Madan c. John | 2023 QCTAL 26444 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 678271 31 20230206 G | No demande : | 3789192 | |||
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Date : | 30 août 2023 | |||||
Devant la juge administrative : | Joëlle Gauthier | |||||
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Valentin Madan
Zinaida Moraru |
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Locateurs - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Niasha John |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le 6 février 2023, les locateurs demandent au Tribunal l’autorisation de reprendre le logement concerné pour s’y loger à compter du 30 juin 2023.
[2] Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023 au loyer mensuel de 780 $.
[3] Le logement concerné, dont les locateurs sont propriétaires depuis le 25 juillet 2016[1], est un 4 pièces et demie situé dans un immeuble abritant cinq logements.
[4] Le 20 décembre 2022, les locateurs signifient un avis de reprise à la locataire par huissier.
[5] La locataire ne répond pas à cet avis à la suite duquel les locateurs introduisent la présente demande.
PREUVE
[6] L’audience s’est déroulée sur deux jours au cours desquels les parties ont produit leur preuve et leurs témoins, le cas échéant.
[7] Le Tribunal a bien pris note de l'ensemble des témoignages et de la preuve administrée devant lui, mais il ne sera fait mention dans la présente décision que des éléments pertinents retenus pour fonder celle-ci.
[8] La locatrice témoigne. Elle loue actuellement un logement de 5 pièces et demie situé au 9e étage d’un immeuble muni d’un ascenseur. Elle y habite avec son mari et sa mère âgée de 83 ans.
[9] L’idée de reprendre un des logements de l’immeuble mûrit depuis longtemps étant donné le statut de locataire des locateurs. Comme le couple aurait préféré l’acquisition d’une maison, le choix de la reprise ne s’est pas imposé avant l’abandon de leur aspiration.
[10] En effet, les récentes augmentations des taux d’intérêt ont enrayé leur ambition. De plus, au printemps 2022, l’immeuble dont ils sont propriétaires a nécessité un investissement important. Les sommes qu’ils avaient accumulées pour une mise de fonds ont servi à réparer le toit qui coulait.
[11] Le logement de la locataire est celui que les locateurs ont choisi étant donné qu’il est au rez-de-chaussée et que l’autre locataire du même étage a plus de 70 ans et est locataire depuis plusieurs années. Le logement concerné comporte deux grandes chambres, ce qui conviendra à son ménage.
[12] Par ailleurs, les logements de l’immeuble sont tous loués et le couple n’est propriétaire d’aucun autre immeuble.
[13] La locatrice déclare ne pas avoir de problème avec la locataire avec qui elle entretient de bons rapports.
[14] Le locateur témoigne à la deuxième journée d’audience, corroborant essentiellement le témoignage de la locatrice.
[15] La mère de la locatrice témoigne également à la deuxième journée d’audience. Elle explique humblement ses activités quotidiennes somme toute sédentaires sinon exercées avec l’aide et le support de sa fille.
[16] La locataire doute des intentions des locateurs et croit que celles-ci ne sont pas sincères. Elle voit un prétexte pour augmenter le loyer à la suite de son départ en ce qu’un conflit a eu lieu entre les parties au printemps 2022 concernant l’augmentation du loyer. Ce conflit s’est soldé par une entente par laquelle les locateurs ont accepté la proposition de la locataire.
[17] Elle habite le logement concerné depuis environ 10 ans avec sa fille maintenant adulte.
Analyse
[18] Les articles
« 1957. Le locateur d'un logement, s'il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l'habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.
Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l'union civile.»
« 1962. Dans le mois de la réception de l’avis de reprise, le locataire est tenu d’aviser le locateur de son intention de s’y conformer ou non; s’il omet de le faire, il est réputé avoir refusé de quitter le logement. »
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »
[19] Dans l'affaire Dagostino c. Sabourin[2], le juge administratif Jean Bisson a indiqué :
« Lors de la reprise d'un logement par le locateur, deux droits importants se rencontrent et s'opposent. Le droit du propriétaire d'un bien de jouir de celui-ci comme bon lui semble et le droit du locataire au maintien dans les lieux loués. C'est pour protéger ce droit du locataire que le législateur impose des conditions au locateur. »
[20] Quant au fardeau de preuve, le juge Stéphane D. Tremblay de la Cour du Québec s'exprime comme suit dans l’affaire Aly c. Gagnon [3] :
« [6] L’article
[7] Pour obtenir cette autorisation, le locateur doit démontrer qu’il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l’avis de reprise de possession remise au locataire et qu’il ne s’agit pas de prétexte pour atteindre d’autres fins.
[8] En somme, le locateur doit prouver sa bonne foi. À ce titre, je me permets de citer le jugement de Monsieur le Juge Guénard J.C.Q. :
[22] Dans le cadre d’un tel recours, il revient au locateur de démontrer, par l’entremise d’une preuve convaincante, sa bonne foi. Le locateur doit établir que la reprise du logement est véritablement effectuée pour le motif allégué.
[23] Ledit motif ne doit pas s’agir d’un prétexte visant à camoufler l’objectif véritable, oblique, soit celui d’évincer un locataire.
[9] Si le locateur parvient à établir qu’il exerce son droit de reprendre le logement en raison des motifs allégués à l’avis de reprise de possession, sa demande doit être considérée légitime et le TAL doit alors l’autoriser à reprendre le logement. »
[Références omises]
[21] Ainsi, dans l’objectif de protéger le droit du locataire au maintien dans les lieux, le législateur impose au locateur l'obligation de démontrer l'intention réelle de reprendre le logement, l'absence de prétexte et la bonne foi qui le guide dans l’exercice de ses droits.
[22] Par ailleurs, il est important de rappeler que celui qui veut faire valoir une prétention doit en faire la preuve au Tribunal de façon prépondérante, la force probante des témoignages étant laissée à l’appréciation du Tribunal[4].
[23] En l'espèce, la preuve prépondérante est à l’effet que les locateurs respectent les exigences de la loi quant à la reprise du logement. Le Tribunal est aussi satisfait de leur intention de reprendre le logement pour s’y loger.
[24] Le témoignage crédible des locateurs quant à leurs motivations convainc le Tribunal du bien-fondé de leur demande de reprise du logement.
[25] D’un autre côté, aucun élément de preuve tangible n'a été présenté par la locataire permettant de conclure le contraire.
[26] La présence d'un conflit, surtout isolé comme dans le présent cas, ne signifie pas automatiquement que les locateurs sont de mauvaise foi.
[27] Ainsi, puisqu'il juge indiqué d'autoriser la reprise du logement concerné, le Tribunal est d'opinion qu'il y a lieu d'examiner les circonstances propres à la locataire, en regard des termes de l'article
[28] Cet article se lit comme suit :
« 1967. Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement. »
[29] Le Tribunal est d’avis que la locataire a le droit de se voir compenser pour les dépenses et les inconvénients occasionnés par ce déménagement forcé, adoptant ainsi une interprétation large des termes « frais de déménagement », à l'instar de la juge administrative Jodoin dans l'affaire Bégin c. Colantuono[5] et comme le préconisent nombres de décisions du Tribunal administratif du logement[6].
[30] Notons que dans l'établissement du montant de cette indemnité, la jurisprudence enseigne également qu'il est indiqué de tenir compte de facteurs tels que l'âge du locataire, son état de santé, la durée d'occupation du logement, son attachement à celui-ci, le coût du transport de ses biens et les frais de branchement aux services publics[7].
[31] Lors de l'audience, des estimations de frais de déménagement sont produites pour le compte de la locataire et celle-ci témoigne des services auxquels elle est abonnée qui entraînent des frais lors d’un déménagement.
[32] Partant, compte tenu des circonstances, le Tribunal estime que l'octroi d'une indemnité de 1 650 $ est juste et raisonnable pour compenser la locataire des frais d'un déménagement qu'elle n'a pas choisi.
[33] Quant à la date de reprise, tel que le permet l'article
[34] La locataire demande un délai pour se trouver un logement et organiser son déménagement. Elle ne précise toutefois pas le délai requis. Les locateurs demandent une date la plus rapide possible, ayant l’opportunité de mettre fin à leur bail moyennant un mois de préavis.
[35] Soupesant les troubles et inconvénients de chaque partie et vu les circonstances particulières de la présente affaire, le Tribunal fixe la date de la reprise au 1er décembre 2023. Le bail sera donc prorogé jusqu’au 30 novembre 2023.
[36] Par ailleurs, il convient d'ajouter que l'article
[37] Enfin, l'article
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[38] AUTORISE les locateurs à reprendre le logement concerné, pour s’y loger, à compter du 1er décembre 2023;
[39] ORDONNE l'expulsion de la locataire et de tous les occupants du logement, à compter du 1er décembre 2023, si nécessaire;
[40] CONDAMNE les locateurs à payer à la locataire 1 650 $ à titre d'indemnité au plus tard le jour de son départ;
[41] Les locateurs assument les frais de leur demande vu la nature du recours.
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Joëlle Gauthier | ||
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Présence(s) : | le locateur Moraru la locataire | ||
Date de l’audience : | 6 juillet 2023 | ||
Présence(s) : | les locateurs la locataire | ||
Date de l’audience : | 18 août 2023 | ||
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[1] Pièce P-2.
[2] R.D.L., 2000-01-26,
[3]
[4] Art.
[6] Mujtaba c. Hébert, 2015 QCCQ 6707; Duchesneau-Bernier c. Beauchemin,
[7] Carlin c. Dec, C.Q. 500-02-0636681-980, le 26 mars 1999, jcq L. Dansereau.
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