Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Sopropharm

2017 QCCA 1883

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-026958-173

(500-06-000802-161)

 

DATE :

27 novembre 2017

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L'HONORABLE

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

 

LE GROUPE JEAN COUTU (PJC) INC.

REQUÉRANTE — défenderesse

c.

 

SOPROPHARM

INTIMÉE — demanderesse

-et-

JACQUES BOURGET

PHARMACIE JACQUES BOURGET INC.

PHARMACIE JACQUES BOURGET et SERGE DUPRAS PHARMACIEN INC.

4226623 CANADA INC.

NICK CAMPANELLI

INTIMÉS — demandeurs (personnes désignées)

-et-

 

RAYMOND, CHABOT, GRANT, THORNTON S.E.N.C.R.L.

MISE EN CAUSE — mise en cause

 

 

JUGEMENT

 

 

[1]           Le Groupe Jean Coutu (PJC) inc. (« Groupe Jean Coutu ») demande la permission d’appeler d’un jugement rendu le 3 juillet 2017 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Chantal Tremblay), rejetant sa demande en déclaration d’inhabilité de la mise en cause Raymond, Chabot, Grant, Thornton, s.e.n.c.r.l. (« Raymond, Chabot ») pour agir comme expert dans le cadre d’une action collective envisagée entreprise par les intimés (collectivement désignés « Sopropharm »).

 * * * * *

[2]           Sopropharm a déposé une demande d’autorisation d’exercer une action collective contre Groupe Jean Coutu qui vise essentiellement à déterminer si la clause de redevances contenue à ses conventions de franchise est contraire à l’article 49 du Code de déontologie des pharmaciens, RLRQ, c. P-10, r. 7, lequel interdit à un pharmacien de partager avec un non-pharmacien ses honoraires ou les bénéfices provenant de la vente des médicaments.

[3]           Sopropharm a déposé à l’appui de sa demande d’autorisation des rapports d’expertise préparés par Nicolas Plante et son équipe auprès de Raymond, Chabot. Ces rapports comparent les redevances versées par les franchisés du Groupe Jean Coutu et la valeur estimative des services non facturés reçus par ces derniers. Groupe Jean Coutu s’oppose à ces rapports et à ce que Raymond, Chabot puisse agir comme expert au dossier, au motif qu’elle a préalablement retenu les services de la firme Navigant Conseil LJ inc. (« Navigant ») dans un autre litige (le dossier Quesnel) qui soulevait aussi la question de la valeur des services reçus par ses franchisés en contrepartie des redevances qui lui sont payables. Luc Marcil, qui est à la fois avocat et comptable, travaillait alors auprès de Navigant et fut impliqué dans la préparation d’un rapport d’expertise portant sur la question pour Groupe Jean Coutu. Or, ce dernier s’est depuis joint à Raymond Chabot alors que le mandat confié par Sopropharm était déjà en cours.

[4]            Groupe Jean Coutu soutient que les règles de conflit applicables aux cabinets d’avocats énoncées dans les arrêts Succession MacDonald c. Martin, [1990] 3 R.C.S. 1235 (« Succession MacDonald »); R. c. Neil, [2002] 3 R.C.S. 631; Strother c. 3464920 Canada Inc., [2007] 2 R.C.S. 177 et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. McKercher LLP, [2013] 2 R.C.S. 649, devraient s’appliquer tout autant aux grands cabinets comptables, plus particulièrement lorsque ces derniers embauchent des avocats afin d’agir à titre de consultants dans un procès. Groupe Jean Coutu s’appuie à cet égard sur la décision de la House of Lords dans Bolkiah v. K.P.M.G., [1999] 2 A.C. 222 (H.L.), laquelle aurait un certain écho dans les provinces canadiennes de tradition common law, pour conclure que la même approche devrait être adoptée au Québec.

* * * * *

[5]           La juge de première instance rejette la déclaration d’inhabilité au motif que les règles de conflit applicables aux avocats ne s’étendent pas aux experts-comptables. Elle estime que ce sont plutôt les règles beaucoup plus souples énoncées dans Watson c. Sutton, [1990] R.D.J. 175 (C.A.) et 149644 Canada inc. c. St-Eustache (Ville de), [1996] R.D.J. 401 (C.A.) qui s’appliquent aux conflits d’intérêts impliquant un expert. Bien que Luc Marcil soit un membre du Barreau, la juge est d’avis que ce sont néanmoins les règles énoncées dans ces deux arrêts qui régissent le conflit puisque ses services auprès du Groupe Jean Coutu ont été retenus comme expert et non à titre d’avocat.

[6]           La juge conclut aussi de la preuve que bien que les mesures d’isolement au sein de Raymond Chabot n’aient été déployées que tardivement, aucune information confidentielle reliée au mandat antérieur de Luc Marcil n’a été communiquée aux experts du cabinet retenu par Sopropharm. De plus, elle conclut que depuis que le cabinet Raymond, Chabot est avisé du problème, celui-ci a déployé des mesures d’isolement satisfaisantes entre Luc Marcil et les autres membres du cabinet.

[7]           La juge est aussi d’avis que même si les règles énoncées dans Succession MacDonald devaient s’appliquer aux experts-comptables, cela ne changerait en rien le sort de la demande en déclaration d’inhabileté.

* * * * *

[8]           La demande de permission d’appeler du Groupe Jean Coutu se heurte à une objection s’appuyant sur la jurisprudence émanant de cette Cour sous l’ancien Code de procédure civile (« a.C.p.c. ») qui établissait que le jugement rendu dans le cadre d’une demande de recours collectif (maintenant l’action collective) avant qu’un jugement statuant sur la demande d’autorisation d’exercer le recours ne soit rendu n’était pas susceptible d’appel par le défendeur. Or, il s’agit en l’occurrence d’un tel cas.

[9]           La Cour s’est prononcée à cet égard sous l’a.C.p.c. dans Pharmascience inc. c. Option Consommateurs, [2005] R.J.Q. 1367 (C.A.) :

[24]      Dans son opinion à l'appui de l'arrêt Thompson c. Masson [[1993] R.J.Q. 69 (C.A.)], le juge LeBel (alors à notre Cour) définissait la demande de permission d'exercice du recours collectif comme « un mécanisme de filtrage et de vérification » [Ibid., p.72] et qualifiait la décision judiciaire qui en découle de jugement « de vérification et de contrôle » qui, si elle est favorable, « permettra la formation et l'exercice du recours » [Idem.] selon les règles usuelles (art. 1011 [a.]C.p.c.). « Avant que ce jugement ne soit rendu, écrit encore le juge LeBel, le recours n'existe pas, du moins sur une base collective » [Idem]. Ces déterminations furent plusieurs fois reprises [renvoi omis]. Elles ont, entre autres, servi de fondement à l'arrêt suivant lequel, sauf circonstances exceptionnelles ou si on attaque la compétence ratione materiae de la Cour supérieure, toutes les mesures ou demandes préliminaires ou incidentes doivent être plaidées et décidées à l'occasion de l'audition de la requête en autorisation [Société Asbestos Limitée c. Lacroix [2004] J.Q. no 9410 (C.A.)]. De même, la Cour a pris appui sur l'affaire Thompson lorsqu'elle a statué que l'absence de droit d'appel s'étendait aux jugements dits interlocutoires prononcés avant celui qui autorise l'exercice du recours [Dumas c. Mutuelle des fonctionnaires du Québec (MFQ-Vie) et la Capitale, [2002] J.Q. 696 (C.A.); voir aussi Les Tours Mirabelle inc. et Cabana Airline c. Arsenault, (18 octobre 1993), Montréal, 500-09-001756-931, (C.A.), Ville de Sainte-Anne-de-Beaupré c. Hamel, [2003] J.Q. 11308 [juge unique] et Toyota Canada inc. c. Harmegnie, [2004] J.Q. 2901 [juge unique]], sauf, ici aussi, circonstances exceptionnelles [Hotte c. Servier Canada inc., [1999] R.J.Q. 2598 (C.A.). Dans cette affaire, plusieurs personnes s'étaient portées requérantes de façon concomitante et soulevaient le même débat].

(Soulignement ajouté)

[10]         La règle que l’on pouvait tirer des arrêts rendus sous l’a.C.p.c. est la suivante : sauf exception, ne sont pas susceptibles d’appel les jugements rendus avant le jugement statuant sur la demande d’autorisation d’exercer un recours collectif : Ridley inc. c. Bernèche, 2006 QCCA 984 (juge unique); Sarrazin c. Procureur général du Québec, 2013 QCCA 374.

[11]        Bien que le nouveau Code de procédure civile (« C.p.c. ») ait changé les dispositions portant sur le droit d’appel en permettant dorénavant l’appel du jugement qui autorise l’exercice de l’action collective sur permission d’un juge de la Cour, certains sont d’avis que cela n’a pas eu pour effet de remettre en question le principe jurisprudentiel selon lequel les jugements qui précèdent l’autorisation ne sont pas susceptibles d’appel par le défendeur. Ainsi, un auteur soutient que « [l]’objectif du législateur d’accélérer le déroulement de l’instance des actions collectives qui satisfont aux critères d’autorisation jugés peu élevés par la Cour suprême conduit nécessairement à cette interprétation » : Le grand collectif : Code de procédure civile : commentaires et annotations, vol. 2, Cowansville, Yvon Blais, 2017, p. 2515. Cette opinion a reçu un certain appui : Valeant Pharmaceuticals International Inc. c. Catucci, 2016 QCCA 1349 (juge unique), par. 30.

[12]        Il faut cependant constater que la question est loin d’être aussi limpide. Ainsi, dans Gauthier c. Société d’habitation du Québec, 2008 QCCA 948, la Cour énonçait que la partie qui demande l’autorisation d’un recours collectif (telle que l’action collective était alors désignée) peut, sur permission, porter en appel un jugement rendu avant que l’autorisation d’intenter ce recours soit accordée, s’appuyant sur le raisonnement voulant que la jurisprudence à l’effet contraire concernait des demandes d’appel de défendeurs, lesquels n’avaient pas, sous l’ancien C.p.c., le droit de porter en appel le jugement accueillant l’autorisation :

[11]      En ce qui concerne la première question, l'intimée invoque principalement deux arrêts de la Cour [Thompson c. Masson [1993] R.J.Q. 69 (C.A.) et Dumas c. Mutuelle des fonctionnaires du Québec J.E. 2002-543 (C.A.).] et un jugement rendu par une juge de la Cour siégeant en qualité de juge unique [Ridley c. Bernêche, J.E. 2006-1632 (C.A.), Mme la juge Bich siégeant comme juge unique] pour soutenir qu'il ne peut y avoir d'appel d'un jugement sur un moyen déclinatoire ratione loci prononcé avant le jugement qui décide de la requête pour autorisation d'exercer le recours collectif. Ces décisions auraient fait jurisprudence sur ce point et l'intimée cite plusieurs autres jugements [Les Tours Mirabelle inc. c. Arseneault, J.E. 93-1866, (C.A.), (M. le juge Beauregard siégeant comme juge unique), Compagnie d'asssurances Missisquoi inc. c. Option Consommateurs, J.E. 2002-1497 (C.A.), (M. le juge Brossard siégeant comme juge unique), Ste-Anne-de-Beaupré (Ville de) c. Hamel, J.E. 2003-1777, (C.A.), (M. le juge Pelletier siégeant comme juge unique), Amex Bank of Canada c. Aberback-Ptack, J.E. 2004-2001 (C.A.), Procureur général du Québec c. Noranda inc., J.E. 2006-495 (C.A.), (M. le juge Pelletier siégeant comme juge unique), Toyota Canada inc. c. Harmegnies, J.E. 2006-1843 (C.A.), (M. le juge Dalphond siégeant comme juge unique), Ste-Anne-de-Beaupré (Ville de) c. Hamel, J.E. 2007-660 (C.A.), (M. le juge Vézina siégeant comme juge unique), Merck & Co. Inc. c. Hubert, [2007] J.Q. no 11204, B.E. 2007BE-1022 (C.A.), (Mme la juge Dutil siégeant comme juge unique)] qui s'inscriraient, selon elle, dans le prolongement direct de l'arrêt Thompson c. Masson.

[12]      Il va de soi que les décisions en question ont toutes été rendues dans le cadre de procédures instituées en vertu du Livre IX [de l’ancien] Code de procédure civile, consacré au recours collectif. Toutes ces décisions, sans exception, ont pour caractéristique de statuer soit sur des requêtes (la plupart pour permission d'appeler), soit sur des appels au fond, dont la partie défenderesse avait chaque fois eu l'initiative. Le droit d'appeler n'est reconnu à la partie défenderesse que dans quelques rares cas d'exception, comme en matière d'irrecevabilité pour cause de litispendance, d'incompétence ratione materiae ou d'inconstitutionnalité, exceptions que Mme la juge Bich passe en revue dans la décision Ridley c. Bernêche [2006 QCCA 984].

[13]      Ces décisions reposent toutes sur une interprétation du deuxième alinéa de l'article 1010 [a.]C.p.c., qu'il y a lieu de reproduire ici :

1010. Le jugement qui rejette la requête est sujet à appel de plein droit de la part du requérant ou, avec la permission d'un juge de la Cour d'appel, de la part d'un membre du groupe pour le compte duquel la requête a été présentée. L'appel est instruit et jugé d'urgence.

Le jugement qui accueille la requête et autorise l'exercice du recours est sans appel.

[…]

[16]      Quant à la portée précise de la règle ajoutée en 1982 au Code de procédure civile [portant sur l’abolition du droit d’appel des défendeurs à l’égard du jugement autorisant un recours collectif], c'est peut-être le juge Beauregard, siégeant comme juge unique dans le dossier Les Tours Mirabelle inc. [J.E. 93-1866], qui l'a cernée avec le plus de précision :

Si le législateur a spécialement prévu que le jugement qui autorise l'exercice d'un recours collectif ne peut pas faire l'objet d'un appel, il est évident que tout jugement interlocutoire qui est rendu à l'encontre des prétentions de celui qui s'oppose à la requête pour l'exercice d'un recours collectif n'est pas non plus susceptible d'appel.

Le législateur n'ayant pas modifié la règle asymétrique de 1982, le raisonnement du juge Beauregard conserve aujourd'hui toute sa pertinence, comme le rappelait le juge Pelletier en 2003 dans le dossier Ste-Anne-de-Beaupré (Ville de) c. Hamel [J.E. 2003-1777].

[17]      En l'espèce, si le recours intenté le 1er juin 2007 n'existe pas encore « sur une base collective », le recours individuel de l'appelante contre l'intimée existe bel et bien - sinon, comment expliquer l'existence du jugement entrepris? Par le jeu des articles 1010.1 et 1011 [a.C.p.c.], ce recours procède, avec les adaptations nécessaires au Titre II sur l'autorisation d'exercer le recours collectif, « selon les règles ordinaires », ou « habituelles » pour reprendre l'expression du juge Dalphond. La règle de l'article 1004 [a.C.p.c.] n'ayant d'objet qu'une fois le recours collectif autorisé, les règles ordinaires des articles 68 et suivants sont donc applicables entre les parties à ce stade du litige. Comme on ne peut dire du jugement de première instance qu'il s'agit d'un jugement interlocutoire rendu à l'encontre des prétentions de celui qui s'oppose à la requête pour l'exercice d'un recours collectif, ce jugement est appelable si l'article 29 [a.]C.p.c. le permet.

(Soulignement et caractères gras ajoutés)

[13]        L’article 578 du nouveau C.p.c. énonce maintenant un droit d’appel sur permission du jugement autorisant l’exercice de l’action collective :

578. Le jugement qui autorise l’exercice de l’action collective n’est sujet à appel que sur permission d’un juge de la Cour d’appel. Celui qui refuse l’autorisation est sujet à appel de plein droit par le demandeur ou, avec la permission d’un juge de la Cour d’appel, par un membre du groupe pour le compte duquel la demande d’autorisation a été présentée.

L’appel est instruit et jugé en priorité.

[Soulignement ajouté]

578. A judgment authorizing a class action may be appealed only with leave of a judge of the Court of Appeal. A judgment denying authorization may be appealed as of right by the applicant or, with leave of a judge of the Court of Appeal, by a member of the class on whose behalf the application for authorization was filed.

The appeal is heard and decided by preference.

(Emphasis added)

[14]        Il me semble, avec égards pour l’opinion contraire, que ce nouveau droit d’appel remet en question l’assise même de la jurisprudence antérieure de la Cour. L’interdiction faite au défendeur de porter en appel le jugement autorisant le recours collectif permettait en effet de conclure que le jugement préalable à cette autorisation ne pouvait, lui non plus, être porté en appel par le défendeur. Or, si le jugement autorisant l’exercice de l’action collective est maintenant susceptible d’appel, sur permission, par le défendeur, suivant le même raisonnement il devrait en être de même du jugement préalable à l’autorisation. 

[15]        Le principal argument juridique qui peut maintenant soutenir l’absence d’un appel portant sur un jugement rendu préalablement à l’autorisation de l’action collective repose sur le raisonnement qu’un tel jugement n’est pas rendu « en cours d’instance », mais plutôt « avant l’instance ». Le jugement ne serait donc pas visé par l’article 31 C.p.c., ce qui permettrait de conclure qu’il n’est pas susceptible d’appel avant que le jugement portant sur l’autorisation d’exercer l’action collective ne soit lui-même rendu. Or, un tel raisonnement a été écarté par la Cour dans Gauthier c. Société d’habitation du Québec, précité, afin de permettre au demandeur de porter en appel un tel jugement malgré que l’autorisation du recours collectif (maintenant l’action collective) n’ait pas encore été accordée :

[15]      Il est vrai que dans l'arrêt Thompson c. Masson [[1993] R.J.Q. 69 (C.A.)], le juge LeBel, alors membre de la Cour d'appel, avait livré les observations suivantes sur la procédure de recours collectif :

... il faut cependant retenir à la fois la structure procédurale du recours collectif et la fonction de la requête et du jugement d'autorisation. Dans le cas d'un recours collectif, la procédure se décompose en plusieurs temps. La requête en autorisation constitue un mécanisme de filtrage et de vérification et seul un jugement favorable permettra la formation et l'exercice du recours. Avant que ce jugement ne soit rendu, le recours n'existe pas, du moins sur une base collective. À la différence de la plupart des recours judiciaires, dont le déclenchement est laissé à la seule initiative des parties, l'utilisation de sa forme collective exige une étape de vérification et de contrôle par la Cour supérieure, que l'on retrouve au titre II du livre IX du Code de procédure civile (articles 1002 à 1010.1 [a. C.p.c.]).

Cet énoncé, formulé dans un litige où l'appel formé par la partie défenderesse paraissait heurter de plein fouet la lettre de l'article 1010 [a.]C.p.c., fut cependant nuancé à quelques reprises par la suite. Dans l'arrêt Amex Bank of Canada c. Aberback-Ptack [J.E. 2004-2001 (C.A.)], une formation de la Cour a ainsi pu écrire: « Il n'est pas exact qu'une procédure dans le cadre d'un recours collectif n'existe pas tant que le recours collectif n'a pas été autorisé. ». Plus récemment encore, dans le dossier Toyota Canada inc. c. Harmegnies [J.E. 2006-1843], M. le juge Dalphond, siégeant comme juge unique, ajoutait ceci :

[9] En fait, s'il est vrai que le recours dans sa dimension collective n'existe pas avant l'autorisation, il demeure que le recours individuel du représentant est autonome (art. 1026 [a]C.p.c.). Un jugement qui affecte cette dernière dimension demeure régi par les règles habituelles.

(Soulignement ajouté)

[16]        D’ailleurs, le nouveau C.p.c. laisse clairement entendre que la demande d’autorisation d’exercer l’action collective fait partie de l’instance, tel que l’énonce le premier alinéa de l’article 572 C.p.c. et l’article 573 C.p.c. :

572. Dès la demande d’autorisation d’exercer l’action collective, le juge en chef désigne un juge pour assurer la gestion particulière de l’instance et entendre toute la procédure relative à cette action collective, à moins qu’il n’en décide autrement. Il peut désigner ce juge même s’il existe une cause de récusation, s’il estime que la situation, dans le contexte de l’affaire, ne porte pas atteinte à l’exigence d’impartialité du juge. Il peut fixer, en tenant compte de l’intérêt des parties et des membres, le district dans lequel la demande d’autorisation sera entendue ou l’action collective exercée.

 

 

 

 

[…]

 

572. As soon as an application for authorization to institute a class action is filed, the chief justice, unless the chief justice decides otherwise, assigns a judge as special case management judge to manage the proceeding and hear all procedural matters relating to the class action. The chief justice may assign a judge despite there being grounds for the judge’s recusation, provided the chief justice considers the situation, in the context of the case, does not undermine the impartiality of the judiciary. After considering the interests of the parties and of the class members, the chief justice may determine the district in which the application for authorization is to be heard or the class action instituted.

 

(…)

573. Un registre central des actions collectives est tenu auprès de la Cour supérieure, sous l’autorité du juge en chef; sont inscrits à ce registre les demandes d’autorisation et les demandes introductives d’instance, les actes de procédure produits en cours d’instance et les avis aux membres, de même que les autres documents indiqués dans les instructions du juge en chef.

 

[Soulignement et caractères gras ajoutés]

 

573. A central registry of class actions is kept at the Superior Court under the authority of the chief justice. Applications for authorization and originating applications, pleadings filed in the course of a proceeding and notices to class members, as well as any other documents specified in the chief justice’s instructions, are registered in the registry.

 

 

(Emphasis added)

[17]        La « gestion particulière de l’instance » dont il est question à l’article 572 C.p.c.      « [d]ès la demande d’autorisation d’exercer l’action collective » permet de conclure que la procédure d’autorisation d’exercer l’action collective fait partie de « l’instance ». Le fait que les demandes d’autorisation sont inscrites dans le registre central des actions collectives renforce cette conclusion.

[18]        Étant donné que la demande d’autorisation d’exercer l’action collective fait elle-même partie de l’« instance », je ne discerne aucun motif d’ordre juridique qui permettrait de soutenir une interdiction pour le défendeur de porter en appel, sur permission, le jugement qui précède l’autorisation de l’action collective, lequel serait donc un jugement rendu en cours d’instance.

[19]        D’ailleurs, l’opinion contraire ne s’appuie pas vraiment sur un argument juridique, mais plutôt sur le désir d’accélérer le déroulement de l’instance des actions collectives qui satisfont aux critères d’autorisation jugés peu élevés par la Cour suprême. Or, cet objectif, si louable soit-il, est incompatible avec la décision du législateur de permettre dorénavant aux défendeurs de porter en appel, sur permission, les jugements autorisant l’exercice de l’action collective, ce qui ne peut inévitablement que retarder le déroulement de l’action collective elle-même.

[20]        En l’occurrence, je suis d’avis que tant la partie défenderesse que la partie demanderesse peuvent solliciter la permission d’appeler d’un jugement rendu avant l’autorisation de l’action collective. Les critères applicables à l’autorisation sont ceux de l’article 31 C.p.c. ou de l’article 32 C.p.c., selon le cas. Malgré que le test pour autoriser un appel sous l’article 578 C.p.c. énoncé dans Centrale des syndicats du Québec c. Allen, 2016 QCCA 1878 [« Allen »] ne soit pas inspiré des articles 31 et 32 C.p.c., il n’y a rien d’inhabituel dans le fait que les critères pour autoriser un appel d’un jugement rendu en cours d’instance ne sont pas les mêmes que ceux applicables lorsqu’il s’agit d’autoriser le jugement au fond dans la même instance. À titre d’exemple, dans une instance menant à un jugement visé au 2e al. de l’article 30, les critères pour autoriser l’appel d’un jugement rendu au cours d’une telle instance sont ceux de l’article 31 C.p.c., et ce, malgré qu’ils ne soient pas les mêmes que ceux énoncés sous le 3e al. de l’article 30 pour autoriser l’appel du jugement qui met fin à l’instance.

[21]        Les critères des articles 31 et 32 C.p.c. doivent néanmoins être adaptés au contexte particulier de la demande d’autorisation d’exercer une action collective. Ces critères doivent être appliqués avec rigueur afin de s’assurer, dans l’esprit de l’article 578 C.p.c., que l’appel soit « réservé à des cas somme toute exceptionnels » : Allen, par. 58. Ces critères adaptés s’appliquent tout autant à la demande de permission d’appeler émanant du défendeur qu’à celle émanant du demandeur à l’action collective envisagée lorsqu’il s’agit de demander la permission d’appeler d’un jugement rendu préalablement à l’autorisation de celle-ci.

[22]        Ainsi, il est peu probable, sinon invraisemblable, qu’un jugement puisse décider en partie du litige s’il est rendu avant l’autorisation d’exercer l’action collective, car l’autorisation elle-même n’a pas cet effet. Tel que le signalaient les juges LeBel et Wagner dans Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59 :

[67]      À l’étape de l’autorisation, les faits allégués dans la requête du requérant sont tenus pour avérés.  Le fardeau imposé au requérant à la présente étape consiste à établir une cause défendable, quoique les allégations de fait ne puissent être « vague[s], générale[s] [ou] imprécise[s] » (voir Harmegnies c. Toyota Canada inc., 2008 QCCA 380) (CanLII), par. 44).

[68]      Tout examen du fond du litige devrait être laissé à bon droit au juge du procès où la procédure appropriée pourra être suivie pour présenter la preuve et l’apprécier selon la norme de la prépondérance des probabilités.

[23]        Quant au préjudice irrémédiable, il sera généralement difficile de l’établir compte tenu que, dans la plupart des cas, le jugement portant sur l’autorisation de l’action collective ou celui portant sur le bien-fondé d’une telle action pourra généralement remédier à une erreur dans un jugement rendu préalablement à l’autorisation.

[24]        En somme, ce ne serait que dans des cas très rares qu’une autorisation d’appeler sera accordée à l’égard d’un jugement rendu préalablement à l’autorisation de l’action collective. On peut penser, notamment, au jugement portant :

(a)  sur une question de compétence : Gauthier c. Société d’habitation du Québec, 2008 QCCA 948; Société Asbestos Ltée c. Lacroix, [2004] Q.J. n° 1109 (Q.L.) (juge unique) et [2004] Q.J. n° 9410 (C.A.) (Q.L.) (au fond);

(b)  sur une question de litispendance : Hotte c. Servier Canada inc., [1999] R.J.Q. 2598 (C.A.);

(c)  sur une question constitutionnelle : Apotex inc. c. Option consommateurs, J.E. 2004-1807 (C.A.) (juge unique); Pharmascience inc. c. Option consommateurs, [2005] R.J.Q. 1367 (C.A.); ou

(d)  sur une question importante qui affecte de façon déterminante l’équité même de l’instance ou qui porte sur un principe fondamental de droit qui doit être décidé immédiatement : Schmidt c. Depuy International Ltd., 2011 QCCA 1633 (juge unique).

* * * * *

[25]        Je dois maintenant me prononcer sur la demande de permission d’appeler. À cet égard, Groupe Jean Coutu ne m’a pas convaincu qu’il y a lieu d’accueillir la demande.

[26]        La question de savoir si les grands cabinets comptables agissant comme experts devraient être assujettis aux mêmes règles de conflit que celles applicables aux cabinets d’avocats est certes fort intéressante, tel que le signalait le juge Morissette siégeant comme juge unique dans TVA International inc. c. Seville Entertainment Inc., 2008 QCCA 321. Cependant, dans le présent cas, la juge de première instance a conclu que, même si les règles de l’affaire Succession MacDonald s’appliquaient, cela n’entraînerait pas la disqualification de Raymond, Chabot.  Dans ces circonstances, Groupe Jean Coutu ne m’a pas convaincu que le jugement entrepris décide une question importante qui affecte de façon déterminante l’équité même de l’instance ou qui porte sur un principe fondamental de droit qui doit être décidé immédiatement.

[27]        Il y a lieu de reproduire en partie le paragraphe 51 du jugement de première instance portant sur les conclusions de fait de la juge :

[51]      La preuve administrée dans le cadre de la demande en déclaration d'inhabilité, qui n'est pas de nature confidentielle selon l'avis du tribunal, se résume ainsi :

a) le 19 juillet 2016, M. Marcil apprend, par le biais d'un article de journal, que [Raymond Chabot] a été retenue par Sopropharm pour agir dans une action collective déposée contre Groupe [Jean Coutu]. Il transmet aussitôt un courriel à l'interne pour connaître l'identité de la personne responsable du mandat et pour dénoncer le fait qu'il a déjà travaillé pour Groupe [Jean Coutu] dans le dossier Quesnel;

b) en tout temps pertinent, M. Marcil et M. Plante travaillaient dans des départements distincts au sein de [Raymond Chabot], lesquels étaient situés sur des étages différents. Le dossier physique de Sopropharm se trouvait dans une armoire située dans le bureau de M. Plante et le dossier électronique se trouvait dans un réseau informatique sécurisé accessible aux associés et employés travaillant au même département que celui de M. Plante;

c) le directeur Technologie de l'information et Exploitation chez [Raymond Chabot] confirme que seuls des associés ou employés du Groupe Stratégie et performance ont pu avoir accès au mandat Sopropharm;

d) avant de recevoir copie de la mise en demeure de Groupe [Jean Coutu], M. Plante ne connaissait pas M. Marcil. Depuis, ils ne se sont jamais adressé la parole. Environ 500 à 600 personnes travaillent aux bureaux de [Raymond Chabot] situés au 600 de la Gauchetière;

e) M. Plante n'a jamais obtenu d'information relativement au dossier Quesnel ni de copie des procédures. Il a toutefois pris connaissance du jugement rendu dans cette affaire;

f) à la suite de la mise en demeure de Groupe [Jean Coutu], [Raymond Chabot] a déployé une mesure d'isolement. Le dossier électronique de Sopropharm a été déplacé dans un réseau sécurisé accessible uniquement aux membres de l'équipe attitrés au mandat Sopropharm par opposition aux membres du département. Le dossier physique a été verrouillé dans l'armoire située dans le bureau de M. Plante. Ce dernier a également transmis une note aux membres de son équipe pour les informer de la mesure d'isolement en place et pour s'assurer qu'il n'y aurait aucune discussion relativement au mandat Sopropharm;

g) les membres de l'équipe de M. Plante ont également signé des engagements de confidentialité;

h) M. Marcil n'a jamais ouvert de dossier physique ou électronique chez [Raymond Chabot] concernant son travail passé dans le dossier Quesnel puisque son mandat n'a jamais été réactivé. De plus, il n'a conservé aucun document lorsqu'il a quitté Navigant hormis certaines données quant aux heures travaillées;

i) M. Marcil est lié par un engagement de confidentialité contenu à la lettre-mandat de Navigant;

j) M. Marcil n'a jamais lu les rapports R-26 et R-30 préparés par M. Plante et les membres de son équipe et il ne les a jamais rencontrés;

[…]

 

[28]        La juge tire ensuite la conclusion suivante de ces faits :

[55]      Par ailleurs, même si le test de l'affaire Succession MacDonald devait s'appliquer, le Tribunal est convaincu qu'une personne raisonnablement informée, par la preuve documentaire et les interrogatoires tenus, serait persuadée qu'aucun renseignement confidentiel n'a été communiqué par M. Marcil aux membres de l'équipe ayant réalisé les rapports d'expertise ni quiconque chez [Raymond Chabot].

[29]        Ainsi, même si la Cour venait à la conclusion que les règles de conflit énoncées dans Succession MacDonald s’appliquent, la question qui restera alors à trancher en appel comportera nécessairement une appréciation de la preuve qui fut présentée en première instance. Or, dans les circonstances de l’affaire et vu ce qui est consigné au dossier, les conclusions de fait de la juge voulant (a) que rien de confidentiel n’ait été révélé par Luc Marcil et (b) que les mesures d’isolement prises à son égard soient adéquates, ne peuvent raisonnablement être remises en question en appel et ne permettent pas de conclure que l’équité même de l’instance est en péril.

POUR CES MOTIFS, LE JUGE SOUSSIGNÉ :

[30]        REJETTE la requête pour permission d’appeler, avec frais de justice.

 

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

 

Me Yves Martineau

STIKEMAN ELLIOTT

Pour la requérante

 

Me Raymond L’Abbé

Me Laurence Rousseau-Dumont

LEGAULT, JOLY, THIFFAULT

Pour les intimés

 

Me Sarah Woods

Me Olivier Archambault-Lafond

WOODS

Pour la mise en cause

 

Date d’audience :

22 novembre 2017

 

AVIS :
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