Décision

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Côté c. Choquette

2023 QCTAL 13148

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Saint-Hyacinthe

 

No dossier :

675366 23 20230119 G

No demande :

3776789

 

 

Date :

26 avril 2023

Devant la juge administrative :

Marilyne Trudeau

 

Alain Côté

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Chantal Choquette

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le locateur demande au Tribunal l’autorisation de reprendre le logement concerné, à compter du 1er juillet 2023, pour s’y loger, suivant les termes de l'article 1963 du Code civil du Québec.

[2]         La preuve révèle que les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2015 au 30 juin 2016 au loyer mensuel de 500 $, reconduit jusqu’au 30 juin 2023 au loyer mensuel de 585 $.

[3]         Le locateur a acquis l’immeuble il y a deux ou trois ans.

APERÇU

Preuve du locateur

[4]         Le locateur explique avoir mis sa résidence en vente. Il souhaite s’établir dans un endroit plus petit.

[5]         Le logement concerné est situé au premier étage et compte quatre (4) pièces et demie. Il explique reprendre également le logement de trois (3) pièces et demie juste en bas afin d’y installer son bureau.

[6]         Questionné, il ajoute posséder cinq (5) autres immeubles locatifs à Saint-Hyacinthe. Toutefois, le logement concerné a un grand espace de rangement et se situe au premier étage. Ayant deux petits chiens, il ne peut s’installer dans un logement à l’étage. 

[7]         Aucun locataire ne l’a informé de la non-reconduction de son bail au 1er juillet 2023.

Preuve de la locataire

[8]         La locataire s’oppose à la reprise. Elle croit qu’il s’agit d’une manière détournée de se débarrasser d’elle comme elle a refusé l’augmentation de loyer proposée l’an dernier, soit de 165 $ par mois.


[9]         La locataire soulève également le fait qu’elle croit que le locataire du logement au-dessus du sien a quitté comme elle ne le voit pas et n’entend plus de bruit en provenance de celui-ci. Le locateur pourrait selon elle s’installer dans ce logement plutôt que de reprendre le sien.

[10]     Subsidiairement, la locataire demande la somme de 1 000 $ à titre d’indemnité. Elle n’a contacté aucune entreprise afin d’obtenir une estimation des coûts éventuels d’un déménagement.

Réplique

[11]     Le locateur indique être sans nouvelle du locataire du logement situé au-dessus de celui de la locataire. Il ne peut présumer qu’il a quitté le logement. Il n’y a pour l’instant aucune résiliation de bail.

[12]     Qui plus est, pour les raisons indiquées, il ne peut habiter un logement situé aux étages supérieurs.

[13]     Toutefois, il s’engage, advenant que ce logement soit libre au 1er juillet 2023, à l’offrir en priorité à la locataire.

QUESTIONS EN LITIGE

1)      Le locateur a-t-il démontré avoir droit à la reprise ?

2)      Dans l'affirmative, la locataire a-t-elle droit à une indemnité?

ANALYSE ET DÉCISION

Fardeau de preuve

[14]     Le Tribunal tient à souligner qu'il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. Ainsi, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.

[15]     Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif, mais plutôt qualitatif. La preuve testimoniale est évaluée en fonction de la capacité de convaincre des témoins et non pas en fonction de leur nombre.

[16]     Le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable et il n'est pas toujours aisé de faire cette distinction. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.

[17]     Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée[1].

La reprise

[18]     Un locateur, qui en est également le propriétaire, peut reprendre un logement pour y habiter ou y loger un membre de sa famille, comme l'indique l'article 1957 du Code civil du Québec (C.c.Q.) qui prévoit :

« 1957. Le locateur d'un logement, s'il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l'habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.

Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l'union civile. »

[19]     En cas de refus du locataire de quitter le logement, le locateur doit obtenir l'autorisation du Tribunal pour le reprendre. En effet, le législateur impose des conditions au locateur pour protéger le droit du locataire qui perd irrévocablement son droit au maintien dans les lieux.


[20]     Dans ce cadre, le locateur a le fardeau de démontrer de manière prépondérante que son projet repose sur des faits raisonnables et probables et non sur des prétextes et d'en convaincre le Tribunal, comme le stipule l'article 1963 C.c.Q. :

« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.

Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »

[21]     En conséquence, il ne doit y avoir aucun doute dans l'esprit du Tribunal[2] sur la réalisation et la faisabilité du projet, que ce dernier soit suffisamment certain et circonscrit, qu'il soit permanent, excluant le court terme, et qu'il ne repose pas uniquement sur une base transitoire ou hypothétique. En cas de doute, la demande de reprise du logement sera rejetée.

[22]     Plusieurs décisions de ce Tribunal[3] ont reconnu que les fins de la reprise doivent avoir un certain caractère de stabilité. Si le projet n'est pas raisonnablement viable, il peut s'agir d'un prétexte au sens de l'article 1963 C.c.Q.

[23]     En l'instance, après avoir entendu le témoignage crédible du locateur, le Tribunal estime qu’il a démontré qu’il va réellement habiter le logement concerné et qu'il s'agit d'un projet de bonne foi.  

[24]     Le refus de la locataire d’accepter une augmentation de loyer substantielle l’an dernier est insuffisant afin de conclure qu’il existe un conflit réel ou une animosité quelconque entre les parties qui pourraient permettre au Tribunal de croire que le locateur souhaite voir la locataire partir et qu’il utilise le droit à la reprise à cette fin. 

[25]     Par ailleurs, comme le mentionne l'honorable juge Sylvie Lachapelle de la Cour du Québec dans l'affaire Nathan c. Miconnet[4], les locateurs sont libres de choisir le logement qui répond le mieux à leurs besoins tant personnels, familiaux qu'économiques. Il n’appartient pas au Tribunal de s’immiscer dans cette décision.

[26]     La reprise est par conséquent accordée.

[27]     Le Tribunal rappelle qu'un recours est prévu en faveur d'un locataire en recouvrement de dommages-intérêts et même de dommages punitifs si la reprise de logement est obtenue de mauvaise foi (article 1968 C.c.Q.). De plus, un logement qui a fait l'objet d'une reprise ne peut, sans l'autorisation du Tribunal administratif du logement, être reloué ou utilisé pour une autre fin que pour celle pour laquelle le droit a été exercé (article 1970 C.c.Q.).

L'indemnité

[28]     Lorsque le Tribunal autorise la reprise, il peut imposer des conditions justes et raisonnables, y compris le paiement à la locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement, comme le mentionne l'article 1967 C.c.Q.

[29]     Le Tribunal rappelle également qu'il n'y a pas lieu de pénaliser un locateur pour l'exercice d'un droit légitime reconnu par la loi. Ainsi, l'indemnité vise à neutraliser adéquatement les dépenses et les inconvénients ayant trait directement au départ, sans risquer de créer une contrainte financière pour le locateur.

[30]     Dans les circonstances actuelles, le Tribunal juge que la locataire a le droit d'être indemnisée pour les dépenses et les inconvénients à subir en raison du déménagement et de la perte du droit au maintien dans les lieux[5].

[31]     Dans l'affaire Carlin[6], la Cour du Québec a aussi énuméré les critères à considérer dans l'évaluation de cette indemnité. Ainsi, l'âge du locataire, sa condition physique, la durée d'occupation, son enracinement dans le logement et la valeur de son mobilier sont des critères pertinents.


[32]     En l'instance, la locataire ne fait mention d'aucune condition particulière. Elle soulève uniquement la proximité du logement concerné de l’école et de la garderie fréquentées par ses enfants.

[33]     Le Tribunal accorde la somme de 1 000 $ à la locataire à titre d'indemnité équivalente aux frais raisonnables reliés au déménagement, incluant les frais de branchement aux services publics et de changement d'adresse.

[34]     Par ailleurs, il sera permis à la locataire d'opérer compensation de l'indemnité obtenue à même les derniers loyers à échoir.

[35]     Le Tribunal prend également acte de l’engagement du locateur d’offrir le logement situé audessus du logement concerné en priorité à la locataire, advenant que celui-ci se libère pour le 1er juillet 2023.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[36]     ACCUEILLE la demande;

[37]     AUTORISE le locateur à reprendre le logement concerné afin de s’y loger, à compter du 1er juillet 2023;

[38]     À défaut d'un départ volontaire au 1er juillet 2023, ORDONNE l'expulsion de la locataire et de tous les autres occupants du logement après cette date;

[39]     CONDAMNE le locateur à payer à la locataire une indemnité de 1 000 $, laquelle peut être compensée à même les derniers mois de loyer;

[40]     Le locateur assume les frais de la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Marilyne Trudeau

 

Présence(s) :

le locateur

la locataire

Date de l’audience : 

31 mars 2023

 

 

 


 


[1] Articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec, CCQ-1991.

[2] Goudreault c. Bassel, C.Q. 500-02-075570-999, le 4 novembre 1999, j. Antonio De Michele [REJB 1999-15220] tel que citée dans Méthot c. Farnham, 2014 QCRDL 23858, j.a. F. Jodoin, parag. 22.

[3] Zheng c. Rebelo (R.D.L., 2014-03-19), 2014 QCRDL 9653, SOQUIJ AZ-51057262; Cliche c. Boivin, [1998] J.L. 185 (R.L.); Barss c. Campeau, [1998] J.L. 257 (R.L.). Suivi : Requête pour permission d'appeler rejetée (C.Q.M. 500-02-069256-985); Cortina c. Raymond, [2003] J.L. 112 (R.L.). Joncas c. Lemelin, [2001] J.L. 136 (R.L.).

[4] 2019 QCCQ 2731.

[5] Boulay c. Tremblay [1994] J.L. 132 (C.Q.).

[6] Carlin c. Dec, 500-02-063681-980, 99-03-26, juge Lucien Dansereau.

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