McMullen c. Air Canada | 2022 QCCS 4132 | ||||||
COUR SUPÉRIEURE
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CANADA | |||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||||
DISTRICT DE | montréal | ||||||
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No : |
500-06-000814-166 | ||||||
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DATE : | Le 10 novembre 2022 | ||||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | marie-christine hivon, J.C.S. | |||||
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Gilbert McMullen | |||||||
Demandeur | |||||||
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c. | |||||||
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Air Canada | |||||||
Défenderesse | |||||||
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JUGEMENT | |||||||
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Page
I. APERÇU................................................................4
II. LES QUESTIONS EN LITIGE..............................................9
III. RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS DE FAITS ET DE DROIT....................10
IV. LES FAITS.............................................................12
1. Historique corporatif et législatif............................................12
2. La Loi et ses amendements...............................................15
3. Historique de la relation contractuelle entre Air Canada et Aveos de 2007 à 2011 17
3.1 Les contrats d’entretien et de révision.................................17
3.2 Le transfert d’employés d’Air Canada vers Aveos et
les ententes intervenues............................................23
4. Le Jugement Newbould..................................................26
5. La période de janvier à mars 2012 et la fermeture d’Aveos....................28
5.1 Processus d’appels de propositions..................................29
5.2 Échanges entre Aveos et Air Canada de janvier à mars 2012............38
5.3 Les revenus d’Aveos provenant d’Air Canada..........................48
5.4 Les employés membres du Groupe...................................50
6. La période subséquente à la fermeture d’Aveos..............................51
6.1 L’entretien des appareils d’Air Canada à la suite de la fermeture d’Aveos..51
6.2 Paiement par Air Canada de l’indemnité convenue à l’Entente du .........8 janvier 2009 52
7. Les jugements déclaratoires de la Cour supérieure du Québec et de la Cour d’appel du Québec 53
7.1 Le Jugement Castonguay...........................................53
7.2 Le Jugement de la Cour d’appel du Québec...........................54
8. L’Amendement législatif de juin 2016.......................................66
V. L’ANALYSE.............................................................67
1. Air Canada a-t-elle contrevenu, avant le 22 juin 2016, au alinéa 6(1)d) de la Loi?.67
1.1 L’autorité de la chose jugée.........................................68
1.2 La nature déclaratoire de l’Amendement législatif de 2016...............76
1.3 L’abus de procédure................................................85
1.4 Analyse de la violation de la Loi par Air Canada........................89
2. Est-ce que la contravention à l’alinéa 6(1)d) de la Loi par Air Canada constitue une faute de nature à engager sa responsabilité? 92
2.1 Principes juridiques................................................92
2.2 Discussion........................................................97
3.1 Principes juridiques...............................................104
3.2 Discussion.......................................................104
4. Est-ce que la faute d’Air Canada est la cause directe et immédiate des dommages compensatoires réclamés par le demandeur? 114
4.1 Principes juridiques...............................................114
4.2 Preuve factuelle et d’expert pertinente à la question en litige............117
4.3 Discussion.......................................................126
5. Le cas échéant, est-ce que la conduite d’Air Canada donne ouverture à l’octroi de dommages punitifs? 135
6.1 Principes juridiques...............................................137
6.2 Discussion.......................................................139
7. La quittance et son impact sur la recevabilité du recours du demandeur........141
7.1 Faits pertinents...................................................141
7.2 Principes juridiques...............................................145
7.3 Discussion.......................................................146
8. Les questions relatives aux dommages....................................148
8.1 Principes juridiques...............................................149
8.2 Faits pertinents...................................................150
8.3 Discussion.......................................................151
VI. CONCLUSIONS........................................................153
[1] Le 18 mars 2012, la compagnie Aveos ferme ses portes et cesse définitivement ses activités de révision et d’entretien d’avions, en raison de ses difficultés financières. La fermeture a pour conséquence le licenciement immédiat de plus de 2 200 travailleurs syndiqués et non syndiqués anciennement travailleurs d’Air Canada, dont le demandeur, œuvrant dans les centres de révision et d’entretien d’avions d’Aveos, notamment à Montréal, Mississauga et Winnipeg.
[2] Le demandeur est le représentant de ces travailleurs à une action collective intentée contre Air Canada, qui a été autorisée par jugement de cette Cour le 15 mai 2018[1] (Jugement d’autorisation) et qui identifie les principales questions de faits et de droit et les conclusions recherchées par l’action collective comme suit :
[99] IDENTIFIE comme suit les principales questions de fait et de droit qui seront traitées collectivement :
a) Air Canada a-t-elle commis une faute en contrevenant avant le 22 juin 2016 au paragraphe 6(1)d) de la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada?
b) Air Canada est-elle responsable des dommages subis par le demandeur et les membres du Groupe?
c) Quels sont les dommages subis par le demandeur et les membres du groupe?
d) Le demandeur et chaque membre du Groupe ont-ils droit à des dommages punitifs?
e) Les conjoints des membres du Groupe ont-ils subi un préjudice direct et immédiat?
[100] IDENTIFIE comme suit les conclusions recherchées par l’action collective à être instituée :
ACCUEILLIR l’action collective du demandeur pour le compte de tous les membres du Groupe;
CONDAMNER Air Canada à payer au demandeur et à chacun des membres du Groupe une indemnité pour perte de revenus d’emploi;
ORDONNER le recouvrement collectif des réclamations des membres du Groupe pour perte de revenus d’emploi;
CONDAMNER Air Canada à payer une somme correspondant à la perte de la valeur des avantages sociaux perdus depuis la perte de leur emploi;
ORDONNER le recouvrement collectif des réclamations des membres du Groupe pour la perte de la valeur des avantages sociaux perdus depuis la perte de leur emploi;
CONDAMNER Air Canada à payer au demandeur et à chaque membre du Groupe une somme de 20 000 $ pour les troubles et inconvénients et dommages moraux causés par Air Canada;
ORDONNER le recouvrement collectif de la réclamation pour dommages moraux et troubles et inconvénients;
CONDAMNER Air Canada à payer au demandeur et à chacun des membres du Groupe une somme de 10 000 $, à chaque membre du Groupe, à titre de dommages punitifs;
CONDAMNER Air Canada à payer, sur l’ensemble des sommes mentionnées ci-dessus (sauf la condamnation pour dommages punitifs), l’intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., à compter de la date de la signification de la présente demande pour autorisation d’intenter une action collective;
RENDRE toute autre ordonnance que le Tribunal estime indiquée pour sauvegarder les droits des parties;
LE TOUT, avec les frais de justice, y compris tous les frais d’expertise, d’avis aux membres et autres frais connexes.
[3] Le demandeur a modifié ces conclusions dans une demande introductive d’instance modifiée datée du 1er octobre 2021 et lors de l’audience. Ainsi, les conclusions recherchées sont les suivantes :
ACCUEILLIR l’action collective du demandeur pour le compte de tous les membres du Groupe;
CONDAMNER Air Canada à payer au demandeur et à chacun des membres du Groupe une indemnité pour perte de revenus d’emploi;
ORDONNER le recouvrement individuel des réclamations des membres du Groupe pour perte de revenus d’emploi;
CONDAMNER Air Canada à payer une somme correspondant à la perte de la valeur des avantages sociaux perdus depuis la perte de leur emploi;
ORDONNER le recouvrement individuel des réclamations des membres du Groupe pour la perte de la valeur des avantages sociaux perdus depuis la perte de leur emploi;
CONDAMNER Air Canada à payer au demandeur et à chaque membre du Groupe une somme de 15 000 $ pour le préjudice moral subi par tous les membres, à savoir le stress, la remise en question, la diminution de l’estime de soi, l’insécurité, le sentiment d’injustice et la perte de jouissance de la vie;
ORDONNER le recouvrement collectif des dommages-intérêts moraux pour les membres du Groupe qui étaient employés d’Aveos, soit une somme totale de 32 970 000 $;
ORDONNER le recouvrement individuel des dommages-intérêts moraux pour les conjoints des employés;
CONDAMNER Air Canada à payer les réclamations individuelles des membres pour les dommages moraux supplémentaires tels que les problèmes psychologiques et l’insomnie, les problèmes familiaux, les divorces et les suicides;
CONDAMNER Air Canada à payer 109 900 000 $ à titre de dommages punitifs, soit une somme de 50 000 $ pour le demandeur et chacun des membres du Groupe qui était employé d’Aveos et ORDONNER le recouvrement collectif de cette somme;
CONDAMNER Air Canada à payer, sur l’ensemble des sommes mentionnées ci-dessus (sauf la condamnation pour dommages punitifs), l’intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., à compter de la date de la signification de la présente demande pour autorisation d’intenter une action collective;
CONVOQUER les parties devant le Tribunal, à une date à être déterminée, dans un délai maximal de 60 jours suivant la date à laquelle le jugement passera en force de chose jugée, afin de préciser les modalités de publication des avis aux membres et les modalités de distribution des montants payables aux membres du Groupe;
RENDRE toute autre ordonnance que le Tribunal estime indiquée pour sauvegarder les droits des parties;
LE TOUT, avec les frais de justice, y compris tous les frais d’expertise, d’avis aux membres et autres frais connexes.
[Nos soulignements]
[4] Les personnes comprises dans le groupe de travailleurs pour lequel le demandeur a obtenu le statut de représentant sont les suivantes (Groupe)[2] :
Tous les anciens travailleurs syndiqués ou non syndiqués qui occupaient un emploi dans les centres de révision et d’entretien d’Air Canada de Montréal, de Mississauga et de Winnipeg comprenant notamment la révision des composants, des moteurs et des cellules (entretien lourd ou « heavy maintenance »), et qui ont subi un préjudice découlant de la fermeture d’Aveos le 18 mars 2012, jusqu’au 22 juin 2016, en raison du défaut d’Air Canada de maintenir ouverts les centres de révision et d’entretien conformément à l’article 6(1)d) de la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada, ainsi que, le cas échéant, les conjoints, héritiers et ayants droit de ces anciens travailleurs.
Pour les fins de la présente action collective, nous entendons par « conjoint » les personnes liées par un mariage ou une union civile, ainsi que les personnes qui font vie commune et se présentent publiquement comme un couple, sans égard à la durée de leur vie commune, le tout conformément à l’article 61.1 de la Loi d’interprétation RLRQ, c. I-6;
[5] Au soutien de son recours en dommages-intérêts compensatoires et punitifs, le demandeur allègue ce qui suit :
5.1. Depuis 1988, l’alinéa 6(1)d) de la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada[3] (Loi) impose à Air Canada l’obligation légale de maintenir les centres de révision et d’entretien de ses appareils à Montréal, Winnipeg et Mississauga (Centres);
5.2. Air Canada a sous-traité à Aveos l'exploitation des Centres et l’exécution des activités d’entretien et de révision de ses appareils au terme de contrats de service, exclusifs pour plusieurs, et lui a transféré ses travailleurs expérimentés et spécialisés pour ce faire;
5.3. Ainsi, avant le 18 mars 2012, les activités d’entretien et de révision des appareils d’Air Canada étaient essentiellement réalisées par Aveos dans les Centres opérés antérieurement par Air Canada, par les anciens travailleurs d’Air Canada, devenus employés d’Aveos;
5.4. À compter de la fermeture d’Aveos, le 18 mars 2012, Air Canada a contrevenu à ses obligations légales, ainsi qu’à ses statuts, en faisant défaut de maintenir les Centres, au sens de la Loi, ce qui a eu pour effet de mettre fin à l’emploi de centaines d’employés transférés d’Air Canada à Aveos, et ce, jusqu’à un amendement législatif de l’alinéa 6(1)d) de la Loi survenu le 22 juin 2016;
5.5. Qui plus est, Air Canada a provoqué intentionnellement la déconfiture d’Aveos afin de se soustraire à de telles obligations légales, en mettant à exécution un stratagème ayant pour objectif, à terme, de déménager les activités d’entretien et de révision à l’étranger, et d’ainsi bénéficier d’économies colossales;
5.6. Ce faisant, Air Canada a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité envers le demandeur et les membres du groupe et est responsable non seulement des dommages compensatoires causés, mais également de dommages punitifs, vu sa faute intentionnelle;
5.7. Par ailleurs, la violation de la Loi par Air Canada a déjà été confirmée par des jugements de la Cour supérieure et de la Cour d’appel du Québec et il est abusif qu’Air Canada remette cette question en litige.
[6] Air Canada conteste les reproches formulés à son endroit et soutient ce qui suit :
6.1. Il y a chose jugée quant à la question du respect, par Air Canada, de ses obligations au terme de l’alinéa 6(1)d) de la Loi, suivant un jugement rendu le 25 mai 2011 par le juge Newbould de la Cour supérieure de l’Ontario (Jugement Newbould) ce qui constitue une fin de non-recevoir à l’encontre du recours du demandeur;
6.2. De plus, la conformité d’Air Canada à la Loi ayant déjà été confirmée par le Jugement Newbould, il est abusif que le demandeur remette cette question en litige;
6.3. Une quittance signée le 8 janvier 2009 par le syndicat des membres syndiqués du Groupe, l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale (AIMTA)[4] et Air Canada fait en sorte que le demandeur et les membres du Groupe sont forclos d’exercer le présent recours;
6.4. À tout événement, en juin 2016, un amendement à l’alinéa 6(1)d) de la Loi, de nature déclaratoire, a été adopté, confirmant, avec effet rétrospectif, l’interprétation défendue par Air Canada et l’absence de violation à la Loi durant la période en litige;
6.5. Subsidiairement :
6.5.1. La déconfiture d’Aveos n’a pas été provoquée par Air Canada. Au contraire, en tout temps pertinent au présent litige, Air Canada a proposé et mis en œuvre plusieurs outils et démarches afin de soutenir les affaires d’Aveos, sans succès. La fermeture complète fut une surprise pour Air Canada, qui n’avait jamais envisagé un tel scénario. Elle a été causée par les difficultés financières d’Aveos, découlant de son incapacité à attirer des clients tiers à Air Canada et offrir un service à un prix concurrentiel;
6.5.2. La violation par Air Canada de la Loi ne constitue pas une faute civile engageant sa responsabilité envers le demandeur et les membres du Groupe;
6.5.3. Même si Air Canada a commis une faute civile, ce qu’elle nie, il n’existe aucun lien de causalité entre une telle faute et les dommages subis;
6.5.4. À tout événement, le recours du demandeur est prescrit, ayant été institué plus de trois (3) ans après la déconfiture d’Aveos;
6.5.5. Les dommages compensatoires réclamés sont mal fondés ou exagérés et les dommages punitifs sont irrecevables.
[7] Le présent litige soulève les questions suivantes, identifiées comme moyens préliminaires par Air Canada, mais dont l’analyse se fera dans le cadre de l’étude des questions sur le fond :
7.1. Est-ce que le Jugement Newbould a l’autorité de la chose jugée à l’encontre du recours entrepris par le demandeur et en constitue une fin de non-recevoir?
7.2. Est-ce que la Quittance signée le 8 janvier 2009 par l’AIMTA et Air Canada fait en sorte que le demandeur et les membres du Groupe sont forclos d’exercer le présent recours?
[8] Les questions en litige sur le fond sont les suivantes :
8.1. Air Canada a-t-elle contrevenue, avant le 22 juin 2016, à l’alinéa 6(1)d) de la Loi?
8.2. Dans l’affirmative, une telle contravention constitue-t-elle une faute de nature à engager la responsabilité d’Air Canada?
8.3. Air Canada a-t-elle agi de mauvaise foi et provoqué intentionnellement la déconfiture d’Aveos?
8.4. Le cas échéant, est-ce que la faute d’Air Canada est la cause directe et immédiate des dommages compensatoires réclamés par le demandeur?
8.5. Le cas échéant, est-ce que la conduite d’Air Canada donne ouverture à l’octroi de dommages punitifs?
8.6. Le cas échéant, est-ce que le recours du demandeur est prescrit suivant les règles applicables?
8.7. Le cas échéant, quel est l’impact de la Quittance invoquée par Air Canada sur la recevabilité du recours du demandeur?
8.8. Le cas échéant, est-ce que les dommages compensatoires réclamés sont bien fondés?
[9] Dans la mesure où le Tribunal devait conclure à l’octroi de dommages pour pertes de revenus d’emplois et d’avantages sociaux, la question de la méthodologie de calcul de tels dommages a été reportée à une seconde étape de l’instruction, à la demande des parties[5].
[10] À l’instruction, le demandeur a confirmé qu’il renonçait à invoquer le droit étranger pour la portion de la réclamation qui vise des membres du Groupe qui travaillaient aux Centres de Winnipeg et de Mississauga au moment de la fermeture d’Aveos, et que le droit québécois s’applique à l’ensemble du recours dont le Tribunal est saisi[6].
[11] Entre le 18 et le 20 mars 2012, Aveos cesse successivement ses activités et ferme ses portes. Les 2198[7] travailleurs membres du Groupe perdent leur emploi. Ces travailleurs expérimentés et spécialisés œuvraient à l’entretien et à la révision des appareils de la flotte d’Air Canada dans les Centres depuis plusieurs années, d’abord comme employés d’Air Canada et, à la suite du transfert opéré, comme employés d’Aveos.
[12] Pour tous les membres entendus à l’audience, leur emploi chez Air Canada et ensuite chez Aveos était source d’une grande fierté[8] et leur assurait des conditions d’emplois avantageuses et supérieures au marché[9]. Cet emploi représentait pour plusieurs la réalisation d’un rêve[10], l’aboutissement de leur carrière[11].
[13] La perte définitive de leur emploi leur a causé un choc émotionnel[12] et économique[13] important, voire grave[14] dans certains cas.
[14] Le recours du demandeur vise à permettre à ces travailleurs d’obtenir réparation de la part d’Air Canada, qu’ils tiennent pour responsable.
[15] Qu’en est-il?
[16] À la lumière de la preuve administrée et pour les motifs détaillés au présent jugement, le Tribunal conclut ce qui suit :
16.1. En tout temps entre le 18 mars 2012 et le 22 juin 2016, date d’un amendement législatif relevant Air Canada de son obligation de maintenir les Centres d’entretien et de révision à Montréal, Mississauga et Winnipeg, Air Canada a agi en contravention de ses obligations légales;
16.2. Cette contravention constitue une faute civile de nature à engager la responsabilité d'Air Canada;
16.3. Par ailleurs, Air Canada n’a pas agi de mauvaise foi et n’a pas provoqué intentionnellement la déconfiture d’Aveos;
16.4. La contravention d’Air Canada à ses obligations légales à la suite de la fermeture d’Aveos est la cause directe et immédiate des dommages compensatoires réclamés par le demandeur;
16.5. La conduite d’Air Canada ne donne pas ouverture à l’octroi de dommages punitifs;
16.6. Par ailleurs, le recours du demandeur ayant été institué plus de trois ans après la date de la fermeture d’Aveos, une partie des dommages réclamés est prescrite. Cela dit, la contravention d’Air Canada à ses obligations légales constitue une faute continue, causant des dommages tout aussi continus. Ainsi, la portion du recours du demandeur portant sur les dommages subis dans les trois ans précédant l’institution du recours du demandeur en avril 2016 est recevable;
16.7. La quittance intervenue entre l’AIMTA et Air Canada en janvier 2009 ne constitue pas une fin de non-recevoir à l’encontre du recours du demandeur;
16.8. Enfin, le demandeur a démontré l’existence de dommages pécuniaires et non pécuniaires subis et recevables pour l’ensemble des membres du Groupe. Le recouvrement individuel de ces dommages est approprié et une proposition détaillée quant aux modalités de preuve et de calcul de tous les dommages accordés par le présent jugement devra être soumise par les parties au Tribunal, dans un délai de 90 jours.
[17] Afin de procéder à l’analyse des questions en litige soulevées dans le présent dossier, le Tribunal a tenu compte de l’ensemble des faits pertinents émanant des témoignages rendus et de la preuve documentaire produite.
[18] Il y a lieu de regrouper les principaux faits pertinents et de faire un survol de l’historique corporatif d’Air Canada et d’Aveos, de la Loi et ses amendements pertinents et de la relation contractuelle entre Air Canada et Aveos. Il y a aussi lieu de s’attarder aux faits entourant la transition des employés membres du Groupe d’une entité à l’autre, aux faits survenus dans les mois avant la fermeture d’Aveos, ainsi qu’à l’évolution de la situation à la suite de la fermeture d’Aveos.
[19] Enfin, il importe de revoir le contenu de jugements rendus par la Cour supérieure de l’Ontario, la Cour supérieure du Québec et la Cour d’appel du Québec dans le cadre de deux dossiers distincts et qui sont reliés, à degrés variables, au présent dossier.
[20] Les parties s’entendent sur les faits suivants relatifs à l’historique corporatif d’Air Canada et d’Aveos[15] :
[21] La disposition législative à l’origine du présent recours est celle contenue à l’alinéa 6(1)d) de la Loi. En tout temps pertinent au litige, jusqu’à l’adoption de l’Amendement législatif de 2016, cette disposition se lisait comme suit :
6. (1) Les clauses de prorogation de la Société comportent obligatoirement : | 6. (1) The articles of continuance of the Corporation shall contain |
a) [Abrogé, 2001, ch. 35, art. 1] | (a) [Repealed, 2001, c. 35, s. 1] |
b) des dispositions qui imposent des restrictions sur l’émission, le transfert et la propriété, ou copropriété, d’actions avec droit de vote de la Société afin d’empêcher des non-résidents d’être les détenteurs ou les véritables propriétaires ou d’avoir le contrôle, directement ou indirectement, autrement qu’à titre de garantie seulement, d’une quantité totale d’actions avec droit de vote qui confèrent plus de vingt-cinq pour cent – ou le pourcentage supérieur prévu par règlement du gouverneur en conseil – des droits de vote qui peuvent normalement être exercés pour l’élection des administrateurs de la Société, à l’exception des droits de vote pouvant être exercés par ou pour le ministre; | (b) provisions imposing constraints on the issue, transfer and ownership, including joint ownership, of voting shares of the Corporation to prevent non-residents from holding, beneficially owning or controlling, directly or indirectly, otherwise than by way of security only, in the aggregate voting shares to which are attached more than twenty-five per cent, or any higher percentage that the Governor in Council may by regulation specify, of the votes that may ordinarily be cast to elect directors of the Corporation, other than votes that may be so cast by or on behalf of the Minister; |
c) des dispositions régissant le compte ou la répartition au prorata des votes exercés à une assemblée de ses actionnaires et attachés à ses actions avec droit de vote qui sont détenues ou contrôlées – directement ou indirectement – par des non-résidents ou qui sont la véritable propriété de ceux-ci, de manière à limiter la proportion de ces votes à vingt-cinq pour cent – ou le pourcentage supérieur prévu pour l’application de l’alinéa b) – du nombre total des votes exercés à cette assemblée; | (c) provisions respecting the counting or prorating of votes cast at any meeting of shareholders of the Corporation and attached to voting shares of the Corporation that are held, beneficially owned or controlled, directly or indirectly, by non-residents so as to limit the counting of those votes to not more than twenty-five per cent, or any higher percentage specified for the purposes of paragraph (b), of the total number of votes cast by shareholders at that meeting; |
d) des dispositions l’obligeant à maintenir les centres d’entretien et de révision dans les villes de Winnipeg et Mississauga et dans la Communauté urbaine de Montréal; | (d) provisions requiring the Corporation to maintain operational and overhaul centres in the City of Winnipeg, the Montreal Urban Community and the City of Mississauga; and |
e) des dispositions fixant le siège social de la Société dans la Communauté urbaine de Montréal. | (e) provisions specifying that the head office of the Corporation is to be situated in the Montreal Urban Community. |
[…] | (…) |
[Nous soulignements]
[22] Comme détaillé à la section IV-7 du présent jugement, l’interprétation et l’application de cet article ont fait l’objet d’un débat judiciaire en Cour supérieure et en Cour d’appel du Québec dans le cadre de la demande en jugement déclaratoire du Procureur général du Québec, en relation avec la situation factuelle existant à la suite de la fermeture d’Aveos.
[23] Le Jugement Newbould a aussi abordé cette question à la lumière de la situation factuelle existant au printemps 2011, soit avant la fermeture d’Aveos. Cette portion du Jugement Newbould a été qualifiée de simple obiter dictum par le Jugement Castonguay et le Jugement CA. Nous y reviendrons.
[24] À la suite de l’Amendement législatif de 2016, l’alinéa 6(1)d) se lit comme suit :
6. (1) Les clauses de prorogation de la Société comportent obligatoirement : […] d) des dispositions l’obligeant à exercer ou à faire exercer des activités d’entretien d’aéronefs, notamment toute forme d’entretien relatif aux cellules, aux moteurs, aux éléments constitutifs, à l’équipement ou aux pièces, en Ontario, au Québec et au Manitoba; […] Activités d’entretien (4) Sans éliminer l’exercice d’activités d’entretien d’aéronefs en Ontario, au Québec ou au Manitoba, la Société peut, dans le cadre de l’exercice des activités visées à l’alinéa (1)d) dans chacune de ces provinces, modifier le type ou le volume d’une ou de plusieurs de ces activités dans chacune de ces provinces ainsi que le niveau d’emploi rattaché à ces activités. |
| 6. (1) The articles of continuance of the Corporation shall contain […] d) provisions requiring the Corporation to carry out or cause to be carried out aircraft maintenance activities, including maintenance of any type relating to airframes, engines, components, equipment or parts, in Ontario, Quebec and Manitoba; […] Maintenance activities (4) For the purpose of carrying out or causing to be carried out the aircraft maintenance activities referred to in paragraph (1)(d) in Ontario, Quebec and Manitoba, the Corporation may, while not eliminating those activities in any of those provinces, change the type or volume of any or all of those activities in each of those provinces, as well as the level of employment in any or all of those activities.
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[Nos soulignements et emphases]
[25] Le demandeur reconnaît que depuis cet amendement, Air Canada n’a plus l’obligation de maintenir les Centres à Montréal, Winnipeg et Toronto. Il limite d’ailleurs son recours à la période entre la fermeture d’Aveos, le 18 mars 2012, et le 22 juin 2016, date de l’adoption de l’Amendement législatif de 2016[20].
[26] Aux fins de compréhension, le Tribunal utilisera indistinctement les termes « entretien lourd », « entretien » et « révision » afin de référer aux activités qui avaient cours dans les Centres de Montréal et de Winnipeg, par opposition à l’« entretien léger » ou l’« entretien en ligne ». Il est par ailleurs admis que les activités qui avaient cours au Centre de Mississauga relevaient davantage de l’entretien en ligne.
[27] Le 24 septembre 2004, dans la foulée du plan d’arrangement d’Air Canada, ACTS (qui deviendra Aveos) est constituée en entité indépendante et se voit confier l’entretien et la révision des appareils d’Air Canada. Air Canada conserve, à cette occasion, des activités d’entretien léger ou « en ligne » des appareils, soit un entretien qui s’effectue en quelques heures et souvent la nuit[21].
[28] Les activités d’entretien et de révision des appareils d’Air Canada continuent d’être exécutées dans les mêmes Centres, par les mêmes employés.
[29] Air Canada et ACTS conviennent alors d’une entente-cadre prévoyant les conditions contractuelles générales liant les parties. Cette entente sera remplacée, le 1er octobre 2006, par une nouvelle entente-cadre (« General Terms Agreement for Technical Services » ou GTA) (Entente-cadre)[22].
[30] De manière concurrente, les parties concluent, le 1er octobre 2006, d’autres ententes de services, notamment pour l’entretien (« maintenance »)[23] et la révision (« overhaul »[24] ou « heavy maintenance services » s’il s’agit des cellules[25]) des cellules ou carlingues (« airframe »), des moteurs (« engines ») et des composants (« components ») des appareils de la flotte d’Air Canada[26] :
[31] Le contrat d’entretien et de révision des cellules[27] prévoit notamment ce qui suit :
31.1. Les services seront exécutés à partir des locaux d’ACTS pour l’entretien et la révision des cellules (article 1.5);
31.2. Le contrat est d’une durée de trois ans (article 1.6);
31.3. ACTS est le fournisseur exclusif de tous les services d’entretien et de révision des cellules des appareils d’Air Canada (article 1.7).
[32] Le contrat d’entretien des moteurs[28] prévoit notamment ce qui suit :
32.1. Les services seront exécutés à partir des locaux d’ACTS à Dorval, Québec[29];
32.2. Ce contrat est en vigueur jusqu’au 30 septembre 2013 (article 1.4);
32.3. ACTS est le fournisseur exclusif de tous les services d’entretien et de révision des moteurs des appareils d’Air Canada (article 1.7).
[33] Le contrat d’entretien des composants[30] prévoit notamment ce qui suit :
33.1. Les services seront exécutés à partir des locaux d’ACTS à Dorval, Québec[31];
33.2. Ce contrat est en vigueur pour une durée de sept ans (article 1.5);
33.3. Le contrat prévoit une exclusivité limitée des services exécutés par ACTS pour la révision des composants, selon le type d’appareils d’Air Canada, à certaines exceptions (articles 1.6, 2.1).
[34] Au même moment, Air Canada et ACTS conviennent aussi qu’Air Canada fournisse des services généraux à ACTS, suivant une entente (Entente pour la fourniture de services généraux)[32] qui sera remplacée par une entente modifiée, datée du 1er janvier 2007[33]. Les services offerts incluent des services de base corporatifs, pour la comptabilité, la paie, les relations de travail, la gestion des fonds de pension, des services juridiques, etc[34].
[35] En juin 2007, Aveos se substitue à ACTS et continue d’exécuter les contrats d’entretien et de révision précités dans les Centres de Montréal, Winnipeg et Mississauga.
[36] Le 12 mars 2010, dans le cadre d’une recapitalisation d’Aveos, cette dernière et Air Canada concluent diverses ententes prévoyant l’achat, par Air Canada, de 1 750 000 actions ordinaires d’Aveos Holding Company en contrepartie du paiement d’un prix total de 17 500 $, et d’une quittance complète et finale de toute réclamation ou de tout droit d’action pour tout fait survenu antérieurement[35]. À cet égard, les parties concluent aussi, le même jour, un règlement complet et final de litiges et affaires pendantes entre elles, notamment leur différend portant sur le coût de la main-d’œuvre prévu au contrat d’entretien et de révision des cellules[36].
[37] Elles y modifient aussi :
37.1. L’Entente-cadre quant au processus de résolution des différends relatifs à la facturation[37]. Air Canada convient de ne pas retenir le paiement du premier 5 M$ de factures litigieuses provenant d’Aveos[38];
37.2. L’Entente du 8 janvier 2009 et le contrat d’entretien et de révision des cellules[39], notamment afin de prévoir le paiement par Air Canada de frais
de services additionnels pour un montant annuel maximum de 20 M$[40], à certaines conditions.
[38] Le 31 mars 2010, Air Canada et Aveos concluent un « Amended and Restated Term Note » d’une valeur de 22 M$[41]. Cette entente fait état d’une dette d’Aveos envers Air Canada de 22 M$, d’une entente de paiement de ce montant par Aveos, sans intérêts, en six versements de 3 666 666 $, débutant au plus tard le 1er juillet 2011[42].
[39] Il est également convenu que si, à la date prévue pour le paiement d’un versement, les liquidités d’Aveos sont sous un seuil défini à l’entente, le versement est reporté à la prochaine date, et les versements subséquents sont décalés en conséquence[43].
[40] En mai 2011, monsieur Joe Kolshak devient le nouveau président et chef de la direction d’Aveos. Il explique qu’à son arrivée en poste, l’objectif de la stratégie qu’il mettra en place est de transformer Aveos afin qu’elle ne soit plus un « poste de dépense » d’une compagnie aérienne et devienne une réelle entreprise de services d’entretien et de révision, indépendante et profitable. Il demande au conseil d’administration de l’entreprise un délai de quelques semaines afin de soumettre sa stratégie pour améliorer les performances d’Aveos et atteindre son objectif.
[41] Le 8 juillet 2011, il présente au conseil d’administration d’Aveos, dont monsieur Michael Rousseau d’Air Canada est membre[44], son plan d’action, inclus dans un document intitulé : « Strategic Review – Phase 1 »[45]. Le Tribunal en retient ce qui suit :
41.1. On y mentionne qu’Aveos doit compléter sa transformation « from an airline cost center into a separate commercially and market oriented MRO [Maintenance, Repair, Overhaul] »[46];
41.2. Une stratégie en trois phases est proposée dans l’horizon 2011-2016;
41.3. La première phase, intitulée « Secure a future », vise à confirmer la poursuite des activités d’entretien pour Air Canada, pour ensuite
diversifier la base de clientèle et atteindre son plein potentiel dans des secteurs ciblés du marché[47];
41.4. Une analyse des forces et des faiblesses d’Aveos aux niveaux technique, commercial et corporatif fait voir ce qui suit :
[42] Les opérations d’entretien et de révision des appareils d’Air Canada par Aveos sont classées selon l’importance des travaux à effectuer et leur réalisation est structurée suivant un horaire des travaux, en fonction des heures de vol des appareils ou d’autres facteurs objectifs, notamment ceux approuvés ou dictés par les autorités réglementaires et les fabricants[53]. Par ailleurs, sauf exception, Air Canada bénéficie d’une certaine marge de manœuvre pour déterminer le moment exact de l’envoi d’un appareil à un entretien ou une révision spécifique[54].
[43] Cette marge de manœuvre sera utilisée, à titre d’exemple, en haute saison afin d’éviter de se priver d’appareils pour y effectuer une révision, et la remettre à plus tard, à l’intérieur d’une fenêtre jugée acceptable. L’horaire des travaux peut donc varier selon les cycles d’utilisation des appareils.
[44] La preuve révèle que la relation contractuelle entre Air Canada et Aveos souffre de nombreux différends relatifs à la facturation des services et leurs paiements, que ce soit des services offerts par Aveos ou par Air Canada, tel qu’il le sera détaillé plus amplement ci-dessous. Une telle situation n’est pas nouvelle et existait déjà en mars 2010 lors de la modification du processus de résolution des différends relatifs à la facturation[55].
[45] Ainsi, en décembre 2011, la relation contractuelle est la suivante :
45.1. Les parties sont liées par des contrats de service par lesquels Aveos effectue la quasi-totalité de l’entretien et la révision des appareils de la flotte d’Air Canada;
45.2. Il n’est pas contesté que dans les faits, les contrats venaient à échéance dans la séquence suivante :
45.2.1. Le contrat d’entretien et de révision des cellules, en juin 2013;
45.2.2. Le contrat d’entretien des composants, en septembre 2013;
45.2.3. Le contrat d’entretien des moteurs, en 2015.
[46] Enfin, il est admis que la relation contractuelle entre Air Canada et Aveos en est une d’interdépendance[56].
3.2 Le transfert d’employés d’Air Canada vers Aveos et les ententes intervenues
[47] En 2004, lors de la constitution d’ACTS en entité indépendante d’Air Canada, les entreprises conviennent que les employés syndiqués d’Air Canada exécutant les activités transférées à ACTS seraient détachés à ACTS, mais demeureraient des employés d’Air Canada.
[48] Dans le cadre de la vente d’ACTS au Consortium, en 2007, le statut des employés syndiqués détachés par Air Canada au service d’ACTS demeure le même et ils continuent d’exécuter les mêmes fonctions, cette fois-ci pour le compte d’Aveos et sous sa gestion.
[49] Dans la foulée de ces transferts, en décembre 2006, l’AIMTA, soit le syndicat représentant les employés syndiqués d’Air Canada visés par la transition des activités d’entretien et de révision, dépose la plainte 26054-C[57] à l’encontre d’Air Canada et d’Aveos, devant le CCRI.
[50] Ces procédures sont suspendues et, le 8 janvier 2009[58], l’Entente du 8 janvier 2009 intervient, en prévision et dans l’éventualité où le CCRI ordonne la séparation des unités de négociation. Cette entente permet de régler les questions demeurant en litige et poursuit notamment les objectifs suivants[59] :
50.1. Faciliter la transition ordonnée des employés visés d’Air Canada vers Aveos, en conformité avec le choix exprimé par chacun d’eux;
50.2. Établir les termes et conditions d’emploi applicables aux employés d’Air Canada qui font le choix de devenir des employés d’Aveos.
[51] La naissance des obligations prévues à l’Entente du 8 janvier 2009 est assujettie à certaines conditions, dont la conclusion d’une entente entre Air Canada et Aveos voulant que cette dernière demeure le fournisseur exclusif des services d’entretien et de révision des cellules tels que définis au « Service Agreement for Airframe Heavy Maintenance Services » (aussi appelé entre les parties les « heavy maintenance services »[60]), au moins jusqu’au 30 juin 2013[61].
[52] L’Entente du 8 janvier 2009 prévoit également les options qui s’offriront aux employés visés[62]. Il importe de mentionner que les employés qui n’auront pas opté et transmis leur choix avant une certaine date seront réputés avoir choisi de devenir employés d’Aveos[63].
[53] La preuve révèle que pour la plupart des employés visés, le choix de transférer chez Aveos s’imposait, considérant que leur poste chez Air Canada était aboli[64].
[54] Cette entente prévoit enfin une quittance (Quittance) qui est à l’origine d’un argument de fin de non-recevoir de la part d’Air Canada[65].
[55] Toujours le 8 janvier 2009, Aveos, Air Canada et l’AIMTA concluent aussi une lettre d’entente (« Letter of Agreement »)[66], prévoyant que si des travaux devant normalement être exécutés par les employés syndiqués représentés par l’AIMTA sont confiés à une partie autre qu’Aveos ou Air Canada, un avis doit être donné au syndicat qui peut soumettre la question à l’arbitrage en cas de différend.
[56] Le 22 janvier 2009, le CCRI déclare que l’Entente du 8 janvier 2009 constitue un règlement complet et final de la plainte no 26054-C et ordonne aux parties de collaborer à sa mise en œuvre[67].
[57] Quelques mois plus tard, le 8 juin 2009, l’AIMTA et Air Canada s’entendent afin de prolonger les termes et conditions des conventions collectives en vigueur pour une période additionnelle de 21 mois[68], afin de permettre notamment à Air Canada d’accéder à des fonds supplémentaires pour améliorer ses liquidités et éviter de se placer sous la protection de la LACC[69]. Cette entente adapte en conséquence certains termes et conditions de l’Entente du 8 janvier 2009[70].
[58] Le 31 janvier 2011, le CCRI fait droit à une demande de déclaration de vente d’entreprise présentée par Air Canada et Aveos et rejette la demande de déclaration d’employeur unique présentée par l’AIMTA[71]. Le CCRI conclut ainsi[72] :
NOW, THEREFORE, it is hereby declared by the Canada Industrial Relations Board that:
(1) the sale of assets and liabilities pursuant to the Asset Purchase Agreement dated June 22, 2009, between ACTS LP and Aveos Fleet Performance Inc., as it is now designated, constitutes a sale of business within the meaning of section 44 of the Code;
(2) Aveos Fleet Performance Inc. is the successor employer to Air Canada Technical Services (ACTS) Limited Partnership; and
(3) Aveos Fleet Performance Inc. and Air Canada constitute distinct employers and the IAMAW’s application for a declaration of single employer pursuant to section 35 of the Code is hereby dismissed.
[Nos soulignements]
[59] Qui plus est, le CCRI déclare ce qui suit[73]:
AND FURTHERMORE, the Canada Industrial Relations Board hereby declares that the January 8, 2009 MOA, as amended by the June 8, 2009 MOA, the Heavy Maintenance Separation Program ordered pursuant to Order No. 9996-U, and the present Order properly and fully dispose of all matters arising from the sale of business from ACTS LP to Aveos Fleet Performance Inc. or related to the consequences of such sale, whether under the Code, the applicable collective agreement or otherwise.
[Nos soulignements]
[60] Le « Heavy Maintenance Separation Program » dont il est question est joint en annexe à l’ordonnance (Entente sur une indemnité de séparation)[74]. Cette entente prévoit une indemnité payable par Air Canada aux employés syndiqués transférés advenant la survenance de certaines conditions, dont la faillite ou l’insolvabilité d’Aveos si elle survient avant le 30 juin 2013.
[61] Ainsi, en juillet 2011, le transfert de 1 819 employés d’Air Canada vers Aveos se concrétise, ce qui mène à la situation suivante :
61.1. 2 204[75] employés syndiqués et non syndiqués d’Aveos sont d’anciens employés d’Air Canada qui continuent d’exécuter les mêmes travaux d’entretien et de révision des appareils d’Air Canada;
61.2. Ils exécutent ces travaux dans les mêmes locaux que lorsqu’ils étaient des employés d’Air Canada, soit les Centres de Montréal et de Winnipeg et Mississauga.
[62] Cette situation est demeurée inchangée jusqu’à la fermeture d’Aveos, le 18 mars 2012.
[63] À la suite de la fermeture d’Aveos, Air Canada a, dans les faits, payé l’indemnité prévue à l’Entente sur une indemnité de séparation aux employés syndiqués qui y sont visés, soit un montant représentant près de 55 M$ au total[76].
[64] Air Canada considère que le paiement effectué la libère, au terme du paragraphe 9 de cette entente, de toute autre obligation à l’égard de ces employés, suivant la fermeture d’Aveos. Elle considère également que la Quittance constitue une fin de non-recevoir opposable au recours du demandeur.
[65] Le demandeur soutient plutôt que les sommes reçues, bien que devant être déduites de tout montant de dommages compensatoires réclamés, le cas échéant, représentent un dédommagement offert dans le cadre du transfert de ces employés en cas de fermeture d’Aveos, et n’ont pas d’impact sur la recevabilité de son recours en dommages découlant des fautes reprochées à Air Canada.
[66] Le 25 mai 2011, un jugement est rendu par la Cour supérieure de l’Ontario dans le cadre d’une demande de l’AIMTA en injonction et en jugement déclaratoire.
[67] Par sa demande, le syndicat recherchait des conclusions déclaratoires dans le cadre de la vente des opérations d’entretien et de révision des appareils d’Air Canada et du transfert d’employés d’Air Canada à Aveos. Plus particulièrement, le syndicat demandait de déclarer qu’Air Canada, en impartissant les travaux d’entretien et de révision à Aveos et en lui transférant ses employés, n’agissait plus en conformité avec ses statuts corporatifs, et ne maintenait plus des Centres à Montréal, Winnipeg et Mississauga.
[68] Le Jugement Newbould rejette les demandes déclaratoires du syndicat considérant que ce dernier est lié par la Quittance contenue à l’article 13 de l’Entente du 8 janvier 2009, et qu’il ne peut la contourner, non plus que les ordonnances du CCRI.
[69] Le juge Newbould conclut[77] :
[59] The parties bargained for labour peace. IAMAW on behalf of its members waived any further litigation (« any claim, demand or grievance ») arising from the transitioning of employees to Aveos except under the terms of the Transition MOA. By its terms, the release precluded this application from being brought.
[Nos soulignements]
[70] Cette conclusion disposait du recours. Toutefois, et bien que cela n’était pas nécessaire aux conclusions de son jugement[78], le juge Newbould a tout de même fait l’analyse d’une autre question soumise, soit celle de savoir si, à la lumière des circonstances existantes en mai 2011, Air Canada violait ses obligations prévues à l’alinéa 6(1)d) de la Loi.
[71] Il mentionne notamment ce qui suit[79] :
[60] In light of my previous findings regarding standing and the effect of the release clause, it is not necessary to deal with the argument of IAMAW that Air Canada is not in compliance with its articles of continuance that require that it shall maintain operational and overhaul centres for its aircraft or their components in the City of Winnipeg, the City of Mississauga and the Montreal Urban Community. However, in light of the extensive arguments made in this application, I shall do so.
[…]
[66] Aveos, like ACTS LP before it, does heavy maintenance work under contract to Air Canada. At the time ACTS was formed, Air Canada seconded its employees to ACTS who did the maintenance work for ACTS. The secondment agreement was later assigned to ACTS LP and then to Aveos when Aveos acquired the business from ACTS LP. This was the situation at the time of the Transition MOA in January 2009.
[67] In 2007, ACE sold ACTS LP to Aveos in an asset sale in which Aveos acquired the equipment necessary to carry out the overhaul of aircraft, engines and aeronautical components. In addition, Air Canada sold to Aveos the Engine Maintenance facility at Dorval. The other hangars and component shops used for maintenance, repair and overhaul functions, including the aircraft, engine and component overhaul facilities in Winnipeg, Mississauga and Dorval were and are leased by Air Canada to Aveos.
[…]
[75] Nowhere in the debates referred to by IAMAW is there any indication that Parliament was concerned with whether the persons who did the maintenance work at the three locations were employed by Air Canada or by another entity under contract with Air Canada. The speech to Parliament by Mr. Minaker, the member of the government in power in whose riding the Winnipeg overhaul maintenance facility was located, and relied on by IAMAW, indicated that the concern being addressed in ACPPA was that the facilities remain where they were and that jobs remain in Winnipeg. No mention was made of any other labour issues at all […].
[81] My conclusion is that IAMAW has not established that Air Canada is in breach of its articles by contracting out maintenance work to ACTS LP and now Aveos. On my reading of the legislation, and thus the articles of Air Canada, there is nothing to prevent Air Canada from contracting that work out.
[…]
[83] Air Canada maintains that apart from what Aveos is doing under contract, Air Canada is carrying out operational and overhaul work in Montreal, Winnipeg and Toronto. This leads to the question what is meant by the term “operational and overhaul centres” in Air Canada’s articles and in ACPPA.
[…]
[96] The requirement in ACPPA that Air Canada was to include in its articles an obligation to main[tain] [sic] operational and overhaul centres was vague, and no doubt purposely so. I conclude that IAMAW has not established on the record that Air Canada has not on its own maintained operational and overhaul centres in Montreal, Winnipeg and Mississauga.
[97] In summary I find that Air Canada does maintain operational and overhaul centres in those cities by maintaining overhaul operations under its contracts with Aveos and by itself maintaining certain overhaul functions through its line maintenance operations.
[Nos soulignements]
[72] Air Canada soutient que ce jugement a acquis l’autorité de la chose jugée à l’égard des parties à la présente instance et qu’il dispose de la question de savoir si Air Canada se conformait à la Loi, par ses seules activités d’entretien en ligne, en dépit de la fermeture d’Aveos.
[73] En janvier 2012, la situation financière d’Aveos continue d’être difficile et, selon monsieur Kolshak à l’instruction, elle s’empire.
[74] Selon Aveos, certains gestes posés par Air Canada exacerbent la situation, dont :
74.1. Le lancement d’un processus d’appel de propositions pour le renouvellement des contrats d’entretien et de révision des cellules et des composants;
74.2. Le report de certains entretiens planifiés par Air Canada;
74.3. Les nombreux différends relativement aux factures d’Aveos, qui en retardent le paiement par Air Canada.
[75] Le Tribunal retient ce qui suit de la preuve des faits survenus durant cette période.
5.1 Processus d’appels de propositions
[76] En janvier 2012, Air Canada lance un processus d’appel de propositions aux fins de s’enquérir des conditions du marché, plus particulièrement pour l’entretien et la révision des cellules et des composants, et éventuellement conclure de nouveaux contrats à l’échéance respective des contrats de service en vigueur avec Aveos. Ce processus est réellement lancé à compter de janvier 2012, bien que certaines étapes aient été initiées dès janvier 2011[80].
[77] Selon Air Canada, cette démarche est distincte de la situation difficile que vit Aveos, et ne cache aucunement une intention de se prémunir à court terme contre les effets néfastes d’une fermeture imminente, provoquée ou non, d’Aveos[81]. Elle s’expliquerait plutôt par le fait que le contrat de service pour la révision des cellules venant à échéance en juin 2013 et une partie de celui pour les composants en septembre 2013, il est simplement dans l’ordre des choses de démarrer un processus lui permettant de connaître l’offre du marché[82] afin de négocier une meilleure entente avec Aveos ou, à défaut, de confier les prochains contrats à un tiers.
[78] Pour le demandeur, il s’agit d’une manœuvre préparatoire d’Air Canada lui permettant d’être prête à s’engager auprès de tiers dès l’avènement de ce qu’elle entend provoquer, soit la déconfiture d’Aveos.
[79] De plus, il soutient que le simple fait pour Air Canada de lancer un tel processus en janvier 2012 a eu pour effet de nuire à la réputation d’Aveos dans le marché, et plus particulièrement dans ses tentatives de décrocher des contrats lucratifs auprès de tiers.
[80] Monsieur Kolshak confirme qu’Aveos a participé à ce processus avant sa fermeture, mais que les parties en étaient encore au tout début.
[81] La preuve révèle ce qui suit quant au processus d’appels de propositions ayant cours pour le renouvellement de ces contrats :
[82] Monsieur Gilles Néron, alors directeur de la stratégie commerciale de la maintenance et son équipe sont impliqués en première ligne chez Air Canada pour la conduite de ce processus.
[83] Quant au contrat pour la révision des cellules :
83.1. Ce processus est initié beaucoup plus tôt, en janvier 2011, par l’envoi
d’un questionnaire aux fournisseurs invités, intitulé « Supplier Qualifications and Capabilities Questionnaire »[83];
83.2. Cela dit, ce n’est que le 6 janvier 2012 que l’appel de propositions (« Request for Proposal ») portant le numéro RFP # 20120106 est transmis à certains fournisseurs invités, dont Aveos, pour l’entretien des cellules[84]. Ce document prévoit notamment ce qui suit :
This RFP covers services to be provided beginning June 2013 and will last for a period of no less than 12 months from the start date. Additional year options may be considered at Air Canada’s discretion.
For informational purposes, Air Canada has provided a maintenance schedule that includes events from June 2012-May 2013. Any proposal should also include pricing for checks captured within this time period, as well as a readiness plan for accommodating a June 2012 start-up.
[Nos soulignements]
When this process began the PMO acknowledged some basic assumptions:
- Acknowledgment within AC and Aveos that Aveos was not cost competitive
- Aveos did not see future in provisioning airframe maintenance
[Nos soulignements]
[84] À l’instruction, monsieur Kolshak confirme qu’en ce qui a trait au contrat d’entretien des cellules de gros fuselage, il savait que les prix du marché étaient inférieurs à Aveos, puisque son coût de main-d’œuvre était plus élevé. Il s’attendait à ce que le contrat avec Air Canada ne soit pas renouvelé et que ces activités prennent fin par phases[102]. Pour les cellules de petits fuselages, il était un peu plus optimiste, puisque la concurrence était moins féroce.
[85] Quant au contrat pour la révision des composants :
85.1. Ce processus aurait débuté fin 2011, par un désir d’Air Canada de mieux connaître et comprendre les prix en vigueur dans le marché et développer des options pour la fourniture de ces services[103];
85.2. Le questionnaire aux fournisseurs invités intitulé « Supplier Qualifications and Capabilities Questionnaire »[104] est daté de mars 2012. L’item 3.1 du questionnaire prévoit ce qui suit[105] :
3.1 Canadian Content
Supplier is asked to provide an overview of how they might provide a Canadian solution for components maintenance, repair, and overhaul services. If Supplier has existing facilities within Canada, please describe below. If Supplier does not have existing facilities, please describe willingness of Supplier to develop capabilities within Canada, including location(s) and a proposed timeline.
[Nous soulignements]
85.3. Le 28 mars 2012, l’appel de propositions (« Request for Proposal ») portant le numéro RFP # 20120328, est transmis à certains fournisseurs invités, pour l’entretien et la révision des composants. Le 25 avril 2012, une version 3 de ce document prévoit notamment ce qui suit dans son préambule[106] :
Based on recent events related to the liquidation of Air Canada’s primary components maintenance provider, Air Canada is now issuing a Request-for-Proposal (RFP) to support its ongoing components maintenance requirements. […]
Air Canada has a strong preference for working with a Global MRO which has an interest and ability to provide component repair and overhaul services in Canada, specifically within the Montreal and Winnipeg regions.
Supplier’s ability to do so will be weighted significantly by Air Canada during the bid evaluation process. Discretion over employment and other business structure elements to fulfill these considerations will be entirely the Supplier’s.
Air Canada will evaluate proposals by considering various criteria, outlined below:
[Nos soulignements]
85.4. Le 29 mai 2012, Air Canada évalue les réponses de première ronde reçues de fournisseurs[107]. Ce document mentionne que la possibilité que le fournisseur retenu se porte acquéreur d’actifs d’Aveos est toujours envisagée[108];
85.5. D’autres analyses pour certains composants ont aussi cours durant l’été et l’automne 2012[109];
85.6. Le 18 janvier 2013, dans une évaluation des soumissions reçues, Air Canada mentionne ce qui suit[110] :
When this process began the PMO acknowledged some basic assumptions: […]
- Aveos invested in state-of-the-art components facility in recent years and believed to be only marginally more expensive than competitors
- Loss of AC components business would jeopardize Aveos’ viability as going concern and AC could be negatively impacted by this in multiple ways.
[Nos soulignements]
Benchmarking suggested market ~40% below then-current Aveos pricing; great deal of skepticism internally around this gap (expectations in the rage of 10-15%)
Initially, AC determined to pursue sole-source negotiation with Aveos for core CpFH components (80% of volume) and carve out some part families for selective outsourcing
Following 1-month of discussions, Aveos presented proposal in late January ‘12
In early March the team began preparation of a comprehensive RFP as a contingency measure[113].
Closure of Aveos presented cost reduction opportunity, but ensuing discussions with the CRO added significant complexity to the process
[…]
CRO Intervention
- Structural changes to parts list to segment those for which Aveos facility had capabilities
- Removal of all suppliers not able or well-suited to meet the demands of the CRO (i.e., perform ~50% of work in former Aveos Facility)
- AC continued sourcing of ‘non core’ components
[Nos soulignements]
[86] En marge du processus d’appel de propositions, il appert qu’à l’hiver 2012, Air Canada élabore aussi un plan de contingence pour la fourniture des services d’entretien de ses appareils, dans l’éventualité où certains événements relatifs à Aveos se produisent. Les versions diffèrent au sein d’Air Canada quant au déclencheur d’une telle mesure.
[87] Selon monsieur Néron, qui reçoit le mandat de préparer un tel plan de son supérieur, monsieur Butterfield, il s’agit simplement de palier à une lacune puisque toute entreprise devrait avoir un plan de contingence, à plus forte raison lorsqu’elle dépend d’un fournisseur, comme c’était le cas pour Aveos. Il explique qu’au moment de la fermeture d’Aveos, ce plan était toujours à l’étape d’une ébauche. Il ajoute ne pas avoir été informé de la lettre de mise en demeure d’Aveos du 14 février 2012, dans laquelle l’entreprise menace de fermer ses portes.
[88] Selon le témoignage de monsieur Salvatore Ciotti, alors directeur principal des services financiers et opérations à Air Canada, ce plan visait l’éventualité d’une renégociation des contrats avec Aveos, étant entendu que cette dernière poursuivrait ses activités.
[89] Le plan de contingence est inclus à une présentation datée du 24 février 2012 intitulée « ACM Contingency Plan »[116]. Il identifie les scénarios suivants et leurs impacts pour Air Canada[117] :
89.1. Le status quo où Aveos poursuit ses activités à rythme réduit, avec interruption possible en cas d’incapacité de payer les salaires : augmentation des travaux en cours d’Aveos pour les cellules, les moteurs et les composants;
89.2. Procédures en vertu de la LACC : besoin éventuel d’injecter des fonds pour la continuation du service et démarche auprès des fournisseurs de pièces d’Aveos;
89.3. Vente des actifs d’Aveos, en partie ou en totalité : nouveau fournisseur, qualité pouvant être affectée, complexité dans la gestion de fournisseurs;
89.4. Vente des contrats; nouveau fournisseur et impacts variables : selon monsieur Néron, ce scénario n’est aucunement envisagé de manière concrète;
89.5. Liquidation ordonnée d’Aveos : transition hautement complexe à une nouvelle base de fournisseurs. Ce scénario n’est pas envisagé non plus de manière concrète par Air Canada.
[90] Quant à l’entretien et la révision des cellules, le plan prévoit ce qui suit, en parallèle avec le processus d’appel de propositions[118] :
Current Status
[91] On y indique également qu’il y a lieu d’identifier les marges de manœuvre disponibles dans les travaux prévus à l’horaire avec Aveos, et d’obtenir une préapprobation pour tout entretien lourd prévu chez Aveos[119].
[92] Selon l’horaire existant à cette date, six à huit entretiens lourds sont prévus chaque semaine jusqu’au 22 avril 2012. Air Canada évalue les économies potentielles pour chaque entretien qui ne serait pas confié à Aveos, variant entre USD 90 000 à plus de USD 800 000[120].
[93] Quant aux entretiens planifiés pour les moteurs, Air Canada en prévoit 16 à 17 dans les 60 prochains jours et évalue les économies potentielles pour chaque entretien qui ne serait pas confié à Aveos entre USD 250 000 à USD 580 000[121].
[94] Quant aux composants, Air Canada prévoit la possibilité de travailler avec la compagnie AAR-Aircraft Services inc. (AAR) à court terme pour développer un plan de réponse immédiate pour les réparations et la fourniture de pièces[122].
5.2 Échanges entre Aveos et Air Canada de janvier à mars 2012
[95] En marge de ses démarches relativement au processus d’appels de propositions et au plan de contingence, Air Canada a également de nombreux échanges avec Aveos et ses procureurs relativement à la situation d’Aveos et à leurs doléances respectives au niveau contractuel.
[96] Le Tribunal retient ce qui suit de la preuve.
[97] Le 26 décembre 2011, monsieur Kolshak transmet les informations financières d’Aveos pour la période se terminant en novembre 2011, et les prévisions pour la fin d’année 2011. Au net, les revenus provenant d’Air Canada sont supérieurs à ceux budgétés par Aveos pour l’année 2011[123].
[98] Le 14 février 2012, Aveos transmet une lettre de mise en demeure à Air Canada, par l’entremise de ses procureurs[124]. Elle soutient qu’Air Canada viole ses engagements contractuels, notamment en ce qu’elle s’est « knowingly engaged in egregious delaying tactics to avoid payment of undisputed debts and other obligations owed to Aveos. Air Canada’s actions have jeopardized Aveos’ very existence ». Sans la tenue d’une rencontre en haut lieu demandée, Aveos mentionne qu’elle sera forcée de prendre toute mesure pour réduire ses pertes, incluant notamment la possible fermeture des opérations d’Aveos au Canada. Plus particulièrement, elle reproche ce qui suit à Air Canada[125] :
[…] Aveos intends to hold Air Canada responsible for all damages its conduct has caused to Aveos, which to information and belief exceeds $45 million.
[Nos soulignements]
[99] Le lendemain, 15 février 2012, Air Canada répond[126] et nie catégoriquement les accusations d’Aveos. S’en suit une seconde lettre des procureurs d’Aveos, le 18 février 2012, en réponse à la lettre du 15 février 2012 d’Air Canada[127], qui réitère notamment la menace d’une fermeture en l’absence d’une rencontre et d’une discussion concernant les questions soulevées par Aveos.
[100] Le 21 février 2012, monsieur Kolshak s’inquiète à monsieur Rousseau qu’Air Canada aurait demandé à Aveos de lui retourner tous les moteurs lui appartenant et se trouvant en possession d’Aveos[128].
[101] Le même jour, dans un autre échange courriel, monsieur Kolshak lui mentionne que des employés d’Air Canada « are spreading the word that we are filing…the consequences of this type of talk can be disastrous »[129].
[102] Selon monsieur Rovinescu, Air Canada sait à ce moment qu’Aveos est en difficulté financière, dans une « zone d’insolvabilité ». Il ne s’attend toutefois aucunement à la fermeture complète et définitive des activités, mais plutôt à leur continuation sous une forme ou une autre à la suite d’une réorganisation d’Aveos[130].
[103] C’est dans cette perspective qu’Air Canada reconnaît avoir, dans les jours ou semaines précédant la fermeture, reporté ou suspendu certains entretiens planifiés, à l’intérieur de la marge de manœuvre disponible pour ces entretiens, dans le but de se protéger et d’assurer l’accès à ses appareils[131]. Cette décision n’aurait eu, selon Air Canada, que très peu d’impacts financiers négatifs sur Aveos.
[104] Air Canada évalue que n’eût été ces reports, elle aurait eu à débourser environ 8 M$ à Aveos, sur un montant annuel total de 450 M$, soit un montant qu’elle qualifie d’insignifiant[132].
[105] Le 22 février 2012, une rencontre a lieu entre Air Canada et Aveos lors de laquelle cette dernière demande que certaines concessions soient faites par Air Canada[133]. Air Canada y répond le 1er mars 2012, par lettre[134]. Elle nie en bloc les allégations la visant et contenues aux lettres des procureurs d’Aveos. Elle mentionne ne pouvoir accéder en entier aux concessions demandées par Aveos, mais se dit ouverte à discuter de certains des éléments demandés.
[106] Il est pertinent de reprendre en partie le contenu de cette lettre[135] :
[O]ur recent decision to review our maintenance schedule and implement certain maintenance deferrals results from the significant uncertainty caused by your stated intentions regarding Aveos’ ability and desire to continue to operate and Aveos’ explicit threats to cease operations. We have done this to protect our operations pending greater clarity.
It is our interest that this unplanned maintenance deferral be a temporary measure as it is imperative that we restore our fleet maintenance program as quickly as possible to minimize risk of operational disruptions.
Air Canada’s overriding and immediate interest is that our airframes, engines, components and other parts and equipment are repaired and returned as required no matter what course of action Aveos ultimately adopts. It would be prudent and responsible for both parties to explore, with all possible speed, arrangements to ensure the expeditious performance of the work. We suggest, as we continue to explore options for further cooperation, that we task a team from both sides to work out, cooperatively (on a “without prejudice”, confidential basis) precisely what is required to achieve that objective with a view to minimizing the adverse financial and logistical consequences of your current situation. […]
[Nos soulignements]
[107] Le 8 mars 2012, monsieur Kolshak fait état de discussions avec monsieur Rousseau et l’espoir de résoudre les problématiques entre les entreprises. Il souhaite repousser toute décision irrémédiable du conseil d’administration d’Aveos, devant se réunir le lendemain, et requiert certains engagements financiers et opérationnels de la part d’Air Canada pour obtenir un délai additionnel pour négocier[136]. Cela inclut la reprise des entretiens prévus et le paiement de certaines sommes.
[108] Le lendemain, 9 mars 2012, monsieur Rousseau répond[137] qu’avant de pouvoir se prononcer sur les demandes de monsieur Kolshak, il doit avoir davantage d’information, y compris quant à la capacité et la volonté d’Aveos de fournir le service convenu à Air Canada. Il souhaite une rencontre avec certaines parties intéressées la semaine suivante à New York. Il conclut : « With better clarity on the company’s plans and the visibility of lender/shareholder objectives, Air Canada will be in a much better position to discuss constructive actions to meet our common objectives ».
[109] Le 13 mars 2012, monsieur Kolshak informe monsieur Rousseau qu’il transmettra un « term sheet » pour ses commentaires en vue de sa réunion à New York le jeudi suivant[138].
[110] Le 14 mars 2012, monsieur Kolshak transmet à monsieur Rousseau un courriel qui élabore la demande d’Aveos[139] :
Attached is our ask. It has essentially four elements:
We can discuss this either before tomorrow’s meeting or during. I would also like to see anything you plan on presenting tomorrow.
[111] Le lendemain, 15 mars 2012, monsieur Rousseau transmet à monsieur Kolshak la proposition de financement à court terme d’Air Canada[140], qui inclut ce qui suit :
Further to our discussions and exchanges, I’m writing to confirm Air Canada’s offer to provide short term financing to Aveos to help it meet its short term cash requirements until March 30, 2012.
Air Canada hereby offers to lend Aveos amounts up to a maximum of $5 million (the “Loan”) to be advanced in one or several tranches […] with a first Advance to be available as of March 16, 2012, all on the following terms and conditions: […]
[112] Les conditions dont est assortie l’offre d’Air Canada portent notamment sur la durée du financement, soit jusqu’au 30 mars 2012 au plus tard, et le fait qu’Aveos s’engage à ne pas déposer de procédures judiciaires de protection en vertu de toutes lois relatives à la faillite ou l’insolvabilité avant cette date. En conclusion, Air Canada ajoute[141] :
Air Canada is willing to reasonably cooperate with Aveos to explore opportunities in respect of Aveos’ efforts to assign its engine and/or components maintenance businesses, without however, in any way affecting or waiving any of Air Canada’s rights, including its rights to consent to such assignment under any agreement between Aveos and Air Canada.
[Nos soulignements]
[113] Selon monsieur Rovinescu, l’ouverture d’Air Canada à ce qu’Aveos cède certains de ses contrats s’inscrit dans une volonté d’aider Aveos à trouver une solution à ses difficultés financières.
[114] Cette lettre est accompagnée d’un courriel de monsieur Rousseau à monsieur Kolshak qui mentionne ce qui suit[142] :
Dear Joe,
I am presenting Air Canada’s offer to provide short term financing to Aveos to help it meet its short term cash needs which we estimate at up to $5 million. We’ll need to fully understand these requirements and are available to speak this evening to review the initial cash utilization requirements and to firm up the amount of the initial advance.
[115] Le 16 mars 2012, un appel est tenu entre les différentes parties prenantes afin de discuter de la situation[143].
[116] Le 17 mars 2012, monsieur Rousseau transmet une proposition de financement débiteur en possession (« Debtor In Possession » ou « DIP »), et confirme qu’après une discussion non productive la veille, Air Canada ne proposera pas d’autre financement à court terme. La proposition prévoit le paiement d’un montant de 15 M$, assorti de plusieurs conditions, dont la continuation des opérations d’Aveos pour l’entretien des appareils d’Air Canada en possession d’Aveos et ceux qu’Air Canada remettra à Aveos[144].
[117] Air Canada spécifie que cette proposition est faite dans le contexte d’une réorganisation judiciaire attendue d’Aveos, en vertu des lois en matière de faillite et d’insolvabilité[145].
[118] Le 18 mars 2012, Aveos dépose une demande pour l’émission d’une ordonnance initiale en vertu de la LACC[146], requérant notamment la suspension des procédures à l’endroit d’Aveos et la nomination de la firme FTI Consulting Canada Inc. à titre de contrôleur.
[119] Les représentants d’Air Canada expliquent tous avoir été mis au courant de la fermeture d’Aveos le 18 mars 2012 et d’avoir été pris par surprise par cette décision aussi draconienne.
[120] Le 19 mars 2012, une ordonnance initiale est émise[147], prévoyant notamment ce qui suit :
120.1. Ordonne la suspension des procédures à l’encontre d’Aveos, ses dirigeants et administrateurs;
120.2. Déclare qu’Aveos a le droit de cesser ses opérations de manière temporaire ou permanente;
120.3. Déclare qu’Aveos a le droit de mettre fin aux emplois de ses employés, de manière temporaire ou permanente;
120.4. Nomme la firme FTI Consulting Canada inc. pour agir à titre de contrôleur.
[121] Le 19 mars 2012 en soirée, Aveos refuse l’offre de DIP d’Air Canada, la qualifiant de décevante et d’inacceptable[148].
[122] Le lendemain, le 20 mars 2012, le contrôleur dépose son premier Rapport[149], qui mentionne notamment ce qui suit :
122.1. Une offre de financement DIP de 15 M$ a été faite par Air Canada le 19 mars à la suite de l’ordonnance rendue par la Cour supérieure, laquelle était assortie de plusieurs conditions et sûretés;
122.2. Aveos et ses prêteurs ont refusé l’offre, puisque, selon eux, elle était inacceptable et ne visait pas le paiement des sommes dues par Air Canada à Aveos. Au surplus, l’offre ne fournissait pas les liquidités requises pour permettre la viabilité des opérations et le maintien des emplois des employés d’Aveos[150]. Malgré la sévérité de la crise, Aveos et Air Canada ne se sont pas rencontrés;
122.3. Informés de la situation, les prêteurs ont confirmé leur intention de ne pas mettre davantage de fonds à la disposition d’Aveos. En conséquence, le conseil d’administration d’Aveos, n’ayant accès à aucune liquidité additionnelle, a pris la décision de mettre fin aux opérations de la compagnie et aux emplois restants le 20 mars 2012[151].
[123] Le même jour, une seconde ordonnance est émise, prévoyant la nomination d’un Chef de la restructuration[152].
[124] Le 28 mars 2012, Me Pierre Legault, sous-ministre adjoint, Portefeuille du droit des affaires et du droit réglementaire à Justice Canada, émet une note de service exprimant son opinion quant à la conformité d’Air Canada avec l’alinéa 6(1)d) de la Loi, à la suite de la fermeture d’Aveos[153], pour les raisons plus amplement décrites ci-dessous.
[125] Le 29 mars 2012, des audiences ont lieu devant le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités au sujet de la fermeture d’Aveos et des intentions d’Air Canada[154]. À cette occasion, le président et chef de la direction d’Air Canada, monsieur Rovinescu, est entendu et précise notamment ce qui suit :
125.1. Air Canada n’a aucune intention de racheter Aveos[155];
125.2. Air Canada se conforme à la Loi malgré la cessation des activités d’Aveos, notamment en tenant compte du Jugement Newbould et de l'opinion juridique précitée commandée et transmise par le ministère des Transports du Canada[156];
125.3. Air Canada entend prioriser un fournisseur de service de révision et d’entretien qui pourra offrir une solution prévoyant l’exécution de travaux au Canada tout en étant viable et concurrentielle[157]. Un tel fournisseur aura accès à un bassin d’employés spécialisés et des opportunités d’emploi seront ainsi offertes et encouragées[158].
[126] Sont aussi entendus une représentante du ministère des Transports fédéral et le procureur de Justice Canada ayant émis l’opinion juridique précitée quant à la conformité d’Air Canada à l’alinéa 6(1)d) de la Loi et à ses statuts de continuation. Ils y mentionnent ce qui suit :
126.1. Le ministère des Transports est d’avis qu’Air Canada se conforme à la Loi, malgré la fermeture d’Aveos, considérant que :
126.1.1. L’alinéa 6(1)d) de la Loi oblige Air Canada à incorporer dans ses statuts de continuation une obligation de maintenir les
Centres. Puisque les statuts d’Air Canada contiennent une telle disposition, Air Canada se conforme à la Loi;
126.1.2. Air Canada se conforme à la disposition correspondante de ses statuts de continuation puisque, comme évoqué par le Jugement Newbould, elle effectue des activités d’entretien des appareils dans les trois villes visées;
126.1.3. Ils sont d’avis, en effet, que dans cette autre affaire : « the judge gave strong indication that quite apart from the work done by Aveos, Air Canada would likely continue to be in compliance with its articles by maintaining certain overhaul functions through its line maintenance operations in Montréal, Mississauga, and Winnipeg » et que « I think it’s possible for Air Canada to be in compliance even if Aveos has disappeared, and I think the judge has left that door open »[159];
126.1.4. Le procureur évalue un recours contestant la conformité d’Air Canada à la Loi à la suite de la fermeture d’Aveos comme ayant des chances de succès faibles et il précise que: « What I’m saying is that if ACPPA is being violated now, as the opposition argues, there is nothing to stop a court from independently finding that after a complaint is brought »[160].
[127] Le 3 avril 2012, le Chef de la restructuration dépose son premier rapport à la Cour. Il fait état qu’un montant de 12 M$ se trouvait dans les caisses d’Aveos à la date de sa nomination[161].
[128] Le 6 avril 2012, Air Canada publie un communiqué de presse dans lequel elle affirme que[162] :
La fermeture des installations d’Aveos n’aura d’incidence ni sur les activités quotidiennes de maintenance et de réparation des avions d’Air Canada, ni sur ses services réguliers. La maintenance quotidienne est assurée directement par les 2300 employés de Maintenance Air Canada dans les installations d’Air Canada partout au pays, notamment à Montréal, Winnipeg, Vancouver et Toronto. […]
Air Canada privilégie fortement une collaboration avec un fournisseur mondial qui aspire et a la capacité à assurer des services de réparation et de révision de composants au Canada, principalement à Montréal, Winnipeg, Vancouver et Toronto, ces villes pouvant déjà compter sur une main-d’œuvre bien formée, qualifiée et talentueuse.
[Nos soulignements]
[129] Le 11 avril 2012, Air Canada transmet une correspondance au ministre de la Justice et Procureur général du Québec, l’honorable Jean-Marc Fournier, en réponse à une lettre de sa part du 3 avril 2012[163]. Air Canada confirme sa position voulant que, selon elle, elle se conforme actuellement à la Loi malgré la fermeture d’Aveos. Elle fonde son opinion sur le Jugement Newbould et sur l’avis juridique précité et déposé auprès du Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités.
[130] Le 20 avril 2012, une ordonnance est émise, approuvant le processus de liquidation d’Aveos[164] soumis. Il est pertinent de noter qu’on y prévoit un processus en plusieurs étapes pour la vente des actifs d’Aveos, dont la réception et l’analyse d’offres d’achat par des acheteurs potentiels, y compris leur proposition quant aux employés d’Aveos qui seront appelés à devenir les employés de l’acheteur[165].
[131] Le 1er mai 2012, le Chef de la restructuration dépose son second rapport[166]. Il conclut ainsi :
55. The CRO is of the view that the continuation of the CCAA Proceedings provides the Company with an opportunity to complete the Divestiture Process, which may lead to the restart of one or more divisions, create employment opportunities for some former Aveos employees and enhance the value to be recovered by the Secured Lenders whose collateral is currently funding the CCAA process.
[132] Le 2 mai 2012, Air Canada dépose à la Cour une demande de bene esse afin de lever la suspension des procédures à son égard et lui permettre de faire confirmer la terminaison des contrats de services d’entretien qui la lient à Aveos[167].
[133] Le 16 mai 2012, le contrôleur dépose son septième rapport, faisant état de l’impact possible de la procédure d’Air Canada pour mettre fin aux contrats avec Aveos[168]. On y mentionne que :
26. The Monitor is advised by the Debtors that the uncertainty created by the Air Canada Motion may well be impacting the Divestiture Process as parties are expressing concern over Air Canada’s willingness to participate in the Divestiture Process and support a potential acquirer of the Aveos business.
27. The Monitor favours and continues to favour a solution that would ensure Air Canada’s full cooperation and would allow a better aligning Air Canada’s requests for proposal with the Divestiture Process to maximize the Divestiture Process’ chances of success. The Monitor invites Air Canada and Aveos to pursue their discussions to address Air Canada’s concerns and to avoid the legal confusion created by the pendency of the Air Canada Motion to avoid any possible chilling effect on the Divestiture Process.
[Nos soulignements]
[134] Le 30 mai 2012, à la suite du retrait par Air Canada de sa demande de bene esse, Aveos et Air Canada conviennent notamment de mettre fin aux contrats les liant, à l’exception du contrat d’entretien et de révision des moteurs, qui est remplacé par une nouvelle entente devant être cédée dans le cadre du processus de liquidation d’Aveos, au plus tard le 15 août 2012, à défaut de quoi elle sera résiliée[169].
[135] Le 5 juin 2012, le contrôleur produit son huitième rapport à la Cour. Il affirme qu’Air Canada et Aveos ont conclu une entente portant sur des enjeux faisant l’objet de la demande de bene esse par Air Canada et menant au retrait de la procédure par Air Canada[170]. Selon le contrôleur, cette entente est bénéfique quant aux chances de succès de vendre les opérations d’entretien des moteurs et des composants, malgré les risques inhérents au processus de liquidation[171].
[136] Le 24 août 2012, une demande d’autorisation de cession du contrat d’entretien et de révision des moteurs est présentée à la Cour, qui est accueillie le même jour. Cette ordonnance confirme la cession du contrat à Lufthansa Technik AG, en dépit de la contestation formulée par un autre soumissionnaire, ainsi que par l’AIMTA, qui soutient que la seconde proposition permettrait la sauvegarde de 100 à 150 emplois au Canada[172].
5.3 Les revenus d’Aveos provenant d’Air Canada
[137] Air Canada et Aveos se reprochent mutuellement leur défaut dans le paiement de factures. Le demandeur prend la position que les factures impayées par Air Canada, particulièrement durant les mois précédant la cessation des activités d’Aveos, ont été l’un des déclencheurs importants de l’insolvabilité de cette dernière.
[138] Ce n’est qu’en septembre 2013 que les parties s’entendent pour que des sommes soient remises, sans admission de responsabilité, en échange de quittances mutuelles, y compris pour les factures impayées[173]. Ainsi, un montant d’environ 12 M$ a été versé. L’entente alors conclue entre les parties inclut en annexe le montant des factures impayées par Air Canada à Aveos à ce moment de 128 M$ (incluant les taxes)[174] et celui impayé par Aveos à Air Canada de 116 M$ (incluant les taxes)[175].
[139] Quant au volume d’affaires confié par Air Canada à Aveos en 2012, une certaine preuve chiffrée a été administrée et monsieur Gilles Néron a été appelé à fournir davantage de détails à cet égard.
[140] De façon globale, les montants versés par Air Canada à Aveos pour les services rendus, pour la période de 2008 à 2012, sont les suivants[176] :
2008 (12 mois) | 2009 (12 mois) | 2010 (12 mois) | 2011 | 2012 |
507 867 453 $ | 513 778 710 $ | 365 487 091 $ | 445 746 345 $ | 117 124 574 $ |
[141] Ces chiffres permettent de comprendre que les montants versés d’une année à l’autre dans le cadre de l’exécution des contrats de service peuvent varier de manière significative[177].
[142] Pour l’année 2011, un montant de plus de 37 M$ est inclus au montant global pour des travaux facturés avant 2011 et payés en 2011. En comparaison, pour l’année 2012[178], un montant de plus de 35 M$ a été payé pour des travaux facturés en 2011[179].
[143] Le demandeur conteste la pertinence de tenir compte des montants payés en 2012 pour des travaux facturés en 2011.
[144] Si l’on retient cette position et que l’on retranche les revenus de 37 M$ en 2011 et de 35 M$ en 2012, l’on obtient un montant facturé de 408 M$ pour 2011 et de 82 M$ pour 11 semaines en 2012. Si l’on annualise ce dernier montant, l’on obtient un volume des travaux de 388 M$ pour 2012, soit une baisse de 5 % en comparaison avec 2011.
[145] En tenant compte des montants facturés dans l’année précédente et payés dans l’année courante, l’on obtient le montant de 445 M$ en 2011 et un montant annualisé de 423 M$ pour 2012, soit aussi une baisse de 5 %.
[146] Une comparaison des travaux au niveau mensuel pour les périodes du 1er janvier au 18 mars pour les années 2011 et 2012 démontre ce qui suit[180] :
| Janvier | Février | 1er au 18 mars | Total |
2011 | 39 175 469,39 $ | 36 415 773,34 $ | 26 450 362,08 $ | 102 041 604,81 $ |
2012 | 33 025 270,19 $ | 32 251 847,23 $ | 22 360 724,65 $ | 87 637 842,07 $ |
[147] Ainsi, lorsque comparé sur une base mensuelle, il y a une baisse des travaux confiés correspondant à environ 16 % en 2012, comparativement à la même période en 2011.
5.4 Les employés membres du Groupe
[148] En date du 18 mars 2012, Aveos est propriétaire des installations physiques du Centre de Montréal, sur un terrain appartenant à Air Canada. Par contre, pour les Centres de Winnipeg et de Mississauga, elle loue les installations appartenant à Air Canada[181].
[149] En date de février 2012, Aveos employait 2620 travailleurs dont 88 % sont syndiqués[182]. De ce nombre, près de 2000 ont été transférés d’Air Canada en juillet 2011, suivant ainsi d’autres travailleurs transférés précédemment[183]. Enfin, 2198 ex-travailleurs d’Air Canada et d’Aveos sont membres du Groupe[184].
[150] Les activités d’entretien et de révision d’appareils ne peuvent être exécutées que par une main-d’œuvre expérimentée et spécialisée. Il appert que les travailleurs des Centres étaient expérimentés et, pour une grande part, ils avaient acquis des connaissances, des compétences et une expérience pointues, notamment par le biais d’un programme de formation complet offert à l’interne par Air Canada au fil des ans.
[151] À cet égard, il appert que des formations par niveaux et par blocs étaient données par Air Canada, dans ses locaux. Ainsi, les niveaux d’apprenti 1 à 4 (requérant 6 mois pour chacun des niveaux), de junior 1 à 4 (requérant 6 mois pour chacun des niveaux) et de mécanicien 1 à 4 (requérant 1 an pour chacun des niveaux) pouvaient être offerts aux employés progressant au sein de l’entreprise[185].
[152] Air Canada émettait des attestations de formations. À titre d’exemple, le demandeur a reçu une attestation pour avoir complété 735 heures de formation générale et professionnelle et quatre années de formation pratique[186].
[153] Le 31 août 2012, Air Canada signe une lettre d’intention avec l’entreprise AAR, modifiant une entente existante du 12 avril 2012, lui confiant l’entretien et la révision des cellules de ses appareils A319, A320 et A321, soit les petits fuselages, pour la période de septembre 2012 à septembre 2017[187].
[154] Cette entente fait suite notamment à l’appel de propositions # 20120106 du 10 février 2012, pour l’entretien et la révision des cellules[188].
[155] Quant à l’activité d’entretien et de révision des cellules des gros fuselages, elle a été confiée en entier à l’extérieur du Canada.
[156] L’entretien et la révision des moteurs ont été confiés à Lufthansa Technik en Allemagne, à l’exception de certains petits moteurs confiés à une entreprise de Ville Saint-Laurent.
[157] L’entretien et la révision des composants est fait principalement par AAR dans l’État de New York. Cette entreprise a éventuellement ouvert un centre d’ingénierie à Ville Saint-Laurent.
[158] En conséquence, il appert qu’à la suite de la fermeture d’Aveos, et ce pour toute la période en litige, l’entretien des cellules, des moteurs et des composants, sauf exception, est réalisé à l’extérieur du Canada. Cet état de fait est aussi relevé par les conclusions du Jugement Castonguay et du Jugement CA sur la question.
6.2 Paiement par Air Canada de l’indemnité convenue à l’Entente du 8 janvier 2009
[159] Comme détaillé ci-dessus, la fermeture d’Aveos en mars 2012 correspond à l’une des conditions suspensives au paiement d’une indemnité suivant l’Entente sur une indemnité de séparation[189].
[160] En effet, puisque la fin des emplois des employés syndiqués d’Aveos a eu lieu avant le 30 juin 2013, Air Canada était tenue de payer et a, dans les faits, payé[190] une indemnité représentant deux semaines de salaire par année révolue de service continu, jusqu’à concurrence de 52 semaines aux employés visés.
[161] Le 12 septembre 2012, une décision est rendue par l’arbitre Martin Teplitsky, dans le cadre d’un différend entre Air Canada et l’AIMTA en ce qui a trait au paiement de l’indemnité prévue[191].
[162] Cette décision prévoit les modalités de paiement des 1 500 indemnités de départ, d’une valeur totale de 55 M$.
[163] Air Canada définit ainsi la notion de service continu dans les lettres explicatives transmises aux ex-employés syndiqués d’Aveos en décembre 2012[192] :
Service continu : Correspond au nombre d’années révolues de service entre votre dernière date d’embauche à Air Canada et la date de votre cessation d’emploi en raison de l’insolvabilité d’Aveos. […] Par exemple, si vous vous êtes joint à Air Canada il y a quatre ans et sept mois, vous comptez quatre années de service continu.
[164] Ainsi, le nombre d’années de service continu tient compte, de manière cumulative, des années travaillées chez Air Canada et chez Aveos.
[165] Cette lettre mentionne également ce qui suit[193] :
Le 31 janvier 2011, le Conseil canadien des relations industrielles a rendu l’ordonnance no 9996‑U, laquelle a entraîné la création d’unités de négociation distinctes pour les employés d’Aveos.
Selon les modalités de cette ordonnance, Air Canada est tenue d’indemniser les employés d’Aveos représentés par l’AIMTA et au service d’Aveos à la date de délivrance de l’ordonnance ayant entraîné la création d’unités de négociation distinctes (31 janvier 2011), si certains événements se produisent.
[Nos soulignements]
[166] Le 17 avril 2012, le Procureur général du Québec dépose à l’encontre d’Air Canada une Requête introductive d’instance en jugement déclaratoire, en réaction à la fermeture d’Aveos survenue dans les semaines précédentes. Cette procédure sera amendée afin d’ajouter le Procureur général du Manitoba à titre d’intervenant en novembre 2012[194] (Requête en jugement déclaratoire).
[167] Ce recours mettait en cause l’interprétation à donner à l’alinéa 6(1)d) de la Loi, à la lumière de la situation telle qu’elle existait depuis la fermeture d’Aveos, et le transfert des activités qu’effectuait cette dernière pour Air Canada auprès de tiers, principalement situés à l’extérieur du Canada.
[168] Le 4 février 2013, l’honorable Martin Castonguay accueille la Requête en jugement déclaratoire[195] et conclut ce qui suit :
[281] DÉCLARE que les travaux d’entretien et de révision prévus au paragraphe 6(1)d) de la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada, comprennent les travaux de révision des composants, des moteurs, des cellules (entretien lourd ou « heavy maintenance »);
[282] DÉCLARE que la défenderesse contrevient à la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada en ne maintenant pas, sur l’ancien territoire de la Communauté urbaine de Montréal, des centres de révision où s’effectue la révision de ses appareils;
[283] DÉCLARE que la défenderesse doit continuer d’exécuter ou de faire exécuter sur l’ancien territoire de la Communauté urbaine de Montréal les travaux d’entretien et de révision des composants, des moteurs et des cellules (entretien lourd ou « heavy maintenance ») de ses appareils;
[169] Pour en arriver à ces conclusions, le Jugement Castonguay analyse une preuve portant sur les sujets suivants :
169.1. L’historique général d’Air Canada, notamment en matière d’entretien;
169.2. L’interaction entre Aveos et Air Canada quant à l’entretien de sa flotte, en regard des normes réglementaires;
169.3. Les conséquences de la déconfiture d’Aveos, soit des événements ayant précipité sa chute, l’analyse de la preuve des experts et l’impact de l’absence d’Aveos quant à l’entretien de la flotte d’Air Canada.
[170] Le Jugement Castonguay tranche des questions juridiques portant sur ce qui suit :
170.1. L’argument de la chose jugée invoqué par Air Canada à la suite du Jugement Newbould, le 25 mai 2011, et opposant l’AIMTA et Davis Ritchie contre Air Canada et Aveos;
170.2. L’argument d’Air Canada voulant qu’elle respecte la Loi puisqu’elle maintient des centres d’entretien et de révision à Winnipeg, Mississauga et la Communauté urbaine de Montréal;
170.3. L’argument d’Air Canada voulant qu’elle respecte la Loi puisque ses statuts de constitution comportent l’énoncé prévu à l’alinéa 6(1)d) de la Loi.
[171] Il importe de noter que le demandeur a renoncé à procéder sur sa demande de bene esse pour obtenir l’autorisation de verser au dossier la transcription d’interrogatoires tenus au dossier devant l’honorable Martin Castonguay et précise que la production de la pièce P-71 vise uniquement à illustrer la preuve administrée devant le juge Castonguay et non pas afin de faire preuve de son contenu au présent dossier, sauf certaines exceptions pour des extraits de preuve, produits et cotés de manière distincte[196].
7.2 Le Jugement de la Cour d’appel du Québec
[172] Insatisfaite du Jugement Castonguay, Air Canada se pourvoit devant la Cour d’appel du Québec. Les questions en litige en appel, telles que formulées par la Cour d’appel, sont les suivantes :
172.1. Y a-t-il lieu de réviser les constats du jugement de première instance quant au fait qu'Air Canada ne maintient plus, que ce soit sur le territoire de l'ancienne Communauté urbaine de Montréal ou à Winnipeg ou dans leurs environs, les centres qu'elle y exploitait au moment de l'entrée en vigueur de la Loi et qu'elle n'y maintient pas non plus d'activités équivalentes?
172.2. La procureure générale du Québec a-t-elle l'intérêt juridique requis afin de se plaindre de cet état de fait et a-t-elle choisi le recours approprié? Qu'en est-il de l'intervenant procureur général du Manitoba?
172.3. L'état de fait constaté par le juge de première instance, le cas échéant, enfreint-il l'alinéa 6(1)d) de la Loi?
172.4. Y a-t-il lieu de rectifier la formulation des conclusions du jugement de première instance?
[173] Le 3 novembre 2015, au terme d’une analyse détaillée, la Cour d’appel du Québec rejette l’appel formé par Air Canada[197].
[174] Le Tribunal retient ce qui suit des motifs du Jugement CA.
[175] La Cour d’appel revoit le contexte de l’adoption de la Loi. Elle conclut notamment ce qui suit de la lecture de l’ensemble de la Loi et des débats parlementaires ayant entouré son adoption :
175.1. Le législateur souhaitait indubitablement transformer Air Canada, société d'État, en une société privée, et c'est bien ce qu'il a fait en adoptant la Loi[198];
175.2. Cependant, l'entreprise étant issue d'un investissement collectif important, quoique désormais jugé contre-productif, onéreux et mal adapté à la concurrence mondiale, il souhaitait en même temps préserver certains acquis tenus pour politiquement importants[199]. Elle cite les propos du vice-premier ministre Mazankowski lorsque, le 12 avril 1988, il annonce à la Chambre des communes le dépôt prochain du projet de loi devant mener à la privatisation d'Air Canada, dont l’extrait suivant :
[…] Les grands centres d'exploitation et d'entretien qui ont été construits au fil des ans à Montréal, Toronto et Winnipeg constituent une source de grande fierté pour Air Canada et un élément fondamental du succès de la compagnie. Aucun centre ne perdra de son importance. Le centre d'entretien de Winnipeg demeurera une fonction intégrale et prééminente d'Air Canada et l'entretien des avions de la compagnie continuera de se faire à cet endroit. Les centres seront maintenus en activité, la compagnie devant bâtir pour l'avenir dans un contexte où dominent les forces du marché.
[Nos soulignements]
175.3. La Cour d’appel conclut également que l’« inclusion des alinéas d) (préservation des centres d'entretien et de révision que la société exploite dans certaines villes) et e) (fixation péremptoire du lieu du siège social) répond pour sa part à des impératifs de géopolitique nationale, mais reflète aussi cette même volonté d'assurer le caractère
canadien de la nouvelle société en l'ancrant physiquement dans certaines régions du pays »[200].
[176] La Cour d’appel explique le transfert des opérations d’entretien et de révision d’Air Canada à ACTS, puis à celle qui deviendra Aveos, ainsi que les conflits ayant surgis entourant le transfert des emplois syndiqués d’Air Canada à ACTS.
[177] En réponse à la première question en litige, soit celle de savoir s’il y a lieu de réviser les constats du Jugement Castonguay quant au fait qu’Air Canada ne maintient plus, que ce soit sur le territoire de l'ancienne Communauté urbaine de Montréal ou à Winnipeg ou dans leurs environs, les Centres, aux lieux prévus, qu’elle y exploitait en 1988 ou l’équivalent, la Cour d’appel conclut notamment ce qui suit :
177.1. Au terme d'une analyse fouillée de la preuve, le juge de première instance conclut qu’Air Canada, même si elle conserve toujours (grâce à son propre personnel ou autrement) certaines activités d'entretien dans les régions de Montréal et de Winnipeg, n'y maintient cependant plus les centres qu'elle y exploitait au moment de l'entrée en vigueur de la Loi et n'y exerce pas non plus d'activités équivalentes, que ce soit directement (c'est-à-dire par ses propres employés) ou indirectement (par l'intermédiaire de sous-traitants, impartiteurs et autres fournisseurs de services)[201];
177.2. Quant à l’argument d’Air Canada voulant que les constats factuels du juge de première instance soient contraires au Jugement Newbould sur la conformité d’Air Canada à la Loi, la Cour d’appel précise qu’il ne saurait y avoir chose jugée vu l’absence d’identité de parties et de cause. De plus, elle confirme le Jugement Castonguay à l’effet que le propos du juge Newbould sur ce sujet relève clairement de l'obiter dictum[202]. Elle ajoute ce qui suit :
[70] Cet avis n'a pas la portée de la présomption simple dont parlent parfois la doctrine et la jurisprudence pour décrire l'effet rattaché aux constats factuels posés par un jugement n'ayant pas l'effet de la chose jugée sur un autre litige, ou alors cette présomption a été réfutée en l'instance. Il s'agit d'un fait ordinaire dont le juge de première instance pouvait tenir compte, sans doute, et sur lequel il s'est d'ailleurs penché. On ne saurait toutefois, pour des raisons évidentes, en faire un élément concluant, puisque – et cela est capital – le contexte du litige dont le juge est ici saisi n'est pas le même, pas plus que la question à débattre. On contestait en effet devant le juge Newbould la délégation des activités de maintenance lourde d'Air Canada à Aveos : or, Aveos n'existe plus et les activités qui lui étaient confiées le sont maintenant à d'autres, qui, pour une large part, exercent à l'extérieur des régions de Montréal et de Winnipeg (et plus exactement à l'extérieur même du Canada). C'est de ce plus récent état de fait que l'on discute devant la Cour supérieure du Québec et sur lequel statue le jugement dont appel. En 2011, le juge Newbould pouvait bien, en obiter, opiner qu'Air Canada se conformait à la Loi en sous-traitant ses activités de maintenance lourde à Aveos (qui opérait dans les mêmes lieux) ou qu'Air Canada se livrait encore, à cette époque, à des activités de maintenance lourde à même sa maintenance en ligne, mais ce constat ne lie en rien le juge de l'espèce qui statue, en 2013, en fonction de la preuve administrée devant lui sur une tout autre cause d'action.
[71] Bref, au regard de l'entièreté de la preuve contradictoire qui lui a été soumise, incluant le jugement Newbould, le juge de première instance conclut que :
[247] Comme nous l’avons vu, la réalité est que, mis à part un contrat de sous-traitance octroyé à Standard Aero pour une famille de moteurs, il n’y a plus d’entretien lourd à Winnipeg, le seul entretien s’y effectuant par A/C étant la maintenance en ligne pour les avions de passage.
[248] La situation à Montréal n’est guère mieux. Si certains travaux faits lors de l’entretien en ligne peuvent être qualifiés de « révision » ou « overhaul », il s’agit d’une quantité dérisoire par rapport à ce qui se faisait jusqu’en mars 2012. À la lumière de l’ensemble de la preuve, les faits ne supportent pas la position exprimée par A/C.
[72] Il n'y a rien à redire à cette double conclusion, et moins encore au vu de la norme d'intervention applicable.
[Nos soulignements]
[178] En réponse à la deuxième question en litige, quant à l’intérêt d’agir de la procureure générale du Québec et celui du Manitoba, ainsi que du caractère approprié du recours en jugement déclaratoire intenté, les extraits suivants de l’analyse du Jugement de la Cour d’appel sont pertinents :
[77] Pour répondre à ces moyens, il faut préliminairement s'intéresser à l'essence du litige. La question de l'intérêt ou de la qualité pour agir, tout comme celle du véhicule procédural approprié, ne peut en effet être dissociée de l'identification de l'enjeu juridique. Qu'en est-il ici?
[78] La réponse s'impose à l'évidence : l'on se demande ici si Air Canada respecte l'alinéa 6(1)d) de la Loi, ce qui suppose la détermination du sens et de la portée de cette disposition. C'est là le cœur du débat. […] Mais que les parties ne s'entendent pas sur la signification de l'alinéa 6(1)d) de la Loi ne change rien à la nature de l'affaire, qui est d'interpréter cette disposition, dont il s'agit ensuite de vérifier l'observance dans les faits de l'espèce. C'est là l'enjeu du litige et c'est à cette aune que doivent être mesurés 1° l'intérêt juridique de la procureure générale du Québec et du procureur général du Manitoba (infra, paragr. [79] et s.) et 2° l'à‑propos du véhicule procédural choisi pour faire valoir cet intérêt (infra, paragr. [94] et s.).
[…]
[80] Avec égards, il me paraît au contraire que la procureure générale du Québec possède l'intérêt juridique requis pour débattre des questions en litige. Il en va de même du procureur général du Manitoba, qui a l'intérêt suffisant pour intervenir.
[81] De façon générale, on verrait mal, sans aucun doute, que les procureurs généraux des provinces ou du Canada se mettent à intervenir de manière routinière dans des litiges de droit privé mus entre personnes de droit privé, ou encore se mêlent activement du contrôle des affaires internes des sociétés par actions. Or, Air Canada est une personne morale de droit privé et l'on pourrait donc penser, de prime abord, que ses décisions d'affaires sont non seulement hors du champ du droit public, mais aussi hors du champ de l'intérêt public et, par là même, hors du domaine ordinaire des procureurs généraux.
[82] Il est cependant des situations où l'existence de questions d'intérêt public justifie l'action des procureurs généraux et même celle d'autres justiciables, ainsi que le reconnaissent, par exemple, les arrêts Downtown Eastside et Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général). Qu'en est-il en l'espèce? Les questions de savoir ce que signifie l'alinéa 6(1)d) de la Loi et de savoir si Air Canada y contrevient sont-elles d'intérêt public, ce qui, au chapitre de la qualité et de l'intérêt pour agir, permet l'approche large que préconisent les arrêts Downtown Eastside et Manitoba Metis Federation Inc.?
[83] C'est le cas : droit public et intérêt public sont bel et bien en cause ici, et ce, en raison du cadre législatif propre à la société. En effet, la décision législative par laquelle une entité publique devient une entité privée et la loi qui manifeste cette volonté appartiennent au champ du droit public, notamment en ce qu'elles touchent les biens de l'État, et plus exactement ceux dont il choisit de se départir. C'est également, inutile d'insister, une décision d'intérêt public. Pareillement, les conditions impératives dont, le cas échéant, le législateur assortit cette opération de transition du domaine public au domaine privé sont tout à la fois de droit public, d'intérêt public et d'ordre public.
[84] En l'espèce, c'est précisément d'une telle loi qu'il s'agit, prévoyant des conditions dont il faut établir le sens et vérifier l'application. Bien qu'elle soit devenue une personne morale de droit privé régie généralement par la Loi canadienne sur les sociétés par actions, Air Canada demeure soumise à la Loi, dont les prescriptions, rappelons-le, prévalent. L'enjeu du litige ne relève donc pas seulement du droit privé, mais aussi du droit public en ce qu'il se rattache à une obligation législative fondée sur une considération d'intérêt public (à savoir le maintien des centres de révision de Montréal et de Winnipeg). L'affaire n'a rien de constitutionnel, sans doute, mais les questions ou les sujets « d'intérêt public » ne sont pas restreints à ce domaine.
[…]
[87] La question que soulèvent les procureurs généraux est en effet justiciable (il s'agit d'une question classique d'interprétation de la loi et de vérification de son application à une situation factuelle précise) et sérieuse (c'est-à-dire qu'elle constitue une question importante). Air Canada ne le conteste d'ailleurs pas.
[…]
[90] C'est certainement le cas ici, alors que la procureure générale du Québec, assistée du procureur général du Manitoba, présente une requête en jugement déclaratoire visant à faire déterminer si Air Canada se conforme à la Loi. Sans doute d'autres auraient-ils eu un intérêt à poursuivre (on peut penser au procureur général du Canada, au directeur nommé en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, aux actionnaires ou aux travailleurs actuels ou anciens d'Air Canada ou même à ceux d'Aveos, vu les circonstances), mais leur intérêt ne disqualifie nullement les intimés, qui ont également l'intérêt pour agir et faire valoir une perspective particulièrement utile sur la question en litige.
[Nos soulignements]
[179] En réponse à la troisième question en litige, à savoir si Air Canada respecte l’alinéa 6 (1)d) de la Loi, la Cour d’appel effectue une analyse détaillée comprenant :
179.1. L’analyse grammaticale et textuelle de la disposition (par. 122 et ss. du Jugement CA); et
179.2. L’analyse globale et contextuelle de la Loi, incluant le contexte législatif interne (par. 140 et ss.) et le contexte législatif externe (par. 164 et ss.), et d’autres éléments externes (par. 202 et ss.).
[180] Dans le cadre de l’analyse grammaticale et textuelle de l’alinéa 6(1)d) de la Loi, la Cour d’appel conclut notamment ce qui suit :
180.1. « Il n'est pas besoin de disserter longuement sur le fait que si le législateur n'avait pas voulu le maintien des centres en question ou avait choisi de s'en remettre entièrement à Air Canada à ce propos, il n'aurait tout simplement pas formulé l'alinéa 6(1)d) ni prévu l'inclusion de cette restriction aux statuts de la société (statuts auxquels, en principe, la société doit se conformer). Mais quelles sont la portée et la mesure exactes de la volonté qu'il exprime ainsi? C'est ce que l'on doit maintenant déterminer »[203];
180.2. « Maintenir ou « to maintain », c'est donc assurer la pérennité d'une situation, d'une chose ou d'un état, en l'occurrence celle des centres d’entretien et de révision exploités par Air Canada dans les villes de Montréal et de Winnipeg (ainsi que de Mississauga). Le choix terminologique, encore une fois, n'est pas insignifiant et donne une indication assez nette de l'intention qui anime le législateur »[204];
180.3. « Les statuts devant obliger Air Canada à maintenir les centres de Winnipeg, de Mississauga et de Montréal, cela tend à indiquer qu'il s'agit de les maintenir tels qu'ils existent et sont connus au moment de l'adoption de la Loi. Par contraste, l'usage de l'article indéfini aurait signifié simplement une obligation générale de maintenir dans ces villes des centres d'entretien et de révision, quels qu'ils soient et peu importe ce qu'ils seraient devenus »[205];
180.4. « Par ce texte, le législateur signale en outre clairement son intention d'obliger Air Canada à conserver les centres de Montréal et de Winnipeg sinon en l'état (celui de 1988), du moins dans leur essence. Car, encore une fois, si le législateur n'avait pas eu l'intention d'assurer cette pérennité, on ne voit pas pourquoi il aurait obligé la société à inclure cette restriction à ses statuts. Il n'est pas besoin de rappeler ici que le législateur ne parle habituellement pas pour ne rien dire »[206];
180.5. « On peut sûrement, de prime abord, affirmer que le législateur ne peut avoir voulu que les centres que protège l'alinéa 6(1)d) de la Loi ne soient que des coquilles vides. Maintenir les centres de Montréal et de Winnipeg ne peut donc signifier qu'une chose, c'est-à-dire les garder en activité, les exploiter. Le vocabulaire utilisé par le législateur, et notamment l'usage du verbe « maintenir », en fait foi et permet même de déduire qu'il voulait que les centres maintiennent un niveau d'activités comparable à celui qui y a cours au moment de l'adoption de la Loi. À lui seul, le texte ne permet guère d'aller plus loin »[207].
[181] Dans le cadre de l’analyse globale et contextuelle de l’alinéa 6(1)d) de la Loi, la Cour d’appel analyse d’abord le contexte législatif interne de la Loi et conclut notamment ce qui suit :
181.1. « Si l'on veut que la disposition législative décrétant cette primauté ait un effet utile […] et atteigne sa fin (ce qu'impose également le même article 12), il ne peut être question de permettre à Air Canada d'échapper de jure ou de facto à l'application de la Loi en recourant aux dispositions générales de la Loi canadienne sur les sociétés par actions. En effet, si le législateur, par l'alinéa 7b), interdit à la société, à ses actionnaires et à ses administrateurs d'établir (et donc, nécessairement, de modifier) des statuts ou des règlements incompatibles avec « toute disposition visée au paragraphe 6(1) » (« the provisions included in its articles of continuance pursuant to subsection 6(1) ») et s'il prescrit la primauté de cette disposition par le paragraphe 2(3), c'est qu'il entend que la société, ses actionnaires et ses administrateurs agissent en conformité avec les restrictions statutaires en question »[208];
181.2. « Comment dire? Le législateur a très soigneusement assuré l'application du paragraphe 6(1) et des clauses dont il impose l'inclusion aux statuts. Pourrait-il, dans le même temps, avoir voulu laisser la société, ses actionnaires ou ses administrateurs libres de contourner ces statuts par leurs faits et gestes et laisser le contrôle de ceux-ci à la seule Loi canadienne sur les sociétés par actions, comme s'il s'agissait, pour reprendre le terme proposé par Air Canada, d'une « obligation de nature strictement corporative »? Cela est hautement improbable »[209].
[182] La Cour d’appel traite spécifiquement de la question de la marge de manœuvre dont bénéficie Air Canada dans la manière de se conformer à ses obligations légales :
[153] […] La Loi n'entend pas, on le conçoit aisément, figer les activités de maintenance d'Air Canada. L'obligation relative aux centres d'entretien et de révision est d'ailleurs formulée de manière générale et l'on n'y impose pas de plancher d'emplois, pas plus que l'on n'y prévoit un volume d'activités minimal précis ou une autre garantie du genre. Cela est compréhensible, compte tenu de la nature de l'entreprise d'Air Canada, de son environnement commercial, des fluctuations du marché, etc. En ce sens, il est normal que la pérennité voulue par le législateur n'appelle pas une fixité absolue des activités que vise l'alinéa 6(1)d), les exigences et les techniques de maintenance des aéronefs étant à l'évidence appelées à changer, tout comme l'entreprise elle-même et les conditions économiques dans lesquelles elle évolue. Par exemple, le législateur sait, au moment où il s'apprête à légiférer, qu'Air Canada envisage l'achat de nombreux avions Airbus, dont les exigences et les méthodes d'entretien diffèrent. Le législateur n'avait pas à entrer à cet égard dans des détails qui relèvent de la gestion de l'entreprise et, en ce sens, on peut reconnaître que, dans la manière dont Air Canada met en œuvre l'obligation que lui impose l'alinéa 6(1)d), elle jouit en effet d'une certaine liberté.
[154] Cela dit, cette liberté ne va pas jusqu'à lui permettre d'outrepasser la Loi. Il ressort plutôt du texte ainsi que du contexte interne de la Loi, et plus précisément des articles 6, al. (1)d), 7, al. b), et 2, paragr. (3), que le législateur a voulu préserver l'essence des activités des centres, tant quantitativement que qualitativement, et s'assurer qu'Air Canada agisse en conséquence. Affirmer que la société, au nom de la raison d'affaires, peut fermer les centres en question ou en réduire les activités au-delà d'un certain seuil revient à ignorer les articles 7, al. b), et 2, paragr. (3), et à ignorer de même le texte du paragr. 6(1).
[155] D'une certaine façon, on pourrait dire qu'en ce qui concerne les restrictions prévues par le paragraphe 6(1), c'est le législateur qui a, d'avance, posé le jugement commercial idoine et fait le choix d'affaires en aménageant péremptoirement l'actionnariat d'Air Canada, en obligeant celle-ci à maintenir pour l'avenir ses centres d'entretien et de révision de Montréal, de Winnipeg et de Mississauga, en fixant son siège social à Montréal et en la contraignant à exploiter son entreprise en conséquence.
[156] Enfin, il faut noter aussi, quant à la restriction relative aux centres d'entretien et de révision, que le législateur, comme on le verra, confirmait ainsi un choix (c'est-à-dire une orientation commerciale) fait et annoncé par Air Canada elle-même et qui constitue le fondement politique de la décision législative prise en 1988.
* *
[157] Il découle donc du texte et du contexte interne de la Loi qu'Air Canada, ses administrateurs et ses actionnaires doivent faire en sorte de maintenir, c'est-à-dire de conserver en substance et en l'état, les centres d'entretien de Montréal et de Winnipeg tels que ceux-ci existaient en 1988, sauf à enfreindre la Loi.
[158] Il en résulte également, et forcément, que seule une modification législative pourrait permettre à Air Canada de déroger à cette obligation, tout comme ce serait le cas si elle souhaitait échapper aux restrictions que lui impose la Loi au chapitre de l'actionnariat ou du siège social.
[Nos soulignements]
[183] Dans son analyse du contexte législatif externe, la Cour d’appel conclut notamment ce qui suit :
[164] Le contexte externe de la Loi, tel qu'il ressort en l'occurrence des débats parlementaires, va dans le même sens et consolide l'idée que le législateur a voulu contraindre Air Canada à respecter les mentions statutaires prescrites par l'article 6, paragr. (1), tout comme s'il s'agissait d'une obligation législative directe, que seule une loi peut modifier. Ce même contexte confirme également que l'on avait une vision assez précise de l'activité des centres d'entretien et de révision, à l'époque, et que l'on cherchait bel et bien à protéger, en gros, un statu quo reflétant ce qui était alors le modèle d'affaires d'Air Canada.
[…]
[193] De tous ces débats parlementaires, et malgré les quelques atermoiements, dérobades, détours et circonvolutions propres à ce genre de discussions, il appert que l'on avait bel et bien l'intention d'obliger Air Canada à maintenir ses centres d'entretien de Montréal et de Winnipeg (ainsi que celui de Mississauga), et à les maintenir, substantiellement, en l'état, c'est-à-dire par la poursuite des activités de révision (maintenance lourde) qu'on y mène au moment de l'adoption de la Loi. Plus précisément, on entendait préserver les activités desdits centres en évitant soit leur déménagement (on promettait donc d'empêcher que se reproduise la situation survenue, plusieurs années auparavant, à Winnipeg), soit un rétrécissement qui aurait été l'équivalent d'un démantèlement, ou presque, et n'aurait laissé qu'un squelette.
[194] Cette vision correspondait exactement à celle que proposait Air Canada comme base de sa privatisation ainsi qu'aux engagements pris, en vue de celle-ci, à l'égard des centres de Montréal et de Winnipeg.
[195] Dans l'ensemble, ces débats traduisent donc une volonté qui coïncide exactement avec celle qui émerge du texte et du contexte interne de la Loi : la restriction figurant à l'alinéa 6(1)d), comme celles des autres alinéas, du reste, s'impose à Air Canada de la même façon que si elle était énoncée directement dans la Loi et elle emporte la même obligation, qui ne peut être modifiée sans que la Loi elle-même ne le soit.
[…]
[199] Les centres de Montréal et de Winnipeg sont les centres de révision (« overhaul centres ») que M. Jeanniot décrit ci-dessus, alors que le centre de Toronto est un « grand centre de petit entretien ». Ce sont ces centres, chacun avec leurs activités spécifiques, qu'Air Canada exploite à ce moment-là, qu'on cherche à protéger pour diverses raisons sociales et politiques.
[200] En 1988, Air Canada prévoyait justement de continuer l'exploitation de ses centres de révision de Montréal et de Winnipeg (et celle de son centre d'entretien de Mississauga) et, même, elle s'y engageait, excluant leur fermeture, leur déménagement ou la réduction de leurs activités, tout en se réservant la possibilité d'ouvrir des centres ailleurs (et notamment à Vancouver), pour satisfaire une demande de maintenance lourde potentiellement croissante. C'est cela que démontrent les débats parlementaires et c'est cela que souhaitait consacrer le législateur. Celui-ci entendait également que tout changement au modèle d'affaires de la société nécessite la modification préalable de la Loi, faisant ainsi exception à la Loi sur les sociétés commerciales canadiennes (maintenant Loi canadienne sur les sociétés par actions).
[Nos soulignements]
[184] Au terme d’un « long exercice interprétatif »[210], la Cour d’appel conclut donc que le Jugement Castonguay n’erre pas en statuant que l’alinéa 6(1)d) de la Loi[211] :
[I]mpose à Air Canada l’obligation de maintenir à Montréal et Winnipeg les centres qu’elle y exploitait en 1988, au moment de l’adoption de la Loi, et ce, d’une manière qui en assure la continuité et en préserve l’importance. Par le jeu des articles 2, paragr. (3), et 7, al. B), cette obligation a la même force et le même effet que si le législateur l’avait énoncée directement. […].
[Nos soulignements]
[185] La Cour d’appel ajoute ce qui suit :
[211] Cette proposition, qui découle du texte et du contexte interne de la Loi, est confirmée par une pluralité d'éléments externes, qui confirment également que le législateur, pour des raisons politiques et sociales, entendait éviter un scénario qui s'était déjà produit au Manitoba dans les années 1960 et souhaitait assurer la continuité des activités menées par Air Canada dans ces centres, c'est-à-dire des activités de révision, telles que définies à l'époque, ou l'équivalent.
[212] L'obligation qui résulte de l'article 6(1)d) de la Loi n'est donc pas qu'une obligation sujette seulement à la Loi canadienne sur les sociétés par actions et dont la mise en œuvre dépendrait uniquement des règles, moyens et recours prévus par cette loi.
[213] Cela signifie donc que, puisqu'Air Canada, que ce soit par elle-même ou par l'intermédiaire d'un sous-traitant, n'exploite plus à Montréal et à Winnipeg les centres de révision qu'elle y exploitait précédemment (c.-à-d. qu'elle n'y maintient plus les activités, décrites par le juge de première instance, qu'elle y menait, ou l'équivalent, activités qui ont été transférées largement hors Canada), elle enfreint non seulement ses statuts, mais également la Loi.
[214] Il n'importe pas que la décision d'Air Canada et de ses administrateurs ait été motivée par des raisons qu'on pourrait juger valables du point de vue des affaires. De telles raisons ne peuvent justifier d'enfreindre la loi et ne peuvent faire disparaître la transgression, pas plus qu'elles ne permettent de l'ignorer.
[…]
[217] Bref, la règle de l'appréciation commerciale ne permet pas de désobéir à la loi et n'est pas pertinente à la détermination de l'existence ou de l'inexistence d'une telle violation. Le respect de l'alinéa 6(1)d) de la Loi ne dépend donc pas de l'appréciation que les administrateurs d'Air Canada se font de l'opportunité commerciale, pour la société, de se conformer ou non à cette disposition ou du jugement d'affaires qu'ils portent sur cette question.
[218] Bien sûr, comme la chose a été expliquée plus haut, la mise en œuvre de l'alinéa 6(1)d) suppose, en pratique, qu'une certaine marge discrétionnaire soit laissée à la société et à ses administrateurs : les techniques évoluent, les règles relatives à la maintenance changent, les besoins en main-d'œuvre fluctuent, d'autres centres d'entretien et de révision sont ouverts, etc. La société doit s'adapter à un marché changeant et à des conditions économiques qui le sont aussi. Cette marge, toutefois, ne saurait aller jusqu'à la suppression des centres de Montréal et de Winnipeg ou leur transformation en centres secondaires ou de peu d'importance ou en des lieux où l'on n'effectue pas non plus l'équivalent de ce qui s'y faisait en 1988. Autrement dit, à l'égard de ces centres, la marge d'action laissée à la société et aux administrateurs demeure étroitement balisée par l'alinéa 6(1)d), qui n'autorise pas le changement radical du modèle d'affaires, tel celui qui s'est produit en l'espèce après 2012, en rupture avec le modèle antérieur.
[219] J'ouvre ici une parenthèse : on pourrait même se demander si cette rupture n'a pas commencé à se manifester lorsque, en 2004, la restructuration à laquelle se livre Air Canada en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies mène à la constitution, en entité distincte, d'ACTS, prélude à la mutation subséquente de celle-ci en Aveos et à l'établissement d'un lien de sous-traitance avec cette société. Mais il n'est pas nécessaire de statuer sur ce point, puisque, malgré ce changement de modèle et peut-être grâce à lui, les centres de Montréal et de Winnipeg ont été maintenus. Les intimés ne s'en sont pas plaints, de toute façon, et ce n'est pas ce dont il est ici question.
[220] Finalement, il se peut bien que, dans les faits, la réalité commerciale (ou technique) ait commandé le changement substantiel qu'Air Canada, en 2012, a apporté à ses activités de maintenance : on ne fait plus et peut-être même ne peut-on plus faire en 2012 comme l'on faisait en 1988. La société aurait ainsi poursuivi un objectif commercialement légitime. Cet objectif se heurte toutefois à l'obstacle dirimant de l'alinéa 6(1)d) de la Loi. Seul le législateur (comme il l'a déjà fait en ce qui concerne les al. 6(1)a), b) et c)) peut libérer la société de l'obligation qui lui incombe aux termes de cette disposition, ce qu'il n'a pas fait (ou, du moins, pas encore).
[Nos soulignements]
[186] Quant au seuil minimum d’activités dans les Centres qui permettraient à Air Canada de se conformer à la Loi, la Cour d’appel précise ce qui suit :
[231] À cela, on doit cependant répondre que, vu la nature du litige, la Cour supérieure pouvait difficilement fixer le seuil dont parle Air Canada ou s'aventurer à décrire de manière détaillée les activités que la société doit rapatrier au centre de révision de Montréal. Car si la situation se prête à un constat d'inexécution, il n'est pas simple, en effet, de fixer prospectivement le point à partir duquel on considérera qu'Air Canada se conforme en substance à l'obligation que lui fait l'alinéa 6(1)d) de la Loi.
[232] La difficulté, cependant, est inhérente au débat et, à vrai dire, à l'obligation même que consacre l'alinéa 6(1)d) de la Loi.
[233] L'on a vu plus tôt quelle était la volonté législative à cet égard : assurer la pérennité du centre de Montréal (comme celle du centre de Winnipeg), de façon à ce qu'Air Canada continue d'y faire ce qu'elle y faisait au moment de l'adoption de la Loi, c'est-à-dire principalement des travaux de révision (maintenance lourde, « overhaul »). Le législateur n'en a pas dit davantage. Il n'avait d'ailleurs pas à prescrire le catalogue des activités que devait maintenir la société afin de respecter l'alinéa 6(1)d) et il s'en est donc abstenu. Cela était prudent, vu le caractère évolutif des normes et des pratiques de maintenance, du cadre réglementaire applicable, de l'entreprise même d'Air Canada, etc. Mais, justement à cause de ce caractère évolutif, que le législateur pressentait, on doit comprendre – et c'est bien ce qu'explique le jugement de première instance – que l'alinéa 6(1)d) fixe simplement une sorte de point de comparaison général, à l'aune duquel les activités futures d'Air Canada, même si elles se transforment, devront être jaugées.
[234] Autrement dit, le législateur prescrit le maintien du centre de Montréal (comme de celui de Winnipeg), ce qui implique qu'on y maintienne la substance des activités qu'on y menait en 1988, ou l'équivalent. À partir du moment où les affaires d'Air Canada la mènent à fermer ce centre ou à en réduire les activités de façon à ce qu'elles n'équivaillent plus à celles qui y avaient cours en 1988, elle enfreint la Loi.
[235] Le juge de première instance n'est pas allé plus loin et, ce faisant, a tranché d'une manière suffisamment précise pour qu'Air Canada sache à quoi s'en tenir. Les conclusions du juge constituent par ailleurs un condensé des motifs dans lesquels il explique la portée de l'obligation incombant à Air Canada, motifs qui sont repris et complétés dans le présent arrêt. Cela suffit. Le juge aurait précisé ses conclusions en fixant ici un nombre d'employés ou là un volume d'activités qu'Air Canada aurait pu, à bon droit, se plaindre d'une immixtion indue dans ses affaires.
[…]
[244] Aurait-on pu souhaiter, peut-être, que les conclusions 281 et 283 fassent mention du fait que l'obligation résultant de l'alinéa 6(1)d) est satisfaite par le recours à des « travaux équivalents » à ceux qui avaient cours à l'époque de l'adoption de la Loi? En réalité, cette mention n'est pas nécessaire, car c'est bien cela qui ressort des motifs du juge de première instance et que confirment les présents motifs. La précision est implicite et fait partie intégrante des conclusions du juge, conclusions qu'il ne paraît donc pas utile de modifier.
[Nos soulignements]
[187] En conséquence, la Cour d’appel confirme que depuis la fermeture d’Aveos, Air Canada viole l’alinéa 6(1)d) de la Loi et que seul un amendement législatif peut relever Air Canada de cette obligation légale.
[188] Il importe de mentionner dès à présent qu’Air Canada a confirmé que si le Tribunal ne retient pas son argument fondé sur la chose jugée à l’égard du Jugement Newbould, elle ne remet alors pas en cause les conclusions du Jugement Castonguay et le Jugement CA qui lui seront applicables, sous réserve de son argument fondé sur la nature déclaratoire de l’Amendement législatif de 2016[212].
[189] L’alinéa 6(1)d) de la Loi a été modifié le 22 juin 2016, afin d’alléger l’obligation d’Air Canada de maintenir les Centres.
[190] Dans le cadre de l’étude du projet de loi ayant mené à cet amendement législatif, des débats devant la Chambre des communes et le Sénat ont eu lieu, ainsi que des audiences devant le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités. Certains extraits de ces débats et audiences ont été produits en preuve.
[191] Le 15 avril 2016, une deuxième lecture du projet de loi C-10 a lieu à la Chambre des Communes[213].
[192] Le 20 avril 2016, le ministre des Transports Marc Garneau prendra part au débat[214]. Il évoque un besoin de clarifier la Loi afin d’éviter d’autres litiges[215].
[193] Lors de ces mêmes débats, d’autres intervenants de l’opposition prennent la position que :
193.1. les modifications proposées auraient pour effet de légaliser, à toute fin pratique, la disparition d’emplois canadiens[216];
193.2. la création d’emplois promise par Air Canada ne tient pas compte des emplois perdus lors de la fermeture d’Aveos[217];
193.3. le règlement du litige dont il est fait état contient une réserve importante, soit la conclusion d’ententes définitives entre Air Canada et Bombardier pour l’achat d’appareils de la CSeries[218]. Dans l’intervalle, le litige ne serait que suspendu.
[194] Le 4 mai 2016, monsieur Rovinescu, alors président et chef de la direction d’Air Canada, est entendu[219] et le 7 juin 2016, le débat se déplace au Sénat pour une deuxième lecture du projet de loi C-10[220].
[195] Air Canada prend la position qu’en tout temps pertinent au présent litige, elle s’est conformée à ses obligations au terme de la Loi. Au soutien de sa position, elle soumet les arguments suivants :
195.1. Le Jugement Newbould a acquis l’autorité de la chose jugée à l’égard des parties et le demandeur est forclos de s’adresser à la Cour au présent dossier;
195.2. Subsidiairement, l’Amendement législatif de 2016 est de nature déclaratoire et fait échec aux conclusions du Jugement CA quant à l’interprétation de l’alinéa 6(1)d) de la Loi;
195.3. Subsidiairement, le demandeur commet un abus de procédure en exigeant que soient tranchées à nouveau des questions déjà tranchées par le Jugement Newbould.
[196] De son côté, le demandeur soumet que le Jugement CA dispose de la question de l’interprétation de l’alinéa 6(1)d) de la Loi et de sa violation par Air Canada au cours de la période en litige et qu’Air Canada commet un abus de procédure en soumettant à nouveau cette question au Tribunal.
[197] Ainsi, afin de répondre à la question de savoir si Air Canada a contrevenu à l’alinéa 6(1)d) de la Loi durant la période de mars 2012 à juin 2016, le Tribunal doit notamment déterminer la portée du Jugement Newbould et du Jugement CA au présent dossier, ainsi que la nature déclaratoire ou non de l’Amendement législatif de 2016.
[198] Pour les motifs détaillés ci-dessous, le Tribunal conclut ce qui suit :
198.1. Le Jugement Newbould n’a pas l’autorité de la chose jugée en l’espèce;
198.2. L’Amendement législatif de 2016 n’est pas de nature déclaratoire;
198.3. Ni Air Canada ni le demandeur n’a commis un abus de procédure en soumettant la question de la conformité d’Air Canada à la Loi à l’analyse;
198.4. Air Canada a contrevenu de manière continue à la Loi durant toute la période entre le 18 mars 2012 et le 22 juin 2016.
1.1 L’autorité de la chose jugée
1.1.1 Principes juridiques
[199] L’article 2848 du Code civil du Québec (C.c.Q.) définit ce qui constitue l’autorité de la chose jugée comme suit :
2848. L’autorité de la chose jugée est une présomption absolue; elle n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement, lorsque la demande est fondée sur la même cause et mue entre les mêmes parties, agissant dans les mêmes qualités, et que la chose demandée est la même.
[200] La triple identité des parties, de l’objet et de la cause est donc requise pour que naisse la présomption absolue.
[201] L’autorité de la chose jugée ne lie que les parties à un litige, quant à son objet et sa cause. En ce sens, la question décidée sera définitivement réglée quant aux parties[221]. Cette autorité vaut également pour les décisions rendues dans d’autres provinces[222].
[202] L’autorité de la chose jugée vise le dispositif du jugement. Elle peut s’étendre aux motifs du jugement lorsqu’ils font corps avec celui-ci, ou à la décision implicite qui en découle, c’est-à-dire « ce qui constitue une conséquence nécessaire du dispositif », afin de prévenir l’existence de jugements contradictoires[223]. Par contre, les motifs qui ne sont pas nécessaires pour soutenir le dispositif n’auront pas l’autorité de la chose jugée ni ne pourront faire l’objet d’un appel[224].
[203] La « cause » d’une demande est « le fait juridique ou matériel qui constitue le fondement direct et immédiat du droit réclamé »[225]. La Cour d’appel dans Globe Technologie inc. c. Rochette[226], précise qu’elle « comprend un élément matériel, soit les faits de l’affaire, ainsi qu’un élément formel et abstrait, soit la qualification juridique de ces faits ».
[204] La Cour d’appel dans Ungava Mineral Exploration inc. c. Mullan [227] enseigne que pour déterminer s’il y a identité de cause, il faut se demander si « relativement à l’ensemble factuel en jeu ici, l’effet produit par l’application de la règle de droit invoquée dans la seconde action correspond à l’effet produit par l’application de la règle de droit invoquée dans la première […] ».
[205] Dans l’arrêt Roberge c. Bolduc, la Cour suprême précise que l’essence de la qualification juridique des faits allégués doit être identique pour conclure à l’identité de cause[228]. Il en est ainsi lorsque les deux recours dérivent directement d’un même comportement[229].
[206] La Cour suprême s’exprime comme suit[230] :
D’une part, il est clair qu’un ensemble de faits ne saurait en soi constituer une cause d’action. C’est la qualification juridique qu’on lui donne qui le transforme, le cas échéant, en un fait générateur d’obligations. […]
Il est également clair d’autre part qu’une règle de droit abstraite de la réalité factuelle ne saurait en elle-même constituer une cause d’action. La règle de droit engendre la cause d’action lorsqu’on l’applique à un ensemble factuel donné; c’est par l’exercice intellectuel de la qualification, de la liaison entre le fait et le droit que la cause se révèle. […]
[…] Lorsque l’essence de la qualification juridique des faits allégués est identique sous l’empire de l’une et l’autre des règles, on doit conclure à l’identité de cause.
[Nos soulignements]
[207] Ainsi, l’ensemble factuel doit être essentiellement le même dans les deux cas, la faute doit être constituée des mêmes manquements, ou encore, les mêmes faits doivent être générateurs du droit litigieux[231].
[208] L’« objet » d’une demande est « le bénéfice juridique immédiat qu’on recherche en la formant, soit le droit dont on poursuit l’exécution »[232] ou qu’on veut faire reconnaître[233]. L’identité d’objet a été définie dans l’arrêt de principe de la Cour du Banc du Roi dans Pesant c. Langevin,[234] qui continue d’être suivi en jurisprudence[235], de la manière suivante :
L’objet d’une demande, c’est le bénéfice que l’on se propose d’obtenir en la formulant. L’identité matérielle, c’est-à-dire l’identité d’une même chose corporelle, n’est pas nécessairement exigée. Peut-être force-t-on un peu le sens du mot « objet », mais on admet comme suffisante une identité abstraite de droit. « Cette identité de droit existe non seulement lorsque c’est exactement le même droit qui est réclamé sur la même chose ou sur quelqu’une de ses parties, mais encore lorsque le droit qui fait le sujet de la nouvelle demande ou de la nouvelle exception, sans être absolument identique à celui qui a fait l’objet du premier jugement, en forme néanmoins une partie nécessaire, y est virtuellement compris, comme en étant un démembrement, une suite ou une conséquence essentielle ». En d’autres termes, si deux objets sont tellement connexes que les deux débats qui se font à leur sujet soulèvent la même question concernant l’accomplissement de la même obligation, entre les mêmes parties, il y a chose jugée.
[209] Dans la mesure où, bien que les remèdes recherchés par deux recours soient distincts, ils visent à affirmer un même droit, il y aura identité d’objet[236]. Par ailleurs, l’objet sera nouveau si on demande un droit identique sur une chose différente ou si on demande un droit différent sur une même chose[237].
[210] Enfin, quant à l’identité de parties, elle réfère à une identité juridique plutôt qu’une identité physique[238], ce qui inclut l’identité acquise grâce au mécanisme de la représentation[239].
[211] Quant à la règle du stare decisis ou de l’autorité du précédent[240] :
[47] [Elle] implique l’obligation pour un tribunal de suivre la règle de droit énoncée dans un précédent d’un tribunal supérieur ou de même niveau. Il s’agit d’une norme générale et impersonnelle, assimilable à une disposition législative ou réglementaire.
[48] En droit québécois, un tribunal n’est pas lié par la décision d’un tribunal de même niveau ni même par celle d’une cour d’un niveau supérieur d’une autre province.
[Nos soulignements]
[212] Dans Canada (Procureur général) c. Imperial Tobacco Ltd.[241], la Cour d’appel précise ce qui suit :
[127] L'argument fondé sur le stare decisis est moins exigeant que la chose jugée puisqu'il ne requiert qu'une trame factuelle similaire ou analogue. La règle du stare decisis est un principe « under which a court must follow earlier judicial decisions when the same points arise again in litigation ». Cette règle s'applique bien sûr aux arrêts de la Cour suprême, particulièrement en matière de droit public comme ici, alors que les parties ont participé au débat antérieur sur la question précise en jeu.
[128] La Cour l'a déjà dit par le passé : « Source de stabilité et de structure pour le système juridique, l'autorité du précédent est l'un des fondements de la primauté du droit. Ce principe qui assure au justiciable non seulement une prévisibilité relative par rapport à la prise de décision judiciaire, mais également une protection contre l'arbitraire dans l'exercice de ce pouvoir. »
[Nos soulignements]
[213] Dans R. c. Lapointe[242], la Cour d’appel mentionnait récemment ce qui suit :
[30] La règle du stare decisis provient du droit anglais; elle a pour objet d’assurer la certitude du droit et constitue de fait l’une des assises fondamentales de la common law. Elle favorise la prévisibilité et l’équité tout en écartant l’arbitraire. De même, elle rend la justice plus efficace et économe et décourage la multiplication des procédures judiciaires.
[31] La règle du stare decisis se scinde en deux. Le premier type de stare decisis, dit « vertical » ou « hiérarchique », oblige un tribunal à suivre les précédents d’une juridiction supérieure. Le second, que l'on désigne « horizontal » ou « collégial », s’applique pour les décisions d’une même cour de justice. Il convient de s’intéresser dans un premier temps au stare decisis vertical.
[32] La jurisprudence identifie plusieurs conditions pour l’application du stare decisis vertical. D’abord, la décision établissant le précédent doit provenir d’un tribunal hiérarchiquement supérieur. En effet, la logique inhérente au stare decisis vertical est rattachée en partie au droit d’appel et repose sur une conception essentiellement hiérarchique de l’ordre judiciaire. Cet aspect hiérarchique fait en sorte qu’un tribunal est lié par les décisions d’un autre tribunal qui lui est supérieur et qui fait partie intégrante de la même hiérarchie que celui-ci. C’est ainsi que la Cour supérieure est liée par les arrêts de la Cour et de la Cour suprême du Canada, mais non par ceux d’une autre cour d’appel canadienne, malgré que ceux-ci puissent cependant être persuasifs, sans être liants.
[33] Ensuite, le stare decisis ne s’applique qu’au ratio decidendi de l’arrêt qui sert de précédent, comme le signalait avec force le juge Binnie dans R. c. Henry, notant d’ailleurs que « [l]’objectif est de contribuer à la certitude du droit, non de freiner son évolution et sa créativité. La thèse voulant que chaque énoncé d’un jugement de la Cour soit traité comme s’il s’agissait d’un texte de loi n’est pas étayée par la jurisprudence et va à l’encontre du principe fondamental de l’évolution de la common law au gré des situations qui surviennent ».
[34] La notion de ratio decidendi est donc intrinsèquement liée à la fois à la situation factuelle dans laquelle le litige s'inscrit, ainsi que, en matière d’interprétation législative, au texte de loi qui doit être interprété. En effet, les faits pertinents au litige ne doivent pas pouvoir être raisonnablement distingués de ceux du précédent invoqué; seule une trame factuelle similaire ou analogue entraînera l’application de la règle du stare decisis. Comme le signale la Cour suprême, « un choix d’extraits de motifs n’a aucune force indépendante à moins de tenir compte des points en litige et du contexte de ces extraits ». De même, l’utilisation du stare decisis est hasardeuse lorsque la règle de droit en cause n’est pas la même. Ainsi, en matière d’interprétation législative, l’interprétation d’un autre texte législatif, même s’il s’agit des mêmes mots, ne saurait entraîner l’application du stare decisis. Elle peut tout de même constituer un argument d’interprétation important, même persuasif, mais l’exercice d’interprétation doit tout de même être effectué conformément aux principes reconnus.
[35] Lorsque la règle du stare decisis vertical s’applique et que le tribunal inférieur est en désaccord avec la décision liante du tribunal qui lui est hiérarchiquement supérieur, il peut certes exposer dans ses motifs ce qu’il estime problématique avec le précédent liant, mais il ne peut refuser de l’appliquer.
[Nos soulignements]
[214] Encore plus récemment, la Cour supérieure citant Lapointe précisait ce qui suit[243] :
[68] Recently, in R. v. Lapointe, the Court of Appeal issued a reminder that the rule of stare decisis requires a court to follow the precedents of a higher court. In Lapointe, the trial judge had disregarded a precedent of the Court of Appeal on the basis that this precedent had been superseded by a subsequent decision of the Supreme Court of Canada. The Court of Appeal concluded that in doing so, the trial judge had committed an error of law. The Court stated that stare decisis is a fundamental rule designed to ensure certainty of law and to promote predictability and fairness while discouraging arbitrariness. The rule also makes justice more efficient and economical and discourages the multiplication of legal proceedings.
[69] Thus, the Superior Court is bound by the decisions of the Court of Appeal when the rule of law at issue is the same and the facts relevant to the dispute cannot reasonably be distinguished from those of the precedent relied upon. When the “lower court disagrees with the binding decision of the hierarchically higher court, it can certainly explain in its reasons what it considers problematic with the binding precedent, but it cannot refuse to apply it”.
[70] The principle of stare decisis applies here. In Air Canada, the Court of Appeal applied the same sections of the CPA. The facts at the root of the dispute are indistinguishable.
[71] In any event, the reasoning of the Court of Appeal in Air Canada is sound and has been applied by the Superior Court in subsequent class action proceedings. There is no reason to depart from it.
[215] Cela dit, en droit civil québécois, à plus forte raison en matière de droit privé, la règle du stare decisis n’est pas appliquée avec la même rigueur[244].
[216] L’obiter dictum contenu dans un jugement se situe à l’extérieur de l’application de la règle du stare decisis. Il s’agit d’une observation ou d’une opinion incidente émise par un juge sans qu’elle soit nécessaire pour appuyer sa décision[245].
1.1.2 Discussion
[217] La portion du Jugement Newbould qui est pertinente à la question de la chose jugée est la suivante :
[96] The requirement in ACPPA that Air Canada was to include in its articles an obligation to main[tain] operational and overhaul centres was vague, and no doubt purposely so. I conclude that IAMAW has not established on the record that Air Canada has not on its own maintained operational and overhaul centres in Montreal, Winnipeg and Mississauga.
[97] In summary I find that Air Canada does maintain operational and overhaul centres in those cities by maintaining overhaul operations under its contracts with Aveos and by itself maintaining certain overhaul functions through its line maintenance operations.
[Nos soulignements]
[218] Air Canada soutient que ces conclusions du Jugement Newbould ont l’autorité de la chose jugée à l’égard du demandeur et des membres du Groupe qui étaient représentés par le syndicat de l’AIMTA dans cette autre affaire.
[219] Selon Air Canada, cette identité des parties distingue de manière déterminante la présente instance de la situation dans l’instance en jugement déclaratoire instituée par le Procureur général du Québec et tranchée par le Jugement Castonguay et le Jugement CA.
[220] Il s’agit de déterminer si le prolongement de la réflexion du juge Newbould dans son jugement quant à la conformité possible d’Air Canada à la Loi, tant par le biais des activités transférées à Aveos qu’à travers les activités d’entretien en ligne au Canada, a acquis l’autorité de la chose jugée.
[221] Pour que le Jugement Newbould air un tel effet en l’instance, il doit y avoir identité de parties, de cause et d’objet.
[222] Quant à l’identité de parties, il est vrai que l’une des parties au dossier ayant mené au Jugement Newbould n’est pas la même que celle au dossier ayant mené au Jugement Castonguay et au Jugement CA. La question au présent litige est de savoir si les deux parties au présent dossier sont les mêmes que celles au dossier ayant mené au Jugement Newbould.
[223] Selon Air Canada, le syndicat représente ses membres, soit les employés syndiqués d’Air Canada qui étaient visés par le transfert vers Aveos et qui ont fait ce choix. Ainsi, par le jeu de la représentation, qui suffit à l’identité de parties, les employés syndiqués membres du Groupe seraient liés par le Jugement Newbould.
[224] Le Tribunal conçoit que les membres syndiqués du Groupe étaient, par le biais du syndicat, parties au dossier ayant mené au Jugement Newbould. Il y aurait donc, à leur égard, identité de parties. Cela dit, pour tous les employés non syndiqués membres du Groupe, cette identité n’existe pas.
[225] Si la question de l’identité des parties ne permet d’écarter que partiellement l’autorité de la chose jugée, le Tribunal est d’avis que l’absence d’identité de cause permet de disposer complètement de la question.
[226] Comme précité, la cause comprend un élément matériel, soit les faits de l’affaire, ainsi qu’un élément formel et abstrait, soit la qualification juridique de ces faits. Pour qu’il y ait identité de cause, il faut donc que le contexte factuel allégué et auquel le droit est appliqué par l’instance antérieure soit identique sinon suffisamment similaire. Autrement dit, le jugement doit porter sur la même chose.
[227] La « cause » du litige opposant les parties devant le juge Newbould portait sur le transfert des employés d’Air Canada à Aveos et la délégation des activités d’entretien et de révision dans les Centres, le tout, à la lumière de la situation factuelle prévalant à ce moment.
[228] Le Jugement CA explique d’ailleurs que le contexte soumis au juge Newbould était fort différent. Au niveau de la chronologie, il se situait juste avant le transfert de près de 2000 employés syndiqués d’Air Canada vers Aveos, avec la perspective qu’Aveos exécute l’entretien et la révision des appareils d’Air Canada à même les Centres de révision de Montréal, de Winnipeg, et de Mississauga en lieu et place d’Air Canada.
[229] La fermeture d’Aveos et la cessation définitive des activités d’entretien et de révision des appareils d’Air Canada dans les Centres constituent un changement majeur et, selon le Jugement CA, « capital »[246] dans l’analyse du poids à donner au Jugement Newbould.
[230] Or, en l’espèce, le recours du demandeur porte sur la responsabilité d’Air Canada à l’égard des membres du Groupe, dans un contexte factuel suffisamment similaire, voire identique, à celui analysé par le Jugement CA, et fort différent de celui analysé par le Jugement Newbould.
[231] Ainsi, le Tribunal conclut que le contexte factuel analysé dans le Jugement Newbould fait échec à l’existence de l’identité de cause. Par conséquent, le Jugement Newbould n’a pas l’autorité de la chose jugée en l’instance.
[232] Quant à l’application de la règle du stare decisis, moins exigeante que le principe de l’autorité de la chose jugée, elle n’est d’aucun secours à Air Canada. En effet, le Jugement Newbould étant un jugement d’un tribunal de même niveau d’une autre province, il n’a pas l’autorité de précédent[247]. Qui plus est, pour les raisons précitées, le contexte factuel du litige soumis au juge Newbould était à ce point différent de celui en l’instance qu’il ne peut être considéré comme similaire ou analogue.
[233] Enfin, il y a lieu de conclure, à l’instar du Jugement Castonguay et du Jugement CA, que cette partie de l’analyse du Jugement Newbould constitue, en tout état de cause, un obiter ne liant nullement le Tribunal.
[234] En effet, le juge Newbould annonce comme suit l’analyse qu’il s’apprête à faire :
[60] In light of my previous findings regarding standing and the effect of the release clause, it is not necessary to deal with the argument of IAMAW that Air Canada is not in compliance with its articles of continuance that require that it shall maintain operational and overhaul centres for its aircraft or their components in the City of Winnipeg, the City of Mississauga and the Montreal Urban Community. However, in light of the extensive arguments made in this application, I shall do so: […]
[Nos soulignements]
[235] Il s’agit d’une opinion émise alors que le Jugement a déjà rejeté en entier la position du syndicat. Ce qui motive cette analyse est le fait que l’argument a été plaidé par les parties.
[236] À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que le Jugement Newbould, n’a pas l’autorité de la chose jugée ni celle de précédent en la présente instance. Il constitue un fait dont le Tribunal peut prendre connaissance et en évaluer la valeur probante.
1.2 La nature déclaratoire de l’Amendement législatif de 2016
1.2.1 Principes juridiques
[237] Air Canada soutient que l’Amendement législatif de 2016, adopté le 22 juin 2016, est de nature déclaratoire et a eu pour effet de préciser le sens qu’aurait toujours eu l’alinéa 6 (1) d) de la Loi, plutôt que de simplement modifier sa teneur pour l’avenir.
[238] Elle fonde sa position sur l’arrêt de la Cour suprême dans Régie des rentes du Québec c. Canada Bread Company Ltd.[248] qui mentionne ce qui suit :
[26] Le droit canadien reconnaît qu’il entre dans la prérogative du législateur de jouer un rôle judiciaire et de déterminer par une loi déclaratoire l’interprétation que doivent recevoir ses lois : L.‑P. Pigeon, Rédaction et interprétation des lois (3e éd. 1986), p. 132-133. Comme notre Cour l’a indiqué dans Western Minerals Ltd. c. Gaumont, 1953 CanLII 70 (SCC), [1953] 1 R.C.S. 345, le législateur intervient habituellement ainsi lorsqu’il veut corriger une interprétation judiciaire qu’il estime erronée.
[27] Lorsqu’il adopte une loi déclaratoire, le législateur joue le rôle d’un juge et dicte l’interprétation à donner à ses propres lois : P.‑A. Côté, en collaboration avec S. Beaulac et M. Devinat, Interprétation des lois (4e éd. 2009), p. 609‑610. Pour cette raison, les dispositions déclaratoires relèvent davantage de la jurisprudence que de la législation. Elles s’apparentent à des précédents ayant force obligatoire, telles les décisions judiciaires : P. Roubier, Le droit transitoire : conflits des lois dans le temps (2e éd. 1993), p. 248. Elles peuvent infirmer une décision judiciaire de la même façon qu’un arrêt de notre Cour prévaut sur la jurisprudence de juridictions inférieures sur un point de droit donné.
[28] Il est tout aussi reconnu en droit que les dispositions déclaratoires ont un effet immédiat sur les affaires pendantes et qu’elles font donc exception à la règle générale du caractère prospectif de la loi. L’interprétation imposée par une disposition déclaratoire remonte dans le temps jusqu’à la date d’entrée en vigueur du texte de loi qu’elle interprète, faisant en sorte que ce texte de loi est réputé avoir toujours inclus cette disposition. Cette interprétation est donc considérée comme ayant toujours été la loi : R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 682-683.
[Nos soulignements]
[239] Par contre, une loi déclaratoire a, par définition, une application rétroactive[249]. Il s’agit d’une mesure exceptionnelle et l’on ne devrait pas présumer qu’il était de l’intention du législateur de s’en prévaloir. Le texte de loi doit le décréter expressément ou exiger implicitement une telle interprétation[250].
[240] L’auteur français Roubier, repris par la doctrine, précise que deux traits principaux d’une loi permettraient de conclure au caractère déclaratoire d’une loi, soit si elle « intervient sur un point où la règle de droit est incertaine ou controversée » et si elle « consacre une solution qui aurait pu être adoptée par la seule jurisprudence »[251].
[241] Une loi déclaratoire aura pour effet de préciser un texte de loi antérieur, alors qu’une loi modificatrice aura pour effet de modifier la loi pour l’avenir.
1.2.2 Discussion
[242] Les lois adoptées ou modifiées ont un effet prospectif. Ce n’est qu’exceptionnellement qu’une loi aura un effet rétroactif et le législateur devra le prévoir de manière explicite ou le texte de loi devra l’exiger implicitement.
[243] La question est donc de savoir si l’Amendement législatif de 2016 modifie la Loi pour l’avenir ou si elle est de nature déclaratoire.
[244] En l’espèce, les débats parlementaires permettent de confirmer que le législateur n’avait pas l’intention d’adopter des amendements qui auraient un effet rétroactif ou déclaratoire.
[245] En autres, les exemples suivants des débats, qu’il est pertinent de reproduire, font voir une intention inverse, conforme à la règle :
245.1. Le 15 avril 2016, dans la présentation de la secrétaire parlementaire du ministre des Transports, madame Kate Young, lors de la deuxième lecture du projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada, elle s’exprime comme suit[252] :
Monsieur le Président, j’ai le plaisir d’ouvrir le débat à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada. Ces modifications visent à moderniser la loi et à permettre à Air Canada de suivre plus efficacement l’évolution du marché tout en donnant de l’emploi aux travailleurs du secteur de l’aérospatiale du Canada. Le projet de loi modifie les dispositions de la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada portant sur les centres d’entretien et de révision d’Air Canada.[…]
Comme les députés le savent, le procureur général du Québec a intenté des poursuites contre Air Canada après la fermeture d’Aveos Fleet Performance en 2012, accusant le transporteur de ne pas respecter les dispositions de la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada. À la suite des investissements d’Air Canda dans l’aérospatiale, notamment la maintenance d’aéronefs, le Québec a depuis annoncé son intention d’abandonner les procédures judiciaires.
Cette décision crée pour nous un contexte favorable à la modernisation de la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada, adoptée il y a près de 30 ans pour permettre la privatisation de l’entreprise, ce qui s’est fait en 1989. Je me reporte en particulier à l’alinéa 6(1)d) qui oblige la société à prévoir, dans ses clauses de prorogation,
des dispositions l’obligeant à maintenir les centres d’entretien et de révision dans les villes de Winnipeg et Mississauga et dans la Communauté urbaine de Montréal.
[…]
Le secteur du transport aérien a grandement évolué depuis 1989. Il est maintenant courant, pour les transporteurs aériens du monde, d’externaliser la maintenance de leurs appareils et de répartir leur chaîne d’approvisionnement entre différentes zones géographiques par souci d’efficience. Voilà le contexte concurrentiel dans lequel Air Canada fonctionne. D’autres transporteurs aériens, canadiens et étrangers, ne sont pas assujettis aux mêmes obligations en ce qui a trait à leurs installations de maintenance. Cela veut dire qu’ils peuvent chercher à réaliser des gains d’efficience par des moyens auxquels Air Canada ne peut pas recourir. […]
[Nos soulignements]
245.2. Lors des débats du 18 avril 2016, la secrétaire parlementaire de la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement ajoute ce qui suit[253] :
Près de trois décennies ont passé depuis la déréglementation et le moment est venu de moderniser la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada pour qu’elle reflète l’évolution du secteur de l’aviation. Je pense surtout à l’obligation pour Air Canada, conformément à l’alinéa 6(1)d), d’inclure dans ses clauses de prorogation des « dispositions l’obligeant à maintenir les centres d’entretien et de révision dans les villes de Winnipeg et Mississauga et dans la Communauté urbaine de Montréal ».
Dans le secteur du transport aérien d’aujourd’hui, pour qu’une entreprise survive, il faut que le coût des intrants de sa chaîne d’approvisionnement soit concurrentiel, et cela inclut le coût de l’entretien des appareils.
Air Canada est le seul transporteur, ici et dans le monde, à avoir de telles obligations. Tous les autres transporteurs, y compris les autres transporteurs aériens canadiens, sont libres de tirer parti d’offres concurrentielles pour l’entretien de leurs appareils.
La question de l’entretien des avions de la compagnie fait l’objet d’un litige entre Québec – avec l’appui du Manitoba – et Air Canada depuis des années.
Cela a commencé à la suite de la faillite, en mars 2012, d’Aveos Fleet Performance, un tiers fournisseur de services d’entretien, de réparation et de révision d’aéronefs. Le 17 février dernier, le Québec et Air Canada ont convenu de mettre fin à leurs différends afin de trouver de meilleures solutions.
Le 14 mars, le Manitoba et Air Canada ont annoncé qu’ils travaillaient en collaboration […] pour la création de centres d’excellence en entretien des appareils, l’un à Montréal et l’autre à Winnipeg.
[…]
Le centre d’excellence de Winnipeg devrait générer 150 emplois dès 2017, avec possibilité d’expansion et de création d’un plus grand nombre d’emplois. On parle ici d’un gain net d’emplois.
[…]
Sous sa forme actuelle, la loi a engendré un litige concernant la façon dont elle doit être interprétée. C’est pourquoi le gouvernement propose de modifier la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada afin de dissiper toute ambiguïté quant au fait qu’Air Canada, comme tous les transporteurs aériens, peut faire appel aux meilleurs services d’entretien d’avion qui soient, à prix compétitif, peu importe où ils sont offerts.
[Nos soulignements]
[246] L’honorable Judy A. Sgro, députée libérale de Humber River – Black Creek, s’exprime ainsi sur la question[254] :
Les autres transporteurs canadiens et étrangers ne sont pas assujettis aux mêmes obligations relatives aux installations d’entretien. Cela signifie qu’ils peuvent réaliser des économies qui sont impossibles pour Air Canada, ce qui place la société en situation de désavantage par rapport aux autres. Le projet de loi C-10 permettrait de rétablir l’équilibre. […]
[…] Je pense que notre tâche, en tant que législateurs, consiste à faire en sorte que les entreprises concurrentielles du Canada puissent travailler selon des règles équitables et aient la latitude voulue pour réussir. Elles ne doivent pas être entravées par le cadre législatif et par des choses qui se sont passées en 1989 ou en 1997.
Soyons réalistes. Nous sommes en 2016. Si nous voulons que nos transporteurs nationaux et nos entreprises puissent soutenir la concurrence à plus grande échelle, nous devons les libérer de leurs entraves et leur ouvrir des perspectives.
[Nos soulignements]
[247] Le 20 avril 2016, le ministre des Transports Marc Garneau évoque un besoin de clarifier la Loi afin d’éviter d’autres litiges[255]. Le député d’Outremont accusera le gouvernement de tenter de modifier la Loi de manière rétroactive, sous prétexte de la clarifier[256]. Le ministre évoque aussi le besoin d’offrir, maintenant, à Air Canada une plus grande marge de manœuvre quant aux activités d’entretien de ses appareils afin qu’elle puisse livrer concurrence à armes égales avec ses compétiteurs[257].
[248] Le 4 mai 2016, le président et chef de la direction d’Air Canada est entendu[258] et exprime un désir de faire clarifier la Loi ou fournir une plus grande certitude. Toutefois, ce qui se dégage principalement de ses propos est la volonté de modifier la Loi afin de libérer Air Canada de ses contraintes. On y retrouve les justifications suivantes au changement demandé[259] :
Thank you for allowing me to speak to you today about the importance of modernizing the Air Canada Public Participation Act and, more specifically, about Air Canada’s position on Bill C-10.
[…]
To start, I would like to say that we support this bill, especially because it is designed to allow Air Canada to be more competitive in a global context. The bill recognizes that the airline industry has undergone a dramatic transformation since Air Canada’s privatization nearly three decades ago. It acknowledges that Air Canada is a fully private sector company, owned by private sector interests, operating in a highly competitive global industry. […]
I will say a few words also on the evolution of the industry and the competitive landscape. […]
Low-cost carriers – virtually all of whom outsource aircraft maintenance – also emerged over the last 20 years. Canada’s own WestJet launched in 1996 and today operates with about 40% market share domestically, without any restrictions or obligations whatsoever under its constating documents regarding where it performs maintenance or how many jobs it should directly or indirectly protect.
[…]
Turning to maintenance specifically, until the 1980s, network airlines such as Air Canada generally insourced all aircraft maintenance. The maintenance, repair, and overhaul business – so called MRO – was not the independent and competitive industry it has now become.
Maintenance typically represents 10%-15% of an airline’s costs and it’s one of the largest cost buckets. Outsourcing certain activities to qualified MROs around the world, which actively compete for this work, has become a normal, healthy, and essential development in our capital-intensive, highly competitive, and low-margin business.
[…]
Bill C-10 acknowledges the changes in the industry and provides the greater flexibility and certainty of interpretation Air Canada requires to compete globally. Air Canada will be able to determine, at its commercial discretion, the volume and type of aircraft maintenance it does globally and in Canada, including the work done in Manitoba, Quebec, and Ontario, and who performs this work, based on competitive proposals from suppliers.
No other airlines in Canada – and to our knowledge no other airline in the world – is subject to maintenance restrictions such as those imposed on Air Canada by the act […]. We expect the same flexibility to use our business judgment, because at the end of the day we compete in the same markets for the same customers.
We have concluded settlement agreements with the Government of Quebec and the Government of Manitoba, which should create more aerospace maintenance jobs in Canada. We have agreed to collaborate to help establish centers of excellence in each of these provinces, which should be capable of attracting work from other airlines if competitive.
[…]
The ACPPA was adopted over a quarter century ago, in the context of an air travel industry that was completely different. Hindsight is 20/20, and I mean no disrespect to its framers when I say that it should have accounted for the possibility the industry would change, even if it was not possible to anticipate all eventualities.
[Nos soulignements]
[249] Le 16 mai 2016, le débat se poursuit à la Chambre des communes pour une troisième lecture du projet de loi C-10[260]. Le 1er juin 2016, le député de Newmarket – Aurora soutient le projet de loi et la décision de moderniser la Loi. S’ensuit l’échange suivant avec la députée de Jonquière[261] :
Mme Karine Trudel (Jonquière, NPD) : Madame la Présidente, je remercie mon collègue de son discours.
Le gouvernement dit souvent qu’il favorise les familles, la classe moyenne et les travailleurs. Or, en accélérant et en changeant rétroactivement la loi, il va causer la perte de 2 600 emplois. […]
M. Kyle Peterson : Madame la Présidente, permettez-moi de corriger un peu la prémisse de la question.
Ce projet de loi n’a rien de rétroactif. Il n’a aucun effet rétroactif et rien de ce qu’il annonce ne sera mis en œuvre avant qu’il ne devienne loi. Il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter.
Et puis, je ne suis pas forcément convaincu que nous allons perdre 2 600 emplois. Ce qui me préoccupe, c’est que, si nous n’adoptons pas ces amendements, si nous ne modifions pas cette loi, les pertes seront beaucoup plus importantes. Air Canada devra affronter ses concurrents sur les marchés mondiaux en étant en position de désavantage. Voilà ce que je crains, parce que je suis convaincu qu’il nous en coûtera beaucoup plus que 2 600 emplois si nous ne permettons pas à Air Canada d’affronter ces concurrents à armes égales et fin prête.
[Nos soulignements]
[250] Le 7 juin 2016, le débat se déplace au Sénat pour une deuxième lecture du projet de loi C-10. Les extraits suivants sont pertinents[262] :
Le contexte dans lequel se fait l’entretien des flottes d’aéronefs s’est complètement transformé depuis cette époque. Les appareils sont maintenant si perfectionnés qu’il n’est plus nécessaire d’effectuer un entretien lourd aussi fréquemment. Le matériel, la main-d’œuvre et la R-D sont tous des éléments très coûteux, à tel point que seules les entreprises spécialisées qui sont en mesure d’étaler les coûts entre un grand nombre de clients – autrement dit, celles qui fournissent des services à de nombreux transporteurs aériens – peuvent être rentables. C’est la raison pour laquelle la majorité des lignes aériennes ont maintenant confié l’entretien lourd de leurs appareils à des entreprises spécialisées, et c’est ce que fait Air Canada.
Honorables sénateurs, vous vous souviendrez que, en 2003, Air Canada a dû se placer sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Pour éviter la faillite, elle s’est restructurée et s’est départie de plusieurs de ses divisions, notamment ses services d’entretien lourd. Ceux-ci ont été vendus à des investisseurs privés qui ont formé une nouvelle compagnie nommée Aveos. Celle-ci a continué de faire l’entretien lourd des avions d’Air Canada, mais a aussi, pour assurer sa rentabilité, cherché à faire affaire avec de nouveaux clients, de nouvelles sociétés aériennes. Malheureusement, les résultats ont été mitigés, ce qui fait que, en 2012, Aveos a dû déclarer faillite et fermer ses installations. Alors 2 600 travailleurs se sont retrouvés du jour au lendemain sans emploi, la plupart à Montréal et à Winnipeg. Ce qu’ont vécu ces travailleurs, évidemment, a été extrêmement difficile. On sait que quelques centaines d’entre eux ont pu retrouver un emploi dans le même secteur. Certains ont pris leur retraite, mais beaucoup d’autres ont dû se résigner à trouver un emploi dans un autre secteur à des conditions beaucoup moins avantageuses. D’autres, encore aujourd’hui, sont sans emploi, mais que pouvait-on faire?
On a cherché en vain des acheteurs pour Aveos. Le gouvernement du Canada de l’époque a constaté qu’il ne pouvait rien faire. Certains auraient voulu qu’Air Canada reprenne à son compte l’entretien lourd de ses avions, mais cela aurait entraîné Air Canada vers de nouveaux problèmes financiers.
Sensible au sort des travailleurs mis à pied, le gouvernement du Québec a poursuivi Air Canada devant les tribunaux, l’accusant de violer l’article 6 de la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada, puisqu’elle n’exploitait plus les centres d’entretien, comme elle l’avait promis en 1988.
La Cour supérieure du Québec et, en novembre dernier, la Cour d’appel du Québec ont donné raison au gouvernement québécois. Air Canada a décidé de porter l’affaire devant la Cour suprême.
C’est là que nous en étions au début de l’année, quand des avancées importantes ont été réalisées – des avancées qui constituent d’excellentes nouvelles pour l’industrie aérospatiale du Canada, pour les villes concernées, soit Montréal et Winnipeg, et évidemment, pour les travailleurs. En février, Air Canada a annoncé qu’elle ferait l’acquisition de 45 aéronefs CS300 de Bombardier, avec la possibilité d’en acheter 30 de plus. […] Air Canada a ensuite conclu une entente avec le gouvernement du Québec et s’est engagée à faire effectuer l’entretien lourd de ces appareils dans la province pendant au moins 20 ans. Cet engagement ouvrait la porte à la création au Québec d’un centre d’excellence en maintenance des appareils C Series à Montréal ou ailleurs dans la province pour un certain nombre de lignes aériennes distinctes. Si tout se passe bien, le gouvernement du Québec prévoit que le centre d’excellence créera 1 000 nouveaux emplois sur 15 ans.
En mars, Air Canada et le gouvernement du Manitoba ont signé une entente en vertu de laquelle le transporteur fera venir à Winnipeg trois de ses fournisseurs et partenaires du secteur de la maintenance pour établir de nouveaux services. La mesure créera 150 nouveaux emplois l’an prochain.
Ces décisions se traduiront par des centaines d’emplois dans le secteur de l’aéronautique au Canada. Il y a toutefois un petit problème. Nous devons libérer Air Canada des fers qu’elle porte depuis 30 ans afin de lui permettre de fonctionner dans un contexte moderne, non pas dans l’univers de 1988, des DC-8 et des DC-9, avant l’avènement de Porter et de WestJet. […]
[…] Air Canada n’aura plus l’obligation légale de maintenir les centres d’entretien et de révision qui existaient en 1988.
En vertu du projet de loi, la société s’engagerait « […] à exercer ou à faire exercer des activités d’entretien d’aéronefs […] dans les provinces […] », ce libellé étant moins contraignant que l’original. Le projet de loi précise en outre qu’Air Canada sera en mesure de modifier le type et le volume des activités d’entretien qu’elle mène ainsi que le niveau d’emploi affecté à ces activités.
Ces modifications permettront à Air Canada de jouir de la même souplesse que ses concurrents et d’organiser ses activités d’entretien de façon optimale dans une industrie en pleine évolution.
[…]
Le projet de loi, tel qu’il est rédigé, engage Air Canada à faire l’entretien de ses avions au Canada, dans les trois provinces mentionnées, mais il est vrai qu’il ne l’engage pas à un volume précis. La réalité est que, aujourd’hui, Air Canada fait déjà l’entretien lourd de ses avions à l’extérieur du Canada. Ce qu’elle ne veut pas, c’est au-dessus de la tête une épée de Damoclès légale ad vitam aeternam qui l’obligerait à toujours revenir à des centres d’entretien lourd, tels qu’ils existaient en 1988. Cette épée de Damoclès est encore au-dessus de sa tête. En échange de pouvoir se libérer de cette contrainte de l’ancien monde, elle s’engage à créer deux centres d’excellence d’entretien lourd, un pour les appareils C Series au Québec et un pour les autres appareils à Winnipeg. C’est l’échange dont on parle
[Nos soulignement]
[251] Par ailleurs, l’Amendement législatif de 2016 ne contient aucune mention qui permettrait de conclure à une intention expresse du législateur de lui conférer une nature déclaratoire et de modifier de manière rétrospective l’interprétation de cette disposition telle :
251.1. Qu’exprimée par le législateur au moment de son adoption en 1988;
251.2. Que comprise et appliquée par Air Canada de 1988 à 2012;
251.3. Que confirmée par le Jugement Castonguay et le Jugement CA.
[252] Le Tribunal conclut également que ce qui ressort des débats entourant l’adoption de l’Amendement législatif de 2016 est une volonté de modifier pour l’avenir les obligations d’Air Canada et de la « libérer de ses fers »[263], plutôt que de faire exception au principe de l’effet prospectif des lois et de déclarer que de tels fers n’ont jamais existé. D’ailleurs, la question de l’effet rétroactif possible de l’amendement a fait l’objet de débats spécifiques et le législateur aurait pu décider d’y inclure une telle déclaration. Il ne l’a pas fait.
[253] Ainsi, cet argument d’Air Canada est rejeté.
[254] Le Tribunal ayant rejeté l’argument de la chose jugée et celui de la nature déclaratoire de l’Amendement législatif de 2016, et pour les raisons détaillées au paragraphe 188 du présent jugement, il retient que la position d’Air Canada est qu’elle ne remet pas en cause le Jugement Castonguay ni le Jugement CA, lesquels lui sont applicables.
1.3.1 Principes juridiques
[255] Malgré l’absence de la triple identité requise pour l’application de l’autorité de la chose jugée, une partie pourra se voir interdire de soulever à nouveau une question déjà tranchée dans une autre instance judiciaire à laquelle elle était partie.
[256] En l’espèce, le demandeur invoque l’application de cette doctrine à l’encontre d’Air Canada, partie à l’instance judiciaire ayant mené au Jugement Castonguay et au Jugement CA, et Air Canada l’invoque à l’encontre du demandeur, partie, via l’AIMTA, à l’instance judiciaire ayant mené au Jugement Newbould.
[257] Cette doctrine s’élabore autour du concept de l’abus de procédure commis par la partie qui tente de rouvrir un litige dans des circonstances où la réouverture porterait atteinte aux principes d’économie, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice[264].
[258] La Cour suprême du Canada dans l’arrêt de principe Toronto (Ville) c. S.C.F.P.[265], nous enseigne ce qui suit sur cette doctrine :
258.1. L’abus de procédure a été décrit en common law comme consistant en des procédures injustes au point qu’elles sont contraires à l’intérêt de la justice;
258.2. Cette doctrine fait intervenir le pouvoir inhérent du tribunal d’empêcher que ses procédures soient utilisées abusivement, de manière à discréditer l’administration de la justice;
258.3. Un exemple de l’abus de procédure est lorsqu’un tribunal est convaincu que le litige a essentiellement pour but de rouvrir une question qu’il a déjà tranchée;
258.4. L’attrait de la doctrine de l’abus de procédure provient de ce qu’elle n’est pas alourdie par les exigences précises du principe de l’autorité de la chose jugée tout en ménageant le pouvoir discrétionnaire d’empêcher la remise en cause de litiges, et ce, essentiellement dans le but de préserver l’intégrité du processus judiciaire;
258.5. Dans l’analyse de la question, l’accent sera correctement mis sur le processus plutôt que sur l’intérêt des parties qui révèle pourquoi il ne devrait pas y avoir remise en cause dans un tel cas. À cet égard, la Cour suprême précise ce qui suit[266] :
[51] La doctrine de l’abus de procédure s’articule autour de l’intégrité du processus juridictionnel et non autour des motivations ou de la qualité des parties. Il convient de faire trois observations préliminaires à cet égard. Premièrement, on ne peut présumer que la remise en cause produira un résultat plus exact que l’instance originale. Deuxièmement, si l’instance subséquente donne lieu à une conclusion similaire, la remise en cause aura été un gaspillage de ressources judiciaires et une source de dépenses inutiles pour les parties sans compter les difficultés supplémentaires qu’elle aura pu occasionner à certains témoins. Troisièmement, si le résultat de la seconde instance diffère de la conclusion formulée à l’égard de la même question dans la première, l’incohérence, en soi, ébranlera la crédibilité de tout le processus judiciaire et en affaiblira ainsi l’autorité, la crédibilité et la vocation à l’irrévocabilité.
[52] La révision de jugements par la voie normale de l’appel, en revanche, accroît la confiance dans le résultat final et confirme l’autorité du processus ainsi que l’irrévocabilité de son résultat. D’un point de vue systémique, il est donc évident que la remise en cause s’accompagne de graves effets préjudiciables et qu’il faut s’en garder à moins que des circonstances n’établissent qu’elle est, dans les faits, nécessaire à la crédibilité et à l’efficacité du processus juridictionnel dans son ensemble. Il peut en effet y avoir des cas où la remise en cause pourra servir l’intégrité du système judiciaire plutôt que lui porter préjudice, par exemple : (1) lorsque la première instance est entachée de fraude ou de malhonnêteté, (2) lorsque de nouveaux éléments de preuve, qui n’avaient pu être présentés auparavant, jettent de façon probante un doute sur le résultat initial, (3) lorsque l’équité exige que le résultat initial n’ait pas force obligatoire dans le nouveau contexte. C’est ce que notre Cour a dit sans équivoque dans l’arrêt Danyluk, précité, par.80.
[Nos soulignements]
[259] La doctrine de l’abus de procédure définit dans Ville de Toronto trouve application au Québec[267]. Elle est incluse à l’article 51 al. 2 du Code de procédure civile (C.p.c.) en ce qui a trait à « l’utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable » et au « détournement des fins de la justice »[268].
1.3.2 Discussion
[260] Air Canada fait valoir qu’en remettant en cause le Jugement Newbould, même en l’absence d’une triple identité parfaite, le demandeur commet un abus de procédure et devrait se voir opposer une fin de non-recevoir.
[261] La position d’Air Canada peut se résumer ainsi :
261.1. Même en acceptant les conclusions du Jugement CA quant à l’absence d’identité de cause entre le Jugement Newbould et les procédures en jugement déclaratoire (l’un étant fondé sur le transfert des employés syndiqués d’Aveos et l’autre sur la déconfiture d’Aveos), le demandeur n’est pas libre de faire fi des conclusions du Jugement Newbould en les remettant en cause à nouveau dans le cadre du présent recours[269];
261.2. Ce faisant, le demandeur tente de soulever à nouveau une question déjà tranchée dans une instance devant un autre forum judiciaire à laquelle il était partie, soit qu’Air Canada respectait la Loi uniquement par l’entremise de ses activités d’entretien en ligne[270];
261.3. La stabilité des jugements et la cohérence judiciaire requièrent qu’une partie ne puisse jamais remettre en cause une question déjà tranchée de la sorte et le Tribunal doit intervenir pour sanctionner l’abus en rejetant la procédure du demandeur;
261.4. Selon Air Canada, si l’AIMTA avait institué le recours en jugement déclaratoire en 2012, il aurait forcément été rejeté comme une tentative abusive de contourner les conclusions du Jugement Newbould.
[262] De son côté, le demandeur demande aussi le rejet de la défense d’Air Canada au présent dossier, en ce qu’elle soulève les mêmes arguments que ceux déjà rejetés par le Jugement Castonguay et le Jugement CA, ce qui constituerait un abus de la procédure. Sa position peut se résumer ainsi :
262.1. Air Canada tente de remettre en cause les conclusions de faits et de droit du Jugement Castonguay et du Jugement CA portant sur l’illégalité du comportement d’Air Canada dans la foulée de la déconfiture d’Aveos;
262.2. Le présent recours découle des mêmes faits que le recours en jugement déclaratoire, et d’une preuve plus extensive quant à la conduite d’Air Canada;
262.3. Les conclusions du Jugement Castonguay et du Jugement CA, y compris les motifs de ces jugements indissociables des conclusions constituent le point de départ du présent recours du demandeur et Air Canada ne peut les remettre en cause sans commettre un abus de procédure;
262.4. Les conclusions de l’expert Bernard Adamache, produit par Air Canada, quant à un seuil minimum raisonnable des activités d’entretien d’Air Canada au Canada pour se conformer à la Loi devraient être rejetées à la lumière de l’analyse réellement effectuée par l’expert qui relève davantage d’une tentative de remettre en cause des conclusions du Jugement CA.
[263] Quant au reproche d’Air Canada voulant que, par son recours, le demandeur tente de faire trancher à nouveau une question déjà tranchée par le Jugement Newbould, le Tribunal réfère à son analyse et ses conclusions ci-dessus relatives à l’absence d’identité de cause entre les deux instances, faisant échec au principe de l’autorité de la chose jugée du Jugement Newbould en l’instance[271].
[264] À la lumière du changement majeur dans la situation factuelle survenu dans la foulée de la déconfiture d’Aveos, de même que les motifs et les conclusions du Jugement Castonguay et du Jugement CA qui se prononcent sur ce nouvel état de fait, il appert que le demandeur ne tente pas de faire trancher la même question qui aurait été tranchée par le Jugement Newbould. Le Tribunal en conclut que le recours du demandeur en l’instance ne constitue pas un abus de procédure.
[265] Quant au reproche du demandeur voulant qu’Air Canada, par la présentation de ses moyens de défense, tente de faire trancher à nouveau une question déjà tranchée par le Jugement Castonguay et le Jugement CA, plus particulièrement la conclusion voulant qu’Air Canada viole la Loi depuis la fermeture d’Aveos en dépit de ses activités d’entretien en ligne, le Tribunal conclut qu’il ne s’agit pas non plus d’un abus de procédure, pour les raisons suivantes :
265.1. Air Canada soumet un argument relatif à l’autorité de la chose jugée fondé sur l’identité de parties, argument qui est partiellement différent de ce qui a été plaidé devant la Cour d’appel puisque le demandeur n’était pas partie à cette autre instance;
265.2. Si le Tribunal rejette l’argument relatif à l’autorité de la chose jugée soumis par Air Canada, ce qui est le cas au terme du présent jugement, Air Canada précise clairement qu’elle « ne remet alors pas en cause les conclusions du Jugement Castonguay et du Jugement de la Cour d’appel, lesquelles lui seront alors applicables »[272];
265.3. Bien que le Tribunal ait rejeté l’argument fondé sur la chose jugée, le demandeur n’a pas convaincu le Tribunal qu’il fut en soi abusif. Puisqu’Air Canada, dans ces circonstances, se soumet aux conclusions du Jugement Castonguay et du Jugement CA, et, par le fait même, des motifs qui en sont une partie indissociable, le Tribunal conclut que sa défense ne constitue pas un abus de procédure.
[266] En conséquence, l’argument d’abus de droit procédural est rejeté de part et d’autre.
1.4 Analyse de la violation de la Loi par Air Canada
[267] À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que la question de la violation de l’alinéa 6(1)d) de la Loi par Air Canada, à la suite de la déconfiture d’Aveos est résolue par le Jugement CA, ce qui n’est pas remis en cause par Air Canada, tel que précisé ci-dessus.
[268] De plus, même si le Jugement CA ne lie pas formellement le Tribunal, il n’y a pas lieu de s’en écarter.
[269] Les conclusions de ce jugement, de même que les motifs qui les sous-tendent sont conformes aux conclusions auxquelles en arrive le Tribunal au regard de la preuve administrée en l’instance, quant à l’interprétation à donner à l’alinéa 6(1)d) de la Loi.
[270] En conséquence, le Tribunal retient les éléments suivants quant à l’interprétation à donner à l’alinéa 6(1)d) de la Loi et la violation de cette disposition par Air Canada, comme fondement de l’analyse du recours du demandeur en l’instance :
270.1. Au moment de l’adoption de la Loi en 1988, le législateur, par l’inclusion de l’alinéa d) répond à des impératifs de géopolitique nationale, mais reflète aussi une volonté d'assurer le caractère canadien de la nouvelle société en l'ancrant physiquement dans certaines régions du pays[273];
270.2. Depuis la fermeture d’Aveos, Air Canada ne maintient plus les Centres qu'elle y exploitait au moment de l'entrée en vigueur de la Loi et n'y exerce pas non plus d'activités équivalentes[274];
270.3. Quant à l’interprétation à donner à l’alinéa 6(1)d) de la Loi, la Cour d’appel précise :
270.3.1. Maintenir ou « to maintain », équivaut à assurer la pérennité d'une situation, d'une chose ou d'un état, en l'occurrence celle des Centres exploités par Air Canada dans les villes de Montréal et de Winnipeg (ainsi que de Mississauga)[275];
270.3.2. Maintenir les Centres de Winnipeg, de Mississauga et de Montréal, signifie de les maintenir tels qu'ils existent et sont connus au moment de l'adoption de la Loi[276];
270.3.3. L’intention claire du législateur est d'obliger Air Canada à conserver les Centres de Montréal et de Winnipeg sinon en l'état (celui de 1988), du moins dans leur essence[277];
270.3.4. Le législateur ne peut avoir voulu que les Centres que protège l'alinéa 6(1)d) de la Loi ne soient que des coquilles vides. Maintenir les Centres de Montréal et de Winnipeg ne peut donc signifier qu'une chose, c'est-à-dire les garder en activité, les exploiter, à un niveau d'activités comparable à celui qui y a cours au moment de l'adoption de la Loi[278];
270.4. Quant à la marge de manœuvre donnée à Air Canada dans les activités ayant cours dans les Centres :
270.4.1. La Loi n’impose pas de plancher d’emplois ni de volume d’activités minimal précis. La pérennité voulue n’appelle pas une fixité absolue des activités, considérant notamment que les exigences et les techniques d’entretien et de révision sont appelées à changer[279];
270.4.2. Cette liberté est limitée et ne permet pas d’outrepasser la Loi. Les activités dans les Centres doivent préserver leur essence, conserver en substance, tant quantitativement que qualitativement. Il ne peut y avoir ni fermeture des Centres ni réduction des activités au-delà d’un certain seuil. Air Canada ne peut transformer en centres secondaires, de peu d’importance ou en des lieux où on n’y effectue plus l’équivalent de ce qui s’y faisait en 1988[280];
270.4.3. Les Centres tel qu’ils existent en 1988, avec leurs activités spécifiques, sont ce que le législateur cherche à protéger pour des raisons tant sociales que politiques;
270.4.4. Même si Air Canada poursuit un objectif commercialement légitime, elle ne peut contourner l’obstacle dirimant de l’alinéa 6(1)d) de la Loi[281];
270.4.5. Tout changement du modèle d’affaires d’Air Canada ainsi défini nécessite un amendement législatif.
[271] Ainsi, afin de respecter ses obligations légales, Air Canada devait donc maintenir les Centres, dans l’état de 1988 ou dans leur essence, leur équivalent, à un niveau d’activités comparable, et ce, sans opérer un changement de son modèle d’affaires, ce qu’elle a omis de faire durant la période du 18 mars 2012 au 22 juin 2016.
[272] Toute violation à une loi ne constitue pas nécessairement une faute civile, engageant la responsabilité de son auteur à l’égard des tiers.
[273] La question est de savoir si la contravention d’Air Canada à l’alinéa 6(1)d) entre mars 2012 et juin 2016 constitue une faute civile susceptible d’engager sa responsabilité à l’égard du demandeur et des membres du Groupe.
[274] Pour les motifs détaillés ci-dessous, le Tribunal conclut que la violation de la Loi par Air Canada constitue une faute civile.
[275] La règle générale du régime de la responsabilité civile fondée sur la faute est énoncée à l’article 1457 C.c.Q., qui prévoit ce qui suit :
1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des biens qu’elle a sous sa garde.
[Nos soulignements]
[276] La contravention à une disposition règlementaire ou législative édictant une règle de conduite pourra donc être la source de faute civile dans certaines circonstances.
[277] Les barèmes d’analyse de la question de déterminer si, dans un cas donné, une contravention à une disposition législative constitue aussi une faute de nature à engager la responsabilité de son auteur ont évolué à travers une série d’arrêts de la Cour suprême.
[278] Cette question a d’abord été étudiée dans l’arrêt Morin c. Blais[282] en 1977. Le litige portait sur la contravention d’une règle de signalisation routière comme source d’une
faute civile dans le contexte d’un accident de la route. La Cour suprême s’exprime ainsi[283] :
La simple contravention à une disposition réglementaire n’engage pas la responsabilité civile du délinquant si elle ne cause de préjudice à personne. Mais un bon nombre de ces dispositions concernant la circulation expriment, tout en les réglementant, des normes élémentaires de prudence. Y contrevenir est une faute civile. Lorsque cette faute est immédiatement suivie d’un accident dommageable que la norme avait justement pour but de prévenir, il est raisonnable de présumer, sous réserve d’une démonstration ou d’une forte indication du contraire, qu’il y a un rapport de causalité entre la faute et l’accident.
[Nos soulignements]
[279] Ainsi, selon Morin, si la disposition législative violée édicte une norme élémentaire de prudence, y contrevenir constituera une faute civile et l’accident qui suit immédiatement la violation de la règle sera présumé avoir été causé par cette faute.
[280] En 2008, la question est étudiée à nouveau par la Cour suprême dans des circonstances différentes, dans Ciment du Saint-Laurent c. Barrette[284]. L’application des enseignements de Morin est limitée[285].
(3) Faute et contravention à la loi
[32] Les normes prévues par la loi et la réglementation imposent aussi des limites aux droits et à leur exercice. On en retrouve de nombreux exemples dans le Code civil du Québec, les règles de zonage ou les normes environnementales. Se pose alors la question du rapport entre la contravention à la loi et la responsabilité civile.
[33] Comme nous l’avons rappelé plus haut, le régime général de responsabilité civile énoncé à l’art. 1457 C.c.Q. est basé sur la faute (Baudouin et Deslauriers, p. 149). « C’est un concept universel, car il s’applique chaque fois qu’une victime invoque la responsabilité d’un auteur en vertu du régime général » de l’art. 1457 C.c.Q. (P.-G. Jobin, « La violation d’une loi ou d’un règlement entraîne-t-elle la responsabilité civile? » (1984), 44 R. du B. 222, p. 223). On doit, pour répondre à cette question, analyser les normes prévues par la loi et la réglementation, souvent qualifiées de « normes législatives », à la lumière du concept fondamental de faute civile.
[34] En droit civil québécois, la violation d’une norme législative ne constitue pas en soi une faute civile (Morin c. Blais, 1975 CanLII 3 (CSC), [1977] 1 R.C.S. 570; Compagnie d’assurance Continental du Canada c. 136500 Canada inc., [1998] R.R.A. 707 (C.A.), p. 712; Jobin, p. 226). Il faut encore qu’une infraction prévue pour un texte de loi constitue aussi une violation de la norme de comportement de la personne raisonnable au sens du régime général de responsabilité civile de l’art. 1457 C.c.Q. (Union commerciale Compagnie d’assurance c. Giguère, [1996] R.R.A. 286 (C.A.), p. 293). La norme de la faute civile correspond à une obligation de moyens. Par conséquent, il s’agira de déterminer si une négligence ou imprudence est survenue, eu égard aux circonstances particulières de chaque geste ou conduite faisant l’objet d’un litige. Cette règle s’applique à l’évaluation de la nature et des conséquences d’une violation d’une norme législative.
[…]
[36] Au Québec, l’art. 1457 C.c.Q. impose à chacun le devoir général de respecter les règles de conduite qui s’imposent en tenant compte des lois, usages ou circonstances. Par conséquent, le contenu d’une norme législative pourra influer sur l’appréciation de l’obligation de prudence et diligence qui s’impose dans un contexte donné. Dans le cadre d’une action en responsabilité civile, il appartiendra au juge de déterminer la norme de conduite applicable eu égard aux lois, usages et circonstances, dont la teneur pourrait se refléter dans les normes législatives pertinentes.
[Nos soulignements]
[281] Il se dégage ce qui suit de cet arrêt de principe :
281.1. L’analyse de la norme législative doit se faire « à la lumière du concept fondamental de faute civile »;
281.2. La violation d’une norme législative ne constitue pas en soi une faute civile;
281.3. L’infraction prévue à la loi doit constituer aussi une violation de la norme de comportement de la personne raisonnable au sens de l’article 1457 C.c.Q.;
281.4. La norme de la faute civile correspond à une obligation de moyens;
281.5. Il s’agit de déterminer si une négligence ou une imprudence est survenue, eu égard aux circonstances particulières de chaque geste ou conduite faisant l’objet du litige;
281.6. Le contenu d’une norme législative pourra influer sur l’appréciation de l’obligation de prudence et de diligence qui s’impose dans un contexte donné;
281.7. Il appartient au juge de déterminer la norme de conduite applicable eu égard aux lois, usages et circonstances, dont la teneur pourrait se refléter dans les normes législatives pertinentes.
[282] En 2019, la Cour suprême est à nouveau appelée à se prononcer sur la notion de faute civile en relation avec une contravention à une norme législative dans Kosoian c. Société de transport de Montréal[286]. Elle précise ce qui suit :
[42] En droit civil québécois, l’art. 1457 C.c.Q. impose à toute personne « le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui ». Une faute civile extracontractuelle survient lorsqu’une personne douée de raison manque à ce devoir en se comportant d’une manière qui s’écarte de la conduite qu’une personne raisonnable, prudente et diligente aurait eue dans les mêmes circonstances […]. En ce sens, la faute est un « concept universel » qui s’applique à toute action en justice fondée sur l’art. 1457 C.c.Q. (Ciment du Saint-Laurent, par. 33, citant P.‑G. Jobin, « La violation d’une loi ou d’un règlement entraîne-t-elle la responsabilité civile? » (1984), 44 R. du B. 222, p. 223).
[43] La norme de conduite dont le respect est attendu de la personne raisonnable correspond à une obligation de moyens […]. Le régime général de la responsabilité civile extracontractuelle n’exige pas « l’infaillibilité totale » ni d’ailleurs le « comportement d’une personne douée d’une intelligence supérieure et d’une habileté exceptionnelle, capable de tout prévoir et de tout savoir et agissant bien en toutes circonstances » (Baudouin, Deslauriers et Moore, vol. 1, no 1-195).
[44] Il va de soi, par ailleurs, que le critère de la personne raisonnable prend en compte la nature de l’activité en cause. […]
[47] Le contenu des règles de droit qui encadrent le travail des forces policières définit, dans une certaine mesure, l’étendue de « l’obligation de prudence et diligence qui s’impose dans un contexte donné » (voir Ciment du Saint-Laurent, par. 36). Dans le cadre d’une action en responsabilité civile, le tribunal sera ainsi appelé à apprécier la conduite du policier à la lumière des balises fixées notamment par les textes constitutionnels et quasi-constitutionnels, les lois criminelles et pénales, les lois constitutives des corps policiers et leurs codes de déontologie […].
[48] La transgression de telles règles de conduite législatives ou réglementaires pourra souvent, sauf circonstances particulières, être assimilée à une faute civile […]. Ce sera particulièrement le cas lorsqu’une disposition exprime elle-même une norme élémentaire de prudence ou de diligence […].
[49] En d’autres termes, même si la personne raisonnable doit bien sûr se conformer aux règles de conduite qu’impose la loi, comme le rappelle d’ailleurs l’art. 1457 al. 1 C.c.Q., ces règles ne créent pas, au regard du régime général de la responsabilité civile, des obligations de résultat (voir, au sujet de cette notion, Crépeau, p. 11-12). Dans Ciment du Saint-Laurent, la Cour a rejeté la thèse selon laquelle la violation de règles législatives ou réglementaires constitue une « faute civile » objective, qui imposerait une forme de responsabilité stricte, indépendamment de la prudence et de la diligence dont a fait montre l’auteur du préjudice eu égard aux circonstances: […]
[50] En droit civil québécois, il ne suffit pas de démontrer l’illégalité de la conduite du policier. L’obligation qui incombe à ce dernier demeure une obligation de moyens, même lorsque le respect de la loi est en cause. Pour obtenir réparation, le demandeur doit d’abord établir l’existence d’une faute au sens de l’art. 1457 C.c.Q., c’est-à-dire un écart par rapport à la conduite du policier raisonnable placé dans les mêmes circonstances. Le régime général de la responsabilité civile n’est pas pour autant laxiste. Comme je l’expliquerai ci-dessous, la norme de conduite attendue des policiers est à juste titre élevée : un policier qui agit illégalement ne pourra aisément échapper à toute responsabilité civile en soulevant son ignorance du droit ou sa compréhension erronée de celui-ci.
[…]
[64] En clair, un policier commet parfois une faute civile s’il adopte une conduite illégale, même si celle-ci est par ailleurs conforme aux formations et aux instructions reçues, aux politiques, directives et procédures en place et aux pratiques usuelles. Tout est affaire de contexte : il faut se demander si un policier raisonnable aurait agi de la même manière. Conséquemment, en appréciant la conduite d’un policier, le tribunal doit « accorder une grande importance aux circonstances externes » et « éviter la vision parfaite que permet le recul » […].
[65] À cet égard, j’insiste sur le fait que la conduite du policier doit être appréciée en fonction du droit en vigueur au moment des faits (Hill, par. 73; St-Martin, par. 94; L.(J.), par. 5; Communauté urbaine de Montréal c. Cadieux, [2002] R.J.D.T. 80 (C.A. Qc), par. 39-41). On pourrait difficilement lui reprocher d’avoir appliqué une disposition présumée valide, applicable et opérante à l’époque pertinente (Guimond c. Québec (Procureur général), 1996 CanLII 175 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 347, par. 14).
[…]
[93] Contrairement aux juges majoritaires en appel, j’estime que les circonstances de la présente affaire, y compris les formations que l’agent Camacho a reçues, ne peuvent rendre sa conduite raisonnable. Certes, selon le jugement de première instance, la STM enseignait aux policiers que désobéir au pictogramme indiquant de tenir la main courante constituait une infraction (par. 210-211 et 270). Comme je l’ai expliqué précédemment, de telles formations doivent être prises en compte dans l’appréciation de la conduite d’un policier. Cependant, recevoir une formation n’autorise pas les policiers à mettre leur propre jugement en veilleuse. En l’espèce, la vue même du pictogramme devait au moins soulever un doute, dans l’esprit du policier raisonnable, quant à l’existence d’une infraction, et ce, en dépit de la formation reçue.
[94] Dans les circonstances, et devant les protestations de madame Kosoian, l’agent Camacho ne pouvait raisonnablement être certain d’agir dans le cadre de ses pouvoirs. Il aurait dû s’abstenir de lui remettre un constat d’infraction, quitte à effectuer par la suite des vérifications additionnelles quant à la signification du pictogramme et à la portée du règlement. […]
[Nos soulignements]
[283] Ainsi, comme le précise la Cour suprême, la transgression de règles de conduite législatives ou réglementaires pourra souvent, sauf circonstances particulières, être assimilée à une faute civile. Ce sera particulièrement, mais non exclusivement le cas si la disposition législative édicte elle-même une norme élémentaire de prudence et de diligence.
[284] Néanmoins, pour conclure à une faute civile, il y a lieu d’examiner la question de savoir si en contrevenant à la norme législative, la personne fautive a agi ou non comme une personne raisonnablement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances. Ceci implique de :
284.1. Prendre en compte le contenu des normes législatives applicables et leur impact sur l’étendue de l’obligation de prudence et diligence qui s’impose dans un contexte donné et qui prend en compte la nature de l’activité en cause;
284.2. Apprécier la conduite, en accordant une grande importance aux circonstances externes et éviter la vision parfaite que permet le recul;
284.3. Déterminer la norme de conduite applicable, eu égard aux lois, usages et circonstances, dont la teneur pourrait se refléter dans les normes législatives pertinentes. Il s’agit donc de déterminer si une négligence ou imprudence est survenue dans les circonstances particulières de chaque geste ou conduite faisant l’objet d’un litige. Cette règle s’applique à l’évaluation de la nature et des conséquences d’une violation d’une norme législative.
[285] Lorsqu’une entreprise est assujettie à une loi réglementant spécifiquement ses affaires, comme c’est le cas en l’espèce, les obligations créées par une telle loi s’ajouteront aux obligations imposées par le droit commun, à moins d’une disposition législative expresse à l’effet contraire[287].
2.2 Discussion
[286] Air Canada est assujettie, en plus des règles de droit commun s’imposant à tous, aux obligations spécifiquement prévues dans la Loi ayant autorisé sa privatisation.
[287] Il s’agit de déterminer si la contravention à la Loi constitue une faute au sens de l’article 1457 C.c.Q.
[288] Comme discuté précédemment, l’aspect contraignant de l’obligation qui est faite à Air Canada à l’alinéa 6(1)d) de la Loi de maintenir les Centres est confirmé par le Jugement CA, qui en détaille l’intensité.
[289] D’ailleurs, il appert de la conduite d’Air Canada entre 1988 et 2012, de même que du témoignage de certains représentants d’Air Canada dans le passé[288] et de son expert, monsieur Adamache[289], que cette obligation législative a été la raison principale pour laquelle Air Canada, plutôt que de suivre l’évolution du modèle d’affaires dans l’industrie, s’est astreinte à faire faire l’entretien et la révision de ses aéronefs dans les Centres.
[290] Dans l’analyse de cette question, il y a lieu de déterminer si l’obligation contenue à l’alinéa 6(1)d) a un impact sur l’étendue de l’obligation de prudence et de diligence qui s’impose à Air Canada dans le contexte de la cessation des activités d’Aveos et qui prend en compte la nature de l’activité en cause, soit l’entretien et la révision de ses aéronefs.
[291] Tant le libellé de l’alinéa 6(1)d) de la Loi que l’interprétation que lui a donné Air Canada au cours des 2 décennies qui précèdent la fermeture d’Aveos, ce qui implique également les coûts et contraintes que la conformité à cette obligation imposait, confirment que cette obligation législative impacte de manière importante et ajoute à la norme de conduite que doit adopter Air Canada à l’égard de l’activité d’entretien et de révision de ses aéronefs.
[292] Se pose alors la question de savoir si Air Canada a commis une négligence ou imprudence, eu égard aux circonstances particulières de chacun de ses gestes ou conduites lorsque, au lendemain de la cessation des activités par Aveos, elle n’a pas, dans les faits, maintenu les Centres en service.
[293] Il appert de la genèse de l’alinéa 6(1)d) de la Loi que l’intention du législateur, en imposant cette obligation exorbitante du droit commun à Air Canada, était de préserver l’expertise canadienne découlant des compétences développées par les travailleurs spécialisés qui œuvraient dans les Centres[290] et de maintenir ces emplois dans les villes prescrites, malgré la privatisation d’Air Canada[291].
[294] Si une telle obligation ne semblait pas contraindre Air Canada outre mesure en 1988 au moment de son adoption, tel qu’il appert notamment des représentations de son président et chef de la direction de l’époque lors des débats parlementaires[292], la situation a changé radicalement par la suite, vu l’évolution de l’industrie et du marché et la capacité des transporteurs aériens de bénéficier d’économies importantes en sous-traitant les activités d’entretien et de révision à l’externe et dans des pays où le coût de la main-d’œuvre est de beaucoup inférieur[293].
[295] Cela dit, la disposition législative est demeurée inchangée et Air Canada s’y est conformée jusqu’en mars 2012.
[296] Or, les conséquences que cette disposition législative avait pour objet d’éviter, soit la fermeture définitive des Centres et la perte des emplois spécialisés dans les villes prescrites, se sont matérialisées dans une grande mesure, même en tenant pour acquis que certains employés se sont éventuellement trouvé un emploi ailleurs, auprès d’un autre employeur, dans un domaine lié et qu’éventuellement, certaines activités limitées ont été confiées à d’autres entreprises au Canada.
[297] Cela dit, une chose demeure : depuis le 18 mars 2012 et pour toute la période en litige, le volume des activités d’entretien et de révision confié par Air Canada à Montréal et Winnipeg est insignifiant en comparaison de ce qui se faisait dans les Centres de 1988 à mars 2012.
[298] Bien que l’objectif législatif derrière l’obligation faite à Air Canada ait été clairement identifié par le législateur et compris et accepté par Air Canada au moment d’accéder à la privatisation[294], et que la contravention d’Air Canada à cette obligation ait causé la matérialisation des effets indésirables qu’elle avait pour but d’éviter, le Tribunal ne peut en conclure que l’obligation contenue à l’alinéa 6 (1)d) constituait une norme de prudence élémentaire dont la simple transgression équivaut à une faute civile.
[299] Cela dit, l’analyse du contexte global et des circonstances particulières dans lesquelles la contravention d’Air Canada à la Loi a eu cours de mars 2012 à juin 2016 convainquent le Tribunal qu’Air Canada n’a pas agi de manière raisonnablement prudente et diligente dans les circonstances.
[300] Air Canada n’a pas pris les moyens raisonnables pour se conformer à la Loi, tel qu’il appert des éléments de preuve suivants à l’effet qu’Air Canada :
300.1. A indiqué clairement, dans les jours suivant la cessation des activités d’Aveos, qu’elle n’avait aucune intention de racheter Aveos ou de rembaucher les employés directement afin de remettre les Centres en service[295]. Cette décision répondait à des considérations économiques et stratégiques propres à Air Canada[296];
300.2. N’a pas, avant la fermeture d’Aveos, intégré à ses appels de proposition pour le remplacement de fournisseur des services d’entretien de ses appareils, de manière systématique et non équivoque, l’obligation d’effectuer quelques activités que ce soit à Montréal, Winnipeg et Mississauga, ni même plus largement au Canada, dans un souci de se conformer à ses obligations légales;
300.3. N’a pas, après la fermeture d’Aveos, exigé de ses nouveaux fournisseurs de services d’entretien de ses appareils, l’obligation d’effectuer les activités au Canada, dans les villes identifiées à la Loi et encore moins dans les Centres;
300.4. A laissé aux fournisseurs potentiels le loisir de choisir l’endroit d’exécution des travaux d’entretien, en précisant que l’objectif premier d’Air Canada était d’atteindre des économies substantielles, ce qui rendait pratiquement illusoire que le choix s’arrête sur les Centres, dans le contexte de cette industrie en 2012;
300.5. Même après l’analyse des soumissions reçues, n’a jamais envisagé ni fait de démarche pour pourvoir elle-même au maintien des Centres, en l’absence de sous-traitants disposés à le faire;
300.6. A finalement conclu des ententes avec des fournisseurs en acceptant que la quasi-totalité des travaux soient exécutés en dehors du Canada, et, en tout état de cause, ailleurs que dans les Centres, le tout lui permettant de bénéficier des économies colossales[297] annoncées lors du processus d’appel de propositions;
300.7. N’a posé aucun geste afin de rapatrier le certificat nécessaire des autorités réglementaires lui permettant de réaliser les activités transférées à Aveos, cette procédure requérant, de l’avis de l’expert d’Air Canada, un délai de six à huit mois.
[301] Ce qui ressort de la preuve est qu’Air Canada s’est déresponsabilisée de son obligation de maintenir les Centres en fonction, remettant sur les épaules de ses fournisseurs le choix de supporter ou non ce fardeau.
[302] Or, le fait que le recours à la sous-traitance de ces services ait été jugé acceptable pour permettre à Air Canada de se conformer à son obligation légale ne la libère pas pour autant de cette obligation lorsque le sous-traitant cesse d’agir. Aveos n’a jamais été soumise à l’obligation contenue à l’alinéa 6(1)d). En tout temps pertinent, c’est Air Canada qui y est demeurée assujettie.
[303] Ainsi, au lendemain de la déconfiture d’Aveos et malgré cette déconfiture, Air Canada devait agir de manière prudente et diligente pour se conformer à la norme de conduite qui s’impose à elle, soit celle prévue à la Loi, ce qu’elle a omis de faire. Ce faisant, sa conduite est fautive et entraîne sa responsabilité.
[304] Air Canada expliquera sa conduite par le fait qu’elle entretenait la croyance sincère qu’elle se conformait à la Loi en poursuivant uniquement l’entretien en ligne de ses appareils au Canada. Elle se serait fondée sur la portion précitée du Jugement Newbould pour changer sa position historique quant au degré d’activités requis pour maintenir les Centres et se conformer à la Loi. Tel que mentionné ci-dessus, ce jugement n’a pas l’autorité de la chose jugée en l’instance. De plus, le Tribunal fait siennes l’analyse et les conclusions du Jugement CA concluant à l’opposé, lorsque confronté à la situation factuelle où les Centres ne sont plus en service et doivent être véritablement exclus de l’analyse de la conformité d’Air Canada à la Loi.
[305] Pour se justifier de n’avoir rien fait au lendemain de la cessation des activités d’Aveos, Air Canada se fonde aussi sur l’opinion juridique précitée, émise par Justice Canada le 28 mars 2012, à l’effet suivant :
305.1. L’alinéa 6(1)d) requiert uniquement que les statuts d’Air Canada incorporent les dispositions mentionnées à l’alinéa 6(1)d) et non qu’Air Canada maintienne les Centres dans les trois villes identifiées[298];
305.2. La question est donc de savoir si Air Canada se conforme à ses statuts en maintenant ses opérations d’entretien de ligne, en l’absence d’Aveos;
305.3. Le Jugement Newbould traite de la conformité d’Air Canada, bien que cette question n’avait pas à être tranchée;
305.4. Les chances de succès d’un recours contre Air Canada, en vertu de la LCSA, sont faibles. Un amendement législatif forçant Air Canada à exécuter l’ensemble de ses travaux d’entretien et de révision au Canada ou de conserver des niveaux historiques de travail d’entretien et de révision au Canada est susceptible de soulever des problèmes sur le plan du commerce extérieur[299].
[306] Toutefois, tel que mentionné ci-dessus, l’auteur de cette opinion précisera, dès le 29 mars 2012, que si un recours était institué, contestant la conformité d’Air Canada à la Loi à la suite de la fermeture d’Aveos : « there is nothing to stop a court from independently finding that after a complaint is brought »[300].
[307] Enfin, en avril 2012, le Procureur général du Québec institue les procédures en jugement déclaratoire, demandant de déclarer que depuis la fermeture d’Aveos, Air Canada contrevient à la Loi et qu’elle doit continuer d’exécuter ou de faire exécuter les travaux d’entretien et de révision dans les Centres. Cette procédure alléguait notamment ce qui suit[301] :
307.1. La cessation des activités d’Aveos place Air Canada en contravention avec les obligations légales contenues à la Loi en ce qu’elle ne maintient plus à Montréal de centre de révision;
307.2. Air Canada a confirmé par écrit le 11 avril 2012 que selon elle, elle se conforme à la Loi en maintenant les activités d’entretien en ligne, sans y effectuer la révision des composants, moteurs et cellules;
307.3. Or, la portée de l’obligation légale vise à effectuer l’entretien et la révision des composants, moteurs et cellules des appareils, notamment à la lumière des précisions et positions exprimées par différents intervenants lors de l’adoption de la Loi en 1988;
307.4. Aveos ayant cessé ses activités, il appartient toujours à Air Canada de voir à s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de la Loi.
[308] En conséquence, agissant de manière prudente et diligente, Air Canada ne pouvait plus se fier entièrement à ces éléments, maintenant contestés judiciairement, et continuer d’entretenir sincèrement cette conviction qu’elle se conformait à la Loi.
[309] Un débat judiciaire s’entamait précisément sur cette question, avec les risques qu’ils comportaient pour Air Canada. Par ailleurs, une erreur dans l’interprétation d’une loi ou encore l’ignorance de la loi ne constitue pas une excuse ni une défense à sa violation.
[310] Le Tribunal retient aussi qu’Air Canada n’a pas modifié sa conduite ni à la suite du Jugement Castonguay en février 2013 ni du Jugement CA en novembre 2015. Elle a plutôt opté pour la recherche d’un amendement législatif[302], qu’elle obtiendra, mais qui ne la libérera finalement que le 22 juin 2016.
[311] L’obligation d’Air Canada de maintenir les Centres à Montréal, Winnipeg et Mississauga en est une de moyens. Or, à la lumière de ce qui précède, il appert qu’Air Canada n’a effectué aucune démarche raisonnablement sérieuse pour se conformer à la Loi à la suite de la fermeture d’Aveos.
[312] En conséquence, le Tribunal conclut que la violation continue de la Loi par Air Canada durant la période de mars 2012 à juin 2016 constitue une faute civile au sens de l’article 1457 C.c.Q., de nature à engager sa responsabilité.
[313] Le demandeur reproche également à Air Canada d’avoir orchestré la déconfiture d’Aveos, de manière intentionnelle et de mauvaise foi, ce qui a eu pour résultat de la placer, dans les faits, en contravention de l’alinéa 6(1)d) de la Loi. Cette seconde faute reprochée inclut, mais est plus large que la première.
[314] Ainsi, selon le demandeur, Air Canada aurait intentionnellement provoqué la fermeture d’Aveos, la perte des emplois de ses travailleurs et la cessation des activités d’entretien et de révision des aéronefs d’Air Canada dans les Centres et devrait être trouvée responsable des dommages qui découlent de cette conduite fautive, y compris des dommages punitifs.
[315] Selon le demandeur[303], la conduite d’Air Canada est fautive en ce que :
315.1. Elle a mis en marche un stratagème visant à remplacer Aveos à titre de fournisseur exclusif d’Air Canada en violation de leurs ententes d’exclusivité une fois la transition de ses employés complétée;
315.2. Elle a diminué substantiellement les travaux confiés à Aveos rapidement après cette transition des employés et a retenu d’importantes sommes qu’elle lui devait, lui causant des difficultés financières qui l’ont forcée à demander la protection de la LACC;
315.3. Elle ne pouvait ignorer que la déconfiture d’Aveos la placerait en violation de la Loi;
315.4. Elle a dissimulé la fin prochaine de l’entretien effectué au Canada lors de l’audience devant le juge Newbould;
315.5. Elle a renié les engagements publics qu’elle a pris de conserver cet entretien au Canada.
[316] Le Tribunal conclut, pour les motifs détaillés ci-dessous, que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer, selon la balance des probabilités, que la déconfiture d’Aveos ait été causée par la mauvaise foi ou la faute intentionnelle d’Air Canada.
[317] Toute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi[304]. Cette conduite est attendue dans toute relation, qu’elle soit contractuelle ou extracontractuelle[305].
[318] Dans l’arrêt Houle c. Banque Canadienne Nationale[306], la Cour suprême du Canada précise ce qui suit quant à cette conduite:
Il peut également y avoir coexistence des responsabilités contractuelle et délictuelle dans le cas où des tiers sont en cause. Le fait que deux parties aient contracté ne les met pas à l'abri de la responsabilité extra-contractuelle qu'elles peuvent encourir à l'extérieur de la sphère contractuelle.
[319] La bonne foi s’oppose à une conduite qui est excessive et déraisonnable[307], ou sans considération pour les intérêts d’autrui, ou encore une conduite entreprise avec l’intention de nuire à autrui.
[320] La bonne foi se présume et il appartient à celui qui allègue la mauvaise foi d’en faire la preuve. Il s’agit d’un lourd fardeau.
[321] Une faute intentionnelle réfère à une conduite « animée d’une intention de nuire, qui vise donc, de façon délibérée et volontaire, à causer le préjudice »[308]. Par contre, une faute non voulue résultant d’une négligence ou imprudence ne sera pas considérée comme une faute intentionnelle[309].
3.2 Discussion
[322] Il y a lieu de revoir chacun des éléments soulevés par le demandeur à l’appui de sa prétention.
3.2.1 Mise en marche d’un stratagème visant à remplacer Aveos à titre de fournisseur exclusif d’Air Canada en violation de leurs ententes d’exclusivité une fois la transition de ses employés complétée
[323] La dernière étape du transfert des employés d’Air Canada vers Aveos s’est concrétisée en juillet 2011. Les parties reconnaissent qu’à ce moment, il existe une relation d’interdépendance entre les entreprises, Aveos étant tenue contractuellement d’effectuer la quasi-totalité des travaux d’entretien et de révision des appareils d’Air Canada.
[324] Selon le demandeur, à la suite de ce transfert, alors qu’Air Canada n’avait plus de lien d’emploi avec les travailleurs, elle aurait mis en marche une stratégie visant à remplacer Aveos à titre de fournisseur exclusif, avec pour objectif la réalisation d’économies très importantes.
[325] Au soutien de sa position, le demandeur réfère notamment à ce qui suit :
325.1. Air Canada a mis en œuvre un programme de réduction des coûts à grande échelle afin d’augmenter sa compétitivité et sa rentabilité[310]. Les objectifs de réduction des coûts pour 2012 étaient de 500 M$;
325.2. Air Canada est au fait que le coût de la main-d’œuvre transférée à Aveos et engagée dans les travaux d’entretien et de révision est plus élevé que le marché;
325.3. Les contrats de service entre Air Canada et Aveos viennent à échéance à compter de juin 2013;
325.4. Aveos a besoin des revenus associés à ces contrats jusqu’à leur échéance et a besoin de temps pour mettre en œuvre le plan stratégique élaboré par son nouveau président de l’époque, monsieur Kolshak;
325.5. Air Canada lance des appels de propositions en janvier 2012 pour les contrats d’entretien des cellules, des composants, et des moteurs. On retrouve dans ces documents des mentions voulant qu’Air Canada s’enquière de la disponibilité des fournisseurs potentiels dès juin 2012, qu’elle évalue les économies potentielles suivant les informations reçues des soumissionnaires, qu’elle élabore différents scénarios quant à l’avenir à court et moyen terme d’Aveos[311];
325.6. Plus particulièrement, Air Canada identifie la possibilité que le contrat d’entretien des cellules prenne fin avant son échéance, soit dès juin 2012;
325.7. Un plan de contingence est mis en place afin, selon le demandeur, de se préparer à la fermeture éventuelle d’Aveos et le transfert des services d’entretien auprès de fournisseurs externes.
[326] Il est vrai que plusieurs faits survenus dans les mois précédant la déconfiture d’Aveos peuvent alimenter des craintes qu’Air Canada ait agi de mauvaise foi ou de manière intentionnelle, dans un but de nuire à Aveos.
[327] Il en est notamment ainsi des événements chronologiques suivants :
327.1. Le 25 mai 2011, le Jugement Newbould est rendu. Air Canada l’interprètera à tort comme lui permettant de ne plus exécuter ou faire exécuter les activités confiées à Aveos dans les Centres ou même au Canada;
327.2. En juillet 2011, 1819 employés syndiqués détachés par Air Canada et travaillant déjà chez Aveos sont finalement transférés à Aveos, et le lien d’emploi avec Air Canada est rompu;
327.3. À compter de janvier 2012, la situation financière d’Aveos se détériore. Cela est confirmé tant par monsieur Kolshak d’Aveos que des représentants d’Air Canada[312];
327.4. Dans la même période, Air Canada démarre un processus d’appel de propositions en prévision de l’échéance des contrats avec Aveos, à partir de juin 2013. L’objectif premier d’Air Canada à terme est d’atteindre des réductions substantielles des coûts d’entretien[313]. Ce processus l’informe rapidement de l’important écart entre les coûts proposés par Aveos en matière d’entretien des cellules, et ce que le marché est en mesure d’offrir;
327.5. Certaines informations contenues dans les documents préparés en début d’année 2012 cadrent mal avec les témoignages entendus à l’audience des représentants d’Air Canada. À titre d’exemple :
327.5.1. Selon Air Canada, un tel processus exige des délais et il peut être prudent de le démarrer 18 mois avant l’échéance d’un contrat. Par contre, cela n’explique pas en quoi il est pertinent de connaître les disponibilités des fournisseurs à compter de juin 2012. Les représentants d’Air Canada ont tenté de justifier, de manière plus ou moins précise, la présence de cette demande par le besoin de prévoir une période de temps pour effectuer une transition entre fournisseurs et connaître les capacités du fournisseur;
327.5.2. Avec égards, la preuve révèle que cette demande répond également à d’autres impératifs;
327.5.3. En effet, Air Canada envisage deux scénarios probables pour l’entretien des cellules, soit un à la mi-2012, en cas de terminaison hâtive du contrat d’entretien avec Aveos, et l’autre à la mi-2013 si le contrat expire à la date prévue[314]. L’intérêt d’Air Canada pour l’élaboration d’un scénario de fin hâtive du contrat avec Aveos ressort d’autres documents préparés durant la période de janvier à mars 2012[315] ou préparés après, mais référant à l’intention existante durant cette période[316];
327.5.4. Un tel scénario ne s’inscrit pas dans un simple processus de préparation en vue de l’échéance de contrats dans un horizon de 18 mois. Air Canada se prépare à l’éventualité où elle doive s’adresser ailleurs pour l’entretien de ses appareils. Quant à l’entretien des cellules des gros fuselages, monsieur Kolshak confirme d’ailleurs que les prix d’Aveos ne sont pas concurrentiels. Il offrira même à monsieur Rousseau de faire faire le travail à courte échéance au San Salvador, ce qui sera refusé par ce dernier;
327.6. Le 24 février 2012, Air Canada élabore, pour la première fois, un plan de contingence. Tel que précisé ci-dessus[317], les versions des représentants d’Air Canada diffèrent quant à l’objectif premier ce de plan[318]. Une présentation datée du 24 février 2012 fait voir différents scénarios dans l’éventualité d’une réorganisation à niveaux variables d’Aveos;
327.6.1. Il est à noter que ce document est préparé après la mise en demeure du 14 février 2012, dans laquelle Aveos menace de fermer ses portes. Par contre, monsieur Néron témoigne quant à son ignorance de ce fait au moment de préparer le plan de contingence;
327.6.2. Le Tribunal retient de la preuve que la préparation d’un plan de contingence en février 2012 n’est pas le fruit du hasard. Air Canada se prépare à l’éventualité où elle doive pallier les impacts pour Air Canada d’une réorganisation d’Aveos, qui peut prendre différentes formes;
327.7. Monsieur Kolshak témoigne que la seule existence du processus d’appel de propositions a nui aux efforts d’Aveos de trouver des contrats d’entretien auprès de tiers. Il relate une conversation qu’il a eue avec un client potentiel. Elle aurait également insécurisé des créanciers.
[328] Toutefois, la preuve révèle aussi les faits suivants, qui permettent d’expliquer la conduite d’Air Canada :
328.1. Le transfert des employés d’Air Canada vers Aveos en juillet 2011 fait suite à la tenue de débats, la conclusion d’ententes et l’obtention d’autorisations, et Air Canada était en droit d’impartir ses travaux d’entretien et de révision à un tiers, en l’occurrence Aveos;
328.2. Air Canada sait, à compter de janvier 2012, qu’Aveos est en difficulté, ou à l’intérieur de la « zone d’insolvabilité »[319]. Le 14 février 2012, la lettre de mise en demeure d’Aveos à Air Canada menace même de la fermeture de l’entreprise;
328.3. Comme précisé par les représentants d’Air Canada, sa conduite subséquente visera aussi à protéger ses propres intérêts face aux difficultés vécues par Aveos[320];
328.4. Les informations contenues dans les documents d’appel de propositions, ainsi que le plan de contingence, visent aussi des scénarios de la fin des contrats comme prévu à compter de juin 2013, ainsi que des scénarios où Aveos, bien que devant traverser une réorganisation, continue, sous une forme ou une autre, ses activités d’entretien et de révision pour Air Canada;
328.5. Bien que le demandeur soutienne, comme on le verra, qu’Air Canada a diminué substantiellement les travaux confiés à Aveos dans les mois précédant la fermeture, le demandeur n’a pas fait la preuve qu’Air Canada aurait, dans les faits, confié des travaux d’entretien destinés à Aveos à d’autres fournisseurs, avant le 18 mars 2012, en violation de l’entente les liant à cet effet[321].
[329] L’analyse de cette preuve dans son ensemble ne convainc pas le Tribunal de l’existence d’un stratagème d’Air Canada pour remplacer Aveos à titre de fournisseur à compter de l’été 2012, en violation des ententes d’exclusivité.
3.2.2 La diminution substantielle des travaux confiés à Aveos rapidement après cette transition des employés et la retenue d’importantes sommes dues par Air Canada, causant à Aveos des difficultés financières qui l’ont forcée à demander la protection de la LACC
[330] Le demandeur soutient aussi qu’Air Canada a retardé des travaux d’entretien ou a retenu le paiement de factures de manière inhabituelle et intentionnelle, ce qui aurait eu un effet dévastateur sur la situation financière d’Aveos déjà précaire.
[331] Au soutien de sa position voulant qu’Air Canada ait diminué les travaux confiés à Aveos, le demandeur soumet ce qui suit :
331.1. Monsieur Kolshak a témoigné voulant qu’à compter de la fin décembre 2011, et non après la mi-février 2012, comme le soutient Air Canada, Aveos a constaté une baisse des travaux confiés et un report ou une annulation d’entretiens planifiés, ce qui se traduit en une baisse immédiate des revenus pour Aveos;
331.2. Vu l’absence de préavis à cet effet, Aveos aurait été privée de donner le préavis requis de 90 jours pour mettre à pied des employés en conséquence de la baisse des volumes, et aurait dû payer 700 employés à ne rien faire;
331.3. Aveos chiffre la perte de revenus associés à ces reports ou annulations à 16 M$[322];
331.4. Les revenus d’Aveos pour les mois de janvier, février et mars 2012 sont inférieurs aux revenus à la même période pour l’année 2011, ce qui confirme le témoignage de monsieur Kolshak.
[332] Avec égard, le Tribunal ne partage pas la position du demandeur, considérant ce qui suit.
[333] À la lumière de l’analyse de la preuve relativement aux revenus reçus par Aveos de la part d’Air Canada, contenue à la section IV.5(5.3) du présent jugement, il y a lieu de retenir ce qui suit :
333.1. En reportant sur une base annuelle les revenus d’Aveos provenant d’Air Canada pour la période du 1er janvier 2012 au 18 mars 2012, et en les comparant avec les revenus annuels de 2011, on obtient une diminution de 5 % en 2012, que ce soit en incluant ou non dans le calcul les montants facturés l’année précédente, mais payés l’année courante;
333.2. En comparant les revenus d’Aveos provenant d’Air Canada du 1er janvier 2012 au 18 mars 2012 avec les revenus pour la même période en 2011, sur une base mensuelle, on obtient une diminution de 16 % en 2012, comparativement à la même période en 2011;
333.3. Ces variations de revenus n’apparaissent pas inhabituelles lorsque comparées aux variations à la hausse ou à la baisse des années antérieures.
[334] De plus, la preuve révèle ce qui suit :
334.1. Air Canada n’est pas libre de reporter ou annuler les entretiens planifiés de ses appareils à sa guise[323]. Elle bénéficie d’une marge de manœuvre lui permettant de reporter quelque peu ces entretiens, notamment afin de tenir compte de ses besoins d’appareils en haute saison;
334.2. Aucune preuve documentaire n’a été présentée démontrant le report inhabituel d’entretiens planifiés. La preuve n’a pas été faite non plus, de manière convaincante, qu’avant la mi-février 2012, Air Canada ait reporté sans raison valable des entretiens planifiés;
334.3. L’entretien et la révision d’appareils sont cycliques. Ce fait est confirmé par monsieur Kolshak dans son plan stratégique de juillet 2011, dans lequel il reconnaît que cet aspect impacte certains secteurs d’activités, notamment sur le taux de productivité[324];
334.4. Dans les semaines précédant la fermeture d’Aveos, Air Canada reconnaît avoir reporté quelques entretiens planifiés afin de protéger ses actifs vu la menace d’Aveos de fermer ses portes;
334.5. Bien que monsieur Kolshak soutienne qu’Aveos payait 700 employés à ne rien faire, des membres du Groupe ayant témoigné ont confirmé qu’ils travaillaient à temps plein[325], et même qu’ils faisaient des heures supplémentaires[326]. De plus, la preuve ne révèle pas les détails permettant de faire le lien entre les reports allégués et le taux d’occupation des employés d’Aveos durant cette période.
[335] À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que si des entretiens ont été reportés, la preuve ne démontre pas que de tels reports étaient importants, inhabituels, ou motivés par une intention de nuire de la part d’Air Canada ou même dépourvus de considération pour les intérêts d’autrui.
[336] Quant à la décision d’Air Canada, à la suite de la mise en demeure d’Aveos, de retarder certains entretiens, à l’intérieur de la marge de manœuvre dont elle dispose, elle s’explique sans recourir à l’existence d’une faute intentionnelle d’Air Canada. L’effet de cette décision a peut-être nui ultimement à Aveos. Mais cela ne la rend pas fautive pour autant.
[337] Le demandeur soutient également qu’Air Canada a retenu d’importantes sommes qu’elle devait à Aveos, soit des factures impayées, contribuant grandement à une crise des liquidités à l’origine de sa fermeture. Il s’appuie sur les éléments suivants :
337.1. Au 18 mars 2012, Air Canada réclamait 102 417 500 $ pour les services rendus à Aveos et Aveos lui réclamait 159 312 832 $, soit un écart en faveur d’Aveos de 57 M$. Lorsqu’il soustrait les factures portant la mention « D » pour « Disputed », totalisant 12 779 669 $, il demeure un solde de factures non litigieuses et impayées de 44 220 331 $[327] . N’eût été ces montants en souffrance, Aveos aurait continué à opérer;
337.2. Les échanges entre les entreprises étaient très tendus relativement à la facturation. Selon monsieur Kolshak, Air Canada profitait du processus mis en place de résolution des différends afin, à terme, d’essouffler Aveos financièrement;
337.3. Le premier rapport du contrôleur, daté du 20 mars 2012, fait état de cette crise des liquidités d’Aveos et le besoin urgent de recevoir paiement des montants dus par Air Canada au lendemain du 18 mars 2012[328];
337.4. Le 2 mai 2012, Air Canada exacerbe la situation en déposant une demande à la Cour pour lui permettre de mettre fin à ses contrats d’entretien exclusif avec Aveos[329]. Une telle demande aurait créé de l’incertitude quant à la volonté d’Air Canada de soutenir un acquéreur potentiel d’Aveos et nui au processus de liquidation[330].
[338] De son côté, Air Canada fait valoir ce qui suit :
338.1. Les différends entre les entreprises relatifs à la facturation existaient depuis longtemps. Les parties avaient même, en 2010, mis sur pied un processus de résolution des différends, prévoyant qu’Air Canada paierait les premiers 5 M$ de factures contestées, qu’elles soient payables ou non, afin de garantir un certain niveau de revenus à Aveos;
338.2. Air Canada se plaignait des nombreuses erreurs et irrégularités contenues dans les factures émises par Aveos, ce qui rendait leur traitement complexe et lourd et en retardait le paiement;
338.3. La preuve démontre qu’Aveos devait également de larges sommes à Air Canada pour les services qu’elle lui rendait;
338.4. Par ailleurs, le montant de 159 312 832 $ de factures impayées par Air Canada (avant taxes) reflète une erreur évidente de calcul, surtout à la lumière du fait que le montant incluant les taxes est de 136 044 525 $, soit un montant inférieur. En réalité, il faut plutôt retenir que le montant des factures impayées par Air Canada à Aveos était de 128 M$ (incluant les taxes)[331] et celui impayé par Aveos à Air Canada de 116 M$ (incluant les taxes)[332];
338.5. Ainsi, la différence entre les sommes dues à Aveos et celles dues à Air Canada n’est pas d’un montant de 44 M$ en faveur d’Aveos comme elle le soutient, mais bien plutôt de 12 M$;
338.6. Les constats dont fait état le premier rapport de la contrôleure doivent être lus avec la mention contenue au début du rapport voulant qu’elle ait préparé ce rapport en se fondant sur les informations fournies par Aveos, sans procéder à une revue ou une vérification de telles informations ni chercher à vérifier leur véracité ou leur caractère complet[333];
338.7. De plus, dès l’été 2011, le plan stratégique de monsieur Kolshak fait voir qu’Aveos vivait des difficultés et que l’avenir comportait son lot d’incertitudes[334].
[339] Le Tribunal considère que les conclusions que le demandeur tire des calculs relatifs aux factures impayées sont inexactes. Il y a lieu de retenir la proposition d’Air Canada à cet égard. Ainsi, le Tribunal conclut que le demandeur n’a pas fait la démonstration de la mauvaise foi d’Air Canada ou de la commission d’une faute intentionnelle.
[340] Le demandeur soutient aussi qu’Air Canada aurait caché au juge Newbould la fin prochaine des entretiens au Canada. À la lumière des conclusions du Tribunal quant à l’absence de faute intentionnelle ou de mauvaise foi d’Air Canada ayant causé la déconfiture d’Aveos[335], cette prétention doit aussi être rejetée.
3.2.3 Air Canada ne pouvait ignorer que la déconfiture d’Aveos la placerait en violation de la Loi et elle a renié les engagements publics qu’elle a pris de conserver cet entretien au Canada
[341] Selon le demandeur, Air Canada devait éviter la déconfiture d’Aveos afin d’éviter de se placer elle-même en contravention de la Loi.
[342] Ayant provoqué cette déconfiture, Air Canada aurait donc intentionnellement violé la Loi.
[343] Le Tribunal a conclu que la faute d’Air Canada est fondée sur son omission de se conduire de manière prudente et diligente pour se conformer à la Loi après la cessation des activités d’Aveos.
[344] Toutefois, cela ne signifie pas qu’Air Canada avait une obligation d’agir pour empêcher la direction d’Aveos de fermer ses portes. L’on conçoit que la poursuite des activités d’Aveos aurait permis à Air Canada de continuer de se conformer à son obligation légale. Cela dit, elle pouvait décider de se conformer à ses obligations autrement.
[345] La preuve révèle d’ailleurs que même Aveos n’avait pas l’intention de continuer d’exécuter certaines des activités de révision pour Air Canada. Aveos pouvait faire ce choix stratégique. Air Canada aurait alors dû trouver des alternatives pour s'acquitter de ses obligations légales.
[346] De plus, comme l’ont expliqué les représentants d’Air Canada, s’ils comprenaient qu’Aveos était en difficulté, ils n’envisageaient pas nécessairement que la solution retenue par la direction d’Aveos serait de simplement fermer ses portes. Il n’était pas exclu, à ce moment, que les activités puissent reprendre ou être poursuivies sous une autre forme à la suite d’une réorganisation.
[347] Ainsi, le demandeur n’a pas convaincu le Tribunal qu’Air Canada savait ou aurait dû savoir, avant le 18 mars 2012, que sa conduite la mènerait à contrevenir à la Loi.
[348] Cela dit, au lendemain de la fermeture d’Aveos, comme conclu ci-dessus, Air Canada n’a pas agi de manière prudente et diligente pour se conformer à la Loi. L’interprétation qu’elle adopte de l’étendue de ses obligations légales et sa conduite dans la recherche de solutions alternatives pour faire effectuer l’entretien et la révision de ses appareils confirment qu’elle s’écarte largement de la compréhension historique qu’elle exprimait de telles obligations.
[349] Toutefois, le demandeur n’a pas convaincu le Tribunal non plus que ce changement de position aurait été fait de mauvaise foi ou qu’il constitue une faute intentionnelle.
[350] À défaut d’administrer une preuve directe de l’intention d’Air Canada de provoquer la déconfiture d’Aveos, le demandeur devait en faire la preuve par présomption de faits.
[351] Or, à la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que les faits et circonstances ne sont pas suffisamment graves, précis et concordants pour le mener à conclure à la mauvaise foi ou à la faute intentionnelle d’Air Canada.
[352] En conséquence, le Tribunal conclut que le demandeur n’a pas satisfait son fardeau de démontrer une faute intentionnelle de la part d’Air Canada. Il n’a pas non plus repoussé la présomption de bonne foi des gestes posés par Air Canada.
[353] Afin de répondre à cette question, le Tribunal doit déterminer si la violation par Air Canada de son obligation légale de maintenir les Centres est la cause directe et immédiate des dommages pécuniaires et moraux réclamés par le demandeur et les membres du Groupe. Ces dommages réclamés découleraient de la fermeture définitive des Centres, entraînant la fin définitive de leur emploi, aux mêmes conditions.
[354] Dans la mesure où le Tribunal conclut que la faute d’Air Canada est la cause des dommages réclamés, une seconde question se pose : Air Canada soutient que le degré d’activité requis pour qu’elle se conforme à la Loi est bien en deçà des activités ayant cours chez Aveos au moment de sa fermeture. Ainsi, est-ce qu’une partie seulement des membres du Groupe ont subi un dommage découlant de la faute d’Air Canada et dans l’affirmative, laquelle?
[355] Pour les motifs détaillés ci-dessous, le Tribunal conclut que la faute d’Air Canada est la cause directe et immédiate des dommages compensatoires en découlant, et ce, pour l’ensemble des membres du Groupe.
[356] Suivant l’article 1607 C.c.Q., le dommage doit être une suite immédiate et directe de la faute commise. Il doit exister un lien de causalité entre la faute et le dommage subi. Le dommage doit avoir été la conséquence logique, directe et immédiate de la faute[336].
[357] Les auteurs Baudouin et Deslauriers précisent ce qui suit[337] :
1-683 – Position générale – La seule constante véritable de toutes les décisions est la règle selon laquelle le dommage doit avoir été la conséquence logique, directe et immédiate de la faute. Maintes fois mise de l'avant par les tribunaux, cette règle révèle un désir de restreindre le champ de la causalité et de ne retenir comme cause que le ou les événements ayant un rapport logique et intellectuel étroit avec le préjudice dont se plaint la victime. Elle est source d'une série de corollaires importants et permet, à notre avis, d'expliquer pourquoi la jurisprudence exclut le dommage par ricochet, ne retient pas dans l'ensemble la théorie classique de l'équivalence des conditions, adopte la causalité adéquate en y adjoignant le critère de prévision raisonnable et attache enfin une importance considérable à la rupture du lien de causalité. […]
[Nos soulignements]
[358] La preuve doit rendre simplement probable l’existence d’un lien direct entre la faute et le dommage[338]. Il ne s’agit pas de démontrer le lien causal de manière certaine ou hors de tout doute[339].
[359] La preuve de la causalité peut être faite par présomption de faits[340], soit une inférence à partir de circonstances graves, précises et concordantes[341]. À cet égard, les auteurs Baudouin et Deslauriers précisent ce qui suit[342] :
1-703 – Présomption – La jurisprudence exige donc simplement l'établissement d'un lien de causalité direct et immédiat par simple prépondérance de preuve. Parfois, la chose équivaut à un véritable renversement du fardeau. Si, par exemple, le demandeur réussit à établir qu'un acte précis, parmi tous ceux qui ont pu être à l'origine du dommage, offre un degré de probabilité plus élevé, il place alors sur les épaules du défendeur la charge d'établir, par preuve contraire, que le fait reproché n'est pas causal. Il en est de même lorsque, dans des circonstances normales, le dommage qui pouvait résulter de la faute était normalement prévisible.
[360] La jurisprudence reconnaît que lorsque ces inférences sont non seulement possibles, mais probables, logiques, solides et cohérentes avec la preuve administrée, le lien de causalité sera établi par présomption de faits[343]. Il en est de même en matière d’actions collectives où la causalité pourra être établie pour l’ensemble d’un groupe à partir d’extrapolation en recourant aux présomptions de faits, dans la mesure où la preuve est prépondérante[344].
[361] La Cour d’appel a analysé récemment la théorie de la causalité adéquate dans l’arrêt Hogue c. Procureur général du Québec[345] et précise ce qui suit :
[49] La théorie de la causalité adéquate, conjuguée à l’occasion avec celle de la prévisibilité raisonnable des conséquences, peut s’avérer efficace puisqu’elle « opère une sélection parmi l’ensemble des circonstances, des comportements ou des événements qui ont pu mener à la réalisation du préjudice ». Elle permet ainsi de discriminer, parmi toutes les conditions sine qua non du préjudice, celle ou celles qui en constituent véritablement la cause directe, logique et immédiate. La causalité adéquate cherche ainsi à « distinguer la cause véritable du préjudice de la simple occasion de sa réalisation ou des circonstances qui ont coïncidé avec celle-ci ».
[Nos soulignements]
[362] Il ne suffit pas que le geste fautif ait pu causer le dommage, en partie ou en totalité. Il doit l’avoir effectivement causé[346].
[363] Le dommage par ricochet est un dommage causé par un dommage. Il ne permet pas l’établissement d’un lien causal suffisant entre la faute et le dommage. Les auteurs Baudouin et Deslauriers le définissent ainsi[347] :
1-684 – Généralités – Comme on le sait, la jurisprudence respecte le critère du caractère direct du dommage édicté par le législateur. Le problème de déterminer ce que constitue un dommage «direct » est complexe et, là encore, il serait présomptueux de vouloir généraliser. Toutefois, une tendance se dégage. Les tribunaux ne reconnaissent pas le préjudice qui puise sa source immédiate non dans la faute elle-même, mais dans un autre préjudice déjà causé par la faute. En d'autres termes, est indirect le dommage issu du dommage, le dommage par ricochet, le dommage au « second degré ». Cette seule tendance est toutefois impuissante à expliquer l'ensemble des solutions jurisprudentielles. Si elle justifie le refus d'accorder les frais de location d'un camion en remplacement d'un autre endommagé, lorsque cette location a été nécessitée par l'impossibilité de le réparer subséquente à une grève du fabricant, elle peut plus difficilement soutenir l'octroi d'une compensation pour choc nerveux à la vue ou à l'annonce d'un accident dont un autre a été victime.
[Nos soulignements]
[364] Dans Infineon Technologies AG c. Option consommateur[348], la Cour suprême confirme la distinction entre (1) la victime par ricochet, qui, si elle subit un dommage direct découlant d’une faute, pourra obtenir compensation, et (2) le dommage par ricochet, dont l’indemnisation n’est pas permise par notre droit civil.
4.2 Preuve factuelle et d’expert pertinente à la question en litige
4.2.1 Les principaux faits pertinents
[365] La preuve factuelle démontre que les opérations des Centres de 1988 à 2012 ont, en tout temps, exigé l’emploi d’un nombre important d’employés syndiqués et non syndiqués pour exécuter essentiellement l’ensemble des activités d’entretien et de révision de la flotte d’appareils d’Air Canada.
[366] De plus, il appert que l’intention du législateur, en 1988, lorsqu’il impose à Air Canada de maintenir les Centres à Montréal, Winnipeg et Mississauga, vise non seulement des lieux physiques, mais aussi les emplois des travailleurs canadiens dans ces villes, qui ont développé une expertise dans le domaine.
[367] Il découle de cet état de fait que, selon le demandeur, la meilleure mesure de ce qui était nécessaire pour qu’Air Canada continue de se conformer à sa Loi, réponde aux besoins d’entretien et de révision de sa flotte et maintienne les Centres en service, y compris la composante du maintien de l’expertise de ses employés, au lendemain de la fermeture d’Aveos, était d’assurer la continuité des mêmes activités, avec les mêmes employés, dans les mêmes Centres.
[368] En conséquence, selon le demandeur, les dommages subis par les membres du Groupe sont la suite directe et immédiate de la décision d’Air Canada de permettre que les activités dans les Centres cessent définitivement, entraînant le largage de la main-d’œuvre qualifiée que son obligation légale avait pour but de protéger.
[369] Il importe de réitérer plus particulièrement les faits suivants qui sont pertinents à la présente analyse :
369.1. En 1988, au moment de l’adoption de la Loi et de sa privatisation, Air Canada emploie 3 526 travailleurs dans ses Centres, soit 700 à Winnipeg, 2 200 à Montréal et 600 à Mississauga[349];
369.2. À ce moment, l’entretien et la révision de la totalité de la flotte d’Air Canada, composée de 114 appareils, sont exécutés dans les Centres;
369.3. En juillet 2011, soit 8 mois avant la fermeture d’Aveos, 1 819 employés syndiqués d’Air Canada travaillant dans les Centres sont transférés et deviennent officiellement employés d’Aveos. Ils poursuivent les mêmes activités d’entretien et de révision sur les appareils d’Air Canada, aux mêmes conditions, dans les Centres. Toutefois, le lien d’emploi avec Air Canada est rompu;
369.4. La question du transfert a été discutée à la Chambre des communes le 2 mars 2011. Les propos du ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités de l’époque, l’honorable Chuck Strahl, confirment une promesse d’Air Canada que tous les emplois seront maintenus, aux mêmes conditions[350] :
Monsieur le Président, je viens de répondre à la question, mais je ferais mieux de me reporter à mes notes d’information parce qu’il est important que je vous lise le texte tel quel.
Les employés auraient l’option soit de faire la transition vers Aveos, soit de rester au service d’Air Canada. Il faudrait en discuter davantage avec le syndicat, mais les employés d’Air Canada qui optent pour la transition toucheront le même salaire, les mêmes indemnités de congé, la même pension et les mêmes primes d’ancienneté que ce à quoi ils ont droit actuellement. Je le répète : Air Canda promet qu’il n’y aura aucune perte d’emploi.
[…]
Monsieur le Président, nous discutons de cette question avec Air Canada depuis maintenant des mois, bien avant qu’elle soit soulevée à la Chambre des communes et que le Bloc en ait finalement pris conscience. Nous voulions des garanties. Les emplois seront-ils conservés? Les installations d’entretien à Missisauga, à Winnipeg et à Montréal seront-elles maintenues? Les employés seront-ils gardés en poste? Auront-ils les mêmes prestations de retraite, les mêmes droits, etc.? La réponse c’est oui sur toute la ligne. […]
[Nos soulignements]
369.5. Au moment de la fermeture d’Aveos, les 2198[351] travailleurs membres du Groupe y travaillaient depuis leur transfert d’Air Canada;
369.6. Les travailleurs membres du Groupe sont constitués de travailleurs syndiqués et non syndiqués. Ils sont expérimentés et spécialisés, et même, pour plusieurs, hautement spécialisés. Ils ont été formés par Air Canada dans le cadre d’un programme de formation ciblé et continu[352], pour exécuter précisément l’entretien et la révision des appareils composant la flotte d’Air Canada au fur et à mesure de son évolution. Ils détenaient, au moment de la fermeture d’Aveos, plusieurs années de service d’abord comme employés d’Air Canada et ensuite comme employés d’Aveos;
369.7. L’expertise des employés est rare et leur pratique est réglementée par Transport Canada;
369.8. De l’admission d’Air Canada au lendemain de la fermeture d’Aveos, les membres du Groupe formaient un ensemble de travailleurs de choix pour toute entreprise prête à reprendre les activités, au Canada[353];
369.9. À la suite de la perte définitive de leur emploi, les membres du Groupe ont perdu leur salaire, ainsi que les avantages sociaux qui étaient rattachés à leur emploi et qui avaient été transférés avec eux d’Air Canada à Aveos.
[370] Si le Tribunal conclut à l’existence d’un lien de causalité entre la faute d’Air Canada et les dommages subis par les membres du Groupe, Air Canada soutient qu’il y a lieu (1) d’établir un seuil minimum d’employés requis pour permettre à Air Canada de se conformer à ses obligations légales et, (2) de déterminer quels groupes d’employés auraient conservé leur emploi.
[371] Pour ce faire, Air Canada produit une preuve d’expertise de l’expert Bernard Adamache. Ce dernier a produit un rapport daté du 25 septembre 2019, ainsi qu’une présentation accompagnant son témoignage à l’audience[354].
4.2.2 Le Rapport Adamache
4.2.2.1 Les qualifications de l’expert
[372] La qualification de monsieur Adamache comme expert dans les programmes d’entretien et de révision des aéronefs n’est pas contestée.
[373] Toutefois, le demandeur prend la position que l’expert n’a pas la distance nécessaire pour agir à titre d’expert, considérant ses liens antérieurs au service d’Air Canada.
[374] Plus particulièrement, le demandeur soulève que le fait que monsieur Adamache ait été à l’emploi d’Air Canada de 1995 à 2006 dans différents postes, dont le directeur principal, système d’entretien en ligne et directeur principal conformité réglementaire, pour ensuite joindre Jazz Air L.P. pour agir à titre de directeur et chef de l’entretien lourd, de 2006 à 2010, fait en sorte qu’il a été impliqué, dans une certaine mesure, dans la chronologie des événements précédant la période en litige.
[375] Selon le demandeur, cette proximité avec sa mandante entache sa crédibilité en l’espèce. Sans conclure à l’existence d’un biais de nature à entraîner le rejet du rapport de l’expert, il s’agit d’un élément qui sera pris en compte dans l’évaluation de la crédibilité de l’expert dans son ensemble.
4.2.2.2 Le mandat de l’expert
[376] L’expert expose les questions qu’il avait mandat de répondre comme suit[355] :
[377] Il importe de mentionner dès à présent que l’expert a confirmé à l’audience, de manière surprenante, ne pas avoir pris connaissance du Jugement Castonguay dans son entier ni avoir pris connaissance du Jugement CA aux fins de son analyse, particulièrement aux fins de répondre aux questions 3 à 5 de son mandat.
4.2.2.3 L’opinion de l’expert
[378] L’expert dresse l’historique de la flotte d’Air Canada et expose qu’elle était composée de 114 appareils en 1988, et de 213 appareils en 2016[356]. L’étude de l’évolution de la flotte d’Air Canada fait voir qu’entre 1988 et 2007, le nombre d’appareils à gros fuselage a augmenté de manière considérable, passant de 39 à 62, le nombre de petits fuselages a diminué de 75 à 62 et il y a eu l’ajout de 57 avions régionaux.
[379] En 2007, au moment où les actifs d’ACTS sont vendus au Consortium, Air Canada a une flotte de 207 appareils.
[380] De 2007 à 2012, la situation est restée pratiquement inchangée, la flotte ayant diminué de deux appareils. Enfin, de 2012 à 2016, on voit une diminution de 89 à 75 des petits fuselages revenant au nombre existant en 1988, une augmentation de 56 à 68 des gros fuselages et une diminution importante des appareils régionaux de 60 à 25, pour une flotte comptant, au final, 168 appareils[357].
[381] Durant cette période, la composition de la flotte d’Air Canada a aussi été appelée à évoluer, au fil de la mise à la retraite de certains modèles d’appareils et l’achat de nouveaux modèles[358].
[382] Dans son historique des activités d’entretien et de révision par Air Canada, l’expert expose qu’en 1988, le Centre de Montréal se consacre principalement à la révision des cellules et moteurs des gros fuselages, en plus de représenter l’essentiel de la révision des composants pour Air Canada; le Centre de Winnipeg se consacre à la révision des cellules des petits fuselages, avec certaines activités de révision de composants pour ces appareils; et le Centre de Mississauga effectue principalement de l’entretien en ligne en soutien au jour le jour à l’aéroport Toronto-Pearson.
[383] Pour la période de 2004 à juillet 2011, monsieur Adamache expose ce qui suit :
383.1. En 2004, au moment où ACTS est constituée en société distincte d’Air Canada, cette dernière lui cède son certificat 6/58 pour tout le volet de l’entretien et la révision, et se fait émettre un nouveau certificat 32/03 pour conserver uniquement l’entretien en ligne;
383.2. Les Centres de Montréal, Winnipeg et Mississauga ont essentiellement conservé leurs mêmes activités, si ce n’est l’exécution de certaines activités dans un nouveau centre situé à Vancouver[359];
383.3. En juillet 2011, la situation est la suivante : Aveos emploie 1 362 employés à Montréal, 39 à Mississauga, 387 à Winnipeg et 573 à Vancouver, dont plusieurs étaient des employés d’Air Canada détachés à Aveos. Les employés d’Air Canada effectuant l’entretien en ligne constituent un groupe à part.
[384] Pour la période de juillet 2011 à mars 2012 monsieur Adamache expose que mis à part le transfert des employés d’Air Canada à Aveos, aucun changement majeur ne survient dans les activités ayant cours dans les Centres[360].
[385] Pour la période de mars 2012 à 2016, qu’il considère être la « période d’intérêt » l’expert retient ce qui suit :
385.1. Il confirme qu’au moment de la fermeture d’Aveos, un délai de 6 et 8 mois aurait été nécessaire à Air Canada pour récupérer un certificat équivalent au certificat 6/58 qu’elle détenait antérieurement, auprès des autorités réglementaires, lui permettant de reprendre les activités d’entretien et de révision[361];
385.2. Air Canada a d’abord dû pourvoir de manière urgente, quoique temporaire, aux entretiens et à la révision requis à court terme, en ayant recours à une panoplie de fournisseurs;
385.3. Dans un second temps, des contrats ont été octroyés à plus long terme à plusieurs fournisseurs. L’entretien et la révision des cellules sont entièrement confiés à des entreprises à l’étranger, bien que certains travaux seront éventuellement confiés à Premier Aviation à Trois-Rivières à la suite de l’acquisition de cette compagnie par le fournisseur américain AAR. L’entretien et la révision des composants et des moteurs sont confiés à des entreprises à l’étranger, et certaines entreprises locales. L’expert ne précise pas le moment où les activités au Canada ont lieu, mais il estime qu’au total, à terme en 2016, 571 employés, dispersés auprès de différents fournisseurs canadiens, exécutent des activités d’entretien et de révision pour Air Canada[362];
385.4. L’expert ne précise pas la proportion des activités d’entretien et de révision des appareils d’Air Canada qui est exécutée au Canada en comparaison avec l’ensemble de telles activités qui y étaient exécutées jusqu’au 18 mars 2012;
385.5. L’expert ne précise pas non plus les ressources requises à l’étranger auprès des fournisseurs internationaux pour exécuter les travaux d’entretien et de révision équivalents sur les appareils d’Air Canada durant cette période.
[386] En réponse à la seconde question du mandat, l’expert passe en revue l’évolution de l’industrie de l’entretien et de la révision des appareils depuis 1988[363]. Il confirme que l’entretien d’une flotte d’avions est classé en quatre (4) grands segments, soit les moteurs, les composants, les cellules et l’entretien en ligne.
[387] Il précise ce qui suit quant à la tendance générale du marché depuis le début des années 1990[364] :
Most airlines in North America are net outsourcers today, a trend that began in the 1990’s and accelerated in the mid-2000’s in airframe and has expanded to all segments. […]
[388] En ce qui a trait à la tendance de l’industrie relativement à l’entretien des moteurs, il explique que depuis les années 1990, l’entretien est de plus en plus assuré par les fabricants des moteurs, par le biais de contrats de service à long terme. L’entretien de moteurs exige un investissement important et un gros volume de travail afin de le rentabiliser[365].
[389] En ce qui a trait à la tendance de l’industrie relativement à l’entretien des composants, il explique que la fragmentation de ces opérations a mené, plus récemment, à une consolidation des fournisseurs par le biais de fusions et d’acquisitions[366]. Selon ses constatations, les compagnies aériennes sous-traitent de plus en plus l’entretien des composants, notamment en recourant à des « intégrateurs ». Ces options n’étaient pas aussi disponibles ni répandues en 1988 qu’aujourd’hui[367].
[390] Il conclut ainsi : « Airlines which choose to have a large component capability almost always need to attract third party work or volume from partner airlines to maintain adequate volumes »[368].
[391] L’entretien des cellules est divisé en quatre (4) catégories (« checks »), de A à D, selon le nombre d’heures de main-d’œuvre requises pour l’accomplir[369]. La signification exacte de ces catégories a évolué. Par contre, pour les catégories plus lourdes (C ou D), le coût de la main-d’œuvre est le plus important, représentant 60 % à 70 % du coût total de l’entretien, ce qui a mené l’industrie à rechercher, depuis le milieu des années 1990, la main-d’œuvre la moins chère possible, sans faire trop de compromis sur la qualité des services[370], en particulier pour les cellules des gros fuselages[371]. Pratiquement tous les transporteurs nord-américains auraient suivi cette tendance[372].
[392] L’expert affirme que cette tendance a été un facteur qui a contribué à la création d’ACTS en 2004, ce qui s’inscrirait dans une stratégie d’Air Canada de « disaggregating its business » et, à terme, faire de ses anciennes divisions, dont ACTS, des entités séparées[373].
[393] L’expert en conclut que les compagnies aériennes effectuent moins d’entretien lourd des cellules tant durant la période de 2012 à 2016 qu’aujourd’hui, en comparaison avec la situation en 1988[374].
[394] En réponse à la troisième question, soit celle d’options qui s’offraient à Air Canada afin de « maintenir les centres d’entretien et de révision dans les villes de Winnipeg et Mississauga et de Montréal », il explique avoir reçu mandat de définir ce que signifie les termes « overhaul center », tel que compris dans l’industrie et opine à l’effet que ces termes ne sont pas utilisés couramment[375].
[395] Il explique l’analyse qu’il effectue de la manière suivante[376] :
In the previous section, I have summarized three key trends that impacted Air Canada and its peers in North America between 1988 and 2012:
Below, I have outlined a series of options for how Air Canada could have acted in determining its maintenance footprint in the face of both these trends and their ACPPA obligations and their interpretation under the Castonguay Decision.
[Nos soulignements]
[396] Tel que mentionné ci-dessus, l’expert n’a pas pris connaissance du Jugement Castonguay en entier, ni du Jugement CA, incluant les déterminations qu’il contient quant à la portée de l’alinéa 6(1)d) de la Loi auquel Air Canada est soumise.
[397] Sa première option est celle où Air Canada suit les tendances de l’industrie. Il conclut qu’à la suite de la fermeture d’Aveos, Air Canada a été forcée de confier l’entretien et la révision des moteurs, des composants et des cellules à l’externe. Ce faisant, elle a agi conformément à la tendance de l’industrie.
[398] Sa seconde option est celle où, pour satisfaire l’interprétation de la Loi retenue dans le Jugement Castonguay, Air Canada établit un centre pour l’entretien lourd des cellules. Il élabore alors quatre (4) scénarios, selon l’importance des opérations requises pour se conformer au Jugement Castonguay, soit :
398.1. La mise en place d’une petite usine dédiée à un type de composante pour un modèle d’appareil;
398.2. La mise en place d’une usine permettant une ligne d’entretien lourd pour des cellules de petits fuselages à Montréal et une seconde ligne à Winnipeg;
398.3. La mise en place d’une usine à Montréal et à Winnipeg capable d’effectuer l’entretien lourd des cellules pour toutes les séries d’appareils A320 (environ 100 appareils);
398.4. La mise en place d’une usine à Montréal et à Winnipeg capable d’effectuer l’entretien lourd des cellules pour une flotte similaire à celle qu’avait Air Canada en 1988.
[399] Aucun des scénarios n’inclut d’entretien des moteurs ni des composants.
[400] L’expert opine à l’effet que le scénario b) aurait été suffisant et raisonnable pour représenter un « rational minimum level of maintenance » au Canada par Air Canada pour rencontrer son obligation légale. Il affirme à l’instruction[377] :
It is my expert opinion that the single line, narrow-body facility described above (Table 8, option (b)) represents the most likely and most rational action Air Canada would have taken in the context of ACPA if it required to perform some level of heavy maintenance.
[Nos soulignements]
[401] Ainsi, selon l’expert, la main-d’œuvre requise pour exécuter les activités prévues au scénario b) est de 210 travailleurs. Même en prenant le scénario d), soit le plus onéreux pour Air Canada, le nombre de travailleurs requis serait de 597.
[402] Quant aux scénarios c) et d), il témoigne à l’effet suivant[378] :
Scale options (c) and (d) are above-market level of insourcing and I do not believe it would have been economical for Air Canada to have done so unless forced. The outsourcing of narrow body heavy maintenance by Air Canada, WestJet, and Air Transat during this period (to external North and South American providers) suggests that it was more economical to have these facilities outsourced rather than in-house.
[Nos soulignements]
[403] À l’instruction, en contre-interrogatoire, lorsque confronté au Jugement CA précisant qu’Air Canada ne pouvait changer le statu quo suivant la Loi, il concède que le second scénario ne le permet pas. Seul le quatrième le permettrait.
[404] Il importe de noter que l’expert ne soulève pas de problématiques pratiques particulières à la mise en place des centres requis pour effectuer les travaux prévus à ses scénarios, mis à part un délai de six à huit mois pour obtenir à nouveau le certificat requis de la part des autorités réglementaires.
[405] Enfin, en réponse à la quatrième question, monsieur Adamache propose une étude de la main-d’œuvre disponible dans le secteur de l’aéronautique au Canada, afin d’établir une proportion des nouveaux employés d’Air Canada qui proviendrait des membres du Groupe, tenant pour acquis qu’Air Canada aurait accès à un bassin de travailleurs potentiels beaucoup plus large que les anciens employés membres du Groupe.
[406] Il conclut que, dans le scénario b), Air Canada aurait rembauché 40 des travailleurs ayant perdu leur emploi au lendemain de la fermeture d’Aveos et 170 travailleurs n’appartenant pas au Groupe, pour un total de 210 travailleurs. Dans le cas du scénario d), Air Canada aurait rembauché 93 employés membres du Groupe et 504 employés n’appartenant pas au Groupe, pour un total de 597[379].
4.3 Discussion
[407] Le Tribunal ayant rejeté la faute d’Air Canada d’avoir intentionnellement provoqué la fermeture d’Aveos, la question est de savoir si, à compter du 18 mars 2012, le défaut d’Air Canada de se conformer à l’alinéa 6(1)d) de la Loi est la cause directe, logique et immédiate des dommages réclamés par le demandeur et les membres du Groupe.
[408] Tel que détaillé à la section 1.4 du présent jugement, il y a lieu de retenir ce qui suit relativement à la teneur de l’obligation contenue à l’alinéa 6(1)d) de la Loi :
408.1. L’obligation contenue à l’alinéa 6(1)d) de la Loi répond à des impératifs de géopolitique nationale. Les contraintes imposées visent la préservation des Centres pour des raisons tant sociales que politiques;
408.2. Maintenir les Centres signifie d’en assurer la pérennité, dans l’état où ils sont connus en 1988 ou dans leur essence. Ceci oblige Air Canada à les exploiter à un niveau d’activités comparable;
408.3. Bien que la Loi ne fixe pas de seuil d’emplois ou de volume d’activités précis, les activités doivent être préservées en substance, tant qualitativement que quantitativement;
408.4. La fermeture des Centres ou leur transformation en centres secondaires ou de peu d’importance sont exclues. Air Canda doit y effectuer l’équivalent de ce qu’elle y effectuait en 1988;
408.5. La Loi interdit un changement du modèle d’affaires. Seul un amendement législatif peut l’autoriser.
[409] Le Tribunal réitère plus particulièrement les éléments suivants du Jugement CA :
409.1. L'on avait une vision assez précise de l'activité des Centres, à l'époque, et que l'on cherchait bel et bien à protéger, en gros, un statu quo reflétant ce qui était alors le modèle d'affaires d'Air Canada[380];
409.2. La question du maintien des Centres de Montréal et de Winnipeg a été abordée de manière explicite et ciblée lors des débats parlementaires ayant entouré l'adoption de la Loi, et ce, à répétition. Certains députés (ainsi qu'un certain nombre d'intervenants) se préoccupaient en effet vivement de la mesure dans laquelle Air Canada serait libre ou non de continuer à exploiter ces Centres et de la manière dont elle le ferait à l'avenir : préserverait-elle ces Centres? Y conserverait-elle le même volume d'opérations? Y aurait-il le même nombre d'employés?[381];
409.3. Rappelons les débats parlementaires suivants cités par la Cour d’appel, pertinents à la question[382] :
M. David Orlikow (Winnipeg-Nord) : Monsieur le Président, ma question s'adresse au vice-premier ministre. Dans sa déclaration de ce matin, il fait savoir clairement que le président du conseil d'Air Canada votera selon les directives des actionnaires privés. Comment le ministre peut-il garantir aux 2 300 employés d'Air Canada à Winnipeg, et notamment au grand nombre d'employés qui travaillent au centre d'entretien, que les actionnaires privés respecteront l'engagement que le ministre prend dans sa déclaration aujourd'hui?
L'hon. Don Mazankowski (vice-premier ministre et président du Conseil privé) : Monsieur le Président, Air Canada a pris un engagement ferme dans un communiqué, qui a évidemment reçu l'appui du président du conseil d'Air Canada et même du président d'Air Canada. C'est le même aujourd'hui qu'hier.
M. Blackburn (Brant): Et d'ici un an?
L'AVENIR DU CENTRE D'ENTRETIEN DE WINNIPEG
M. David Orlikow (Winnipeg-Nord) : Monsieur le Président, le président d'Air Canada a fait une déclaration basée sur les instructions qu'il a reçues des propriétaires actuels. Le ministre propose toutefois qu'à l'avenir le président reçoive ses instructions des actionnaires privés.
Qu'est-ce qui empêche les actionnaires privés, dont la principale préoccupation est naturellement de faire des bénéfices, de déclarer qu'il n'est pas rentable de garder l'atelier de Winnipeg ou ceux d'autres villes? Il est essentiel que la législation contienne l'assurance que les ateliers de Winnipeg et de Toronto seront maintenus tels quels ou agrandis.
L'hon. Don Mazankowski (vice-premier ministre et président du Conseil privé) : Monsieur le Président, je ne comprends pas pourquoi le député est si inquiet pour Winnipeg. Il s'agit d'un atelier d'entretien rentable qui offre un bon service et qui a des employés consciencieux. Air Canada a pris un engagement ferme.
M. Riis : Rappelez-vous des CF-18.
M. Mazankowski : Au cas où le député ne serait pas au courant de tout ce qui se passe là-bas, je précise qu'en plus d'assurer l'entretien des avions d'Air Canada, l'atelier de Winnipeg exécute des contrats d'entretien pour d'autres transporteurs et que la société aérienne continuera de chercher des débouchés et de présenter des soumissions en conséquence. Il s'agit d'une affaire florissante. Pourquoi voudrait-on s'en débarrasser, monsieur le Président?
[Nos soulignements]
409.4. Le législateur entendait préserver les activités desdits Centres en évitant soit leur déménagement (on promettait donc d'empêcher que se reproduise la situation survenue, plusieurs années auparavant, à Winnipeg), soit un rétrécissement qui aurait été l'équivalent d'un démantèlement, ou presque, et n'aurait laissé qu'un squelette[383];
409.5. Il n'importe pas que la décision d'Air Canada et de ses administrateurs puisse être motivée par des raisons qu'on pourrait juger valables du point de vue des affaires. De telles raisons ne peuvent justifier d'enfreindre la loi et ne peuvent faire disparaître la transgression, pas plus qu'elles ne permettent de l'ignorer[384];
409.6. La mise en œuvre de l'alinéa 6(1)d) de la Loi suppose, en pratique, qu'une certaine marge discrétionnaire soit laissée à la société et à ses administrateurs : les techniques évoluent, les règles relatives à la maintenance changent, les besoins en main-d'œuvre fluctuent, d'autres centres d'entretien et de révision sont ouverts, etc. La société doit s'adapter à un marché changeant et à des conditions économiques qui le sont aussi. Cette marge, toutefois, ne saurait aller jusqu'à la suppression des Centres de Montréal et de Winnipeg ou leur transformation en centres secondaires ou de peu d'importance ou en des lieux où l'on n'effectue pas non plus l'équivalent de ce qui s'y faisait en 1988. Autrement dit, à l'égard de ces Centres, la marge d'action laissée à la société et aux administrateurs demeure étroitement balisée par l'alinéa 6(1)d), qui n'autorise pas le changement radical du modèle d'affaires, tel celui qui s'est produit en l'espèce après 2012, en rupture avec le modèle antérieur[385];
409.7. Finalement, il se peut bien que, dans les faits, la réalité commerciale (ou technique) ait commandé le changement substantiel qu'Air Canada, en 2012, a apporté à ses activités d’entretien et de révision. La société aurait ainsi poursuivi un objectif commercialement légitime. Cet objectif se heurte toutefois à l'obstacle dirimant de l'alinéa 6(1)d) de la Loi. Seul le législateur peut libérer la société de l'obligation qui lui incombe aux termes de cette disposition[386].
[410] La Cour d’appel mentionne également que[387] :
[231] [V]u la nature du litige, la Cour supérieure pouvait difficilement fixer le seuil dont parle Air Canada ou s'aventurer à décrire de manière détaillée les activités que la société doit rapatrier au centre de révision de Montréal. Car si la situation se prête à un constat d'inexécution, il n'est pas simple, en effet, de fixer prospectivement le point à partir duquel on considérera qu'Air Canada se conforme en substance à l'obligation que lui fait l'alinéa 6(1)d) de la Loi.
[232] La difficulté, cependant, est inhérente au débat et, à vrai dire, à l'obligation même que consacre l'alinéa 6(1)d) de la Loi.
[233] L'on a vu plus tôt quelle était la volonté législative à cet égard : assurer la pérennité du centre de Montréal (comme celle du centre de Winnipeg), de façon à ce qu'Air Canada continue d'y faire ce qu'elle y faisait au moment de l'adoption de la Loi, c'est-à-dire principalement des travaux de révision (maintenance lourde, « overhaul »). Le législateur n'en a pas dit davantage. Il n'avait d'ailleurs pas à prescrire le catalogue des activités que devait maintenir la société afin de respecter l'alinéa 6(1)d) et il s'en est donc abstenu. Cela était prudent, vu le caractère évolutif des normes et des pratiques de maintenance, du cadre réglementaire applicable, de l'entreprise même d'Air Canada, etc. Mais, justement à cause de ce caractère évolutif, que le législateur pressentait, on doit comprendre – et c'est bien ce qu'explique le jugement de première instance – que l'alinéa 6(1)d) fixe simplement une sorte de point de comparaison général, à l'aune duquel les activités futures d'Air Canada, même si elles se transforment, devront être jaugées.
[234] Autrement dit, le législateur prescrit le maintien du centre de Montréal (comme de celui de Winnipeg), ce qui implique qu'on y maintienne la substance des activités qu'on y menait en 1988, ou l'équivalent. À partir du moment où les affaires d'Air Canada la mènent à fermer ce centre ou à en réduire les activités de façon à ce qu'elles n'équivaillent plus à celles qui y avaient cours en 1988, elle enfreint la Loi.
[Nos soulignements]
[411] Force est de constater que la situation factuelle n’a pas évolué entre le Jugement CA et le 22 juin 2016, fin de la période à l'étude au présent dossier. Le constat d’inexécution demeure le même.
[412] Par ailleurs, les scénarios élaborés par l’expert d’Air Canada ne proposent pas, comme la question se posait devant la Cour d’appel, une manière de se conformer dans l’avenir. Ils visent à établir, de manière rétrospective, ce qui aurait été suffisant comme activités pour qu’Air Canada se conforme à la Loi durant la période en litige.
[413] Il y a lieu de se prononcer d’abord sur la proposition du seuil minimum d’activités requis par Air Canada pour se conformer à la Loi. En effet, cette dernière propose des scénarios de niveau d’activités dans les Centres qui devraient suffire à satisfaire aux obligations légales d’Air Canada en fonction de l’évolution de l’industrie.
[414] À la lumière de l’interprétation à donner à l’alinéa 6(1)d) de la Loi et à la lumière de la preuve administrée, le Tribunal conclut que l’analyse et les conclusions de l’expert Adamache quant aux scénarios permettant à Air Canada de se conformer à la Loi doivent être écartées, pour les raisons suivantes.
[415] Tout d’abord, et cela est majeur, l’expert n’a pas tenu compte, dans ses prémisses, des enseignements de la Cour d’appel quant à la portée des contraintes légales imposées à Air Canada. Il n’en a donc pas tenu compte dans l’élaboration des options s’offrant à Air Canada pour se conformer minimalement à son obligation légale.
[416] Ainsi, monsieur Adamache n’a pas tenu compte de l’impossibilité, pour Air Canada, de (1) changer son modèle d’affaires afin de suivre les tendances du marché, ou de (2) maintenir des activités qui ne seraient pas quantitativement et qualitativement équivalentes à ce qui avait cours dans les Centres en 1988. Pourtant, l’analyse de l’expert portant sur l’évolution des pratiques de l’industrie en matière d'entretien et de révision met en évidence une forte tendance à opérer un réel changement du modèle d’affaires.
[417] De plus, il y a lieu de conclure que les scénarios proposés par l’expert impliquent tous, à degrés variables, un changement du modèle d’affaires d’Air Canada, interdit par la Loi, notamment en considérant ce qui suit :
417.1. Tous les scénarios se limitent à l’entretien et la révision des cellules. Aucun ne prévoit la continuation des entretiens et révision des composants et des moteurs, soit ce qui se faisait aussi chez Aveos, pour l’ensemble de la flotte d’Air Canada;
417.2. Les trois premiers scénarios portent sur une réduction marquée du volume d’entretien et de révision des cellules dans les Centres. Globalement, il ne peut s’agir, même de près, de l’« équivalent » de ce qui se faisait en 1988;
417.3. Même en ce qui a trait au quatrième scénario, soit celui de l’entretien des cellules du même nombre absolu d’appareils que la flotte d’Air Canada en 1988, il ne repose sur aucune logique d’évolution des besoins et de la main-d’œuvre requise pour l’exécuter. Il suggère l’entretien des cellules de 114 appareils, soit la flotte complète d’Air Canada en 1988, alors que la flotte d’Air Canada en 2012 est composée de 213 appareils et que les activités des Centres n’ont jamais été limitées à l’entretien des cellules;
417.4. De plus, en comparaison, il fallait plus de 2 900 employés uniquement à Montréal et Winnipeg pour exécuter ce travail en 1988 alors que l’expert en propose 420 pour exécuter le travail en 2012, dont seulement 69 membres du Groupe[388].
[418] Le Tribunal souligne, de plus, que l’opinion de l’expert de ne retenir aucun entretien des moteurs ou des composants, considérant qu’il serait déraisonnable d’exiger qu’un fournisseur exécute ces activités au Canada, puisque non rentables entre en contradiction avec la preuve administrée. Cette preuve indique plutôt qu’Aveos venait de se doter d’un atelier à la fine pointe de la technologie pour l’entretien des composants et qu’elle pouvait être concurrentielle dans ce domaine[389].
[419] Qui plus est, la preuve a révélé que tous les intervenants avaient une compréhension commune et claire de la signification de l’alinéa 6(1)d) de la Loi en 1988 et pour les décennies qui suivirent. S’il est vrai, comme le précise la Cour d’appel, que les activités ayant cours dans les Centres peuvent évoluer dans le temps et suivant la flotte d’Air Canada et les développements technologiques, il ne peut s’agir d’un changement de modèle d’affaires permettant à Air Canada de suivre librement les tendances du marché à cet égard.
[420] C’est pourtant ce que s’est employé à faire valoir l’expert Adamache. C’est aussi ce qu’avait en tête Air Canada au lendemain de la fermeture d’Aveos, notamment dans ses déclarations précitées au comité parlementaire[390]. Air Canada avait l’intention ferme de changer son modèle d’affaires. Si elle pouvait le faire en conservant des activités au Canada, tant mieux. Mais là n’était pas sa priorité, qui était plutôt d’économiser des coûts[391].
[421] Si Air Canada a cru à tort qu’elle pouvait opérer un tel changement en toute légalité en mars 2012, il appert qu’elle n’a pas modifié sa position à la suite des événements suivants :
421.1. L’institution des procédures en jugement déclaratoire en avril 2012, soit quelques semaines après la fermeture d’Aveos, qui mettaient directement en cause la portée de ses obligations légales;
421.2. Le Jugement Castonguay, daté du 4 février 2013;
421.3. Le Jugement CA, daté du 3 novembre 2015.
[422] L’omission de monsieur Adamache de tenir compte du Jugement CA dans l’évaluation des contraintes légales auxquelles Air Canada est assujettie, combinée aux faiblesses apparentes des scénarios proposés comme conformes à la Loi font en sorte que le Tribunal doit écarter complètement les conclusions de l’expert.
[423] Le Tribunal mentionne que les liens passés d’emploi entre l’expert et la défenderesse, qui se sont étendus sur plusieurs années, n’ajoutent pas à la crédibilité de l’expert, bien que cet aspect ne soit pas, en soi, déterminant en l’espèce.
[424] Les théories proposées par Air Canada par la voix de son expert se heurtent à la seule réalité mise en preuve quant à la manière dont Air Canada s’est acquittée, directement ou indirectement à travers Aveos, de son obligation légale, soit d’assurer la pérennité des Centres en continuant d’y effectuer les mêmes activités ou leur équivalent, avec la même main-d’œuvre ou son équivalent, de 1988 à mars 2012.
[425] Il est peut-être possible qu’un seuil moins élevé d’activités dans les Centres ait pu permettre à Air Canada de se conformer à la Loi. Toutefois, Air Canada n’a pas proposé un scénario crédible et convaincant à cet égard, qui tienne compte des contraintes imposées par l’alinéa 6(1)d) de la Loi.
[426] Le Tribunal en conclut qu’Air Canada n’a pas démontré qu’un seuil précis d’activités d’entretien et de révision, différent de ce qui avait cours en mars 2012 dans les Centres, lui aurait permis de se conformer à la Loi.
[427] La seule preuve probante du niveau d’activités requis dans les Centres pour permettre à Air Canada de se conformer à la Loi est le constat des activités y ayant cours au moment de la fermeture d’Aveos, exécutées par les anciens employés d’Air Canada membre du Groupe, reflet d’une évolution de ces activités dans une continuité historique de 1988 à mars 2012.
[428] D’ailleurs, à compter de la fermeture d’Aveos, les besoins d’Air Canada au titre de l’entretien et de la révision de ses appareils n’ont pas changé. Il lui a fallu remplacer le travail effectué par les membres du Groupe rapidement. En effet, les entretiens sont réglementés et continuent à répondre aux mêmes exigences et calendriers tant avant qu’après le 18 mars 2012. Le travail a été imparti en quasi-totalité à des entités étrangères, exécutant les travaux avec leurs propres employés.
[429] Se pose alors la question du lien de causalité entre l’omission de maintenir les Centres et la perte définitive des emplois des membres du Groupe.
[430] Le Tribunal conclut, dans les circonstances particulières du présent dossier et pour les motifs qui suivent, que l’on ne peut scinder l’obligation de maintenir les Centres de la nécessité de disposer d’une main-d’œuvre qualifiée et expérimentée pour ce faire, soit, en l’occurrence, les travailleurs qui s’activaient à y exécuter les activités visées chez Aveos en mars 2012.
[431] Dans un premier temps, bien que la fermeture d’Aveos ait été l’occasion de la réalisation des dommages, ou une circonstance qui a coïncidé avec le point de départ de cette réalisation, soit la perte d’emploi des travailleurs membres du Groupe, c’est bien l’omission d’Air Canada de maintenir les Centres à la suite de cette fermeture qui a causé la perte définitive des emplois des membres du Groupe et les dommages qui en ont découlé.
[432] L’obligation légale d’Air Canada est la source première des contrats de service exclusif avec Aveos, et de l’exécution des activités d’entretien et de révision dans les Centres jusqu’en mars 2012. Du moment qu’Air Canada ne se croit plus liée par une obligation aussi onéreuse, il devient impossible de convaincre quiconque d’assurer le maintien des Centres.
[433] Cette obligation faite à Air Canada était peut-être désuète, mais elle n’a pris fin qu’avec l’Amendement législatif de 2016, le 22 juin 2016.
[434] Si le transfert graduel des responsabilités quant aux activités ayant cours dans les Centres, à travers une série d’étapes contractuelles et corporatives et culminant avec le transfert de près de 2 000 employés à Aveos à l’été 2011 et le Jugement Newbould, a pu donner une fausse impression de liberté à Air Canada, il ne faut pas perdre de vue que son obligation légale n’a jamais été transférée à Aveos et Air Canada y est demeurée contrainte.
[435] Partant, si Air Canada s’était conformée à son obligation à la suite de la fermeture d’Aveos, elle aurait pris les mesures nécessaires pour reprendre ou faire reprendre au plus vite les activités d’entretien et de révision dans les Centres.
[436] La situation était peut-être plus compliquée vu le transfert des certificats et des employés à Aveos, mais cela fait partie des risques de déléguer ce type de responsabilité à un sous-traitant qui, ultimement, n’est plus en mesure d’exécuter ses obligations contractuelles. D’ailleurs, l’expert d’Air Canada ne semble voir aucune difficulté à obtenir à nouveau la certification requise pour reprendre ces activités, moyennant un délai de six à huit mois[392].
[437] Il est vrai que la Loi laisse une marge de manœuvre à Air Canada dans sa manière de se conformer à son obligation. D’ailleurs, le Jugement CA le reconnaît, dans une perspective prospective.
[438] Or, à la suite du Jugement CA, Air Canada n’a jamais remis en service les Centres ou leur équivalent. Ainsi, même s’il pouvait théoriquement exister d’autres possibilités permettant à Air Canada de se conformer à la Loi, la preuve ne démontre qu’une seule manière de faire.
[439] En effet, durant toute la période où elle s’est conformée à sa Loi, que ce soit directement ou lorsqu’elle a imparti ce travail à Aveos, une chose est demeurée constante : le travail d’entretien lourd et de révision des appareils d’Air Canada s’effectuait dans des lieux précis conçus et adaptés aux activités, avec les mêmes employés, soit ceux qui ont été transférés par Air Canada à Aveos et qui y travaillaient toujours en mars 2012.
[440] Ces employés ont d’abord été des employés d’Air Canada pour ensuite être transférés, dans leur même fonction, à Aveos, aux mêmes conditions d’emploi, avec les mêmes avantages sociaux et fonds de pension. Leurs tâches n’ont pas changé.
[441] Ces employés sont précisément ceux qui font partie du Groupe.
[442] Le Tribunal tire une inférence à partir de faits et circonstances graves précis et concordants à l’effet que les effectifs requis pour l’opération des Centres après le 18 mars 2012 pour y effectuer les activités qualitativement et quantitativement équivalentes sont ceux qui étaient requis pour exécuter ces travaux dans les Centres avant le 18 mars 2012.
[443] La preuve soumise par Air Canada ne suffit pas à repousser cette présomption de faits.
[444] Ainsi, la véritable cause des dommages subis par le demandeur et les membres du Groupe au lendemain de la fermeture d’Aveos est le défaut par Air Canada de continuer de se conformer à son obligation légale.
[445] Le dommage ne découle pas, à proprement parler, de ne plus être employé d’Aveos. Il découle de ne plus effectuer les activités dans les Centres depuis cette fermeture.
[446] Quant au lien de causalité entre la faute d’Air Canada et la réclamation pour dommages moraux par les conjoint(e)s des ex-travailleurs membres du Groupe, dans la mesure où leur réclamation repose sur leur souffrance personnelle découlant de la conduite prise à l’endroit des ex-travailleurs, le Tribunal conclut que ces membres sont des victimes par ricochet.
[447] Dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (X) c. Commission scolaire de Montréal[393], la Cour d’appel confirme en effet qu’une telle victime par ricochet pourra recevoir compensation si elle est en mesure de démontrer que son préjudice est une suite directe et immédiate de la faute commise.
[448] En conséquence de ce qui précède, le Tribunal conclut que la faute d’Air Canada est la cause directe et immédiate des dommages subis par les membres du Groupe à la suite de la fin définitive de leur emploi dans les Centres.
[449] Le demandeur réclame des dommages punitifs à Air Canada en raison de l’atteinte illicite et intentionnelle au droit à la sauvegarde de la dignité et de l’honneur des membres du Groupe, en se fondant sur les articles 4 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne[394] (Charte québécoise), en relation avec la faute intentionnelle et la mauvaise foi alléguée d’Air Canada.
[450] Dans l’arrêt Curateur c. SNE de l’Hôpital St-Ferdinand[395], la Cour suprême du Canada définit ainsi une atteinte illicite et intentionnelle au sens de la Charte québécoise :
En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l’art. 49 de la Charte lorsque l’auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l’intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.
[Nos soulignement]
[451] Pour les motifs énumérés ci-dessus, menant le Tribunal à conclure à l’absence de mauvaise foi et de faute intentionnelle de la part d’Air Canada[396], il y a lieu de conclure également que toute atteinte qui aurait pu être commise au droit à la dignité et à l’honneur des membres du Groupe ne constitue pas une atteinte intentionnelle.
[452] En conséquence, cette partie de la réclamation doit échouer.
[453] Air Canada oppose un moyen d’irrecevabilité au recours du demandeur fondé sur la prescription. Selon elle, le recours repose sur une faute alléguée et des dommages qui se sont matérialisés dès la fermeture d’Aveos, le 18 mars 2012. Les procédures ayant été instituées le 4 avril 2016, soit plus de 3 ans après les faits constitutifs, le recours est prescrit.
[454] À la lumière des conclusions ci-dessus quant à l’absence de faute intentionnelle et de mauvaise foi d’Air Canada, le Tribunal n’analysera l’argument de prescription qu’en relation avec la faute découlant de la contravention à la Loi.
[455] Le demandeur conteste que son recours soit prescrit, principalement pour les motifs suivants :
455.1. La concrétisation du préjudice compensable subi par les membres dépendait du sort de l’action en jugement déclaratoire intentée en avril 2012 et qui était toujours pendante au moment d’instituer le présent recours, vu la demande d’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême par Air Canada;
455.2. Subsidiairement, la violation de la Loi par Air Canada est une faute continue qui a causé des dommages de manière continue entre mars 2012 et juin 2016. Ainsi, bien qu’une partie du recours puisse être prescrite, la portion visant tous les dommages subis entre le 5 avril 2013 et le 22 juin 2016, ne serait pas prescrite.
[456] Pour les motifs détaillés ci-dessous, le Tribunal conclut que la cause d’action du demandeur a pris naissance dès la fermeture d’Aveos le 18 mars 2012. Il était en mesure de connaître la faute d’Air Canada et nul doute que les dommages ont commencé à se manifester dès ce moment.
[457] Cela dit, la faute d’Air Canada est une faute continue qui a causé des dommages de manière tout aussi continue jusqu’en juin 2016. Ainsi, la portion de la réclamation portant sur tous les dommages subis dans les trois ans précédant l’institution des procédures en avril 2016 n’est pas prescrite.
[458] Les articles 2880, 2925 et 2926 C.c.Q. prévoient ce qui suit :
2880. La dépossession fixe le point de départ du délai de la prescription acquisitive.
Le jour où le droit d’action a pris naissance fixe le point de départ de la prescription extinctive.
2925. L’action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n’est pas autrement fixé se prescrit par trois ans.
[Nos soulignements]
[459] Le point de départ de la prescription est le premier jour où le titulaire du droit aurait pu agir pour le faire valoir[397]. En matière extracontractuelle, il s’agit du moment où les trois éléments constitutifs du recours sont réunis, soit la faute, le préjudice et le lien de causalité[398]. Tel que le précise la Cour d’appel dans l’arrêt Laniel Supérieur[399] :
Le demandeur doit être en mesure de savoir qu’une faute a été commise à son endroit et que celle-ci lui a causé un préjudice. De simples doutes, craintes, soupçons ou conjectures quant aux éléments constitutifs de la responsabilité sont insuffisants pour constituer le point de départ de la prescription. Un fondement sérieux pour chacun des éléments constitutifs du recours en responsabilité est nécessaire.
[460] Il arrive que l’existence d’un préjudice dépende du sort d’une autre procédure judiciaire. Dans un tel cas, le point de départ de la prescription est la date du jugement[400].
[461] Comme l’explique l’auteure Céline Gervais, maintenant juge à la Cour du Québec, dans son ouvrage La prescription [401]:
Sous réserve des questions de faits inhérentes à chaque dossier, il y a lieu de suivre le principe tiré des enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Prévost-Masson, et se demander si la naissance et la détermination du préjudice dépendent du résultat des autres procédures.
[Nos soulignements]
[462] En présence d’une faute continue causant un dommage de manière continue, il y a lieu de considérer qu’une faute est commise et qu’un dommage est causé quotidiennement. Ainsi, un délai de prescription commence à courir à chaque jour[402].
[463] Dans un arrêt récent[403], la Cour d’appel précise ce qui suit sur la notion de faute continue causant un dommage de manière continue, dans le cadre d’une violation quotidienne à une norme réglementaire :
[15] Quant au moyen relatif à la prescription, il est bien fondé.
[16] Au moment de formuler sa demande de permis, l’appelant sait que le panneau litigieux est installé en violation des normes applicables. Dès qu’il a été informé par le ministère que sa demande de permis était suspendue à cause du panneau installé illégalement, il connaît la faute de l’intimée. […]
[17] Au moment où l’appelant est informé que sa demande de permis est suspendue, il a tout en main pour poursuivre. Il connaît la faute, ses dommages (soit sa perte de revenus anticipés) et sait que ceux-ci découlent du fait que l’intimée refuse de déplacer son panneau, malgré les demandes incessantes du ministère dès janvier 2009.
[18] Or, il ne poursuit pas, préférant installer à son tour un panneau illégalement, dès 2010.
[19] Le fait que, le 20 octobre 2015, l’intimée demande un permis pour installer un nouveau panneau, tout en consentant à démolir le panneau litigieux, ne change en rien la situation qui était en place depuis le début de l’année 2009, moment où la demande de permis de l’appelant est suspendue.
[20] En l’espèce, le préjudice est continu et se matérialise à chaque jour depuis le moment où l’appelant est informé que sa demande de permis est suspendue en raison de la faute, répétée quotidiennement, de l’intimée ou du propriétaire antérieur du panneau publicitaire.
[21] En présence d’un tel préjudice continu ou répété découlant d’un acte fautif continuel, la prescription recommence à courir chaque jour. Par conséquent, le juge a commis une erreur manifeste et déterminante en ne reconnaissant pas que l’appelant ne pouvait réclamer des dommages pour une période allant au-delà de trois ans précédant la demande introductive d’instance, soit ceux subis à partir du 25 novembre 2014.
[Nos soulignements]
[464] Cet arrêt fut suivi dans Maheu c. Municipalité du Canton de Shefford[404] . Dans cette affaire, il s’agissait d’une omission d’agir d’une municipalité malgré une responsabilité légale à cet effet. La Cour mentionne ce qui suit, en citant Montambault :
[63] La MRC n’a pas mis en place les entraves, mais omet d’agir, malgré sa responsabilité en vertu de la Loi sur les compétences municipales. Il s’agit d’une faute continue qui crée des dommages de même nature.
[64] La Cour d’appel, dans un arrêt récent, s’exprime ainsi : [citant Montambault]
[65] Les fautes de Shefford et de la MRC sont continues, les causes d’action donnant naissance à celles-ci sont quotidiennes. Le point de départ se renouvelle chaque jour. Le recours n’est pas prescrit, s’il respecte les conditions de l’article 1112.1 C.M.
6.2 Discussion
[465] Le Tribunal ne partage pas la position du demandeur voulant que le préjudice se soit manifesté réellement pour la première fois à la suite du Jugement CA.
[466] Le demandeur a peut-être cru que ce jugement, tout comme le Jugement Castonguay, permettait de confirmer la contravention d’Air Canada à la Loi. Toutefois, ces jugements ne sont pas créateurs de droit. Ils constatent plutôt un état de fait. Ils n’ont pas d’impact sur la manifestation du préjudice ni n’en créent un nouveau.
[467] De plus, la position et les intentions d’Air Canada étaient connues du demandeur peu de temps après la fermeture d’Aveos, comme il le reconnaît lui-même à l’audience. Elles ont d’ailleurs été confirmées publiquement lors d’audiences devant le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités, le 29 mars 2012, lors desquelles Air Canada confirme ce qui suit :
467.1. Air Canada n’a aucune intention de racheter Aveos[405];
467.2. Selon Air Canada, elle se conforme à la Loi malgré la cessation des activités d’Aveos, notamment en tenant compte du Jugement Newbould et d’une opinion juridique commandée et transmise par le ministère des Transports du Canada[406];
467.3. Elle entend prioriser un fournisseur de service de révision et d’entretien qui pourra offrir une solution prévoyant l’exécution de travaux au Canada tout en étant viable et concurrentielle[407].
[468] Quant au préjudice matériel et moral réclamé par le demandeur, il y a lieu de conclure qu’il s’est manifesté à compter du 18 mars 2012. En effet, dès cette date, les travailleurs subissent les effets de la perte de leur emploi, et de l’incertitude quant à la suite des choses. Le témoignage de plusieurs d’entre eux à l’audience est éloquent.
[469] En conséquence, le délai de prescription du recours du demandeur a commencé à courir pour la première fois dès le 18 mars 2012.
[470] Par contre, le Tribunal conclut qu’Air Canada a commis une faute en omettant de maintenir les Centres, non seulement à cette date, mais depuis cette date, de manière continue jusqu'à l’Amendement législatif de 2016. Cette faute renouvelée, causant un dommage quotidiennement, constitue, à chaque jour, le point de départ d’un nouveau délai de prescription.
[471] Air Canada aurait pu décider de se conformer à son obligation légale à la suite du Jugement Castonguay ou du Jugement CA, ou à tout autre moment, et remettre en service, directement ou indirectement, les Centres, mais ne l’a pas fait. L’eût-elle fait, elle aurait mis fin à la violation à la Loi et aux dommages quotidiens subséquents subis par le demandeur et les membres du Groupe.
[472] Air Canada admet d’ailleurs que « dans la mesure où un jugement final avait été rendu avant l’entrée en vigueur de l’amendement de 2016, Air Canada aurait bien entendu été tenue de s’y conformer »[408]. Si cela va de soi, il y a également lieu de conclure qu’Air Canada supportait les risques de l’instance, soit ceux de ne pas se conformer à une obligation légale continue qui fait l’objet d’un litige et dont l’existence est éventuellement confirmée par jugement.
[473] La faute d’Air Canada de ne pas se conformer à son obligation légale se distingue ici des cas où une contravention ponctuelle cause un incident et des dommages. Dans de tels cas, la contravention a eu lieu et l’incident s’est pleinement matérialisé. Ce pourrait être le cas, à titre d’exemple, d’un congédiement où la faute a été commise et le dommage a été causé.
[474] En l’espèce, la contravention d’Air Canada à son obligation de maintenir les Centres s’est poursuivie à chaque jour du 18 mars 2012 jusqu’au 22 juin 2016. Durant toute cette période, des dommages ont pu être causés aux membres du Groupe par ce défaut continu d’Air Canada.
[475] En conséquence, la portion de la réclamation du demandeur portant sur tous les dommages subis dans les trois ans précédant l’institution des procédures en avril 2016 n’est pas prescrite.
[476] Air Canada soumet que la Quittance contenue à l’Entente du 8 janvier 2009, à laquelle l’AIMTA, Air Canada et Aveos étaient parties, s’applique et qu’il y a eu transaction entre les parties, confirmée par le CCRI et le Jugement Newbould. En conséquence, la Quittance a l’autorité de la chose jugée à l’égard des parties et constitue une fin de non-recevoir au recours du demandeur.
[477] Pour les motifs détaillés ci-dessous, le Tribunal conclut que la Quittance ne constitue pas une fin de non-recevoir à l’encontre du recours du demandeur.
7.1 Faits pertinents
[478] Comme mentionné, dans le cadre de la vente des actifs d’ACTS LP au Consortium, en 2007, les employés syndiqués détachés par Air Canada au service d’ACTS continuent d’être détachés pour exécuter les mêmes fonctions, cette fois-ci pour le compte d’Aveos et sous sa gestion.
[479] Dans la foulée de ces transferts d’employés, des litiges éclatent entre le syndicat et Air Canada, et l’Entente du 8 janvier 2009 est conclue. Le Tribunal réitère que cette entente permet de régler les questions demeurant en litige et poursuit notamment les objectifs suivants:
479.1. Faciliter la transition ordonnée des employés visés d’Air Canada vers Aveos, en conformité avec le choix exprimé par chacun d’eux; et
479.2. Établir les termes et conditions d’emploi applicables aux employés d’Air Canada qui font le choix de devenir des employés d’Aveos.
[480] La naissance des obligations prévues à l’Entente est sujette à certaines conditions, dont la conclusion d’une entente entre Air Canada et Aveos à l’effet que cette dernière demeure le fournisseur exclusif des services d’entretien et de révision des cellules, au moins jusqu’au 30 juin 2013[409].
[481] L’Entente prévoit enfin la Quittance, qui se lit comme suit[410] :
13. The parties acknowledge and agree that the terms of this Memorandum of Agreement together with the award of arbitrator Martin Teplitsky or such other arbitrator as he may designate and related orders or directions of the CIRB are exhaustive of the rights of any Air Canada Employee affected by the sale of the business of ACTS LP and that no party will assert any claim, demand or grievance related or arising from the transitioning of Air Canada Employees to Aveos except in accordance with this Memorandum of Agreement.
[Nos soulignements]
[482] Le 22 janvier 2009, le CCRI déclare que l’Entente du 8 janvier 2009 constitue un règlement complet et final de la plainte no 26054-C et ordonne aux parties de collaborer à sa mise en œuvre[411].
[483] Le 31 janvier 2011, le CCRI fait droit à une demande de déclaration de vente d’entreprise présentée par Air Canada et Aveos et rejette la demande de déclaration d’employeur unique présentée par l’AIMTA[412]. Le CCRI[413]déclare ce qui suit:
AND FURTHERMORE, the Canada Industrial Relations Board hereby declares that the January 8, 2009 MOA, as amended by the June 8, 2009 MOA, the Heavy Maintenance Separation Program ordered pursuant to Order No. 9996-U, and the present Order properly and fully dispose of all matters arising from the sale of business from ACTS LP to Aveos Fleet Performance Inc. or related to the consequences of such sale, whether under the Code, the applicable collective agreement or otherwise.
[Nos soulignements]
[484] Tel que mentionné, le « Heavy Maintenance Separation Program » ou l’Entente sur une indemnité de séparation dont il est question a été offert par Air Canada le 13 janvier 2011[414] et est joint en annexe à l’ordonnance du CCRI[415]. Il importe de reproduire les extraits suivants, pertinents à la question en litige[416] :
Air Canada proposes to offer a separation program to IAMAW-represented Aveos employees who were employed as of the date of the requested order establishing separate bargaining units for Aveos employees, as follows:
1) The separation program will consist of a maximum of 1,500 separation packages.
2) A separation payment under this program shall be an amount representing two weeks’ pay for each completed year of continuous service at Air Canada and Aveos up to a maximum of 52 weeks, service to be calculated at the time of granting the separation package. The separation payment will be based on the eligible employee’s base hourly rate for a 40-hour work week.
3) The separation packages, up to the maximum number expressed in para. 1 above, will be made available to IAMAW-represented employees at any time up to June 30, 2015, in the event that employees are permanently laid-off, or terminated or a temporary layoff becomes permanent as a direct result of Aveos ceasing to be the exclusive provider of heavy maintenance services to Air Canada, other than in circumstances described in para. 4 below. Such an event may occur before June 30, 2013, but no later than June 30, 2015.
4) The separation packages, up to the maximum number expressed in para. 1 above, will also be made available at any time up to June 30, 2013 to IAMAW-represented employees, in the event of an insolvency, liquidation or bankruptcy involving Aveos resulting in the cancellation of Air Canada-Aveos contracts and in the termination or permanent layoff of IAMAW-represented employees.
[…]
9) Any separation package extended to an employee by Air Canada under this separation program is inclusive of and in complete satisfaction of any and all payment in lieu of notice of termination or layoff and severance pay to which an employee in receipt of the separation package may be entitled from Air Canada and/or Aveos under the Canada Labour Code (“the Code”) and under the applicable collective agreement.
10) The separation payments contemplated by the Air Canada separation program fulfill any and all requirements for severance pay, in relation to employees in receipt of separation payments, in any adjustment program negotiated or arbitrated under Division IX of the Code and the provisions of section 228 may be invoked as may be necessary to confirm this result.
[Nos soulignements]
[485] Selon Air Canada, la Quittance incluse à l’Entente du 8 janvier 2009 englobe et inclut le recours du demandeur en l’instance et constitue une fin de non-recevoir du recours. Plus particulièrement, elle soutient que :
485.1. La Quittance vise tant le transfert des employés syndiqués d’Air Canada vers Aveos que la fermeture potentielle d’Aveos;
485.2. Le CCRI a confirmé que les modalités prévues à l’Entente permettaient à Air Canada de satisfaire les obligations qui lui incombent en lien avec la vente d’ACTS LP au Consortium;
485.3. L’Entente sur une indemnité de séparation, de même que les ordonnances du CCRI sont incorporées par référence à l’Entente et constituent la contrepartie de la Quittance accordée par l’AIMTA;
485.4. La Quittance constitue une transaction qui a l’effet de la chose jugée entre les parties suivant les articles 2631 et 2633 C.c.Q.;
485.5. Le recours du demandeur recherche une seconde compensation pour les mêmes événements déjà réglés entre les parties;
485.6. Le Jugement Newbould rejette le recours de l’AIMTA en se fondant sur le contenu de la Quittance;
485.7. Le Jugement d’autorisation mentionne qu’il s’agit d’un argument sérieux et possiblement fatal[417] :
[42] Air Canada soutient que l’Entente constitue une transaction au sens de l’article 2631 C.c.Q. qui a l’autorité de la chose jugée. Cette transaction rendrait irrecevable toute réclamation en dommages découlant d’une violation de la Loi et la décision du juge Newbould aurait déjà statué en ce sens. Il y aurait donc identité d’objet, de cause et de parties, puisque l’AITMA était la représentante dûment désignée des employés syndiqués.
[43] L’argument d’Air Canada est sérieux et pourrait même constituer un moyen de défense fatal sur le fond de l’affaire. Toutefois, à ce stade-ci, le Tribunal n’est pas en mesure de conclure qu’il y a chose jugée.
[…]
[49] Il reste à déterminer si la quittance, contenue à l’Entente, constitue une transaction. Bien que le texte de la quittance soit clair, il faut souligner qu’elle a été consentie en janvier 2009 dans un contexte où Air Canada ne violait pas la Loi. Est-ce qu’Air Canada a manigancé ou manœuvré en vue de se décharger illégalement de ses obligations, comme allégué dans la demande? S’agissait-il d’une stratégie empreinte de mauvaise foi? Une preuve devra être administrée afin d’obtenir des réponses à ces questions et celles-ci permettront de statuer sur la portée de cette quittance.
[50] À titre d’exemple, si la preuve révélait qu’Air Canada a toujours agi de bonne foi et qu’elle n’est pas la cause de la déconfiture d’Aveos, la quittance pourrait constituer une fin de non-recevoir. Par contre, s’il s’avérait qu’Air Canada a agi de mauvaise foi, il est envisageable que la quittance ne puisse constituer un moyen de défense. En effet, il serait contraire au principe élémentaire de bonne foi qu’Air Canada puisse, d’un côté, obtenir une quittance en contrepartie de certains engagements et, de l’autre, manœuvrer en allant à l’encontre de ces engagements, tout en bénéficiant de la quittance.
[Nos soulignements]
485.8. Par ailleurs, le paiement d’une indemnité à titre de délai de congé en vertu du Code du travail est inclusif de tout dommage moral découlant de la perte de l’emploi. Ainsi, la portion de la réclamation pour dommage moral est manifestement mal fondée.
[486] Le demandeur conteste l’argument d’irrecevabilité et soutient que :
486.1. La Quittance ne vise que le contexte du transfert des employés syndiqués d’Air Canada vers Aveos, ce qui n’inclut pas le recours du demandeur qui vise plutôt les conséquences de la violation de la Loi par Air Canada;
486.2. Le litige menant au Jugement Newbould porte sur la contestation par le syndicat du transfert même des employés d’Air Canada vers Aveos, ce qui est clairement visé par la Quittance, contrairement au contexte du recours actuel du demandeur qui est tout autre;
486.3. L’indemnité payée au titre de l’Entente sur une indemnité de séparation ne constitue pas une fin de non-recevoir au recours du demandeur, puisqu’elle vise à protéger les employés de la fragilité possible de leur nouvel employeur. Elle ne constitue pas un compromis ou une contrepartie à la violation subséquente de la Loi par Air Canada.
[487] Les articles 2631 et 2633 C.c.Q. prévoient ce qui suit :
2631. La transaction est le contrat par lequel les parties préviennent une contestation à naître, terminent un procès ou règlent les difficultés qui surviennent lors de l’exécution d’un jugement, au moyen de concessions ou de réserves réciproques.
Elle est indivisible quant à son objet.
2633. La transaction a, entre les parties, l’autorité de la chose jugée.
La transaction n’est susceptible d’exécution forcée qu’après avoir été homologuée.
[488] Il appartient à celui qui invoque une transaction d’en faire la preuve, suivant la balance des probabilités.
[489] Pour qu’une transaction ait l’autorité de la chose jugée à l’encontre d’un recours, la transaction et le recours devront avoir l’identité de parties, d’objets et de causes[418]. En cas de désaccord entre les parties quant à la portée d’une transaction et d’une quittance, il appartient au tribunal d’en vérifier l’objet et la cause, et ensuite d’aborder la règle des trois identités[419].
[490] Le Tribunal réfère aux principes de droits applicables à l’autorité de la chose jugée, détaillés à la section V.1(1.1.1) du présent jugement.
7.3 Discussion
[491] La Quittance est intervenue dans le cadre du transfert des employés syndiqués d’Air Canada vers Aveos. Son libellé est clair à l’effet qu’elle a pour objet d’empêcher « any claim, demand or grievance related or arising from the transitioning of Air Canada Employees to Aveos ».
[492] Ainsi, pour faire droit à l’argument d’Air Canada, il faudrait conclure que le recours intenté par le demandeur a la même cause que la Quittance, soit qu’il est en relation ou découle du transfert des employés d’Air Canada vers Aveos.
[493] Qui plus est, l’ordonnance du CCRI du 31 janvier 2011 précise que l’Entente du 8 janvier 2009, l’Entente sur une indemnité de séparation et le contenu de l’ordonnance elle-même, « properly and fully dispose of all matters arising from the sale of business from ACTS LP to Aveos Fleet Performance Inc. or related to the consequences of such sale, whether under the Code, the applicable collective agreement or otherwise ».
[494] On y vise donc tout différend découlant de la vente des actifs d’ACTS à Aveos, ou reliés aux conséquences de la vente, qu’elles découlent du Code, de la convention collective ou « autrement ».
[495] Quant à l’Entente sur une indemnité de séparation, comme le confirme monsieur Ciotti, elle vise à mitiger le risque, pour les employés syndiqués transférés, que leur nouvel employeur fasse faillite, notamment à la suite de la fin des contrats d’entretien des cellules.
[496] Le Tribunal est d’avis que la Quittance n’emporte pas l’autorité de la chose jugée à l’endroit du recours du demandeur.
[497] En effet, le syndicat pouvait bien négocier et obtenir de meilleures conditions de transfert pour ses employés et transiger sur certains litiges l’opposant à Air Canada et, plus tard, obtenir une protection monétaire additionnelle des employés, le tout dans le cadre des risques accrus associés à un changement d’employeur, en échange de permettre à Air Canada de mettre son plan de transfert des employés à exécution, dans le cadre plus large de la vente des actifs d’ACTS à Aveos.
[498] Les parties pouvaient aussi se donner quittance pour les conséquences du transfert.
[499] Toutefois, le fruit d’une telle négociation ne peut s’étendre à toutes les conséquences découlant de la violation continue de la Loi par Air Canada à la suite de la fermeture d’Aveos, soit la commission d’une faute distincte subséquente d’Air Canada et non reliée au transfert des employés.
[500] Le recours entrepris n’est pas fondé sur un manquement d’Air Canada à titre d’employeur ou d’ex-employeur comme tel. Il ne vise pas un manquement dans le cadre du transfert des employés ni de la vente des actifs d’ACTS à Aveos ou de ses conséquences. Il est fondé sur la violation, par Air Canada, de ses obligations légales à la suite de la fermeture de son sous-traitant.
[501] Air Canada soutient qu’elle a le droit de bénéficier de la contrepartie négociée en échange du paiement de l’indemnité, soit les effets qu’elle donne à la Quittance. Le Tribunal est en désaccord. Le compromis négocié ne pouvait avoir pour effet prévu de permettre à Air Canada de se soustraire aux conséquences d’une violation future de la Loi.
[502] Air Canada soutient aussi que le Jugement Newbould a reconnu la validité de la Quittance et l’a appliquée à l’encontre du recours du syndicat dans cette autre affaire. Or, le recours du syndicat avait pour objet d’empêcher le transfert des employés d’Air Canada à Aveos. La conclusion du Jugement Newbould ne peut être opposée aux parties dans le cadre d’un litige portant sur une cause différente.
[503] Quant à l’argument d’Air Canada voulant que le paiement de l’indemnité fait aux membres syndiqués du Groupe équivaille au paiement d’un délai-congé qui inclut tout dommage moral découlant de la perte de l’emploi, il doit également être rejeté.
[504] En effet, tel que le reconnaît l’arbitre Teplitsky, le 12 septembre 2012, dans une décision relative à un différend entre Air Canada et l’AIMTA en ce qui a trait au paiement de l’indemnité prévue[420] :
Je dois préciser que bien que le terme indemnité de départ soir utilisé, aucun paiement n’était en fait dû lors du départ. C’est plutôt la faillite d’Aveos, ou la perte du contrat d’entretien lourd, qui a déclenché le paiement. Bien que tout paiement couvre les obligations en matière d’indemnité de départ d’Aveos en vertu du Code canadien du travail, la probabilité, étant donné la faillite d’Aveos, est que les sommes dues à cet égard étaient faibles ou nulles.
[Nos soulignements]
[505] Air Canada n’était plus l’employeur des travailleurs. De plus, l’indemnité aurait été payable même si Air Canada avait repris les activités dans les Centres, directement ou indirectement, et que les travailleurs avaient retrouvé leur emploi.
[506] Enfin, le Jugement d’autorisation ne décide pas de la portée de la Quittance ni des conditions précises dans lesquelles elle pourrait ou non constituer une fin de non-recevoir. Il reconnaît que la question est sérieuse et évoque des exemples, laissant au juge saisi du fond de l’affaire de trancher la question.
[507] À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que la Quittance ne constitue pas une fin de non-recevoir à l’encontre du recours du demandeur.
[508] Par ailleurs, il importe de préciser, comme le reconnaît le demandeur, que si les dommages compensatoires réclamés ont déjà été en partie compensés par le paiement fait par Air Canada au terme l’Entente sur une indemnité de séparation, le cas échéant, les sommes reçues devront être prises en compte dans l’évaluation des dommages subis.
[509] Une telle opération aura toutefois un impact limité sur la portion des dommages recevables puisque l’indemnité ne peut viser qu’une période maximale de 52 semaines de traitement et que les dommages survenus sur une période d’un peu plus d’un an après la fermeture d’Aveos sont prescrits.
[510] Le demandeur réclame les dommages compensatoires suivants dans sa demande introductive d’instance modifiée du 1er octobre 2021, telle que modifiée à nouveau à l’audience[421] :
510.1. Le recouvrement individuel des pertes pécuniaires;
510.2. Le recouvrement collectif d’une somme de 15 000 $ à chacun des anciens travailleurs des Centres à titre de dommages moraux, soit une somme totale de 32 970 000 $;
510.3. Le recouvrement individuel d’une somme de 15 000 $ à chacun(e) des conjoint(e) des anciens travailleurs des Centres de Mississauga, de Montréal et de Winnipeg à titre de dommages moraux;
510.4. Le recouvrement individuel d’une somme supplémentaire pour les dommages non pécuniaires qui surpassent les dommages moraux communs subis par les membres, par exemple les problèmes psychologiques, les divorces, les tentatives de suicide et les suicides;
[511] À l’audience, le demandeur précise la composition des membres du Groupe. Ainsi, des 2204 anciens travailleurs touchés par l’action collective, soit 1785 membres provenant du centre de révision de Montréal, 412 de Winnipeg et 7 de Mississauga, six membres se sont exclus, ce qui porte le nombre final d’anciens travailleurs membres du Groupe à 2198[422].
[512] Le principe de la compensation intégrale s’applique aux membres d’une action collective. Ainsi, les membres ont droit à des dommages-intérêts en réparation du préjudice moral ou matériel que lui cause le débiteur[423]. Les dommages-intérêts compensent la perte subie par le créancier et le gain dont il est privé. Le préjudice futur sera recevable s’il est certain ou susceptible d’être évalué[424].
[513] Pour analyser la perte de revenus, il y aura lieu de tenir compte du salaire du débiteur avant et après la faute à l’origine du dommage. La base du calcul du dommage subi sera le salaire du débiteur, calculé sur la dernière année[425]. Il sera tenu compte, dans l’évaluation de la perte de revenus, des revenus réellement gagnés à la suite de l’acte dommageable.
[514] Quant à la perte des avantages sociaux, incluant les pertes reliées à un fonds de pension, elle sera établie par des expertises actuarielles.
[515] La preuve par sondage sera recevable lorsqu’elle est fiable et valide.
[516] Le recouvrement collectif des réclamations des membres à une action collective pourra être ordonné lorsque la preuve permet d’établir de manière suffisamment précise le montant total des réclamations[426]. Il en est ainsi lorsque la preuve permet d’en arriver à une certaine approximation quant au montant total des réclamations, même si les réclamations individuelles des membres ne sont pas identiques[427].
8.2 Faits pertinents
[517] Au soutien de sa réclamation pour dommages pécuniaires et dommages moraux, le demandeur soumet une preuve par sondage de l’expert en sondage d’opinion publique, Christian Bourque, fondée sur les données recueillies et analysées par monsieur Michel Bettez pour le demandeur[428].
[518] L’expert Bourque est d’opinion que le sondage est fiable et valide vu la formulation et la présentation des questions posées, la faible marge d’erreur découlant du bassin d’individus ciblés et le haut taux de répondants obtenu[429]. Malgré la faiblesse d’une des questions posées en relation avec les dommages moraux subis, l’expert conclut qu’elle n’a aucune incidence sur la fiabilité du sondage[430].
[519] L’analyse du sondage effectué par monsieur Bettez conclut notamment ce qui suit :
519.1. Il extrapole des pertes de revenus pour l’année 2012, pour un Groupe formé de 2 000 personnes à 64 M$, et pour l’année 2013, 50 M$[431];
519.2. Il constate une baisse importante des avantages sociaux disponibles aux répondants en comparaison du régime en place avant le 18 mars 2012[432];
519.3. Les répondants ont confirmé avoir souffert, à divers degrés, des préjudices moraux incluant du stress, une perte d’estime de soi, de l’humiliation, des idées noires, de l’insomnie, des tensions familiales, des difficultés financières, la réduction des vacances en famille et des activités sociales[433];
519.4. Les répondants ont confirmé que leur conjoint, le cas échéant, a aussi souffert, à degrés variables, des préjudices moraux précités[434].
[520] De plus, le demandeur a aussi fait entendre vingt (20) représentants du Groupe, soit des ex-travailleurs, des conjoint(e)s d’ex-travailleurs, syndiqués et non-syndiqués, ayant exercé leur fonction aux Centres de Montréal, de Winnipeg et de Mississauga. Il dépose aussi les transcriptions de douze membres interrogés hors Cour[435].
[521] La preuve révèle que les membres ont subi des dommages pécuniaires durant la période non prescrite du recours, soit après avril 2013[436], ce qui inclut la perte de revenu d’emploi, de régime de retraite et d’autres avantages sociaux.
[522] Une preuve actuarielle a été produite de part et d’autre[437], proposant chacune une méthodologie de détermination des pertes pécuniaires. Cela dit, les parties ont convenu de compléter et présenter cette preuve dans le cadre d’une seconde phase de l’audience.
[523] La preuve révèle également qu’une très forte majorité des membres ont subi des dommages moraux des suites de la perte définitive de leur emploi. De tels dommages ont également été subis, à degrés variables, durant la période recevable, soit après le 5 avril 2013.
8.3 Discussion
[524] Le Tribunal a conclu qu’Air Canada a commis une faute continue durant la période en litige. Dans la mesure où le demandeur et les membres du Groupe ont subi des dommages de manière continue au cours de la période recevable du 5 avril 2013 au 22 juin 2016, ils ont droit à une compensation intégrale de tels dommages.
[525] Quant aux dommages pécuniaires, tel que mentionné, le demandeur demande le recouvrement individuel de tels dommages, vu la fluctuation inévitable de la valeur des dommages subis d’un membre à l’autre.
[526] Ainsi, une preuve individuelle sera nécessaire afin de quantifier ces dommages, tenant compte de la situation de chacun des membres durant la période du 5 avril 2013 au 22 juin 2016.
[527] Quant à la portion des pertes pécuniaires relatives aux régimes de retraite, Air Canada soutient qu’elle ne peut être tenue responsable de l’état du régime administré par des tiers, pour les employés d’Aveos. Ainsi, elle ne saurait être tenue responsable de la gestion de ces régimes, de l’affectation des cotisations souscrites, ni de leur état au moment de leur liquidation.
[528] Il appert de la preuve que dans le cadre du transfert des employés d’Air Canada vers Aveos, deux régimes de retraite étaient en place. Un pour les employés syndiqués, créé en juillet 2011 et un second pour les employés non syndiqués, en vigueur depuis octobre 2007[438].
[529] Les arguments soulevés par Air Canada ne permettent pas de faire échec à la réclamation du demandeur pour les pertes relatives aux régimes de retraite. Par contre, il s’agit de définir une méthodologie de calcul de tels dommages qui tiendra compte des autres conclusions contenues au présent jugement.
[530] Cette méthodologie devra notamment tenir compte, des conclusions du Tribunal à l’effet que la faute retenue, à l’origine des dommages subis, est la violation de la Loi par Air Canada suivant la fermeture d’Aveos et non d’avoir causé la fermeture d’Aveos.
[531] Comme demandé par les parties, il y aura lieu de fixer une seconde phase d’audience afin de trancher cet aspect de la demande.
[532] Au soutien de sa réclamation pour dommages moraux des membres, le demandeur recherche un recouvrement collectif d’un montant de 15 000 $ par membre.
[533] Il ne fait pas de doute de la preuve entendue que les membres ont subi un préjudice moral qui peut, du moins en partie, être similaire, incluant la perte de jouissance de la vie, les souffrances psychologiques et les inconvénients découlant de la perte définitive de leur emploi. Cela dit, à la lumière des conclusions contenues au présent jugement quant à la prescription d’une partie du recours, le Tribunal n’est pas en mesure de conclure au caractère approprié d’un recouvrement collectif des dommages moraux.
[534] En conséquence, il y a lieu de permettre le recouvrement individuel de tels dommages et ainsi d’en combiner l’exercice avec le recouvrement individuel des sommes supplémentaires, le cas échéant, pour les dommages moraux qui surpassent les dommages moraux communs subis par les membres, par exemple les problèmes psychologiques, les divorces, les tentatives de suicide et les suicides.
[535] Quant aux dommages moraux réclamés pour les conjoints des ex-travailleurs, Air Canada soutient qu’ils ne sont pas recevables, s’agissant de dommages par ricochet.
[536] Le demandeur conteste cet argument, soumettant qu’il s’agit plutôt de victimes par ricochet.
[537] En l’espèce, les dommages moraux découlent notamment du stress de devenir le seul soutien financier[439], la présence de tensions familiales, la perte de vacances en famille, l’insomnie, etc.
[538] Pour les motifs détaillés à la section V.4(4.3) du présent jugement, le Tribunal a conclu qu’elles sont des victimes par ricochet, dans la mesure où elles ont subi des souffrances personnelles découlant de la faute d’Air Canada.
[539] Bien qu’il s’agisse de victimes par ricochet, les dommages subis ne sont pas des dommages par ricochet. Ils sont donc recevables.
[540] À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de prévoir que les parties soumettent au Tribunal, dans un délai de 90 jours, une proposition détaillée quant aux modalités de preuve et de calcul des tous les dommages accordés par le présent jugement, par catégorie ou regroupement si possible, ainsi que les propositions de modalités spatio-temporelles de recouvrement et de publication des avis aux membres. Le Tribunal devra tenir une ou plusieurs audiences pour décider de cet aspect, avec possiblement une enquête supplémentaire.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[541] ACCUEILLE en partie l’action collective du demandeur pour le compte de tous les membres du Groupe;
[542] CONDAMNE Air Canada à payer au demandeur et à chacun des membres du Groupe une indemnité pour perte de revenus d’emploi;
[543] ORDONNE le recouvrement individuel des réclamations des membres du Groupe pour perte de revenus d’emploi;
[544] CONDAMNE Air Canada à payer une somme correspondant à la perte de la valeur des avantages sociaux perdus;
[545] ORDONNE le recouvrement individuel des réclamations des membres du Groupe pour la perte de la valeur des avantages sociaux perdus;
[546] CONDAMNE Air Canada à payer une somme correspondant au préjudice moral subi, à savoir le stress, la remise en question, la diminution de l’estime de soi, l’insécurité, le sentiment d’injustice et la perte de jouissance de la vie;
[547] ORDONNE le recouvrement individuel des dommages-intérêts moraux pour les membres du Groupe qui étaient employés d’Aveos;
[548] ORDONNE le recouvrement individuel des dommages-intérêts moraux pour les conjoints des employés;
[549] CONDAMNE Air Canada à payer les réclamations individuelles des membres pour les dommages moraux supplémentaires tels que les problèmes psychologiques et l’insomnie, les problèmes familiaux, les divorces et les suicides;
[550] CONDAMNE Air Canada à payer, sur l’ensemble des sommes mentionnées ci-dessus, l’intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., à compter de la date de la signification de la demande pour autorisation d’intenter une action collective;
[551] ORDONNE aux parties de soumettre au Tribunal, dans un délai de 90 jours de la date du présent jugement, une proposition détaillée quant aux modalités de preuve et de calcul des tous les dommages accordés par le présent jugement, par catégorie ou regroupement si possible, ainsi que les propositions de modalités spatio-temporelles de recouvrement et de publication des avis aux membres;
[552] LE TOUT, avec les frais de justice, y compris tous les frais d’expertise, d’avis aux membres et autres frais connexes.
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marie-christine hivon, j.c.s.
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Me Philippe Hubert Trudel | ||
Me Jean-Marc Lacourcière | ||
Me Anne-Julie Asselin | ||
Trudel Johnston & Lespérance | ||
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Me Jean-François Bertrand | ||
Me Élodie Drolet-French | ||
Jean-François Bertrand, avocats inc. | ||
Avocats du demandeur | ||
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Me Patrick Girard | ||
Me Guillaume Boudreau-Simard | ||
Me Alexa Teofilovic | ||
Stikeman Elliott, s.e.n.c.r.l., s.r.l. | ||
Avocats de la défenderesse | ||
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Dates d’audience :
| 4 au 28 octobre 2021 | |
[1] 2018 QCCS 2020.
[2] Jugement d’autorisation, par. 98.
[3] L.R.C. (1985), ch. 35.
[4] En anglais « IAMAW ».
[5] Voir les représentations en demande et en défense lors de la journée d’audience du 26 octobre 2021.
[6] Voir le procès-verbal d’audience du 8 octobre 2021.
[7] Plan d’argumentation du demandeur, par. 281.
[8] Le Tribunal réfère notamment aux témoignages de Renald Courcelles, Denis Cantin, Simon Drainville, Marc Landry et Marc Henry.
[9] Le Tribunal réfère notamment aux témoignages de Denis Cantin, Simon Drainville, Glen O’Connor, Pierre Barbagallo, Jason Stratton, Stéphane Meunier et Marc Henry.
[10] Le Tribunal réfère notamment aux témoignages de Jean-Daniel Grenier, Renald Courcelles, Denis Cantin, Simon Drainville, Marc Landry, Pierre Barbagallo et Ian Robbins.
[11] Le Tribunal réfère notamment aux témoignages de Renald Courcelles, Denis Cantin, Marc Landry, Pierre Barbagallo, Jean-Daniel Grenier, Chrystiane Bénard et Ian Robbins.
[12] Le Tribunal réfère notamment aux témoignages d’Annie Bellemare, Renald Courcelles, Denis Cantin, Simon Drainville, Marc Landry, Glen O’Connor, Chrystina Flynn, Pierre Barbagallo, Jason Stratton, Stéphane Meunier et Jean-Daniel Grenier.
[13] Le Tribunal réfère notamment aux témoignages d’Annie Bellemare, Renald Courcelles et Denis Cantin.
[14] Le Tribunal réfère notamment au témoignage d’Yvan Poitras.
[15] Voir les chronologies produites par les parties au dossier de la Cour.
[16] Traduit de l’anglais « Approved Maintenance Organization » ou « AMO ».
[17] Les parties et certains documents utilisent le terme « Memorandum of Agreement » ou « MOA », en référence à cette entente (Entente du 8 janvier 2009), pièce D-1.
[18] Pièce D-4.
[19] L.C. 2016, ch. 8 (Projet de loi C-10).
[20] Demande introductive d’instance modifiée le 1er octobre 2021, par. 38.
[21] Le Tribunal réfère aux témoignages des représentants d’Air Canada, messieurs George Psycharis, alors directeur de l’entretien des cellules et des moteurs, et Gilles Néron, alors directeur de la stratégie commerciale de la maintenance, à l’audience. Voir aussi le Jugement CA, par. 24, 197 et 198.
[22] Pièce D-16.
[23] Pièce D-16, numérotation continue p. 0402.
[24] Pièce D-16, numérotation continue p. 0402.
[25] Voir notamment les pièces D-16, article 1.3, numérotation continue p. 0362, et D-1, article II.2.
[26] Voir notamment la pièce D-16, article 1.3 numérotation continue p. 0362.
[27] Services Agreement for Airframe Heavy Maintenance Services, pièce D-17.
[28] Pièce D-17, numérotation continue p. 0443.
[29] Pièce D-17, article 1.5, numérotation continue p. 0446.
[30] Pièce D-17, numérotation continue p. 0472.
[31] Pièce D-17, article 1.4, numérotation continue p. 0475.
[32] Pièce D-15.
[33] Amended and Restated Master Services Agreement, pièce P-50.
[34] Voir notamment la pièce D-15, article 2.3, numérotation continue p. 0340.
[35] Pièce D-18.
[36] Dispute Settlement and Ancillary Matters Agreement, pièce D-20.
[37] Pièce D-20, article 13, numérotation continue p. 0756.
[38] Pièce D-20, article 13d, numérotation continue p. 0758.
[39] Pièce D-21.
[40] Pièce D-21, article 14.8, numérotation continue p. 0784.
[41] Pièce D-19.
[42] La date est la plus tôt des dates suivantes : le 1er juillet 2011 ou la « Certification Date », soit la date ainsi définie dans les lettres de transfert des employés d’Air Canada, pièce D-19, numérotation continue pp. 0725, 0726 et 0744.
[43] Pièce D-19, article 2.3(a)(b), numérotation continue p. 0726.
[44] En juillet 2011, monsieur Rousseau occupe le poste de vice-président directeur et chef des finances chez Air Canada. Il occupera ce poste jusqu’au moment où il devient président, chef de la direction d’Air Canada en 2021.
[45] Pièce P-70.1.
[46] Pièce P-70.1, numérotation continue p. 1335.
[47] Pièce P-70.1, numérotation continue p. 1350.
[48] Pièce P-70.1, numérotation continue p. 1339.
[49] Pièce P-70.1, numérotation continue p. 1341.
[50] Pièce P-70.1, numérotation continue p. 1342.
[51] Pièce P-70.1, numérotation continue p. 1344.
[52] Pièce P-70.1, numérotation continue p. 1347.
[53] Le Tribunal réfère aux témoignages de messieurs George Psycharis et Gilles Néron.
[54] Le Tribunal réfère aux témoignages de messieurs George Psycharis et Gilles Néron.
[55] Pièce D-20.
[56] Tel que confirmé à l’instruction notamment lors des témoignages de messieurs Calin Rovinescu, alors Président et chef de la direction d’Air Canada, et Gilles Néron. Voir également le Plan d’argumentation du demandeur, Section IV.A.
[57] Voir la pièce D-1, numérotation continue p. 0001.
[58] Pièce D-1.
[59] Entente du 8 janvier 2009, pièce D-1, numérotation continue p. 0002.
[60] Voir notamment pièce D-1, article II.2, numérotation continue p. 0004.
[61] Pièce D-1, article II.2., numérotation continue p. 0004.
[62] Pièce D-1, article III, numérotation continue p. 0004.
[63] Pièce D-1, article IV.4, numérotation continue p. 0006.
[64] Le Tribunal réfère notamment aux témoignages de Gilbert McMullen, Denis Cantin, Marc Landry, Glenn O’Connor, Pierre Barbagallo, Jason Stratton, Moteellal Manic, Yvan Poitras et Jean‑Daniel Grenier.
[65] Pièce D-1, article IX.13, numérotation continue p. 0014.
[66] Pièce D-29.
[67] Pièce D-2.
[68] Du 1er juillet 2009 au 31 mars 2011, pièce D-4, numérotation continue p. 0049.
[69] Pièce D-3, numérotation continue p. 0025.
[70] Voir notamment la pièce D-3, numérotation continue p. 0028.
[71] Pièce D-4.
[72] Pièce D-4, numérotation continue p. 0050.
[73] Pièce D-4, numérotation continue p. 0051.
[74] Pièce D-4, numérotation continue p. 0060.
[75] Plan d’argumentation du demandeur, par. 281.
[76] Voir la pièce D-31, numérotation continue p. 0868, et le témoignage de monsieur Salvatore Ciotti, alors directeur principal des services financiers et opérations chez Air Canada.
[77] Pièce D-5, par. 59, numérotation continue p. 0078.
[78] Pièce D-5, par. 60 et ss., numérotation continue p. 0078.
[79] Pièce D-5, par. 60 et ss., numérotation continue p. 0078 et ss.
[80] Voir notamment la pièce P-27.
[81] Le Tribunal réfère notamment aux témoignages de messieurs Rousseau et Néron à l’audience.
[82] Le Tribunal réfère notamment aux témoignages de messieurs Rousseau et Néron à l’audience.
[83] Pièce P-27.
[84] Pièce P-30.
[85] Pièce P-30, numérotation continue p. 578.
[86] Pièce P-30, numérotation continue p. 585.
[87] Le Tribunal réfère notamment au témoignage de George Psycharis à l’audience.
[88] Pièce P-30, numérotation continue p. 0591.
[89] Pièce P-19.
[90] Pièce P-19, numérotation continue p. 0297.
[91] Pièce P-19, numérotation continue p. 0305.
[92] Pièce P-19, numérotation continue p. 0306, 0310 et 0314.
[93] Pièce P-20.
[94] Pièce P-20, numérotation continue p. 0327.
[95] Pièce P-21. Cette évaluation sera complétée le 9 mai 2012, pièce P-22.
[96] Pièce P-21, numérotation continue p. 0383.
[97] Pièce P-21, numérotation continue p. 0389. Cette mention apparaît également à la pièce P-23, numérotation continue p. 0456.
[98] Pièce P-23. Cette évaluation fait suite à celle sur l’aspect technique, datée du 18 juillet 2012, pièce P‑24.
[99] Pièce P-23, numérotation continue p. 0451.
[100] Pièce P-31, numérotation continue p. 0612.
[101] Pièce P-31, numérotation continue p. 0616.
[102] Tel que mentionné à la pièce P-70.1.
[103] Pièce P-31, numérotation continue p. 0611.
[104] Pièce P-32.
[105] Pièce P-32, numérotation continue p. 0686.
[106] Pièce P-36, numérotation continue p. 0720. Le contenu du préambule est repris à la section 3 du document : « RFP Evaluation Criteria », items 3.1 et 3.2 du document, pièce P-36, numérotation continue p. 0734 et 0735.
[107] Pièce P-37.
[108] Pièce P-37, numérotation continue p. 0769.
[109] Voir notamment les pièces P-39 à P-42.
[110] Pièce P-31.
[111] Pièce P-31, numérotation continue p. 0612.
[112] Pièce P-31, numérotation continue p. 0614.
[113] Voir aussi numérotation continue p. 0618.
[114] Pièce P-31, numérotation continue p. 0620.
[115] Pièce P-31, numérotation continue p. 0652.
[116] Pièce D-30.
[117] Pièce D-30, numérotation continue p. 0855.
[118] Pièce D-30, numérotation continue p. 0857.
[119] Pièce D-30, numérotation continue p. 0857.
[120] Pièce D-30, numérotation continue p. 0858.
[121] Pièce D-30, numérotation continue p. 0860.
[122] Pièce D-30, numérotation continue p. 0861.
[123] Pièce P-70, numérotation continue p. 1377 et 1388.
[124] Pièce P-70.2, numérotation continue p. 1406.
[125] Pièce P-70.2, numérotation continue p. 1406 à 1407.
[126] Pièce D-71.
[127] Pièce P-70, numérotation continue p. 1412 et 1413.
[128] Pièce P-70.6, numérotation continue p. 1416.
[129] Pièce P-70.5, numérotation continue p. 1415.
[130] Le Tribunal réfère notamment aux témoignages de Calin Rovinescu, Michael Rousseau, Gilles Néron et George Psycharis à l’audience.
[131] Le Tribunal réfère notamment aux témoignages de Michael Rousseau, Gilles Néron et George Psycharis à l’audience.
[132] Soit 50 % d’un montant de 16 M$ allégué par Aveos à la pièce P-74, par. 3. Voir aussi le témoignage de monsieur Gilles Néron.
[133] Voir notamment la pièce P-70, numérotation continue p. 1425.
[134] Pièce P-70.7, numérotation continue p. 1426.
[135] Pièce P-70.7, numérotation continue p. 1426 et 1427.
[136] Pièce P-70, numérotation continue p. 1417.
[137] Pièce P-70, numérotation continue p. 1369.
[138] Pièce P-70, numérotation continue p. 1428.
[139] Pièce P-70.10, numérotation continue p. 1418.
[140] Pièce P-70.11, numérotation continue p. 1420 et ss.; pièce D-22.
[141] Pièce P-70.11, numérotation continue p. 1422.
[142] Pièce D-22.
[143] Pièce P-70.12, numérotation continue p. 1401.
[144] Pièce D-23, article 6h, numérotation continue p. 0811.
[145] Pièce D-23, paragraphe introductif, numérotation continue p. 0807.
[146] Pièce P-74.
[147] Pièce D-6.
[148] Pièce D-24.
[149] First Report to the Court submitted by FTI Consulting Canada Inc., in its capacity as Monitor, pièce P‑72.
[150] Pièce P-72, par. 12 et 13.
[151] Pièce P-72, par. 16 et 17.
[152] Pièce D-7.
[153] Pièce D-12.
[154] Pièce P-85.
[155] Pièce P-85, p. 5.
[156] Pièce P-85, p. 2. Le Tribunal réfère notamment au témoignage de monsieur Rovinescu à l’instruction.
[157] Pièce P-85, p. 7.
[158] Pièce P-85, p. 7.
[159] Pièce P-85, p. 12.
[160] Pièce P-85, p. 14.
[161] Pièce D-26, par. 21, numérotation continue p. 0838.
[162] Pièce D-27.
[163] Pièce D-67.
[164] Pièce D-8.
[165] Pièce D-8, p. 6, numérotation continue p. 0811.
[166] Pièce D-25, numérotation continue p. 0825.
[167] Pièce D-9.
[168] Pièce P-80.
[169] Pièce D-10.
[170] Pièce D-28.
[171] Pièce D-28, par. 18, numérotation continue p. 0847.
[172] Pièce D-11, notamment aux paragraphes 12 et 30 à 32, numérotation continue pp. 0156 et 0159.
[173] Pièce D-73.
[174] Soit un montant de 136 M$ duquel on retranche la note de crédit de 7,9 M$, pièce D-73, Schedule B.
[175] Pièce D-73, Schedule A.
[176] Pièce D-72.
[177] À titre d’exemple, il y a une variation à la baisse d’environ 29 % entre l’année 2009 et l’année 2010 et à la hausse d’environ 18 % entre l’année 2010 et l’année 2011.
[178] Soit au plus tard en octobre 2012 selon les chiffres soumis à la pièce P-84.
[179] Pièce P-84.
[180] Pièce P-84.
[181] Petition for the Issuance of an Initial Order d’Aveos, du 18 mars 2012, et affidavit de monsieur Kolshak, pièce P-74. Voir aussi le témoignage de monsieur Kolshak à l’audience.
[182] Petition for the Issuance of an Initial Order d’Aveos, du 18 mars 2012, par. 53 et affidavit de monsieur Kolshak, pièce P-74.
[183] Pièce P-74, par. 57.
[184] Plan d’argumentation du demandeur, par. 281.
[185] Le Tribunal réfère notamment aux témoignages de Gilbert McMullen, Renald Courcelles, Marc Landry et Glenn O’Connor à l’audience.
[186] Pièce P-13.
[187] Pièce P-73.
[188] Pièce P-73, p. 5.
[189] Pièce D-4, numérotation continue p. 0060.
[190] Le Tribunal réfère notamment au témoignage de monsieur Salvatore Ciotti d’Air Canada à l’audience.
[191] Pièce D-31.
[192] Pièce P-14.
[193] Pièce P-14.
[194] Pièce P-7.
[195] Pièce P-8.
[196] Voir le procès-verbal d’audience du 22 octobre 2021.
[197] Jugement CA, pièce P-9.
[198] Jugement CA, par. 15.
[199] Jugement CA, par. 15.
[200] Jugement CA, par. 17.
[201] Jugement CA, par. 52.
[202] Jugement CA, par. 63 à 68.
[203] Jugement CA, par. 123.
[204] Jugement CA, par. 132.
[205] Jugement CA, par. 133.
[206] Jugement CA, par. 135.
[207] Jugement CA, par. 137.
[208] Jugement CA, par. 148.
[209] Jugement CA, par. 149.
[210] Jugement CA, par. 210. Le Tribunal réfère à l’analyse complète contenue aux paragraphes 118 à 201 du Jugement CA.
[211] Jugement CA, par. 210.
[212] Plan d’argumentation d’Air Canada, par. 349.
[213] Pièce D-33, Débats de la Chambre des communes du 15 avril 2016, numérotation continue pp. 0914 et 0915.
[214] Pièce D-33, numérotation continue pp. 0940 et ss.
[215] Pièce D-33, numérotation continue pp. 0940 et 0941.
[216] Pièce D-33, numérotation continue p. 0916.
[217] Pièce D-33, numérotation continue p. 0926.
[218] Pièce D-33, numérotation continue p. 0927.
[219] Pièce P-76.
[220] Pièce D-33, numérotation continue pp. 0987 et ss.
[221] Voir Gingras c. Procureur général du Canada, 2018 QCCS 5647 (Gingras), par. 56.
[222] Voir Gingras, id., note 221, par. 49, citant Boucher c. Stelco Inc., 2005 CSC 64 et l’article 3155 C.c.Q.
[223] Gowling Lafleur Henderson, s.e.n.c.r.l., srl c. Lixo Investments Ltd., 2015 QCCA 513 (Gowling), par. 20 et 21; Jean-Paul Beaudry ltée c. 4013964 Canada inc., 2013 QCCA 792 (Beaudry), par. 37 et 38.
[224] Piché, Catherine, La preuve civile, 6e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2020, 1 702 p., pp. 773 et 774; Beaudry, id., note 223, par. 39 et 40.
[225] Ducharme, Léo, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, p. 252, cité dans Gowling, id., note 223, par. 23.
[226] 2022 QCCA 524, par. 17 (Globe).
[227] 2008 QCCA 1354 (Ungava), par. 72, cité dans Gowling, id., note 223, par. 25.
[228] Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374 (Roberge), p. 417.
[229] Ungava, id., note 227, par. 74, cité dans Gowling, id., note 223, par. 28.
[230] Roberge, id., note 229, pp. 416 et 417.
[231] Ungava, id., note 227, par. 58 à 62; Gowling, id., note 223, par. 37. Voir également le Jugement d’autorisation, id., note 1, par. 48.
[232] Globe, id., note 226, par. 21.
[233] Gowling, id., note 223, par. 44.
[234] (1926) 41 B.R. 412, p. 421, cité dans Gowling, id., note 223, par. 46.
[235] Voir notamment Roberge, id., note 228, p. 414.
[236] Gowling, id., note 223, par. 49.
[237] Roberge, id., note 228, p. 413.
[238] Roberge, id., note 228, p. 411.
[239] Roberge, id., note 228, p. 411.
[240] Gingras, id., note 221, par. 47 et 48.
[241] 2012 QCCA 2034, par. 127 et 128.
[242] 2021 QCCA 360 (Lapointe), par. 30 à 35.
[243] Mihoubi c. Priceline.com, 2022 QCCS 25, par. 68 à 71.
[244] Voir notamment Genex Communications inc. c. Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, 2009 QCCA 2201, par. 27. Voir aussi Service de remorquage Direct inc. c. Ville de Montréal, 2017 QCCS 5065, par 8 à 12; Teasdale c. Osborn, 2020 QCCS 4435, note 4
[245] Mayrand, Albert, Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées en droit, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 417.
[246] Jugement CA, par. 70.
[247] Voir Gingras, id., note 221, par. 48.
[248] 2013 CSC 46, par. 26 à 28.
[249] Côté, Pierre-André, Beaulac, Stéphane et Devinat, Mathieu, Interprétation des lois, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009 (Côté), par. 1856.
[250] Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271, p. 279.
[251] Roubier, Paul, Le droit transitoire: conflits des lois dans le temps, 2e éd., Paris, Dalloz/Sirey, 1960, p. 249 et ss., cité dans Côté, id., note 249, par. 1842 et 1843.
[252] Pièce D-33, Débats de la Chambre des communes du 15 avril 2016, numérotation continue pp. 0914 et 0915.
[253] Pièce D-33, numérotation continue p. 0925.
[254] Pièce D-33, numérotation continue pp. 0931 et 0932.
[255] Pièce D-33, numérotation continue pp. 0940 et 0941.
[256] Pièce D-33, numérotation continue p. 0941.
[257] Pièce D-33, numérotation continue pp. 0942 et 0943.
[258] Pièce P-76, p. 1.
[259] Pièce P-76, pp. 1 et 2.
[260] Pièce D-33, numérotation continue pp. 0956 et ss.
[261] Pièce D-33, numérotation continue p. 0976.
[262] Pièce D-33, numérotation continue pp. 0987 et ss.
[263] Pièce D-33, numérotation continue pp. 0987 et ss.
[264] Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63 (Ville de Toronto), par. 37.
[265] Ville de Toronto, id., note 264, par. 35, 37, 42 et 50.
[266] Ville de Toronto, id., note 264, par. 51 et 52.
[267] Construction S.Y.L. Tremblay inc. c. Agence du revenu du Québec, 2018 QCCA 552, par. 20 et 22; G.J. c. Auguste, 2019 QCCS 1267, par. 10 à 12.
[268] ArcelorMittal Exploitation minière Canada c. SNC-Lavalin inc., 2021 QCCS 202, par. 30. Voir aussi Ferland, Denis et Emery, Benoît, Précis de procédure civile du Québec (art. 1-301, 321-344 C.p.c.), 6e éd., volume 1, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2020, 2 000 p., par. 1-578 et 1-579.
[269] Plan d’argumentation d’Air Canada, par. 334.
[270] Plan d’argumentation d’Air Canada, par. 343.
[271] Voir la section V.1(1.1) du présent jugement.
[272] Plan d’argumentation d’Air Canada, par. 349.
[273] Jugement CA, par. 17.
[274] Jugement CA, par. 52.
[275] Jugement CA, par. 132.
[276] Jugement CA, par. 133.
[277] Jugement CA, par. 135.
[278] Jugement CA, par. 137.
[279] Jugement CA, par. 153.
[280] Jugement CA, par. 154, 157 et 218.
[281] Jugement CA, par. 220.
[282] [1977] 1 R.C.S. 570. (Morin).
[283] Morin, id., note 282, pp. 579 et 580.
[284] 2008 3 R.C.S. 392 (Ciment du Saint-Laurent).
[285] Ciment du Saint-Laurent, id., note 284, par. 32 à 36.
[286] 2019 CSC 59 (Kosoian), par. 42 et ss.
[287] Ciment du Saint-Laurent, Id., note 284, par. 97 et 98. Voir à titre illustratif Léger c. Bell Canada, 2006 QCCS 4924, par. 105 et 106.
[288] Voir notamment les pièces D-32 et P-76.
[289] Voir le Rapport Adamache, pièce P-74, par. 93.
[290] Voir notamment les extraits des débats parlementaires contenus à la pièce D-32. Voir aussi le Jugement CA, notamment aux par. 185, 190, 193, 194, 195 et 199.
[291] Voir le Jugement CA, notamment aux par. 173, 175, 177 à 179, 183 et 199.
[292] Voir notamment le Jugement CA, par. 173.
[293] Voir à cet égard la position de l’expert d’Air Canada, Rapport Adamache, pièce P-74. Voir aussi les débats parlementaires, pièce D-33.
[294] Voir notamment le Jugement CA, par. 173 et 183.
[295] Pièce P-85. Le Tribunal réfère aussi aux témoignages de monsieur Rovinescu et Me Louise‑Hélène Sénécal à l’audience.
[296] Pièce P-85.
[297] Le Tribunal réfère notamment au témoignage de monsieur Gilles Néron qui évalue des économies d’environ 150 M$ annuellement depuis la fermeture d’Aveos.
[298] Pièce D-12, numérotation continue p. 0172.
[299] Pièce D-12, numérotation continue p. 0176.
[300] Pièce P-85, p. 14.
[301] Requête introductive d’instance en jugement déclaratoire amendée, pièce P-7.
[302] Le Tribunal réfère au témoignage de monsieur Rovinescu sur le contexte des discussions et des démarches à ce sujet.
[303] Plan d’argumentation du demandeur, par. 160 et 161.
[304] Article 6 C.c.Q.
[305] Houle c. Banque Canadienne Nationale, [1990] 3 R.C.S. 122 (Houle).
[306] Houle, id., note 305, p. 165.
[307] Houle, id., note 305; Vachon c. Lachance, [2002] R.R.A. 4 (C.S.). Voir aussi l’article 1375 C.c.Q.
[308] Baudouin, Jean-Louis, Deslauriers, Patrice et Moore, Benoît, La responsabilité civile, 9e éd., volume 1, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2021, 1 902 p., par. 1-187 (Baudouin et Deslauriers).
[309] Baudouin, id., note 308.
[310] Le Tribunal réfère au témoignage de monsieur Rousseau à l’audience.
[311] Voir la section IV.5(5.1) du présent jugement.
[312] Le Tribunal réfère notamment aux témoignages de messieurs Rovinescu et Rousseau à l’audience.
[313] Pièce P-30, numérotation continue p. 0578.
[314] Pièce P-19.
[315] Pièce D-30.
[316] Pièce P-31.
[317] Voir par. 86 et ss. du présent jugement.
[318] Le Tribunal réfère aux témoignages de messieurs Néron et Ciotti à l’audience.
[319] Le Tribunal réfère au témoignage de monsieur Rovinescu à l’audience.
[320] Le Tribunal réfère à la pièce P-70.7 et aux témoignages de messieurs Rovinescu, Rousseau, Néron et Psycharis à l’audience.
[321] Pièces P-19 et D-16, article 1.5.2., numérotation continue p. 0363.
[322] Petition for the issuance of an Initial Order, d’Aveos, datée du 18 mars 2012, pièce P-74, par. 3, 78 et 79.
[323] Voir les références contenues à la note 54 du présent jugement.
[324] Pièce P-70.1, numérotation continue p. 1339.
[325] Le Tribunal réfère notamment aux témoignages de Denis Cantin, Mario Vaugeois et Yvan Poitras à l’audience.
[326] Le Tribunal réfère notamment au témoignage de Mario Vaugeois à l’audience.
[327] Pièce D-73.
[328] Pièce P-72. La contrôleure madame Toni Vanderlaan n’a pas été appelée comme témoin à l’audience.
[329] « Petitioner’s De Bene Esse Motion for an Order Lifting the Stay of Proceedings to Confirm the Termination of Certain Contracts », pièce D-9.
[330] Septième rapport de la contrôleure Toni Vanderlaan, pièce P-74, par. 21 à 27.
[331] Soit un montant de 136 M$ duquel on retranche la note de crédit de 7,9 M$, pièce D-73, Schedule B.
[332] Pièce D-73, Schedule A.
[333] Pièce P-72, par. 3.
[334] Pièce P-70.1.
[335] Voir la section V.3(3.2) du présent jugement.
[336] Beaudouin et Deslauriers, id., note 308, par. 1-683; Voir aussi Hogue c. Procureur général du Québec, 2020 QCCA 1081 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 25 février 2021, n° 39400) (Hogue), par. 42 et ss., et Ville de Sherbrooke c. Homans, 2021 QCCA 1866, par. 31 et ss., citant Hogue. Voir Roberge, id., note 228, p. 442.
[337] Baudouin et Deslauriers, id., note 308, par. 1-683.
[338] Baudouin et Deslauriers, id., note 308, par. 1-706.
[339] Baudouin et Deslauriers, id., note 308, par. 1-706.
[340] St-Jean c. Mercier, 2002 CSC 15, par. 110; Beaudouin et Deslauriers, id., note 308, par. 1-706; Montréal (Ville de) c. Biondi, 2013 QCCA 404 (Biondi), par. 134 et 135.
[341] Baudouin et Deslauriers, id., note 308, par. 1-706.
[342] Baudouin et Deslauriers, id., note 308, par. 1-703.
[343] Biondi, id., note 340, par. 135.
[344] Baudouin et Deslauriers, id., note 308, par. 1-704.
[345] Hogue, id., note 336, par. 42 et ss.
[346] Primeau c. N.C., 2021 QCCA 1632, par. 60, citant Constructions Concreate ltée c. Procureure générale du Québec, 2020 QCCA 570, par. 56.
[347] Baudouin et Deslauriers, id., note 308, par. 1-684.
[348] 2013 CSC 59, par. 142.
[349] Suivant les chiffres apparaissant au Rapport Adamache, pièce P-74, p. 10.
[350] Pièce P-68, numérotation continue pp. 1280 et 1281.
[351] Plan d’argumentation du demandeur, par. 281.
[352] Le Tribunal réfère au témoignage de monsieur McMullen à l’audience et à la pièce P-13.
[353] Pièce P-85, témoignage de monsieur Rovinescu du 29 mars 2012 devant le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités, pp. 2 et 7.
[354] Pièce D-74.
[355] Rapport Adamache, p. 2.
[356] Rapport Adamache, par. 8.
[357] Rapport Adamache, Table 1, p. 4.
[358] Rapport Adamache, par. 9.
[359] Rapport Adamache, par. 19 à 22.
[360] Rapport Adamache, par. 24.
[361] Rapport Adamache, par. 27.
[362] Rapport Adamache, par. 31 à 36.
[363] Rapport Adamache, par. 37 et ss.
[364] Rapport Adamache, par. 40.
[365] Rapport Adamache, par. 52.
[366] Rapport Adamache, par. 57.
[367] Rapport Adamache, par. 66 et 67.
[368] Rapport Adamache, par. 68.
[369] Rapport Adamache, par. 69.
[370] Rapport Adamache, par. 71.
[371] Rapport Adamache, par. 72.
[372] Rapport Adamache, par. 73.
[373] Rapport Adamache, par. 74.
[374] Rapport Adamache, par. 78.
[375] Rapport Adamache, par. 83 et 84.
[376] Rapport Adamache, par. 88.
[377] Présentation PowerPoint de monsieur Adamache, du 21 octobre 2021, pièce D-74, p. 30.
[378] Présentation PowerPoint, id. note 384.
[379] Rapport Adamache, pp. 36 et 37.
[380] Jugement CA, par. 164.
[381] Jugement CA, par. 167.
[382] Jugement CA, par. 173.
[383] Jugement CA, par. 193.
[384] Jugement CA, par. 214.
[385] Jugement CA, par. 218.
[386] Jugement CA, par. 220.
[387] Jugement CA, par. 231 à 234.
[388] Rapport Adamache, pp. 4, 10 et 36.
[389] Voir notamment la pièce P-31, numérotation continue p. 0612.
[390] Voir notamment les propos de monsieur Rovinescu du 29 mars 2012 devant le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités, pièce P-85.
[391] Voir notamment la pièce P-75.
[392] Rapport Adamache, par. 27.
[393] 2017 QCCA 286, par. 56 à 60.
[394] RLRQ, c. C-12.
[395] [1996] 3 R.C.S. 211, par. 121.
[396] Voir la section V.3(3.2) du présent jugement.
[397] Matol Botanical International Ltd. c. Jurak, 2012 QCCA 898, par. 34, citant Martineau, Pierre, La prescription, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1977, pp. 251 et 252.
[398] Laniel-Supérieur inc. c. Régie des alcools, des courses et des jeux, 2019 QCCA 753 (Laniel Supérieur), par. 41.
[399] Laniel Supérieur, id., note 398, par. 41.
[400] Voir Laniel Supérieur, id., note 398, par. 48 à 50; D'Anjou c. Thériault, J.E. 2001-1017 (C.A.), par. 10, 16 et 22; 9106-0723 Québec inc. c. Baillargeon, 2015 QCCA 1694, par. 1 et 2.
[401] Gervais, Céline, La prescription, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 113.
[402] Voir Gervais, id., note 401, pp. 115 et 116. Voir également Ciment du Saint-Laurent, id., note 284, par. 105 et ss.
[403] Montambault c. Outfront Media Canada/Média Outfront Canada, 2021 QCCA 1907 (Montambault), par. 15 à 21. Voir aussi Dunkin'Brands Canada Ltd. c. Bertico inc., 2015 QCCA 624 (Dunkin’ Brands Canada), par. 141 à 144.
[404] 2022 QCCS 769, par. 63 à 65. Voir aussi Dunkin’Brands Canada, id., note 403, par. 141 à 144 et Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, 2018 CSC 46, par. 135, citant Dunkin’Brands Canada.
[405] Pièce P-85, p. 5.
[406] Pièce P-85, p. 2. Le Tribunal réfère aussi au témoignage de monsieur Rovinescu à l’audience.
[407] Pièce P-85, p. 7.
[408] Plan d’argumentation d’Air Canada, par. 204.
[409] Pièce D-1, article II.2, numérotation continue p. 0004.
[410] Pièce D-1, article IX.13, numérotation continue p. 0014.
[411] Pièce D-2.
[412] Pièce D-4.
[413] Pièce D-4, numérotation continue p. 0051.
[414] Pièce D-4, numérotation continue p. 0058.
[415] Pièce D-4.
[416] Pièce D-4, numérotation continue pp. 0060 et 0061.
[417] Jugement d’autorisation, id., note 1, par. 42, 49 et 50.
[418] Ustushenkova c. Lavigne, 2020 QCCS 1405, par. 120 (confirmé par la Cour d’appel sur d’autres sujets dans 2021 QCCA 1932).
[419] Ustushenkova, Id., note 418, par. 121.
[420] Pièce D-31, numérotation continue pp. 0876 et 0877.
[421] Voir le procès-verbal de l’audience du 26 octobre 2021.
[422] Plan d’argumentation du demandeur, par. 281.
[423] Article 1607 C.c.Q.
[424] Article 1611 C.c.Q.
[425] Beaudouin et Deslauriers, id., note 308, par 1-485.
[426] Article 595 C.p.c.
[427] Lalande c. Compagnie d'arrimage de Québec ltée, 2019 QCCS 306, par. 252 à 255; Masson c. Telus Mobilité, 2019 QCCA 1106, par. 76 à 78.
[428] Pièce P-52.
[429] Pièce P-52, numérotation continue p. 1008 et 1009.
[430] Pièce P-52, numérotation continue p. 1009.
[431] Pièce P-52.2, pp. 5 à 7.
[432] Pièce P-52.2, p. 7.
[433] Pièce P-52.2, pp. 7 et 8.
[434] Pièce P-52.2, p. 8.
[435] Pièce D-65.
[436] Pièce 52.2, p. 6.
[437] Pour le demandeur, l’expert Daniel Gagné de la firme Mallette et pour la défenderesse, l’expert Denis Guertin de la firme Aon.
[438] Le Tribunal réfère au témoignage de monsieur François Lord à l’audience et aux pièces P-54 et P-55.
[439] Le Tribunal réfère notamment au témoignage de madame Annie Bellemare à l’audience.
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