Décision

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Décision

Lachapelle c. St-Amant

2016 QCRDL 24110

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossiers :

150548 31 20140424 G

227715 31 20150715 G

No demandes :

1478255

1793964

 

 

Date :

14 juillet 2016

Régisseure :

Sophie Alain, juge administrative

 

Pierre Lachapelle

 

Locateur - Partie demanderesse

(150548 31 20140424 G)

Partie défenderesse

(227715 31 20150715 G)

c.

Annie St-Amant

 

Steve Légaré

 

Locataires - Partie défenderesse

(150548 31 20140424 G)

Partie demanderesse

(227715 31 20150715 G)

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le tribunal de la Régie du logement est saisi de deux demandes.

[2]      D'abord, celle du locateur qui réclame des dommages matériels de 2 912,09 $ (soit 2 852,04 $ pour bris du logement et 60 $ de frais de dépistage), plus les intérêts, indemnité additionnelle prévue au Code civil du Québec (C.c.Q.) et frais judiciaires.

[3]      Et puis, celle des locataires qui demandent une indemnité pour travaux majeurs sans préavis (500 $) et pour tous les troubles et inconvénients subis (2 000 $), des dommages moraux (2 000 $), des dommages-intérêts punitifs (3 000 $), plus les intérêts, indemnité additionnelle et frais judiciaires.

[4]      Après signification de la demande des locataires, le locateur amende sa demande pour réclamer une indemnité de relocation de 4 500 $ pour loyer perdu de février à juin 2014.

[5]      Le Tribunal a réuni les demandes pour être instruites en même temps et jugées sur la même preuve conformément à l’article 57 de la Loi sur la Régie du logement[1] (Loi).

[6]      Les parties étaient liées par un bail au loyer mensuel de 900 $.


Questions en litige

[7]      Pour trancher le litige, le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :

1.   Le bail était-il à durée indéterminée ou à durée déterminée se terminant au 30 juin 2014? Selon le cas, le locateur a-t-il droit à une indemnité de relocation?

2.   Les locataires sont-ils responsables des dommages réclamés par le locateur?

3.   Le locateur a-t-il harcelé les locataires?

4.   Le locateur a-t-il illégalement pénétré dans le logement des locataires et ces derniers peuvent-ils être compensés pour les travaux au logement effectués juste avant leur départ?

Contexte

[8]      Les locataires ont pris possession du logement le 28 janvier 2012.

[9]      Le 21 octobre 2013, le locateur remet un avis de reprise de logement afin qu’il puisse l’occuper au 1er juillet 2014.

[10]   Le 21 novembre 2013, les locataires acceptent de quitter et font part au locateur qu’ils quitteront les lieux au 1er février 2014 car ils estiment être liés par un bail à durée indéterminée, ce que conteste le locateur.

1.   Le bail était-il à durée indéterminée ou à durée déterminée se terminant au 30 juin 2014 ? Selon le cas, le locateur a-t-il droit à une indemnité de relocation?

[11]   Le bail signé entre les parties le 18 décembre 2011 est clair : il est à durée indéterminée, et ce, commençant le 1er février 2012.

[12]   Le locateur prétend s’être trompé car son intention était que le bail soit à durée fixe du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013. D’une part, il ne peut invoquer sa propre turpitude. D’autre part, s’il avait voulu changer la durée, il aurait dû agir selon la loi qui prévoit une procédure stricte au niveau des délais et du contenu des avis de modifications aux conditions du bail, comme le prévoient notamment les articles 1942 et 1945 C.c.Q. :

1942. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s'il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l'arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de douze mois, l'avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.

Lorsque le bail est à durée indéterminée, le locateur ne peut le modifier, à moins de donner au locataire un avis d'au moins un mois, mais d'au plus deux mois.

Ces délais sont respectivement réduits à dix jours et vingt jours s'il s'agit du bail d'une chambre.

1945. Le locataire qui refuse la modification proposée par le locateur est tenu, dans le mois de la réception de l'avis de modification du bail, d'aviser le locateur de son refus ou de l'aviser qu'il quitte le logement; s'il omet de le faire, il est réputé avoir accepté la reconduction du bail aux conditions proposées par le locateur.

Toutefois, lorsque le bail porte sur un logement visé à l'article 1955, le locataire qui refuse la modification proposée doit quitter le logement à la fin du bail.

[Notre soulignement]

[13]   De plus, l'article 1893 C.c.Q. prévoit que les articles précités sont d'ordre public et que l'on ne peut, par conséquent, y déroger.

[14]   En l'espèce, le Tribunal retient de la preuve soumise que les locataires n'ont bénéficié d'aucun avis de modification des conditions du bail. Le bail était donc à durée indéterminée.


[15]   Dans ces circonstances, l’avis de non-reconduction du bail transmis par les locataires est valide.

[16]   Par conséquent, le locateur n’a pas droit à une indemnité de relocation de 4 500 $ pour loyer perdu de février à juin 2014.

[17]   De même, le locateur ne peut réclamer les frais de dépistage de 60 $ car au départ d'un locataire à la fin de son bail, il n'a aucune obligation à laisser sa nouvelle adresse. D’ailleurs, le locateur n’a aucune facture pour appuyer sa réclamation.

[18]   Le Tribunal rejette donc ces portions de la réclamation du locateur.

2.   Les locataires sont-ils responsables des dommages réclamés par le locateur?

[19]   Le locateur allègue que le logement n’a pas été remis dans le même état que livré. Le Tribunal comprend que le locateur avait effectué un investissement important pour peindre les murs du logement avant l’arrivée des locataires. Cependant, le logement n’était pas exempt de défauts (voir pièce L-6 notamment).

[20]   Le locateur a dû réparer le logement avant de l’occuper et il réclame 2 852,04 $ à titre de dommages matériels, soit 1 794,32 $ pour la peinture et les trous dans les murs et 1 057,72 $ pour le bois franc sous la laveuse.

[21]   Il revient au locateur de faire la preuve des faits allégués dans sa demande[2].

[22]   En vertu des articles 1890 et 1862 C.c.Q., un locataire est responsable des dommages causés au logement, à moins qu’il ne démontre qu'il ne peut en être tenu responsable. Par exemple, un locataire n’est pas responsable des détériorations causées par la vétusté, l'usure normale ou une force majeure. Il peut également démontrer que ni lui, ni un occupant, ni un visiteur n’a causé la perte du bien et que ces personnes ont agi de manière prudente et diligente.

[23]   Qu’en est-il en l’espèce?

[24]   D’abord, concernant la peinture, la preuve est prépondérante que les locataires se sont entendus avec le locateur pour peindre le salon d’une autre couleur, et ce, malgré la clause au bail « aucune peinture n’est permis dans tout l’appartement ».

[25]   La locataire et le locateur se sont échangés des courriels quant à la possibilité de repeindre en blanc le salon en novembre 2013 (pièce P-5). Cependant, la locataire exigeait une demande officielle par lettre alors que le locateur est d’avis que sa réponse était suffisante. Vu les circonstances de l’échange, le Tribunal estime que les locataires n’avaient pas à repeindre le salon.

[26]   Quant aux trous sur les murs par l’apposition de cadres, certes le bail prévoit la mention suivante « aviser le propriétaire pour son autorisation si (?) doit trouer ou percer un mur ou tout autre ». Or, la preuve photographique des locataires (notamment pièce L-9) est prépondérante que le logement ne présentait aucune détérioration inhabituelle; la légère marque sur l’arrière de la porte de la 2e chambre se qualifie d’usure normale par une occupation habituelle.

[27]   Il est reconnu qu’il est usuel que certains travaux de rafraîchissement y aient lieu après le départ d’un locataire. Lorsque ceci résulte d'une occupation normale, le locataire n'assume, en principe, aucune responsabilité, à cet égard. C'est le cas, notamment du ménage, des travaux de plâtre et peinture rendus nécessaires par l'apposition de rideaux, stores, tableaux aux murs ou autres objets décoratifs. Dans la mesure où il n'est pas établi qu'il y ait eu abus ou détérioration anormale des murs ou du logement, le locateur ne peut réclamer les coûts reliés à de tels travaux.

[28]   En l'instance, la preuve ne démontre pas que des travaux plus importants qu'un rafraîchissement des lieux ont été nécessaires d’autant plus que les locataires ont effectué les travaux pour colmater les trous de tableaux. Le Tribunal rejette donc cette portion de la demande.

[29]   Quant aux dommages au plancher sous la laveuse, le locateur n’a aucune preuve visuelle qui démontre les dommages alors que les locataires nient tout dommage au plancher. Dans ces circonstances, le locateur n’a pas relevé son fardeau de preuve et le Tribunal rejette sa réclamation de 1 057,72 $ d’autant plus que la facture (pièce P-2) n’explique aucunement les travaux effectués ni à quel endroit au logement.


3.   Le locateur a-t-il harcelé les locataires?

[30]   Les locataires prétendent que le locateur a tenu des propos inappropriés et les a harcelés et qu’il leur a fait vivre un véritable enfer après qu’ils l’eurent informé de la non-reconduction du bail, ce que nie fermement le locateur.

[31]   Voyons d’abord ce que dit la loi quant au « harcèlement ».

[32]   Le recours des locataires s’appuie sur l'article 1902 C.c.Q. qui prévoit qu’un locateur ne peut user de harcèlement envers un locataire pour restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou obtenir qu'il quitte le logement. S'il est harcelé, un locataire peut demander des dommages-intérêts punitifs. Il stipule ce qui suit :

1902. Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu'il quitte le logement.

Le locataire, s'il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs.

[33]   La qualification du harcèlement s'apprécie suivant un test objectif. Le Petit Robert définit le verbe harceler comme suit : « Soumettre sans répit à de petites attaques réitérées, à de rapides assauts incessants »[3].

[34]   Selon la doctrine[4], le harcèlement se définit comme une conduite se manifestant par des paroles ou des actes et ayant comme conséquence de restreindre, de façon continue, le droit d'un locataire à la jouissance paisible des lieux ou d'obtenir qu'il quitte le logement.

[35]   Le harcèlement par le locateur, visant soit à restreindre le droit du locataire à la jouissance paisible de son logis, soit à obtenir qu'il quitte les lieux, justifie l'octroi de dommages punitifs[5].

[36]   En l’instance, les locataires expliquent que le locateur a commis divers actes de harcèlement, soit des messages textes avec des mots inappropriés, une rénovation imposée, menace d’appeler la police pour entrer dans le logement, agressivité, volume élevé du téléviseur…

[37]   D’une part, les faits reprochés se sont déroulés sur un court laps de temps. Or, dans un tel contexte, il aurait fallu une gravité objective plus importante pour constituer du harcèlement au sens de l’article 1902 C.c.Q.

[38]   De plus, les locataires ont admis que le locateur a effectué rapidement tous les correctifs lors de la panne d’eau chaude en décembre 2013, ce qui démontre qu’il a agi de bonne foi, alors que le harcèlement implique un comportement continu ou répété. Le Tribunal ne retient pas les événements entourant la baisse et la hausse du thermostat.

[39]   Enfin, quant aux reproches des locataires sur le probable comportement irrespectueux du locateur envers eux, cela est insuffisant pour constituer du harcèlement; car on ne peut pas douter du harcèlement.

[40]   Par conséquent, le Tribunal rejette cette portion de la demande des locataires.

4.   Le locateur a-t-il illégalement pénétré dans le logement des locataires et ces derniers peuvent-ils être compensés pour les travaux au logement effectués juste avant leur départ?

[41]   Les locataires affirment que c’est dans un esprit de vengeance que le locateur a procédé aux travaux pour remplacer la porte arrière par une porte-patio en janvier 2014, soit quelques jours avant la fin du bail et qu’il a entré illégalement dans le logement.


[42]   L'encadrement législatif applicable à l’accès au logement et à l'exécution de travaux[6] dans celui-ci vise à protéger le locataire, dont la vie privée et la jouissance paisible sont affectées. Il se divise en plusieurs catégories.

[43]   Le Tribunal est d’avis que le remplacement d’une simple porte par une porte-patio constitue une amélioration puisqu’il procure une plus-value au logement. Aussi, ces travaux constituent des « travaux majeurs » vu l’ampleur de la coupe de béton/ciment. Ils étaient non-urgents, car le bail prévoyait la clause suivante : « d’ici mai 2012 changer porte arrière », alors que le locateur n’a effectué les travaux qu’au déménagement des locataires les 21 et 23 janvier 2014.

[44]   La preuve démontre que la température moyenne extérieure était d’environ -20°C. Vu l’absence de preuve de l’urgence à remplacer la porte par une porte-patio en plein hiver, le Tribunal doute du caractère raisonnable et nécessaire des travaux; ils n’étaient certainement pas dans l’intérêt des locataires et ils leur ont causé de nombreux inconvénients (froid dans le logement, ménage à refaire après les travaux vu la poussière de béton, devancement du déménagement car le locateur avait annoncé les travaux fin janvier, impossibilité de travailler dans le logement durant les travaux…). Le Tribunal estime également qu’une évacuation temporaire vu le froid dans le logement était nécessaire.

[45]   Par conséquent, le Tribunal estime que le locateur n’était pas en droit d’effectuer les travaux au logement, d’autant plus qu’il n’avait pas transmis d’avis comme l’exigent les articles 1922 et 1923 C.c.Q. ni n’avait versé d’indemnité :

1922. Une amélioration majeure ou une réparation majeure non urgente, ne peut être effectuée dans un logement avant que le locateur n'en ait avisé le locataire et, si l'évacuation temporaire du locataire est prévue, avant que le locateur ne lui ait offert une indemnité égale aux dépenses raisonnables qu'il devra assumer en raison de cette évacuation.

1923. L'avis indique la nature des travaux, la date à laquelle ils débuteront et l'estimation de leur durée, ainsi que, s'il y a lieu, la période d'évacuation nécessaire; il précise aussi, le cas échéant, le montant de l'indemnité offerte, ainsi que toutes autres conditions dans lesquelles s'effectueront les travaux, si elles sont susceptibles de diminuer substantiellement la jouissance des lieux.

L'avis doit être donné au moins dix jours avant la date prévue pour le début des travaux ou, s'il est prévu une période d'évacuation de plus d'une semaine, au moins trois mois avant celle-ci.

[46]   Le Tribunal est d’opinion que le locateur a fait effectuer les travaux dans un esprit de vengeance. Il a avoué avoir faussement indiqué « porte vitré » (pièce L-16) car il devait entrer pour faire les travaux.

[47]   Par conséquent, le Tribunal condamne le locateur à payer l’indemnité de 500 $ plus 1 000 $ à titre de dommages moraux et dommages pour tous les troubles et inconvénients causés aux locataires, alors que la locataire est enceinte et qu’ils doivent déménager.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Demande du locateur - Dossier no150548 :

[48]   REJETTE la demande du locateur;

Demande des locataires - Dossier no227715 :

[49]   ACCUEILLE en partie la demande des locataires;


[50]   CONDAMNE le locateur à payer 1 500 $ aux locataires, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 15 juillet 2015, plus les frais judiciaires de 81 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Sophie Alain

 

Présence(s) :

le locateur

les locataires

Dates des audiences :           

16 février 2016

2 mai 2016

 

 

 


 



[1] RLRQ, c. R-8.1.

[2] Selon les dispositions de l'article 2803 C.c.Q.

[3] Petit Robert, Paris, Éditions Le Robert, 1995, p. 1071.

[4] Me Pierre PRATTE, Le harcèlement envers les locataires et l'article 1902 du Code civil du Québec, (1996) 56 R. du B. 3,6; Denis LAMY, Le harcèlement entre locataires et propriétaires, Wilson & Lafleur, 2004, Montréal, pages 1 à 9.

[5] Choueke c. Coopérative d'habitation Jeanne-Mance (C.A., 2001-06-13).

[6] Voir les articles 1922 et suivants C.c.Q.

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