Décision

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Desjardins c. Ethier

2022 QCTAL 9294

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

615933 31 20220225 G

No demande :

3475564

 

 

Date :

31 mars 2022

Devant le juge administratif :

Michel Rocheleau

 

Jules Desjardins

 

Marie-Claude Germain

 

Locateurs - Partie demanderesse

c.

Louise Ethier

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

Contexte

[1]         Les locateurs demandent au Tribunal de les autoriser à reprendre le logement concerné, à compter du 1er juillet 2022, pour y loger leur fille Jasmine.

[2]         Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022, au loyer mensuel de 745 $.

[3]         Le 20 décembre 2021, les locateurs faisaient tenir à la locataire un avis de reprise de logement, pour y loger leur fille Jasmine, à compter du 1er juillet 2022. La locataire n'a pas répondu à cet avis, laissant présumer qu'elle s'y oppose.

[4]         La locataire conteste la reprise du logement au motif que le projet de reprendre le logement laisse croire que ce n’est que prétexte pour se débarrasser d’elle, ajoutant être âgée de 73 ans, vivre une situation financière précaire et qu’il s’agit pour elle d’une quatrième expérience de reprise de logement qu’elle voudrait éviter. Elle soupçonne également que la reprise du logement se voudrait pour des fins d’exploitation d’entreprise de leur fille, massothérapeute.

Questions en litige

  1. Le Tribunal doit décider si les locateurs l’ont convaincu que la reprise n’est pas un prétexte pour atteindre d’autres fins et que leur projet repose sur des faits raisonnables et probables.
  2. Dans le cas où le Tribunal permettrait la reprise, quelles seraient les conditions justes et raisonnables concernant notamment l’indemnité à laquelle la locataire a droit?


Le fardeau de la preuve en matière de reprise de logement

[5]         Mentionnons d'abord que l'article 1963 du Code civil du Québec stipule :

« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.

Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le
locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement
pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour
atteindre d'autres fins. »

[6]         Citant certaines décisions de principe à sujet, Me Francine Jodoin, dans une décision rendue en 2019 dans l’affaire Leroux c. David (2019) QCRDL 6606, s’exprime de la façon suivante :

« [27] Dans la décision Hajjali c. Tsikis et Régie du logement3, le juge Daniel Dortélus de la Cour du Québec répertorie quelques décisions rendues sur le fardeau preuve applicable dans un tel cas et conclut :

« [38] Il ressort de cette revue de la doctrine et jurisprudence qu'il appartient au locateur de démontrer par prépondérance de preuve qu'il entend réellement reprendre possession du logement pour la fin mentionnée dans l'avis de reprise de possession, il doit prouver sa bonne foi, ce faisant, établir qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »

[28] Dans l'affaire Simard-Godin c. Gibeault,4 le Tribunal s'exprime de la façon suivante :

« La détermination de la bonne foi, de l'intention réelle de reprendre possession et de l'absence de prétexte dolosif est une question de faits et d'intention entourant les faits. À ce chapitre la Régie est justifiée d'examiner les faits et motifs qui amènent le locateur à requérir le logement : cette appréciation implique nécessairement des éléments subjectifs et objectifs tels que la crédibilité de la locatrice et de sa fille, les raisons personnelles justifiant leur droit spécifique, la disponibilité d'un logement équivalent et même l'état des relations avec le locataire en cause. »

[29] Il ressort de ces principes que le locateur assume le fardeau de démontrer, par prépondérance de preuve, qu’il rencontre les exigences prévues par la loi pour reprendre le logement concerné.

[30] Le législateur a choisi de préserver le droit au maintien dans les lieux du locataire et c'est pourquoi il impose l'obligation de démontrer l’intention réelle de reprendre le logement et l’absence de prétexte.

[31] Aussi, la bonne foi du locateur doit apparaître autant quant à ses intentions de se loger réellement dans le logement qu'aux raisons qui l’amènent à requérir le logement.

[32] En effet, l'intention de se loger dans le logement peut être bien réelle, mais s'il s'agit d'un subterfuge, un faux-fuyant ou une diversion pour obtenir le départ du locataire afin de satisfaire d’autres besoins, l'autorisation à la reprise ne peut être accordé.

[33] Le contexte dans lequel s'inscrit la reprise du logement, la disponibilité d'autres logements convenables5, l'état des relations6 ou les raisons qui amènent un locateur à vouloir reprendre le logement spécifiquement7 peuvent aider le Tribunal à apprécier l'intention véritable du locateur et l'existence d'un prétexte, mais le Tribunal n'a pas à substituer ses propres choix au sien.

[34] Dans cette évaluation, les tribunaux ont tendance à analyser le besoin réel et sérieux de reprendre le logement.8

[35] Le locateur qui choisit d'exercer une procédure de reprise du logement ne peut se servir de ce droit dans le but d'évincer un locataire pour d'autres motifs (ex. rentabilisation de son investissement immobilier, manquements contractuels, loyer peu élevé, rénovations à entreprendre, etc). »

–––––––––––––––––––––––––––––––––––

3 2008 QCCQ 16.

4 J. L. 87-82 (R.L.).

5 Arts c. Trinh Vo, [2004] J.L. 63 (C.Q.).

6 Cescutti c. Tran 2016 QCRDL 4836 (Sylvie Lambert,j.a.), Dunlop c. Guerfi 2016 QCRDL 5060 (Louise Fortin, j.a.), Gaudiosi c. Verville 2011 QCRDL 11246, Assimakopoulos c. Nelson, R.L. Montréal, 31-040106-159G, 19 mai 2004; Maria Salerno c. Adel Toubia, (1995) J.L. 268 (R.L.).

7 Larouche et al. c. Alamy et al. 34-900201-003G, 24 mai 1990 (JUR 03395), Me Jocelyne Désilets référant la décision René Pilon c. William May, Cour du Québec, 500-02-01335-878, Juge Francois Wilhelmy, le 6 juin 1988 et Germain c. Lefebvre, Cour du Québec, 500-02-031616-886, Juge André Forget, le 2 février 1989.

8 Larouche et al. c. Alamy et al. 34-900201-003G, 24 mai 1990 (JUR 03395), Me Jocelyne Désilets référant la décision René Pilon c. William May, Cour du Québec, 500-02-01335-878, Juge Francois Wilhelmy, le 6 juin 1988 et Germain c. Lefebvre, Cour du Québec, 500-02-031616-886, Juge André Forget, le 2 février 1989.


[7]         En conséquence, il ne doit y avoir aucun doute dans l'esprit du Tribunal sur la réalisation et la faisabilité du projet, que ce dernier soit suffisamment certain et circonscrit, qu’il soit permanent, excluant le court terme, et qu’il ne repose pas uniquement sur une base transitoire ou hypothétique. En cas de doute, la demande de reprise du logement sera rejetée.

La Preuve

[8]         Les locateurs témoignent qu’ils sont propriétaires de l’immeuble abritant le logement depuis 2005. La locataire y habite depuis 2017.

[9]         Ils font part que leur fille Jasmine habite actuellement avec eux dans le logement qu’ils occupent au rez-de-chaussée de l’immeuble, en dessous du logement de la locataire.

[10]     Jasmine est actuellement âgée de 23 ans. Elle vient de terminer une formation professionnelle de massothérapeute avec son conjoint. Ils veulent débuter leur vie commune à compter du mois de juillet prochain et c’est la raison pour laquelle les locateurs souhaitent reprendre le logement.

[11]     Les locateurs informent le Tribunal qu’ils auraient voulu reprendre ce logement en 2021, mais dans un contexte de pandémie, ils ne voulaient pas préjudicier la locataire davantage.

[12]     Ils ont produit l’avis de reprise de logement du 20 décembre 2021 dont il convient de reproduire le contenu qui se lit ainsi :

« Bonjour, Louise

Nous sommes dans le regret de t'informer que nous ne renouvèleront pas ton bail à la fin de celui-ci ( 2020-2021).

Nous avons eu le plaisir de t'avoir comme locataire et voisine pour une période de quatre ans. Durant ces années nous avons eu la chance de croiser ton beau sourire et entendre ton rire. Il y a eu des période ou tu nus a confier que la santé de tes proche et d'amis t'inquiétais toute en gardant ton optimiste. De même, il fut une joie d'observer ton plaisir a jardiner sur ce mètre carrée de terrain austère, ou tu a su en sorti re belles récoltes de tomates et parfois des concombres.

Ta joie si contagieuse nous manquera.

Nous te souhaitons un nouveau logis avec une grande cour, pour profiter de mère nature passer de bon temps avec tes petits enfants et leur transmette l'amour des plantes et 4u grand respect de la terre qui est si chère à ton cœur.

Avec tout notre respect et merci de nous avoir côtoyer ces dernières années. »  [sic]

[13]     Les locateurs font également part au Tribunal d’une lettre de recommandation qu’ils ont rédigée en faveur de la locataire, attestant que sur plus de cinq ans, elle a toujours payé son loyer le premier de chaque mois, ajoutant qu’elle est une locataire tranquille.

[14]     Lors de leur contre-interrogatoire, afin d’accommoder Mme Éthier, les locateurs se disent disposés à proroger le départ de la locataire de deux mois supplémentaires et à titre d’indemnité de reprise, seraient également disposés à lui accorder les deux derniers mois de loyer gratuit, en l’occurrence, une somme de 1 490 $.

[15]     Le locateur serait même disposé d’installer, lui-même et sans frais, les luminaires électriques de la locataire dans son nouveau logement.

[16]     En résumé, ils font part que Mme Ethier est une excellente locataire.

[17]     La fille des locateurs témoigne à l’audience. Elle fait part que :

-          Elle et son copain viennent de terminer leur formation de massothérapeutes.

-          Ils ont l’intention de vivre ensemble.

-          Elle travaille dans un établissement hospitalier à raison d’un horaire de sept jours par période de deux semaines et a commencé à recevoir des clients pour des soins de massage au soussol de la résidence familiale où elle habite avec ses parents.

-          Ensemble, elle et son conjoint travaillant tous deux verront à assumer le loyer mensuel se situant à 750 $.


[18]     De son côté, la locataire témoigne essentiellement de son désarroi devant une situation où elle devra, pour une quatrième fois, se trouver un nouveau logement à un prix abordable, ce qui représente un défi pour elle.

[19]     Elle est âgée de 73 ans et ses revenus se composent uniquement des prestations de rente et de retraite du gouvernement. Elle entrevoit des difficultés financières si elle devait perdre son logement.

[20]     Afin de se donner toutes les chances de pouvoir se faire offrir un logement dans une coopérative d’habitation, elle aimerait avoir plus de temps et pouvoir quitter son logement de quelques mois, idéalement jusqu’au 1er novembre 2022.

[21]     Enfin, elle produit au Tribunal une estimation des frais de déménagement. L’entreprise contactée fait part d’un prix de 2 500 $, tout inclus, au 1er juillet. Au mois de juin, le tarif se situe à 1 500 $. Aucune preuve n’est offerte sur le coût d’un déménagement à une période ultérieure au mois de juillet. Elle estime que l’octroi d’une somme globale de 5 000 $ serait approprié à titre d’indemnisation, advenant qu’elle quitte le logement au 30 juin 2022.

Analyse et décision

[22]     Les locateurs ont-ils convaincu le Tribunal que la reprise n’est pas un prétexte?

[23]     Le Tribunal rappelle que suivant les articles 1963, 2803 et 2804 du Code civil du Québec, le locateur a le fardeau de démontrer de manière prépondérante que son projet repose sur des faits raisonnables et probables et non sur des prétextes et d'en convaincre le Tribunal.

[24]     Les locateurs ont prouvé de façon non équivoque que leur fille irait réellement habiter le logement.

[25]     Le Tribunal retient que les témoignages des locateurs et de leur fille sont sérieux et crédibles.

[26]     La preuve démontre également que les locateurs entretiennent un sincère sentiment de sympathie, voire amical, envers la locataire.

[27]     De plus, le contenu de l’avis de reprise, tel que ci-dessus cité, en est une démonstration éloquente. La lettre de référence déposée en preuve est également un signe de bonne entente et de gratitude envers leur locataire. Leur souhait bien senti n’était sûrement pas de vouloir se débarrasser d’elle, mais bien de vouloir utiliser désormais ce logement pour des fins légales, légitimes et qui leur appartiennent.

[28]     En l'espèce, le Tribunal considère que les locateurs respectent les exigences de la loi quant à la reprise du logement et il est satisfait de la preuve que les locateurs désirent bien le logement pour y loger leur fille et le conjoint de celle-ci.

[29]     Le Tribunal, bien quempathique à l’égard de la locataire, ne peut tenir compte, dans sa décision concernant l'autorisation de reprendre le logement, de considérations qui sont personnelles à cette dernière et qui ne sont pas prévues à la loi.

[30]     Ainsi, puisqu'il juge indiqué d'autoriser la reprise du logement concerné, le Tribunal est d'opinion qu'il y a lieu d'examiner les circonstances propres à la locataire, en regard des termes de l'article 1967 du Code civil du Québec.

[31]     Cet article se lit comme suit :

« 1967. Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il
estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une
indemnité équivalente aux frais de déménagement. »

[32]     Partant, compte tenu des circonstances, dont a témoigné la locataire, et compte tenu, aussi, du fait que les locateurs n'ont pas à être pénalisés pour l'exercice d'un droit légitime, soit celui d'y loger leur fille, le Tribunal estime que l'octroi d'une indemnité de l'ordre de 1 490 $, soit l'équivalent de deux (2) mois de loyer, est juste et raisonnable pour compenser la locataire pour les frais d'un déménagement et tous les troubles et les inconvénients y afférant, dont la recherche d'un nouveau logement.


[33]     Également, le Tribunal prend acte de l’offre des locateurs de proroger le bail pour une période additionnelle de deux mois, soit jusqu’au 30 août 2022, si requise par la locataire, pour se trouver un nouveau logement. La locataire devra cependant poursuivre le paiement de son loyer mensuel au cours de ces deux mois.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[34]     AUTORISE les locateurs à rependre le logement concerné à compter du 1er septembre 2022 pour y loger sa fille Jasmine Desjardins;

[35]     ORDONNE l'éviction de la locataire au plus tard le 31 août 2022;

[36]     CONDAMNE les locateurs à payer à la locataire la somme de 1 490 $, au plus tard le 31 août 2022;

[37]     Les locateurs assument les frais de la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Michel Rocheleau

 

Présence(s) :

les locateurs

la locataire

Me Kimmyanne Brown, avocat de la locataire

Date de l’audience : 

28 mars 2022

 

 

 


 

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