 et que cette Loi allait entrer en vigueur le 10 dĂ©cembre 2015, tel quâen fait foi son article 78;
- Ă lâaudience, la Cour suprĂȘme a Ă©tĂ© sensibilisĂ©e Ă lâapproche du gouvernement du QuĂ©bec en matiĂšre dâAide mĂ©dicale Ă mourir que la Cour suprĂȘme qualifie dâapproche lĂ©gĂšrement diffĂ©rente par rapport Ă la situation qui avait lâobjet de lâarrĂȘt PHS Community Services Society[23] [24]en 2011 :
« [52] Les appelants et la procureure gĂ©nĂ©rale du QuĂ©bec (qui est intervenue sur ce point) affirment quâil est possible de dĂ©finir avec prĂ©cision le contenu essentiel de la compĂ©tence en matiĂšre de santĂ© et, par consĂ©quent, dâĂ©tablir une distinction dâavec lâarrĂȘt PHS. Le contenu essentiel proposĂ© par les appelants est dĂ©crit comme le pouvoir dâadministrer le traitement mĂ©dical nĂ©cessaire lorsquâaucun autre traitement ne peut rĂ©pondre aux besoins du patient (m.a., par. 43). Le QuĂ©bec adopte une dĂ©marche lĂ©gĂšrement diffĂ©rente en dĂ©finissant le contenu essentiel comme le pouvoir de dĂ©cider du type de soins de santĂ© Ă offrir aux patients et de superviser la procĂ©dure relative au consentement requis pour ces soins (m.i., par. 7). »
[Soulignements et caractÚre gras ajoutés]
- la Cour suprĂȘme nâa pas retenu la position de la PGQ :
« [53] Nous ne
sommes pas convaincus par les arguments selon lesquels il est possible de faire
une distinction dâavec PHS, compte tenu des mots vagues employĂ©s dans
les définitions proposées du « contenu essentiel » de la compétence
provinciale en matiĂšre de santĂ©. Ă notre avis, les appelants nâont pas Ă©tabli
que la prohibition de lâaide mĂ©dicale Ă mourir empiĂšte sur le contenu essentiel
de la compétence provinciale. La santé est un domaine de compétence
concurrente; le Parlement et les provinces peuvent validement légiférer dans ce
domaine : RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général),
[Soulignements ajoutés]
-
aprĂšs avoir dĂ©claré que « lâalinĂ©a 241b) et lâart.
- en se prononçant comme suit au paragraphe 126 de lâarrĂȘt Carter, la Cour suprĂȘme ne laisse pas le champ complĂštement ouvert au QuĂ©bec en matiĂšre de lâAide mĂ©dicale Ă mourir; lâimplication du parlement fĂ©dĂ©ral en matiĂšre criminelle qui touche la santĂ© demeure toujours pertinente :
« [126] âŠDans la
mesure oĂč les dispositions lĂ©gislatives contestĂ©es nient
les droits que lâart. 7 reconnaĂźt aux personnes comme Mme Taylor,
elles sont nulles par application de lâart.
[Soulignements et caractÚre gras ajoutés]
-  au paragraphe 127, la Cour suprĂȘme prend la peine de prĂ©ciser ce qui suit :
« [127] âŠCette dĂ©claration [dâinvaliditĂ©] est censĂ©e sâappliquer aux situations de fait que prĂ©sente lâespĂšce. Nous ne nous prononçons pas sur dâautres situations oĂč lâaide mĂ©dicale Ă mourir peut ĂȘtre demandĂ©e. »
- au paragraphe 128, la Cour suprĂȘme se dit dâavis de suspendre la prise dâeffet de la DĂ©claration dâinvaliditĂ© pendant douze mois jusquâau 6 fĂ©vrier 2016, c'est-Ă -dire, la PĂ©riode de suspension;
- puis, au paragraphe 129, la Cour suprĂȘme refuse de permettre la mise en place dâune procĂ©dure ou dâun mĂ©canisme dâexemption pendant ladite pĂ©riode de 12 mois au cours de laquelle la prise dâeffet de la DĂ©claration dâinvaliditĂ© allait ĂȘtre suspendue :
« [129] Nous refusons dâaccĂ©der Ă la demande des appelants de crĂ©er une procĂ©dure dâexemption pendant la pĂ©riode au cours de laquelle la prise dâeffet de la dĂ©claration dâinvaliditĂ© est suspendue. Puisque Mme Taylor est maintenant dĂ©cĂ©dĂ©e et quâaucune des autres parties au litige ne demande une exemption personnelle, il ne sâagit pas dâun cas oĂč il convient de crĂ©er un tel mĂ©canisme dâexemption. »
[171] Ă la lumiĂšre de lâensemble de ces dĂ©clarations faites et dĂ©cisions prises par la Cour suprĂȘme dans le cadre de lâaffaire Carter et considĂ©rant que la PGQ y Ă©tait reprĂ©sentĂ©e et participait Ă lâaudience et que la Cour suprĂȘme Ă©tait au courant de lâexistence de la Loi et de la date de son entrĂ©e en vigueur, le Tribunal ne peut y dĂ©celer un seul indice permettant de conclure que le QuĂ©bec nâĂ©tait pas visĂ© par la PĂ©riode de suspension et par le refus de permettre la mise en place dâun mĂ©canisme dâexemption pour ceux et celles voulant se prĂ©valoir de la DĂ©claration dâinvaliditĂ© durant ladite PĂ©riode de suspension en autant quâils ou elles respectent les paramĂštres constitutionnels alors tracĂ©s.
[172] La Cour suprĂȘme ne pouvait ignorer que la Loi allait entrer en vigueur en dĂ©cembre 2015 en pleine PĂ©riode de suspension et pourtant, elle a refusĂ© de permettre tout mĂ©canisme dâexemption pendant cette suspension.
[173] MalgrĂ© que la Loi adoptĂ©e avant lâarrĂȘt Carter puisse paraĂźtre comme Ă©tant lâĂ©quivalent dâun mĂ©canisme dâexemption bien Ă©laborĂ© et bien dĂ©fini par le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois, force est de constater que la Cour suprĂȘme nâa pas jugĂ© opportun de lâexempter de la PĂ©riode de suspension.
[174] Outre le fait que la Loi est valide et reprĂ©sente la volontĂ© lĂ©gitime du lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois, lâavocate de la PGQ nâa offert aucune explication pouvant justifier que le QuĂ©bec ignore et simplement passe outre Ă lâarrĂȘt Carter et la PĂ©riode de suspension.
[175] Avec tous les Ă©lĂ©ments et faits qui avaient Ă©tĂ© portĂ©s Ă la connaissance de la Cour suprĂȘme qui a eu lâopportunitĂ© de prendre connaissance de la Loi, celle-ci, face Ă une demande de permettre la mise en place dâun mĂ©canisme dâexemption pendant la PĂ©riode de suspension, aurait facilement pu permettre pendant cette pĂ©riode la mise en Ćuvre du mĂ©canisme retenu par le QuĂ©bec en matiĂšre dâAide mĂ©dicale Ă mourir.
[176] La Cour suprĂȘme ne lâa pas fait.
[177] Le Tribunal nây voit pas pour autant un signe de dĂ©sapprobation de la Loi de la part de la Cour suprĂȘme, mais plutĂŽt un signe de respect de nos institutions lĂ©gislatives et des deux paliers de gouvernement qui continuent de se partager le domaine de la santĂ© dans un contexte oĂč lâaspect criminel ne peut ĂȘtre ignorĂ©, sans doute dans lâespoir que les deux ordres de gouvernements trouvent ensemble une solution harmonieuse dans le respect de la population et de ses attentes ponctuelles.
[178] Dans un tel contexte, il est fortement souhaitable de voir quelle sera la solution lĂ©gislative quâentendra apporter le parlement fĂ©dĂ©ral en matiĂšre criminelle Ă la question de lâAide mĂ©dicale Ă mourir, une problĂ©matique fort prĂ©occupante qui ne peut plus ĂȘtre ignorĂ©e compte tenu des constats faits et des conclusions tirĂ©es par la Cour suprĂȘme dans lâarrĂȘt Carter.Â
[179] AprĂšs tout, en relisant Ă nouveau les propos suivants de la Cour suprĂȘme dans lâarrĂȘt Carter, on peut aisĂ©ment comprendre pourquoi celle-ci a jugĂ© opportun dâaccorder un dĂ©lai de suspension de douze mois de sa dĂ©claration dâinvaliditĂ©. La Cour suprĂȘme sâattendait Ă ce que le parlement fĂ©dĂ©ral lĂ©gifĂšre pendant cette pĂ©riode de temps :
« [126] âŠIl appartient au Parlement et aux lĂ©gislatures provinciales de rĂ©pondre, si elles choisissent de le faire, en adoptant une loi compatible avec les paramĂštres constitutionnels Ă©noncĂ©s dans les prĂ©sents motifs.
[53] âŠĂ notre avis, les appelants nâont pas Ă©tabli que la prohibition de lâaide mĂ©dicale Ă mourir [du Code criminel] empiĂšte sur le contenu essentiel de la compĂ©tence provinciale. La santĂ© est un domaine de compĂ©tence concurrente; le Parlement et les provinces peuvent validement lĂ©gifĂ©rer dans ce domaine. [âŠ] Ceci laisse croire que les deux ordres de gouvernement peuvent validement lĂ©gifĂ©rer sur des aspects de lâaide mĂ©dicale Ă mourir, en fonction du caractĂšre et de lâobjet du texte lĂ©gislatif. Le dossier qui nous a Ă©tĂ© soumis ne nous convainc pas que la compĂ©tence provinciale en matiĂšre de santĂ© exclut la compĂ©tence du Parlement fĂ©dĂ©ral de lĂ©gifĂ©rer sur lâaide mĂ©dicale Ă mourir. Il sâensuit que la prĂ©tention fondĂ©e sur lâexclusivitĂ© des compĂ©tences ne peut ĂȘtre retenue. »
[180] En conclusion, Ă la lumiĂšre de la preuve soumise et des observations des diverses parties et intervenants, le Tribunal constate quâĂ leur entrĂ©e en vigueur le 10 dĂ©cembre 2015, les articles de la Loi concernant lâAide mĂ©dicale Ă mourir seront en conflit avec les articles 14 et 241b) du Code criminel, que les dispositions de ces articles sont incompatibles avec cette loi fĂ©dĂ©rale et que la rĂ©alisation de lâobjet de cette loi fĂ©dĂ©rale sera dĂšs lors entravĂ©e par ces dispositions lĂ©gislatives incompatibles.
[181] Face Ă un tel constat, il y a donc lieu que le Tribunal applique la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale, laquelle continuera de sâappliquer jusquâĂ ce que lâincompatibilitĂ© avec les articles 14 et 241b) du Code criminel disparaisse lors de la prise dâeffet de la DĂ©claration dâinvaliditĂ© desdits articles 14 et 241b) du Code criminel prononcĂ©e par la Cour suprĂȘme du Canada dans lâarrĂȘt Carter.
[182] Par consĂ©quent, il y a Ă©galement lieu pour le Tribunal de dĂ©clarer que jusquâĂ la prise dâeffet de la DĂ©claration dâinvaliditĂ© des articles 14 et 241b) du Code criminel prononcĂ©e par la Cour suprĂȘme dans lâarrĂȘt Carter, lesdits articles 14 et 241b) du Code criminel rendent inopĂ©rants les articles 26 Ă 32 inclusivement de la Loi (Section II intitulĂ©e « Aide mĂ©dicale Ă mourir ») ainsi que lâarticle 4 de la Loi, dans la mesure oĂč les dispositions de cet article visent ou touchent lâAide mĂ©dicale Ă mourir.
[183] Dans un tel contexte, vu lâapplication de la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale en lâespĂšce et la suspension de facto de la mise en application des articles susmentionnĂ©s de la Loi en dĂ©coulant en raison de la dĂ©claration de leur caractĂšre inopĂ©rant actuel, le Tribunal constate Ă©galement que le prĂ©judice sĂ©rieux et irrĂ©parable invoquĂ© au soutien de la demande dâinjonction provisoire nâest plus prĂ©sent, tout comme lâĂ©lĂ©ment dâurgence dâĂ©mettre une telle ordonnance dâinjonction provisoire.
[184] Lâinjonction provisoire demandĂ©e afin de suspendre temporairement la mise en application desdits articles Ă lâentrĂ©e en vigueur de la Loi, le 10 dĂ©cembre 2015, devient sans objet en raison de lâincompatibilitĂ© de ces dispositions avec les articles 14 et 241b) du Code criminel et de l'application de la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale aux prĂ©sentes, ces articles Ă©tant inopĂ©rants dĂšs lâentrĂ©e en vigueur de la Loi, et ce, jusquâĂ ce que cette incompatibilitĂ© disparaisse avec la prise dâeffet de la DĂ©claration dâinvaliditĂ© des articles 14 et 241b) du Code criminel prononcĂ©e par la Cour suprĂȘme dans lâarrĂȘt Carter.
[185] Enfin, lâintervenante Coalition a soulignĂ© quâ« il y a lieu de donner prĂ©sĂ©ance aux dispositions du Code criminel [âŠ] et de faire droit aux conclusions recherchĂ©es par les requĂ©rants »[25]. La position de lâavocate de la PGC Ă©tait au mĂȘme effet. Or, la doctrine de prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale ne constitue pas un des critĂšres pour accueillir la demande dâinjonction interlocutoire provisoire des demandeurs.
[186] Dans les circonstances actuelles, il y a lieu de rejeter sans frais la requĂȘte des demandeurs pour lâĂ©mission dâune injonction provisoire.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[187] REJETTE la requĂȘte des demandeurs pour lâobtention dâune injonction provisoire dans la prĂ©sente instance;
[188] RĂFĂRE les parties au MaĂźtre des rĂŽles de la Cour supĂ©rieure du district judiciaire de MontrĂ©al afin de fixer une date pour lâaudition de la requĂȘte en injonction interlocutoire;
[189] CONSTATE quâĂ lâentrĂ©e en vigueur de la Loi concernant les soins de fin de vie[26] (la « Loi »), le 10 dĂ©cembre 2015, les articles de cette Loi concernant lâAide mĂ©dicale Ă mourir seront en conflit avec les articles 14 et 241b) du Code criminel, que ces articles sont incompatibles avec cette loi fĂ©dĂ©rale et que la rĂ©alisation de lâobjet de cette loi fĂ©dĂ©rale sera dĂšs lors entravĂ©e par ces dispositions lĂ©gislatives incompatibles;
[190] DĂCLARE
quâen raison dudit constat, la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale sâapplique
en lâespĂšce et quâelle continuera Ă sâappliquer jusquâĂ ce que
lâincompatibilitĂ© avec les articles 14 et 241b) du Code criminel disparaisse
lors de la prise dâeffet de la DĂ©claration dâinvaliditĂ©, ci-aprĂšs dĂ©crite,
prononcĂ©e par la Cour suprĂȘme du Canada dans lâarrĂȘt Carter [
« [147] âŠLâalinĂ©a 241b) et lâart.
[191] DĂCLARE que jusquâĂ la prise dâeffet de la DĂ©claration dâinvaliditĂ© des articles 14 et 241b) du Code criminel prononcĂ©e par la Cour suprĂȘme du Canada dans lâarrĂȘt Carter, lesdits articles 14 et 241b) du Code criminel rendent inopĂ©rants les articles 26 Ă 32 inclusivement de la Loi (Section II intitulĂ©e « Aide mĂ©dicale Ă mourir ») ainsi que lâarticle 4 de la Loi, dans la mesure oĂč les dispositions de cet article visent ou touchent lâAide mĂ©dicale Ă mourir ;
[192] LE TOUT, sans frais.
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__________________________________ MICHEL A. PINSONNAULT, J.C.S. |
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Me Gérard Samet |
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Colas Moreira Kazandjian Zikovsky et |
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Me Dominique Talarico |
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Procureurs des demandeurs |
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Me Manon Des Ormeaux Me MarilĂšne Boisvert Me Jean-Yves Bernard |
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Direction générale des affaires juridiques et législatives |
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Procureur de la défenderesse  |
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Me Nadine Dupuis |
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MinistĂšre de la Justice Canada |
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Procureur de la mise en cause Procureur général du Canada |
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Me Robert E. Reynolds |
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Procureur de lâintervenante Alliance des chrĂ©tiens en droit |
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Me Pierre Y. Lefebvre |
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Fasken Martineau DuMoulin |
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Procureur de lâintervenante Euthanasia Prevention Coalition |
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Date dâaudience: |
24 novembre 2015 |
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[1] RLRQ, c. S-32.0001.
[2] L.Q. 2014, c.2, art. 78.
[3] L'utilisation des noms de famille dans le prĂ©sent jugement nâa que pour but dâallĂ©ger le texte. Le lecteur ne devrait pas y voir une marque de manque de respect envers les personnes mentionnĂ©es.
[4] Denis FERLAND et Bernard CLICHE, «Lâinjonction», dans Denis FERLAND et BenoĂźt CLICHE (dir.), PrĂ©cis de procĂ©dure civile, 4e Ă©d., vol. 2, Cowansville, Ăditions Yvon Blais, 2003, p.461.
[5] Affidavit de Madame Lisa DâAmico, paragraphe 9.
[6] Selon les demandeurs, les soins palliatifs ne sont disponibles quâĂ 20%-60% de la population tout dĂ©pendant des rĂ©gions du QuĂ©bec. Lâoffre de soins nâest pas uniforme sur lâensemble du territoire quĂ©bĂ©cois.
[7] Carter c. Canada (Procureur général),
[8] L.R.C. 1985, c. C-46.
[9] Carter c. Canada (Procureur général),
[10] Carter v. Canada (Attorney General), 2012 BCSC 886.
[11] Carter v. Canada (Attorney General),
[12] [1993] 3 R.C.S. 519.
[13] Les articles 14, 21, 22, 222 et 241.
[14] 7. Chacun a droit Ă la vie, Ă la libertĂ© et Ă la sĂ©curitĂ© de sa personne; il ne peut ĂȘtre portĂ© atteinte Ă ce droit quâen conformitĂ© avec les principes de justice fondamentale.
[15] 1. La Charte canadienne des droits et libertĂ©s garantit les droits et libertĂ©s qui y sont Ă©noncĂ©s. Ils ne peuvent ĂȘtre restreints que par une rĂšgle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se dĂ©montrer dans le cadre dâune sociĂ©tĂ© libre et dĂ©mocratique.
[16] Harper c. Canada
(Procureur général),
[17] RJR - Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général),
[18] Multiple Access Ltd c. McCutcheon,
[19] Law Society of British Columbia c. Mangat,
[20] Law Society of British Columbia c. Mangat,
[21]
[22] Peter W. HOGG, Constitutional Law of Canada, 5e éd., vol. 1, Toronto, Carswell, 2007, feuilles mobiles, à jour en 2007, par. 16.6.
[23] 2011 CSC 44,
[24] Voir la citation au paragraphe 123 ci-devant concernant lâarrĂȘt la position de la Cour suprĂȘme du Canada dans lâarrĂȘt PHS.
[25] Plan dâargumentation de lâintervenante Euthanasia Prevention Coalition, par. 18.
[26] RLRQ, c. S-32.0001.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.